Communication présentée par :

R. R. et M. R. (représentés par des conseils, Kevät Nousiainen, Merja Pentikäinen et Marjo Rantala)

Au nom de :

M. M. et ses filles K. M. et C. M. (décédées)

État partie :

Finlande

Date de la communication :

23 décembre 2016 (lettre initiale)

Références :

Communiquée à l’État partie le 26 janvier 2017 (non publié sous forme de document)

Date des constatations :

17 février 2020

Contexte

Les auteurs, R. R. et M. R, sont de nationalité finlandaise. Ils portent plainte au nom de leur fille, M. M., Finlandaise née en 1967, et de ses filles K. M. et C. M., Finlandaises nées en 2003 et en 2006, respectivement ; elles sont toutes les trois décédées en 2011. Les auteurs affirment que la Finlande a violé les droits que les présumées victimes tiennent de l’article premier, des alinéas a) à g) de l’article 2, des articles 3 et 5 et du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention. La Convention et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour la Finlande respectivement le 4 octobre 1986 et le 29 mars 2001. Les auteurs sont représentés par des conseils, Kevät Nousiainen, Merja Pentikäinen et Marjo Rantala.

Rappel des faits présentés par les auteurs

M. M. a été victime d’actes de violence de la part de son mari, J. M., qui maltraitait aussi leurs filles. Il les a tuées toutes les trois le 21 décembre 2011. Au moment des faits, les fillettes étaient âgées respectivement de 8 et 5 ans.

M. M. avait le syndrome de Di George. Elle a rencontré J. M. dans un centre pour personnes présentant un handicap intellectuel à Vantaa à la fin des années 1990 et ils se sont mariés. J. M., qui avait une paralysie cérébrale, bénéficiait d’une prise en charge des services municipaux destinée aux handicapés intellectuels. Cet appui a pris fin lorsque sa mère est décédée en 1998. M. M. et J. M. recevaient tous les deux une aide sociale. La municipalité de Vantaa a fourni à M. M. un emploi de réadaptation et elle a travaillé jusqu’au début de sa grossesse en 2002.

Après la naissance de K. M. en 2003, des services d’aide familiale ont été proposés à J. M. et M. M., mais J. M. a refusé. Les services de protection de l’enfance ont reçu sept signalements au sujet des fillettes entre 2003 et 2011, dont le dernier deux mois avant le décès de K. M. Ces signalements concernaient le défaut de soins, la négligence (non‑satisfaction des besoins quotidiens), l’incapacité des parents à s’occuper de l’enfant et, en fin de compte, la suspicion de sévices sexuels commis par son père. La fillette a fréquenté une garderie municipale avant d’entrer à l’école en 2009.

C. M. est née en 2006 et on lui a également diagnostiqué un syndrome de Di George ; elle a en outre été hospitalisée pendant plus d’un an après sa naissance en raison d’un sarcome. Contre la volonté de ses parents, elle a commencé à fréquenter une garderie municipale spécialisée en août 2010. Entre le 15 juin 2007 et le 11 octobre 2011, les services de protection de l’enfance ont reçu cinq signalements au sujet de C. M.

Ce n’est qu’à l’automne 2011 que les services de protection de l’enfance ont ouvert une enquête sur la situation familiale, au moment où M. M., avec l’aide de sa mère, est allée vivre dans un refuge avec K. M. et C. M. L’enquête a révélé que le personnel de la garderie de C. M. avait remarqué que M. M., K. M. et C. M. avaient peur de J. M., et que M. M. demandait la permission de son mari pour tout. Une fois où C. M. avait une ecchymose sur la joue, elle a expliqué, quand on l’a interrogée, que son père l’avait frappée. Le personnel était préoccupé par la situation de la famille mais n’a rien signalé aux services de protection de l’enfance ou à la police. Les membres du personnel ont également indiqué que lorsque C. M. était à la garderie, ils gardaient les portes verrouillées par crainte de J. M.

Le personnel de l’hôpital qui a soigné C. M. a également fait part de ses inquiétudes aux responsables de la protection de l’enfance. Ces derniers soupçonnaient J. M. de dominer M. M. Lorsqu’ils rendaient visite à la famille, c’est J. M. qui parlait au nom de la famille, et M. M. lui demandait l’autorisation de prendre la parole. Selon un psychologue, M. M. n’était pas en mesure de discerner quel était son intérêt supérieur, et elle dépendait entièrement de son mari.

Aucune des observations faites par divers fonctionnaires au fil des ans n’a donné lieu à une enquête policière ou à une évaluation des risques qu’entraînait la situation de M. M., K. M. et C. M.

Le 18 septembre 2011, M. M., K. M. et C. M. se sont présentées à un refuge. Un signalement a été fait le jour même aux services de protection de l’enfance. La mère de M. M. a téléphoné au centre de secours et de services sociaux d’urgence de Vantaa, affirmant que le père de K. M. avait commis des atteintes sexuelles contre la fillette. Le centre a également fait un signalement aux services de protection de l’enfance. Le 27 septembre 2011, les services de protection de l’enfance ont demandé l’ouverture d’une enquête de police sur les allégations d’atteintes sexuelles.

M. M. a confié au personnel du refuge qu’elle avait peur de J. M. Au bout de quelques semaines au refuge, M. M. est devenue plus autonome et a engagé une procédure de divorce.

En septembre 2011, les services sociaux ont tenu leur première réunion concernant la famille. Deux employées du refuge, un agent de protection de l’enfance, M. M. et ses parents, R. R. et M. R., ont conclu qu’il fallait que J. M. n’ait pas de contact avec ses filles en raison des atteintes sexuelles présumées. M. M. a été informée que J. M. ne devait avoir aucun contact avec ses filles. Le 5 octobre 2011, M. M. a fait part à la police des violences psychologiques qu’elle avait subies pendant des années, affirmant que J. M. avait eu des gestes déplacés envers elle et les fillettes.

