Nations Unies

CAT/C/SR.939

Convention contrela torture et autres peinesou traitements cruels,inhumains ou dégradants

Distr. générale

10 mai 2010

Original: français

Comité contre la torture

Quarante‑quatrième session

Compte rendu analytique de la 939e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 4 mai 2010, à 15 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Rapport initial de la République arabe syrienne (suite)

La séance est ouverte à 15 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (point 7 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial de la République arabe syrienne (CAT/C/SYR/1) (suite)

Sur l’invitation du Président, la délégation syrienne reprend place à la table du Comité.

2.M. Al Ahmad (République arabe syrienne) dit que la délégation syrienne n’aura pas le temps de répondre à toutes les questions posées par les membres du Comité à la 937e séance et qu’un certain nombre d’entre elles ne relèvent pas de la compétence du Comité contre la torture mais de celle d’autres organes conventionnels. L’infraction spécifique de torture n’est effectivement pas définie dans le droit interne syrien. Le Code pénal, promulgué en 1949, est fondé sur les Codes français et italien qui ne contenaient alors pas de définition de la torture. En tout état de cause, la définition de la torture énoncée dans la Convention fait partie intégrante du droit syrien dans la mesure où les instruments internationaux priment la législation nationale.

3.S’agissant de l’observation du Rapporteur selon laquelle les peines d’emprisonnement prévues (trois mois à trois ans) pour les actes de torture ne correspondent pas à la gravité des actes en question, il convient de préciser que les peines peuvent aller jusqu’à quinze ans d’emprisonnement et de travaux forcés si la torture s’accompagne de violence (il ne s’agit alors plus de simple torture psychologique), et de vingt ans d’emprisonnement à la perpétuité si la victime est décédée.

4.L’état d’urgence décrété en 1963 n’a aucun effet sur l’application de la Convention et ne peut être invoqué pour justifier des actes de torture quels qu’ils soient. La loi martiale ne confère en outre aucun pouvoir absolu aux forces de sécurité. Aucun décret législatif n’accorde l’immunité aux membres des forces de sécurité pour les actes, y compris de torture, commis dans l’exercice de leurs fonctions officielles. Les membres des forces de sécurité impliqués dans des affaires de torture doivent être immédiatement mis à pied et poursuivis en justice.

5.Les allégations selon lesquelles nombre de personnes seraient détenues à titre préventif pendant des périodes prolongées sont infondées. La durée maximale de la garde à vue est de vingt-quatre heures, avec une possibilité de prolongation de vingt-quatre heures. Au bout de quarante-huit heures, la personne doit être déférée devant un juge d’instruction ou relâchée. Toute personne accusée a le droit de se faire représenter par un avocat. Pour les plus indigents, des avocats peuvent être commis d’office. Les établissements pénitentiaires sont placés sous la supervision du Ministère de la justice et sous la Direction de l’inspection générale. Une enquête a été conduite au sujet des émeutes survenues dans la prison militaire de Sednaya en juillet 2008 et les résultats ont été communiqués au Haut-Commissariat aux droits de l’homme. La police a dû recourir à la force car des gardiens avaient été pris en otage et étaient menacés de mort. Les allégations selon lesquelles une quarantaine de décès liés à des actes de torture auraient été enregistrés en prison entre 2004 et 2010 sont dénuées de fondement. Les membres du Comité voudront peut-être fournir les noms des personnes concernées pour que la délégation syrienne puisse s’enquérir de leur sort. En tout état de cause, il est systématiquement procédé à une autopsie lorsqu’une personne décède en prison. S’agissant du décès de Sheik Mohammed Mashouk Al Khaznawi en 2005, les forces de sécurité syriennes ne sont aucunement impliquées et l’autopsie n’a révélé aucune trace de maltraitance. L’homme en question aurait été empoisonné par des proches.

6.M. Al Ahmad partage l’avis du Rapporteur selon lequel la détention au secret favorise la torture et explique que cette pratique est illégale dans l’État partie. De même, il n’existe pas de lieux de détention secrets. La République arabe syrienne a fourni tous les renseignements demandés à ce sujet par le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Martin Scheinin, et par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Manfred Novak. Par ailleurs, elle a toujours coopéré avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et de nombreux cas de disparition ont été éclaircis. Plus d’une quinzaine d’affaires sont en souffrance mais les retards sont dus au fonctionnement du Groupe de travail plutôt qu’à un manque de coopération des autorités syriennes.

