NATIONS UNIES

CERD

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr.RESTREINTE*

CERD/C/71/D/36/20068 août 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DELA DISCRIMINATION RACIALESoixante et onzième session(30 juillet-17 août 2007)

OPINION

Communication n o 36/2006

Présentée par:

P. S. N. (représenté par un conseil, le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Danemark

Date de la communication:

10 février 2006 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

8 août 2007

[ANNEXE]

ANNEXE

OPINION ADOPTÉE PAR LE COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE

Soixante et onzième session

concernant la

Communication n o 36/2006

Présentée par:

P. S. N. (représenté par un conseil, leCentre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale)

Au nom de:

Le requérant

État partie:

Danemark

Date de la communication:

10 février 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 8 août 2007

Adopte ce qui suit:

OPINION

1.1Le requérant est M.P. S. N., de nationalité danoise, né le 11 octobre 1969 au Pakistan, résidant actuellement au Danemark et musulman pratiquant. Il affirme être victime d’une violation par le Danemark du paragraphe 1 d) de l’article 2 et des articles 4 et 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il est représenté par un conseil, Mme Line Bøgsted du Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale.

1.2Conformément au paragraphe 6 a) de l’article 14 de la Convention, le 23 juin 2006, leComité a transmis la communication à l’État partie.

Exposé des faits

2.1Dans l’optique des élections du 15 novembre 2005, Mme Louise Frevert, membre du Parlement issue du Parti populaire danois, a publié sur son site Web des déclarations contre l’immigration et les musulmans sous le titre «Articles que personne n’ose publier». Dans ses déclarations, elle évoquait les musulmans, entre autres en ces termes:

«… parce qu’ils pensent que c’est nous qui devons nous soumettre à l’islam et qu’ils sont confortés dans leur idée par leurs prédicateurs et leurs dirigeants. (…) Quoi qu’il en soit, ils croient qu’ils ont le droit de violer des filles danoises et de tuer des citoyens danois.».

2.2Dans le même texte, Mme Frevert a mentionné la possibilité d’envoyer les jeunes émigrés vers les prisons russes, ajoutant ce qui suit:

«Même si cette solution n’est cependant qu’à court terme parce que, lorsqu’ils reviendront, ils seront encore plus déterminés à tuer des Danois.».

Un autre article sur le même site Web contient ce qui suit:

«Nous pouvons consacrer des milliards de couronnes et un temps infini àl’intégration des musulmans dans notre pays, mais le résultat est celui que les médecins observent. Le cancer ne cesse de se propager pendant que nous palabrons.».

2.3Plusieurs des déclarations susmentionnées avaient été publiées auparavant dans un livre de Mme Frevert intitulé: «En un mot − une déclaration politique». Ce livre contenait d’autres déclarations contre les musulmans dont voici le texte:

«Nous sommes victimes de nos propres lois relatives “aux droits de l’homme” et sommes contraints de voir notre culture et notre système de gouvernement céder devant une force supérieure faisant fond sur mille ans de dictature, un pouvoir clérical.» (p. 36).

«Le cours des choses est tangible. Il peut être mesuré. Mais les moyens musulmans pour atteindre l’objectif de la troisième guerre sainte (troisième Jihad) qui se déroule actuellement sont secrets.» (p. 37).

2.4Mme Frevert a par la suite retiré certains des matériels que contenait le site Web en réaction au débat public suscité par ses déclarations. Toutefois, le 30 septembre 2005, dans une interview au journal danois Politiken, elle les a maintenues. L’extrait suivant est tiré d’un article intitulé «Les Danois sont submergés»:

«(…)

(Le journaliste) Combien sont ‑ils ceux qui croient qu’ils ont le droit de violer des filles danoises?

(Mme Frevert) Je n’en sais rien. Cela doit être envisagé à la lumière du fait qu’il est dit dans certains passages du Coran que l’on peut se comporter comme on veut à l’égard des femmes dans un esprit machiste. C’est une façon rhétorique d’exprimer les choses par rapport au texte du Coran.

(Le journaliste) Vous affirmez qu’il est permis par le Coran de violer les filles danoises?

(Mme Frevert) Je dis que le Coran permet d’utiliser les femmes comme on veut.

