Communication présentée par :

A. J. et al. (représentées par un conseil, Birnberg Peirce Ltd)

Au nom de :

Les auteures

État partie :

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord

Date de la communication :

17 décembre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise conformément à l’alinéa 3 de l’article 69 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 12 mars 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

28 octobre 2019

Contexte

Les auteures sont A. J., S. B., D. L., T. B., R. B., H. S. et B. H., de nationalité britannique (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord), nées respectivement en 1973, 1971, 1972, 1971, 1965, 1965 et 1962. Selon elles, l’État partie aurait violé les droits que leur confèrent les articles 1 ; 2 a), b), d) et f) ; 3 ; 5 ; 7 c) ; 16 a), b) et e) de la Convention. Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention est entré en vigueur dans l’État partie le 17 mars 2005. Les auteures sont représentées par un conseil, Birnberg Peirce Ltd.

La communication a été enregistrée le 12 mars 2018. Le 10 mars 2019, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail des communications soumises en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, le Comité a fait droit à la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par les auteures

Au moment des faits, les auteures militaient en faveur de la protection de l’environnement et de la justice sociale ou étaient associées, par l’intermédiaire de réseaux sociaux, à des groupes politiques luttant pour ces causes. Entre 1987 et 2009, elles ont été trompeusement amenées à nouer des relations intimes à long terme avec des hommes qui étaient des agents de police infiltrés.

Dans le cas d’A. J., la relation a commencé en septembre 2004 et s’est terminée en octobre 2010, lorsque la plaignante a découvert l’identité de son partenaire, qui, bien qu’ayant quitté les forces de police en 2009, avait continué de l’espionner pour le compte d’une compagnie privée. S. B. a quant à elle entretenu une relation avec un agent de février à septembre 2005. Elle a par la suite eu de nouvelles relations intimes avec cette personne en 2007 et en 2008, avant d’apprendre qu’il s’agissait d’un agent infiltré, en octobre 2010.

Pour sa part, D. L. a entretenu une relation avec un agent infiltré de novembre 1999 à septembre 2000, moment auquel celui-ci l’a quittée soudainement, de façon traumatisante pour elle. En novembre 2001, l’agent a informé D. L. qu’il travaillait pour la police et avait été payé pour la surveiller. Deux semaines plus tard, alors qu’elle était en état de vulnérabilité, D. L. est tombée enceinte de cet homme. Elle a par la suite eu un deuxième enfant de lui. Un trouble dégénératif a été diagnostiqué chez les deux enfants. En 2005, D. L. s’est sentie obligée d’épouser cet agent, mais le couple a divorcé depuis.

De novembre 1997 au milieu de l’année 1999, T. B. a entretenu une relation avec un agent infiltré, dont elle a découvert la véritable identité en janvier 2011. Quant à R.B, sa relation a duré du deuxième trimestre 1995 à avril 2000, lorsque l’agent a brusquement quitté le domicile commun. Les soupçons qu’a par la suite nourris la plaignante sur l’identité de son ancien partenaire se sont confirmés en 2010.

La relation d’H. S. a duré de mai 1990 à avril 1992, lorsque l’agent l’a soudainement quittée. La plaignante a découvert la véritable identité de cet homme en 2003, ses efforts pour retrouver son ancien compagnon l’ayant conduite jusqu’à l’acte de mariage de ce dernier. B. H. a entretenu une relation avec un agent infiltré de mai 1987 à décembre 1988, moment auquel celui-ci l’a subitement quittée. La date à laquelle elle a appris sa véritable identité n’est pas indiquée.

Les agents ayant pris ces femmes pour cibles étaient tous membres de deux unités secrètes contrôlées par le Metropolitan Police Service de Londres. Leur mission n’était pas d’enquêter sur des crimes, mais d’infiltrer divers mouvements sociaux et politiques afin de recueillir des renseignements permettant de prévoir et de contrôler la portée des mouvements de contestation. Les deux unités concernées étaient la Special Demonstration Squad – petite unité ultra secrète créée en 1968 pendant la guerre du Vietnam et dissoute en 2008 – et la National Public Order Intelligence Unit, une unité créée en 1999 et dissoute en 2011, qui opérait à l’échelle nationale. Le public en savait peu sur l’existence, les activités, la ligne de conduite et les méthodes de ces groupes quand ils étaient encore en activité. La durée moyenne du déploiement des agents infiltrés était de quatre à cinq ans – soit une période particulièrement longue –, ce qui entraînait un risque plus élevé d’intrusion intempestive des agents dans la vie des personnes visées. Ainsi, les moyens mis en œuvre et l’intrusion qui en découlait étaient disproportionnés par rapport à l’objectif de surveillance affiché.

Les agents infiltrés se sont construit de fausses identités et se sont fait passer pour des militants politiques engagés. Dans ce cadre, certains ou un grand nombre d’entre eux ont noué des relations intimes à long terme, notamment sexuelles, avec les auteures et d’autres femmes. Il apparaît que les policiers ont noué ces relations pour asseoir et renforcer leur fausse identité et accroître leur crédibilité et la confiance que leur accordaient les militants des groupes infiltrés. Les relations ont duré de sept mois à neuf ans, un des agents allant même jusqu’à avoir des enfants avec l’une des auteures.

Les auteures ont toutes subi un traumatisme psychologique lorsqu’elles ont découvert que leur partenaire ou ancien partenaire était ou avait été un agent de police infiltré. Cet abus de confiance a sérieusement altéré leur capacité à continuer de défendre les causes pour lesquelles elles militaient ou à s’engager en faveur de nouvelles causes, et à nouer des relations personnelles étroites et intimes. Pour certaines d’entre elles, cette histoire a par ailleurs eu pour conséquence de les priver de la possibilité d’avoir des enfants biologiques.

Aucune des auteures n’a reçu d’informations sur les raisons pour lesquelles ces relations avaient été autorisées, ni sur les données personnelles les concernant qui sont détenues par l’État partie. Les policiers concernés et leurs supérieurs hiérarchiques n’ont en outre fait l’objet d’aucune sanction pénale pour les violations commises.

Le 20 octobre 2011, A. J. et S. B. ont intenté une action civile contre le Chef de la police de Londres (Commissioner of Police for the Metropolis) devant la Haute Cour de justice. Le 18 juillet 2012, les cinq autres auteures en ont fait de même. Dans tous les cas, les requérantes ont porté plainte, au titre de la common law, pour dol, négligence, faute professionnelle dans l’exercice d’une fonction publique et voies de fait. Les auteures dont la relation avait commencé après octobre 2000, mois d’entrée en vigueur de la loi de 1998 sur les droits de l’homme (Human Rights Act 1998), ont par ailleurs porté plainte au titre des articles 3 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

Le Chef de la police a demandé que toutes les requêtes des auteures soient rejetées, au motif qu’elles devaient être tranchées par le tribunal d’enquête (Investigatory Powers Tribunal). En janvier 2013, la Haute Cour de justice a rejeté les griefs des auteures relatifs aux relations sexuelles qu’elles avaient été poussées à avoir avec les agents, en faisant valoir que ceux-ci relevaient de la partie II de la loi britannique de 2000 régissant les pouvoirs d’enquête (Regulation of Investigatory Powers Act 2000) et devaient donc être examinés par le tribunal d’enquête. Elle a toutefois estimé que les autres griefs présentés au titre de la common law ne pouvaient pas être rejetés, étant donné que le tribunal d’enquête n’était pas compétent pour les examiner.