7.La Haute Cour de sûreté de l’État est une juridiction spécialisée qui connaît de tous les crimes contre la sécurité de l’État. Elle est chargée d’un très petit nombre d’affaires et ses audiences sont publiques. Le droit à une procédure régulière y est scrupuleusement respecté. En règle générale, la sélection des juges se fait selon une procédure transparente fixée par décret législatif. Il existe principalement deux modes de recrutement: un concours organisé à l’intention des jeunes diplômés en droit et une sélection effectuée parmi les meilleurs professeurs de droit ou avocats. Un juge ne peut être révoqué ni muté de façon arbitraire. Les révocations sont prononcées par le Conseil supérieur de la magistrature lorsqu’un juge a sciemment commis une faute grave.

8.En 2005, lorsque les troupes syriennes se sont retirées du Liban, de nombreuses rumeurs ont circulé selon lesquelles des Libanais auraient été faits prisonniers. Une commission d’enquête conjointe libano-syrienne a été mise en place pour établir la vérité. Tous les cas de disparition ont été élucidés et le Liban n’a jamais contesté les résultats de la commission d’enquête. Les Libanais qui purgent des peines dans des prisons syriennes ont été reconnus coupables d’infractions de droit commun. Un projet de convention devrait prochainement être signé entre la République arabe syrienne et le Liban pour permettre l’extradition des détenus libanais vers leur pays d’origine afin qu’ils y purgent leurs peines.

9.S’agissant des Kurdes, ils jouissent des mêmes droits que les autres citoyens et ne font l’objet d’aucune discrimination. Ils ont évidemment les mêmes obligations, et ceux qui enfreignent la loi sont passibles des mêmes poursuites. La République arabe syrienne a accueilli de nombreux Kurdes qui étaient rejetés par d’autres pays. Les informations rapportées par le Comité proviennent de petits groupes de personnes qui se livrent à des manœuvres politiques. Les incidents qui se sont produits dans la communauté kurde de Raka en mars 2010 sont le fait de quelques individus qui ont tenté de troubler l’ordre public. D’autres communautés ont pu célébrer la fête nationale kurde ailleurs sans rencontrer le moindre problème. Il est, d’autre part, exact que de nombreux Kurdes n’ont pas la nationalité syrienne mais cette question ne relève pas du mandat du Comité. En ce qui concerne les incidents d’Al-Qamishli, survenus au début de 2004, il convient de signaler qu’il s’agissait au départ d’une rivalité entre équipes de football et qu’ils avaient pour toile de fond une grande instabilité dans la région due à l’invasion de l’Iraq. Les accusations formulées étaient motivées par des considérations politiques et visaient à susciter des tensions. En réalité, les policiers présents ont fait preuve d’une grande retenue. Certaines personnes ont été arrêtées et traduites en justice conformément aux lois en vigueur; toutes ont rapidement été remises en liberté. Le Conseil des droits de l’homme, qui a été saisi d’une plainte à ce sujet en 2008, a, lui aussi, estimé qu’on avait voulu utiliser ces événements à des fins politiques et que de nombreuses informations diffusées étaient erronées. La plainte a donc été rejetée.

10.Pour ce qui est des événements de Hama, le véritable objectif des personnes qui les ont provoqués était de mener le pays à la guerre civile et de saper les fondements de l’État. Ces événements se sont déroulés avant que la République arabe syrienne ne devienne partie à la Convention et ne relèvent donc pas du mandat du Comité.

11.Le décret d’amnistie adopté en 2010 ne portait que sur les délits et les auteurs des crimes graves visés par les articles 307 et 308 du Code pénal ne pouvaient donc pas en bénéficier. En aucune façon les autorités n’ont essayé d’exclure une partie de la population, et en particulier les Kurdes, de cette amnistie.

12.Lorsqu’un détenu affirme avoir été torturé, il est entendu par un juge qui lui demande s’il a été effectivement victime d’un tel traitement. Dans l’affirmative, l’intéressé est immédiatement examiné par un médecin légiste et, s’il est établi qu’il a été torturé, les aveux qu’il a pu faire sont déclarés irrecevables comme élément de preuve. En outre, le Procureur général est tenu d’engager une procédure judiciaire contre les auteurs des actes mis en cause. Aucune exception n’est prévue en la matière. La Cour de cassation a confirmé à de nombreuses reprises que les aveux obtenus sous la torture ne pouvaient être invoqués comme élément de preuve et que des déclarations non corroborées par des preuves n’avaient aucune valeur devant les tribunaux. M. Al Ahmad précise par ailleurs que, conformément à la Convention, toutes les méthodes de torture qui ont été évoquées au cours de l’examen, telles que celle consistant à affamer une personne, sont interdites par la loi. Quant aux statistiques sur les affaires de tortures, elles seront demandées au bureau compétent de l’administration de la justice et transmises au Comité.

