CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.

GÉNÉRALE

CCPR/CO/72/GTM

27 août 2001

FRANÇAIS

Original: ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante-douzième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 40 DU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Observations finales du Comité des droits de l’homme

République du Guatemala

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le deuxième rapport périodique du Guatemala (CCPR/C/GTM/99/2 et HRI/CORE/1/Add.47) à ses 1940e, 1941e et 1942e séances, tenues les 17 et 18 juillet 2001 (voir CCPR/C/SR.1940, 1941 et 1942). À sa 1954e séance, tenue le 26 juillet 2001, il a approuvé les observations ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique présenté par l’État partie avec un minimum de retard et se félicite de l’intention de la délégation de poursuivre le dialogue avec le Comité. Il déplore cependant le fait que le présent rapport, même s’il contient des renseignements sur la législation du Guatemala en général, est très discret sur l’état de l’application du Pacte dans la pratique et les difficultés rencontrées dans son application. Il se félicite de ce que la délégation ait mentionné le fait dans ses déclarations. Il apprécie les renseignements fournis par la délégation sur les diverses questions, ce qui lui a permis de se faire une meilleure idée de la situation des droits de l’homme dans l’État partie.

B. Aspects positifs

3.Le Comité se félicite de la ratification par l’État partie du premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui est entré en vigueur le 28 février 2001.

4.Le Comité se réjouit de voir que des efforts ont été faits pour donner davantage de moyens au Bureau du procureur chargé des droits de l’homme et à la Commission présidentielle de coordination de la politique du pouvoir exécutif en matière de droits de l’homme (COPREDEH), ce qui leur a permis de mieux s’acquitter de leur tâche.

5.Le Comité se félicite des renseignements communiqués au sujet du démantèlement des patrouilles d’autodéfense civile, ainsi qu’au sujet des mesures adoptées pour professionnaliser les forces de police.

6.Le Comité se félicite de l’adoption de mesures législatives positives en faveur de la femme et de la création de divers organes de promotion et de défense des droits de la femme.

7.Le Comité prend note des mesures prises récemment pour instaurer une carrière judiciaire.

8.Le Comité se félicite de la reconnaissance par l’État partie de la «responsabilité institutionnelle», reconnaissance formalisée par le Président de la République et dans le cadre de laquelle sont assumés le massacre de «Dos Erres» et d’autres cas graves de violations des droits de l’homme survenus durant la guerre civile, dans le but de pouvoir accorder une réparation financière aux victimes et de garantir que les coupables seront traduits en justice.

9.Le Comité juge positive l’extension du système judiciaire à de nombreuses communes du pays à travers la création de tribunaux de juges de paix, pour certains bilingues, ayant compétence en matière pénale.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

10.En ratifiant le Pacte, l’État partie a accepté les obligations énoncées aux paragraphes 1 et 2 de l’article 2 et il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire les droits reconnus dans le Pacte et à prendre les engagements nécessaires en vue d’adopter, si ce n’était pas déjà fait, des mesures propres à donner effet à ces droits. Le Comité se déclare préoccupé par l’allégation de l’État partie suivant laquelle ses normes constitutionnelles l’empêchent de donner dûment effet aux dispositions du Pacte, ce qui l’a amené, par exemple, à maintenir une compétence ratione personae pour juger les membres des forces armées et à ne pas reconnaître certains droits des membres des communautés autochtones.

L’État partie ne devrait pas invoquer les limites de sa Constitution pour justifier le non‑respect du Pacte, mais préparer les réformes nécessaires pour le mettre en œuvre.

11.Le Comité se déclare préoccupé par les multiples situations d’urgence envisagées dans la Constitution. La possibilité de suspendre l’application de l’article 5 de la Constitution pendant les situations d’exception ne semble pas compatible avec le Pacte, puisqu’elle suspend de manière générale le droit de l’individu de faire ce qui n’est pas interdit par la loi et de ne pas être tenu d’obéir à des ordres contraires à la loi. Le Comité s’inquiète également de voir que la proclamation de l’état d’exception en juin 2001 n’a pas été dûment notifiée aux autres États parties par l’intermédiaire du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.

