Comité c ontre la t orture
Communication no 514/2012
Décision adoptée par le Comité à sa cinquante-troisième session (3 – 28 novembre 2014)
Présentée par :Déogratias Niyonzima (représenté par l’organisation Track Impunity Always (TRIAL), association suisse contre l’impunité)
Au nom de:En son nom
État partie:Burundi
Date de la requête:23 juillet 2012(lettre initiale)
Date de la présente décision:21 novembre 2014
Objet:Torture infligée par des agents de police et absence d’enquête et de réparation
Questions de procédure:Examen de la même question devant une instance internationale d’enquête ou de règlement; épuisement des recours internes
Questions de fond:Torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; mesures visant à empêcher la commission d’actes de torture; surveillance systématique quant à la garde et au traitement des personnes détenues; obligation de l’État partie de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale; droit de porter plainte; droit d’obtenir une réparation; interdiction de l’utilisation dans une procédure de déclarations obtenues sous la torture
Articles de la Convention:Articles 2, paragraphe 1; 11, 12, 13, 14 et 15, lus en conjonction avec les articles 1eret 16 de la Convention; article 22, paragraphe 5a) et b) de la Convention
Annexe
Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines outraitements cruels, inhumains ou dégradants (cinquante-troisième session)
concernant la
Communication no514/2012
Présentée par:Déogratias Niyonzima(représenté par l’organisation Track Impunity Always (TRIAL), association suisse contre l’impunité)
Au nom de:En son nom
État partie:Burundi
Date de la requête:23 juillet 2012 (lettre initiale)
Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le21novembre 2014,
Ayant achevél’examen de la requête no514/2012, présentée au nom de Déogratias Niyonzima en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu comptede toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil, et l’État partie,
Adopte ce qui suit:
Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture
1.1Le requérant est Déogratias Niyonzima, ressortissant du Burundi né le 3mars 1956. Il allègue avoir été victime d’une violation des articles 2, paragraphe 1; 11, 12, 13, 14 et 15, lus en conjonction avec l’article 1eret, subsidiairement, avec l’article 16 de la Convention. Le requérant est représenté.
1.2Le 30 juillet 2012, conformément à l’article 114, paragraphe 1, (ancien art. 108) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5), le Comité a prié l’État partie de prévenir efficacement, tant que l’affaire serait à l’examen, toute menace ou tout acte de violence auquel le requérant et sa famille pourraient être exposés, en particulier pour avoir présenté la présente requête.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1Le requérant était Secrétaire général du Parti pour la réconciliation des peuples (PRP). Le 1er août 2006, vers 7 heures du matin, alors qu’il sortait de son domicile, situé dans le quartier Kabondo à Bujumbura, pour accompagner son épouse au travail, il a trouvé devant le portail de sa maison un groupe d’une vingtaine de policiers armés de fusils et en position de tir, postés devant deux camionnettes de police dont les gyrophares étaient enclenchés. Les policiers l’ont alors interpellé sans en préciser les raisons. Le requérant a demandé à voir le mandat d’arrêt le concernant, mais seuls un mandat de perquisition décerné par une autorité incompétente et un avis de recherche lui ont été présentés.
2.2Le requérant a alors été emmené au quartier général du Service national de renseignement (SNR), où il a trouvé l’ancien Vice-Président du Burundi (Alfonse-Marie Kadege). Il est demeuré dans les locaux du SNR jusqu’à environ 11 heures du matin, puis a été emmené chez lui pour une perquisition. Cette fouille a été effectuée par deux agents du SNR, sans qu’un mandat valable ne soit présenté. Les policiers ont confisqué des livres, des documents utilisés par le requérant pendant les négociations de paix d’Arusha, ainsi que d’autres biens qui ne lui ont jamais été retournés. À ce moment-là, le requérant ignorait toujours la raison de son arrestation et de la perquisition de son domicile.
2.3Après cette fouille, le même jour, le requérant a été reconduit vers 14 h 30 dans les locaux du SNR. Il a été conduit directement dans le bureau de l’Administrateur général adjoint du SNR, le colonel Léonidas Kiziba, qui l’a interrogé sur la préparation d’un coup d’État auquel il aurait participé, ainsi qu’un plan visant à assassiner le Président de la République, Pierre Nkurunziza. Le colonel s’est montré menaçant en exigeant du requérant de «tout lui dire sous peine d’être tabassé». Comme le requérant niait son implication, le colonel a ordonné à deux agents du SNR en tenue civile de l’emmener dans une autre salle afin qu’il soit passé à tabac.
2.4Le requérant a été conduit dans une petite salle et informé par l’Administrateur général du SNR, le général-major Adolphe Nshimirimana, qu’il devrait tout révéler, au risque de se voir infliger de vives souffrances. À la suite de ces paroles, et sans attendre de réponse, ce dernier a quitté la salle, suite à quoi le colonel Léonidas Kiziba est entré, accompagné d’un agent du SNR ayant pour tâche principale de filmer et photographier les séances de torture. C’est alors que le colonel a ordonné à deux agents du SNR de commencer l’interrogatoire. Il a été demandé au requérant de reconnaître sa participation à une réunion à Ruyigi visant à organiser un coup d’État contre le Président de la République, et de donner les noms de ses complices. Alors que le requérant niait toute participation, l’Administrateur adjoint du SNR a alors ordonné à six agents du SNR d’entrer. Certains portaient un uniforme, d’autres étaient en tenue civile. Tous étaient munis d’instruments de torture divers: chaînes en acier, barres de fer, cordes lestées, minuscules chaînes dotées de petits bouts pointus, bâtons et autres outils. L’Administrateur général du SNR a alors ordonné à ses hommes de torturer le requérant. Le major Jean Bosco Nsabimana, surnommé «Maregaregare», l’a frappé sur les omoplates avec une planche. Le requérant fut ensuite roué de coups à terre avec les différents instruments en la possession de ses tortionnaires, notamment au niveau des orteils, des jambes et des avant-bras, pendant une dizaine de minutes. Le requérant a tenté de protéger ses parties génitales, que les agents ont cherché à viser à plusieurs reprises pendant le passage à tabac. Il a également reçu de violents coups au dos.
