Communication présentée par :

S. L. (représentée par un conseil, Milena Kadieva et Zhaneta Borisova)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Bulgarie

Date de la communication :

23 février 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquées à l’État partie le 24 février 2016 (non publiées sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations :

19 juillet 2019

Contexte

L’auteure de la communication est S. L., de nationalité bulgare, née en 1982. Elle déclare que la Bulgarie a violé les droits qui lui sont conférés par les alinéas a) à c) et e) à g) de l’article 2, l’alinéa a) de l’article 5 et les alinéas c), g) et h) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, lus en parallèle avec son article premier et la recommandation générale no 19 (1992) sur la violence à l’égard des femmes, en raison de l’incapacité des autorités du pays à prévenir les violences physiques et psychologiques graves qui lui ont été infligées par son ex-mari et à enquêter efficacement sur celles-ci. La Convention et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 10 mars 1982 et le 20 décembre 2006, respectivement. L’auteure est représentée par un conseil, Milena Kadieva et Zhaneta Borisova.

Rappel des faits présentés par l’auteure

L’auteure, lycéenne de 17 ans à l’époque, a épousé M le 4 juin 2000. Ils ont emménagé dans la maison des parents de M, où ils ont vécu ensemble avec leur fils, H, né le 31 octobre 2000.

L’auteure affirme que pendant des années, elle a été victime des violences conjugales perpétrées par M ainsi que de violences psychologiques, affectives et physiques. En janvier 2001, M a giflé l’auteure à trois reprises parce qu’elle avait refusé de porter une certaine tenue. À partir de ce moment, ses actes de violence envers l’auteure sont devenus fréquents. Dès que l’auteure exprimait un point de vue différent du sien, M répondait violemment et agressivement, criant contre elle, la poussant et la bousculant. Il se servait également d’objets comme de projectiles et de cibles et cassait des portes. En mars 2002, M a battu l’auteure, lui infligeant de multiples coups à la tête, parce qu’elle avait éteint la télévision à 23 heures pour que leur fils puisse dormir. À la suite de cet épisode, l’auteure a souffert de maux de tête pendant des mois. En octobre 2006, M a battu l’auteure en présence de leur fils. L’auteure n’avait pas le droit de rendre visite à ses parents et était séquestrée dans la maison.

En mars 2007, les époux se sont séparés, mais ont repris leur vie conjugale un mois plus tard, lorsque l’auteure a découvert qu’elle était enceinte. Malgré sa grossesse, son époux a continué à l’agresser, la poussant dans l’escalier de la maison, au motif que l’auteure « l’ennuyait ». M a également accusé son fils d’être fainéant, de ne pas nettoyer et de ne pas aider sa mère. Une fois, il a roué de coups son fils parce qu’il avait le bras coincé sous le canapé. M est également devenu agressif à l’égard de leur vieux chien. Il a donné un coup de pied au chien en présence de l’enfant, l’a soulevé et l’a jeté à terre, simplement parce que l’animal avait commencé à manger sans permission. Le chien est tombé malade et pouvait à peine tenir sur ses pattes.

En septembre 2007, l’auteure a découvert que M avait une maîtresse. Le 7 septembre 2007, M a quitté le foyer familial, laissant l’auteure, enceinte, avec leur enfant de 7 ans. Lorsque l’auteure a essayé de parler à M et à sa maîtresse, il l’a poussée dans l’escalier et a tenté de frapper sa propre mère, qui l’accompagnait. Le 26 novembre 2007, leur deuxième enfant, A, est né.

En janvier 2008, les époux ont déposé une demande de divorce auprès du tribunal régional de Plovdiv et ont divorcé par consentement mutuel, dans les conditions fixées par l’auteure, à savoir que M verserait une pension alimentaire de 100 leva par mois pour chaque enfant. Les époux ont également convenu d’un horaire restreint de contact direct entre le père et les enfants.

Après le divorce, M n’a gardé aucun contact avec ses enfants et n’a pas versé la pension alimentaire dans les délais prévus. L’auteure a déposé une plainte auprès du tribunal régional de Plovdiv demandant l’exécution du versement de cette pension alimentaire impayée depuis les cinq derniers mois. Lorsque son ex-mari s’est présenté devant l’auteure et ses enfants, il était agressif et violent. Il a donné des coups de pied à des tabourets et a brisé le téléphone en le jetant à terre en présence des enfants. H a été tellement traumatisé qu’il a dû être suivi par un psychologue. M a refusé de participer à la thérapie et ne voit plus H depuis 2009.

En mai 2010, M a présenté une requête devant le tribunal régional de Plovdiv afin de réduire le montant de la pension alimentaire de 100 à 60 leva et d’élargir son droit de visite. Le tribunal a décidé de maintenir inchangés le montant de la pension alimentaire et le droit de visite tels que définis dans sa décision de 2008. M a interjeté appel devant le tribunal de district de Plovdiv.

En août 2011, M a emmené A, au mépris de l’horaire de visite, et a laissé l’enfant seul, à 20 heures, sur le parking situé près de la maison des parents de l’auteure, au lieu de le ramener chez cette dernière.

Le 31 août 2011, l’auteure a déposé une plainte auprès du Département de la protection de l’enfance de Plovdiv concernant le comportement abusif de M à l’égard de ses enfants. Le Département a désigné une assistante sociale, M. P., pour suivre l’affaire. Il a indiqué qu’aucune violation des droits de l’enfant n’était attestée, l’auteure et M ayant fourni en la matière des informations contradictoires.

Le 20 septembre 2011, l’auteure a déposé plainte auprès de l’Office public de la protection de l’enfance de Sofia contre le Département de la protection de l’enfance de Plovdiv. L’Office a estimé que M n’était pas informé des règlements régissant le droit de la famille et que l’assistante sociale en charge de l’affaire, M. P., avait signalé que les enfants étaient exposés à des risques en raison des relations tendues entre les parents. À compter de cette date, l’assistante sociale s’est montrée hostile et agressive envers l’auteure, et l’ex-mari a commencé à venir crier et insulter l’auteure devant sa maison. L’auteure a déposé plainte pour harcèlement auprès des services de police, qui ont adressé un avertissement à M le 26 octobre 2011.

Le 23 février 2012, le tribunal de district de Plovdiv s’est prononcé en faveur d’un élargissement du droit de visite de M à condition qu’il s’exerce en présence de l’assistante sociale. L’auteure a interjeté appel contre la décision du tribunal du district auprès de la Cour de cassation, qui a considéré que la décision du tribunal du district n’était pas susceptible d’appel.

Plus tard en 2012, l’auteure a introduit une autre plainte contre le Département de la protection de l’enfance, au motif que M avait interrompu le traitement médical de A et avait allumé des pétards dans les mains de l’enfant de 4 ans. En réponse à la plainte, M. P. a déclaré qu’elle ne pouvait pas passer le plus clair de son temps assise aux côtés du père pour observer ce qu’il faisait avec l’enfant. L’auteure a déposé une plainte auprès de la police et M a été mis en garde une nouvelle fois contre le fait de mettre en danger la vie et la santé de A.

En janvier 2013, au cours d’une visite de M prévue par le tribunal, l’auteure a appelé A et l’a trouvé en pleurs parce qu’il avait supplié son père de le ramener à sa mère, mais que ce dernier avait refusé. Contre la volonté de A, le père a forcé l’enfant à passer la nuit dans sa maison. L’auteure a porté plainte auprès de la police et un avertissement a été donné à M pour la troisième fois.