L’État partie doit veiller à ce que ses normes constitutionnelles relatives aux situations d’urgence soient compatibles avec l’article 4 du Pacte. Il doit également se conformer à l’obligation d’aviser le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies chaque fois qu’une situation d’urgence est décrétée, ainsi que de signaler les dispositions dont l’application est suspendue et les motifs qui ont provoqué cette suspension.

12.Le Comité s’inquiète de voir qu’en raison de l’absence de politique visant à lutter contre l’impunité, les responsables de violations de l’article 6 n’aient pas été retrouvés, jugés et punis, et que les victimes n’aient pas été indemnisées. Le Comité est préoccupé de voir que les lenteurs et les vices de la procédure judiciaire et le non‑respect par les autorités des décisions et jugements des tribunaux aient davantage ancré dans l’esprit du public l’idée que justice n’est pas rendue.

L’État partie doit:

a)Appliquer strictement la loi relative à la réconciliation nationale, qui prévoit expressément que l’amnistie ne pourra pas être accordée aux auteurs de crimes contre l’humanité;

b)Créer un organe indépendant approprié chargé d’enquêter sur les disparitions;

c)Offrir aux victimes de violations des droits de l’homme une indemnisation adéquate.

13.Le Comité se déclare vivement préoccupé par les plaintes de violations des droits de l’homme, et plus particulièrement de violations flagrantes et systématiques du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes. Il est particulièrement préoccupé par les plaintes relatives à des disparitions survenues dans l’État partie, que ce soit tout récemment ou dans le passé. Les précisions données par la délégation, qui a indiqué que des enquêtes étaient en cours au sujet de tous ces cas, ne sont pas satisfaisantes.

Étant donné les dispositions des articles 6, 7 et 9 du Pacte, l’État partie doit s’attacher en priorité à poursuivre et à traduire en justice les auteurs de violations des droits de l’homme, y compris les membres des forces de police et des forces armées. Les auteurs de ces actes doivent être jugés et punis; les démettre de leurs fonctions, ou les destituer, dans le cas des militaires, ne suffit pas. L’État partie devra également prendre les mesures nécessaires pour prévenir la survenance de tels actes.

14.Le Comité est également vivement préoccupé par les nombreuses plaintes – au sujet desquelles l’État partie n’a pas répondu – relatives à des exécutions extrajudiciaires perpétrées par d’anciens membres de l’armée et des groupes paramilitaires et qui ont été imputées à des délinquants de droit commun. De tels agissements sont incompatibles avec l’article 6 du Pacte.

L’État partie doit mener les enquêtes appropriées pour identifier les responsables des exécutions extrajudiciaires et les traduire en justice. Il devra également prendre les mesures nécessaires pour prévenir de telles violations des articles 6 et 7 du Pacte.

15.Le Comité se déclare préoccupé aussi par les informations reçues sur des cas de traite d’enfants séparés de leurs parents, ce problème n’étant toujours pas élucidé.

L’État partie doit mener à bien les enquêtes pertinentes pour identifier les responsables de la traite d’enfants et les traduire en justice. L’État partie devra également prendre les mesures nécessaires pour prévenir de telles violations des articles 6, 7 et 24 du Pacte. Il doit encore rendre les mesures pertinentes pour se conformer aux dispositions des instruments internationaux concernant le travail des enfants.

16.En dépit des activités organisées par les autorités pour sensibiliser la population, le Comité est profondément préoccupé par les plaintes concernant le lynchage de membres du pouvoir judiciaire, en violation des articles 6 et 7 du Pacte, ainsi que de la lenteur avec laquelle l’État partie semble réagir face à de tels faits.

L’État partie a l’obligation de garantir la protection intégrale de toutes les autorités, et notamment leur sécurité dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles.