J. M. a continué de téléphoner à M. M. au refuge, appels qui la bouleversaient. Ils se sont vus au moins une fois en octobre 2011. À plusieurs reprises, le personnel du refuge a vu K. M. pleurer pendant une conversation téléphonique avec J. M.

Le 11 octobre 2011, les services sociaux ont organisé une deuxième rencontre. Les responsables ont indiqué que M. M. ne pouvait pas garantir la sécurité des fillettes en raison du comportement dominateur de J. M. Les fillettes ont donc été placées de toute urgence en foyer d’accueil. Les droits de visite de J. M. ont été restreints. À la fin de novembre 2011, M. M. a voulu retirer son témoignage contre J. M. Les droits de visite de ce dernier ont donc été rétablis, mais les visites étaient surveillées. L’enquête de police sur les allégations d’atteintes sexuelles n’a pas été transmise au ministère public.

Le 20 décembre 2011, deux agents de protection de l’enfance sont venus rencontrer M. M. et J. M. à leur domicile. La sœur de J. M. a également participé à la rencontre. Les agents ont informé la famille que les parents ne pourraient désormais voir leurs enfants qu’en présence d’un tiers. La sœur de J. M. a été désignée pour assumer ce rôle. Il a été prévu que les fillettes passeraient Noël chez la sœur de J. M., où les parents leur rendraient visite. J. M. a en outre été informé que les allocations familiales normalement versées aux parents seraient dorénavant versées au foyer d’accueil.

Le 21 décembre 2011, à midi, les fillettes sont arrivées au domicile de leurs parents, accompagnées de deux agents de protection de l’enfance, pour une visite qui devait durer deux heures. J. M. et M. M. ont dit aux agents qu’ils raccompagneraient ensuite les fillettes jusqu’à la voiture car ils comptaient sortir. Les agents sont ressortis mais ont décidé d’attendre ; au bout d’un moment, l’une des deux a frappé à la porte mais sans obtenir de réponse. Au téléphone, J. M. lui a demandé d’attendre un peu. L’agent a entendu un cri. À 15 h 1, les agents ont appelé la police ; une patrouille est arrivée à 15 h 31. Dans le logement, les policiers ont retrouvé M. M., K. M. et C. M. sans vie dans la salle de bains ; elles avaient été poignardées. J. M. s’était lui-même blessé.

Le 20 juillet 2012, le tribunal de district de Vantaa a reconnu J. M. coupable du meurtre de M. M., K. M. et C. M., mais il a bénéficié d’excuses justifiant l’atténuation de sa responsabilité pénale. Le jugement n’a fait l’objet d’aucun appel. En mai 2014, J. M. a été tué en prison par deux détenus.

Teneur de la plainte

Les auteurs déclarent qu’il n’y avait, dans cette affaire, aucun recours interne applicable qui aurait pu prévenir efficacement les violations des droits des victimes et que même si certains recours avaient été disponibles, les victimes n’auraient pas pu s’en prévaloir par leurs propres moyens. Dès la naissance de K. M. en 2003 et jusqu’à ce que M. M. se présente à un refuge en septembre 2011, plusieurs signalements ont été faits aux services de protection de l’enfance. Les autorités n’ont pas tenu compte de la situation vulnérable de M. M. et n’ont pas mis à sa disposition les services de soutien qui lui auraient permis d’agir. Elles avaient l’autorité nécessaire pour prendre diverses mesures de protection, mais elles n’ont rien fait.

Les auteurs affirment que les victimes ont été victimes d’actes de violence fondée sur le genre. Elles ont subi des sévices et des violences, y compris des violences physiques, psychologiques et sexuelles, ainsi que des menaces et des contraintes. L’État partie n’a pas su leur offrir une protection efficace. La famille vivait dans des conditions difficiles depuis des années ; les autorités en avaient connaissance. Au fil des ans, à plusieurs reprises, la famille avait été en contact avec les services à l’intention des personnes handicapées, les autorités de santé publique, les responsables municipaux des services sociaux et de la protection de l’enfance, et avec le personnel d’une garderie publique. Le personnel de ces institutions avait constaté le comportement agressif et dominateur de J. M. Il était ou aurait dû être évident que J. M. infligeait des violences psychologiques et physiques, et peut-être aussi des violences sexuelles, à sa femme et à leurs filles. On savait qu’il avait déjà menacé M. M. de tuer leurs filles. Malgré cela, les autorités n’ont fourni aucune aide et n’ont pris aucune mesure concrète pour protéger les fillettes. Les autorités n’ont pas prêté attention à la vulnérabilité particulière de la famille et n’ont pas demandé, en vertu de la loi en la matière, une ordonnance de protection qui aurait pu être prononcée contre J. M. pour protéger M. M., K. M. et C. M. Le fait que les autorités n’aient pas agi avec diligence a abouti, en décembre 2011, à la mort de M. M., K. M. et C. M. Ces nombreuses omissions de la part des autorités constituent une violation des droits que les victimes tiennent des articles 1er à 3 de la Convention. Les auteurs affirment en outre qu’en violation de l’article 2 de la Convention, l’État partie n’a pas mis en œuvre les droits consacrés par la Convention au moyen d’une législation nationale efficace.

Les auteurs affirment qu’il y a eu violation des droits de M. M. en vertu du paragraphe 1 de l’article 16, étant donné que les autorités ont accepté que J. M. agisse au nom de M. M. dans des domaines intéressant l’ensemble de la famille. Les autorités étaient conscientes de la domination que J. M. exerçait sur sa famille. Néanmoins, elles ont accepté qu’il refuse leur aide à maintes reprises. M. M. n’a pas pu jouir sur un pied d’égalité de ses droits et responsabilités à titre de conjointe et de mère. Elle a été tenue responsable de ne pas avoir su protéger ses enfants de leur père, et les fillettes ont été placées en foyer d’accueil au détriment de ses droits parentaux.