En février 2013, l’auteure a déposé plainte auprès du Département de la protection de l’enfance pour obtenir une nouvelle fois de l’aide contre M, qui essayait d’établir un contact forcé avec ses enfants, sans tenir compte de leurs émotions, ni du fait qu’il n’avait bâti aucune relation avec eux au fil des ans. Le 15 février 2013, les parents, accompagnés de deux assistants sociaux, ont pris part à une réunion de « réconciliation » au département. Au cours de la réunion, M. P. a obligé H à expliquer en présence de son père pourquoi il ne souhaitait plus avoir de contact avec lui. Comme H n’arrivait pas à s’expliquer de façon suffisamment claire, M. P., s’adressant directement à l’enfant, a déclaré que la raison la plus probable pour laquelle il refusait tout contact avec son père était que sa mère critiquait ce dernier quotidiennement. M. P. a ensuite obligé l’auteure et son autre fils à quitter la pièce, laissant H seul avec son père et les assistants sociaux. Quelques instants plus tard, H est sorti de la pièce en pleurs, indiquant que malgré ses tentatives d’explication du comportement abusif et violent de son père, les adultes présents dans la pièce lui avaient expliqué que, bon gré mal gré, il serait obligé de rendre visite à son père. À cet égard, les assistants sociaux ont vivement recommandé à l’auteure de laisser l’enfant rendre visite à son père, même s’il ne le souhaitait pas.

À la suite de cette réunion traumatisante, H a refusé de retourner au Département de protection de l’enfance. L’auteure s’est plainte auprès de l’Office public de la protection de l’enfance du « comportement inapproprié » de M. P. à l’égard d’un enfant qui avait subi des violences et souffert de dépressions nerveuses liées au comportement agressif et traumatisant de son père.

Le 1er mars 2013, l’auteure a amené H chez une psychologue, qui a conclu que l’enfant était profondément affecté par les violences infligées à sa mère par son père et qu’une approche coercitive serait contre-productive. Elle a recommandé aux parents de faire davantage attention aux émotions de H et d’entreprendre une thérapie familiale, ce que M a refusé.

En juin 2013, l’Office public de la protection de l’enfance a pris acte de la violation des droits des enfants et du risque posé par la relation entre le père et ses enfants, mais n’a pas été plus loin dans la procédure.

Entre juin et novembre 2013, M a disparu de la vie de ses enfants. En septembre 2013, M. P. a appelé l’auteure pour l’encourager à recourir aux services sociaux. Après cet appel, l’auteure a transmis au Département de la protection de l’enfance le rapport du psychologue concernant l’état émotionnel de ses enfants, faisant également état de l’abandon récent des enfants par leur père.

Le 15 février 2014, M a rencontré A au domicile de ses propres parents, conformément à l’horaire de visite fixé par le tribunal. M a appelé l’auteure, l’a insultée en présence de A et lui a reproché le comportement de leur enfant, qui a passé la totalité de la visite à pleurer.

Le 1er mars 2014, au cours d’une visite, M a pris un téléphone portable des mains de A et ne lui a pas permis de participer à la fête d’anniversaire d’un de ses amis. M a également crié contre H par téléphone, l’accusant de braquer son frère contre lui. Lorsque la grand-mère de A a vu celui-ci en train de boiter et a demandé à M s’il avait amené l’enfant voir un médecin, M s’est mis en colère et a commencé à hurler que A en rajoutait et faisait semblant d’être blessé, et que tout le monde faisait exprès de lui faire des reproches.

Le 4 mars 2014, l’auteure a eu une longue conversation par téléphone avec son ex-mari et lui a suggéré de se rendre chez un psychologue afin de communiquer plus facilement. M a accepté mais n’est pas allé au rendez-vous.

Le 19 avril 2014, M a obligé A à passer la nuit chez lui et a interdit à H de parler à A au téléphone. Il a menacé de faire un procès à H pour avoir braqué A contre son père. En présence de A, M a également insulté l’auteure, affirmant qu’elle était « sexuellement insatisfaite » et devrait « se trouver 10 autres hommes ». H était bouleversé, tremblant et très en colère contre M.

Préoccupée par l’état de santé de ses fils, l’auteure les a emmenés dans un centre thérapeutique le 25 avril et le 8 mai 2014. Le père y était convié mais a refusé de participer aux séances. Selon le psychologue, A était disposé à avoir des contacts avec son père, mais serait traumatisé d’être forcé à passer des nuits chez son père et il lui faudrait du temps pour avoir une relation viable avec son père. Toujours selon le psychologue, H souffrait du syndrome d’aliénation parentale qui le poussait à rejeter son père et à développer un attachement sécurisant à l’égard de sa mère. Le psychologue n’a décelé aucun signe indiquant que la mère ait favorisé cet attachement chez son enfant.

Le 30 avril 2014, A a poussé des cris hystériques et avait du mal à respirer parce qu’il ne voulait pas rejoindre son père. Pendant la visite de A, M a de nouveau insulté l’auteure et sa mère en présence de A, les traitant « d’idiotes », de « garces » et de « folles ». M a déposé une plainte pour harcèlement auprès de la police, au motif que l’auteure braquait A contre lui et lui cassait les pieds au téléphone. Lorsque A est revenu de sa visite chez son père, il a déclaré avoir entendu ce dernier crier et traiter sa grand-mère de « garce » et de « cervelle de moineau ». L’auteure a porté plainte auprès de la police. Le 9 mai 2014, elle a été convoquée au commissariat de police du troisième arrondissement de Plovdiv avec ses deux enfants, qui ont été interrogés sur les circonstances des deux plaintes déposées par leur père et par leur mère.

Le 14 mai 2014, l’auteure a déposé plainte auprès du tribunal régional de Plovdiv à titre personnel et au nom de ses deux enfants, demandant au tribunal de délivrer une ordonnance de protection d’urgence aux fins de l’application des mesures prévues aux alinéas 1), 3) et 4) du paragraphe 1 de l’article 5 de la loi sur la protection contre la violence domestique de mars 2005 (modifiée en 2009) en vue de protéger la mère et ses enfants des violences de M. Le tribunal a émis un ordre de suspension de la procédure et a demandé à l’auteure de préciser la nature exacte des violences subies, car le paragraphe 1 de l’article 10 de la loi susmentionnée fixait le délai de dépôt d’une demande d’ordonnance de protection à un mois et la description des événements aurait dû s’en tenir strictement aux faits et non dépeindre le climat tendu des relations entre les parties. L’auteure a transmis des informations complémentaires, citant également les normes judiciaires applicables en matière de violence domestique, certaines affaires analogues traitées par les organes conventionnels de l’ONU et la Cour européenne des droits de l’homme, et la loi portant protection de l’enfant. Le tribunal a délivré une ordonnance de protection d’urgence le 15 mai 2014, en vertu de l’article 18 de la loi sur la protection contre la violence domestique. Le 17 mai 2014, une copie de l’ordonnance de protection d’urgence a été signifiée à M et une quatrième mise en garde par les services de police lui a été adressée.

Le 19 mai 2014, M a déposé plainte auprès de la police contre l’auteure. Le 24 mai 2014, la police a mis une cinquième fois M en garde, lui demandant de s’abstenir de se livrer à des actes illicites à l’égard de l’auteure et des enfants mineurs et de respecter scrupuleusement l’ordonnance de protection d’urgence du tribunal régional de Plovdiv. Le 2 juin 2014, le parquet régional de Plovdiv a ordonné la tenue d’une enquête complémentaire. H et l’auteure ont fourni des explications au poste de police au sujet de la plainte du père. Le psychologue a signalé que les enfants devenaient visiblement anxieux lorsqu’ils parlaient de leur père. Le 26 juin 2014, la police a rendu un avis sur la plainte de M, indiquant qu’aucune procédure d’instruction ne serait engagée.