(Le journaliste) Combien de filles danoises sont violées par des musulmans?

(Mme Frevert) Je n’en ai aucune idée précise sauf qu’il est de notoriété publique qu’il y a eu un viol dans les toilettes d’un palais de justice. C’est un exemple concret. Combien il y a eu de viols, je l’ignore. Mais on sait aussi d’après les affaires judiciaires qu’il y a eu des viols.

(Le journaliste) Mais s’il semble que d’après le Coran le viol soit plus ou moins permis on devrait être en mesure de donner beaucoup plus d’exemples à ce sujet.

(Mme Frevert) Je ne dis pas que c’est une pratique systématique mais que c’est ce qui peut arriver.

(Le journaliste) Dans le chapitre que vous avez retiré vous écrivez que nos lois nous interdisent de les tuer. Est ‑ce que c’est cela que vous souhaitez le plus?

(Mme Frevert) Non, mais j’ai tout à fait le droit de l’écrire. J’ai le droit d’écrire tout ce que je veux. S’ils violent et tuent d’autres gens comme ils le font avec des attentats‑suicide, etc., et bien nous ne sommes pas autorisés à en faire de même dans notre pays, le sommes-nous?».

2.5Le 30 septembre, le 13 octobre et le 1er novembre 2005, le Centre de documentation et de conseil en matière de discrimination raciale a déposé, au nom du requérant, trois plaintes contre Mme Frevert pour violation de l’article 266 b) du Code pénal danois, qui interdit les déclarations racistes. Dans la première plainte, le Centre a fait valoir que les déclarations figurant sur le site Web étaient dirigées contre un groupe spécifique de personnes (les musulmans), qu’elles étaient insultantes et dégradantes et qu’elles tenaient de la propagande, dans la mesure où elles avaient été publiées sur un site Web visant un large public et envoyées dans le même temps à différents journaux danois pour qu’elles soient publiées. Le Centre a cité plusieurs condamnations prononcées par des tribunaux danois pour des déclarations publiées sur des sites Web et considérées comme «destinées à toucher un large public». La deuxième plainte se rapportait au livre de Mme Frevert, en particulier à ses pages 31 à 41 qui selon le requérant contenaient des propos menaçants, insultants et dégradants pour les musulmans. La troisième plainte avait trait àun article publié dans le Politiken. Selon le Centre, les déclarations rapportées dans cet article constituaient une violation de l’article 266 b) du Code pénal et confirmaient les déclarations publiées sur le site Web.

2.6La première plainte (relative au site Web) contre Mme Frevert a été rejetée par la Police de Copenhague le 10 octobre 2005, au motif qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes permettant de conclure qu’un acte illégal avait été commis. La décision a souligné en particulier qu’il n’y avait pas de motif raisonnable d’affirmer, avec des chances d’obtenir une condamnation, que Mme Frevert avait l’intention de diffuser les citations susmentionnées et qu’apparemment elle ne savait pas que les déclarations en cause avaient été publiées sur le Web. Le webmestre (M. T.) aassumé l’entière responsabilité de la publication des déclarations et a été inculpé de violation de l’article 266 b) du Code pénal. Le 30 décembre 2005, la Police de Copenhague a transmis le dossier à la Police d’Helsingør pour un complément d’enquête sur les charges qui pesaient sur lui. L’affaire est encore entre les mains de la police d’Helsingør.

2.7Le 13 décembre 2005, le Procureur public régional de Copenhague, Frederiksberg et Tårnby a confirmé la décision de la police de ne pas engager de poursuites à l’encontre de Mme Frevert parce que M. T. et elle avaient fourni des détails sur leur collaboration et que c’était par erreur que les articles en question avaient été publiés sans avoir été édités sur le site Web. Il a conclu à l’absence de preuves attestant que Mme Frevert savait que les articles avaient été publiés sur le site Web et qu’elle avait, comme le requiert la loi, l’intention de les diffuser. Cette décision ne peut faire l’objet d’aucun recours.

2.8La deuxième plainte (relative au livre) a été rejetée par le Directeur de la Police de Copenhague le 18 octobre 2005 parce qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes à l’appui de l’allégation selon laquelle un acte illégal avait été commis. Selon la décision, le livre avait été publié aux fins du débat politique et ne contenait pas de déclarations tombant sous le coup de l’article 266 b) du Code pénal. Le Centre n’a pas fait appel de cette décision.

