CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.

GÉNÉRALE

CCPR/CO/70/ARG

15 novembre 2000

FRANÇAIS

Original : ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Soixante‑dixième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES

EN VERTU DE L'ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l'homme

Argentine

1.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de l'Argentine (CCPR/C/ARG/98/3) à ses 1883ème et 1884ème séances, tenues les 25 et 26 octobre 2000. À sa 1893ème séance (CCPR/C/SR.1893), tenue le 1er novembre 2000, il a adopté les observations finales ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité remercie la délégation d'avoir expliqué de manière franche et constructive les mesures prises par l'État partie depuis la présentation de son deuxième rapport périodique pour que les droits garantis par le Pacte soient respectés. Il la remercie en outre pour les renseignements complémentaires qu'elle a fournis oralement lors de l'examen du rapport et en réponse aux questions posées par les membres du Comité.

3.Le Comité note que le système de gouvernement de l'État partie étant un système fédéral, les provinces interviennent dans la mise en œuvre d'un grand nombre de droits garantis par le Pacte et qu'il conviendrait, en conséquence, que des renseignements complémentaires soient fournis concernant les lois et mesures adoptées au niveau des provinces, pour permettre d'évaluer les progrès réalisés dans la mise en œuvre de ces droits, conformément à l'article 50 du Pacte.

B. Aspects positifs

4.Le Comité se félicite du renforcement des processus démocratiques et des mesures qui ont été prises pour promouvoir la réconciliation nationale après les années de régime militaire pendant lesquelles de nombreux droits de l'homme fondamentaux ont été violés de manière flagrante. À cet égard, le Comité note avec satisfaction que fonctionnent un certain nombre d'institutions et de programmes mis sur pied pour permettre aux victimes d'exactions commises dans le passé d'obtenir réparation, notamment le Programme de réparation historique, la Commission nationale sur la disparition de personnes et la Commission nationale pour le droit à l'identité. Il se félicite en outre des efforts qui sont actuellement déployés pour indemniser, pécuniairement entre autres, les personnes ayant été arbitrairement détenues et les familles des personnes qui sont décédées ou qui ont disparu lorsque les militaires étaient au pouvoir.

5.Le Comité prend note avec satisfaction du fait que, récemment, certains responsables des violations des droits de l'homme les plus graves, notamment les disparitions forcées, les tortures et les enlèvements d'enfants arrachés à leurs parents à des fins d'adoption illégale ou de trafic, ont été traduits en justice. Il se félicite en particulier de la création d'un mécanisme, dont les activités ne font l'objet d'aucune restriction dans le temps, chargé de rétablir l'identité des enfants arrachés à leur famille.

6.Le Comité prend note avec satisfaction des réformes qui ont été introduites récemment en vue de promouvoir l'indépendance du pouvoir judiciaire et en particulier de la mise en place d'un processus de sélection des juges par voie de concours.

7.Le Comité prend également note avec satisfaction des progrès qui ont été faits dans le domaine de la protection des droits des peuples autochtones, de l'attribution à des communautés autochtones de terres appartenant à l'État ou à des provinces dans le cadre du Registre national des communautés autochtones, et de la promotion d'une éducation multiculturelle et multilingue.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

8.Le Comité est préoccupé par l'incertitude qui persiste quant à la place du Pacte dans le droit interne. Bien que l'assurance ait été donnée que le Pacte avait rang constitutionnel et qu'il pouvait de ce fait être invoqué directement devant les tribunaux, le Comité note que l'État partie l'a décrit par ailleurs comme venant "compléter" la Constitution, sans préciser ce qu'il entendait par là. Il note aussi que le système de gouvernement fédéral confère aux provinces des responsabilités dans des domaines délicats, tels que l'administration de la justice, et que cela a donné lieu à une application inégale du Pacte en différents endroits du territoire de l'État partie.

Le Comité, rappelant la responsabilité qui est celle de l'État partie quant à l'exécution des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, recommande que des précisions soient données dans le quatrième rapport périodique sur la place du Pacte, y compris des exemples précis de cas dans lesquels les droits qui y sont reconnus ont été invoqués devant les tribunaux. Le prochain rapport devrait également donner des renseignements sur les mesures juridiques et autres qui ont été prises pour que le Pacte soit appliqué par les provinces de manière que tous puissent jouir des droits qui sont les leurs sur l'ensemble du territoire de l'État partie.