Le 25 juin 2014, le tribunal n’a pas autorisé les témoins de l’auteure à évoquer les actes de violence survenus plus d’un mois avant la présentation des allégations, conformément à l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence domestique. L’avocat de l’auteure a soulevé une objection selon laquelle, conformément aux normes internationales présentées au tribunal, cette période d’un mois ne devait pas être prise en compte, mais l’objection n’a pas été retenue par le tribunal. Tout au long de la procédure, le tribunal s’est montré plus indulgent envers les témoins de M. Le 1er juillet 2014, l’avocat de l’auteure a déposé une demande visant à ce que le juge se récuse, demande qui n’a pas été retenue.

Le 28 août 2014, le tribunal régional de Plovdiv a prononcé un jugement rejetant la demande de l’auteure ayant pour objet l’émission d’une ordonnance de protection contre M au motif de violences psychologiques et affectives. Dans sa décision, le tribunal a fait valoir que, dans sa demande, l’auteure avait décrit des circonstances antérieures à la période d’un mois prévue au paragraphe 1 de l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence domestique et avait misé sur le fait que le tribunal tienne compte des actes de violence survenus en dehors de cette période. Le tribunal a également indiqué que le paragraphe 1 de l’article 10 se fondait sur le principe de spécificité, en vertu duquel un acte particulier de violence domestique, pour être reconnu comme tel, doit être commis dans un délai, un lieu et sous une forme déterminés et se manifester d’une manière spécifique, et non sur des allégations générales et abstraites, et que ledit tribunal ne tenait pas compte des violences commises en dehors de cette période d’un mois. En violation des règles applicables en vertu du Code de procédure civile, le tribunal a refusé de prendre en compte ou de commenter la déposition de l’amie de l’auteure et n’a pas reconnu sa valeur probante car il n’était pas issu d’une observation directe. En ce qui concerne les avis du psychologue, le tribunal a noté que les enfants étaient psychologiquement traumatisés en raison de la relation tendue entre leurs parents. Ces avis ne contenaient pas d’information sur les agressions du père ni sur toute autre forme de violence domestique. Le tribunal a retenu le point de vue de l’assistante sociale selon lequel la mère avait exercé une influence sur les enfants, en leur imposant le fardeau de supporter son attitude négative à l’égard du père. Le tribunal a également noté que les éléments du dossier mettaient en évidence un conflit interpersonnel qui avait gravement nui à la relation entre les parents et avait eu une incidence sur les enfants. Le tribunal a conclu que l’auteure n’avait pas réussi à prouver ses allégations de violence domestique au-delà de tout doute raisonnable. Le tribunal a établi que le syndrome d’aliénation parentale dont H souffrait et qui le poussait à rejeter son père trouvait son origine chez la mère, qui aurait dû conserver une attitude positive à l’égard du père, étant donné qu’il n’y avait aucune raison pour qu’un mineur devienne hostile envers son père à moins d’avoir subi d’agression ou tout autre comportement négatif de sa part. Or le tribunal a estimé que ces allégations n’étaient ni portées, ni avérées dans l’affaire dont il était saisi. Le tribunal a considéré que les actes de violence de M étaient une réaction défensive face au comportement de l’auteure, qui appelait constamment A par téléphone et braquait ses fils contre leur père.

Le 12 septembre 2014, l’auteure a interjeté appel auprès du tribunal de district de Plovdiv contre la décision du tribunal régional de Plovdiv en fournissant une analyse détaillée de toutes les procédures. Le 20 novembre 2014, le tribunal de district de Plovdiv a rejeté l’appel de l’auteure, confirmant la décision par laquelle le tribunal de district avait refusé de délivrer une ordonnance de protection permanente au titre de l’article 5 de la loi sur la protection contre la violence domestique.

Teneur de la plainte

L’auteure invoque une violation des alinéas a) à c) et e) à g) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et des alinéas c), g) et h) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, lus en parallèle avec son article premier et la recommandation générale no 19 du Comité, en raison de l’incapacité de l’État partie à répondre efficacement aux violences domestiques infligées par son ex-mari.

L’auteure affirme que l’État partie a manqué aux obligations positives qui lui incombent au titre de la Convention et a soutenu le maintien d’une situation de violence domestique à son encontre, en violation de ses obligations découlant de la Convention. L’auteure affirme que les femmes bulgares sont pénalisées de façon disproportionnée par l’incapacité des tribunaux à prendre au sérieux la violence domestique et à considérer cette dernière comme une menace pour leur vie et leur santé et comme un facteur qui entrave l’exercice de leurs droits fondamentaux. Elle allègue également que les femmes bulgares sont touchées de façon disproportionnée par la pratique consistant à ne pas poursuivre ou punir de manière appropriée les auteurs de violences domestiques. Elle ajoute que les femmes sont touchées de façon disproportionnée par le fait que les responsables de l’application des lois, le personnel judiciaire et tous les professionnels concernés n’ont pas été sensibilisés à la violence domestique et que les données et les statistiques sur la violence domestique n’ont pas été recueillies et tenues à jour.

En ce qui concerne la violation des alinéas a) et b) de l’article 2 de la Convention, l’auteure estime que les éléments suivants font défaut : a) une loi spéciale sur l’égalité entre les femmes et les hommes ; b) la reconnaissance de la violence à l’égard des femmes en tant que forme de discrimination ; c) des mesures positives en faveur des femmes victimes de violence domestique, d’où une inégalité de fait et une entrave à la jouissance par les femmes de leurs droits fondamentaux.

L’auteure rappelle les observations finales du Comité sur le rapport unique valant deuxième et troisième rapports périodiques de la Bulgarie, dans lesquelles le Comité a instamment demandé au Gouvernement bulgare que des mesures soient prises pour aider ces femmes victimes, sur les plans médical, psychologique et autres, pour faire évoluer les mentalités actuelles, qui tendent à considérer que la violence familiale relève du domaine privé, et pour encourager les femmes à saisir la justice (A/53/38/Rev.1, première partie, par. 255).

L’auteure rappelle également les observations finales du Comité sur le rapport unique valant quatrième, cinquième, sixième et septième rapports périodiques de la Bulgarie (CEDAW/C/BGR/CO/4-7, par. 11-16), dans lesquelles le Comité s’est déclaré préoccupé par le fait que la discrimination à l’égard des femmes n’était pas expressément interdite par l’État partie, que le principe de l’égalité des sexes n’était pas intégré dans tous les domaines visés par la Convention et qu’aucune loi sur l’égalité des sexes n’avait encore été adoptée. Le Comité a demandé à l’État partie d’adopter une loi sur l’égalité des sexes interdisant toute forme de discrimination de nature sexuelle ou sexiste afin de garantir des sanctions en cas de violation et de consacrer le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le Comité a exhorté l’État partie à renforcer ses mécanismes de dépôt de plaintes afin de garantir que toutes les femmes ont effectivement accès à la justice. Il a également recommandé à l’État partie de consolider rapidement les institutions nationales de promotion de la femme en renforçant leur autorité et leur visibilité.