2.5Chaque fois que la violence des coups devenait trop intense, au risque d’être fatale pour le requérant, une courte pause était ordonnée avant que l’interrogatoire et les tortures ne reprennent de manière toujours plus intense. L’Administrateur général adjoint questionna le requérant sur sa participation à une réunion – sans préciser de date – qui se serait tenue à la résidence de l’ancien Président de la République, Domitien Ndayizeye. Après que le requérant ait de nouveau nié sa participation, l’Administrateur général fit alors entrer un dénommé Alain Mugarabona, indiquant avoir vu le requérant à ladite réunion. Suite à ce dernier témoignage, les hommes du SNR ont de nouveau battu le requérant, lui assenant de violents coups de tuyau sur le bas du dos, lui donnant l’impression que son corps se coupait en deux. Sous la violence des coups, il a commencé à saigner des orteils, des jambes, des avant-bras et du dos. Les tortionnaires ont alors reçu des encouragements d’autres agents du SNR qui riaient de la scène. Alors qu’il était au bord de l’évanouissement, une nouvelle pause fut ordonnée.
2.6L’interrogatoire se poursuivit alors à propos de la nature du «Club Kampala», que le requérant dit ignorer, ce qui lui valut d’être de nouveau passé à tabac. Il hurlait de douleur et crachait du sang. C’est alors que l’Administrateur général adjoint du SNR ordonna à l’agent Maregaregare de donner «le pain» au requérant, soit une pierre sale introduite dans la bouche de la victime pour en étouffer les cris. Les agents ont alors contraint le requérant à ouvrir la bouche en immobilisant sa tête pour introduire la pierre. Ils lui ont en même temps assené un coup de tuyau dans la colonne vertébrale. Le requérant a craché la pierre. Puis l’agent Maregaregare a apporté un sac en plastique rempli d’excréments afin d’y plonger la pierre. Cette perspective a contraint le requérant à accepter tous les faits qui lui étaient reprochés. Ainsi, une série de questions visant à lui faire reconnaître sa participation au coup d’État lui a été posée, auxquelles il a répondu, sans distinction, par l’affirmative. La séance de torture a ainsi cessé, et le requérant a signé un procès-verbal attestant de son implication dans la présumée tentative de coup d’État. La séance de torture a été filmée par un agent du SNR pendant les trois heures de supplice infligées au requérant, ce qui a ajouté au caractère humiliant et dégradant des souffrances physiques.
2.7Ne tenant plus debout, à demi inconscient et le corps ensanglanté, le requérant a ensuite été placé dans l’un des cachots du SNR attenant aux salles de torture, mesurant quatre mètres sur six et dans lequel 16 autres détenus ayant également subi des tortures étaient enfermés. Les détenus dormaient à même le sol, les uns à côté des autres. Les premiers jours, une nourriture repoussante composée de haricots, de riz et remplie d’insectes leur a été servie. Une fois que la détention du requérant et d’autres personnalités politiques a été dénoncée et connue, ce dernier a pu recevoir de la nourriture de son épouse. Il n’y avait pas de sanitaires dans la cellule. Tous les détenus devaient partager un cabinet de toilette dans un état déplorable, ce qui posait de graves problèmes sanitaires. Les détenus devaient puiser de l’eau à boire à partir d’un robinet extérieur unique. L’environnement général était particulièrement humide et propice aux moustiques paludiques. Il n’a reçu aucun soin durant cette période et n’a pas pu s’entretenir avec un avocat. Sa détention dans de telles conditions a duré huit jours.
2.8Le soir de son arrestation (le 1er août 2006), le requérant a pu recevoir la visite de son épouse et de son avocat, Me Isidore Rufyikiri, suite à une erreur du gardien qui n’avait pas connaissance de l’interdiction formelle des visites. Ainsi, le chef de garde est allé chercher le requérant dans sa cellule et l’a traîné au portail du site du SNR. C’est ainsi que l’épouse du requérant a pu constater les marques de torture sur ce dernier et a pu alerter par la suite les médias et associations de défense des droits de l’homme.
2.9Le 2 août 2006, Me Isidore Rufyikiri, aujourd’hui Bâtonnier de l’ordre des avocats, a adressé un courrier à l’Administrateur général du SNR pour lui faire part de sa préoccupation quant à l’état de santé d’un de ses clients, arrêté en même temps que le requérant, et qui avait également subi des actes de torture. Suite à cette démarche, Me Rufyikiri a été lui-même arrêté et détenu dans l’une des cellules du SNR. C’est ainsi qu’il a pu constater par lui-même l’état très préoccupant du requérant. Me Rufyikiri en donne le témoignage suivant:
«Il [Déogratias Niyonzima, le requérant] a été arrêté le 1er août 2006, et je l’ai rejoint le 3 août 2006 dans ces cachots où je pouvais le voir tout près de moi à travers les fenêtres, se déplaçant très difficilement du fait des tortures dont il avait été victime; il ne pouvait pas tenir debout tout seul, était à chaque fois appuyé sur le corps d’un codétenu mieux portant (…) son corps était affaibli de coups de barre de fer métallique, ses jambes, ses pieds et ses orteils étaient terriblement gonflés, avec beaucoup de fraîches blessures par endroits».
2.10Le lendemain de son arrestation, soit le 2 août 2006, le requérant a de nouveau été soumis à un interrogatoire relatif à des réunions de préparation du coup d’État dans lequel il aurait été impliqué. Il a nié sa participation, et un témoin a été convoqué pour l’inciter à passer aux aveux. Cependant, ce témoin, alors qu’il avait accablé le requérant la veille, est revenu sur ses dires pour déclarer que le requérant n’avait participé à aucune réunion de préparation du coup d’État. Le requérant a été reconduit dans sa cellule.