Les auteurs font valoir que cette affaire démontre le non-respect par l’État partie de l’article 5 de la Convention. Ces omissions de la part des autorités révèlent une conception problématique des genres et une incompréhension de la violence fondée sur le genre. En effet, cette forme de violence est considérée comme un problème personnel, social, sanitaire ou familial plutôt que comme une atteinte grave aux droits de la personne, liée au manque de protection contre la violence commise par des individus ; aucun modèle complet n’a en outre été adopté pour lutter contre la violence fondée sur le genre.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

Par une note verbale en date du 27 mars 2017, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. À titre d’exception préliminaire, l’État partie fait observer que, selon une « lettre d’autorisation » signée le 30 novembre 2016 par R. R et M. R., ces derniers ont autorisé Kevät Nousiainen, Merja Pentikäinen et Marjo Rantala à présenter au Comité en leur nom une communication émanant d’un particulier. R. R. et M. R. sont les parents biologiques de M. M. et les grands-parents de K. M. et C. M. On n’avait pas désigné de tuteur pour M. M. L’État partie relève que le Comité n’a pas déclaré quels particuliers doivent être considérés comme les auteurs de la communication.

S’agissant des faits de l’affaire, le 21 décembre 2011, J. M. a tué sa femme M. M. ainsi que leurs filles, K. M. et C. M. Le 30 mai 2012, le procureur a accusé J. M. de meurtre. Le 20 juillet 2012, le tribunal de district a reconnu J. M. coupable de trois chefs d’accusation de meurtre et l’a condamné à une peine de quatorze ans d’emprisonnement, sa responsabilité pénale ayant été réduite. J. M. a en outre été condamné à verser à R. R., M. R. et P. R. (frère de M. M.) 24 000 euros de réparation en espèces, compte tenu de la détresse subie et des dépenses engagées. J. M. est mort en prison en mai 2014.

Il y a lieu de se demander si la communication constitue un exercice légitime du droit de pétition au titre de l’article 2 du Protocole facultatif. R. R. et M. R. n’avaient pas la garde de M. M., K. M. ou C. M. et n’étaient pas non plus leurs représentants légitimes au niveau national. La plupart des violations alléguées ne concernent que M. M. et il est impossible de déterminer si elle aurait consenti ou non à ce que cette communication soit soumise.

Conformément aux paragraphes 2 et 3 de l’article 68 du règlement intérieur du Comité, « des communications peuvent être présentées au nom d’une victime présumée sans son consentement lorsque l’auteur de la communication peut justifier qu’il agit au nom de la victime », et « lorsqu’un auteur présente une communication en se réclamant du paragraphe 2 du présent article, il doit motiver son action par écrit ». Or R. R. et M. R. n’ont pas réussi à expliquer les raisons pour lesquelles ils présentent une communication au nom de M. M., K. M. et C. M. Ils n’ont engagé aucune procédure concernant le fond de la communication devant les autorités et tribunaux nationaux à la suite du jugement définitif prononcé le 20 juillet 2012 dans l’affaire concernant J. M. Ce n’est que le 30 novembre 2016, soit plus de quatre ans plus tard, qu’ils ont signé une « lettre d’autorisation ». L’État partie souligne l’importance des exigences raisonnables en matière de procédure, telles que celle concernant la soumission de la communication dans les meilleurs délais. Le Comité devrait, pour ces raisons, déclarer la communication irrecevable.

R. R. et M. R. ne sont pas eux-mêmes victimes d’une violation d’un droit reconnu dans la Convention. Il semble toutefois qu’ils se considèrent comme les auteurs de la communication. Ils ont participé en qualité de parties lésées à la procédure qui a pris fin le 20 juillet 2012, mais n’ont pas porté appel du jugement du tribunal de district devant la Cour d’appel ou la Cour suprême. Par conséquent, la communication est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention et est donc irrecevable.

Plusieurs nouvelles allégations ont été portées devant le Comité mais les recours internes épuisés n’ont pas été énumérés dans la communication. L’État partie note que l’article premier, les alinéas a) à g) de l’article 2, les articles 3 et 5 et le paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention sont invoqués dans la communication, mais qu’aucune de ces dispositions n’avait été invoquée devant les tribunaux nationaux. Cette plainte devrait donc être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

M. M. n’avait engagé aucune procédure concernant le fond de la communication ni invoqué aucun des articles de la Convention devant les tribunaux ou d’autres autorités. La Cour européenne des droits de l’homme a noté que « la règle de l’épuisement des recours internes […] impose aux personnes désireuses d’intenter contre l’État une action devant un organe judiciaire ou arbitral international l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de leur pays. Les États n’ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne ». Le Comité n’a pas vocation de tribunal de première instance. À la suite des événements du 21 décembre 2011, aucune des personnes mentionnées dans la communication ne s’est prévalue d’une des possibilités prévues par la législation nationale.