En novembre 2013, à la suite d’un appel interjeté par les auteures, la Cour d’appel a validé la décision de la Haute Cour de justice. Les auteures ont alors demandé l’autorisation de faire appel à la Cour suprême. Dans leur demande, elles remettaient en cause l’argument avancé par les juridictions inférieures, selon lequel, en vertu de la loi de 2000 régissant les pouvoirs d’enquête, les policiers infiltrés pouvaient être légalement autorisés à avoir des relations sexuelles avec des membres de la population en utilisant leur fausse identité, aux fins de recueillir des renseignements. Le 22 décembre 2014, la Cour suprême a décidé de ne pas autoriser les auteures à se pourvoir contre la décision de la Cour d’appel.

Les auteures ont porté leurs griefs présentés au titre de la common law devant la Haute Cour de justice dans le cadre d’un accord d’honoraires conditionnels conclu avec leurs représentants légaux. Ce type d’accord prévoit que le requérant qui n’obtient pas gain de cause ne verse pas d’honoraires à son avocat ; il est néanmoins responsable des dépenses encourues par le défenseur. Il arrive donc, comme ce fut le cas dans les affaires ici considérées, que le requérant souscrive une assurance privée le protégeant contre les frais postérieurs au jugement. Durant les procès, la défense a proposé de dédommager financièrement les auteures en vue de mettre fin au différend. Or, il était prévu dans la police d’assurance souscrite par ces dernières qu’elles ne seraient plus couvertes si elles décidaient de refuser une offre « raisonnable ». L’obligation de payer les frais juridiques des défendeurs aurait mené les auteures à la ruine. En vue de conserver leur assurance, celles-ci ont donc collectivement décidé, au vu du niveau prohibitif des coûts auxquels elles s’exposaient, qu’elles n’avaient d’autre choix que de conclure des accords concernant leurs griefs. Dans le cadre des accords de règlement conclus, les auteures ont reçu une indemnisation et des excuses publiques. Elles considèrent toutefois qu’elles conservent leur statut de victimes aux yeux du Comité.

En juillet 2015, une enquête publique a été ouverte. Celle-ci est encore en cours et, en raison de retards importants, aucune preuve ne devrait être examinée avant 2019, le rapport final ne devant, quant à lui, pas être présenté avant 2022.

Le 20 novembre 2015, la police a adressé publiquement des excuses à toutes les auteures, dans lesquelles elle reconnaissait le caractère abusif, mensonger, manipulateur et répréhensible des relations que les agents infiltrés avaient entretenues avec elles et admettait que ces relations constituaient une violation des droits fondamentaux de ces femmes et un abus de pouvoir de la part de la police et étaient particulièrement traumatisantes. Elle a également indiqué que ces relations n’auraient jamais dû avoir lieu et représentaient une atteinte flagrante à la dignité et à l’intégrité des auteures, et reconnu qu’un dédommagement financier n’était pas suffisant pour compenser la perte de temps, les blessures et le sentiment d’abus qu’elles avaient causés. Enfin, elle a reconnu qu’il fallait éviter que cette situation se reproduise.

Les auteures affirment avoir épuisé toutes les voies de recours internes, qu’elles jugent par ailleurs avoir été inefficaces puisque : a) elles ne connaissent toujours pas l’ampleur des violations dont elles ont été les victimes ni qui les a autorisées ; b) elles n’ont pas reçu de déclaration ou de décision du tribunal indiquant que leurs droits avaient été violés ; c) le cadre législatif permet toujours que ces violations se produisent, voire les facilite ; d) l’attitude adoptée par la police ne cadre pas avec les excuses publiques qu’elle a présentées ; e) l’autorité de l’État partie chargée des poursuites, à savoir le service des poursuites judiciaires de la Couronne (Crown Prosecution Service), n’a pris aucune autre mesure en vue de punir les hommes impliqués ou leurs supérieurs hiérarchiques.

Teneur de la plainte

Les auteures affirment que l’État partie a violé les droits que leur confèrent les articles 1 ; 2 a), b), d) et f) ; 3 ; 5 ; 7 c) ; 16 a), b) et e) de la Convention en autorisant des agents de police infiltrés à avoir des relations sexuelles avec elles sans leur révéler qu’ils appartenaient aux forces de l’ordre, ou en ne les protégeant pas suffisamment contre ces actes.

Le fait d’ordonner ou de permettre à des agents infiltrés de nouer et d’entretenir des relations affectives, familiales et sexuelles avec des femmes en mentant sur leur identité et leurs objectifs réels a constitué un acte de discrimination directe à l’égard des femmes, et a eu des répercussions désastreuses sur ces dernières. Rien n’indique que des hommes aient été pris pour cible de la sorte. Il convient en outre de souligner la particularité des répercussions de ces pratiques et politiques sur les femmes, étant donné qu’elles ont eu des conséquences considérables pour leurs droits en matière de procréation. Ce traitement discriminatoire, qui a eu pour effet de priver les auteures de la jouissance et de l’exercice de leurs droits et libertés fondamentales, a sérieusement porté atteinte à la dignité et à la vie privée de toutes les victimes. En nouant et en entretenant des relations sexuelles avec les auteures sur la base d’une fausse identité et dans le cadre de leurs fonctions d’agents de l’État, les agents infiltrés ont porté atteinte à l’intégrité physique de ces femmes et à leur vie privée, ont fait preuve d’un mépris total pour leur dignité humaine, les ont profondément dégradées et humiliées, et leur ont causé un préjudice psychologique et une souffrance mentale extrêmes. En utilisant et en trompant les auteures pour obtenir des informations, ces hommes se sont livrés à une forme de coercition s’apparentant à de la discrimination fondée sur le genre.

Ces pratiques et politiques discriminatoires ont par ailleurs constitué des violations des points de la Convention énumérés ci-après. En violation de l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention, l’État partie n’a pris aucune mesure pour, d’abord, empêcher les comportements de ce type de la part des agents de police au moment des faits ni, par la suite, pour les criminaliser. Il n’a en outre imposé aucune sanction pénale ni même disciplinaire aux responsables de ces abus.

En violation des alinéas a) à c) et f) de l’article 2 de la Convention, l’État partie n’a pas adopté de mesures législatives destinées à empêcher les policiers infiltrés d’avoir des relations sexuelles avec des femmes dans le cadre de leur travail sous couverture. La Cour d’appel a statué que la législation régissant la conduite des agents secrets infiltrés ne pouvait pas être interprétée comme empêchant ou rendant illégales les relations sexuelles et le service des poursuites judiciaires de la Couronne a refusé de prendre des mesures à l’encontre des agents concernés ou de leurs supérieurs hiérarchiques. Il existe pourtant des cas dans lesquels des abus d’identité ayant conduit à des vices du consentement ont donné lieu à des poursuites judiciaires, mais ceux-ci concernaient des femmes ayant menti sur leur sexe réel à d’autres femmes lors de relations sexuelles. Cette politique de deux poids, deux mesures, indique que la décision de ne pas poursuivre les policiers était discriminatoire. Le refus d’engager des poursuites montre également que l’État partie manque à son obligation positive consistant à prendre des sanctions à l’encontre des personnes responsables d’abus et ne renonce pas à une pratique dont il sait pourtant qu’elle engendre de la douleur et des souffrances.