2.11Le troisième jour de sa détention dans les cachots du SNR, le requérant a reçu la visite de membres de la Ligue Iteka, une association burundaise de défense des droits de l’homme, qui ont pu constater que ce dernier avait été soumis à des tortures. Alertée par de nombreuses dénonciations, la Ministre de la solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre, Françoise Ngendahayo, s’est rendue en personne, le 3 août 2006, au siège du SNR. Elle a tenu les propos suivants aux médias:
«Je suis allée voir les personnes arrêtées (…). Elles m’ont dit, et j’ai constaté, qu’elles avaient été battues. J’ai demandé au Chef de la documentation nationale que cela cesse».
2.12Cependant, aucune suite n’a été donnée à ces propos. Suite à la visite de la Ligue Iteka, une déclaration publique signée par dix organisations de défense des droits de l’homme, dénonçant les arrestations par le SNR de personnalités politiques, a été adressée aux autorités burundaises le 4 août 2006. Dans cette déclaration était indiqué que les visites conduites tant par la Ligue Iteka que par des membres de familles de détenus, ainsi que par la Ministre de la solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre, avaient conduit à la confirmation que trois individus, dont le requérant, avaient subi des actes de torture. Et d’ajouter que «les prévenus n’ont l’autorisation de recevoir ni avocats, ni médecins».
2.13Le 9 août 2006, après huit jours de détention dans les cachots du SNR, le requérant a été présenté au Procureur général en mairie de Bujumbura et formellement informé qu’il était accusé d’avoir participé à une tentative de coup d’État. Il a alors été transféré à la prison centrale de Mpimba. Malgré ses demandes répétées, il n’a pas été présenté à un médecin. Ce n’est que le 1er septembre 2006, sur la base d’une réquisition à expert demandée par son avocat, qu’il a été transféré à l’hôpital militaire de Kamenge pour être examiné par un médecin du Gouvernement et y recevoir les soins nécessaires à son état. Un certificat médical expertisé a pu être établi sur les tortures subies, attestant de nombreuses blessures non encore cicatrisées sur les jambes, les pieds, la région lombaire et dorsale, l’épaule droite, la hanche gauche et les deux bras,et concluant que «l’intéressé a été victime de coups et blessures délibérés récents par un ou des instrument(s) rectiligne(s). La multiplicité des lésions identiques localisées presque sur tout le corps fait penser à des actes de torture». Le magistrat instructeur, qui a pourtant accepté d’effectuer la réquisition à expert, n’a donné aucune suite aux conclusions consignées dans l’expertise médicale, et aucune instruction sur les faits n’a été initiée.
2.14Le requérant a été détenu pendant plus de cinq mois à la prison de Mpimba dans des conditions de détention déplorables, marquées par une surpopulation carcérale ayant des conséquences sérieuses sur la situation sanitaire et sécuritaire des détenus. Le requérant partageait une petite cellule de 3 mètres sur 5 sans fenêtre ni aération, malgré une chaleur suffocante, avec l’ancien Président de la République, Domitien Ndayizeye, et un autre détenu. Il devait dormir sur un petit lit de fortune en bois, fabriqué par d’autres détenus, afin de ne pas dormir à même le sol. La cellule comprenait une sorte de toilette-douche, mais qui était uniquement alimentée en eau entre trois et quatre heures du matin. La poussière ambiante a résulté pour le requérant en une infection des sinus qui a nécessité plus tard deux opérations chirurgicales du nez. Il a également souffert du paludisme. L’eau, la nourriture, les médicaments et la literie ont été fournis exclusivement par sa famille durant toute sa détention.
2.15Bien qu’une décision de mise en liberté provisoire ait été prise par la Chambre de conseil le 6 octobre 2006, elle n’a pas été mise en œuvre, et le requérant est demeuré en détention sans base légale jusqu’à sa libération, survenue le 16 janvier 2007 suite à son acquittement le jour précédent pour manque de preuve, dans le cadre du procès ouvert contre lui et plusieurs autres personnes pour tentative de coup d’État.
2.16Dès le lendemain de sa libération, le requérant et sa famille ont commencé à faire l’objet de menaces de mort et d’une surveillance intense. Ils étaient régulièrement suivis en voiture par des personnes identifiées comme des agents du SNR. Ils recevaient également des appels téléphoniques anonymes de menace. Suite à l’acquittement de toutes les personnalités politiques accusées dans cette affaire, le Président de la République du Burundi a déclaré publiquement que tous les agents qui avaient torturé les prisonniers devraient répondre de leurs actes devant la justice. Selon le requérant, cela a généré des craintes parmi ses anciens bourreaux, ce qui expliquerait les menaces reçues. Le requérant ajoute que ces derniers n’ont jamais répondu de leurs actes devant la justice.
2.17Face à l’intensité des menaces, le requérant a pris la fuite pour le Kenya le 1er février 2007. Sa famille a quitté le Burundi quelques jours plus tard. Une procédure a été ouverte devant le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en vue de l’obtention du statut de réfugié par la famille, statut qui leur a été octroyé en 2007. Des démarches de relocalisation dans un pays d’accueil ont été entamées par le HCR et, en novembre 2008, le requérant et sa famille ont pu rejoindre les États-Unis comme réfugiés. Ils vivent dans une situation économique précaire et marquée par l’incertitude quant à l’avenir.
2.18Les sévices soufferts par le requérant ont eu des séquelles durables sur sa santé. Il souffre toujours des lombaires, ce qui l’oblige à prendre des médicaments en permanence. Il a par ailleurs totalement perdu l’odorat, ce qui constitue pour lui un traumatisme lourdement handicapant et, malgré deux interventions chirurgicales au niveau du nez, les médecins considèrent que les séquelles sont irréparables.