2.9La troisième plainte (relative à l’interview) a été rejetée par le Directeur de la Police de Copenhague le 9 février 2006 parce qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes attestant qu’un acte illégal avait été commis. Pour parvenir à cette décision, le Directeur a pris en considération lesprincipes de liberté d’expression et de liberté des débats. Il a aussi tenu compte du fait que lesdéclarations avaient été faites par une femme politique dans le contexte d’un débat public sur la situation des étrangers. Il a estimé que, du point de vue du droit à la liberté d’expression, lesdéclarations faites par Mme Frevert n’étaient pas offensantes au point de constituer une violation de l’article 266 b) du Code pénal.

2.10Le 19 mai 2006, le Procureur public régional a confirmé la décision de la police de ne pas poursuivre Mme Frevert pour les déclarations faites dans le cadre de l’interview. Il a estimé que l’image donnée des musulmans et des émigrés de deuxième génération par Mme Frevert dans l’interview n’était pas offensante au point d’être considérée comme insultante ou dégradante pour les musulmans ou les émigrés de deuxième génération au regard de l’article 266 b) du Code pénal. Cette décision est définitive et ne peut faire l’objet d’aucun recours.

2.11Le requérant affirme que le fait de donner suite ou non à des plaintes contre des personnes est une question laissée à l’entière discrétion de la police et qu’il n’y a aucune possibilité de porter l’affaire devant les tribunaux danois. Des actions en justice contre Mme Frevert ne seraient pas efficaces dans la mesure où la police et le procureur ont rejeté les plaintes déposées contre elle. Le requérant se réfère à une décision de la Haute Cour de la région Est, en date du 5 février 1999, dans laquelle il a été statué qu’un incident de discrimination raciale n’entraîne pas en soi une violation de l’honneur et de la réputation d’une personne au regard de l’article 26 de la loi sur la responsabilité civile. Le requérant conclut qu’il ne dispose d’aucun autre moyen de recours en vertu du droit national.

2.12Le requérant indique qu’il ne s’est prévalu d’aucune autre procédure internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant fait valoir que la décision de la Police de Copenhague de ne pas ouvrir d’enquête sur les faits allégués constitue une violation du paragraphe 1 d) de l’article 2, de l’article 4 a) et de l’article 6 de la Convention, dans la mesure où les documents présentés par le requérant auraient dû amener la police à procéder à une enquête approfondie sur la question. Il affirme qu’il n’a bénéficié en l’espèce d’aucun moyen efficace de le protéger contre des déclarations racistes.

3.2Le requérant affirme en outre que les décisions par lesquelles la Police de Copenhague et le procureur ont rejeté ses plaintes constituent une violation de l’article 6 de la Convention. Il fait valoir que les autorités danoises n’ont pas procédé à un examen complet des faits de la cause et n’ont pas tenu compte de ses arguments.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Le 10 novembre 2006, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il fait valoir que la plainte ne relève pas de la Convention et que le requérant n’a pas montré à première vue, aux fins de la recevabilité, l’existence d’une violation, dans la mesure où les différentes déclarations visées par la communication concernaient non pas des personnes d’une certaine «race, couleur, ascendance ou origine nationale ou ethnique» au sens de l’article premier de la Convention mais des personnes se réclamant d’une religion particulière. L’État partie reconnaît toutefois qu’il est possible d’arguer jusqu’à un certain point que les déclarations visaient des émigrés de la deuxième génération et les mettaient en conflit avec «les Danois», tombant ainsi dans une certaine mesure sous le coup des dispositions de la Convention.

4.2L’État partie affirme également que la partie de la communication relative aux déclarations figurant dans le livre de Mme Frevert est irrecevable en vertu du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention dans la mesure où le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Lorsque le Directeur de la Police de Copenhague a décidé, le 18 octobre 2005, de clore l’enquête sur les faits présumés imputés à Mme Frevert en ce qui concerne la publication de son livre, lerequérant n’a pas fait appel de la décision du procureur public régional. Il n’a donc pas épuisé les recours internes disponibles et la partie de la communication relative aux déclarations figurant dans le livre doit donc être déclarée irrecevable.