En violation de l’article 3 de la Convention, l’État partie n’a pas su prendre les mesures appropriées pour garantir aux femmes l’exercice de leurs libertés fondamentales sur un pied d’égalité avec les hommes, notamment la liberté d’expression et de réunion, le droit de participer librement à la vie politique et à la société civile, le droit de nouer des relations familiales et le droit de faire ses propres choix en matière de procréation et de rapports sexuels. En l’absence de ces garanties, les femmes sont moins enclines à exercer leur droit à la liberté d’expression et de réunion dans des conditions d’égalité avec les hommes. Elles sont par ailleurs plus limitées pour ce qui est de décider en toute liberté d’avoir des rapports sexuels et de nouer des relations familiales, ainsi que de jouir de leur droit à la vie privée. Ainsi, par peur de se retrouver sans le savoir dans une relation intime avec un agent infiltré, les auteures se voient privées de diverses libertés fondamentales, notamment le droit de participer librement à la vie politique et à la société civile, le droit de nouer des relations familiales et le droit de faire leurs propres choix en matière de procréation et de rapports sexuels.

En violation de l’alinéa a) de l’article 5 de la Convention, les auteures ont fait l’objet d’une représentation stéréotypée des genres par les agents infiltrés qui les ont pris pour cibles. Sous le prétexte d’une certaine intimité, tant émotionnelle que sexuelle, ces derniers ont adopté des comportements calculés en vue d’attirer leur attention et de les inciter à s’engager. Dans quatre des sept cas, la tromperie a englobé jusqu’au comportement adopté pour mettre un terme à la prétendue relation, les hommes concernés étant allés jusqu’à inventer des histoires très élaborées de crises personnelles et de déménagement à l’étranger, qui visaient à s’attirer la sympathie des auteures. Inquiètes pour leurs partenaires, ces dernières se sont donné beaucoup de mal pour les retrouver, allant jusqu’à entreprendre de longs voyages malgré le coût élevé que cela impliquait. Les pratiques et politiques adoptées par les agents infiltrés ont rendu les auteures particulièrement vulnérables, du fait qu’elles reposaient sur une exploitation du contexte social entourant les relations sexuelles et familiales entre les hommes et les femmes et jouaient sur les réactions émotionnelles et sexuelles de ces dernières.

En violation de l’alinéa b) de l’article 5 de la Convention, D. L. a été manipulée, au point de tomber enceinte et de donner naissance à des enfants. Dans son cas, l’agent infiltré s’est efforcé de renouer la relation, peut-être sur ordre de ses supérieurs parce que la victime était en passe de découvrir l’existence de la Special Demonstration Squad, ce qui a conduit à la naissance de leurs deux enfants. D. L. n’a reçu aucune information expliquant pourquoi cette situation avait été tolérée. Le fait d’être nés dans un climat de contrôle et de tromperie instauré par cet agent a eu une lourde incidence sur le développement de ces enfants et sur la construction de leur identité. D. L. estime en outre que la manipulation l’ayant menée à avoir des enfants faisait partie de la stratégie de coercition à laquelle elle a été soumise par cet agent.

En violation de l’alinéa c) de l’article 7 de la Convention, les auteures ont été repérées et ciblées en raison de leur sexe et de leurs contributions aux activités d’organisations politiques. Le fait que l’État n’empêche pas les agents infiltrés d’avoir des relations sexuelles avec des femmes membres des organisations qu’ils surveillent montre qu’il est impossible pour les femmes de participer aux activités d’organisations et d’associations non gouvernementales s’occupant de la vie publique et politique du pays sur un pied d’égalité avec les hommes. La crainte de se retrouver sans le savoir dans une relation intime avec un agent infiltré empêche les femmes d’exercer leurs libertés fondamentales d’association politique et de pleine participation à la vie publique. Le manque de précautions prises par l’État partie pour empêcher les agents infiltrés d’avoir des relations sexuelles avec des femmes jouant un rôle politique actif décourage ces dernières d’exercer leur droit à la liberté d’expression et de réunion en toute égalité avec les hommes et porte atteinte à leur dignité, tout en réduisant leur autonomie.

Enfin, en violation des alinéas a), b) et e) de l’article 16 de la Convention, l’État partie a fait fi du droit des auteures de choisir librement leurs compagnons. Celles-ci n’étaient en effet pas en possession des informations pertinentes au moment de se lancer dans ces relations intimes à long terme et ne l’auraient jamais fait si elles avaient su que leurs partenaires étaient des agents infiltrés qui avaient été chargés par l’État partie de les espionner. Ce dernier savait par ailleurs que les agents infiltrés disparaîtraient à la fin de leurs longues missions et que les perspectives de relation à vie étaient absolument nulles, que des enfants fassent ou non partie de l’équation. Ces relations ont privé les auteures du droit de décider librement du nombre d’enfants qu’elles souhaitaient avoir ainsi que du moment et de l’espacement des naissances et ont eu de lourdes conséquences sur leurs droits en matière de procréation. Ainsi, si D. L. avait su que son partenaire était un agent au début de leur relation et n’était pas tombée sous son emprise malsaine à son retour, elle n’aurait jamais eu d’enfants avec lui. Plusieurs des autres auteures ont, quant à elles, dû faire une croix sur la possibilité d’avoir des enfants biologiques, leur relation avec un agent infiltré leur ayant fait perdre de précieuses années de leur vie où elles étaient les plus susceptibles de tomber enceintes, ou ayant mis à mal leur capacité d’avoir la confiance nécessaire à la formation d’une nouvelle relation. Enfin, certaines des auteures ont eu des enfants à un âge beaucoup plus avancé qu’elles ne l’auraient voulu. Les pratiques et politiques en question ont donc eu un effet néfaste sur les droits des auteures en matière de procréation, puisqu’elles les ont empêchées de faire des choix en toute connaissance de cause, tant en ce qui concerne leurs relations sexuelles que la formation d’une famille. Le fait de cibler les femmes de cette manière a des conséquences disproportionnées, étant donné le nombre limité d’années durant lesquelles elles sont en âge de procréer.