2.19Les faits subis par le requérant ont été formellement dénoncés, et ce, à plusieurs reprises. Au lendemain de son arrestation, son avocat a écrit à l’Administrateur général du SNR, avec copie au Président de la République, pour lui faire part de ses craintes quant aux actes de torture infligés à son client, un autre détenu arrêté en même temps que le requérant. Une plainte a également été déposée auprès du Procureur général de la République le 17 août 2006, accompagnée d’un certificat médical expertisé daté du 1er septembre 2006 attestant des tortures subies (voir par. 2.13 ci-dessus). Alertée par les familles des personnes arrêtées en même temps que l’auteur ainsi que par les organisations de défense des droits de l’homme, la Ministre de la solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre s’est d’ailleurs rendue au SNR le 3 août 2006 pour constater directement les faits.
2.20Par ailleurs, les faits ont été portés à la connaissance des autorités gouvernementales et administratives dès l’arrestation du requérant par plusieurs organisations de défense des droits de l’homme sur le plan national et international, y compris par le biais d’un appel public urgent d’Amnesty International les 3 et 4août 2006 et de l’Organisation mondiale contre la torture le 7août 2006.Le 4août 2006, une coalition de dix organisations de protection des droits de l’homme basées au Burundi, parmi lesquelles le Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, ont adopté une déclaration dénonçant publiquement les arrestations et détentions de plusieurs personnes, dont le requérant, nommément visé dans la déclaration. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire et le Rapporteur spécial sur la question de la torture sont en outre intervenus conjointement au travers d’un appel urgent le 10août 2006 en faveur du requérant. Le requérant se réfère également aux conclusions et recommandationsadoptées par le Comité suite à l’examen du rapport initial de l’État partie en 2007, dans lesquelles le Comité a appelé les autorités à «procéder à une enquête immédiate et impartiale, suite aux informations selon lesquelles plusieurs personnes détenues dans le cadre de la tentative de coup d’État présumé auraient été soumises à la torture».
2.21Le requérant souligne en outre que son avocat a contesté à chaque étape de la procédure judiciaire la force probante des aveux signés sous la torture, faisant appel, le 30 août 2006, contre l’ordonnance de confirmation de détention préventive rendue par la Cour suprême du Burundi le 24 août 2006. Cet appel n’a jamais été suivi d’effet, alors que la requête en prorogation de la détention soumise à la Cour par le Procureur général de la République a, quant à elle, été dûment examinée. En décembre 2006, l’avocat du requérant a de nouveau décrit les actes de torture subis par son client et a demandé l’application de l’article 27, alinéa 3, du Code de procédure pénal afin que soient frappés de nullité les aveux du requérant obtenus sous la contrainte. Dans sa plaidoirie devant la Cour suprême, l’avocat du requérant a également relaté les sévices infligés à l’intéressé, en réclamant son acquittement. Par conséquent, les autorités burundaises ont à plusieurs reprises été informées, formellement et informellement, des tortures subies par le requérant et, de ce fait, ne pouvaient les ignorer. Toutefois, six ans après la survenance des faits, aucune suite n’a été donnée à la plainte. Le requérant relève que des plaintes pour torture déposées par les autres victimes arrêtées dans les mêmes circonstances n’ont donné lieu à aucune enquête. Il ajoute que les défaillances du systèmejudiciaire, ainsi que les risques encourus pour son intégrité physique, et qui l’ont contraint à l’exil, l’ont empêché d’initier d’autres démarches pour obtenir gain de cause.
2.22Le requérant fait donc valoir i) que les voies de recours internes disponibles ne lui ont donné aucune satisfaction, les autorités n’ayant pas réagi à ses dénonciations, faites dès le 17 août 2006 (par. 2.19), alors qu’elles auraient dû ouvrir une enquête pénale sur la base de telles allégations; ii) que ces voies de recours ont excédé les délais raisonnables, puisque le requérant, six ans après la survenance des faits, n’a pas encore été entendu; il ajoute que les défaillances du système judiciaire et l’absence patente d’indépendance et d’impartialité des autorités judiciaires renforcent l’impossibilité d’utiliser les voies de recours; et iii) qu’il était dangereux, voire impossible pour lui, du fait de son exil forcé, d’entreprendre d’autres démarches. Il rappelle les menaces dont il a fait l’objet dès sa sortie de prison en janvier 2007 (par. 2.16). Contraint de fuir son pays à cause des services de sécurité nationaux, et actuellement en exil forcé, il est impossible pour lui d’initier d’autres démarches au Burundi.
Teneur de la plainte
3.1Le requérant allègue avoir été victime de violations par l’État partie des articles 2, paragraphe 1; 11, 12, 13, 14 et 15, lus conjointement avec l’article 1eret, subsidiairement, avec l’article 16 de la Convention.
3.2Selon le requérant, les sévices qui lui ont été infligés ont provoqué des douleurs et des souffrances aiguës, et constituent des actes de torturetels que définis à l’article 1erde la Convention.Les agents du SNR, agents étatiques, munis d’instruments de torture, l’ont passé à tabac à de multiples reprises, au point de le mener au bord de l’évanouissement, en vue d’obtenir des aveux de sa part. Ces souffrances étaient sans nul doute infligées intentionnellement, comme en attestent la pierre souillée introduite de force dans la bouche pour en étouffer les cris et le fait de filmer la scène de torture.
3.3Le requérant ajoute que l’État partie n’a pas adopté les mesures, législatives ou autres, nécessaires pour prévenir la pratique de la torture au Burundi, contrairement à ses obligations prescrites par l’article 2, paragraphe 1, de la Convention. Les tortures qui lui ont été infligées, ainsi qu’à d’autres personnes arrêtées en même temps que lui, sont restées impunies. Il n’a bénéficié d’aucun soin médical, alors qu’il en avait fait la demande expresse et que son état de santé nécessitait indéniablement une prise en charge médicale. En outre, bien qu’il ait reçu par erreur la visite de son épouse et de son avocat le soir de son arrestation, il n’a pu en recevoir aucune autre par la suite, et a donc été privé de son droit à prendre contact avec sa famille et à recevoir une assistance juridique prompte. Par ailleurs, des obstacles juridiques demeurent pour prévenir efficacement la pratique de la torture et empêcher qu’elle ne se produise. En particulier, aucune disposition ne rejette explicitement la validité d’aveux obtenus sous la torture, l’article 27 du Code de procédure pénale prévoyant uniquement que «lorsqu’il est (…) prouvé que des aveux de culpabilité ont été obtenus par contrainte, ils sont frappés de nullité». En outre, le requérant souligne qu’en droit burundais, hormis le contexte particulier des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide, les actes de torture, s’ils ont été commis hors de ces contextes particuliers, sont soumis à un délai de prescription de 20 ou 30 ans selon les circonstances.