L’État partie affirme que « quiconque a subi une violation de ses droits ou une perte du fait d’un acte ou d’une omission illicite de la part d’un fonctionnaire ou de toute autre personne exerçant une fonction publique a le droit de demander que le fonctionnaire ou toute autre personne exerçant une fonction publique soit condamné à une peine et que l’organisation publique, le fonctionnaire ou toute autre personne exerçant une fonction publique soit tenu responsable du préjudice causé, comme prévu par la loi ». En outre, l’État partie explique en détail le rôle de l’Ombudsman et la procédure de recours devant cette instance. Il indique également qu’un agent public reconnu coupable de violation d’une obligation officielle fera l’objet d’une amende ou d’une peine pouvant aller jusqu’à un an ; un agent coupable de violation d’une obligation officielle du fait de sa négligence fera l’objet d’un avertissement ou d’une amende. L’État partie affirme qu’aucune plainte n’a été déposée contre les travailleurs sociaux qui étaient présents le 21 décembre 2011, mais qu’ils ont été témoins au cours de l’instruction. Il est également possible de former un recours administratif, ou de déposer une plainte auprès de l’administration publique régionale concernant les actes des autorités de protection sociale. En conséquence, le Comité considère que les recours internes n’ont pas été épuisés, comme l’exige le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

L’État partie rappelle que R. R. et M. R. ont eu accès à un tribunal et que leurs demandes d’indemnisation ont été soigneusement examinées par le tribunal de district. Ils n’ont pas interjeté appel devant la Cour d’appel ou la Cour suprême. La demande d’indemnisation qu’ils ont présentée au Comité devrait être rejetée pour non-épuisement des recours internes.

Dans son jugement, le tribunal de district a noté que bon nombre de faits au sujet de la famille avaient été communiqués aux tribunaux avant la tragédie du 21 décembre 2011 mais qu’à plusieurs égards, les renseignements reçus n’étaient pas directement liés aux événements tragiques de cette date. Par exemple, le tribunal n’a pas jugé qu’il y avait un lien entre le fait que selon certains témoins, J. M. avait réagi négativement à toute possibilité d’aide extérieure ou d’ingérence dans les affaires familiales, et les meurtres. Le jugement n’ayant pas été porté en appel, il est devenu définitif. La question avait donc été résolue au niveau national.

En ce qui concerne les allégations des auteurs concernant la violence fondée sur le genre et ses conséquences, de manière générale mais aussi pour ce qui est de la situation particulière de M. M. et de l’incapacité de l’État partie à reconnaître les cas de violence à l’égard des femmes et de violence domestique, l’État partie rappelle que ces allégations n’ont pas été formulées devant les juridictions nationales et qu’elles semblent être principalement de nature générale et sans rapport avec les faits de l’affaire individuelle de M. M., K. M. et C. M. Ces allégations reposent uniquement sur le jugement du tribunal de district du 20 juillet 2012 et sur le rapport d’enquête préliminaire. L’intention des chercheuses (Kevät Nousiainen, Merja Pentikäinen et Marjo Rantala) était de trouver une affaire et de présenter une communication au Comité pour en faire une actio popularis, comme en témoignent, d’une part, la réunion tenue le 1er décembre 2016 pour examiner les modalités de la communication et, d’autre part, l’article publié au sujet de la communication. L’État partie conclut que la communication est manifestement dénuée de fondement au sens de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif et que, par conséquent, elle devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 4 du Protocole facultatif.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

Dans une note verbale en date du 26 juillet 2017, l’État partie a présenté ses observations sur le fond.

L’État partie fait valoir que la procédure de communication présentée par un particulier ne devrait pas avoir pour but de permettre que, plusieurs années après la mort des personnes concernées par le fond de la question, une autre personne puisse présenter des allégations concernant leur vie privée en se fondant sur les éléments limités auxquels elle a accès. L’État partie souligne à nouveau que la communication à la portée d’une actio popularis.

L’État partie réaffirme que les recours internes n’ont pas été épuisés, comme l’exige l’article 4 du Protocole facultatif, et que la communication est irrecevable pour ce motif, en plus d’être manifestement dénuée de fondement au sens de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

Pour ce qui est du fond, l’État partie souligne qu’il n’accepte aucun des griefs présentés dans la communication.

L’État partie fait observer que certains documents officiels relèvent de l’obligation de confidentialité. La communication porte sur des informations délicates qui concernent plusieurs individus et doivent être tenues secrètes pendant 50 ans après le décès de la personne concernée (informations sur les clients des services de protection sociale, sur les mesures d’appui et les services de protection sociale dont ils ont bénéficié, ainsi que des données relatives à leur état de santé ou de handicap et aux soins et traitements médicaux qu’ils ont reçus). C’est pour cette raison que ni les chercheuses ni R. R. et M. R. n’ont eu accès à ces informations lors de la présentation de la communication ; selon l’interprétation de l’État partie, ils n’avaient pas le droit d’y avoir accès.

Un requérant ou une autre personne dont les droits, les intérêts ou les obligations sont concernés peut demander à l’autorité qui examine la question de lui accorder l’accès à des documents qui ne sont pas publics, si ceux-ci peuvent avoir une incidence sur l’examen de la question. Toutefois, ni les chercheuses ni R. R. et M. R. n’ont la qualité de partie parce qu’ils ne se sont pas prévalus des voies de recours internes disponibles en ce qui concerne le fond de la communication. La législation de l’État partie en matière d’aide sociale et de soins de santé protège également la vie privée des personnes décédées. L’État partie ne peut pas accorder aux chercheuses ou à R. R. et M.R. l’accès aux données relatives à l’aide sociale et aux soins de santé qu’auraient reçus M. M., K. M. et C. M. L’État partie ne peut pas non plus prendre position sur les services ou les mesures de soutien dont elles auraient bénéficié, sur leur état de santé ou de handicap ou sur les mesures prises par les autorités en matière de protection sociale et de soins de santé puisque ces données doivent demeurer confidentielles. Par ailleurs, aucun tribunal national n’a examiné ces mesures. Le 20 juillet 2012, le tribunal de district a accédé à la demande faite par le Procureur et les parties lésées pour que les pièces du procès soient tenues secrètes pendant soixante ans, étant donné qu’elles portent sur des questions relatives à la vie privée de la famille, à la santé, au handicap ou à l’aide sociale.