Les dédommagements accordés aux auteures par l’État partie sont insuffisants, notamment car celles-ci n’ont pas reçu de renseignements sur l’étendue de la surveillance dont elles ont fait l’objet. Pour pouvoir oublier cette expérience douloureuse et passer à autre chose, les auteures ont besoin de ces informations. Les agents infiltrés et leurs supérieurs n’ont en outre pas été punis pour les abus commis. Par ailleurs, les auteures n’ont pas bénéficié d’un accompagnement en vue de leur réadaptation. Pour se remettre psychologiquement, elles ont besoin de savoir en détail ce qui leur est arrivé et d’obtenir des preuves solides indiquant qu’elles peuvent reprendre le cours de leur vie sans craindre d’être à nouveau surveillées ou piégées. Les mesures prises ne sont par conséquent pas satisfaisantes. Bien que le Metropolitan Police Service ait présenté des excuses aux auteures, il a refusé de reconnaître à cette occasion l’existence d’un sexisme profondément enraciné dans les institutions de l’État, comme les auteures le lui avaient demandé. Enfin, l’État n’a offert aucune garantie de non-répétition et les lois autorisant les agents infiltrés à nouer des relations intimes en vue d’espionner des groupes militants demeurent inchangées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

Dans ses observations datées du 21 novembre 2018, l’État partie complète l’exposé des faits de la communication et fournit des renseignements détaillés sur les nombreux rapports qu’il a publiés et les multiples enquêtes qu’il a réalisées afin d’examiner la question des opérations d’infiltration menées par la police depuis 2010. Ces procédures d’enquête portent notamment sur : a) un examen réalisé en 2012 par l’Inspection générale de la police et des services de lutte contre l’incendie et de secours de Sa Majesté en vue de passer en revue les unités de la police nationale chargées de fournir des renseignements sur la criminalité associée à la contestation et de formuler des recommandations à cet égard ; b) l’opération Herne, qui a débuté en 2011 et est toujours en cours. Il s’agit d’un examen indépendant réalisé par le Metropolitan Police Service sur le recours aux agents de police infiltrés par l’ancienne Special Demonstration Squad, qui a donné lieu au licenciement pour faute grave de l’ancien agent infiltré qui a entretenu des relations sexuelles avec D. L. et T. B. ; c) l’enquête relative aux opérations d’infiltration menées par la police qui a débuté en 2015 et est toujours en cours, dont les modalités sont décrites plus en détail ci‑après. L’État partie indique également qu’il ne fait aucune admission concernant l’exactitude des faits allégués, y compris en ce qui concerne l’identité présumée des supposés agents de police infiltrés, dans la communication et les pièces justificatives.

L’État partie considère que la communication est irrecevable étant donné qu’aucune des sept auteures n’a épuisé les voies de recours internes. En premier lieu, aucune d’entre elles n’a prétendu être victime de discrimination fondée sur le sexe ou sur le genre dans les faits, que ce soit dans leurs actions en responsabilité délictuelle ou leurs réclamations au titre de la loi de 1998 sur les droits de l’homme (Human Rights Act 1998), alors qu’elles auraient clairement pu le faire. En conséquence, les organes nationaux n’ont pas eu la possibilité d’examiner cette réclamation. L’affirmation des auteures, qui font valoir qu’elles auraient soulevé la question de la discrimination devant des organes nationaux, n’est pas correcte.

En particulier, la plainte déposée par A. J. et S. B. portait, d’une part, sur des actions relevant de la common law en responsabilité délictuelle pour des faits de tromperie, de faute de service, de coups et blessures et de négligence et, d’autre part, sur une réclamation au titre de la loi de 1998 sur les droits de l’homme, fondée sur les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatifs à l’interdiction de la torture et au droit au respect de la vie privée et familiale, respectivement. La plainte déposée par D. L., T. B., R. B., H. S. et B. H. portait sur des actions relevant de la common law en responsabilité délictuelle pour des faits de tromperie, de faute de service, de coups et blessures et de négligence. Ces femmes n’ont pas introduit de réclamation au titre de la loi de 1998 sur les droits de l’homme étant donné que leurs relations n’avaient pas commencé en octobre 2000 ou ne s’étaient pas poursuivies après cette date, qui correspond à l’entrée en vigueur de cette loi. Le fait que toutes les auteures soient des femmes et que chacune ait eu des relations sexuelles avec un agent de police infiltré n’est de toute évidence pas suffisant pour constituer une allégation de discrimination fondée sur le sexe ou sur le genre.

En deuxième lieu, d’un point de vue juridique, A. J. et S. B. n’ont pas prétendu être victimes de discrimination fondée sur le sexe ou sur le genre dans leur réclamation nationale. Elles auraient pu le faire en vertu du paragraphe 1 de l’article 6 de la loi de 1998 sur les droits de l’homme qui est libellé comme suit : « Il est illégal pour une autorité publique d’agir d’une manière incompatible avec un droit garanti par la Convention. » Dans leur réclamation nationale, A. J. et S. B. se sont expressément fondées sur certaines dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, elles n’ont pas invoqué l’article 14 de cet instrument relatif à l’interdiction de discrimination. Au moment des faits, les sept auteures étaient représentées en tout temps par des avocats et des avocats plaidants. La seule déduction raisonnable est qu’elles ont pris la décision délibérée de ne pas introduire de réclamation pour discrimination fondée sur le sexe ou sur le genre.

En troisième lieu, toutes les auteures ont réglé leurs actions civiles à l’amiable, comme indiqué dans les ordonnances du tribunal datées du 19 novembre 2015. À cette date, A. J. et S. B. ont accepté de ne pas poursuivre leurs réclamations au titre de la loi sur les droits de l’homme, l’accord de règlement amiable portant « règlement complet et définitif de leurs actions intentées contre le défendeur dans la plainte no HQ11X03952 et des procédures [du tribunal d’enquête] engagées par [les auteures] au titre de [la loi sur les droits de l’homme] ». Toujours à cette date, les cinq autres auteures ont de leur côté conclu un accord de règlement amiable portant « règlement complet et définitif de leurs actions intentées contre le défendeur dans la plainte no HQ12X02912 ». Les sept auteures ont reçu d’importantes indemnités dont les montants sont confidentiels. En outre, les sept auteures ont obtenu le remboursement de leurs frais de justice, ainsi que des excuses publiques, conformément aux termes de l’accord de règlement amiable. Leur décision de régler le litige à l’amiable signifie soit qu’elles n’ont pas épuisé les voies de recours internes, soit qu’elles n’avaient pas la qualité de victime. Les auteures affirment qu’« elles n’ont pas eu d’autre choix » que d’accepter les offres faites par le défendeur en raison du « niveau prohibitif des coûts auxquels [elles] s’exposaient si elles poursuivaient les procédures engagées ». Toutefois, elles admettent également qu’aux termes de leur police d’assurance, elles ne devaient accepter une offre de la part du défendeur que si celle-ci était « raisonnable ». On peut en déduire que leurs conseils leur ont indiqué que les offres de règlement amiable du défendeur étaient « raisonnables ». De toute évidence, elles avaient le choix et la possibilité de rejeter toute offre déraisonnable. Par conséquent, les auteures ont accepté les offres parce qu’elles étaient raisonnables et non pas parce qu’« elles n’ont pas eu d’autre choix ». Le fait qu’une troisième requérante, qui était partie à la procédure civile engagée par A. J. et S. B., et qui n’est pas l’une des auteures de la communication, ait choisi de ne pas régler son action à l’amiable en même temps que les autres montre clairement que les auteures avaient le choix.