13.Répondant à une question posée au sujet de la prescription des infractions, M. Al Ahmad indique que selon la législation syrienne toutes les infractions relevant du droit interne sont prescriptibles, y compris celle de torture, l’objectif étant de préserver la stabilité sociale et juridique. En revanche les crimes visés par le droit international sont imprescriptibles.

14.À propos des réfugiés, M. Al Ahmad souligne que les chiffres cités à la séance précédente ne sont pas exacts. Le nombre de Palestiniens qui se sont réfugiés en République arabe syrienne après la guerre de 1948 s’élève à plus de 500 000, et celui des personnes déplacées de force du plateau du Golan est de 480 000. Il y a en outre 1,2 million de réfugiés iraquiens dans le pays. À ceux-là s’ajoutent les réfugiés venus d’autres parties du monde. Au total, les réfugiés représentent 12,5 % de la population, ce qui fait de la République arabe syrienne un cas unique. Tout réfugié jouit des mêmes droits que les citoyens syriens, y compris celui d’exercer des fonctions publiques, et a notamment droit aux soins de santé et à l’enseignement gratuits. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a estimé que l’État partie respectait les droits des réfugiés dans une mesure qui allait bien au-delà de ce que prévoyait la Convention relative au statut des réfugiés. Par ailleurs, un comité technique a été créé aux fins d’élaborer, en collaboration avec le HCR, une loi complète sur les droits des réfugiés. Quant à l’extradition des demandeurs d’asile politique, elle n’est pas autorisée par le droit syrien, quel que soit le motif invoqué.

15.Concernant le cas de Maher Arar, M. Al Ahmad indique qu’il a été extradé par les États-Unis vers la République arabe syrienne parce qu’il avait commis des crimes graves et qu’il était soupçonné d’appartenir à l’organisation Al-Qaida. M. Arar a été interrogé sans qu’aucune contrainte ne soit exercée sur lui, en présence d’un représentant de l’ambassade du Canada, lequel a pu lui rendre visite tous les jours, pendant qu’il était en détention. Il a ensuite été renvoyé au Canada où, dès son arrivée, il a affirmé avoir été torturé, pour des raisons qui échappent à l’État partie, si ce n’est peut-être par désir d’obtenir une indemnisation. Il convient de préciser que le recours à la torture, même dans le cadre de la lutte antiterroriste, reste en Syrie un crime puni par la loi.

16.Pour ce qui est des cas de Mme Fidah el Hourani et d’une autre femme dont la délégation syrienne n’a pas saisi le nom, il est demandé au Comité de fournir de plus amples renseignements pour permettre à l’État partie d’apporter les précisions demandées. D’autres questions ont été posées concernant le sort de plusieurs personnes; dans ces cas aussi, l’État partie a besoin de tous les renseignements dont dispose le Comité pour pouvoir procéder aux enquêtes nécessaires. Les informations recueillies seront ensuite transmises au Comité.

17.Les raisons pour lesquelles l’État partie a formulé une réserve au sujet de l’article 20 de la Convention relèvent strictement de sa souveraineté nationale. La recommandation tendant à ce qu’il lève cette réserve sera néanmoins transmise aux autorités compétentes. Quant à la question de l’adhésion de la République arabe syrienne au Protocole facultatif à la Convention, elle fait actuellement l’objet d’un examen approfondi. Pour ce qui est de la recommandation tendant à ratifier la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, elle sera transmise aux autorités compétentes pour examen. D’autre part, la République arabe syrienne a déjà signé le Statut de la Cour pénale internationale, mais c’est à elle seule qu’il appartient de décider s’il convient de le ratifier.

18.La formation à la détection des cas de torture fait partie de la spécialisation des médecins légistes dont bon nombre sont envoyés par la Direction de la médecine légale à l’étranger pour y suivre des cours de perfectionnement portant, entre autres, sur cette question. Les policiers, pour leur part, sont formés aux questions relatives à la torture à l’Institut de formation des officiers de la sécurité interne. Quatre modules de formation ont été conçus à cet effet en collaboration avec l’Institut de Genève pour les droits de l’homme.