L’auteure rappelle également la recommandation générale no 19 du Comité, qui établit que la violence fondée sur le genre, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits fondamentaux par les femmes, constitue une discrimination à l’égard des femmes au sens de l’article premier de la Convention. L’auteure note que le Comité a relevé que les États parties peuvent être tenus responsables d’actes commis par des particuliers s’ils ne prennent pas sans délai des mesures pour prévenir les violations des droits des femmes ou pour enquêter sur les actes de violence et en punir les auteurs. Le Comité avait clairement indiqué que l’obligation faite aux États parties d’appliquer la Convention leur impose effectivement d’éliminer les violences à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, à travers une série de mesures de prévention, de protection, de réadaptation et de répression, qui sont énoncées dans la recommandation générale. L’auteure note en outre que le Comité a déclaré que les États parties s’exposaient à des sanctions s’ils ne remplissaient pas leur devoir de précaution pour empêcher les violations des droits des femmes ou n’enquêtaient pas sur les affaires de violence dans la sphère privée et n’en punissaient pas les auteurs. Le Comité a fait valoir le principe de la responsabilité de l’État en matière de violence domestique dans de nombreuses observations finales. Il a notamment répété que les États parties devaient renforcer leur capacité à comprendre la signification des principes d’égalité réelle et de non-discrimination et que la violence domestique était une violence fondée sur le genre qui constituait une forme de discrimination à l’égard des femmes et, par conséquent, une violation des droits de l’homme.

L’auteure rappelle que, dans sa recommandation générale no 21 (1994) sur l’égalité dans le mariage et les rapports familiaux, le Comité a observé que les coutumes et traditions, ainsi que les carences dans l’application des lois garantissant l’égalité et la protection contre la violence, contrevenaient à la Convention.

L’auteure allègue qu’il n’existe aucune loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes et que la loi sur la protection contre la violence domestique ne reconnaît pas la violence domestique comme de la violence fondée sur le genre, qui constitue une forme de discrimination à l’égard des femmes. Elle affirme également que la loi ne reconnaît pas le fait qu’en Bulgarie, la violence domestique touche les femmes de manière disproportionnée et les empêche, partiellement ou totalement, de jouir de leurs droits fondamentaux. Dans la pratique, certaines procédures et normes de la loi contribuent à la pérennisation du phénomène en ne tenant pas compte de sa spécificité et en ne le traitant pas selon les exigences du droit international. Pour qu’une femme victime de violence domestique bénéficie concrètement du principe d’égalité des sexes et exerce pleinement ses droits et libertés fondamentales, il faut impérativement que la volonté politique exprimée dans le système d’un État soit soutenue par les agents publics chargés de mettre en œuvre l’obligation de diligence mise à la charge de l’État partie. Compte tenu des informations contenues dans la présente communication, la Bulgarie devrait donc être tenue responsable de la violation des alinéas a) et b) de l’article 2 de la Convention.

En ce qui concerne la violation des alinéas c) et e) de l’article 2 de la Convention, l’auteure affirme que l’État partie n’assure pas une protection suffisante face à la violence domestique en raison d’une série de manquements, à savoir : a) l’absence de criminalisation de la violence domestique ; b) l’inefficacité de l’application de la loi sur la protection contre la violence domestique, y compris le manque de clarté lorsqu’il s’agit de déterminer quels actes de violence domestique doivent être évalués pendant les procédures judiciaires, et le manque de clarté de la loi quant à la partie à qui incombe la charge de la preuve ; c) le manque de coordination entre les forces de l’ordre et le personnel judiciaire ; d) le manque de formation du personnel chargé de l’application des lois, du personnel judiciaire et des assistants sociaux sur la question de la violence domestique ; e) le fait que personne n’a collecté de données ni conservé de statistiques sur les incidents de violence domestique. Par conséquent, l’auteure a longtemps été victime de violence domestique physique, psychologique et affective, ainsi que de voies de fait, de coups et blessures, de contraintes et de menaces de mort. Ses deux enfants ont été victimes de violences affectives de la part de leur père et ont été maltraités par les services sociaux, dont l’objectif est de protéger les enfants et leurs droits, ainsi que par le tribunal, censé appliquer les normes internationales et européennes en matière de droits de l’homme pour la protection des droits des victimes de violence domestique.

L’auteure remarque avec inquiétude que les tribunaux de Plovdiv n’ont pas pris en compte la longue liste de violences physiques et psychologiques dont elle et ses enfants ont été victimes. Le tribunal régional de Plovdiv n’a pas autorisé l’auteure à présenter tous les actes de violence domestique perpétrés au cours de sa relation conjugale et après son divorce, alors qu’elle les avait énumérés dans sa demande d’ordonnance de protection pour cause de violence domestique. Pendant les procédures, le tribunal ne s’est pas penché sur les preuves de violence affective et psychologique présentées avec la demande et n’a pas traité correctement les preuves orales présentées par les témoins. Pour trancher, le tribunal n’a pris en compte que les événements qui s’étaient déroulés dans les 30 jours ayant précédé le début des procédures, en vertu du paragraphe 1 de l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence domestique. L’intégralité de la liste des violences domestiques perpétrées à l’égard de l’auteure et de ses enfants a ainsi été totalement négligée et sous‑estimée. Le tribunal a traité une situation d’actes de violence et de maltraitance domestiques répétées comme une série de scandales entre les parties, sur la base du fait que leur relation était violente en raison du « comportement provocateur » de l’auteure. Cette appréciation dénote une grave incompréhension de la situation ainsi qu’un mépris total des souffrances de l’auteure.

L’auteure rappelle que le Comité a signalé que les tribunaux bulgares appliquaient une définition trop restrictive de la violence domestique, qui n’était pas justifiée par la loi sur la protection contre la violence domestique, et qu’ils se privaient de la possibilité de prendre en compte l’historique de violence conjugale en interprétant l’exigence purement procédurale du paragraphe 1 de l’article 10 de la loi de manière très stricte. Le Comité a recommandé à l’État partie de modifier le paragraphe 1 de l’article 10 de la loi, de façon à supprimer le délai d’un mois et à faire en sorte de garantir la disponibilité des ordonnances de protection sans imposer une charge administrative et judiciaire excessive aux demandeurs. Le manque de clarté de la loi sur la protection contre la violence domestique autour du type d’actes de violence domestique à prendre en compte lors des procédures judiciaires est par conséquent incompatible avec le devoir de l’État de protéger la population contre la violence domestique. Il est également discriminatoire en ce que les lacunes de la loi ont des effets disproportionnés sur les femmes. La loi bulgare est défectueuse, car elle traite la violence domestique comme une question essentiellement familiale qui ne mérite pas vraiment l’attention du public et ne justifie pas de poursuites pénales et, partant, elle ne garantit pas aux victimes la possibilité d’engager des poursuites qui les protègent efficacement.

