Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

GÉNÉRALE

CCPR/CO/76/EGY

28 novembre 2002

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑seizième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN VERTU DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

Égypte

1.Le Comité a examiné les troisième et quatrième rapports périodiques de l’Égypte (CCPR/C/EGY/2001/3) à ses 2048e et 2049e séances (CCPR/C/SR.2048 et CCPR/C/SR.2049), les 17 et 18 octobre 2002, et a adopté les observations finales ci‑après à sa 2067e séance (CCPR/C/SR.2067), le 31 octobre 2002.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction les troisième et quatrième rapports périodiques de l’Égypte tout en regrettant le retard de sept ans pour la soumission du troisième rapport et en relevant que la contraction de deux rapports en un doit être évitée à l’avenir. Le Comité se félicite, néanmoins, de pouvoir renouer le dialogue avec l’État partie, huit années s’étant écoulées depuis l’examen du rapport précédent. Il note que ce rapport contient des informations utiles sur la législation interne en relation avec la mise en œuvre du Pacte ainsi que sur l’évolution qui a eu lieu dans certains domaines juridiques et institutionnels depuis l’examen du deuxième rapport périodique. Il regrette néanmoins le manque de données concernant la jurisprudence et les aspects pratiques de la mise en œuvre du Pacte. Il se félicite, en outre, de la volonté de coopération exprimée par la délégation égyptienne, y compris par l’envoi, à la demande du Comité, de réponses écrites le 22 octobre 2002 sur des questions orales soulevées lors de l’examen du rapport.

B. Aspects positifs

3.Le Comité se félicite de certaines initiatives prises par l’État partie, ces dernières années, en matière de droits de l’homme, en particulier la création de divisions chargées des droits de l’homme au sein des Ministères de la justice et des affaires étrangères ainsi que la mise en œuvre de programmes d’éducation scolaire et universitaire de formation et de sensibilisation aux droits de l’homme pour les responsables de l’application de la loi et la société en général. Il note également certaines améliorations en faveur de la condition de la femme et se félicite de la création du Conseil national pour les femmes et de l’introduction de réformes juridiques, en particulier l’adoption de la loi n° 1 de 2000 accordant aux femmes le droit de mettre fin à un mariage unilatéralement, et la loi n° 14 de 1999 ayant abrogé la législation précédente qui donnait à l’accusé la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité en cas de rapt et de viol lorsqu’il épousait la victime.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

4.Le Comité regrette le manque de clarté qui entoure la question de la valeur juridique du Pacte par rapport au droit interne et aux conséquences qui y sont attachées.

L’État partie devrait s’assurer que sa législation donne plein effet aux droits reconnus par le Pacte et que des recours effectifs soient disponibles pour l’exercice de ces droits.

5.Tout en relevant que l’État partie considère que la charia est compatible avec le Pacte, le Comité constate le caractère général et équivoque de la déclaration faite par l’État partie lors de la ratification du Pacte.

L’État partie est prié de préciser la portée de sa déclaration ou de la retirer.

6.Le Comité s’inquiète de ce que l’état d’urgence proclamé en Égypte en 1981 est toujours en vigueur depuis cette date; en conséquence, l’État partie se trouve dans une situation d’état d’urgence quasi permanente.

L’État partie devrait envisager de réexaminer la nécessité du maintien de l’état d’urgence.

7.Tout en se félicitant des mesures prises par les autorités ces dernières années afin de promouvoir la participation des femmes dans la vie publique (par exemple au sein des services diplomatiques), le Comité note la sous‑représentation des femmes dans la plupart des secteurs publics (par exemple dans la magistrature) et privés (art. 3 et 26 du Pacte).

L’État partie est encouragé à accroître ses efforts en vue d’une meilleure participation des femmes à tous les niveaux de la société et de l’État, y compris à des postes de décision, entre autres à travers l’alphabétisation des femmes en zone rurale.

8.Le Comité constate avec préoccupation que les femmes qui demandent le divorce par résiliation unilatérale en vertu de la loi n° 1 de 2000 doivent renoncer à tout droit à une allocation financière, et notamment à leur dot (art. 3 et 26 du Pacte).

L’État partie devrait revoir sa législation afin d’en éliminer la discrimination financière à l’égard des femmes.

9.Le Comité note le caractère discriminatoire de certaines dispositions du Code pénal ne traitant pas sur un pied d’égalité hommes et femmes au regard de l’adultère (art. 3 et 26 du Pacte).

L’État partie devrait réviser les dispositions pénales discriminatoires afin de se conformer aux articles 3 et 26 du Pacte.