19.À propos des conditions carcérales, M. Al Ahmad indique que ce sont le Procureur général et les services d’inspection judiciaire qui surveillent la mise en œuvre de l’article 30 du Règlement des prisons. Il y a lieu aussi de signaler à ce propos qu’un projet de loi sur l’administration des établissements pénitentiaires, qui tient compte des normes internationales applicables dans ce domaine, est en cours d’élaboration. L’État partie compte une multitude d’organisations publiques et privées qui s’occupent de droits de l’homme. Il s’emploie actuellement à se doter d’une institution nationale des droits de l’homme comparable à celles qui existent dans d’autres pays.

20.À propos des mineurs, la délégation syrienne indique qu’ils ne sont détenus qu’en cas d’extrême nécessité. La loi no 19 de 1974 prévoit de nombreuses mesures visant à éviter qu’ils soient traduits en justice ou incarcérés, et même lorsqu’ils comparaissent devant un tribunal ils bénéficient dans la plupart des cas d’une remise en liberté conditionnelle. La loi stipule qu’un enfant de moins de 10 ans ne peut pas être poursuivi en justice. Les mineurs de plus de 10 ans et de moins de 15 ans ne sont pas passibles de peines mais peuvent faire l’objet de mesures éducatives visant à corriger leur comportement et à assurer leur intégration dans la société. En ce qui concerne les jeunes de 15 à 18 ans, des peines d’emprisonnement maximales peuvent être requises à leur encontre, mais uniquement pour les crimes les plus graves, tels que le meurtre. La question posée au sujet du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture sera transmise au Ministère des affaires étrangères.

21.Plusieurs questions posées par le Comité outrepassent son mandat. Il en va ainsi de celle qui porte sur les défenseurs des droits de l’homme. La délégation syrienne précise néanmoins que de nombreux membres de la société civile, notamment des professeurs de droit, des magistrats et des syndicalistes, défendent quotidiennement les droits de l’homme et que la seule condition qui est posée à l’exercice de leurs activités est qu’ils n’aient pas commis de crime. M. Al Ahmad s’étonne également de ce que la question portant sur M. Goerg Fisher, criminel de guerre nazi, ait pu être soulevée et se demande en quoi elle concerne le Comité.

22.Répondant à une question posée au sujet des relations de la République arabe syrienne avec le Liban, qui sont selon lui, par ailleurs, excellentes, M. Al Ahmad précise que le Gouvernement syrien coopère avec la Commission internationale indépendante qui a été constituée pour enquêter sur le décès de M. Hariri, ancien Premier Ministre libanais. Il souligne toutefois que cette question relève de ladite commission et non du Comité.

23.On a laissé entendre qu’une femme victime de viol pouvait être contrainte d’épouser la personne qui l’avait violée et que le viol était un phénomène courant dans l’État partie. Ces affirmations sont erronées. Le viol reste un crime et ceux qui le commettent sont poursuivis en justice. Il est cependant vrai que la loi syrienne autorise la victime à épouser l’auteur de ce viol si elle le souhaite. Cette disposition ne s’applique toutefois qu’aux femmes adultes. Cela paraît difficile à comprendre mais dans les sociétés orientales de tels compromis sont parfois considérés par les familles comme la meilleure solution dans une situation donnée. De tels cas restent cependant très rares. Pour ce qui est de la recommandation tendant à permettre une éventuelle visite du Rapporteur spécial sur la question de la torture, la délégation tient à souligner qu’une activité officielle de ce type nécessite une préparation et des entretiens préalables. Elle fera part aux autorités compétentes de la demande formulée.

24.La République arabe syrienne ne refuse la délivrance d’un passeport à un Syrien qui réside à l’étranger que dans le cas où, ayant acquis la nationalité du pays dans lequel il vit, il renonce à sa nationalité syrienne.

25.Enfin, M. Al Ahmad précise que le décret-loi no 49 ne punit pas l’appartenance au mouvement des Frères musulmans mais les crimes graves perpétrés par des membres de ce mouvement.

26.Le Président remercie la délégation de ses réponses, dont certaines appellent des précisions sur l’étendue de la compétence du Comité. Tout d’abord, il convient de souligner que lors de l’examen des rapports des États parties, le Comité veille toujours à ne pas s’écarter du cadre de la Convention. Rien ne l’empêche toutefois de s’appuyer sur d’autres textes dans la mesure où l’article premier de la Convention prévoit que la définition de la torture qui y est énoncée est sans préjudice de tout autre instrument international ou loi nationale qui contient ou peut contenir des dispositions de portée plus large. L’article 16 permet également au Comité de se référer à d’autres textes que la Convention, comme les instruments régionaux par exemple, puisqu’il stipule que les dispositions de la Convention contre la torture sont sans préjudice de celles de «tout autre instrument international ou loi nationale» qui interdisent les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

27.Le Comité peut également s’intéresser à des actes qui ne sont pas directement visés par la Convention, mais qui relèvent de sa compétence en ce qu’ils constituent une forme de torture ou de mauvais traitement. Tel est notamment le cas des disparitions forcées, de la traite et du viol. Par ailleurs, dans la mesure où l’article 2 de la Convention dispose que tout État partie prend des mesures judiciaires pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction, le Comité est pleinement fondé à poser des questions concernant le droit à un procès équitable. Pour ce qui est des questions relatives aux défenseurs des droits de l’homme, elles sont posées à la quasi-totalité des États parties et ont leur raison d’être. En effet, le traitement qui leur est réservé est toujours un bon indicateur du respect général des droits de l’homme dans un pays donné. Le Président espère qu’avec ces précisions, la République arabe syrienne voudra bien reconnaître que le Comité s’est gardé de toute sélectivité dans l’examen de son rapport.

28.M. MariñoMenéndez (Rapporteur pour la République arabe syrienne) remercie la délégation syrienne d’avoir répondu avec professionnalisme et franchise aux questions du Comité. La République arabe syrienne, État souverain, est effectivement libre de déterminer sa propre ligne de conduite. Cela étant, elle est également tenue de respecter ses engagements internationaux, notamment ceux qui lui incombent en vertu de la Convention contre la torture. Il ne faut pas oublier que la discrimination, un sujet que la délégation n’a pas abordé dans ses réponses, est un motif majeur de torture. Il est évident que des personnes peuvent subir des actes de torture ou des mauvais traitements en raison de leur appartenance à une minorité ethnique ou autre. La République arabe syrienne devrait modifier son droit interne à la lumière de ces considérations, l’incorporation d’une référence à la discrimination dans la définition de la torture étant primordiale. Quant à l’adoption même d’une définition de la torture, ce n’est pas une question anodine mais constitue le moyen dont doivent se doter les États parties pour s’attaquer au cœur du problème, à savoir le fait pour des agents publics d’infliger des douleurs physiques ou psychologiques à des personnes. Des renseignements plus précis sur l’application de la Convention dans l’État partie seraient appréciés. On ne comprend pas bien par exemple si les tribunaux sont habilités à s’appuyer directement sur des articles de la Convention, en particulier l’article premier.

29.L’examen de la situation en République arabe syrienne donne à penser que les préoccupations en matière de sécurité sont devenues telles que les limites de l’État de droit ont été franchies. Le Comité a posé des questions sur les services de renseignements du Ministère de l’intérieur parce que l’exercice de leurs fonctions est susceptible de porter atteinte aux droits et aux libertés des personnes. En outre, il est un fait connu que dans tous les pays qui ont élevé la sécurité au rang de priorité − un choix qui n’est en rien contesté − les droits de l’homme risquent d’en pâtir. Il est tout à fait normal que lorsque des informations faisant état d’actes de torture commis par des agents de différents services de renseignements sont portées à la connaissance du Comité, celui-ci demande à l’État partie concerné de confirmer ou non les informations reçues et d’indiquer si, le cas échéant, des enquêtes ont été ordonnées et les coupables punis. Le Comité a appris qu’en vertu du décret-loi no 49 portant modification du Code pénal militaire, adopté le 30 septembre 2008, les militaires et les policiers sont exonérés de toute responsabilité en cas d’actes de torture ou de violences commis dans l’exercice de leurs fonctions. La délégation confirme-t-elle cette information?

30.C’est pour des raisons non pas politiques mais juridiques que le Comité a souhaité savoir s’il y avait encore des prisonniers libanais en République arabe syrienne. En effet, la détention prolongée peut équivaloir à un traitement cruel, inhumain ou dégradant et relève, à ce titre, de la compétence du Comité. La question de l’indépendance du pouvoir judiciaire aussi; à cet égard, M. Mariño Menéndez convient avec Mme Belmir qu’on peut avoir des doutes sur l’indépendance de la Haute Cour de sûreté de l’État. D’autre part concernant la peine de mort, il serait utile d’obtenir les statistiques demandées. S’il est vrai que les États souverains sont libres de l’appliquer − aucun instrument international ne l’interdit expressément − il ne faut pas oublier que les modalités de sa mise en œuvre peuvent être dans certains cas assimilées à des actes de torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Quant aux questions relatives aux défenseurs des droits de l’homme, des explications ont été données par le Président, et il est inutile de revenir là-dessus.

31.Pour empêcher la torture, objectif premier de la Convention, il est essentiel de garantir à toute personne privée de liberté le droit d’accéder à un avocat de son choix et de prévenir un proche. Le droit d’être examiné par un médecin indépendant capable de déceler d’éventuelles traces de torture ou de mauvais traitements est tout aussi essentiel.

32.Les sources d’information exploitées par le Comité n’ont rien de confidentiel; elles peuvent être communiquées à la délégation sans aucune difficulté, notamment celles concernant les cas présumés de disparition forcée.

33.Tout en relevant avec satisfaction qu’une nouvelle loi sur l’asile est en cours d’élaboration, M. Mariño Menéndez note qu’à l’article 34 de la Constitution, il n’est question que des «réfugiés politiques» alors que le motif politique n’est pas le seul pouvant justifier l’octroi de l’asile. Conformément à la Convention relative au statut des réfugiés, il doit également être accordé à toute personne «craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social».

34.Concernant la coopération de la République arabe syrienne à l’enquête sur l’assassinat de Rafik Hariri, M. Mariño Menéndez dit qu’il n’était pas dans son intention d’entrer dans des considérations politiques, mais de s’enquérir du sort d’un témoin important dans cette affaire, M. Ziad Wasef.

35.MmeSveaass (Corapporteuse pour la République arabe syrienne) remercie la délégation de ses réponses très précises aux nombreuses questions du Comité. Les femmes et les enfants n’échappent pas à la torture; il est donc normal que le Comité les évoque en s’appuyant sur des informations émanant d’autres organes conventionnels comme le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ou le Comité des droits de l’enfant. Pour ce qui est des disparitions forcées, elles relèvent bien de la compétence du Comité car elles peuvent constituer une forme de mauvais traitement pour les proches des victimes. Craignant d’avoir mal prononcé leurs noms lorsqu’elle a posé ses questions à une précédente séance, Mme Sveaass voudrait de nouveau demander à la délégation des informations sur la situation de Fida al Hourani, arrêtée après avoir signé la Déclaration de Damas pour un changement national démocratique en octobre 2005, et de Tal al Melouhi, une jeune femme de 19 ans appréhendée à son domicile en décembre 2009 pour avoir animé un site Internet et qui n’aurait pas pu recevoir la visite de ses parents depuis lors.

36.Mme Sveaass voudrait également savoir si les militaires reçoivent une formation aux droits de l’homme en général et à l’interdiction de la torture en particulier. Dans l’affirmative, l’efficacité de cette formation est-elle régulièrement évaluée? L’importance d’une formation ne saurait être trop soulignée, compte tenu des différentes activités de police dont s’acquittent les militaires en République arabe syrienne. Des renseignements complémentaires sur les différentes étapes du traitement des plaintes relatives à des actes de torture ou des mauvais traitements visant des policiers ou autres fonctionnaires seraient les bienvenus. Il serait également utile d’obtenir des précisions sur la nature des accusations portées à l’encontre des auteurs présumés de ces faits et, le cas échéant, sur les sanctions infligées. La délégation voudra bien indiquer, d’autre part, si l’État partie envisage d’autoriser des organismes pleinement indépendants à effectuer des visites dans les lieux de détention. Pour ce qui est du sort des 42 personnes qui, selon l’organisation Human Rights Watch, étaient détenues dans la prison de Sednaya lorsqu’une émeute y a été réprimée le 10 décembre 2009, Mme Sveaass prend note du rapport d’information communiqué par la délégation au secrétariat à ce sujet et dit qu’elle l’examinera avec attention. Concernant enfin le viol, une question qui relève de la compétence du Comité car il peut équivaloir à la torture ou à des mauvais traitements, elle voudrait savoir si des mesures ont été prises par la République arabe syrienne pour aider les victimes à porter plainte et leur accorder une aide psychologique.

37.MmeBelmirsalue les efforts déployés par la délégation pour répondre avec professionnalisme et précision aux nombreuses questions du Comité. Personnellement, elle n’a pas contesté la proclamation de l’état d’urgence par l’État partie; son propos visait simplement à s’assurer que dans ce cadre librement établi, la République arabe syrienne s’acquittait de ses obligations au titre de la Convention. Pour ce qui est de la Haute Cour de sûreté de l’État, elle persiste à penser que cette juridiction présente à bien des égards − composition, compétence, impossibilité de faire appel de ses décisions − les caractéristiques d’une juridiction d’exception. Cela pose évidemment problème au regard de la Convention.