L’auteure allègue que la loi sur la protection contre la violence domestique n’est pas correctement appliquée en raison d’un manque de clarté quant à la partie à qui incombe la charge de la preuve pendant les procédures judiciaires et quant au rôle des preuves présentées. L’auteure soutient que le manque de clarté de la loi autour de la charge de la preuve est incompatible avec le devoir de l’État de protéger la population contre la violence domestique. Il est également discriminatoire en ce que les lacunes de la loi ont des effets disproportionnés sur les femmes, qui sont généralement les victimes des actes de violence domestique. Même si la loi prévoit un déplacement de la charge de la preuve dans les affaires de violence domestique, elle n’est pas suffisamment claire sur ce point. Au lieu de cela, elle s’en remet aux règles régissant l’administration de la preuve du Code de procédure civile. L’inadéquation des formations juridiques pousse de nombreux juges à continuer à appliquer le principe « au-delà de tout doute raisonnable » dans les affaires impliquant des demandes d’ordonnances de protection, de sorte que l’auteure a dû fournir aux tribunaux des preuves de ce qu’elle avançait allant au-delà de tout doute raisonnable. L’auteure affirme qu’en interprétant et en appliquant la loi au mépris des preuves des violences domestiques endurées avant le début de la période d’un mois, les tribunaux n’ont pas déplacé la charge de la preuve en sa faveur et l’ont donc privée d’une protection judiciaire efficace. L’auteure explique que l’objectif de la loi est de garantir aux victimes de violence domestique une protection efficace en prenant en compte tout l’historique de violence, alors que la limite de 30 jours énoncée à l’article 10 de la loi constitue un simple délai procédural pour le dépôt des plaintes. Elle rappelle la jurisprudence du Comité, qui indiquait que les tribunaux bulgares appliquaient un niveau de preuve très élevé en exigeant que l’acte de violence domestique soit prouvé au-delà de tout doute raisonnable et plaçaient par la même occasion l’intégralité de la charge de la preuve sur les épaules de la victime. Ce niveau de preuve est excessif et n’est pas conforme à la Convention ni aux normes actuelles en matière de non-discrimination, qui allègent la charge de la preuve en faveur de la victime dans les procédures civiles relatives aux plaintes pour violence domestique. Par conséquent, le Comité a recommandé à l’État partie de modifier la loi de manière à alléger la charge de la preuve en faveur de la victime.

En ce qui concerne la violation des alinéas f) et g) de l’article 2, l’auteure répète qu’en vertu de la loi sur la protection contre la violence domestique, la violence domestique n’est pas reconnue comme un crime, ni comme une forme de discrimination basée sur le genre. La loi contient des éléments de procédure pénale, mais ne s’écarte pas du cadre de la procédure civile. Le principal obstacle à son application réside dans le manque de compréhension de la spécificité de la violence domestique en tant que discrimination fondée sur le genre, de ses origines, causes et effets sur les femmes et les enfants, et de son coût global pour la société. Le manque de formation adaptée pour les personnes chargées de l’exécution de la loi entrave son application dans la pratique et empêche les femmes de jouir de leurs droits fondamentaux. En outre, en vertu du droit pénal bulgare, l’État ne poursuit toujours pas certaines voies de fait si celles-ci sont commises par un membre de la famille, à l’inverse de ce qui se fait lorsque les mêmes actes sont commis par un étranger (article 161 du Code pénal). L’État ne prête pas son concours aux poursuites concernant les violences domestiques tant que la femme n’a pas été tuée ou n’a pas subi de lésion permanente. Par ailleurs, l’État n’a pas adopté ni mis en œuvre une législation nationale visant essentiellement à prévenir les actes de violence et à en poursuivre les auteurs, pas plus qu’il n’a examiné de manière périodique sa législation pour s’assurer de son efficacité dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes. En outre, le manque de recherches financées et appuyées par l’État au sujet de la prévalence, des causes et des conséquences de la violence assure indirectement la pérennité du phénomène néfaste qu’est la violence domestique. En effet, le nombre d’affaires de ce type reste méconnu, à l’instar du niveau de prévalence et d’omniprésence du phénomène. Ainsi, l’État et la société ne le perçoivent pas comme une violation grave des droits de l’homme touchant un large public, majoritairement composé de femmes et d’enfants, y compris l’auteure et ses enfants. L’absence de statistiques officielles est la preuve que l’État néglige et sous-estime le problème et qu’il enfreint l’une de ses obligations juridiques internationales en matière de violence à l’égard des femmes.

En ce qui concerne la violation de l’alinéa a) de l’article 5 et des alinéas c), g) et h) du paragraphe 1 de l’article 16, lus conjointement avec l’article premier de la Convention, l’auteure affirme que l’absence de stratégie globale adoptée par l’État en vue de lutter contre les stéréotypes sexistes traditionnels concernant le rôle des femmes dans la famille et dans la société, y compris le manque de dispositions politiques et juridiques et de mesures de sensibilisation impliquant des représentants de l’État, la société civile et les médias, contribue à la violence à l’égard des femmes et viole concrètement le droit à l’égalité de l’auteure.

L’auteure demande à l’État partie : a) de prendre sans délai des mesures efficaces pour protéger son intégrité physique et mentale, ainsi que celle de ses enfants ; b) de garantir la sécurité de son foyer et de lui apporter une pension alimentaire et une assistance juridique adéquates ; c) de lui offrir une compensation appropriée au préjudice physique et moral subi, qui soit proportionnée à la gravité des violations commises à l’encontre des droits que lui confère la Convention.

L’auteure affirme également que l’État partie devrait adopter des mesures générales en faveur des femmes victimes de violence domestique, y compris : modifier la loi sur la protection contre la violence domestique en vue d’ériger en infraction les actes de violence domestique et les violations d’ordonnances de protection et de prévoir la délivrance d’ordonnances de protection pour les actes de violence commis avant la période d’un mois mentionnée à l’article 10 de la loi ; placer les auteurs en détention en fonction de la gravité du délit ; modifier le droit pénal de manière à permettre des poursuites d’office dans les cas de voies de fait simples ou causant des lésions corporelles où la victime et l’auteur appartiennent à la même famille ; définir plus précisément à qui revient la charge de la preuve dans les procédures pour violence domestique en énonçant de manière explicite dans la loi qu’elle doit être en faveur de la victime ; assurer la formation continue des agents publics en charge de l’application de la loi ; soutenir de manière adéquate les organisations non gouvernementales qui luttent contre la violence domestique ; sensibiliser le public aux effets négatifs de la violence domestique sur les femmes et les enfants, ainsi qu’à ses conséquences financières pour la société.

L’auteure fait valoir qu’elle a épuisé tous les recours internes et que la même question n’a pas été examinée devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

Le 10 mars 2015, l’État partie a présenté ses observations relatives à l’admissibilité et au fond de la communication.

En ce qui concerne l’admissibilité de la communication, l’État partie concède qu’après la confirmation du jugement rendu par la cour d’appel le 20 novembre 2014 rejetant les allégations de violence domestique de l’auteure à l’encontre de son ex‑mari, l’auteure ne pouvait plus interjeter appel dans un autre tribunal bulgare. Néanmoins, l’État partie avance que l’auteure n’a pris aucune mesure pour demander une protection et une assistance au titre de la loi sur la protection contre la discrimination ou de la loi sur la responsabilité nationale ou municipale en cas de dommages.

Quant au fond de la communication, l’État partie a fourni des informations sur ses efforts de lutte contre la violence à l’égard des femmes, y compris le plan d’action adopté en juillet 2013 pour mettre en œuvre les observations finales du rapport unique valant quatrième, cinquième, sixième et septième rapports périodiques de la Bulgarie (CEDAW/C/BGR/CO/4-7) et l’adoption de la loi sur l’égalité des sexes en avril 2016 en vue de faire davantage correspondre la législation et les politiques nationales avec les normes de l’Union européenne et les instruments juridiques internationaux visant l’égalité des sexes.