Bien que le tribunal ait accédé à cette demande, dans le contexte de la présente communication, les chercheuses ont pris part à des événements organisés par des organisations non gouvernementales et ont accordé des entretiens. Elles se sont appuyées uniquement sur le rapport préliminaire et le jugement du tribunal de district, alors que l’État partie a eu accès à l’ensemble des documents. L’État partie conclut que les chercheuses ont fondé leurs allégations sur un nombre de documents limité et que leur interprétation a manqué d’objectivité.

L’État partie fait valoir que les allégations figurant dans la communication sont générales, vagues et sans fondement et qu’elles ne rendent pas compte de la situation particulière de M. M., K. M. et C. M. Les allégations reposent sur un petit nombre de documents et constituent ainsi de simples hypothèses. Les allégations selon lesquelles M. M., K. M. et C. M. « ont été victimes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre et ont subi des sévices et des violences, y compris des violences physiques, psychologiques et sexuelles » sont dénuées de fondement.

L’État partie rappelle qu’avant sa mort, M. M. n’a entamé aucune procédure concernant le fond de la communication et qu’elle n’a pas non plus invoqué les dispositions de la Convention au cours d’une procédure interne. Ni la Convention ni le Protocole facultatif ne contient de disposition prévoyant une réparation en espèces, comme le demandent les auteurs. L’État partie explique qu’il existe un vaste réseau de bureaux d’aide judiciaire publique qui permettent de garantir, aux personnes à faible ou à moyen revenu, les services d’un avocat, payés partiellement ou entièrement par l’État.

En créant de bonnes pratiques collectives, les autorités et les organisations offrent aux victimes de la criminalité une assistance opportune et adéquate. Par exemple, la coopération entre l’avocat d’une victime, les travailleurs sociaux concernés et l’organisation Victim Support Finland est très utile pour les victimes. Le personnel des bureaux d’aide judiciaire publique suit régulièrement des formations et des ateliers sur les sujets suivants : la situation des victimes, la communication avec les victimes, les réseaux d’autorités locales et la médiation.

Si les victimes de délits ne peuvent pas gérer leurs affaires elles-mêmes, on peut leur attribuer un tuteur, qui sera chargé de les aider, notamment à gérer leurs finances et d’autres questions personnelles. La victime elle-même ou un proche peut demander la désignation d’un tuteur par une autorité de tutelle ou un tribunal. Toute personne préoccupée par la situation d’une victime peut prendre contact avec les autorités de tutelle et leur faire part de la situation de la victime et du besoin de lui attribuer un tuteur.

L’État partie donne des précisions sur les mesures prises au cours de la période 2008‑2016 pour lutter contre la violence à l’égard des femmes. Un groupe de travail intersectoriel sur la prévention de la violence au sein du couple et de la violence familiale, qui relève du Ministère des affaires sociales et de la santé, a établi un plan d’action visant à faire reculer la violence à l’égard des femmes pour la période 2010-2015. Ce plan propose près de 70 mesures et traite séparément les questions de la violence faite aux femmes handicapées ou en situation de vulnérabilité.

Une législation visant à interdire la violence à l’égard des femmes dans tous les secteurs de la société, qui accorde une attention particulière aux femmes handicapées, a également été adoptée. La loi sur le statut et les droits des clients des services de protection sociale (no 812/2000) dispose que dans la prestation des services de protection sociale, la volonté et l’avis des clients, en ce qui concerne leur droit à l’autodétermination, sont primordiaux. Les services fournis aux personnes handicapées sont facultatifs. En l’espèce, les autorités chargées de la protection de l’enfant et de la prise en charge des personnes présentant un handicap intellectuel ont tenté par plusieurs moyens d’appuyer et d’aider la famille, mais M.M. et J. M. ont refusé toute aide. Les autorités estimaient que M. M. avait la capacité juridique de prendre des décisions la concernant et que le handicap intellectuel diagnostiqué chez elle ne limitait pas cette capacité. Au refuge, on lui a offert du soutien et de l’aide en vue de l’aider à mener une vie indépendante et à s’occuper de ses filles. Quand elle a décidé de retourner vivre avec J. M., elle a reçu des conseils sur les mesures à prendre en cas de problèmes dans le ménage. J. M. s’est également vu offrir des services pour l’appuyer et favoriser le bien-être de toute la famille. L’État partie regrette que, pour des raisons de confidentialité, les renseignements sur l’appui et les services offerts ne puissent être révélés.

La loi sur la protection de l’enfance vise à protéger le développement et l’épanouissement des enfants et à soutenir les parents. Elle dispose que, dans toutes les activités de protection sociale et de protection de l’enfance, ce sont les intérêts de l’enfant qui l’emportent ; elle autorise ainsi le placement d’urgence d’un enfant sans le consentement de ses parents si certains critères précis sont satisfaits. Les enfants peuvent être pris en charge si leur santé ou leur développement est gravement menacé, et si d’autres mesures ne peuvent pas remédier à la situation de l’enfant ou si les mesures existantes sont insuffisantes. Un placement d’urgence est possible si l’enfant est en situation de danger immédiat. L’État partie fait valoir qu’en l’espèce, il était indiqué et nécessaire de protéger le bien-être des enfants. Les autorités ont garanti la sécurité juridique des parents en les conseillant et en les orientant vers des services d’aide judiciaire.

En ce qui concerne l’enquête judiciaire, l’État partie déclare que, le 5 octobre 2011, la police a enregistré une plainte en matière pénale concernant deux affaires d’atteintes sexuelles contre un enfant. M. M. a été interrogée en qualité de témoin à deux reprises, les 5 et 17 novembre 2011, et J. M. a été interrogé en qualité de suspect le 11 novembre 2011. Les parties et trois témoins ont été entendus peu de temps après que l’enquête a été demandée. L’enquête a donc été menée dans un délai raisonnable. Le fait que les plaignantes et leur mère soient décédées le 21 décembre 2011 a eu un effet déterminant sur a conduite de l’enquête. Contrairement à ce qu’affirment les auteurs, le compte rendu d’enquête (no 8060/R/34818/11) a été transmis au Procureur pour que celui-ci examine les accusations en parallèle avec le dossier (no 8060/R/44271/11) concernant l’homicide dont M. M., K. M. et C. M. ont été victimes le 21 décembre 2011.

