Nations Unies

CRC/C/89/D/73/2019

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

22 mars 2022

Original : français

Comité des droits de l’enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 73/2019 * , **

Communication présentée par :

K. K. et R. H. (représentés par un conseil, Bruno Soenen)

Victime(s) présumée(s) :

A. M. K. et S. K.

État partie :

Belgique

Date de la communication :

30 janvier 2019 (date de la lettre initiale)

Date de s constatations :

4 février 2022

Objet :

Détention administrative ; expulsion vers l’Arménie

Question(s) de procédure :

Épuisement des voies de recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Intérêt supérieur de l’enfant ; privation de liberté

Article(s) de la Convention :

3, 24, 27, 28, 29, 31 et 37

Article(s) du Protocole facultatif :

7 (al. e) et f))

1.1Les auteurs de la communication sont K. K., né le 16 février 1982, et R. H., née le 17 août 1992, tous deux de nationalité arménienne. Ils présentent la communication au nom de leurs deux filles, nées en Belgique : A. M. K., née le 9 janvier 2011, et S. K., née le 3 septembre 2016. Les auteurs soutiennent d’une part que leurs enfants, de par leur détention, sont victimes de la violation par l’État partie de l’article 37 de la Convention, lu seul et conjointement avec les articles 3, 24, 28, 29 et 31, et d’autre part, que leur expulsion vers l’Arménie violerait l’article 27 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 août 2014.

1.2Le 4février 2019, conformément à l’article6 du Protocole facultatif, le Comité, agissant par l’intermédiaire du groupe de travail des communications, a demandé à l’État partie de libérer les auteurs et leurs enfants du centre de détention de migrants,mais a rejeté leur demande de suspendre leur renvoi vers l’Arménie.

1.3Au cours de sa quatre-vingt-cinquième session, le Comité a décidé de ne pas rayer l’affaire du rôle avant d’obtenir de l’État partie la garantie qu’il se conformerait à la décision du Médiateur fédéral.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont de nationalité arménienne et vivent en Belgique depuis 2009. À leur arrivée, ils ont sollicité l’asile mais leur demande a été rejetée en décembre 2010. En janvier 2011, ils ont introduit un recours en annulation à l’encontre de cette décision, rejeté en avril 2011 par le Conseil du contentieux des étrangers. L’Office des étrangers leur a donc délivré, en octobre 2012, un ordre de quitter le territoire. Les auteurs ont présenté un recours contre cet ordre, rejeté en février 2013.

2.2Parallèlement à la procédure de protection internationale, les auteurs ont introduit en juillet 2010 une demande d’autorisation de séjour pour motifs médicaux, fondée sur l’article 9 ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Cette demande a été déclarée par l’Office des étrangers recevable, mais non fondée en octobre 2010, décision confirmée en septembre 2011. Les auteurs ont présenté une deuxième demande d’autorisation de séjour pour motifs médicaux en mars 2012, déclarée irrecevable en juin 2012 ; un recours en annulation devant le Conseil du contentieux des étrangers a été rejeté en octobre 2012. Une troisième demande d’autorisation de séjour pour motifs médicaux a été introduite en janvier 2013, également déclarée irrecevable. À cette occasion, l’Office des étrangers a délivré aux auteurs une interdiction d’entrée sur le territoire.

2.3Les auteurs ont par ailleurs présenté en janvier 2013 une demande de régularisation, fondée sur l’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980 ; cette demande a été déclarée irrecevable en octobre 2013. En mai 2018, ils ont présenté une seconde demande de régularisation fondée sur cet article, également déclarée irrecevable en décembre 2018.

2.4Dans l’intervalle de ces diverses procédures de demande d’asile, d’autorisation de séjour pour motifs médicaux et de demande de régularisation, les auteurs ont mis au monde leurs deux enfants, en 2011 et 2016.

2.5Le 8 janvier 2019, à 5 h 30 du matin, la famille a été arrêtée à son domicile, s’est vu notifier un nouvel ordre de quitter le territoire puis a été conduite vers une « maison familiale » au sein d’un centre fermé pour étrangers proche de l’aéroport international de Zaventem, à Bruxelles.

2.6Le 14 janvier 2019, les auteurs ont introduit un recours en suspension d’extrême urgence devant le Conseil du contentieux des étrangers à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire ; ce recours a été rejeté le 18 janvier 2019.

2.7Le 16 janvier 2019, les auteurs ont également introduit devant le Conseil du contentieux des étrangers une requête de suspension et d’annulation de la décision qui avait été rendue en décembre 2018 d’irrecevabilité de leur seconde demande de régularisation et, le 21 janvier 2019, ils ont accompagné cette requête d’une demande de mesures provisoires afin de solliciter en extrême urgence la suspension de cette décision d’irrecevabilité ; cette requête a été rejetée le 23 janvier 2019.

2.8Le 21 janvier 2019, les auteurs ont introduit une requête de mise en liberté devant la chambre du conseil d’Anvers ; elle a été rejetée le 28 janvier 2019. Les auteurs interjetteront appel devant la chambre des mises en accusation ; cet appel sera également rejeté.