Les observations suivantes figuraient dans les excuses publiques adressées aux auteures :

« La police métropolitaine a récemment réglé à l’amiable sept actions intentées contre plusieurs agents de police infiltrés en raison de leur comportement absolument inacceptable. ... Il est devenu manifeste que certains agents ... ont entretenu avec des femmes, sur de longues périodes, des relations intimes et sexuelles qui relevaient de l’abus, de la tromperie, de la manipulation et de l’immoralité. Je reconnais que ces relations constituaient une violation des droits de la personne de ces femmes et un abus de pouvoir de la part de ces agents, et qu’elles ont causé des traumatismes importants. Au nom du Metropolitan Police Service, je présente mes excuses les plus sincères. … Je reconnais sans réserve qu’il s’agissait d’une violation flagrante [de la vie privée] et également que cette situation pourrait être le reflet d’attitudes envers les femmes qui ne devraient pas faire partie de la culture de la police métropolitaine. … L’un des points sur lesquels les femmes ont insisté était qu’elles souhaitaient faire en sorte qu’une telle situation ne puisse plus se reproduire. … Ces agissements font déjà l’objet de plusieurs enquêtes, notamment d’une enquête criminelle pour faute grave baptisée « opération Herne » et, depuis le 28 juillet 2015, les opérations d’infiltration menées par la police sont également soumises à une enquête publique dirigée par un juge. Avant même que les organes responsables de ces enquêtes ne rendent leurs rapports, je peux d’ores et déjà affirmer que les relations sexuelles entre des agents de police infiltrés et des membres du public ne devraient pas se produire. ...[Elles] n’auraient jamais pu être autorisées au préalable et encore moins utilisées comme tactique dans le cadre d’une opération sous couverture. Si malgré cela, un agent de police avait tout de même des relations sexuelles dans ces conditions (par exemple s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort), il serait alors tenu de le signaler pour qu’une enquête permette de faire la lumière sur les circonstances entourant ces relations et de déterminer si un acte criminel ou un manquement a pu être commis. En ma qualité de haut responsable du Metropolitan Police Service, je peux dire que ce service et moi-même sommes déterminés à veiller au respect de ces règles par tous les agents déployés dans le cadre d’une opération d’infiltration. En dernier lieu, la police métropolitaine reconnaît que ces affaires témoignent de manquements en matière de supervision et d’encadrement. ... Nous admettons ne pas avoir exercé le contrôle nécessaire. »

En quatrième lieu, l’enquête relative aux opérations d’infiltration menées par la police est l’une des voies de recours internes mises à la disposition des auteures pour obtenir des informations et des recommandations supplémentaires. Un examen stratégique de l’enquête a été publié en mai 2018 ; le Comité est invité à le lire dans son intégralité. L’État partie fournit des informations détaillées sur les modalités de l’enquête, qui a été lancée en mars 2015. Le rapport final issu de l’enquête doit en principe être publié en 2023. L’enquête est menée sous la houlette d’un juge de la Haute Cour de justice à la retraite, qui est épaulé par une équipe d’une cinquantaine de personnes, dont des avocats et des fonctionnaires. L’enquête porte notamment sur un examen des « motifs et de l’ampleur des opérations d’infiltration menées par la police sur le terrain et de leurs effets sur les personnes en particulier et le public en général ». En conséquence, la procédure en question est suffisamment large pour couvrir les questions de discrimination et les violations commises contre des femmes. Il importe peu que la procédure d’enquête soit considérée aux fins qui nous intéressent comme un recours judiciaire ou administratif. Ce qui importe, c’est qu’il s’agit d’une enquête indépendante visant à faire la lumière sur un éventail de questions, notamment celles soulevées par les auteures, y compris celle de déterminer si les opérations d’infiltration menées par la police ont pris pour cibles des militants œuvrant en faveur de la justice sociale et de causes politiques et, dans l’affirmative, d’établir à quelles fins, dans quelle mesure et avec quels effets. Dans la liste des questions liées à la Special Demonstration Squad pouvant être examinées dans le cadre de l’enquête figure expressément l’examen des relations nouées par des agents infiltrés durant leur déploiement. Les auteures sollicitent la divulgation d’informations, et des mécanismes ont été créés dans le cadre de l’enquête pour faire en sorte que toutes les mesures raisonnables soient prises pour conserver les documents susceptibles de présenter un intérêt et éviter la destruction d’éléments indispensables. Il n’existe pas de politique générale concernant l’application des ordonnances visant à restreindre la divulgation d’éléments de preuve ou de documents. La politique qui consiste à « ne rien confirmer ni infirmer » n’est pas en soi une raison de demander des restrictions à la divulgation d’informations. Un large volume de documents sera probablement publié alors qu’en temps normal, ces documents n’auraient pas été soumis à l’examen du public compte tenu de leur caractère confidentiel. D’ici à la fin mars 2018, plus de 10 millions de livres sterling auront été consacrés à l’enquête. Dans ce contexte, plus de 560 demandes d’obtention d’éléments de preuve ont été envoyées à environ 59 organisations, plus de 460 témoignages ont été enregistrés et plus d’un million de pages d’éléments de preuve ont été fournies par le Metropolitan Police Service à lui seul. En mai 2018, on dénombrait 207 participants principaux et 25 représentants légaux, dont 19 étaient financés au titre de l’enquête. Les auteures ont le statut de participantes principales non étatiques dans le cadre de l’enquête. Elles ont décidé de soumettre leur communication avant de recevoir les informations issues de l’enquête, et avant même que des conclusions factuelles ou des recommandations émanant de l’enquête n’aient été formulées concernant la manière dont la police devrait mener ses opérations d’infiltration à l’avenir. Par conséquent, elles n’ont pas épuisé cette voie de recours interne et leurs critiques à propos de l’enquête sont soit hors sujet soit infondées.

L’État partie rejette le reste des affirmations des auteures concernant l’épuisement des voies de recours internes, pour divers motifs. Premièrement, si les auteures affirment qu’elles ne connaissent pas l’ampleur de la violation dont elles ont été victimes et qu’elles n’ont pas reçu de décision de justice concernant la violation de leurs droits, c’est parce qu’elles ont décidé de régler à l’amiable l’action au civil qu’elles avaient formée contre le Metropolitan Police Service et choisi les termes de l’accord de règlement. Elles ne sont pas en position de se plaindre d’un manque de recours efficace parce qu’elles ont choisi d’accepter des offres de règlement amiable raisonnables prévoyant le versement de dommages-intérêts, le remboursement de leurs frais de justice et l’obtention d’excuses publiques.