Le délai de vingt minutes qui s’est écoulé entre l’appel à la police et l’arrivée de la patrouille semble raisonnable. La police a déterminé que l’appel était urgent et elle a immédiatement dépêché deux patrouilles.

En ce qui concerne une éventuelle ordonnance d’éloignement, l’État partie fait observer que, sur la base des informations dont elle disposait, la police n’avait pas de motifs raisonnables d’imposer une telle mesure à J. M. et qu’en tout état de cause, une ordonnance d’éloignement aurait été sans effet dans la pratique, M. M. ayant fini par décider de retourner vivre avec J. M. Les fillettes, pour leur part, vivaient au refuge et ont ensuite été placées en foyer d’accueil par les services de protection de l’enfance.

L’État partie affirme qu’il s’est engagé à mettre la Convention en œuvre et que la législation finlandaise est conforme à ses dispositions. Le Code pénal prévoit expressément le cas de la violence au sein du couple. Le fait qu’aucune ordonnance de protection n’ait été imposée en l’espèce ne signifie pas que le système des ordonnances de protection ne protège aucune victime de violence.

L’État partie indique qu’il a augmenté le financement de services d’assistance aux victimes. La loi sur l’indemnisation des victimes de la criminalité (no 669/2015) est entrée en vigueur le 1er décembre 2016. Le financement public des services aux victimes a été accru, comme en témoigne la nouvelle ligne d’assistance téléphonique Nollalinja, destinée aux victimes de la violence au sein du couple et de la violence à l’égard des femmes.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

Le 16 décembre 2017, les chercheuses ont confirmé être les auteures de la communication. Elles expliquent qu’elles sont des juristes spécialisées dans les droits des femmes et que R. R. et M. R. étaient des parties intéressées parce que M. M. était leur fille, que K. M. et C. M. étaient leurs seules petites-filles et que, dans l’affaire, les grands-parents avaient eux-mêmes été reconnus comme des parties lésées. Les chercheuses ont obtenu qu’ils engagent la procédure parce qu’ils avaient subi un préjudice moral en tant que plus proches parents des victimes.

Les auteures soulignent qu’elles ne prétendent pas que l’État partie a négligé de poursuivre et de sanctionner l’auteur des homicides, mais plutôt qu’elles reprochent à l’État partie d’avoir omis de prévenir la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre et de protéger les victimes de cette violence.

Les chercheuses réaffirment qu’en raison de l’exigence de confidentialité, aucun tiers (y compris les parents de M. M. et les auteures de la communication) n’a eu accès aux informations relatives aux mesures prises par les autorités, ce qui aurait permis d’évaluer les recours envisagés pendant que les victimes étaient encore en vie. Les chercheuses n’ont pas qualité pour agir dans l’affaire selon le droit interne, et l’accès de R. R. et M. R. à des voies de recours a été réduit, dans les faits, du fait de l’ambiguïté de la législation concernant les obligations des autorités dans les cas présumés de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre. Concernant l’épuisement des voies de recours internes comme condition de la recevabilité, les auteures jugent pertinent d’examiner uniquement les recours disponibles après la mort des victimes. M. R. et R. R. n’ont pas reçu l’indemnité accordée par le tribunal qui avait reconnu J. M. coupable des meurtres et devraient être considérés, en leur qualité de parties intéressées devant le Comité, comme ayant droit à une indemnisation.

Les auteures affirment que la Constitution impose aux autorités l’obligation de protéger activement les droits de la personne. L’Ombudsman parlementaire contrôle la licéité, mais ne peut offrir de voie de recours aux victimes.

Quant à la possibilité de porter plainte, en vertu du Code pénal, contre les travailleurs sociaux qui étaient présents le jour du meurtre pour violation ou négligence d’une obligation officielle s’agissant de la visite surveillée, les auteures soutiennent que ces dispositions ne sont pas applicables en l’espèce. Il n’y avait pas de disposition ou de règlement pertinents concernant les fonctions officielles essentielles des travailleurs sociaux qui étaient chargés de surveiller la rencontre entre les parents et leurs enfants. L’État partie n’a pas contesté l’affirmation des auteures concernant l’absence d’une telle disposition ou d’un tel règlement. La loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes prévoit une indemnisation, mais seule la victime peut en faire la demande. Dans un cas où la victime est morte du fait de violences fondées sur le genre, la loi n’est pas applicable. Les auteures soulignent que le Médiateur pour l’égalité relève lui-même, dans la déclaration citée par l’État partie, qu’il n’a aucune compétence en matière de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre.

Les auteures font valoir que la communication n’est pas manifestement dénuée de fondement et elles contestent l’affirmation de l’État partie au sujet de l’actio popularis, qualifiant cette affirmation d’incompréhensible. La communication permet de mieux comprendre les événements, y compris les actes persistants de violence fondée sur le genre qui se sont conclus par trois meurtres. Il s’agit ainsi d’appeler l’attention du Comité sur les problèmes structurels dans la législation nationale et les pratiques appliquées, en violation de l’article premier, des alinéas a) à g) de l’article 2, des articles 3 et 5 et du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention.