3.4Le requérant fait en outre valoir que les autorités burundaises n’ont pas exercé la surveillance nécessaire sur le traitement qui lui a été réservé durant sa détention dans les geôles du SNR, détention qui a eu lieu hors du cadre de la loi. Son arrestation n’a pas été effectuée sur la base d’un mandat valable; il n’a pas été informé du chef d’inculpation retenu contre lui jusqu’au moment de son transfert à la prison de Mpimba le 9 août 2006, date à laquelle un mandat d’arrêt a été délivré par le Procureur général; il a subi des conditions de détention déplorables; il n’a pas bénéficié de la présence d’un avocat durant sa détention au siège du SNR; la poursuite de sa détention malgré la décision de la Cour suprême du 6 octobre 2006 relative à sa mise en liberté provisoire a rendu sa détention arbitraire. En outre, il n’existe pas de système de surveillance systématique efficace des lieux de détention. En définitive, les pratiques des autorités burundaises, en particulier du SNR, à l’encontre des personnes privées de liberté ne sont pas conformes à ce que prévoit l’article 11 de la Convention.
3.5Les autorités burundaises, dûment informées sur les faits de diverses manières et à de nombreuses reprises, n’ont pas effectué une enquête prompte et effective sur les allégations de torture, en violation de leur obligation imposée par l’article 12. Le requérant souligne en outre le fait que la législation pénale burundaise ne prévoit pas l’obligation pour les procureurs de la République de poursuivre les auteurs de torture, ni même d’ordonner une enquête. Aucune suite n’a été donnée à la plainte soumise par le requérant, alors même qu’elle était soutenue par un élément de preuve solide établi dans le cadre d’une réquisition à expert.
3.6Le requérant invoque également l’article 13 de la Convention au motif qu’aucune enquête n’a été initiée sur ses allégations, malgré le dépôt d’une plainte formelle le 17 août 2006 pour actes de torture, appuyée d’une expertise médicale; la cause n’a donc pas été immédiatement et impartialement examinée. En outre, l’avocat du requérant a lui-même été écroué après avoir dénoncé la torture subie par l’un de ses clients, arrêté dans les mêmes circonstances que le requérant. Selon ce dernier, ceci représente un acte d’intimidation à l’encontre des victimes de l’affaire et de leur conseil qui a suscité des craintes légitimes pour leur sécurité. Les menaces se sont par ailleurs intensifiées pour le requérant et sa famille après sa libération le 16 janvier 2007, afin d’empêcher toute plainte pour les actes de torture subis. En conclusion, le requérant soutient que l’État partie n’a pas garanti son droit de porter plainte en vue de l’examen immédiat et impartial des faits allégués, en violation de l’article 13 de la Convention.
3.7Le requérant soutient également que les autorités burundaises ne se sont pas conformées à leurs obligations au titre de l’article 14 de la Convention. Non seulement les crimes perpétrés à son encontre demeurent impunis, mais il n’a en plus reçu aucune indemnisation pour les tortures subies. Ayant été victime d’une détention arbitraire ainsi que de tortures aux mains d’agents étatiques, il existe une présomption selon laquelle il a subi un préjudice immatériel pour lequel il doit recevoir une indemnisation en sus de la compensation pour les préjudices matériels qui lui ont été causés. En le privant d’une procédure pénale, l’État partie a privé le requérant de la voie légale privilégiée pour obtenir une indemnisation. Au regard de la passivité des autorités judiciaires, d’autres recours, notamment pour obtenir réparation par le biais d’une action civile en dommages et intérêts, n’ont objectivement aucune chance de succès. Peu de mesures d’indemnisation des victimes de torture ont été prises par les autorités burundaises, ce qui avait été relevé par le Comité dans ses conclusions et recommandations, suite à l’examen du rapport de l’État partie en 2007. Le requérant rappelle que l’obligation de réparation qui incombe à l’État partie comprend une indemnisation pour les dommages subis, mais ne s’y limite pas, puisqu’elledoit également inclure l’adoption de mesures visant à la non-répétition des faits, notamment à travers l’application de sanctions proportionnellesà la gravité des faits à l’encontre des responsables, ce qui implique, aupremier chef, de diligenter une enquête et de poursuivre les responsables.Pour ce qui est du requérant, le crime perpétré à son encontre demeureimpuni, ses tortionnaires n’ayant été ni condamnés, ni poursuivis, ni l’objet d’une enquête, ni même inquiétés, ce qui révèle une violation de son droit à la réparation en vertu de l’article 14 de la Convention.
3.8Au titre de l’article 15, le requérant rappelle que les séances de torture qui lui ont été infligées visaient à obtenir des aveux de sa participation dans la préparation d’un présumé coup d’État. Les sévices se sont d’ailleurs arrêtés dès que ce dernier a signé le procès-verbal dans lequel il reconnaissait sa prétendue culpabilité. C’est précisément sur la base de ces aveux que la procédure judiciaire à son encontre a pu être initiée. En effet, sans eux, aucun élément constitutif de l’infraction qui lui était reprochée (préparation d’un coup d’État) n’aurait pu être retenu. Bien que les autorités aient eu connaissance du fait que de telles déclarations ont été obtenues sous la torture, ces déclarations n’ont jamais été frappées de nullité. Au contraire, elles ont été utilisées pour maintenir le requérant en détention durant plus de cinq mois, contrairement à ce que prescrit l’article 15 de la Convention.