38.M. Bruni remercie la délégation pour la précision de ses réponses et dit qu’il voudrait des renseignements complémentaires au sujet de l’application de l’article 15 de la Convention. La délégation a expliqué que lorsqu’un justiciable était renvoyé devant les tribunaux après être passé aux aveux, les juges demandaient systématiquement à l’intéressé s’il avait été torturé. Dans l’affirmative, un examen médical était systématiquement ordonné et en cas de lésions dues à des actes de torture, les aveux étaient nuls et non avenus. Il serait intéressant de savoir si les prévenus qui déclarent avoir subi des actes de torture devant le juge bénéficient d’une protection particulière. Le juge peut-il par exemple ordonner le transfert du prévenu qui dit avoir été torturé dans un autre établissement pénitentiaire? Faute de telles mesures, on voit mal comment les intéressés consentiraient à parler.

39.En réalité, il semblerait que la Haute Cour de sûreté de l’État utilise systématiquement les aveux obtenus sous la torture par les membres des services de renseignements et ne traite pas les cas présumés de torture dont elle est saisie. Il y a neuf ans, le Comité des droits de l’homme avait déjà attiré l’attention de l’État partie sur ces problèmes, qui semblent donc persistants. Il serait intéressant de savoir si la Haute Cour de sûreté de l’État a depuis lors été saisie de plaintes concernant des actes de torture commis en vue d’obtenir des aveux et, dans l’affirmative, combien de plaintes ont été jugées recevables.

40.MmeGaer dit que dans le cadre du dialogue qu’il entretient avec les États parties, le Comité a coutume de poser aux délégations des questions portant non seulement sur la législation nationale, mais aussi sur des faits concrets afin de se faire une idée précise de la situation dans le pays dont le rapport est examiné. C’est ce qu’il a fait avec l’État partie, lorsqu’il a demandé un complément d’information sur des affaires bien connues de la communauté internationale, notamment au sujet des émeutes survenues dans la prison de Sednaya, du nombre anormalement élevé de décès de conscrits d’origine kurde ou encore du sort de quelque 42 détenus à propos desquels l’organisation Human Rights Watch s’est dite préoccupée. La fourniture d’éléments de réponse oralement par la délégation syrienne sur ces différents points est fortement appréciée.

41.S’agissant des conditions de détention de Maher Arar, Mme Gaer invite la délégation syrienne à consulter le site Web de ce ressortissant canadien, dont la version des faits diffère considérablement de celle des autorités syriennes, s’agissant notamment du nombre de visites qu’il a reçues de la part du personnel de l’ambassade du Canada ou encore de ses proches. Elle souhaiterait à cet égard connaître la composition de la «commission judiciaire» qui l’aurait pris en charge à son arrivée en Syrie.

42.Le Comité n’a jamais laissé entendre que l’article 508 du Code pénal − en vertu duquel un violeur peut échapper à toutes poursuites pénales s’il épouse sa victime − était d’application courante; il souhaitait seulement savoir si cette clause d’exonération de responsabilité était réellement appliquée.

43.Enfin, si le Comité a abordé le cas de Georg Fisher, criminel de guerre nazi qui aurait vécu en Syrie et conseillé le Gouvernement syrien sur des questions de torture, c’est parce que les articles 5, 7 et 9 de la Convention imposent aux États parties plusieurs obligations, dont celle de prendre les mesures nécessaires en vue d’établir leur compétence pour connaître des infractions visées à l’article 4, celle d’extrader l’auteur présumé d’une infraction visée dans cet article s’il est appréhendé sur leur territoire ou encore celle de s’accorder l’assistance judiciaire la plus large possible dans toute procédure pénale relative aux infractions visées au même article. Un complément d’information sur cette personne serait de ce fait particulièrement apprécié.

44.M. Wang Xuexian voudrait savoir si l’État partie envisage de relever l’âge de la responsabilité pénale.

45.MmeKleopas demande en application de quelle loi Ahmed Al-Maati et Abdullah Almaki ont été arrêtés, s’ils ont été jugés avant d’être placés en détention et quels faits leur étaient reprochés.

46.Le Président dit que seul un examen de la pratique et de la jurisprudence d’un État partie permet au Comité d’avoir une idée de la situation réelle qui y règne, d’où les nombreuses questions posées au sujet d’affaires concrètes. Dans cette optique le Comité demande à la délégation syrienne d’indiquer combien de personnes ont présenté une demande d’indemnisation suite à des actes de torture, combien d’entre elles ont eu gain de cause et combien ont été déboutées. Il serait en outre utile que l’État partie consigne dans un registre que les familles peuvent consulter le nom, le sexe et l’âge de tous les détenus.

47.Le Comité souhaiterait savoir si la peine de mort est toujours appliquée en République arabe syrienne et, dans l’affirmative, combien de personnes y ont été condamnées en 2009. Il demande aussi un complément d’information sur la responsabilité pénale des membres des services chargés de la sécurité de l’État en cas d’infraction commise dans l’exercice de leurs fonctions.

48.Le Président, rappelant à nouveau que la réponse aux diverses questions qui ont été posées permettra au Comité de se faire une meilleure idée de l’application de la Convention dans le pays, souligne que la question des disparitions forcées relève pleinement de la compétence du Comité étant donné que c’est précisément en cas de disparition que le risque de torture est le plus élevé.

49.Suite à une discussion qu’il a eue en privé avec un membre de la délégation syrienne, le Président tient à rappeler que les séances publiques sont par définition ouvertes à tous, y compris aux services de presse, et que chacun est libre d’y assister, voire de les enregistrer. Il ajoute que la seule obligation du Haut-Commissariat en la matière est de garantir la sécurité de tous. Il précise enfin qu’en tant que Président, il ne dispose d’aucune liste consignant le nom des membres du public, et n’est pas tenu d’en faire établir une.

50.M. Al Ahmad (République arabe syrienne), répondant aux questions du Comité, dit que les instruments internationaux font partie intégrante du droit interne dès lors qu’ils ont été ratifiés par l’État, et que, partant, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est en vigueur en République arabe syrienne. Il appellera néanmoins l’attention des autorités judiciaires sur l’opportunité d’en transposer les dispositions dans la législation nationale.

51.Le mandat des forces de sécurité − qui relèvent du Ministère de l’intérieur − est fixé par la loi et aucun fonctionnaire ne jouit de l’impunité de poursuites. Quant à la Cour de sûreté de l’État, elle a les attributions d’un organe judiciaire et non administratif.

52.La peine de mort est rarement appliquée en République arabe syrienne, sauf dans les affaires extrêmement graves, par exemple dans le cas d’un cambriolage ou d’un viol − suivi d’un homicide. Elle ne peut être prononcée qu’à l’issue d’une procédure judiciaire où l’accusé bénéficie de toutes les garanties. Si le condamné à mort ne fait pas appel du jugement, la Cour de cassation est automatiquement saisie de l’affaire et tranche en dernier ressort. Au total, quatre personnes ont été exécutées en 2009.

53.La seule appartenance à l’association des Frères musulmans n’est pas un motif suffisant pour être condamné à la peine capitale, mais des condamnations à mort ont été prononcées à l’encontre des membres de ce mouvement à caractère militaire qui se sont rendus coupables d’actes de violence ou de crimes graves. Il ne faut pas oublier que les Frères musulmans ont fait des milliers de victimes innocentes dans le pays.

54.Les cours de formation à la prévention de la torture sont destinés uniquement aux agents des forces de l’ordre, pas aux militaires.

55.La délégation syrienne fera parvenir ultérieurement au Comité un complément d’information, ainsi que des statistiques sur les cas signalés de torture. Les déclarations obtenues par la torture ne peuvent être utilisées comme un élément de preuve dans une procédure judiciaire.

56.En raison des émeutes récentes dans la prison de Sednaya, les visites ont été suspendues dans cet établissement, mais elles reprendront dès que la situation sera redevenue normale.

57.La délégation syrienne ne dispose d’aucune information sur Georg Fisher, qui ne se trouve pas en Syrie.

58.La loi syrienne interdit l’extradition de réfugiés politiques. Il convient de noter, à ce propos, que les Iraniens qui ont été renvoyés dans leur pays n’étaient pas des réfugiés politiques mais des personnes recherchées par la justice pour avoir commis des infractions en Iran.

59.En conclusion, M. Al Ahmad dit que la délégation syrienne n’a pas une attitude défensive à l’égard du Comité mais a simplement tenu à affirmer que certaines questions posées par ses membres ne relevaient pas de la compétence de cet organe. En tout état de cause, il se félicite du dialogue fructueux auquel l’examen du rapport initial de son pays a donné lieu.

60.Le Président remercie la délégation syrienne d’avoir répondu aux questions du Comité.

La séance est levée à 17 h 55.