2.9Dans l’attente de la résolution de la chambre du conseil d’Anvers, les auteurs avaient également présenté, le 23 janvier 2019, une requête unilatérale auprès du tribunal de première instance d’Anvers, demandant d’interdire l’éloignement de la famille avant une décision définitive quant à leur détention. Cette requête a été déclarée recevable le 24 janvier 2019, accordant la suspension du rapatriement dans l’attente d’une décision définitive de la chambre du conseil d’Anvers quant à la requête de mise en liberté. L’Office des étrangers a présenté une tierce opposition, à laquelle le tribunal a fait droit. Puis, le tribunal a estimé que, la chambre du conseil s’étant prononcée négativement sur la requête de mise en liberté, la suspension de l’exécution de la mesure d’éloignement devait être levée.

2.10Dans un rapport du 25 janvier 2019, un psychiatre infanto-juvénile notait que l’aînée souffrait de sa détention, constatant « les prémices des répercussions pathologiques majeures de l’enfermement sur le développement psychique, narcissique et identitaire [d’A. M. K.] et dont les dommages ne pourront qu’être exponentiels en fonction de la durée de celui-ci ainsi qu’en fonction de l’issue potentiellement surtraumatique de l’expulsion ».

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que les recours disponibles ont été épuisés pour chacun des deux griefs, à savoir la détention et l’expulsion. Concernant les recours pour le premier grief, ils précisent que les décisions de privation de liberté peuvent faire l’objet d’un recours devant une juridiction répressive, la chambre du conseil, et, en appel, devant la chambre des mises en accusation. Cependant, ces recours ne sont pas suspensifs et n’empêchent donc pas la mise en œuvre d’une mesure d’éloignement du territoire. En l’espèce, la famille a introduit une requête de mise en liberté devant la chambre du conseil d’Anvers pour contester sa détention. Par suite de son rejet par la chambre du conseil, qui a estimé que la détention des enfants était légale, la famille a fait appel devant la chambre des mises en accusation. Les auteurs indiquent que les enfants ne disposent pas d’un recours effectif, car ces recours ne permettent pas d’empêcher une expulsion.

3.2Concernant les recours pour le second grief, l’expulsion, les auteurs précisent que les décisions de fin de séjour et d’éloignement peuvent faire l’objet d’un recours devant des juridictions administratives, le Conseil du contentieux des étrangers et le Conseil d’État en cassation administrative. En l’espèce, une requête en extrême urgence a été introduite contre l’ordre de quitter le territoire, mais rejetée par le Conseil du contentieux des étrangers.

Grief relatif à la détention pour motif migratoire : droit à la liberté ; droit à un recours effectif en cas de privation de liberté ; incidence sur d’autres droits

3.3Les auteurs indiquent que, depuis l’adoption de l’arrêté royal du 22 juillet 2018, des familles avec enfants peuvent être enfermées pour motifs migratoires. Ils soutiennent que cela est contraire à la Convention, car le droit à la liberté est un droit fondamental qui ne peut souffrir d’exception pour motif migratoire.

3.4Les auteurs soutiennent par ailleurs que la mesure de détention n’était pas de dernier ressort, car aucune mesure moins attentatoire à leurs droits fondamentaux n’a été mise en place auparavant. Ils précisent qu’il existait la possibilité pour eux de devoir se présenter régulièrement auprès des autorités, de préparer leur retour depuis leur domicile, ou encore d’être placés en « maison de retour » ouverte, mesure de substitution à l’enfermement.

3.5Les auteurs indiquent aussi que leur détention est trop longue, puisqu’ils sont détenus depuis trois semaines et deux jours.

3.6Par ailleurs, l’intérêt des enfants n’aurait pas été pris en compte lors de l’arrestation de la famille et de leur mise en détention dans un centre fermé.

3.7Finalement, les auteurs soutiennent que la détention porte atteinte à de nombreux autres droits, notamment ceux protégés par l’article 3 (par. 3) de la Convention ; l’article 24 (par .1) relatif au meilleur état de santé possible, les enfants souffrant gravement de la pollution atmosphérique et sonore causée par la proximité de l’aéroport, ce qui exerce une pression constante sur la famille, et la réglementation ne prévoyant pas la présence d’un pédiatre au sein du centre fermé ; les articles 28 (par. 1) et 29 (par. 1) relatifs au droit à l’éducation ; et l’article 31 relatif au droit au repos et aux loisirs et au droit de participer pleinement à la vie culturelle et artistique.

Grief relatif à l’expulsion : droit à un niveau de vie suffisant permettant un développement physique, mental et social

3.8Les auteurs soutiennent également que l’expulsion des enfants vers un pays qu’ils ne connaissent pas et que leurs parents ont quitté il y a presque dix ans constituerait une violation de leur droit à un niveau de vie suffisant permettant un développement physique, mental et social, étant donné que, n’ayant plus aucune attache en Arménie, toute la famille serait versée dans la pauvreté, sans accès à un logement et à des moyens de subsistance.