3.9Le requérant réitère que les violences qui lui ont été infligées sont des actes de torture, conformément à la définition de l’article 1er de la Convention. Néanmoins, et subsidiairement, si le Comité ne devait pas retenir cette qualification, il est maintenu que les sévices endurés par la victime constituent dans tous les cas des traitements cruels, inhumains ou dégradants et que, à ce titre, l’État partie était également tenu de prévenir et de réprimer leur commission, instigation ou tolérance par des agents étatiques, en vertu de l’article 16 de la Convention. En outre, il rappelle les conditions de détention qui lui ont été imposées durant les cinq mois et demi de sa détention, en premier lieu dans les cachots du SNR, puis au sein du pénitencier de Mpimba. Ces deux lieux de détention sont caractériséspar la surpopulation carcérale et l’insalubrité (voir par. 2.7 et 2.14 ci-dessus). Le requérant se réfère de nouveau aux conclusions et recommandations du Comité, qui avait considéré les conditions de détention au Burundi comme «assimilables à un traitement inhumain et dégradant». Enfin, il rappelle qu’il n’a reçu aucun soin médical durant sa détention au sein de la prison du SNR, malgré son état critique, et en conclut que les conditions de détention auxquelles il a été exposé sont constitutives d’une violation de l’article 16 de la Convention.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
4.1Le 2 décembre 2013, l’État partie a formulé des commentaires sur la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie revient en premier lieu sur la recevabilité, en soumettant que le requérant n’a pas épuisé les recours internes, une plainte pour torture ouverte le 22 août 2006 au parquet général de la République étant toujours pendante. Un magistrat chargé de l’instruction du dossier a été désigné. Afin de connaître le degré d’incapacité physique du requérant, le magistrat désigné a décidé de requérir, sous serment, l’expertise d’un médecin agréé par le Gouvernement burundais, en conformité avec le Code de procédure pénale burundais, ainsi que l’article 12 de la Convention.
4.2L’État partie est d’avis que la communication est injurieuse. Bien que les informations soumises au Comité soient correctes, le requérant semble guidé par des mobiles politiques. Il n’a pas été privé d’une procédure équitable et les autorités judiciaires n’ont jamais été passives. Son dossier a été clôturé par un arrêt d’acquittement de la Cour suprême en sa faveur.
4.3Pour ce qui est de la réparation du préjudice et de la réhabilitation, l’État partie se dit favorable à l’idée de recourir aux moyens disponibles pour mettre en œuvre cette obligation. Il ajoute que les coprévenus du requérant qui sont restés au Burundi occupent actuellement de hautes fonctions au Sénat et à l’Assemblée nationale. Les requêtes du requérant au titre de la réparation et de la réhabilitation sont donc à rejeter, selon l’État partie.
4.4En ce qui concerne la justification de sa détention, l’État partie rappelle qu’en 2006 un dossier pénal a été instruit à charge du requérant, qui avait été arrêté dans ce cadre, étant soupçonné d’être auteur, coauteur ou complice de deux infractions graves: tentative de porter atteinte à la sûreté intérieure de l’État et tentative de former une association dans le but de porter atteinte aux personnes et aux propriétés. Il a finalement été acquitté par la Cour suprême du Burundi. L’État partie soumet que la remise en liberté d’une personne arrêtée injustement constitue une protection des droits individuels. La décision d’acquittement est une preuve de l’engagement ferme du Burundi à ne pas violer les droits des citoyens par un emprisonnement illégal et irrégulier. En conclusion, l’État partie rejette les prétentions du requérant et invite le Comité à les trouver sans mérite.
Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond
5.1Le 6 février 2014, le requérant a formulé des commentaires relatifs aux observations de l’État partie. Il rejette l’argument selon lequel il n’aurait pas épuisé les recours internes, réitérant que plus de sept ans après les faits aucune enquête n’a été ouverte, contrairement à ce que l’État partie avance, sans en apporter la preuve. Par ailleurs, quand bien même une telle enquête aurait été ouverte, elle ne représenterait pas un obstacle à la recevabilité de la communication au vu du délai déraisonnable écoulé.Le requérant rappelle toutes les démarches judiciaires qu’il a entreprises, y compris la plainte formelle pour torture qu’il a initiée le 17 août 2006 auprès du Procureur général de la République et qui est restée sans suite. En conclusion, le requérant soutient qu’il ne peut raisonnablement être attendu de lui qu’il attende sept ans et cinq mois les résultats d’une prétendue enquête dont l’existence n’est pas prouvée.
5.2Sur le fond, le requérant réitère ses observations précédemment formulées et ajoute que l’État partie n’a pas apporté d’argument quant à la corrélation entre l’acquittement du requérant et l’inopportunité de la communication. Il soutient en outre que l’issue de la procédure pénale menée contre lui n’enlève rien au caractère criminel des actes de torture qu’il a subis. Son acquittement ne justifie pas non plus l’absence d’enquête prompte et impartiale de la part des autorités pour faire la lumière sur les allégations de torture portées à leur connaissance.
5.3Pour ce qui est de la réparation et réhabilitation, selon le requérant, il ne saurait être soutenu, comme le fait l’État partie, que son acquittement dans une procédure extérieure aux faits de torture en question justifie l’absence de réparation. En outre, le requérant note qu’il est difficile de comprendre en quoi les positions professionnelles des autres personnes arrêtées en même temps que lui, auxquelles elles ont accédé par voie électorale, doivent être considérées comme une mesure de réhabilitation vis-à-vis du requérant.