10.Le Comité relève la situation discriminatoire qui affecte la femme en ce qui concerne la transmission de la nationalité aux enfants lorsque le conjoint n’est pas égyptien, et en ce qui concerne les règles applicables à la transmission successorale (art. 3 et 26 du Pacte).

L’État partie est encouragé à faire aboutir ses études en cours en vue d’éliminer dans son droit interne toute discrimination entre hommes et femmes.

11.Tout en prenant note des campagnes de lutte et de sensibilisation contre les mutilations génitales féminines, le Comité constate la persistance de cette pratique (art. 7 du Pacte).

L’État partie devrait éradiquer la pratique des mutilations génitales féminines.

12.Le Comité constate avec préoccupation, d’une part, le très grand nombre d’infractions passibles de la peine de mort d’après la législation égyptienne et, d’autre part, la non-conformité de certaines de ces infractions au regard du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte.

L’État partie devrait revoir la question de la peine de mort au regard des dispositions de l’article 6 du Pacte. L’État partie est également appelé à fournir au Comité des renseignements détaillés sur le nombre de crimes passibles de la peine de mort, le nombre de personnes condamnées à mort, le nombre de condamnés exécutés, et le nombre de condamnations commuées depuis 2000. Le Comité appelle enfin l’État partie à conformer sa législation et sa pratique aux dispositions du Pacte. Le Comité recommande que l’Égypte prenne des mesures en vue d’abolir la peine de mort.

13.Tout en notant l’établissement de mécanismes institutionnels et la mise en œuvre de mesures destinées à sanctionner toute violation des droits de l’homme commise par des agents de l’État, le Comité note avec inquiétude la persistance des cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants relevant de la responsabilité des agents chargés de l’application des lois, en particulier des services de sécurité, dont le recours à de tels actes semble révéler une pratique systématique. Il est tout aussi préoccupé de l’absence, en général, d’enquêtes relatives à ces pratiques, de sanctions à l’endroit de leurs auteurs et de réparation à l’égard des victimes. Il est en outre préoccupé par l’absence d’un organe indépendant d’enquête sur ces plaintes (art. 6 et 7 du Pacte).

L’État partie devrait s’assurer de la poursuite d’enquêtes sur toutes les violations relevant des articles 6 et 7 du Pacte, et devrait diligenter, selon les résultats des investigations, des poursuites à l’encontre des auteurs de ces violations, ainsi que l’octroi de réparations aux victimes.L’État partie doit également mettre en place un organe indépendant d’enquête sur ces plaintes. L’État partie est invité à fournir, dans le cadre du prochain rapport, des statistiques détaillées portant sur le nombre de plaintes à l’encontre des agents de l’État, la nature des délits en question, les services de l’État mis en cause, le nombre et la nature des enquêtes et des poursuites engagées, ainsi que les réparations accordées aux victimes.

14.Le Comité regrette le manque de clarté quant au droit et à la pratique régissant la garde à vue, la durée de cette garde à vue et l’accès à un avocat au cours de celle‑ci. Au regard de la détention avant jugement, le Comité relève l’absence d’information sur la durée totale de celle‑ci ainsi que sur les délits concernés. Il s’inquiète du manque de clarté concernant les garanties reconnues au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Le Comité constate également la persistance de cas de détention arbitraire.

L’État partie est invité à fournir des précisions sur la compatibilité de sa législation et de sa pratique quant à la garde à vue et la détention provisoire au regard de l’article 9 du Pacte.

15.Tout en notant les explications de la délégation de l’État partie sur les inspections périodiques et spontanées diligentées par les autorités dans les établissements pénitentiaires, le Comité constate la persistance de conditions de détention incompatibles avec l’article 10 du Pacte. Il regrette, en outre, les entraves aux visites de mécanismes conventionnels et non conventionnels des droits de l’homme institués dans le cadre de l’ONU et d’organisations non gouvernementales des droits de l’homme.

L’État partie est invité à fournir au Comité, dans le cadre de son prochain rapport, des statistiques sur le nombre de personnes libérées à la suite des inspections. L’État partie est également encouragé à autoriser les visites à caractère intergouvernemental et non gouvernemental et à s’assurer du strict respect, dans les faits, de l’article 10 du Pacte.

16.Tout en comprenant les exigences de sécurité liées à la lutte contre le terrorisme, le Comité fait part de sa préoccupation quant à ses effets sur la situation des droits de l’homme en Égypte, en particulier au regard des articles 6, 7, 9 et 14 du Pacte.

a)Le Comité estime que la définition très large et générale du terrorisme dans la loi no 97 de 1992 a pour conséquence d’augmenter le nombre d’actes passibles de la peine capitale dans un sens contraire aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte;

b)Le Comité constate, avec inquiétude, la compétence accordée aux tribunaux militaires et aux tribunaux de sécurité de l’État dans le jugement de civils accusés de terrorisme, alors même que de tels tribunaux ne présentent pas des garanties d’indépendance et que leurs décisions ne sont pas susceptibles d’appel par une juridiction supérieure (art. 14 du Pacte);

c)En outre, le Comité note que des nationaux égyptiens soupçonnés ou condamnés pour terrorisme à l’étranger et expulsés vers l’Égypte n’ont pas bénéficié, en détention, des garanties requises afin de s’assurer de l’absence de mauvais traitements à leur encontre, notamment de par leur placement en détention au secret durant plus d’un mois (art. 7 et9 du Pacte).

L’État partie doit veiller à ce que les mesures prises au titre de la lutte contre le terrorisme soient pleinement conformes aux dispositions du Pacte. Il est prié de veiller à ce que toute action légitime contre le terrorisme ne soit pas une source de violations du Pacte.

17.Le Comité relève avec préoccupation les atteintes à la liberté de religion ou de conviction.

a)Le Comité déplore l’interdiction de culte frappant la communauté des bahaïs;

b)Le Comité s’inquiète, en outre, des pressions sur la justice exercées par des extrémistes se réclamant de l’islam, qui parviennent même, dans certains cas, à imposer aux tribunaux leur propre interprétation de la religion (art. 14, 18 et 19 du Pacte).

L’État partie doit, d’une part, mettre son droit interne et sa pratique en conformité avec l’article 18 du Pacte au regard des droits des membres de la communauté bahaïe et, d’autre part, renforcer sa législation, notamment la loi no 3 de 1996, pour se conformer aux articles 14, 18 et 19 du Pacte.

18.Le Comité est vivement préoccupé par l’absence d’intervention de l’État partie à la suitede la diffusion dans la presse égyptienne de certains articles très violents dirigés contre les juifs, qui sont de véritables appels à la haine raciale ou religieuse et qui constituent une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence.

L’État partie doit prendre toutes les mesures nécessaires afin de sanctionner de tels faits en faisant respecter le paragraphe 2 de l’article 20 du Pacte.

19.Le Comité constate la pénalisation de certains comportements tels que ceux qui sont qualifiés de «débauche» (art. 17 et 26 du Pacte).

L’État partie doit veiller au strict respect des articles 17 et 26 du Pacte, et s’abstenir de réprimer les relations sexuelles privées entre adultes consentants.

20.Tout en notant les efforts fournis par l’État partie en vue d’assurer l’éducation aux droits de l’homme et à la tolérance, le Comité relève les résultats encore insuffisants dans ce domaine.

L’État partie est invité à renforcer l’éducation aux droits de l’homme et à prévenir par l’éducation toutes les manifestations d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction.

21.Le Comité se déclare préoccupé par les restrictions apportées par la législation égyptienne et la pratique à la constitution d’organisations non gouvernementales ainsi qu’à leurs activités, en ce qui concerne notamment la recherche de financement externe nécessitant l’autorisation préalable des autorités, sous peine de condamnations pénales (art. 22 du Pacte).

L’État partie devrait revoir sa législation et sa pratique pour permettre aux organisations non gouvernementales d’exercer leurs attributions sans entraves incompatibles avec les dispositions de l’article 22 du Pacte, telles que l’autorisation préalable, le contrôle du financement et la dissolution administrative.

22.Le Comité constate les entraves, de fait et de droit, portées à la création et au fonctionnement de partis politiques, principalement à travers la commission instituée par la loi sur les partis politiques no 40 de 1977, qui ne présente pas toutes les garanties d’indépendance (art. 22 et 25 du Pacte).

L’État partie doit permettre l’expression démocratique du pluralisme politique et donc se conformer à ses obligations au regard du Pacte, en tenant compte de l’observation générale no 25 du Comité. L’État partie est également invité à faire état, dans le cadre de son prochain rapport, de la liste des infractions permettant à un tribunal de prononcer la privation des droits civils et politiques.

23.L’État partie devrait donner une large diffusion au texte des rapports périodiques et aux présentes observations finales.

24.Conformément au paragraphe 5 de l’article 70 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait adresser dans un délai d’un an des renseignements sur la suite donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 6, 12, 13, 16 et 18 du présent texte. Le Comité demande à l’État partie de communiquer dans son prochain rapport, qu’il doit soumettre d’ici au 1er novembre 2004, des renseignements sur les autres recommandations qu’il a faites et sur l’application du Pacte dans son ensemble.

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