9.Le Comité est préoccupé de constater qu'en dépit des mesures concrètes qui ont été prises récemment pour remédier aux injustices commises dans le passé, y compris l'abrogation en 1998 de la loi sur le devoir d'obéissance et de la loi d'amnistie (Punto Final), un grand nombre de personnes dont les actes ont été couverts par ces lois continuent d'occuper des charges militaires ou publiques et, pour certaines d'entre elles, ont été promues dans les années qui ont suivi. Il réitère donc les préoccupations que lui inspire le climat d'impunité qui entoure les personnes ayant commis des violations flagrantes des droits de l'homme sous le régime militaire.

Les violations flagrantes des droits civils et politiques commises sous le régime militaire doivent être punissables aussi longtemps que nécessaire, aussi loin dans le passé qu'elles aient été commises, pour que leurs auteurs soient traduits en justice. Le Comité recommande que des efforts rigoureux continuent d'être faits dans ce domaine et que des mesures soient prises pour que les personnes ayant participé à des violations flagrantes des droits de l'homme soient démises de leurs fonctions militaires ou publiques.

10.À la lumière des articles 9 et 14 du Pacte, le Comité réitère la vive préoccupation que lui inspire le fait que l'État partie n'a pas pris de mesures suffisantes pour garantir le respect du principe de la présomption d'innocence dans les poursuites pénales. À cet égard, le Comité estime préoccupant que la durée de la détention avant jugement soit fixée par rapport à la durée éventuelle de la peine après condamnation plutôt qu'en fonction de la nécessité de garantir la représentation en justice de l'intéressé. Il souligne à cet égard que la détention avant jugement ne doit pas être la norme mais doit être envisagée à titre exceptionnel, dans la mesure où elle est nécessaire et compatible avec les garanties d'une procédure régulière ainsi qu'avec les dispositions du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte. Enfin, il ne devrait y avoir aucune infraction pour laquelle la détention avant jugement est obligatoire.

Tous les aspects du système de la détention avant jugement, y compris la détermination de la durée de la détention, devraient être revus eu égard aux dispositions de l'article 9 et au principe de la présomption d'innocence énoncé à l'article 14.

11.Le Comité note avec une vive préoccupation que les conditions carcérales ne sont pas conformes aux dispositions des articles 7 et 10 du Pacte. Il considère que l'extrême surpeuplement et la mauvaise qualité des produits de première nécessité et des services de base, notamment la nourriture, les vêtements et les soins médicaux, sont incompatibles avec le droit de toute personne à être traitée avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Il est établi en outre que les autorités pénitentiaires commettent des abus de pouvoir en se livrant par exemple à des actes de torture, des mauvais traitements ou des manœuvres de corruption.

Le Comité note que la construction de nouvelles installations pénitentiaires est prévue mais recommande pour l'immédiat que l'attention voulue soit accordée à la nécessité d'assurer le minimum nécessaire à toutes les personnes privées de liberté. Au sujet des plaintes faisant état de mauvais traitements ou de tortures, il recommande à l'État partie de fournir dans son prochain rapport des renseignements détaillés sur le nombre de plaintes reçues, les voies de recours dont disposent les victimes, les résultats qu'elles ont obtenus à ce jour, le genre de mesures disciplinaires ou de sanctions imposées aux personnes reconnues coupables de pratiques de ce type et les responsabilités précises de tous les organes gouvernementaux concernés aux niveaux fédéral et provincial.

12.Toujours à propos de l'article 7 du Pacte, le Comité regrette que les questions de la torture et du recours excessif à la force par la police n'aient pas été examinées comme il aurait fallu dans le présent rapport. Le Comité est préoccupé par les allégations qu'il a reçues, faisant apparaître qu'il s'agit d'un problème de grande ampleur et que les mécanismes mis en place par l'État pour le résoudre sont insuffisants.

Le Comité recommande à l'État partie de donner dans son prochain rapport des renseignements détaillés sur le nombre de plaintes reçues faisant état d'actes de torture et de mauvais traitements commis par la police, sur les recours que peuvent exercer les victimes et les résultats qu'elles ont obtenus, le genre de mesures disciplinaires ou de sanctions imposées aux personnes reconnues coupables de pratiques de ce type et les responsabilités spécifiques de tous les organes gouvernementaux concernés aux niveaux fédéral et provincial.