En outre, les auteures ont décidé de soumettre leur communication alors que l’enquête sur les opérations d’infiltration menées par la police se poursuit. Cette enquête constitue une voie de recours interne pertinente dans ce contexte, car les auteures peuvent faire appel à ce mécanisme pour obtenir des informations ou des documents. Elles auraient donc dû épuiser ce recours avant de présenter leur communication. Les critiques que les auteures ont formulées à l’égard de l’enquête sont infondées. Cette enquête comporte une analyse factuelle et donnera lieu à la formulation de recommandations concernant les prochains déploiements d’agents infiltrés. S’agissant d’une question aussi complexe que des opérations policières d’infiltration remontant à 1968, il est nécessaire de procéder à une analyse factuelle rigoureuse et minutieuse avant qu’une quelconque décision puisse être prise. Le temps passé à réaliser cette enquête, l’approche adoptée en ce qui concerne la représentation juridique et la gestion des informations et des éléments de preuve sont donc raisonnables compte tenu de l’ampleur et de la complexité de cette tâche. Le fait qu’il s’agisse d’un recours interne pertinent n’est pas remis en question par les critiques formulées par les auteures concernant le temps nécessaire pour la réaliser, le fait qu’elles ne sont représentées que par une équipe d’avocats ou qu’elles n’auront peut-être pas un accès sans restriction à « l’intégralité des dossiers que la police ou les services spéciaux conservent à leur sujet, mais uniquement aux documents jugés pertinents et nécessaires à la réalisation de l’enquête ». En ce qui concerne l’affirmation des auteures selon laquelle les recommandations issues de l’enquête pourraient ne pas se rapporter à certains des recours qu’elles cherchent à obtenir, cela ne leur est d’aucune aide étant donné qu’elles ont choisi de soumettre leur communication alors que les procédures d’enquête se poursuivent et qu’aucune recommandation n’a encore été formulée. En outre, les auteures ont la possibilité, en leur qualité de participantes principales, de soumettre des propositions sur la teneur des recommandations issues de l’enquête. En dernier lieu, l’argument selon lequel l’enquête ne prévoit pas d’autorité à même de garantir l’application des recommandations n’enlève rien au fait qu’il s’agit d’une étape légitime et importante de la procédure par laquelle l’État partie envisage l’avenir des opérations d’infiltration menées par la police, ainsi qu’un mécanisme permettant aux auteures d’obtenir des informations, des documents et des recommandations.

Deuxièmement, en ce qui concerne leur argument selon lequel le cadre législatif permettrait que des violations analogues se reproduisent, les auteures n’ont pas la qualité de victimes. Elles ont obtenu réparation pour le préjudice subi en acceptant de régler leurs actions à l’amiable. On ne peut considérer les auteures comme des victimes au seul motif qu’elles considèrent que le cadre législatif est défaillant dans des circonstances qui ne les concernent pas.

Troisièmement, même si les auteures font valoir que les excuses publiques sont discréditées par le fait que la police ne donne pas de garanties visant à faire en sorte que les comportements contestés ne se reproduisent plus, le fait qu’il existe divers points de vue sur les opérations d’infiltration menées par la police n’est guère étonnant. Cette diversité de vues explique pourquoi l’État partie a consenti autant d’efforts pour enquêter sur la question, y compris dans le cadre de l’enquête. Cette dernière a notamment pour objectif d’évaluer l’adéquation de la justification, de l’autorisation, de la gestion opérationnelle et des procédures de surveillance des opérations d’infiltration menées par la police ; la sélection, la formation, la gestion et la prise en charge des agents de police infiltrés ; la réglementation statutaire, politique et judiciaire applicable à ces opérations.

Quatrièmement, bien qu’aucun des agents de police impliqués ou de leurs supérieurs hiérarchiques n’ait fait l’objet de poursuites pénales, le raisonnement du service des poursuites judiciaires de la Couronne est expliqué dans les documents annexés à la présente communication. L’opération Herne en cours a donné lieu au licenciement pour faute grave de l’agent de police qui a entretenu des relations sexuelles avec D. L. et T. B. Par ailleurs, D. L. ne semblant pas avoir entrepris de démarches juridiques pour contester la décision du service des poursuites judiciaires de la Couronne, l’absence de poursuites ne peut faire l’objet de critiques.

La communication est également irrecevable étant donné qu’aucune des sept auteures n’a qualité de victime. À l’instar de l’auteure dans l’affaire X c. Autriche, les auteures ont toutes choisi de régler à l’amiable les actions civiles qu’elles avaient intentées devant les juridictions nationales. Elles ont toutes obtenu des dommages‑intérêts importants, le remboursement de leurs frais de justice et des excuses publiques.

De plus, les tentatives faites à présent par les auteures pour contester ce règlement amiable sont dépourvues de fondement compte tenu de ce qui suit : a) au moment des faits, elles étaient représentées légalement en tout temps et ont choisi d’accepter les offres de règlement amiable qui, à tout le moins, devaient leur avoir été présentées comme raisonnables ; b) en acceptant de régler les actions à l’amiable, elles ont également choisi de renoncer à la possibilité de solliciter ou d’obtenir la divulgation de documents ou une décision de justice ; c) elles ont choisi les termes de l’accord de règlement amiable ; d) les excuses publiques constituent une reconnaissance qu’un acte répréhensible a été commis, comme les auteures elles‑mêmes le reconnaissent.

Par conséquent, les auteures ont obtenu réparation pour le préjudice qu’elles ont subi du fait de leurs relations avec des agents de police infiltrés. Cela est mentionné de manière explicite dans les deux annexes aux accords de règlement amiable, dans lesquels il est précisé que les accords portaient « règlement complet et définitif » des réclamations des auteures. Si, contrairement à la position de l’État partie, des affirmations factuelles ou juridiques relatives à la discrimination fondée sur le sexe ou sur le genre étaient incluses dans les actions intentées par les auteures devant les juridictions nationales, alors ces réclamations étaient clairement couvertes par l’accord de règlement amiable qui en portait règlement complet et définitif. En revanche, si les actions intentées par les auteures devant les juridictions nationales n’incluaient pas d’affirmations factuelles ou juridiques relatives à la discrimination fondée sur le sexe ou sur le genre, alors les accords de règlement amiable étaient clairement destinés à porter règlement complet et définitif de tous les dommages subis par les auteures du fait de leurs relations avec les agents de police. C’est pourquoi des dispositions ont été prises, non seulement pour leur accorder la réparation financière du préjudice subi, mais également pour qu’elles obtiennent des excuses publiques et le remboursement de leurs frais de justice. Il est tout à fait fantaisiste de prétendre (comme semblent le faire les auteures) qu’en dépit d’un tel « règlement complet et définitif », les parties avaient l’intention de laisser aux auteures la liberté de saisir le Comité d’une plainte relative à cette affaire.

En outre, la communication est irrecevable ratione temporis en ce qui concerne D. L., T. B., R. B., H. S. et B. H. L’État partie n’a adhéré au Protocole facultatif que le 17 décembre 2004, or les circonstances décrites dans les plaintes déposées par ces cinq auteures sont survenues avant cette date. Les relations sexuelles présumées dans ces affaires auraient duré de 1997 à 1999 (T. B.), de 1995 à 2000 (R. B.), de 1990 à 1992 (H. S.) et de 1987 à 1988 (B. H.). En ce qui concerne l’auteure D. L., « ses relations sexuelles ont continué jusqu’en 2005, mais elle a découvert l’identité de son partenaire en 2001. Par conséquent, l’acte répréhensible présumé se serait produit entre 1999 et 2001 (lorsqu’elle ne connaissait pas sa véritable identité) ».

Les auteures se sont fondées à tort sur la jurisprudence du Comité dans l’affaire A.T. c. Hongrie puisque, dans cette affaire, la conclusion du Comité s’appuyait sur une évaluation factuelle de la violence familiale qui s’était poursuivie après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la Hongrie.