4.3Sur le fond, l’État partie conteste qu’il y ait eu violation du paragraphe 1 d) de l’article 2 etdes articles 4 et 6 de la Convention. S’agissant de l’allégation selon laquelle les documents présentés à la police auraient dû l’amener à ouvrir une enquête approfondie, l’État partie fait valoir que l’examen fait par les autorités danoises des allégations de discrimination raciale formulées par le requérant satisfait pleinement aux dispositions de la Convention même s’il n’a pas produit le résultat escompté par le requérant. La Convention ne garantit pas l’aboutissement des plaintes concernant des déclarations insultantes à motivation raciale présumées mais fixe une série de règles devant régir les enquêtes des autorités sur de telles déclarations. L’État partie affirme que ces règles ont été respectées en l’espèce puisque les autorités danoises ont bien pris les mesures voulues en enquêtant sur les allégations faites par le requérant.

Site Web de M me Frevert

4.4L’État partie indique qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 749 de la loi sur l’administration de la justice, la police peut clore une enquête entamée lorsqu’il n’y a pas matière à la poursuivre. Dans les affaires pénales, il incombe au procureur de prouver qu’une infraction pénale a été commise. Il est important, pour garantir une procédure équitable, que les preuves soient assez solides pour que les tribunaux puissent condamner un accusé. En application du paragraphe 2 de l’article 96 de la loi sur l’administration de la justice, les procureurs publics ont l’obligation de respecter le principe d’objectivité. Ils ne peuvent poursuivre une personne que s’ils ont la quasi‑certitude que des poursuites permettront d’obtenir une condamnation. Ce principe vise à protéger les innocents.

4.5L’État partie sait qu’il a le devoir d’ouvrir une enquête lorsque des plaintes portant sur des actes de discrimination raciale sont déposées. Une enquête doit être menée avec la diligence voulue et rapidement, et doit être suffisante pour déterminer si un acte de discrimination raciale aété commis.

4.6L’État partie fait observer qu’après avoir reçu la plainte concernant le site Web de Mme Frevert, la Police de Copenhague a ouvert une enquête. Interrogés, Mme Frevert et M. T. ont tous deux déclaré que le webmestre avait créé le site et qu’il y avait installé les matériels en cause sans qu’elle soit au courant. L’accord était que seuls les articles et contributions approuvés par Mme Frevert seraient publiés sur le site. Par erreur, 35 articles de M. T. non édités ont été publiés sur le site Web sans l’approbation préalable de Mme Frevert. Lorsque l’erreur a été découverte les articles ont été retirés. Le webmestre a été inculpé de violation de l’article 266 b) du Code pénal.

4.7L’État partie affirme que la police a mené une enquête approfondie sur l’affaire. Lorsqu’il s’est avéré que les articles avaient été publiés à l’insu de Mme Frevert, les procureurs publics ont estimé à juste titre qu’il leur serait impossible de prouver qu’elle avait planifié une large diffusion de ses déclarations. Il y avait donc peu de chances qu’une procédure pénale débouche sur sa condamnation et les procureurs publics ont par conséquent décidé de ne pas la poursuivre. Le fait que l’enquête contre M. T. se poursuit montre que la police prend au sérieux les actes de discrimination raciale allégués et enquête dessus de manière approfondie et effective. L’État partie affirme que la police a procédé à une enquête approfondie sur la question, que les matériels en cause ont fait l’objet d’un examen complet et que les arguments du Centre de documentation et de conseil en matière de documentation ont été pris en considération, conformément à l’article 6 de la Convention. L’enquête a révélé que Mme Frevert n’avait pas l’intention de violer l’article 266 b) du Code pénal. Le fait que l’affaire n’ait pas eu le résultat escompté par le requérant ne change rien.

Livre de M me  Frevert

4.8En vertu du paragraphe 1 de l’article 749 et du paragraphe 2 de l’article 742 de la loi sur l’administration de la justice, le procureur public doit déterminer si une infraction pénale passible de poursuites a été commise. S’il n’y a aucune raison de penser qu’une telle infraction a été commise, il rejette la plainte. Le Directeur de la Police de Copenhague a clos l’enquête concernant le livre parce qu’il avait été publié pour susciter un débat public et qu’il ne contenait aucune déclaration pouvant tomber sous le coup de l’article 266 b) du Code pénal. En outre, le Centre n’a pas mentionné dans sa plainte quelles déclarations relevaient selon lui de cette disposition.