13.Le Comité exprime l'inquiétude que lui inspirent les agressions dont continuent d'être l'objet les défenseurs des droits de l'homme, les juges, les auteurs de plaintes, les représentants d'organisations de défense des droits de l'homme et les membres des médias. En outre, les personnes participant à des manifestations pacifiques seraient l'objet de mesures de détention et de poursuites pénales.

Les agressions dont les défenseurs des droits de l'homme et les personnes participant à des manifestations pacifiques sont victimes devraient faire l'objet d'enquêtes engagées sans délai et les auteurs de ces actes devraient être sanctionnés conformément aux règles en vigueur. L'État partie est invité à donner des détails dans son prochain rapport sur les résultats des enquêtes engagées et les procédures mises en œuvre pour sanctionner les délinquants.

14.Au sujet des droits en matière de santé génésique, le Comité constate avec préoccupation que la criminalisation de l'avortement dissuade les professionnels de la médecine de le pratiquer sans ordonnance judiciaire, même lorsque la loi les y autorise, notamment lorsqu'il est clair que la santé de la mère est en danger ou lorsque la grossesse est la conséquence d'un viol dont la victime est une handicapée mentale. Il est préoccupé également par les aspects discriminatoires des lois et politiques en vigueur qui font qu'il y a une proportion exagérée de femmes démunies et de femmes des régions rurales qui recourent à des méthodes d'avortement illégales et dangereuses.

Le Comité recommande à l'État partie de prendre des mesures pour donner effet à la loi de juillet 2000 sur la santé génésique et la procréation responsable qui prévoit la fourniture de contraceptifs et de services d'information en matière de planification familiale, afin que les femmes disposent de véritables solutions de remplacement. Il recommande en outre que les lois et politiques relatives à la planification familiale soient réexaminées régulièrement. Les femmes devraient pouvoir avoir accès aux méthodes de planification familiale et de stérilisation et, dans les cas où l'avortement peut être pratiqué légalement, tout ce qui en empêche l'accès devrait être écarté. La loi argentine devrait être modifiée de manière que l'avortement soit autorisé dans tous les cas où la grossesse est la conséquence d'un viol.

15.Se référant à l'article 3 du Pacte, le Comité se déclare préoccupé par le fait qu'en dépit de progrès notables, les attitudes traditionnelles à l'égard des femmes continuent d'avoir un effet négatif sur l'exercice des droits reconnus dans le Pacte. Le Comité est particulièrement préoccupé par l'ampleur du phénomène de la violence dont les femmes sont victimes (viol et violence familiale notamment). Le harcèlement sexuel et d'autres manifestations de discrimination dans les secteurs tant public que privé constituent également un sujet de préoccupation. Le Comité note aussi que l'information sur ces questions n'est pas systématique, que les femmes sont peu conscientes de leurs droits et des recours dont elles peuvent se prévaloir et que les plaintes ne sont pas traitées comme il conviendrait.

Le Comité recommande que soit menée une grande campagne d'information pour faire prendre conscience aux femmes de leurs droits et des recours dont elles disposent. Il demande instamment que des données fiables sur les cas de violence et de discrimination sous toutes ses formes dont les femmes sont victimes soient systématiquement recueillies et actualisées et que ces informations soient présentées dans le prochain rapport périodique.

16.Le Comité réitère sa préoccupation en ce qui concerne le traitement préférentiel, notamment dans le domaine des subventions, accordé à l'Église catholique par rapport aux autres confessions religieuses, ce qui constitue un acte de discrimination religieuse au regard de l'article 26 du Pacte.

17.Le Comité demande que le quatrième rapport périodique soit présenté le 31 octobre 2005 au plus tard. Il demande aussi que des statistiques pertinentes et ventilées portant sur les principaux domaines de préoccupation soient présentées dans ce rapport. Il demande en outre que les présentes observations finales ainsi que le prochain rapport périodique soient largement diffusés auprès du public et notamment auprès de la société civile et des organisations non gouvernementales ayant des activités dans l'État partie.

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