Commentaires des auteures sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

Dans leurs commentaires en date du 21 février 2019, les auteures affirment qu’elles ont épuisé les recours internes. Dans ses constatations concernant la communication no 47/2012, le Comité a considéré qu’une auteure devait avoir fait « des efforts raisonnables » pour épuiser tous les recours internes disponibles. Les auteures ont fait ces efforts raisonnables, compte tenu de la complexité et de la longueur de l’action en justice engagée en l’espèce.

Le règlement à l’amiable des actions civiles intentées par les auteures ne constituait pas un règlement librement consenti des dommages. Les auteures l’ont accepté afin de conserver leur assurance, pour se prémunir de l’éventualité de devoir payer les frais de justice du défendeur si elles perdaient leur procès. La condition du maintien de l’assurance était d’accepter une offre de règlement si le conseil considérait qu’elle était raisonnable. Le défendeur ayant fait une offre financière que les requérantes avaient peu de chances d’améliorer au procès, celles-ci savaient que si elles la rejetaient, elles ne seraient plus couvertes par leur police d’assurance. Si elles n’étaient plus assurées, elles couraient le risque de devoir payer des centaines de milliers de livres de frais. Les offres de règlement à l’amiable ont été faites sans être divulguées aux auteures. Une telle divulgation était pour elles un dédommagement essentiel. Les auteures affirment que « tel qu’il fonctionne, ce système engendre une discrimination croisée fondée sur le genre et la situation socioéconomique ». Faute de moyens financiers suffisants, les auteures ne pouvaient pas poursuivre leur action en justice et étaient pratiquement contraintes d’accepter l’offre de règlement amiable. Exiger des auteures qu’elles courent un risque aussi énorme pour épuiser les recours internes serait déraisonnable et perpétuerait la discrimination croisée qu’elles ont subie.

L’État partie affirme que les auteures n’ont pas engagé de poursuites pour discrimination devant les juridictions internes ; les auteures maintiennent au contraire que le facteur discriminatoire inscrit dans leurs plaintes a été clairement exposé devant les tribunaux nationaux. Dans leurs moyens, cinq des auteures ont déclaré, à propos du risque créé par la conduite des agents de police infiltrés, qu’« [il] avait un caractère discriminatoire envers les femmes dans la mesure où, à l’époque, il les concernait de manière disproportionnée sinon exclusive ». La loi de 1998 sur les droits de l’homme n’a pu être invoquée que par deux des auteures seulement, car elle n’est entrée en vigueur qu’en octobre 2000. Les auteures n’ont pas invoqué l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme parce qu’à la date de leurs plaintes, déposées en octobre 2011, l’ampleur des activités des agents infiltrés n’était pas encore connue. Au fil du temps, l’élément discriminatoire est devenu de plus en plus évident. Les auteures soutiennent que l’État partie a compris que leurs réclamations concernaient la discrimination, comme il ressort des termes des excuses publiques présentées : « Je reconnais sans réserve qu’il s’agissait d’une violation flagrante [de la vie privée] et également que cette situation pourrait être le reflet d’attitudes envers les femmes qui ne devraient pas faire partie de la culture de la police métropolitaine. » En outre, dans ses constatations concernant la communication no 19/2008, le Comité a considéré que, bien que l’État partie ait affirmé que l’auteure n’avait pas invoqué la discrimination devant les tribunaux internes, l’élément discriminatoire était clairement démontré par la présence de violences fondées sur le genre. Les faits dont les auteures ont fait état devant le Comité sont les mêmes que ceux qui ont été présentés aux tribunaux internes.

En outre, la réparation obtenue par les auteures (dommages-intérêts compensatoires et excuses publiques) ne constituait pas une « réparation complète et effective » au sens des recommandations générales du Comité. Les femmes demeurent dans l’ignorance totale des raisons pour lesquelles elles ont fait l’objet d’une surveillance, et de l’ampleur de celle-ci. Plus précisément, elles ne savent pas : a) si elles ont été sélectionnées pour être l’objet de ce type de relations, et si oui, pour quelles raisons ; b) à quel niveau d’autorité hiérarchique on a eu connaissance de ces relations ou on les a autorisées ; c) quand la surveillance a pris fin, et si elle a continué après la fin de la relation ; d) comment les informations les concernant ont été diffusées ; e) quel type d’informations a été diffusé ; f) quelle quantité d’informations a été communiquée et à qui ; g) par qui elles ont été observées et à quel moment. Il est essentiel que les auteures disposent de ces informations pour connaître l’ampleur du préjudice qu’elles ont subi et ne plus vivre dans une perpétuelle incertitude. Le refus des autorités concernées de fournir ces informations redouble la souffrance des auteures. La possibilité pour les auteures de connaître la vérité sur ce qu’il leur est arrivé devrait être un élément clef du règlement de la question. Elles décrivent en détail leurs diverses tentatives pour obtenir la divulgation de ces informations.

En outre, les réparations obtenues de l’État partie par les auteures n’étaient pas assorties d’une garantie de non-répétition. Si l’école de la police (College of Policing) a élaboré, en 2016, un projet de directives spécifiant que de telles relations sexuelles ne devaient jamais être autorisées ou utilisées comme tactique dans le cadre d’un déploiement, les auteures, outre qu’elles ne savent pas si les directives ont fait l’objet d’une publication officielle, considèrent que de telles directives ne sont pas une garantie suffisante de non-répétition. Les auteures demandent que la législation soit modifiée pour criminaliser l’activité en question et faire encourir des poursuites pénales aux personnes s’y adonnant, tout en leur permettant d’exciper de circonstances atténuantes et extraordinaires. Faute de telles modifications, les auteures sont toujours exposées au risque d’être de nouveau victimes du comportement reproché si elles s’engagent dans l’action politique, et elles sont psychologiquement éprouvées chaque fois que l’on découvre l’existence d’une tromperie analogue. Les garanties de non-répétition font partie d’une réparation effective.

En outre, l’enquête relative aux opérations d’infiltration ne constitue pas un recours interne adéquat, entre autres pour les motifs suivants : a) la durée de l’enquête excède des délais raisonnables et certaines phases importantes de ce dispositif se déroulent à huis clos sans que les auteures puissent y accéder ; b) il n’est pas certain que des informations ou des garanties de non-répétition soient fournies aux auteures à l’issue du processus ; c) il a été indiqué que le rapport final sera présenté au Ministre de l’intérieur vers la fin de 2023, ce qui représente un délai d’attente déraisonnable avant d’obtenir réparation ; d) il n’a pas été garanti que les conclusions de l’enquête seraient rendues publiques ; e) les auteures sont extrêmement préoccupées par le manque de compréhension des questions de discrimination fondée sur le sexe manifesté par la personne qui dirige l’enquête, et ne croient guère que ce dispositif permettra de traiter ces questions comme il convient. L’homme qui dirige l’enquête a reconnu n’avoir jamais été formé en matière de discrimination et a déclaré en février 2018 que « l’expérience de la vie lui a appris » que « des policiers d’un âge avancé qui sont toujours mariés avec la même femme [sont] moins susceptibles d’avoir des liaisons extraconjugales », déclaration qui prouve que la personne qui dirige l’enquête est plus susceptible de croire un policier infiltré qui nierait avoir eu des relations sexuelles avec les femmes qu’il espionnait s’il est marié.