17.Le Comité se déclare préoccupé par l’application de la peine de mort et en particulier par l’augmentation des délits passibles de cette peine, laquelle s’applique désormais à l’enlèvement même lorsqu’il n’est pas suivi du décès de la personne, contrairement aux dispositions du Pacte.

L’État partie doit limiter l’application de la peine de mort aux délits les plus graves et réduire le nombre de délits passibles de cette peine conformément au paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte. L’État partie est invité à envisager l’abolition totale de la peine de mort.

18.Le Comité se dit préoccupé par l’abrogation, en vertu de la loi du 12 mai 2001, du droit de grâce reconnu au paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte en cas de condamnation à la peine de mort. Il prend note des renseignements donnés par la délégation selon lesquels, en dépit de cette loi, le Président de la République a usé de ce droit au nom de la primauté des traités internationaux sur les lois ordinaires.

L’État partie doit garantir à tout condamné à mort le droit de solliciter la grâce ou la commutation de la peine, en mettant la législation en conformité avec les prescriptions du Pacte en en promulguant les règles correspondantes afin que ce droit de requête puisse être exercé.

19.La pénalisation de l’avortement, sanctionné par des peines aussi lourdes que celles que prévoit la législation en vigueur, sauf en cas de danger de mort pour la mère, pose de graves problèmes, d’autant que selon des sources dignes de foi le taux de mortalité maternelle due à des avortements clandestins est élevé et des informations sur la planification familiale font défaut.

L’État partie a le devoir de garantir le droit à la vie (art. 6) des femmes enceintes qui décident d’interrompre leur grossesse, en leur fournissant les informations et les moyens nécessaires pour garantir le respect de leurs droits et en modifiant la loi en vue d’instaurer des dérogations à l’interdiction générale de l’avortement sauf si la vie de la mère est en danger.

20.La compétence étendue des tribunaux militaires qui connaissent de toutes les affaires impliquant des membres des forces armées et leur capacité d’être saisis d’affaires qui relèvent des tribunaux de droit commun favorisent l’impunité des membres des forces armées et empêchent qu’ils soient punis en cas de violations graves des droits de l’homme, comme l’État partie l’a admis en prévoyant des réformes qui n’ont pas été approuvées lors du référendum de 1999.

L’État partie doit modifier la loi de façon que la compétence des tribunaux militaires soit limitée à l’instruction d’affaires impliquant des membres des forces armées inculpés de délits de nature exclusivement militaire (art. 6, 7, 9 et 14 du Pacte).

21.Le Comité note avec préoccupation que des membres de divers secteurs de la société, et en particulier des membres du pouvoir judiciaire, des avocats, des militants des droits de l'homme et des syndicalistes, font l’objet d’intimidations, de menaces de mort, voire sont assassinés, ce qui est une atteinte grave à l’exercice légitime de leurs fonctions (art. 6, 7 et 9 du Pacte). Le Comité déplore qu’aucune mesure efficace n’ait encore été prise pour empêcher que de tels actes se reproduisent.

L’État partie doit adopter toutes les mesures nécessaires, tant à titre de prévention que de protection, pour que les membres de divers secteurs de la société, et en particulier les membres du pouvoir judiciaire, les avocats, les militants des droits de l’homme et les syndicalistes, puissent exercer leurs fonctions sans faire l’objet de mesures d’intimidation d’aucune sorte.

22.Le Comité est préoccupé par la forte proportion de personnes en détention provisoire. Il en découle qu’un grand nombre de prévenus restent en détention provisoire pendant longtemps en attendant la fin de leur procès, ce qui est contraire au paragraphe 3 de l’article 9 et au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

L’État partie devra continuer de prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire le nombre de personnes en détention provisoire, ainsi que la durée de leur détention.

23.Le Comité déplore l’absence de renseignements précis sur les règles qui régissent la détention, notamment celles qui prévoient à partir de quel moment le détenu a accès aux services d’un avocat, d’un médecin, d’un interprète et peut avoir des contacts avec sa famille.

L’État partie doit fournir des renseignements sur ce point afin que le Comité puisse déterminer si ces règles sont compatibles avec les prescriptions des articles 9 et 14 du Pacte.