4.9L’État partie souligne qu’il n’y avait aucun problème de preuve et la police n’a pas eu besoin de poursuivre l’enquête dans la mesure où elle avait un exemplaire du livre en cause et que Mme Frevert et M. T. ont été tous deux interrogés à ce sujet. L’un et l’autre ont déclaré que lacontribution contestée au livre avait été écrite par M. T. mais avait été éditée et approuvée par Mme Frevert, qui était responsable de la publication du livre. La seule question à laquelle le Directeur de la police devait encore répondre était celle de savoir s’il y avait dans le livre des déclarations qui pouvaient être considérées comme relevant de l’article 266 b) du Code pénal. Après une analyse approfondie du contenu du livre, il a conclu que les déclarations étaient de caractère général et avaient manifestement été publiées dans l’optique du débat politique en vue des élections qui allaient avoir lieu. L’examen juridique ainsi effectué était complet et en bonne et due forme et la manière dont le procureur public a géré l’affaire était conforme aux règles pouvant être déduites du paragraphe 1 d) de l’article 2 et de l’article 6 de la Convention.

Déclarations faites par M me  Frevert au journal Politiken le 30 septembre 2005

4.10L’État partie rappelle que ni la Convention ni la jurisprudence du Comité ne permettent de dire que des poursuites doivent être engagées sur toutes les plaintes adressées à la police, enparticulier lorsqu’il est estimé qu’il n’y a pas matière à engager une procédure. En l’espèce, iln’y avait pas de problème de preuve, dans la mesure où les déclarations avaient été publiées dans un journal en tant que citations des propos de Mme Frevert, et la police n’avait donc pas besoin d’ouvrir une enquête pour déterminer le contenu précis des déclarations ou identifier leur auteur.

4.11L’État partie fait valoir que les procureurs publics ont effectué un examen juridique complet et en bonne et due forme. Ils ont étudié les déclarations en tenant compte du fait qu’elles ont été faites par une femme politique dans le contexte d’un débat politique sur la religion et les immigrants et en établissant un juste équilibre entre la protection du droit à la liberté d’expression, la protection de la liberté de religion et la protection contre la discrimination raciale. Les déclarations doivent être placées dans le contexte dans lequel elles ont été faites, à savoir en guise de contribution à un débat politique sur la religion et les émigrés, indépendamment du fait que le lecteur soit d’accord ou non avec le point de vue de Mme Frevert. Une société démocratique doit permettre un débat sur de tels points de vue, dans certaines limites. Les procureurs ont estimé que les déclarations n’étaient pas criantes au point d’être considérées comme «insultantes ou dégradantes» au sens de l’article 266 b) du Code pénal.

4.12L’État partie affirme que le droit à la liberté d’expression est indispensable pour un représentant élu du peuple. Mme Frevert représente son électorat, appelle l’attention sur ses préoccupations et défend ses intérêts. En conséquence, tout ce qui peut interférer dans l’exercice de la liberté d’expression d’un membre du Parlement comme Mme Frevert requiert un examen méticuleux de la part des procureurs publics. En l’espèce ils ont interprété l’article 266 b) en prenant en considération le contexte dans lequel les déclarations ont été faites et compte dûment tenu du principe fondamental du droit à la liberté d’expression d’un membre du Parlement. L’État partie conclut que la manière dont les procureurs publics ont traité l’affaire est conforme aux principes qui peuvent être inférés du paragraphe 1 d) de l’article 2 et de l’article 6 de la Convention.

4.13L’État partie conclut qu’il n’est pas possible d’inférer de la Convention l’existence d’une obligation d’engager des poursuites dans les situations où il est estimé qu’il n’y a pas matière à intenter une action. La loi sur l’administration de la justice garantit les recours nécessaires requis par laConvention et les autorités compétentes se sont pleinement acquittées en l’espèce de leurs obligations.

Commentaires du requérant

5.1Le 29 décembre 2006, le requérant a commenté les observations de l’État partie. Àpropos de l’argument selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés s’agissant de la plainte relative au livre de Mme Frevert, il est affirmé que le texte de ce livre a aussi été publié sur son site Web. La plainte adressée à la police portait sur l’ensemble du site et pas seulement sur les articles figurant dans la rubrique «Articles que personne n’ose publier». Lorsque la police a interrogé Mme Frevert au sujet du site Web elle ne lui a pas demandé si elle était l’auteur du livre publié en tant que document sur le site. La police a apparemment fondé sa décision sur une infime partie des matériels que contenait le site.

5.2Le requérant reconnaît qu’aucun recours n’a été formé contre la décision de clore l’enquête sur les allégations relatives au livre prise par la Police de Copenhague le 18 octobre 2005. Mais, la veille, une plainte portant également sur le texte du livre avait été déposée contre le site Web. En conséquence un recours contre la décision aurait fait double emploi avec cette plainte qui avait déjà été adressée au bureau du procureur régional. La décision finale du procureur régional en date du 13 décembre 2005 est donc une décision définitive concernant les déclarations publiées sur le site Web et celles que contenait le livre. Le requérant considère donc qu’il a épuisé les recours internes pour toutes les parties de sa plainte.

5.3En réponse à l’argument selon lequel la communication n’entre pas dans le champ d’application de la Convention, le requérant fait valoir que l’islamophobie, à l’instar des attaques contre les juifs, s’est manifestée en tant que forme de racisme dans de nombreux pays européens, dont le Danemark. Après le 11 septembre 2001, les attaques contre les musulmans se sont intensifiées au Danemark. Les membres du Parti populaire danois utilisent des propos haineux en tant que moyen de susciter la haine à l’égard des personnes d’origine arabe et musulmane. Selon eux, culture et religion sont liées dans l’islam. Le requérant fait observer que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale était déjà arrivé à la conclusion que les autorités danoises n’assuraient pas une application effective de la législation pénale en ce qui concerne le discours haineux contre les musulmans et la culture musulmane, en particulier de la part de politiciens. Il se réfère aux conclusions du Comité de 2002 concernant le Danemark:

[«16.] Le Comité s’inquiète des informations portées à sa connaissance selon lesquelles un grand nombre d’arabes et de musulmans seraient victimes de harcèlement depuis le 11 septembre 2001. Il recommande à l’État partie de suivre de près cette situation, de prendre des mesures énergiques en vue de protéger les droits des victimes et de punir les auteurs de tels actes, et d’en rendre compte dans son prochain rapport périodique.»

[«11.] Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour lutter contre les crimes dictés par la haine, mais est préoccupé par l’augmentation du nombre d’infractions pénales commises pour des motifs raciaux et du nombre de plaintes dénonçant des propos haineux. Le Comité est également préoccupé par les discours haineux tenus par certains hommes politiques au Danemark. Il prend note des données statistiques qui lui ont été communiquées concernant les plaintes déposées et les poursuites engagées en application de l’article 266 b) du Code pénal, mais constate que le ministère public n’a pas engagé de procédure dans certaines affaires, notamment dans l’affaire de la publication de certains dessins associant islam et terrorisme (art. 4 a) et 6))» (non souligné dans le texte original).

5.4Sur le fond, le requérant se réfère au fait que Mme Frevert n’a pas été jugée responsable des matériels publiés sur le site Web. Or dans l’interview ci‑dessus, le journaliste a cité l’article et lui a demandé «Vous affirmez qu’il est permis par le Coran de violer des filles danoises?» Elle a répondu: «Je dis que le Coran permet d’utiliser les femmes comme on veut». Le journaliste lui a donné la possibilité de se rétracter mais elle a déclaré ce qui suit: «J’ai tout à fait le droit de l’écrire. J’ai le droit d’écrire ce que je veux. S’ils violent et tuent d’autres personnes comme ils le font…». Le requérant considère que ces déclarations sont insultantes et que les tribunaux danois devraient établir un équilibre entre le droit à la liberté d’expression des politiciens et l’interdiction des discours haineux. En s’abstenant de porter l’affaire devant les tribunaux, les autorités ont violé les articles 2, 4 et 6 de la Convention.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une communication quant au fond, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale doit, conformément à l’article 91 de son règlement intérieur, décider si la communication est recevable ou non en vertu de la Convention.