En outre, le préjudice subi par les femmes n’était pas seulement économique. Elles ont perdu des années importantes de leur vie à entretenir des relations trompeuses qui ne leur promettaient aucun avenir stable. Plusieurs auteures ont envisagé ou auraient pu envisager d’avoir des enfants, mais cela ne s’est pas produit à cause des prétextes divers avancés par les agents de police. La capacité des auteures de faire confiance a été altérée, sapant leur possibilité de s’engager dans de nouvelles relations. La communication des informations et les garanties de non-répétition sont donc aussi importantes, voire plus importantes, pour les auteures que les indemnisations financières.

Les auteures réaffirment qu’elles ont qualité de victimes parce qu’elles n’ont pas pu disposer d’un recours utile. La communication n’est pas irrecevable ratione temporis parce que les violations alléguées ne sont pas limitées aux tromperies d’origine car elles continuent en raison de l’absence de recours utile. Bien que certaines violations soient antérieures à décembre 2004, le fait de priver les auteures de recours utile est une violation persistante de la Convention.

Délibérations du Comité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. Il peut, conformément à l’article 66, décider d’examiner séparément la recevabilité et le fond de la communication. En application du paragraphe 4 de l’article 72, il est toutefois tenu de se prononcer sur la recevabilité avant de se prononcer sur le fond.

En application du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité a établi que la question n’a pas déjà été examinée ou n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité rappelle que, aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Il rappelle également que, dans sa jurisprudence, les auteurs d’une communication doivent se prévaloir de tous les recours internes disponibles, et doivent avoir saisi les tribunaux nationaux sur le fond du grief qu’ils souhaitent soumettre au Comité afin que les autorités ou les juridictions nationales puissent se prononcer sur ce grief. Cette règle ne s’applique pas si la procédure de recours excède des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elle permette d’obtenir une réparation effective.

Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif parce que les auteures n’ont pas épuisé les recours internes, car l’enquête relative aux opérations d’infiltration, qui a commencé en 2015, est toujours en cours. Le Comité prend note de la déclaration faite par l’État partie selon laquelle le rapport final issu de l’enquête devrait en principe être présenté en 2023. Le Comité considère que cette procédure excède les délais raisonnables et qu’il n’est donc pas nécessaire que les auteures épuisent ce recours. Par conséquent, le Comité estime que l’enquête en cours ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la communication aux termes du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif.

Le Comité note également que l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif parce que les auteures n’ont pas la qualité de victimes. Il observe que l’État partie considère que les auteures ont conclu des arrangements « complets et définitifs » avec le Gouvernement en règlement de leurs demandes au niveau interne, et accepté de mettre fin à toutes les procédures de manière définitive. Il observe que les actions intentées par les auteures au niveau interne soulevaient, pour A. J. et S. B., les griefs de torture et de violation du droit à la vie privée et à la vie de famille, et pour l’ensemble des sept auteures, les griefs de violences et voies de fait, de faute professionnelle, de négligence et de dol par les agents de police. Il prend également note des éléments factuels allégués par D. L., R. B., T. B., B. H. et H. S. tendant à prouver le caractère discriminatoire de la pratique et de la politique des services de police à leur égard en leur qualité de femmes. Tout en notant que, de l’avis des auteures, les accords de règlement n’offrent pas une réparation intégrale du préjudice qu’elles ont subi, le Comité relève également que les conditions des accords mentionnent qu’il s’agit d’un règlement « complet » et que les auteures renoncent sans équivoque à toute nouvelle réclamation connexe. Il constate qu’en vertu des accords de règlement, les auteures ont toutes obtenu une indemnisation financière substantielle. Le Comité remarque également qu’en vertu de l’accord, chaque auteure a également obtenu le paiement de ses frais de justice ainsi que des excuses publiques publiées le 20 novembre 2015. Il observe que dans les excuses, les relations ont été décrites comme relevant de l’abus, de la tromperie, de la manipulation et de l’immoralité et qu’il a été reconnu qu’elles constituaient une violation des droits de la personne de ces femmes et un abus de pouvoir de la part de ces agents et qu’elles ont causé des traumatismes importants. Il y était également déclaré que les relations en question n’auraient jamais dû avoir lieu, qu’elles constituaient une « violation flagrante de la dignité et de l’intégrité de la personne » et « qu’elles pourraient être le reflet d’attitudes envers les femmes qui ne devraient pas faire partie de la culture de la police métropolitaine ». Y était également reconnu que « l’argent seul ne suffi[sai]t pas à compenser la perte de temps, le mal [fait aux auteures] ou le sentiment d’agression causé par ces relations ». Notant l’argument des auteures selon lequel des garanties de non-répétition n’ont pas été fournies, le Comité relève également que les excuses comprennent la déclaration suivante : « Je peux affirmer que les relations sexuelles entre des agents de police infiltrés et des membres du public ne devraient pas se produire... [Elles] ne seraient jamais autorisées au préalable et encore moins utilisées comme tactique dans le cadre d’une opération sous couverture ». Le Comité note que les auteures revendiquent avoir conservé la qualité de victimes parce qu’elles n’avaient pas librement consenti à cet accord de règlement, puisqu’elles se sentaient obligées de l’accepter pour conserver la couverture de leur assurance, sans laquelle elles auraient dû payer des frais de justice considérables si elles avaient perdu leur procès. Toutefois, le Comité fait également observer que, selon les informations fournies par les auteures, leur police d’assurance les obligeait à accepter une offre de règlement uniquement si leur conseil considérait qu’elle était raisonnable. Il note que, pendant la procédure de règlement, les auteures ont été représentées par un conseil de leur choix. Il note en outre que les auteures n’ont pas indiqué avoir fait part de préoccupations audit conseil ni aux représentants de l’État partie quant à l’équité des conditions de l’accord, l’éventuelle inégalité des armes ou une pression indûment exercée pour leur faire accepter l’accord proposé. Le Comité note également que l’une des parties à l’action intentée par A. J. et S. B., qui n’est pas partie à la communication des auteures, a choisi de ne pas se satisfaire du règlement proposé. Il estime de surcroît, compte tenu du montant des indemnités accordées, du paiement des frais de justice et de la teneur des excuses publiques, que les termes de l’accord de règlement ne sont pas en eux‑mêmes d’une injustice flagrante à l’égard des auteures. Au vu des informations qui lui ont été fournies, le Comité ne saurait conclure que l’accord de règlement était d’une iniquité manifeste ou résultait de pressions indues ou d’une contrainte causée par des conditions aux coûteuses implications, de nature à vicier la renonciation des auteures à soumettre une communication au Comité sur la même question. En conséquence, il estime qu’elles ont perdu la qualité de victimes lorsqu’elles ont conclu le règlement donnant satisfaction intégrale et définitive à leurs demandes au niveau interne. Le Comité conclut donc également que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

Le Comité décide par conséquent que :

a)La communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteures.