NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.85419 janvier 2009

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Quarante et unième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 854e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le vendredi 14 novembre 2008, à 10 heures

Président: M. GROSSMAN

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial du Kenya (suite)

La séance est ouverte à 10 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial du Kenya (CAT/C/KEN/1) (suite)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation k é nyane reprend place à la table du Comité.

2.MmeMOHAMED (Kenya) rappelle que le rapport initial du Kenya a été rédigé conformément aux Directives générales concernant la forme et le contenu des rapports périodiques que les États parties doivent présenter en application de l’article 19 de la Convention. L’ensemble des ministères concernés par l’application de la Convention ont participé à son élaboration et la Commission nationale des droits de l’homme et plusieurs organisations non gouvernementales ont également été pleinement associées au processus. Le Kenya regrette de ne pouvoir encore soumettre au Comité son document de base, pourtant presque achevé.

3.M. KIHWAGA (Kenya) confirme que la Convention n’a pas été incorporée dans le droit interne kényan. Conscient du problème posé par l’impossibilité pour les tribunaux de s’appuyer sur la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention, le Gouvernement a inclus dans le Plan national d’action en faveur des droits de l’homme des recommandations tendant à ce que l’ensemble des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, y compris la Convention contre la torture, soient transposés en droit interne. Le Parlement sera très prochainement saisi de projets de dispositions dont le contenu découle directement de la Convention. Quant à l’âge de la responsabilité pénale, qui est de huit ans, il pourrait être relevé; la question sera en tout cas dûment examinée dans le cadre du processus d’élaboration de la stratégie nationale en matière de droits de l’homme.

4.M. KIRAITHE (Kenya) dit que les plaintes pour torture portées contre des fonctionnaires de police doivent donner lieu à l’établissement d’un procès-verbal et que toute personne qui présente des lésions, graves ou légères, est examinée par un médecin sans délai. Le fonctionnaire saisi d’une plainte pour torture doit informer sa hiérarchie, à charge pour elle d’entamer l’enquête préliminaire. S’il y a lieu de croire qu’une infraction pénale grave a été commise, l’affaire est transmise au Procureur général. Au vu des éléments de preuve réunis, ce dernier peut engager des poursuites devant les tribunaux. Tout fonctionnaire de police mis en cause pour acte de torture est systématiquement suspendu de ses fonctions pendant toute la durée de la procédure. Lorsque les faits sont moins graves, une action disciplinaire est engagée et le fonctionnaire concerné est alors passible d’un éventail de sanctions qui vont de la simple lettre d’avertissement à la révocation. En 2007, des procédures disciplinaires ont été engagées contre 224 fonctionnaires de police; la délégation n’est toutefois pas en mesure d’indiquer combien d’entre elles concernaient des actes de torture. Quant aux personnes détenues par les unités spéciales de la police, la loi sur la police et le Code de procédure pénale disposent que toute personne arrêtée et détenue par la police parce qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction est placée en détention sur le lieu de l’infraction ou de l’arrestation. Le détenu peut néanmoins être déplacé pour les besoins de l’enquête, ce qui, compte tenu de l’étendue du pays, nécessite parfois de longs trajets. Quoi qu’il en soit, toute personne arrêtée doit être présentée à un juge inspecteur dans les vingt-quatre heures qui suivent son arrestation. Il y a également lieu de signaler qu’il existe des registres de détenus qui doivent notamment contenir des informations sur l’état de santé de toute personne arrêtée.

5.En ce qui concerne l’obligation de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis, il faut rappeler qu’en application de la loi sur la police, toute plainte pour torture portée contre un fonctionnaire de police doit donner lieu à une enquête. Conscient de ses obligations au titre de la Convention, le Kenya reconnaît toutefois que le traitement immédiat des plaintes, quelles qu’elles soient, reste pour lui une gageure. Toutefois, l’entrée en fonctions d’un organe indépendant de surveillance de la police, dont la mise en place témoigne de sa volonté de promouvoir l’impartialité des enquêtes, lui permettra de mieux s’acquitter de ses obligations en la matière.

6.L’équipe spéciale chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme perpétrées au lendemain des élections de décembre 2007 traite notamment toutes les affaires de viol, y compris lorsque leurs auteurs présumés sont des policiers; bénéficiant du concours de diverses ONG, elle s’emploie à identifier les auteurs de ces actes. Elle est régulièrement tenue de présenter des rapports comportant notamment la liste des fonctionnaires de police suspectés d’agissements illicites. Il convient de signaler que les policiers dont les agissements, bien que répréhensibles, ne présentent pas une gravité suffisante pour que des poursuites soient engagées devant les tribunaux, restent passibles de sanctions disciplinaires. De plus, l’équipe spéciale a été chargée de faire des recommandations sur les moyens qui pourraient être mis en œuvre par la police pour que les droits de la femme soient mieux respectés dans le cadre des opérations de police. Le Comité doit savoir que, de manière générale, le Kenya s’efforce de tirer les enseignements des événements récents.

7.Le conseil de surveillance de la police est composé d’un représentant du clergé, de deux représentants d’organisations de la société civile, d’un représentant du monde des affaires et de deux spécialistes des questions de police qui ne sont plus en fonctions. Les deux secrétaires adjoints du conseil sont un fonctionnaire de police et un fonctionnaire de l’administration. Le Kenya reconnaît qu’il rencontre des difficultés dans l’application du principe de l’interdiction de la torture consacré par l’article 83 de sa Constitution. C’est ainsi que des actes de torture ont pu être commis par des policiers qui cherchaient à obtenir des aveux. Toutefois, la situation a changé à partir de 2003 lorsque les tribunaux ont cessé de considérer les aveux comme des éléments de preuve déterminants. Les aveux n’ont plus à eux seuls de véritable force probante; pour emporter la conviction des juges ils doivent être circonstanciés. L’application du principe d’interdiction de la torture a également posé des problèmes dans les régions isolées où le tribunal le plus proche est parfois situé à une journée de voyage par la route ou dans les postes de police qui ne comptent qu’un ou deux fonctionnaires. Par ailleurs, il faut reconnaître qu’à ce jour, le Kenya ne dispose d’aucune procédure spéciale pour le traitement des actes de torture commis par des fonctionnaires. La mise en place d’un mécanisme de plainte au sein de la police est néanmoins envisageable dans le cadre des réformes actuelles. Quant à la corruption, elle reste un défi pour le Kenya, car il s’agit d’un phénomène profondément enraciné dans la société. Il y a toutefois lieu de signaler que d’importants efforts sont déployés pour que les fonctionnaires de police qui s’en rendent coupables se voient appliquer des sanctions disciplinaires, qu’ils soient traduits devant la Commission nationale anticorruption ou devant les tribunaux. La délégation regrette de ne pas disposer de données chiffrées sur la question; le Comité doit toutefois savoir qu’un grand nombre de sanctions disciplinaires et de sanctions pénales ont été prononcées.

8.Pour ce qui est des violences signalées lors des opérations menées au Mont Elgon et à Matari, les autorités prennent très au sérieux les rapports établis par différentes ONG sur la question. Elles estiment cependant que certaines allégations sont excessives, en particulier en ce qui concerne le nombre supposé de cas de disparitions forcées. Le Comité doit savoir que lorsqu’elles étaient suffisamment étayées, les allégations de violations graves des droits de l’homme ont donné lieu à enquête et à poursuites.

9.M. MACGOYE (Kenya) indique que 44 816 personnes sont actuellement détenues dans les prisons kényanes, dont 18 327 prévenus et 26 489 condamnés. Parmi les prévenus, 991 encourent la peine de mort, dont 507 femmes. Pour ce qui est des condamnés, 22 044 le sont pour des infractions relativement peu graves, dont 825 femmes. 3 610 sont condamnés à mort, dont 61 femmes. Quant aux mesures prises pour lutter contre la surpopulation carcérale, elles reposent en grande partie sur l’application de peines de substitution, une piste que l’État partie n’a pas encore suffisamment explorée. Il est en outre envisagé d’accorder la possibilité aux directeurs des administrations pénitentiaires de refuser l’admission de prévenus pour obliger les autorités à trouver d’autres moyens que l’incarcération. Il y a également lieu de souligner que les services compétents ont entrepris d’étudier les dossiers de personnes condamnées à des peines de plus de sept ans d’emprisonnement, y compris à la prison à vie et à la peine capitale. Certains dossiers seront soumis au Président afin qu’il exerce, le cas échéant, son droit de grâce.

10.La Direction permanente de l’inspection des prisons envoie régulièrement de hauts fonctionnaires de l’administration pénitentiaire dans les prisons afin qu’ils vérifient si les conditions de détention, notamment les conditions d’hygiène, sont conformes aux normes. Les nouveaux détenus doivent être informés dès leur arrivée à la prison ou leur admission dans un centre de détention provisoire de leur droit de former un recours contre la décision les frappant. Des ONG avec lesquelles l’administration pénitentiaire a créé des partenariats aident les détenus à avoir accès à la justice dans les meilleurs délais. En outre, en vertu de la loi sur les prisons, ces derniers peuvent obtenir une commutation de peine ou une remise en liberté anticipée pour bonne conduite. Enfin, il convient de signaler que l’on est en train de construire cinq nouveaux établissements pénitentiaires et que la capacité des prisons existantes a été améliorée grâce à la construction de plusieurs cellules et d’un nouveau quartier.

11.En réponse aux allégations selon lesquelles des personnes se seraient vu refuser l’accès aux prisons, M. MacGoye indique que les visiteurs autres que les proches des détenus doivent obtenir une autorisation préalable de l’administration pénitentiaire et qu’à ce jour, aucun individu ou groupe de personnes ayant obtenu cette autorisation ne s’est vu refuser l’accès aux prisons pendant les heures de visite réglementaires. Les magistrats sont tenus de se rendre régulièrement dans les prisons, mais force est de reconnaître qu’ils s’acquittent rarement de cette obligation. En vertu de la loi sur les prisons, les juges inspecteurs peuvent se rendre dans les prisons à n’importe quel moment et s’entretenir en tête-à-tête avec les détenus et, le cas échéant, inscrire leurs remarques dans le registre des visites afin que la direction de l’établissement prenne les mesures voulues.

12.Le règlement interne des prisons prévoit que, lorsqu’un membre du personnel d’un établissement pénitentiaire fait l’objet d’allégations de mauvais traitements ou de torture, il est suspendu et ne touche que la moitié de son salaire jusqu’à ce que l’enquête interne ait été menée à bien. La loi sur les prisons garantit le droit des détenus à être examinés par un médecin mais, dans la pratique, ce droit n’est pas respecté car il n’y a en tout et pour tout que cinq médecins pour tous les établissements pénitentiaires du pays. En théorie, tous les détenus devraient subir un examen médical à leur arrivée en prison, lors d’un transfert et avant leur remise en liberté. Les détenus ne peuvent avoir accès à un médecin de leur choix que sur décision d’un tribunal ou avec l’autorisation du directeur de l’administration pénitentiaire. Ceux qui ont besoin de soins spécialisés sont transférés dans l’hôpital le plus proche. Le personnel pénitentiaire reçoit une formation dans le domaine des droits de l’homme et les programmes pertinents sont mis à jour en collaboration avec des ONG. Enfin, un code de conduite et un manuel sur l’application des normes relatives aux droits de l’homme dans le système pénitentiaire, élaborés également en collaboration avec des ONG, ont été distribués au personnel pénitentiaire.

13.La loi sur les prisons dispose que les membres du personnel pénitentiaire ont l’interdiction de provoquer délibérément un détenu ou de faire usage de la force sans y avoir été autorisés par le directeur de la prison et que les personnes qui enfreignent cette interdiction sont passibles de sanctions. Afin de prévenir la violence entre détenus, les responsables des établissements pénitentiaires font en sorte de séparer les détenus vulnérables des détenus potentiellement dangereux mais cela n’est pas toujours possible vu la capacité insuffisante des prisons. En principe, les détenus qui craignent pour leur sécurité peuvent être transférés dans un autre quartier ou, le cas échéant, une autre prison. De même, les gardiens qui ont fait l’objet de plaintes peuvent être mutés dans un autre établissement. Les détenus qui s’estiment victimes d’une violation ont la possibilité de demander à voir un agent public, un magistrat ou le directeur de l’administration pénitentiaire. Dans le cas où ils n’auraient pas osé porter plainte tant qu’ils étaient en prison, ils peuvent saisir l’occasion de leur comparution devant un tribunal pour le faire et, s’ils allèguent y avoir été torturés, une enquête est ouverte. En outre, il convient de signaler l’existence dans les prisons de tribunaux internes où les détenus sont représentés, qui peuvent juger les gardiens qui ont enfreint le règlement et prononcer des sanctions disciplinaires à leur encontre. Enfin, les détenus qui ont besoin de béquilles pour se déplacer sont, pour des raisons de sécurité, soit internés dans un hôpital ou un établissement de soins, soit placés dans une cellule individuelle.

14.MmeNJAU-KIMANI (Kenya) indique, en réponse aux questions posées sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, que la Constitution garantit l’inamovibilité des juges mais que, dans le cas où un juge serait accusé de manquement au devoir professionnel, le Président de la République chargerait un tribunal d’ouvrir une enquête, à la suite de laquelle ce tribunal pourrait, le cas échéant, recommander la révocation de l’intéressé. Des débats sont en cours sur la question de savoir si les tribunaux devraient être tenus de signer des contrats-programmes. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement a fait savoir clairement que la réforme en cours des tribunaux ne saurait être remise en question car elle s’inscrit dans le cadre plus large des réformes du système judiciaire, qui ont pour objectif principal d’améliorer l’accès de la population aux tribunaux, de rétablir la confiance du public dans la justice et de régler le problème de la surpopulation carcérale, notamment évitant autant que possible de recourir au placement en garde à vue ou en détention provisoire.

15.En ce qui concerne l’indemnisation des victimes d’infractions pénales, Mme Njau-Kimani signale qu’en 2003, le Code de procédure pénale a été complété par l’introduction de l’article 175, dont les dispositions prévoient qu’en matière pénale, notamment dans une affaire de torture, le tribunal peut condamner le responsable à verser à la victime une indemnisation d’un montant équivalant aux dommages et intérêts que celle-ci pourrait se voir octroyer par une juridiction civile, ce qui évite à cette dernière de devoir entamer une action en réparation devant les tribunaux civils. Cet aspect revêt une importance cruciale, étant donné que les frais de justice sont très élevés au Kenya. Une autre nouvelle disposition incorporée dans le Code de procédure pénale permet aux proches de la victime de réclamer réparation en invoquant le fait que les tortures ou les mauvais traitements subis par la victime ou son décès ont eu des répercussions sur leur vie.

16.S’agissant de deux défenseurs des droits de l’homme dont le cas a été évoqué par des membres du Comité, Mme Njau‑Kimani indique que M. Wafula Buke a été arrêté pour avoir organisé une manifestation sans autorisation et que M. Okoiti Omtata a été arrêté et gardé à vue pendant trois jours pour trouble à l’ordre public mais que tous deux ont été remis en liberté.

17.MmeMWANGI (Kenya) dit qu’un plan national pour l’éradication des mutilations génitales féminines est actuellement appliqué dans le pays et que les activités menées dans ce cadre sont suivies par une équipe multisectorielle composée notamment de représentants d’ONG. Parmi les modifications qui ont été apportées à la loi afin de combattre les pratiques culturelles néfastes pour les enfants, il convient de citer l’adoption de l’article 14 de la loi sur l’enfance de 2001, qui protège les mineurs contre les pratiques traditionnelles néfastes dont les mutilations génitales féminines, les mariages précoces et d’autres coutumes. En 2006, le Gouvernement a promulgué la loi sur les infractions sexuelles et le Procureur a constitué une équipe spéciale multisectorielle dirigée par une juge de la Cour d’appel afin de suivre l’application de ladite loi. Cette équipe spéciale a pour mandat notamment de formuler des propositions concernant les modifications éventuelles à apporter à cette loi, d’élaborer un cadre stratégique et des lignes directrices concernant son application et de mener des campagnes de sensibilisation sur les mutilations génitales féminines. Conformément aux recommandations de l’équipe spéciale, le Procureur général a publié en octobre 2008 deux règlements tendant à renforcer l’application de la loi, dont l’un prévoit la création d’une banque de données contenant le profil génétique de toutes les personnes reconnues coupables de violences sexuelles. En 2006, le Procureur général a publié, à l’intention des procureurs chargés d’affaires de sévices sexuels, un manuel sur la conduite de la procédure dans ce type de cas, qui a été élaboré en collaboration avec une ONG régionale, Femmes, droit et développement en Afrique (FeDDAF). Ce document est utile non seulement aux procureurs, mais aussi aux membres de la police, des organes judiciaires et des établissements pénitentiaires et il sert de base aux activités de sensibilisation se rapportant au problème des violences sexuelles.

18.Quatre projets de loi en rapport avec les droits des femmes sont en attente d’adoption depuis 1999. Ces textes portent respectivement sur: l’égalité des chances; la famille, en particulier la violence familiale; le mariage (harmonisation des cinq régimes matrimoniaux coexistant au Kenya); et le régime de participation aux acquêts. Ces projets ont été commentés dans le cadre d’un large processus de consultations, au terme duquel la Commission nationale de la réforme du droit les a soumis au Procureur général pour approbation. Ils devraient donc être adoptés dans un avenir proche.

19.M. IRINGO (Kenya) dit que les problèmes liés aux droits fonciers et les violations des droits de l’homme commises au Kenya sont étroitement liés. L’économie du pays dépend en majeure partie de l’agriculture et de l’élevage et la concurrence pour les terres fertiles est extrêmement âpre. Les inégalités entre les divers groupes ethniques dans l’accès à la terre sont le produit de la politique pratiquée à l’époque où le pays était sous la domination de colons qui se sont approprié des territoires entiers, contraignant des groupes de population à se réinstaller dans d’autres régions où ils ont été mal accueillis par la population locale. Lors de l’accession du Kenya à l’indépendance, le système foncier établi par l’administration coloniale a été officiellement aboli mais certains politiciens ont continué à établir des distinctions entre les groupes ethniques en matière d’accès à la terre pour en tirer des avantages personnels. Par exemple, lors des émeutes qui ont suivi les élections de 2007, les miliciens des Forces de défense des terres des Sabaot (SLDF), soutenus par des politiciens de la région du Mont Elgon, ont pris prétexte de leurs revendications foncières pour commettre des exactions, ce qui a entraîné le déplacement de plus de 3 000 civils. Afin d’empêcher que de tels troubles ne se reproduisent et de prêter assistance aux victimes de déplacements forcés et massifs, le Gouvernement de coalition s’emploie actuellement à élaborer un plan global de réforme foncière. En effet, le règlement de la question foncière figure parmi les priorités du plan de paix, car il y va de la paix et de la stabilité du pays.

20.MmeMWANGI (Kenya) rappelle qu’en 2006, le Gouvernement a promulgué la loi sur les réfugiés, dont l’article 18 prévoit notamment qu’un étranger ne peut pas être renvoyé vers un pays où il risque d’être persécuté en raison de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques ou d’autres motifs et où son intégrité physique ou sa vie pourraient être menacées. Même si le risque de torture n’est pas expressément cité dans les dispositions dudit article, il peut être considéré comme une raison de ne pas expulser une personne vers un autre État, étant donné que la torture constitue une atteinte à l’intégrité physique.

21.MmeMOHAMED (Kenya) rappelle que depuis les années 60, le Kenya a accueilli plusieurs vagues de réfugiés dont, successivement, des Rwandais, des Érythréens, des Éthiopiens, des Soudanais et des Somaliens, et que tous ces réfugiés se sont très bien intégrés dans la société kényane. Des problèmes se sont toutefois posés lors de l’arrivée de la toute dernière vague de réfugiés fuyant le conflit en Somalie, le Gouvernement ayant dû procéder à des contrôles plus stricts afin de s’assurer qu’aucun combattant présentant un danger pour la sécurité intérieure du Kenya n’entre dans le pays. Exceptionnellement, le processus d’admission des réfugiés a donc été beaucoup plus lent.

22.MmeSVEAASS (Rapporteuse pour le Kenya) confirme que le Kenya est connu pour son hospitalité; il est donc d’autant plus important que le Gouvernement fasse toute la lumière sur les extraditions qui auraient été contraires à l’article 3. Cela témoignerait de sa volonté de remédier non seulement aux abus et injustices du passé, mais aussi aux erreurs plus récentes. Il faut souligner à ce propos que l’adoption d’une définition précise de la torture est également essentielle en matière d’extradition. Par ailleurs, l’État partie a, dans ce contexte, invoqué des raisons de sécurité nationale, mais sans préciser s’il avait adopté un plan d’action dans ce domaine et évalué la menace terroriste, comme l’ont fait beaucoup d’autres États pour justifier le renforcement de leurs mesures de sécurité.

23.Le Comité se félicite de la réforme judiciaire engagée par l’État partie ainsi que des différents projets de lois qui sont à l’étude. Il souhaiterait cependant savoir quel calendrier est prévu pour la mise en œuvre du Plan national pour les droits de l’homme. Il salue également la mise en place d’une politique de réforme foncière. Il est conscient des grandes difficultés que rencontre l’État partie dans ce domaine et espère que la recherche de solutions restera une priorité absolue. Enfin, il note avec satisfaction que les suspects doivent désormais être déférés à la justice dans un délai de vingt-quatre heures et que cette règle est de plus en plus respectée dans la pratique.

24.L’accès des femmes à la justice reste un sujet de grave préoccupation. Il est particulièrement important que le personnel se trouvant en première ligne soit sensibilisé aux droits des femmes et aux problèmes que celles-ci rencontrent pour les faire respecter. Une ONG a relevé par exemple que l’article 38 du projet de loi sur la violence sexuelle pourrait être utilisé pour se retourner contre les plaignantes. La formation des agents de l’État n’est toutefois pas la seule priorité. Il est tout aussi important d’informer les gens, car ils ne peuvent pas exercer leurs droits s’ils ne les connaissent pas. Des informations communiquées par la Commission nationale des droits de l’homme devaient être affichées dans les postes de police, mais cela n’a apparemment pas été fait partout. De même, il serait utile de rendre publiques les sanctions prononcées contre des policiers, car cela permettrait à la fois de dissuader le personnel et d’encourager les victimes à porter plainte. Des précisions sur ces sanctions seraient d’ailleurs bienvenues, car il ne semble pas que beaucoup de policiers aient été jugés et condamnés. Dans le cas du personnel pénitentiaire, la mutation dans un autre établissement n’est pas une mesure suffisante. Quant aux inspections de la Commission des droits de l’homme, elles semblent relativement régulières dans les prisons, mais beaucoup moins dans les locaux de la police.

25.Enfin, la délégation est invitée à commenter les informations selon lesquelles plusieurs militants des droits de l’homme auraient récemment été enlevés dans un restaurant et brutalisés.

26.M. WANG Xuexian (Corapporteur pour le Kenya) se félicite que l’État partie soit déterminé à tirer au clair les violences qui se sont produites au Mont Elgon et ailleurs, car les actes de ce genre exigent une enquête immédiate et exhaustive. D’une façon générale, l’État partie doit faire son possible pour enquêter sans tarder sur toute allégation de violence, malgré les difficultés que cela peut poser et même si certaines allégations peuvent sembler fausses.

27.Des précisions sur l’aide juridique seraient bienvenues, car le montant très élevé des cautions et des honoraires d’avocat reste l’une des principales causes de la surpopulation carcérale. Par ailleurs, il a été dit qu’une surveillance publique était désormais exercée sur le fonctionnement des prisons, mais s’agit-il d’une mesure officielle inscrite dans un texte de loi? Enfin, la délégation est invitée à commenter les informations selon lesquelles les personnes en détention provisoire reçoivent une demi-ration alimentaire au motif qu’elles ne travaillent pas, contrairement aux détenus déjà condamnés.

28.La question foncière est un problème politique, social et économique majeur qui touche non seulement le Kenya mais toute l’Afrique, et qui doit être résolu impérativement. Bien qu’il ne relève pas de son mandat, le Comité s’y intéresse dans la mesure où les situations qu’il engendre sont source de violations de la Convention.

29.M. MARIÑO MENÉNDEZ fait observer que le Kenya interprète le principe du non-refoulement à la lumière du droit des réfugiés, alors que celui-ci est beaucoup plus restrictif que la protection de l’asile en général et surtout que l’article 3 de la Convention, qui vise à protéger toute personne contre la torture, y compris les criminels. Il serait donc important d’avoir des précisions sur l’assistance juridique, qui doit être proposée non seulement aux détenus mais aussi aux victimes de torture qui ne se trouvent pas nécessairement en détention, ainsi que de savoir si le droit des détenus étrangers de faire appel aux autorités consulaires de leur pays est garanti dans la législation de l’État partie.

30.Il a été dit qu’un fonctionnaire ne pouvait pas invoquer l’ordre d’un supérieur pour justifier un acte illégal, mais il semble que ceux qui transgressent cette règle en connaissance de cause sont rarement sanctionnés. Des précisions à ce sujet seraient bienvenues. Enfin, l’État partie est vivement encouragé à ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, ce qui lui permettrait notamment d’enquêter plus facilement sur toutes les disparitions sans avoir à se demander si les proches ont porté plainte ou non.

31.MmeGAER fait observer que nombre de questions sont restées sans réponse. Par exemple, on a beaucoup parlé de la violence dans toutes sortes de contextes alors que, d’après les ONG, c’est en détention qu’ont lieu la plupart des cas de brutalités ou de torture: 59 % des détenus ont ainsi déclaré avoir vu des codétenus être maltraités et 83 % ont déclaré avoir été eux-mêmes battus. Autrement dit, ces actes sont le fait de fonctionnaires et l’État partie a donc la possibilité d’en faire beaucoup plus à ce sujet, d’autant que, sur ce point, ses obligations au titre de la Convention sont très claires. Face à ces pratiques aussi généralisées, on peut se demander s’il est réellement décidé à prendre des mesures concrètes pour mettre fin à cette situation, qui est en outre aggravée par l’impunité et l’inutilité des recours ouverts aux victimes.

32.D’après une déclaration du Procureur général récemment publiée dans la presse, les enquêtes menées par la Commission Waki ne remplissent pas les conditions requises pour permettre d’inculper les coupables présumés. La délégation est invitée à fournir des explications à ce sujet. Elle est priée également d’indiquer si l’État partie envisage de modifier la loi sur l’enfance, qui fixe semble-t-il à 8 ans seulement l’âge de la responsabilité pénale. Enfin, des informations sont toujours attendues sur un certain nombre de cas très bien documentés qui figurent en annexe aux rapports soumis par les ONG, notamment 17 affaires de torture en souffrance devant les tribunaux et 44 décès en détention ou en garde à vue, dont 39 concernent des personnes qui n’avaient même pas 40 ans.

33.Le PRÉSIDENT rappelle que la question des aveux extorqués sous la torture est également importante. De tels aveux ne peuvent être acceptés par un tribunal, même s’ils sont corroborés par d’autres éléments de preuve.

34.MmeMOHAMED (Kenya) dit qu’elle va s’efforcer de répondre à certaines des questions posées par le Comité et qu’il sera répondu aux autres par écrit. Elle explique que le Comité permanent d’examen des plaintes a été créé en juin 2007 pour améliorer l’efficacité du service public, mais aussi pour décharger les tribunaux. Il a pour mandat d’enquêter sur toutes les plaintes visant des fonctionnaires de tous les organismes publics (abus de pouvoir, corruption, conduite contraire à l’éthique professionnelle, retard injustifié dans le traitement d’un dossier, mauvaise gestion, incompétence, etc.). Il est composé d’un président, d’un secrétaire exécutif et de quatre membres, et est assisté d’un important secrétariat. En un an, il a déjà examiné une centaine de plaintes. L’objectif est de le faire évoluer par la suite en un véritable Bureau du Médiateur. Le programme national d’aide juridique et de sensibilisation n’a que quelques mois d’existence et consiste pour le moment en six projets pilotes conduits dans des régions où des besoins particuliers ont été identifiés. Outre l’aide juridique aux personnes démunies, il vise à renforcer les actions de sensibilisation auprès des groupes vulnérables, en particulier des femmes.

35.Le Service du renseignement participe à l’élaboration de la politique de sécurité du pays, qui a été touché à plusieurs reprises par le terrorisme − attentats à Nairobi et Mombasa, puis contre l’ambassade des États-Unis à Nairobi – et a fait l’objet de nombreuses menaces, de sorte que les services de sécurité sont toujours en état d’alerte. La dégradation de la situation et les attentats commis en Somalie voisine ayant provoqué un afflux massif de réfugiés, il a fallu faire face aux problèmes posés tout en s’assurant que les intérêts de la sécurité nationale ne passaient pas après les obligations internationales qui incombent au Kenya. La délégation prie donc le Comité de faire preuve de compréhension à ce sujet, car ces questions sont en réalité des priorités internationales et pas seulement nationales. Le Kenya reçoit d’ailleurs beaucoup de soutien de la part d’autres pays et d’organisations internationales qui ont connu les mêmes problèmes, notamment d’organismes des Nations Unies qui ont bien conscience des menaces que fait peser le terrorisme.

36.En ce qui concerne le rapport Waki, la Commission d’enquête elle-même a reconnu qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants, ce pourquoi elle a recommandé la mise en place d’un tribunal chargé d’établir les faits et de poursuivre les coupables. Quant aux 17 affaires et 44 noms qui sont cités dans une annexe aux rapports des ONG, Mme Mohamed doit reconnaître qu’elle n’en a eu connaissance que la veille, en même temps que les membres du Comité. Elle a l’intention de faire procéder systématiquement à une enquête pour chaque nom cité et de faire parvenir les informations recueillies au Comité.

37.Mme NJAU-KIMANI (Kenya) rappelle que le Gouvernement a mis en place un programme national d’aide juridique et de sensibilisation qui a démarré avec un processus pilote mené sous le contrôle des autorités. Ce programme devrait faciliter la conception d’un plan national de formation et d’aide fondé sur un cadre législatif approprié. Il s’inscrit dans un contexte de réformes du secteur judiciaire et devrait favoriser l’accès à la justice, en particulier pour les personnes pauvres et vulnérables qui ignorent souvent leurs droits. Il faut garder à l’esprit qu’une partie de la population est analphabète, démunie et très méfiante à l’égard des institutions.

38.Mme MOHAMED (Kenya) dit que toutes les questions auxquelles la délégation n’a pas répondu feront l’objet de réponses écrites adressées au Comité, lequel sera également dûment informé des résultats des réformes en cours et de l’évolution de la situation dans le domaine des droits de l’homme. Elle précise que les policiers, au même titre que tous les agents publics, doivent rendre compte de leurs actes ou de leurs omissions et en sont tenus responsables. Elle prend également note de la recommandation visant à ce que le Kenya envisage de ratifier la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Enfin, en ce qui concerne les séquelles de la colonisation qui se font sentir non seulement au Kenya mais dans nombre de pays anciennement colonisés par les partenaires et amis que sont devenus les Britanniques, le Gouvernement kényan a la ferme volonté de traiter cette question de manière plus complète et globale que cela n’a été fait jusque-là.

39.Le PRÉSIDENT remercie la délégation et escompte que le dialogue ainsi engagé se poursuivra.

40.M. WANG Xuexian tient à féliciter le Kenya de l’action qu’il mène depuis des années en faveur des réfugiés venus de pays voisins et estime que l’ensemble de la communauté internationale lui est redevable à ce titre.

41.La délégation ké nya ne se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 15.

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