Soumission additionnelle de l’État partie
6.1Le 16 juin 2014, l’État partie a soumis des commentaires additionnels. Il réitère que le parquet a été saisi par l’avocat du requérant, qu’une dénonciation a été enregistrée contre deux agents de la police burundaise au sein du SNR et qu’un dossier pénal à charge a été ouvert contre ces derniers. Selon l’État partie, le parquet général ne peut être suffisamment informé de l’étendue des faits ou de la nature des violations dénoncées alors que la victime et son conseil ne collaborent pas à l’investigation en raison deleur absence ou de leur indisponibilité. En l’espèce, le requérant a quitté le pays avant que sa plainte pour actes de torture ne soit clôturée. L’État partie ajoute que la procédure est toujours en cours et que les instances judiciaires du Burundi demeurent compétentes. Ainsi, le magistrat saisi de l’affaire n’a pu s’entretenir avec la victime et les suspects pour établir un procès-verbal, et aucune confrontation n’a pu être réalisée. Dès lors, le magistrat du parquet général n’a pas pu terminer son instruction et le dossier n’a pas été transmis au juge pénal pour disposition et compétence. Par conséquent, aucune condamnation et aucune indemnisation n’ont pu être prononcées. L’État partie conclut que les faits dénoncés ne pourront avoir de force obligatoire à charge de l’État partie que lorsqu’ils seront qualifiés par les organes judiciaires compétents, et réitère que c’est par la faute personnelle du requérant que les délais se sont prolongés excessivement.
6.2Sur le fond, et concernant les tortures alléguées par le requérant, l’État partie rappelle que l’expertise médicale a révélé que l’intéressé avait été victime de coups et blessures faisant penser à des actes de torture, tandis que les lésions radiologiques seraient plutôt le résultat d’une chute à terre et ne pourraientêtre expliquées par des coups directs. L’État partie ajoute qu’il est possible que le requérant se soit vu infliger des souffrances, mais qu’il appartient au magistrat compétent de déterminer, sur la base de l’expertise, si ces dernières sont aiguës ou non. Le caractère intentionnel de tels actes devra également être établi. Par ailleurs, les responsables des actes de torture en question ne sont pas encore formellement identifiés. La victime ne résidant plus au Burundi, il est aujourd’hui difficile, voire impossible, de déterminer sice sont les mêmes traumatismes qui ont aujourd’hui un impact sur sa santé.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que le cas de Déogratias Niyonzima a été signalé au Groupe de travail sur la détention arbitraire et au Rapporteur spécial sur la question de la torture en 2006. Toutefois, le Comité observe en premier lieu que le mandat du Groupe de travail sur la détention arbitraire concerne, ratione materiae, la question de la privation arbitraire de liberté et non la question de la torture. En ce qui concerne l’examen de l’affaire par le Rapporteur spécial sur la question de la torture, le Comité rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil des droits de l’homme, et dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou sur des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans lemonde, ne relèvent pas d’une procédure internationale d’enquête ou derèglement au sens du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention. Enconséquence, le Comité estime que l’examen du cas de Déogratias Niyonzima par ces procédures ne rend pas la communication irrecevable au titre de cette disposition.
7.2Le Comité observe en second lieu que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, au motif que le requérant n’aurait pas épuisé les recours internes, un dossier pénal pour torture ouvert le 17 août 2006 étant toujours pendant suite à la saisine par ce dernier du parquet général de la République. Le Comité note que l’État partie a affirmé qu’un magistrat chargé de l’instruction du dossier avait été désigné, sans apporter aucune autre information ou aucun élément susceptible de permettre au Comité de mesurer les progrès de l’enquête et de juger de son efficacité potentielle, alors qu’elle a été ouverte il y a plus de huit années. Le Comité conclut que, dans ces circonstances, l’inaction des autorités compétentes a rendu improbable l’ouverture d’un recours susceptible d’apporter une réparation utile et qu’en tout état de cause les procédures internes ont excédé les délais raisonnables. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché de considérer la communication au titre du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.
7.3En l’absence d’obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité procède à l’examen quant au fond des griefs présentés par le requérant au titre des articles 1, 2, paragraphe 1; 11, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention.
Examen au fond
8.1Le Comité a examiné la requête en tenant dûment compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.
8.2Le Comité note l’allégation du requérant selon laquelle,le 1eraoût 2006, il a été arrêté par une vingtaine de policiers armés, sans qu’un mandat d’arrêt ne soit présenté, et emmené dans les locaux du Service national de renseignement (SNR). Il y a été interrogé et menacé de se voir infliger de vives souffrances. Le Comité a en outre noté les allégations du requérant, qui affirme qu’après qu’il ait nié son implication dans un coup d’État présumé, des agents du SNR munis de divers instruments de torture l’ont passé à tabac jusqu’à ce qu’il saigne abondamment et soit proche de l’évanouissement; qu’ils ont introduit une pierre dans sabouche pour étouffer ses cris; que le soir de son arrestation, son épouse et son avocat ont pu lui rendre visite et noter des marques visibles de torture; qu’une Ministre du Gouvernement de l’État partie a elle-même affirmé avoir constaté, au sein du siège du SNR, que les détenus portaient des marques de torture lors de sa visite le 3août 2006; qu’il n’a reçu aucun soin médical durant sa détention au sein du SNR qui a duré huit jours, malgré ses demandes; que les coups qui lui ont été infligés ont occasionné des douleurs et souffrances aiguës, et lui auraient été infligés intentionnellement, dans le but de lui extorquer des aveux. Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté les faits, tels qu’ils ont été présentés par le requérant. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les allégations du requérant doivent être prises pleinement en considération et que les faits sont, tels que présentés, constitutifs de torture au sens de l’article 1er de la Convention.
8.3Le requérant invoque également l’article 2, paragraphe 1, de la Convention, en vertu duquel l’État partie aurait dû prendre toutes les «mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction». Le Comité observe, en l’espèce, que le requérant a été battu, puis détenu pendant huit jours au sein des cachots du SNR sans base légale et sans contact avec un défenseur ou un médecin. Le Comité rappelle ses conclusions et recommandations, dans lesquelles il a exhorté l’État partie à prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires effectives pour prévenir tout acte de torture et tout mauvais traitement, et à prendre des mesures urgentes pour que tout lieu de détention soit sous autorité judiciaire pour empêcher ses agents de procéder à des détentions arbitraires et de pratiquer la torture. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 1er de la Convention.