6.2Le Comité note l’objection de l’État partie selon laquelle la demande de l’auteur est en dehors du champ de la Convention, parce que les déclarations en question s’adressent à des personnes d’une religion ou d’un groupe religieux particulier, et non à des personnes d’une «race, couleur, ascendance ou origine nationale ou ethnique». Il note aussi l’affirmation de l’auteur selon laquelle les propos incriminés s’adressaient en fait à des personnes musulmanes ou d’origine arabe. Le Comité observe cependant qu’en l’espèce les propos incriminés se rapportent spécifiquement au Coran, à l’islam et aux musulmans en général, sans aucune référence particulière à la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique. Alors que les éléments matériels du dossier ne permettent pas au Comité d’analyser et de vérifier les intentions des déclarations litigieuses, il est clair qu’aucun groupe national ou ethnique n’était directement visé en tant que tel par ces déclarations orales, telles qu’elles ont été rapportées et publiées. En l’espèce, le Comité note que les musulmans vivant dans l’État partie sont d’origines diverses et hétérogènes. Ils sont originaires d’au moins 15 pays différents, sont d’origines nationales et ethniques diverses, et sont composés de non-ressortissants, et de citoyens danois, y compris des danois convertis à l’islam.

6.3Le Comité reconnaît l’importance de l’interface entre race et religion et considère qu’il serait compétent pour examiner des cas de «double» discrimination basée sur la religion, ainsi qu’un autre fondement spécifiquement prévu par l’article 1er de la Convention, par exemple l’origine nationale ou ethnique. Tel n’est cependant pas le cas dans la présente communication qui est liée exclusivement à la discrimination fondée sur la religion. Le Comité rappelle que la Convention ne s’applique pas aux cas de discrimination sur la seule base de la religion, et que l’islam n’est pas une religion pratiquée par un groupe unique, qui pourrait être autrement identifié par la «race, couleur, ascendance ou origine nationale ou ethnique». Les travaux préparatoires de la Convention révèlent que la Troisième Commission de l’Assemblée générale a rejeté la proposition d’inclure la discrimination raciale et l’intolérance religieuse dans un seul et même instrument, et a décidé que la Convention devait seulement traiter de la discrimination raciale.En conséquence il ne fait pas de doute que l’intention des rédacteurs de la Convention n’a pas été de couvrir la discrimination basée exclusivement sur la religion.

6.4Le Comité rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Quereshi c. Danemark, aux termes de laquelle «une allusion générale aux étrangers ne désigne pas à l’heure actuelle un groupe spécifique de personnes, contrairement à l’article premier de la Convention, défini par une race, une appartenance ethnique, une couleur, une ascendance ou une origine nationale ou ethnique spécifique». De même, dans ce cas particulier, il considère que la référence aux musulmans ne singularise pas un groupe en particulier en violation de l’article 1er de la Convention. Il en conclut que cette communication ne relève pas du champ d’application de la Convention et la déclare irrecevable ratione materiae au regard de l’article 14, paragraphe 1 de la Convention.

6.5Quoique le Comité considère qu’il ne ressort pas de sa compétence d’examiner la présente communication, il note le caractère offensant des déclarations incriminées et rappelle que le droit à la liberté d’expression comporte aussi des devoirs et responsabilités. Il saisit cette opportunité pour rappeler ses observations finales suite à la considération des rapports de l’État partie en 2002 et 2006, dans lesquelles il a fait des commentaires et des recommandations à propos: a) de l’augmentation considérable des rapports de cas généralisés de harcèlement des populations d’origine arabe et de religion musulmane depuis le 11 septembre 2001; b) l’augmentation d’infractions motivées par des considérations raciales; et c) l’augmentation du nombre de plaintes pour des propos incitatifs à la haine, y compris par des politiciens de l’État partie.Il encourage également l’État partie à donner suite à ses recommandations et à lui faire parvenir des informations pertinentes sur les préoccupations susmentionnées dans le cadre de la procédure de suivi aux observations finales.

7.Le Comité sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale décide en conséquence:

a)Que la communication est irrecevable selon les dispositions de l’article 14, paragraphe 1, de la Convention;

b)Que cette décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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