L’État partie a également présenté un projet financé par la Norvège entre 2009 et 2014 dans le cadre duquel le Ministère du travail et des politiques sociales a mis en œuvre un certain nombre d’activités visant à renforcer les capacités des institutions et les qualifications professionnelles des experts en charge des affaires de violence domestique, y compris l’élaboration de matériel et d’ateliers de formation pour les assistants sociaux.

L’État partie soutient qu’il applique la loi portant protection de l’enfant, en application de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui énonce que chaque enfant a le droit d’être protégé contre les méthodes pédagogiques qui portent atteinte à sa dignité, contre la violence physique, psychologique ou autre et contre toutes les formes d’influence allant à l’encontre des intérêts de l’enfant. L’État partie se réfère à la loi sur les indemnités pour les enfants à charge et à la loi sur l’assistance sociale, dont l’objectif est d’apporter aux enfants des mesures de protection sociale et des services sociaux communautaires. Des mesures de protection à l’égard des femmes et des enfants susceptibles d’être victimes de violence domestique ont également été introduites, notamment sous la forme de centres de crise, d’unités pour la mère et l’enfant, de centres de soutien social et de centres de réadaptation et d’intégration sociale. La coordination entre les organismes est gérée selon un accord de coopération, signé en 2010 et applicable aux travaux des structures territoriales des organismes de protection de l’enfance dans les affaires où des enfants sont victimes de violence ou exposés à des risques de violence et dans les affaires d’interventions d’urgence.

L’État partie souligne que le rapport de l’Office de l’assistance sociale joint à la plainte avait été préparé selon une procédure uniforme et établi sur les recommandations du médiateur, en vue de mener des enquêtes sociales et de préparer les rapports sociaux demandés par les institutions judiciaires au titre des procédures juridiques impliquant des enfants. Il souligne également que, dans ce contexte, les unités régionales et territoriales de l’Office ne remettent pas d’avis définitif sur le droit de garde. Cette tâche revient exclusivement au tribunal compétent.

L’État partie affirme que la direction de l’assistance sociale de Plovdiv, en charge de la mise en œuvre des mesures de protection contre la violence domestique, connaissait la situation de l’auteure et de ses enfants, compte tenu des nombreux rapports remis par l’auteure. Les enquêtes relatives à ces rapports ont conclu que l’accord ordonné par le tribunal au sujet des contacts personnels entre le père et les deux enfants n’était pas toujours respecté. L’État partie indique que l’organisme de protection de l’enfance compétent n’a pas décelé de risque pour les enfants et, par conséquent, qu’aucune affaire d’enfant en danger n’a été ouverte au titre de la loi portant protection de l’enfant. L’État partie souligne également que les parents ont été avertis de leurs droits et de leurs obligations en vertu des dispositions de la loi portant protection de l’enfant et du code de la famille. En outre, après que M a remis sa demande de recours aux services sociaux en vue d’améliorer sa relation avec ses fils, l’affaire a été renvoyée vers le complexe des services sociaux pour les enfants et les familles de Plovdiv.

L’État partie note que l’auteure reçoit depuis 2013 des prestations en vertu de l’article 4 de la loi sur les indemnités pour les enfants à charge. Elle reçoit actuellement 85 leva par mois, tandis qu’une aide de 250 leva lui a été octroyée au titre de la loi sur les indemnités pour les enfants à charge.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité et le fond

Le 7 juillet 2017, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond.

L’auteure considère que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication. En ce qui concerne les commentaires sur la protection et l’assistance prévues par la loi sur la protection contre la discrimination, l’auteure affirme que cette loi n’est ni effective, ni applicable dans son affaire pour les raisons suivantes : a) il existe une loi spéciale sur la protection contre la violence domestique, qu’elle a invoquée dans son affaire ; b) selon l’interprétation de la Commission sur la protection contre la discrimination, la violence domestique n’est pas une forme de discrimination à l’égard des femmes ; c) la loi ne prévoit aucune mesure de protection contre la violence domestique, hormis le fait d’infliger une amende allant de 250 à 2 000 leva à l’auteur. Eu égard à la loi sur la responsabilité nationale ou municipale en cas de dommages, l’auteure affirme qu’elle n’est pas applicable en l’espèce.

En ce qui concerne le fond de la communication, l’auteure affirme que le plan d’action institutionnel adopté en juillet 2013 et mentionné par l’État partie n’a pas été mis en œuvre, quatre ans après son adoption. En ce qui concerne la loi sur l’égalité des sexes de 2016, l’auteure affirme que la loi est inefficace, car elle confirme simplement la structure publique existante, ne crée pas un organisme chargé de concevoir et d’appliquer la politique publique sur l’égalité des sexes et n’énumère pas les sanctions à imposer en cas d’absence de mise en œuvre de la législation. De plus, il n’existe aucun cadre de financement de la mise en œuvre de la législation.

L’auteure affirme que le projet financé par la Norvège entre 2009 et 2014 était limité dans le temps et qu’aucune mesure financière n’a été prise pour garantir la poursuite des activités mises en œuvre ou la viabilité du projet.

L’auteure affirme que depuis l’adoption de la loi sur la protection contre la violence domestique, malgré ses nombreuses demandes en tant que mère de deux enfants et victime de violence domestique, la direction de l’assistance sociale de Plovdiv n’a pris aucune mesure effective pour les protéger, elle et ses fils.

L’auteure conclut que l’État partie s’est concentré sur le cadre juridique qui est en place, sans répondre à ses réclamations factuelles. En conséquence, elle réitère sa plainte au titre des alinéas a) à c) et e) à g) de l’article 2, de l’article 5 et des alinéas c), g) et h) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, lus en parallèle avec son article premier et la recommandation générale no 19 du Comité, mettant en cause l’État partie pour son incapacité à la protéger efficacement contre la violence domestique.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. En application de l’article 66 de son règlement intérieur, le Comité peut décider d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond. En application du paragraphe 4 de l’article 72, il doit prendre cette décision avant de se prononcer sur le fond de la communication.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, que la question n’avait pas déjà fait l’objet ou ne faisait pas l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pris aucune mesure pour demander une protection et une assistance au titre de la loi sur la protection contre la discrimination ou de la loi sur la responsabilité nationale ou municipale en cas de dommages. Néanmoins, le Comité relève que l’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes qui auraient pu aboutir à une réparation satisfaisante dans un délai raisonnable. Comme le concède l’État partie, l’auteure a fait appel devant la Cour et, dans son jugement, la Cour d’appel a rejeté l’appel de l’auteure au motif que le jugement du tribunal de district de Plovdiv ne pouvait faire l’objet d’un recours. Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle les procédures au titre de la loi sur la protection contre la discrimination et de loi sur la responsabilité nationale ou municipale en cas de dommages ont peu de chances d’aboutir à une réparation effective et satisfaisante dans le cas présent de violence fondée sur le genre et de violence domestique.

Le Comité prend note de ce que l’État partie n’explique ni ne détaille la façon dont la procédure en vertu de ces lois aurait permis de garantir les droits de l’auteure. Le Comité considère donc que, en l’espèce, il ne peut conclure que les recours internes mentionnés par l’État partie apporteraient une réelle réparation à l’auteure et il considère également qu’ils entraîneraient un retard supplémentaire déraisonnable dans le déroulement de la procédure. Par conséquent, les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif n’empêchent pas le Comité d’estimer que la présente communication soulève des questions. Le Comité considère également qu’il n’a aucune raison de déclarer la communication irrecevable pour tout autre motif et la juge donc recevable.

N’ayant relevé aucun obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été transmis par l’auteure et par l’État partie, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif.

Le Comité considère que l’allégation de l’auteure selon laquelle l’État partie ne l’a pas protégée efficacement contre la violence domestique, en violation des alinéas a) à c) et e) à g) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et des alinéas c), g) et h) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, lus en parallèle avec son article premier, constitue l’élément central de la présente communication.

Le Comité rappelle sa recommandation générale no 19, et sa recommandation générale no 35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale no 19, selon lesquelles la violence fondée sur le genre et la violence domestique, qui compromettent ou rendent nulle la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes en vertu des principes généraux du droit international ou des conventions relatives aux droits de l’homme, constituent une discrimination au sens de l’article premier de la Convention. Conformément au devoir de diligence, en particulier dans la sphère privée, les États parties doivent adopter et mettre en place des mesures constitutionnelles et législatives pour lutter contre la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre commise par des acteurs non étatiques, y compris dans la sphère privée, en particulier lorsqu’elle va de pair avec la violence domestique. Ils doivent notamment disposer de lois, d’institutions et d’un système pour lutter contre ce type de violence. En outre, les États parties ont obligation de veiller à ce qu’ils soient effectivement mis en pratique et que tous les organes et agents de l’État les respectent et les fassent appliquer avec diligence. Le fait, pour un État partie, de ne pas prendre de mesures appropriées pour prévenir les actes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre quand ses autorités ont connaissance ou devraient avoir connaissance d’un risque de violence, ou de manquer à son obligation de mener des enquêtes, d’engager des poursuites, de prendre des sanctions et d’indemniser les victimes d’actes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, constitue une permission ou un encouragement tacite à agir de la sorte. Pareil manquement constitue une violation des droits de l’homme. Ne pas remédier effectivement à la violence fondée sur le genre et à la violence domestique est préjudiciable pour la société et, en particulier, pour les femmes et les enfants.

Dans ses recommandations générales no 19, no 21 et no 35, le Comité aborde les articles 5 et 16 conjointement. Le Comité a souligné que les dispositions des recommandations générales no 19 et no 35 concernant la violence à l’égard des femmes revêtent une grande importance pour la faculté des femmes de jouir des droits et libertés dans des conditions d’égalité avec les hommes. Il a déclaré à plusieurs reprises que les conceptions traditionnelles selon lesquelles la femme est considérée comme inférieure à l’homme contribuent aux violences faites aux femmes. Le Comité précise que la pleine application de la Convention exige non seulement que les États parties prennent des mesures pour éliminer la discrimination dans ses formes directe et indirecte et pour améliorer la situation des femmes, mais aussi qu’ils s’emploient à faire évoluer les stéréotypes de genre, qui sont à la fois une cause et une conséquence de la discrimination à l’égard des femmes. Les stéréotypes de genre peuvent être perpétués par différents instruments et dispositifs, notamment les lois et les systèmes juridiques, et être entretenus par des acteurs étatiques dans tous les organes et à tous les niveaux du gouvernement, ainsi que par des acteurs privés.

Le Comité relève qu’en vertu de l’article 2 et de l’article 5, l’État partie a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes et qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 16, l’État partie doit prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux. Il souligne à cet égard que les représentations stéréotypées portent atteinte au droit des femmes à un procès équitable et que l’appareil judiciaire doit se garder de créer des normes rigides sur la base d’idées préconçues de ce qui constitue un acte de violence domestique ou de violence fondée sur le genre, comme il l’a fait observer dans sa recommandation générale no 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice.

En l’espèce, le respect par l’État partie de l’obligation d’interdiction d’employer des stéréotypes sexistes que font les alinéas a) à c) et e) à g) de l’article 2 et l’alinéa a) de l’article 5, lus en parallèle avec les alinéas c), g) et h) du paragraphe 1 de l’article 16, est à apprécier à la lumière du niveau de sensibilité au genre de l’intéressée appliqué par les autorités dans l’instruction de l’affaire. Par conséquent, en ce qui concerne l’affirmation de l’auteure selon laquelle les décisions des autorités se fondaient sur des stéréotypes sexistes, le Comité réaffirme que la Convention impose des obligations de diligence raisonnable à toutes les institutions nationales et que les États parties peuvent être tenus responsables des décisions judiciaires contraires aux dispositions de la Convention.

Le Comité note que l’État partie a pris des mesures pour fournir une protection contre la violence fondée sur le genre et la violence domestique, notamment au titre de la loi sur la protection contre la violence domestique. Cependant, pour que l’auteure bénéficie concrètement du principe d’égalité des sexes et qu’elle exerce pleinement ses droits et ses libertés fondamentales, il faut que la volonté politique exprimée dans ces mesures et cette législation soit soutenue par tous les acteurs étatiques, y compris les tribunaux, qui sont liés par les obligations que la Convention impose à l’État partie.

Le Comité relève que, selon l’auteure, la législation de l’État partie ne prévoit aucune protection juridique effective contre la violence fondée sur le genre et la violence domestique, ce qui a conduit à la violation par l’État partie des alinéas a) à c) et e) à g) de l’article 2. Le Comité rappelle ses constatations de l’affaire V. K.c. Bulgarie, dans laquelle il avait demandé à l’État partie de modifier le paragraphe 1 de l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence domestique, qui stipulait qu’une demande d’ordonnance de protection devait être soumise dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle s’était produit l’acte de violence familiale, de façon à ne pas prendre en compte les actes ayant eu lieu avant la période d’un mois. Le Comité considère que l’interprétation selon laquelle le délai d’un mois dans lequel une victime doit formuler une demande d’ordonnance de protection imposé par l’article se justifie par la nécessité de permettre aux tribunaux d’intervenir d’urgence plutôt que par la volonté de régenter la cohabitation des conjoints ne tient pas suffisamment compte de la problématique femmes-hommes dans la mesure où elle relève de l’idée préconçue selon laquelle la violence familiale serait en grande partie une affaire personnelle appartenant à la sphère privée qui, en principe, ne devrait pas être soumise au contrôle de l’État. Dans ses observations finales sur le rapport unique valant quatrième, cinquième, sixième et septième rapports périodiques de la Bulgarie (CEDAW/C/BGR/CO/4-7), le Comité a redit sa vive préoccupation quant à la prévalence élevée de la violence fondée sur le genre et de la violence domestique, l’absence de dispositions spécifiques érigeant la violence fondée sur le genre, la violence domestique et le viol conjugal en crimes, l’absence de poursuites pénales dans les cas de violence au sein de la famille, et l’incapacité du système judiciaire à suivre la pratique consistant à déplacer la charge de la preuve en faveur des victimes, pratique que prévoit la loi sur la protection contre la violence domestique (ibid., par. 25). Le Comité a recommandé à l’État partie de modifier son code pénal et son code de procédure pénale, afin d’ériger expressément en crimes la violence fondée sur le genre, la violence domestique et le viol conjugal et d’introduire la possibilité de poursuites d’office pour ces trois infractions ; de modifier le paragraphe 1 de l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence domestique de façon à supprimer le délai d’un mois pour déposer une demande d’ordonnance de protection et de garantir l’application rigoureuse du paragraphe 3 de l’article 13 de cette loi par le système judiciaire de sorte à alléger la charge de la preuve en faveur de la victime ; de veiller à ce qu’un nombre suffisant de foyers d’accueil financés par l’État soient disponibles pour les femmes victimes de violence fondée sur le genre et de violence domestique et leurs enfants, et d’appuyer les organisations non gouvernementales qui offrent des abris et d’autres formes de soutien aux victimes de violence domestique ; d’organiser à l’intention des juges, des avocats et du personnel chargé de l’application des lois une formation obligatoire sur l’application de la loi sur la protection contre la violence domestique, y compris sur la définition de la violence fondée sur le genre et de la violence domestique et sur les stéréotypes sexistes.

Dans la présente affaire, le Comité rappelle que la décision du tribunal régional de Plovdiv et du tribunal de district de Plovdiv de refuser la délivrance d’une ordonnance de protection permanente, prise en vertu du paragraphe 1 de l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence domestique mentionné ci-dessus et de leur appréciation des faits, reposait essentiellement sur l’hypothèse qu’au cours du délai considéré d’un mois à compter de la demande, il n’existait « aucune preuve de violence domestique » contre l’auteure ou ses enfants et que les actes d’agression de M avaient probablement été causés par le comportement de l’auteure. Par conséquent, les tribunaux avaient conclu que les deux parents étaient responsables de l’état mental des enfants.

S’agissant des décisions des tribunaux, le Comité rappelle qu’il ne lui appartient pas de revoir les appréciations des faits et des éléments de preuve faites par les juridictions et autorités nationales à moins que ces appréciations n’aient été arbitraires ou discriminatoires.

Le Comité note également que l’incapacité de l’État partie à modifier le paragraphe 1 de l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence domestique a eu une incidence directe sur la possibilité pour l’auteure de réclamer justice et d’avoir accès à des voies de recours et une protection efficaces. En l’espèce, il constate qu’en raison de cette incapacité, les tribunaux n’ont pas prêté toute l’attention voulue aux antécédents de violence fondée sur le genre et de violence domestique de M et ont fait fi de la position vulnérable et des souffrances de longue durée de l’auteure. Il considère également que le cas d’espèce montre que l’État partie a failli à son devoir de prendre toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas de comportement socioculturels des hommes et des femmes en vue d’éliminer les préjugés et les pratiques coutumières et autres qui sont fondés sur l’idée d’infériorité ou de supériorité d’un des deux sexes par rapport à l’autre, ou sur les rôles qui leur sont traditionnellement dévolus.

Le Comité constate que l’auteure de la communication a subi de graves dommages et préjudices sur les plans physique, psychologique et matériel. Tout au long de la procédure, l’auteure n’a pas obtenu la protection juridique requise. Même si le Comité prend pour hypothèse qu’elle n’a pas directement subi de violences fondées sur le genre ou de violences domestiques physiques après le rejet définitif de sa demande, pour laquelle elle avait engagé des frais, elle a néanmoins subi un grand préjudice du fait de l’absence de protection juridique et institutionnelle et du fait qu’aucune réponse appropriée n’a été apportée à la demande faite pour elle-même et ses enfants.

Le Comité constate également que, dans ses observations relatives à la présente affaire, l’État partie n’a pas contesté ou remis en cause l’allégation de l’auteure de manière effective.

En vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif et compte tenu des considérations exposées ci-dessus, le Comité est d’avis que l’État partie a manqué à ses obligations et qu’il a ainsi violé les droits dont jouit l’auteure en vertu des alinéas a) à c) et e) à g) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et des alinéas c), g) et h) du paragraphe 1 de l’article 16 de la Convention, lus en parallèle avec son article premier et les recommandations générales nos 19, 21 et 35 du Comité.

Le Comité adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)En ce qui concerne l’auteure de la communication :

i)Prendre des mesures immédiates et efficaces pour garantir l’intégrité physique et mentale de l’auteure et de ses enfants ;

ii)Veiller à ce que l’auteure reçoive une pension alimentaire et une assistance judiciaire adaptées, ainsi que des réparations financières proportionnées au préjudice physique, psychologique et matériel subi par elle et ses enfants, et suffisantes eu égard à la gravité des violations de leurs droits ;

b)De manière générale :

i)S’acquitter de ses obligations de respecter, de protéger, de promouvoir et d’honorer les droits fondamentaux des femmes, en particulier le droit de vivre à l’abri de toutes formes de violence fondée sur le genre et de violence domestique, y compris l’intimidation et les menaces de violence ;

ii)Revoir rapidement sa législation et, au besoin, ses dispositions constitutionnelles, pour les mettre en pleine conformité avec la Convention et les normes internationales en matière de droits de l’homme, y compris les recommandations no 19 et no 35 du Comité, et la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) ; veiller en particulier à ce que tous les actes de violence fondée sur le genre et de violence domestique, y compris ceux commis dans la sphère familiale, soient considérés comme des violations des droits fondamentaux des femmes et soient donc érigés en crime et punis ; modifier le paragraphe 1 de l’article 10 de la loi sur la protection contre la violence domestique de façon à supprimer le délai d’un mois et à faire en sorte de garantir la disponibilité des ordonnances de protection sans qu’une charge administrative et judiciaire indue soit imposée aux demandeurs, et veiller à ce que les dispositions de la loi allègent la charge de la preuve en faveur de la victime ;

iii)Mener à bon terme le processus de ratification de la Convention d’Istanbul et, ainsi, renforcer la capacité de l’État partie à lutter contre la violence fondée sur le genre et la violence domestique ;

iv)Enquêter diligemment et de manière exhaustive, impartiale et sérieuse sur toutes les allégations de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, veiller à ce que des poursuites pénales soient engagées dans toutes les affaires de ce type, traduire les auteurs présumés devant la justice de manière équitable, impartiale rapide et opportune et leur imposer des sanctions appropriées ;

v)Donner aux victimes de violence un accès sûr et rapide à la justice, y compris, au besoin, à l’aide juridictionnelle, pour qu’elles disposent de recours et de moyens de réinsertion efficaces et suffisants, conformément aux orientations formulées dans la recommandation générale no 33 du Comité, et veiller à ce que les victimes de violence domestique et leurs enfants se voient fournir rapidement toute l’aide voulue, y compris l’accès à un centre d’hébergement et un accompagnement psychologique ;

vi)Mettre en place des programmes de réinsertion et des programmes portant sur les méthodes non violentes de règlement des conflits à l’intention des auteurs d’actes de violence ;

vii)Faire dispenser aux juges, aux avocats et au personnel chargé de l’application des lois, notamment aux policiers et aux procureurs, ainsi qu’aux travailleurs sociaux et aux psychologues une formation portant sur la Convention, le Protocole facultatif s’y rapportant et la jurisprudence et les recommandations générales du Comité, en particulier ses recommandations générales no 19, no 21, no 28 (2010) concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention, no 33 et no 35, ainsi que sur la Convention d’Istanbul ;

viii)Élaborer et mettre en œuvre, avec la participation active de toutes les parties prenantes concernées, des mesures efficaces pour empêcher que de telles violations ne se reproduisent et lutter contre les stéréotypes, les préjugés, les coutumes et les pratiques qui tolèrent ou favorisent la violence fondée sur le genre et la violence domestique ;

ix)Mettre en œuvre rapidement les recommandations du Comité, en particulier celles qui concernent la lutte contre la violence à l’égard des femmes, contenues dans ses observations finales sur le rapport unique valant quatrième, cinquième, sixième et septième rapports périodiques de la Bulgarie (CEDAW/C/BGR/CO/4-7).

Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examinera dûment les constatations et les recommandations du Comité, auquel il soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite l’informant de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est également invité à rendre ces constatations et recommandations publiques et à les diffuser largement afin de toucher tous les secteurs de la société.