Réparations

3.9Les auteurs sollicitent la mise en place d’un soutien pédopsychiatrique pour leurs enfants, ainsi qu’un dédommagement pour les préjudices subis évalués à 10 000 euros par enfant.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

Clarification des faits

4.1Le 5 août 2019, l’État partie a clarifié les faits tels qu’ils sont présentés par les auteurs, précisant qu’auparavant, un placement avait déjà été réalisé en maison de retour ouverte, les auteurs ayant fait l’objet d’un premier rapport administratif de contrôle en 2014 constatant leur séjour irrégulier sur le territoire et l’Office des étrangers leur ayant ainsi délivré un ordre de quitter le territoire. Cependant, la famille s’était enfuie de cette maison de retour ouverte. Pour cette raison, lorsque les auteurs ont fait l’objet du second rapport administratif de contrôle constatant à nouveau leur séjour irrégulier sur le territoire, et que l’Office des étrangers a délivré un nouvel ordre de quitter le territoire avec maintien en vue de l’éloignement et une interdiction d’entrée, la famille a été transférée dans une maison familiale située dans l’enceinte du centre fermé, puisque le risque de fuite − tel que le définit la réglementation − était constitué. À ce sujet, la chambre du conseil, examinant la légalité de la détention par suite du recours des auteurs, a observé que la détention était légale car, par le passé, les auteurs s’étaient échappés d’une maison de retour avec intention de se cacher.

4.2L’État partie précise aussi que, le 9 janvier 2019, au lendemain de leur placement en maison familiale, les membres de la famille ont été examinés par un médecin qui a constaté que leur état de santé n’empêchait pas leur éloignement vers le pays d’origine et qu’il n’était pas contraire à leur maintien dans une maison familiale en centre fermé. Une autre évaluation de l’impact de la détention sur les auteurs a été réalisée le 16 janvier 2019, observant que la famille fonctionnait correctement.

4.3Ce même jour, une première tentative de rapatriement devait avoir lieu, mais elle a été annulée en raison de l’introduction par les auteurs d’un recours en extrême urgence à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire. Pour cette raison, le 21 janvier 2019, le Directeur général du centre a communiqué par écrit les raisons de la prolongation du maintien de la famille dans la maison familiale.

4.4Les 24 et 30 janvier et 2 février 2019, trois nouvelles tentatives de rapatriement ont été annulées car les auteurs ont introduit divers recours, dont une demande de protection internationale, et ce, après la présentation de la communication au Comité. C’est en raison de ces recours que l’Office des étrangers a délivré une décision de maintien en centre fermé.

4.5Le 5 février 2019, lendemain de l’adoption de mesures provisoires par le Comité, les auteurs ont été transférés dans une maison de retour ouverte, une solution de substitution à l’enfermement.

4.6Le 11 février 2019, les auteurs ont déposé une deuxième requête de mise en liberté devant la chambre du conseil d’Anvers, déclarée irrecevable le 15 février 2019. Les auteurs ont fait appel de cette ordonnance ; l’appel a été rejeté le 15 mars 2019.

4.7Le 22 février 2019, les auteurs ont déposé une autre requête de mise en liberté devant la chambre du conseil d’Anvers, qui a également été déclarée irrecevable le 1er mars 2019.

4.8Le 11 mars 2019, la demande de protection internationale introduite après la présentation de la communication au Comité a été déclarée irrecevable.

4.9Le 5 avril 2019, les auteurs ont été libérés de la maison de retour et sont rentrés vivre dans leur domicile.

Recevabilité

4.10L’État partie soutient que la communication doit être considérée comme irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, aussi bien pour le grief concernant la détention que pour celui concernant l’expulsion. Concernant la détention, il constate que les auteurs ont été placés en centre fermé le 8 janvier 2019 et qu’une première requête de mise en liberté a été déposée auprès de la chambre du conseil d’Anvers le 21 janvier 2019 seulement, soit après la prolongation de la première période de quinze jours de détention. La détention initiale n’a donc fait l’objet d’aucune contestation par les auteurs, et la communication doit ainsi être déclarée irrecevable. Concernant l’expulsion, si les auteurs ont introduit une requête unilatérale devant le tribunal de première instance d’Anvers, lorsque le tribunal y a fait droit et que l’État partie a introduit une tierce opposition, elle a été accueillie par le tribunal sans que les auteurs aient jugé opportun d’interjeter appel, ces derniers n’ont donc pas épuisé les voies de recours internes.

Fond

4.11L’État partie précise ensuite qu’en droit belge, la possibilité de détenir des enfants en centre fermé dans le contexte de la migration est prévue par la loi, et que la Cour constitutionnelle a eu l’occasion de rappeler que, l’article 37 de la Convention n’interdisant pas de manière absolue la détention de mineurs, cette dernière peut avoir lieu si elle se fait conformément à la loi et pour autant qu’elle ne soit pas arbitraire, si elle est décidée en dernier ressort, pour une durée aussi brève que possible et si les familles avec enfants sont placées dans un centre adapté aux besoins des enfants. Ainsi, la Cour constitutionnelle a jugé que, sous réserve de ces conditions, la législation autorisant la détention de familles avec enfants mineurs était légale et respectait leurs droits fondamentaux.

4.12Ainsi, l’État partie soutient que l’argument des auteurs selon lequel les enfants mineurs ne peuvent jamais être détenus pour des motifs migratoires n’est pas valable, l’article 37 de la Convention n’interdisant pas de manière absolue la détention de mineurs et ne comportant aucune opposition à une détention pour motif migratoire. L’État partie rappelle aussi l’observation générale no 35 (2014) du Comité des droits de l’homme, qui précise que le droit à la liberté n’est pas un droit absolu, et que la détention pendant une procédure aux fins de contrôle de l’immigration n’est pas en soi arbitraire mais doit être justifiée, raisonnable, nécessaire et proportionnée compte tenu de toutes les circonstances, et doit être réévaluée si elle se poursuit. En particulier, les enfants ne peuvent être privés de liberté qu’en dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible, et leur intérêt supérieur doit être une considération primordiale. L’État partie renvoie aussi à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en vertu de laquelle un mineur peut être détenu, dans certaines circonstances, si une procédure d’expulsion est en cours.