Les victimes ont été privées d’accès à la justice. L’État partie n’a pas contesté la vulnérabilité des victimes et semble convenir que la décision d’urgence concernant la garde des fillettes tenait au fait que M. M. se considérait elle-même comme inapte à en avoir la garde exclusive. L’État partie n’a pas non plus indiqué si M. M. s’est vu proposer une assistance juridique d’office ou une évaluation des risques pour la sûreté. Au moment où elle a été tuée, une procédure était en cours en vue de la prise en charge de ses enfants par l’État. Compte tenu de ces circonstances, les auteures estiment qu’il serait déraisonnable d’avancer que M. M. aurait pu revendiquer ses droits et ceux de ses filles dans des instances nationales ou internationales.

Les différents mécanismes de plainte administrative cités par l’État partie n’offrent qu’une possibilité formelle de recours contre les décisions des autorités publiques, sans donner aux victimes un accès effectif à la justice. En raison de la non-divulgation de renseignements concernant les décisions prises par les responsables des services sociaux, il semble impossible de procéder à une évaluation juridique plus poussée. L’État partie n’apporte aucune explication quant au manque de mesures d’office prises pour protéger M. M., K. M. et C. M. Ni la loi sur les soins spécialisés dont bénéficient les personnes handicapées mentales ni la loi sur les services et l’aide en faveur des personnes handicapées n’a pas pu garantir la protection de M. M. et de ses filles.

En vertu de la loi sur la protection de l’enfance, certains fonctionnaires sont tenus d’aviser les services de protection de l’enfance si un enfant a besoin de protection. Toutefois, elle ne dispose pas expressément que la violence familiale subie par un enfant ou un parent doit entrer en ligne de compte dans la prise de décisions. Il en est de même pour la loi sur l’aide sociale. Les dispositions juridiques qui auraient pu prévenir le meurtre de M. M. et de ses filles et les protéger contre la violence étaient inexistantes ou ont été ignorées.

Les auteures affirment que l’État partie n’explique pas pourquoi l’ordonnance de protection n’a pas été imposée d’office, étant donné qu’on ne pouvait s’attendre à ce que M. M. en fasse la demande. Les dispositions prévues par la loi sur la police et la loi sur le statut et les droits des clients des services de protection sociale ont été vidées de leur sens. Les renseignements enregistrés par les autorités au sujet de M. M., K. M. et C. M. n’ont donné lieu à aucune mesure. La clarté des dispositions juridiques concernant la notification laisse à désirer dans les cas de violence à l’égard des femmes.

Si les fonctionnaires avaient fait preuve de discrimination à son égard, M. M. n’aurait pas pu invoquer la loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes ou la loi sur la non-discrimination. En effet, ces lois ne prévoient pas de recours et l’espèce prouve que les problèmes structurels fondamentaux et l’inactivité des décideurs de l’État partie constituent une forme de discrimination indirecte à l’égard des femmes. L’État partie ne s’acquitte pas de son devoir de précaution s’agissant de prévenir les actes de violence et de protéger les victimes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre qui relèvent de sa juridiction.

Selon les auteures, l’État partie n’a pas su protéger les victimes en raison de l’absence d’un dispositif global visant à prévenir et à éliminer la violence à l’égard des femmes, y compris au moyen de lois et de pratiques efficaces de protection contre la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, en particulier dans le contexte de la violence familiale. En tant que femme présentant un handicap, M. M. aurait dû bénéficier d’une attention particulière lui garantissant l’accès à la justice. Les victimes avaient besoin que les lois ou d’autres mesures interviennent en leur faveur en tenant compte de leur vulnérabilité liée à plusieurs motifs de discrimination croisée.

Tous ces faits sont tirés de documents publics − le rapport d’enquête préliminaire ainsi que le jugement − et peuvent donc être communiqués au Comité, à l’exception des noms des victimes, de leurs proches et de l’auteur des violences. Sur la base des informations disponibles, les autorités n’ont pas fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour éviter un risque réel et immédiat pour les droits de la personne des victimes. Si l’État partie estime que les documents confidentiels contiennent des informations qui peuvent avoir une incidence importante sur les conclusions tirées des autres informations disponibles, ces documents devraient être mis à la disposition des auteures au nom du principe de l’« égalité des moyens ».

Les auteures ont fait preuve de la plus grande prudence dans leurs interventions en public, pour éviter de divulguer des informations sur l’affaire ou de révéler le nom des victimes ou d’autres détails concernant la famille. Les événements auxquels elles ont participé ont été organisés par des organisations non gouvernementales nationales influentes qui s’intéressent aux femmes et aux droits de la personne et qui jouent un rôle important dans les actions en justice concernant les droits de la personne.

Les auteures indiquent que, dans une lettre datée du 27 janvier 2017, une travailleuse sociale à Vantaa a indiqué qu’il n’a pas été tenu compte de son évaluation professionnelle des comportements inquiétants de J. M. ni de la nécessité de protéger les fillettes et leur mère, bien qu’elle ait signalé la situation à plusieurs reprises. Elle est d’avis qu’en raison du handicap des parents, le Service de protection de l’enfance de Hakunila n’avait pas respecté la procédure établie.

Étant donné que le système juridique de l’État partie repose sur un modèle dualiste d’application du droit international, en Finlande les normes des droits de la personne doivent être incorporées dans les lois et les pratiques nationales pour que les victimes puissent les invoquer directement sur le plan national.

En ce qui concerne le temps écoulé entre les faits au niveau national (y compris les procédures pénales internes relatives aux homicides) et la soumission de la présente communication, les auteures font observer qu’aucune limite de temps n’est prévue dans les critères de recevabilité du Protocole facultatif.

Observations complémentaires des parties

Dans une note verbale datée du 30 mai 2018, l’État partie a réitéré ses précédentes observations, selon lesquelles, bien qu’elles aient reçu une lettre d’autorisation, les chercheuses désignent R. R. et M. R. simplement comme des « parties intéressées ». L’État s’oppose à la portée d’actio popularis de la communication et redit que les chercheuses ne sont victimes d’aucune violation des droits reconnus dans la Convention. Par conséquent, la communication est incompatible ratione personae avec cette dernière et irrecevable au regard de l’article 4 du Protocole facultatif. Elle pourrait aussi constituer un abus du droit de présenter des communications. L’État partie réaffirme également que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées.