24.Le Comité est préoccupé par le maintien en vigueur d’une disposition de la législation qui exclut les poursuites pénales à l’égard de l’auteur d’un viol si celui‑ci épouse la victime, ainsi que du maintien dans la législation d’une disposition selon laquelle la femme doit être une femme honnête pour que l’on considère que les éléments de ce délit sont réunis.

L’État partie doit abroger immédiatement cette disposition, qui est incompatible avec les articles 3, 23, 26 et 2 3) du Pacte.

25.Le Comité est préoccupé par la participation insuffisante des femmes, notamment à la vie politique et au pouvoir judiciaire, et par le fait que les renseignements fournis par l’État partie ne sont pas suffisamment détaillés pour permettre au Comité d’évaluer les progrès réalisés et les problèmes qui subsistent dans ce domaine.

Afin de respecter les dispositions des articles 3, 25 et 26, l’État partie doit prendre les mesures appropriées pour accroître la participation des femmes, si nécessaire en adoptant des programmes de mesures positives, et tenir le Comité informé du résultat de ces programmes.

26.Le Comité déplore la situation des enfants des rues, qui ne cesse de s’aggraver. Ces enfants sont ceux qui sont le plus exposés aux risques de violence sexuelle et à la pratique de la traite à des fins d’exploitation sexuelle.

L’État partie doit prendre des mesures efficaces pour assurer la protection et la réinsertion de ces mineurs, conformément à l’article 24 du Pacte, y compris des mesures visant à mettre fin à l’exploitation sexuelle et à la pornographie impliquant des enfants, ainsi que des mesures en vue de punir ceux qui seraient déclarés coupables de tout acte de violence à l’égard de mineurs.

27.La situation des enfants dans l’État partie inquiète le Comité, qui est préoccupé en particulier par l’ajournement de l’entrée en vigueur du Code de l’enfance, qui a été approuvé et promulgué, et dont l’application a été suspendue après son entrée en vigueur.

L’État partie doit procéder à la promulgation d’un code de l’enfance garantissant aux mineurs la jouissance de tous leurs droits conformément à l’article 24 du Pacte.

28.Le Comité est préoccupé du fait que les lois sur la diffamation en vigueur puissent être utilisées pour étouffer les critiques à l’égard du Gouvernement ou des fonctionnaires.

L’État partie devrait modifier sa législation sur la diffamation, de façon à garantir l’équilibre voulu entre la protection de la réputation et la liberté d’expression (art. 19 du Pacte).

29.Même si le Comité reconnaît que l’État partie a fait des efforts pour améliorer la situation des membres des communautés autochtones, il déplore qu’il n’ait pas été possible de mettre en place une législation leur garantissant pleinement la jouissance de tous les droits reconnus dans le Pacte, y compris la restitution des terres communales, et l’élimination de la discrimination en matière d’emploi, d’éducation et de participation aux autres domaines de la vie civile.

L’État partie doit poursuivre ses efforts en vue de mieux permettre aux membres des communautés autochtones de jouir de tous les droits énoncés à l’article 27 du Pacte, ainsi qu’en vue de mettre en place une législation complète à cet effet. Il doit aussi veiller à ce que la mise en œuvre de cette législation améliore la situation des membres des communautés autochtones de manière véritable et pas uniquement dans le principe.

30.L’État partie doit diffuser largement son deuxième rapport périodique et les présentes observations finales.

31.L’État partie devra, conformément au paragraphe 5 de l’article 70 du Règlement intérieur du Comité, communiquer dans un délai d’un an des renseignements sur les mesures qui auront été prises compte tenu des recommandations du Comité concernant les disparitions et les exécutions extrajudiciaires (par. 12, 13, 14 et 15 des présentes observations), et de la détention préventive (par. 23). Le Comité demande que les renseignements en relation avec les autres recommandations figurent dans le troisième rapport périodique, que l’État partie devra présenter avant le 1er août 2005.

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