8.4S’agissant des articles 12 et 13 de la Convention, le Comité a pris note des allégations du requérant, selon lesquelles il a été détenu sans base légale du 1erau 9août 2006, date à laquelle il a été présenté devant le Procureur général et formellement inculpé de participation à un coup d’État. Bien qu’il ait déposé plainte le 17août 2006 devant le Procureur général de la République, que sa plainte ait été appuyée par une expertise médicale par un médecin du Gouvernement, concluant qu’il avait vraisemblablement été soumis à des tortures (par. 2.13), et que les faits aient été largement connus et rapportés par divers acteurs, y compris une Ministre du Gouvernement de l’État partie (par.2.19 et 2.20), aucune enquête n’a été menée, plus de huit ans après les faits. Le Comité considère qu’un tel délai avant l’ouverture d’une enquête sur des allégations de torture est manifestement abusif. Il rejette en outre l’argument de l’État partie, selon lequel l’absence de progrès dans l’enquête tient au manque de coopération du requérant, qui se trouve hors du pays. Le Comité rappelle l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article 12 de la Convention, qu’il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale ex officio chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. En l’espèce, le Comité constate une violation de l’article 12 de la Convention.
8.5N’ayant pas rempli cette obligation, l’État partie a également manqué à la responsabilité qui lui revenait, au titre de l’article 13 de la Convention, de garantir au requérant le droit de porter plainte,qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate à une telle plainte par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale. En outre, le Comité relève que le requérant et sa famille ont fait l’objet de menaces, et que son avocat a été arrêté et écroué le 3août 2006, après avoir dénoncé les actes de torture subis par son client. L’État partie n’a pas apporté d’information susceptible de réfuter cette partie de la communication. Le Comité conclut que l’article 13 de la Convention a également été violé.
8.6S’agissant des allégations du requérant au titre de l’article 14 de la Convention, le Comité rappelle que cette disposition reconnaît non seulement le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de torture obtienne réparation. Le Comité rappelle que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire.En l’espèce, le Comité a noté l’allégation du requérant, qui affirme souffrir de douleurs persistantes aux lombaires dues aux sévices endurés, et avoir dû subir deux interventions chirurgicales au nez; il a également affirmé souffrir de séquelles permanentes, notamment une perte d’odorat irréversible. Pourtant, il n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitation. Bien qu’il accueille avec satisfaction l’intention favorableexprimée par l’État partie de remplir l’obligation de réhabilitation et de réparation qui lui incombe, le Comité est d’avis quel’absence d’enquête diligentée de manière prompte et impartialea privé le requérant de la possibilité de se prévaloir de son droit à la réparation, tel que prévu à l’article 14 de la Convention.
8.7En ce qui concerne l’article 15,le Comité a pris note de l’allégation du requérant, selon laquelle la procédure judiciaire initiée à son encontre pour tentative de coup d’État a été initiée sur la base d’aveux qui lui ontété extorqués sous la torture, comme attesté par une expertise médicale. L’État partie n’a pas apporté d’argument relatif susceptible de contrer cette allégation. Le Comité rappelle que la généralité des termes de l’article 15 de la Convention découle du caractère absolu de la prohibition de la torture et implique, par conséquent, une obligation pour tout État partie de vérifier si des déclarations faisant partie d’une procédure pour laquelle il est compétent n’ont pas été faites sous la torture. En l’espèce, le Comité note que, selon le requérant, les déclarations qu’il a signées sous la torture ont servi de fondement à son accusation et de justification pour son maintien en détention durant plus de cinq mois (du 1eraoût 2006 au 16janvier 2007); que de tels sévices ont été confirmés par l’expertise d’un médecin du Gouvernement, mandaté par le magistrat instructeur; que le requérant a été acquitté le 15janvier 2007 pour manque de preuves matérielles (par. 2.15); et qu’il a, par l’entremise de son conseil, contesté la force probante des aveux signés sous la torture à chaque étape de la procédure à son encontre, sans succès. Le Comité note que l’État partie ne réfute aucune de ces allégations et n’a pas non plus soumis dans ses observations au Comité une quelconque information à ce sujet. Le Comité considère que l’État partie était dans l’obligation de vérifier le contenu des allégations de l’auteur selon lesquelles ses déclarations d’aveu avaient été obtenues sous la torture, et qu’en ne procédant pas à de telles vérifications et en utilisant de telles déclarations dans la procédure judiciaire contre lui, et dans laquelle il a été subséquemment acquitté,l’État partie a violé ses obligations au regard de l’article 15 de la Convention.
8.8Pour ce qui est du grief tiré de l’article 16, le Comité a pris note des allégations du requérant, selon lesquelles il a été détenu du 1er au 9août 2006 dans une cellule exiguëdu SNR partagée avec 16 autres détenus, dans des conditions sanitaires déplorables, et l’accès à un médecin lui a été refusé, malgré sa demande et son état de santé préoccupant. Il a en outre allégué avoir été dès le 9septembre 2006 transféré au pénitencier de Mpimba, marqué par un état d’insalubrité et de surpopulation. L’absence manifeste de tout mécanisme de contrôle sur le cachot du SNR et le pénitencier de Mpimba, où le requérant a été détenu, a indubitablement exposé ce dernier à un risque accru de subir des actes de torture. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité en conclut que les faits révèlent une violationpar l’État partie de ses obligations au titre de l’article 16, lu conjointement avec l’article 11 de la Convention.
9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation des articles2, paragraphe 1,lu conjointement avec l’article 1er,12, 13, 14, 15 et 16, lu conjointement avec l’article 11 de la Convention.
10.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à initier une enquête impartiale sur les évènements en question, dans le but de poursuivre en justice les personnes qui pourraient être responsables du traitement infligé à la victime, et à l’informer, dans un délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises conformément aux constatations ci-dessus, y inclus une indemnisation adéquate et équitable,qui comprenne les moyens nécessaires à sa réadaptation la plus complète possible.