4.13Appliquant ces standards internationaux à la présente espèce, l’État partie commence par rappeler qu’il n’appartient pas au Comité de se substituer aux autorités nationales dans l’interprétation de la loi nationale et l’appréciation des faits et des preuves, mais de vérifier l’absence d’arbitraire ou de déni de justice dans l’appréciation des autorités, et de s’assurer que l’intérêt supérieur de l’enfant ait été une considération primordiale dans cette appréciation. En l’espèce, la détention des auteurs ayant été examinée par les juridictions d’instruction qui ont conclu à sa légalité sans que les auteurs invoquent de déni de justice ou d’appréciation arbitraire dans les décisions des autorités nationales, l’État partie soutient que ce grief doit être rejeté. À titre subsidiaire, il soutient que les auteurs n’expliquent pas en quoi la détention serait illégale ou arbitraire, et rappelle qu’ils n’ont pas introduit de requête de mise en liberté pour la première période de détention.

4.14L’État partie soutient également que la mesure de détention était bien de dernier ressort. En ce sens, les auteurs s’étaient vu délivrer trois ordres de quitter volontairement le territoire. Après avoir constaté leur refus de se rendre volontairement dans leur pays d’origine, l’Office des étrangers avait délivré un ordre de quitter le territoire comportant une mesure de contrainte lui permettant de placer les auteurs dans une maison de retour, ouverte, qui constitue une mesure de substitution à la détention des familles avec enfants mineurs. Les auteurs s’étaient enfuis de la maison de retour. Lorsque l’Office des étrangers les a de nouveau interpellés, il a choisi de les placer dans une maison familiale, située dans l’enceinte d’un centre fermé, au motif que la famille s’était précédemment enfuie d’une maison de retour ouverte. En ce sens, la réglementation prévoit qu’« [e]n cas de non-coopération au refoulement ou à la reprise ou à l’éloignement effectif, la famille peut faire l’objet d’un maintien en détention dans un centre fermé ». Cette dernière décision, pour laquelle le Comité a été saisi, constitue donc une mesure de dernier ressort puisque les auteurs avaient déjà bénéficié d’une mesure de substitution à leur enfermement. En outre, les auteurs ne pouvaient pas non plus être maintenus dans leur domicile, car ils ne remplissaient pas les critères établis par la loi, les parents ayant été soumis à une interdiction d’entrée sur le territoire. L’État partie précise également que cette dernière décision est une mesure de retour au sens de l’article 6 de la directive européenne 2008/115/CE du 16 décembre 2008.

4.15Concernant le fait que les procédures ne seraient pas adaptées aux enfants, l’État partie soutient qu’un délai de cinq jours pour statuer sur la détention ne peut être considéré comme déraisonnablement long. En l’espèce, les juridictions ont statué dans un délai d’urgence, et les auteurs n’ont pas jugé utile de déposer rapidement leur requête de mise en liberté, ayant engagé cette procédure deux semaines après le début de la détention. Le fait que les délais dont elles disposent sont identiques pour les adultes et les enfants n’empêche pas les juridictions de travailler avec diligence et dans l’urgence que justifie la détention d’un individu.

4.16Concernant la durée de la détention, l’article 13 de l’arrêté royal du 22 juillet 2018 prévoit qu’une famille avec enfants mineurs ne peut être maintenue que « pour un délai le plus court possible, qui ne peut dépasser deux semaines » et qui ne peut être prolongé que « pour une durée maximale de deux semaines » et qu’à certaines conditions, dont l’absence d’impact de la détention sur l’intégrité physique et psychique du mineur. La réglementation prévoit donc expressément que la durée de la détention doit être la plus courte possible, la durée de deux semaines n’étant pas la règle et la possibilité d’une prorogation étant exceptionnelle et conditionnée au respect de divers critères. En l’espèce, un rapport a été dressé par la direction du centre pour se prononcer sur l’opportunité de prolonger la détention des enfants. Ce rapport a observé qu’ils s’étaient parfaitement intégrés à la vie du centre : l’aînée prenait part aux activités organisées par le centre, participait aux cours dispensés au sein du centre, suivant également des cours de logopédie, était souriante et se dirigeait spontanément vers les membres de l’équipe − selon l’État partie, les auteurs ont donc eu l’occasion de bénéficier d’un suivi médical et psychologique pendant la durée de la détention. Auparavant, un rapport psychologique daté du 16 janvier 2019 avait précisé que la famille semblait fonctionner correctement. C’est donc sur la base de ces éléments et de la démonstration que les enfants ne souffraient pas de la détention que la prolongation a été décidée par l’Office des étrangers.

4.17En outre, l’État partie estime que la durée de la détention, à supposer qu’elle soit trop importante, résulte du comportement des auteurs et non de l’attitude des autorités nationales, puisqu’un premier rapatriement était prévu huit jours après le début de la détention. Si celle‑ci s’est prolongée, c’est uniquement en raison de l’acharnement procédural des auteurs, qui ont introduit au dernier moment des procédures en extrême urgence ainsi qu’une demande de protection internationale, impliquant pour les autorités de devoir annuler le rapatriement. En ce sens, la législation nationale et la réglementation européenne prévoient la possibilité de maintenir en rétention un demandeur de protection internationale pendant l’examen de sa demande, notamment quand l’étranger l’a introduite dans l’objectif d’empêcher ou de retarder son rapatriement ou lorsqu’il y a risque de fuite.

4.18L’État partie soutient également que l’intérêt supérieur des enfants a été pris en compte à chaque étape de la procédure : avant l’arrestation de la famille, l’Office des étrangers lui a donné trois fois la possibilité de quitter volontairement le territoire belge pour éviter la procédure de rapatriement forcé. En raison de son refus de se conformer volontairement à l’obligation de quitter le territoire, la famille a reçu un ordre de quitter le territoire avec, cette fois-ci, placement dans une maison de retour, lieu d’hébergement ouvert créé spécifiquement pour les familles avec enfants. Cependant, la famille s’est échappée de cette maison de retour. L’Office des étrangers n’avait ainsi plus d’autre solution que de la placer dans une maison familiale établie dans l’enceinte d’un centre fermé.

4.19Concernant la supposée violation d’autres droits, l’État partie indique que les maisons familiales établies dans l’enceinte du centre fermé garantissent un développement adapté des enfants durant le temps de leur détention : la maison, qui est entièrement réservée à la famille, est totalement à l’écart des autres détenus, avec accès à des espaces communs ; elle est de plus pourvue du mobilier et des équipements nécessaires, dont des chambres en nombre suffisant et une cuisine. Le psychiatre a d’ailleurs souligné que la maison familiale était confortable, spacieuse et lumineuse, et que l’insonorisation était optimale. La famille peut faire appel au service médical quotidiennement et un psychologue est présent. Concernant l’éducation, l’aînée de la famille participe à des cours adaptés à son âge. La pollution atmosphérique avancée par les auteurs concerne les différentes communes situées autour de l’aéroport, dont les nombreuses habitations et une école primaire qui se trouvent à proximité. Les auteurs, qui n’ont séjourné que très temporairement à proximité de l’aéroport, ne démontrent aucunement que cette pollution aurait eu des effets néfastes sur leur état de santé. Concernant le bruit soulevé par les auteurs en raison de la proximité avec l’aéroport, l’État partie indique qu’une étude indépendante a démontré que, depuis l’extérieur, le bruit des avions était de 58 décibels à l’atterrissage et de 68 décibels au décollage, ce qui respecte la réglementation ; à l’intérieur, le bruit est réduit par l’isolation acoustique. Les auteurs avaient également la possibilité d’utiliser des casques antibruit à l’extérieur ; des bouchons d’oreilles étaient en outre à leur disposition. L’État partie indique aussi que dans le cadre de la délivrance du permis d’urbanisme, la question environnementale a été examinée et les maisons familiales ont été construites en zone constructible. Ainsi, les nuisances sonores ne sont en rien comparables avec celles qui ont donné lieu à des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.

4.20Concernant les allégations de violation du droit à un niveau de vie suffisant en raison de l’expulsion en Arménie, l’État partie observe que le Comité a rejeté la demande de mesures provisoires visant à suspendre le renvoi des auteurs vers leur pays d’origine, et que les auteurs n’ont déposé aucune pièce tendant à démontrer l’existence d’un risque réel de violation de l’article 27 de la Convention.

Informations supplémentaires des parties

Les auteurs

5.1Le 24 février 2020, après trois relances du secrétariat du Comité pour que les auteurs présentent leurs commentaires aux observations formulées par l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication, leur conseil a simplement confirmé qu’ils étaient rentrés vivre dans leur domicile dans l’État partie.

5.2Le 5 juin 2020, le conseil des auteurs a informé le Comité que, le 3 juin 2020, le Médiateur fédéral avait déclaré, à la suite d’une plainte des auteurs à l’encontre de l’Office des étrangers, que leur détention sans mesure de substitution avait été préjudiciable. Précisant que l’avis du Médiateur fédéral n’était pas une décision de justice, celui-ci n’ayant pas de compétence judiciaire, le conseil a demandé au Comité de poursuivre l’examen de la communication.

L’État partie

6.1Le 1er février 2021, l’État partie a porté à la connaissance du Comité que, le 1er mars 2019, A. M. K. avait pour la première fois introduit en son propre nom une demande de régularisation sur la base de l’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980, et qu’elle avait obtenu une autorisation de séjour le 21 septembre 2020 de manière à pouvoir poursuivre sa scolarisation.

6.2Le 8 décembre 2020, S. K. a également introduit une demande de régularisation, actuellement à l’étude.

6.3Concernant l’avis du Médiateur fédéral, l’État partie rappelle tout d’abord que de tels avis ne sont que de simples recommandations, sans force contraignante. La juridiction compétente, à savoir la chambre du conseil, a examiné la légalité de la détention et cette décision judiciaire ne peut être remise en cause par un avis du Médiateur fédéral.

6.4L’État partie précise qu’il ne partage pas l’avis du Médiateur fédéral. Les auteurs ont été détenus en centre fermé du 8 janvier au 5 février 2019, une durée qui ne dépasse pas celle établie par la législation interne. En outre, les auteurs ont été examinés par un médecin dont le rapport, favorable au maintien en détention, n’a pas été contesté par les auteurs. L’État partie réitère que l’intérêt supérieur des enfants a correctement été pris en compte, et que la détention a bien été de dernier ressort, ayant fait suite à trois ordres de quitter le territoire sans mesure de contrainte, puis à un placement en maison de retour de laquelle la famille s’est échappée le lendemain avec l’intention de se cacher. L’État partie observe que le Médiateur fédéral passe sous silence l’absence de volonté de la famille de se conformer à la législation.

6.5Par ailleurs, l’État partie informe le Comité que, le 1er octobre 2020, le Conseil d’État a finalement tranché dans le cadre de la procédure en annulation introduite à l’égard de l’arrêté royal du 22 juillet 2018 : il a jugé que les maisons familiales en centre fermé, prévues par l’arrêté royal attaqué, respectaient bien les obligations positives découlant des normes internationales en matière de détention d’enfants pour motif migratoire. En particulier, l’arrêt n’a pas annulé la disposition sur le délai de détention ; il a annulé trois dispositions : une première qui permettait de restreindre l’accès des familles aux espaces extérieurs ; une deuxième qui permettait au personnel des centres de pénétrer dans les maisons familiales sans condition, entre 6 heures et 22 heures ; et une troisième qui permettait d’isoler pendant vingt-quatre heures un adolescent de plus de 16 ans qui engendrait une menace pour la sécurité.

6.6Finalement, concernant les mesures de réparation demandées par les auteurs, l’État partie indique que : a) l’expulsion ne va pas avoir lieu, A. M. K. bénéficiant d’un titre de séjour et la demande de régularisation de S. K. étant en voie de résolution ; b) A. M. K. bénéficie de l’aide sociale et peut donc solliciter une aide psychologique, et S. K. a droit à une aide médicale qui couvre les soins de nature préventive comme curative ; et c) la compensation financière de 10 000 euros par enfant ne peut être retenue, le supposé préjudice sur l’intégrité physique et psychique n’ayant pas été étayé ni démontré. À ce sujet, l’État partie précise que d’autres études sur le bruit réalisées par des experts indépendants ont conclu que tous les résultats de mesure satisfaisaient à la réglementation, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur des maisons familiales et des maisons de retour, s’accordant largement avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé − établies, en outre, par rapport à une exposition sur le long terme, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Les auteurs

7.Le 6 février 2021, le conseil des auteurs a informé le Comité que, le 15 janvier 2021, le Conseil du contentieux des étrangers avait annulé l’ordre de quitter le territoire et l’interdiction d’entrée sur le territoire.

L’État partie

8.1Le 18 mars 2021, l’État partie a précisé que l’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers, précédemment mentionné, faisait observer que, postérieurement aux ordres de quitter le territoire et d’interdiction d’entrée, la fille aînée des auteurs avait été autorisée au séjour, étant soumise à l’obligation scolaire. Ainsi, en considération de son intérêt supérieur au droit au respect de la vie privée et familiale, l’arrêt indiquait qu’il n’était plus possible de soutenir qu’elle doive suivre la situation administrative de ses parents ; pour éviter la rupture des liens familiaux, toute la famille était donc autorisée à rester sur le territoire de l’État partie.

8.2L’État partie précise que cet arrêt annulant les ordres de quitter le territoire et l’interdiction d’entrée ne remet aucunement en cause la légalité de ces décisions au moment où elles ont été adoptées : ce sont des événements postérieurs − la demande et l’octroi d’un titre de séjour − qui modifient la motivation de l’arrêt.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

9.2Le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels la communication est irrecevable au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif, car les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes, n’ayant pas, d’une part, déposé de requête de mise en liberté pour la première période de détention de quinze jours, et d’autre part, interjeté appel de l’ordonnance du tribunal de première instance d’Anvers qui a accueilli la tierce opposition de l’État partie après que ce tribunal eut sollicité la suspension du rapatriement. Le Comité prend toutefois note des arguments des auteurs selon lesquels ils ont introduit tous les recours disponibles, même si ces recours n’avaient pas vocation à empêcher une expulsion.

9.3Le Comité observe que les auteurs, qui ont été détenus à partir du 8 janvier 2019, ont introduit le 21 janvier 2019 une requête de mise en liberté devant la chambre du conseil d’Anvers, et que, par suite de son rejet, ils ont fait appel devant la chambre des mises en accusation. Concernant l’expulsion, le Comité observe que : a) le 14 janvier 2019, les auteurs ont introduit devant le Conseil du contentieux des étrangers un recours en suspension d’extrême urgence à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire ; b) le 16 janvier 2019, ils ont introduit devant ce même conseil une requête de suspension et d’annulation du rejet de leur demande de régularisation ; et c) le 23 janvier 2019, ils ont présenté une requête unilatérale auprès du tribunal de première instance d’Anvers demandant d’interdire leur éloignement. À ce sujet, le Comité observe également que, bien que les auteurs n’aient pas interjeté appel de l’ordonnance du tribunal de première instance d’Anvers qui a accueilli la tierce opposition de l’État partie après que ce tribunal eut sollicité la suspension du rapatriement, le tribunal a finalement estimé que, la chambre du conseil s’étant entre-temps prononcée négativement sur la requête de mise en liberté, la suspension de l’exécution de la mesure d’éloignement devait être levée. Le Comité rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes n’impose pas aux auteurs une obligation d’épuiser absolument tous les recours internes existants, sinon qu’elle a pour objet de permettre aux autorités nationales de se prononcer sur les griefs des auteurs. De même, dans le contexte d’une expulsion imminente, un recours qui ne suspend pas l’exécution de l’ordre d’expulsion ne saurait être considéré comme utile. En l’espèce, le Comité observe que les autorités de l’État partie ont eu l’occasion de se prononcer tant sur la détention que sur l’expulsion. En conséquence, le Comité considère que la communication doit être déclarée recevable au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif.

9.4Le Comité prend note du grief que les auteurs tirent de l’article 27 de la Convention, selon lequel l’expulsion des enfants vers un pays qu’ils ne connaissent pas et que leurs parents ont quitté il y a presque dix ans constituerait une violation de leur droit à un niveau de vie suffisant permettant un développement physique, mental et social, étant donné que, n’ayant plus aucune attache en Arménie, toute la famille serait versée dans la pauvreté, sans accès à un logement et à des moyens de subsistance. Le Comité observe cependant qu’A. M. K. a finalement introduit en son propre nom, le 1er mars 2019, une demande de régularisation et qu’elle a ainsi été autorisée au séjour le 21 septembre 2020, et que S. K. a introduit cette même demande le 8 décembre 2020. Il observe aussi que le Conseil du contentieux des étrangers a annulé, le 15 janvier 2021, l’ordre de quitter le territoire et l’interdiction d’entrée sur le territoire, et que toute la famille est ainsi autorisée à rester sur le territoire de l’État partie. Les auteurs et leurs enfants ne faisant plus l’objet d’un renvoi vers l’Arménie, le Comité considère que leur grief fondé sur l’article 27 de la Convention est devenu sans objet.

9.5En revanche, le Comité considère que les griefs que les auteurs tirent de l’article 37 de la Convention, lu seul et conjointement avec les articles 3, 24, 28, 29 et 31, en raison de leur détention administrative pour motif migratoire, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare que ces griefs sont recevables et procède à leur examen quant au fond, précisant à ce sujet que la détention qu’il est amené à examiner est la détention en maison familiale au sein du centre fermé ayant eu lieu du 8 janvier au 5 février 2019, jour du transfert des auteurs dans une maison de retour ouverte, de laquelle ils étaient libres de s’absenter durant la journée et sont finalement partis après l’introduction par A. M. K. d’une demande de régularisation en son propre nom.

Examen au fond

10.1Conformément à l’article 10 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.2Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles l’État partie aurait violé les droits de leurs enfants protégés par l’article 37 de la Convention, lu seul et conjointement avec les articles 3, 24, 28, 29 et 31, en raison de leur détention administrative pour motif migratoire. Il note en particulier que, selon les auteurs, la détention des enfants n’était pas une mesure de dernier ressort, qu’elle n’a pas été aussi brève que possible, et que la proximité de l’aéroport a exercé une pression constante sur la famille.

10.3Le Comité tient également compte de la position de l’État partie selon laquelle, en droit interne, et en accord avec le droit international, la détention de mineurs est légale si elle se fait conformément à la loi, si elle n’est pas arbitraire, si elle n’est décidée qu’en dernier ressort, pour une durée aussi brève que possible et si elle est adaptée aux besoins des enfants. Le Comité tient compte, en outre, de la position de l’État partie selon laquelle la détention des auteurs a été examinée par les juridictions d’instruction, qui ont conclu à la légalité de la détention, sans que les auteurs invoquent de déni de justice ou d’appréciation arbitraire dans les décisions des autorités nationales. L’État partie précise également à ce sujet que les juridictions ont statué dans un délai rapide, s’assimilant à un délai d’urgence, alors que les auteurs n’ont pas jugé utile de déposer rapidement leur requête de mise en liberté.

10.4En particulier, le Comité tient compte de la précision de l’État partie selon laquelle, en l’espèce, la détention a bien été de dernier ressort en raison de plusieurs facteurs : le refus des auteurs d’obtempérer à trois ordres de quitter le territoire, la fuite préalable de la famille de la maison de retour lorsque cette solution de substitution à la détention a été mise en place, et des conditions non remplies pour pouvoir maintenir la famille à son domicile en attendant l’organisation de son expulsion. L’État partie précise qu’en cas de non-coopération préalable, suivant la réglementation, la famille peut faire l’objet d’un maintien en détention dans un centre fermé.

10.5Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel les maisons familiales au sein du centre fermé garantissent un développement adapté de l’enfant durant son temps de détention : elles sont totalement à l’écart des autres détenus, entièrement réservées aux familles et pourvues du mobilier et des équipements nécessaires, les familles peuvent quotidiennement faire appel au service médical et psychologique, contrairement à ce qu’avancent les auteurs, et les enfants participent à des activités éducatives adaptées à leur âge.

10.6Le Comité note par ailleurs que, selon l’État partie, une famille avec enfants mineurs ne peut être maintenue que pour un délai le plus court possible, qui ne peut dépasser deux semaines et être prolongé pour une durée maximale de deux autres semaines qu’à certaines conditions, dont l’absence d’impact de la détention sur l’intégrité physique et psychique du mineur. En l’espèce, la durée de la détention − du 8 janvier au 5 février 2019 − a été le résultat, selon l’État partie, de l’acharnement procédural des auteurs, obligeant l’État partie à prolonger leur détention dans l’attente des prononcés des différentes instances saisies, prolongation qui par ailleurs s’est faite à la suite d’un rapport qui a observé leur parfaite intégration à la vie du centre.

10.7Sur la question du bruit causé par l’activité de l’aéroport, le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel des rapports dressés par des experts indépendants ont conclu que tous les résultats de mesures satisfaisaient à la réglementation, les maisons familiales et maisons de retour étant par ailleurs construites en zone constructible.

10.8Finalement, le Comité note la position de l’État partie selon laquelle l’intérêt supérieur des enfants a été pris en compte à chaque étape de la procédure : l’Office des étrangers a donné à la famille, à trois reprises, la possibilité de quitter volontairement le territoire pour éviter la procédure de rapatriement forcé ; elle a été placée sans succès en maison de retour, lieu d’hébergement ouvert créé spécifiquement pour les familles avec enfants mineurs ; et finalement, au sein du centre, l’aînée prenait part aux activités et suivait des cours, y compris de logopédie.

10.9Le Comité rappelle son observation générale no 23 (2017), conjointe à l’observation générale no 4 (2017) du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, selon laquelle la détention d’un enfant au motif du statut migratoire de ses parents constitue une violation des droits de l’enfant et est contraire au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, tenant compte du préjudice inhérent à toute privation de liberté et des effets néfastes que la détention liée à l’immigration peut avoir sur la santé physique et mentale des enfants et sur leur développement, et selon laquelle la possibilité de placer des enfants en détention en tant que mesure de dernier ressort ne devrait pas être applicable dans les procédures relatives à l’immigration. De même, le Comité rappelle ses observations finales concernant le rapport de la Belgique valant cinquième et sixième rapports, dans lesquelles il a demandé à l’État partie de ne plus détenir d’enfants dans des centres fermés et d’avoir recours à des solutions non privatives de liberté.

10.10Le Comité observe qu’en l’espèce, les enfants ont été détenus avec leurs parents au sein d’une maison familiale dans un centre fermé pour étrangers, du 8 janvier au 5 février 2019, lendemain de l’adoption de mesures provisoires par le Comité. Ce jour-là, ils ont été transférés dans une maison de retour unifamiliale et ouverte, forme de substitution à la détention, qu’ils ont quittée le 5 avril 2019 à la suite de la résolution favorable de la demande de régularisation introduite le 1er mars 2019 au nom d’A. M. K., sur la base de l’article 9 bis de la loi du 15 décembre 1980.

10.11Le Comité constate ainsi que les enfants ont été détenus pendant quatre semaines dans une maison familiale qui, même si elle porte ce nom, constitue bien un centre de détention fermé. À ce sujet, le Comité considère que la privation de liberté d’enfants pour des raisons liées à leur statut migratoire − ou à celui de leurs parents − est généralement disproportionnée et donc arbitraire au sens de l’article 37 (al. b)) de la Convention.

10.12Dans le cas d’espèce, le Comité note que l’État partie considère que cette longue période de détention de quatre semaines a notamment été due aux nombreuses requêtes de mise en liberté présentées par les auteurs, obligeant l’État partie à attendre les décisions des autorités saisies. Toutefois, le Comité considère que l’exercice par les auteurs de leur droit à un contrôle juridictionnel ne saurait justifier la détention de leurs enfants. Le Comité est également conscient : a) que les conditions pour envisager la détention d’enfants dans le contexte migratoire sont encadrées par la législation de l’État partie ; b) qu’au sein du centre fermé pour étrangers, les enfants bénéficiaient d’une maison réservée pour leur unité familiale ; c) que les enfants participaient aux activités proposées par les éducateurs ; et d) que les auteurs n’avaient préalablement pas respecté trois ordres de quitter volontairement le territoire et s’étaient déjà enfuis d’une maison ouverte.

10.13Cependant, le Comité constate que l’État partie n’a envisagé aucune solution de substitution à l’enfermement des enfants ; la famille vivait dans sa maison, dans laquelle elle est retournée après sa libération, et aucune preuve n’a été présentée au Comité pour indiquer pourquoi il n’était pas possible pour la famille d’y rester pendant que les procédures d’appel étaient en cours. Le Comité estime qu’en omettant d’envisager de possibles solutions de substitution à la détention des enfants, l’État partie n’a pas dûment pris en compte, en tant que considération primordiale, leur intérêt supérieur, ni au moment de leur détention ni au moment de la prolongation de leur détention.

10.14En raison de ce qui précède, le Comité conclut que les détentions d’A. M. K. et de S. K. ont constitué une violation de l’article 37 de la Convention, lu seul et conjointement avec l’article 3.

10.15Ayant constaté une violation de l’article 37 de la Convention, lu seul et conjointement avec l’article 3, le Comité n’estime pas nécessaire de se prononcer séparément sur l’existence d’une violation de l’article 37 de la Convention lu conjointement avec les articles 24, 28, 29 et 31 en raison des mêmes faits.

11.En conséquence, l’État partie est tenu d’offrir à A. M. K. et à S. K. une compensation adéquate pour les violations subies. Il a également l’obligation de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas, en s’assurant que l’intérêt supérieur de l’enfant dans les décisions concernant leur détention soit une considération primordiale.

12.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est aussi invité à inclure des renseignements sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au Comité au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.