Sur le fond, l’État partie affirme que la loi sur la protection de l’enfance impose aux autorités publiques l’obligation de prendre les mesures nécessaires si le bien-être d’un enfant est en jeu. Or, contrairement à ce qu’allèguent les auteures, les autorités publiques ont pris toute une série de mesures pour réduire la violence à l’égard des femmes, en respectant pleinement leur devoir de précaution, pour faire en sorte que les victimes aient accès à des services et pour améliorer la coopération entre les différentes autorités.

Le 20 août 2018, les auteures ont réaffirmé que les autorités de l’État partie avaient manqué à leur devoir de précaution, plusieurs années avant le meurtre des victimes et le jour même des féminicides. Elles précisent qu’elles agissent au nom de M. M., K. M. et C. M. R. R. et M. R. sont appelés « parties intéressées ». Les auteures font valoir qu’un comité en la matière, constitué en 2016, avait été créé avec de bonnes intentions mais qu’il a très peu d’autorité indépendante et des ressources très limitées pour combattre la violence à l’égard des femmes. Enfin, les auteures rappellent leurs remarques précédentes sur le statut de la Convention en droit interne.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif. En application du paragraphe 4 de l’article 72, il est tenu de se prononcer sur la recevabilité avant de se prononcer sur le fond.

En ce qui concerne l’article 2 du Protocole facultatif, le Comité constate que l’État partie soulève une objection préliminaire quant à la capacité juridique des auteures de présenter une communication. Le Comité relève que les auteures n’ont pas pu obtenir le consentement de M. M., qui était décédée. Toutefois, les parents de M. M., R. R. et M. R., qui sont les proches dont les auteures devaient obtenir le consentement, ont effectivement autorisé les auteures à agir en leur nom. Le Comité considère qu’en l’espèce, les auteures ont dûment justifié le fait qu’elles ont agi au nom de M. M. sans son accord exprès, car elles avaient l’autorisation de ses parents. Renvoyant au paragraphe 2 de l’article 68 de son règlement intérieur, qui dispose que des communications peuvent être présentées au nom d’une victime présumée sans son consentement lorsque l’auteur de la communication peut justifier qu’il agit au nom de la victime, le Comité rappelle que les communications peuvent être présentées non seulement par des victimes présumées mais aussi par leurs représentants et sans l’accord exprès des victimes, lorsque les circonstances le justifient. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que les dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

Le Comité rappelle en outre que, aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que l’auteur obtienne réparation par ce moyen. À cet égard, le Comité prend note de l’argument des auteures selon lequel les victimes et les auteures n’avaient pas eu accès à des recours internes utiles en ce qui concerne leurs griefs relatifs aux actes de violence fondée sur le genre et de violence familiale que les victimes avaient subis pendant des années et qui avaient entraîné leur décès. Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle M. M. avait la capacité juridique de prendre des décisions la concernant et que le handicap intellectuel diagnostiqué chez elle ne limitait pas cette capacité, et que pendant qu’elle se trouvait dans le refuge avec ses filles, on lui avait proposé de l’aider à mener une vie indépendante et de s’occuper de ses enfants ; elle avait été encouragée à mettre fin à la relation et avait été soutenue dans cette démarche ; et même après avoir décidé de retourner vivre avec J. M., on lui avait donné des conseils sur ce qu’il fallait faire en cas de problèmes à la maison.

Le Comité note également l’observation de l’État partie selon laquelle ni les victimes ni R. R. et M. R. n’avaient porté de grief de discrimination fondée sur le genre devant les autorités et tribunaux internes avant de présenter la communication au Comité. L’État partie a également fait valoir que les parents des victimes avaient eu accès au tribunal en tant que parties lésées, que leurs demandes d’indemnisation avaient été soigneusement examinées par le tribunal de district et qu’ils auraient pu interjeter appel auprès de la Cour d’appel et de la Cour suprême ; cependant, ils ne l’ont pas fait. En outre, M. R. et R. R. n’ont pas engagé d’autres procédures pénales ou administratives contre la police ou les travailleurs sociaux qui se sont occupés de l’affaire ; par conséquent, aucun tribunal national ou organe d’appel n’a réexaminé les actions des autorités. Le Comité note également l’observation de l’État partie selon laquelle, dans le cadre de l’enquête pénale sur la plainte du 5 octobre 2011 concernant des actes de violence sexuelle commis contre un enfant, les parties et les témoins ont été entendus rapidement et l’enquête a été menée dans un délai raisonnable ; le fait que les plaignantes et leur mère soient décédées le 21 décembre 2011 a eu un effet déterminant sur la conduite de l’enquête.

Le Comité rappelle qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’auteur d’une communication doit avoir exercé tous les recours qui lui sont ouverts dans le système juridique du pays concerné. Il rappelle également sa jurisprudence selon laquelle les auteurs doivent avoir effectivement soulevé au plan interne tous les griefs qu’ils souhaitent soumettre au Comité afin que les autorités et/ou les juridictions internes aient la possibilité de remédier à la situation.

Le Comité estime qu’en l’espèce, les autorités de l’État partie n’ont pas eu la possibilité d’examiner les griefs de discrimination indirecte et de violence fondées sur le genre, qui sont au cœur de la présente communication, et de se prononcer à leur sujet. Par conséquent, le Comité considère que la présente communication est irrecevable au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

Ayant conclu à l’irrecevabilité de la communication au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité décide de ne pas examiner les autres motifs d’irrecevabilité.

En conséquence, le Comité décide ce qui suit :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteures.