Nations Unies

CAT/C/SR.1656

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

6 août 2018

Original : français

Comité contre la torture

Soixante- quatrième session

Co mpte rendu analytique de la 1656 e séance*

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 24 juillet 2018, à 10 heures

Président (e): M. Modvig

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Deuxième rapport périodique de la Mauritanie

La séance est ouverte à 10 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Deuxième rapport périodique de la Mauritanie (CAT/C/MRT/2, CAT/C/MRT/Q/2, CAT/C/MRT/Q/2/Add.1 et HRI/CORE/1/Add.112)

1.Sur l ’ invitation du Président, la délégation mauritanienne prend place à la table du Comité.

2.M. Ould Sidi (Mauritanie) dit que le deuxième rapport périodique de la Mauritanie a été élaboré en concertation avec les départements ministériels concernés, les institutions nationales des droits de l’homme et les organisations de la société civile. Les dispositions de la Convention contre la torture, qui a été ratifiée en novembre 2004 et publiée au Journal officiel le 9 décembre 2014, ont été transposées en droit interne par la loi no 2015-033 du 10 septembre 2015 relative à la lutte contre la torture ; elles sont d’application immédiate et priment les lois nationales, conformément à l’article 80 de la Constitution. La loi relative à la lutte contre la torture reprend la définition de la torture énoncée dans la Convention et qualifie les actes de torture de crimes contre l’humanité. Elle dispose que l’enseignement de l’interdiction de la torture fait partie intégrante de la formation obligatoire du personnel civil ou militaire chargé de l’application des lois, prive de toute valeur les déclarations obtenues par la torture et rejette toute justification de la torture. Elle dispose également que nul ne sera expulsé, refoulé ou extradé vers un État où il risque d’être soumis à la torture. Elle prévoit des garanties fondamentales en cas de privation de liberté et interdit la détention au secret. Elle dispose que la protection et l’assistance sont assurées aux victimes et aux témoins d’actes de torture et garantit le droit à réparation. La loi no 2015-034 du 10 septembre 2015 porte création d’un mécanisme national de prévention de la torture. Cette institution indépendante, dotée de la personnalité morale, a été mise en place en avril 2016 et dispose des ressources humaines et financières nécessaires à son fonctionnement. La Mauritanie a également adopté la loi no 2015-031 du 10 septembre 2015 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes, la loi no 2015-030 du 10 septembre 2015 relative à l’aide judiciaire et la loi no 2017-016 fixant la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme.

3.Afin d’améliorer les conditions de détention et de lutter contre la surpopulation carcérale, la Mauritanie a augmenté de 15 % le budget alloué à la nourriture, à la santé et à l’hygiène dans les prisons et a engagé des travaux de construction ou de réhabilitation d’établissements pénitentiaires. Entre février 2016 et mai 2018, le taux de surpopulation est passé de plus de 285 % à 180 % à la prison de Dar Naïm. Dans certains lieux de détention, les mesures prises ont également permis de séparer prévenus et condamnés, mineurs et adultes, hommes et femmes.

4.La Mauritanie a adopté et mis en œuvre une feuille de route pour l’éradication des séquelles et des formes contemporaines de l’esclavage ainsi qu’un programme en vue de l’abandon des mutilations génitales féminines.

5.M. Touzé (Rapporteur pour la Mauritanie) félicite l’État partie des mesures prises sur le plan législatif, mais regrette que ses réponses écrites n’aient pas été plus précises. Il invite la délégation à répondre à la question du Comité concernant la possibilité de contester la légalité de la garde à vue et le nombre de détentions déclarées illégales ou arbitraires par des juges. Il rappelle que, dans ses précédentes observations finales, le Comité avait recommandé à l’État partie de limiter la durée de la garde à vue à quarante‑huit heures, quels que soient les chefs d’accusation retenus. Or, le délai de garde à vue est calculé sans tenir compte des jours non ouvrables et peut être prorogé de quarante‑huit heures sur autorisation du Procureur de la République ou du juge d’instruction, si bien qu’il dépasse fréquemment quatre-vingt-seize heures. De plus, les officiers de police judiciaire décident souvent unilatéralement de prolonger la garde à vue, profitant du fait que les magistrats contrôlent peu les registres et mains courantes. Le Rapporteur souhaite obtenir des précisions sur cette situation, qui révèle une contradiction entre certaines dispositions du Code de procédure pénale et celles des instruments nationaux et internationaux. Il s’enquiert des mesures qui ont été prises pour que les registres et mains courantes soient à jour et contiennent toutes les informations requises par l’article 4 de la loi relative à la lutte contre la torture. Il demande si les recommandations récemment formulées à ce sujet par le mécanisme national de prévention ont été suivies d’effet. Le Rapporteur souhaiterait savoir si l’État partie prévoit d’informatiser les registres et mains courantes, et de les rendre accessibles aux organisations non gouvernementales (ONG), aux avocats et aux autres parties autorisées. Étant donné que, selon des sources fiables, de nombreux détenus n’ont pas été informés de leurs droits, ni des motifs de leur arrestation ou des charges retenues contre eux, il demande si tout est mis en œuvre pour transmettre ces informations aux personnes privées de liberté. Il relève que, si l’accès à un avocat dès le début de la privation de liberté est prévu par l’article 4 de la loi relative à la lutte contre la torture, ce droit est considérablement restreint par l’article 58 du Code de procédure pénale. Le Rapporteur invite la délégation à expliquer ces limitations à l’exercice effectif d’un droit essentiel. Il ajoute que ce droit n’est pas respecté en pratique. Faisant observer que selon un rapport d’Amnesty International, 13 membres de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie, arrêtés en 2016, n’ont pas eu accès à un avocat, il invite également la délégation à expliquer cette situation. Le Rapporteur voudrait savoir si l’État partie entend modifier sa législation de manière à assurer une véritable aide juridictionnelle et dans quelle mesure les avocats s’acquittent de leur fonction de représentation des plus nécessiteux devant toutes les juridictions, y compris pénales. Il voudrait également savoir ce que l’État partie compte faire pour que les personnes privées de liberté aient accès à un médecin de manière automatique et sans conditions, et non plus seulement à leur demande, alors qu’elles n’ont souvent pas été informées de leurs droits. Il demande si tout est fait pour garantir le droit d’accès à un médecin, dans quelles conditions les examens médicaux sont pratiqués pendant la garde à vue, si des gardiens ou des policiers sont présents et si le médecin est choisi par la personne placée en garde à vue.

6.Le terrorisme étant défini de manière très imprécise dans la loi n° 2010-035 relative à la lutte contre le terrorisme, le Rapporteur souhaiterait connaître les condamnations prononcées et, surtout, les actes et les faits à l’origine de ces condamnations. Il constate que les délais de garde à vue sont plus longs pour les personnes soupçonnées de terrorisme, qui peuvent être détenues pendant quarante-cinq jours sans avoir la possibilité d’être présentées à un juge et de contester la légalité de leur détention, et pour les auteurs présumés d’autres atteintes à la sécurité de l’État, qui peuvent être détenus jusqu’à quinze jours. Il s’enquiert de la mise en œuvre de la législation antiterroriste et demande si l’audit dont cette législation a fait l’objet a été mené avec la participation de la société civile et s’il a donné lieu à des recommandations. Il rappelle qu’en vertu de son article 46, la loi relative à la lutte contre le terrorisme ne peut être interprétée comme visant à réduire ou à entraver des droits ou des libertés fondamentales, notamment les droits de la défense. Cependant, les faits constatés par le Rapporteur spécial sur la torture démontrent que cette disposition n’est guère respectée. De plus, le Ministère de la justice a affirmé que la loi relative à la lutte contre la torture, même si elle abroge et remplace toutes les dispositions antérieures qui lui sont contraires, ne s’applique pas aux personnes accusées de terrorisme. Autrement dit, la loi relative à la lutte contre la torture serait d’application variable et arbitraire, et les garanties juridiques fondamentales qu’elle est supposée procurer, comme le droit à un avocat ou l’accès à un médecin, ne concerneraient pas les personnes accusées de terrorisme. Selon des sources concordantes, ces personnes sont souvent détenues au secret, dans des lieux de détention officieux. Le Rapporteur aimerait savoir si des enquêtes ont été ouvertes sur l’existence de tels lieux ainsi que sur les allégations de détention illégale et au secret du sénateur Mohamed Ould Ghadda et de Mohamed Ould Israël.

7.Rappelant que les conditions de détention et la surpopulation carcérale sont particulièrement inquiétantes dans l’État partie, en particulier à Nouakchott, où la prison de Dar Naïm, dont la capacité avoisine les 300 détenus, accueille souvent jusqu’à un millier de détenus, le Rapporteur demande quelles mesures ont été prises ou sont envisagées pour y remédier. Il prend note des programmes de construction de prisons en cours, mais demande si ce n’est pas plutôt la politique pénale qui est à revoir pour lutter contre la surpopulation carcérale. Il demande également combien de personnes, parmi les 132 ayant bénéficié de mesures d’aménagement des peines depuis 2016, ont été mises en liberté conditionnelle et combien ont été graciées.

8.Évoquant les informations selon lesquelles les condamnés et les prévenus cohabitent dans tous les centres de détention, les condamnés à mort ne sont généralement pas non plus séparés des autres détenus, les mineurs sont systématiquement mêlés aux majeurs, et les détenus condamnés pour des faits de terrorisme (dont beaucoup ont été condamnés à mort) sont en contact pendant la journée avec les autres détenus, le Rapporteur demande ce que les autorités comptent faire pour remédier à cette situation qu’il juge intenable.

9.Le Rapporteur demande à la délégation de commenter les informations selon lesquelles les conditions de salubrité et d’hygiène dans les cellules, les sanitaires et les cours sont déplorables, plusieurs centres de détention de petite taille ne disposent ni de toilettes ni de douches, l’alimentation est insuffisante et de mauvaise qualité, et quasiment tous les lieux de détention manquent d’eau potable. Il demande également s’il existe un programme global de réhabilitation des prisons permettant aux détenus de bénéficier de conditions de détention dignes et d’être scolarisés, de suivre une formation professionnelle ou de travailler. Il rappelle qu’à l’occasion de la visite du Rapporteur spécial, les visites familiales étaient suspendues dans de nombreux centres de détention du pays et demande si ces visites sont de nouveau autorisées.

10.Des commentaires seraient bienvenus au sujet des systèmes de « chefs de cour » qu’auraient établi des agents pénitentiaires dans deux prisons de Nouakchott et qui rendraient les détenus entièrement dépendants de la bonne volonté de ces « chefs » pour accéder aux services de santé, déposer plainte ou encore recevoir de la nourriture. De nombreux cas de violence entre détenus auraient été signalés sans que les autorités n’interviennent. Le Rapporteur demande tout particulièrement à la délégation d’infirmer ou de confirmer l’information selon laquelle, début 2017, un détenu a dû être amputé de la jambe après avoir porté des chaînes trop serrées lors de son transfèrement de la prison de Dar Naïm.

11.Le Rapporteur constate avec inquiétude que les mesures disciplinaires sont souvent imposées par les membres de la Garde nationale à leur entière discrétion, sans supervision du directeur de la prison ou du procureur, et que la mise au secret, qui est une mesure disciplinaire de dernier recours, peut durer jusqu’à soixante jours. Il aimerait recevoir des précisions sur le régime de la détention au secret, le droit des détenus qui y sont soumis de remettre en cause la légalité de cette forme de détention, et les conditions d’application de ce régime.

12.Le Rapporteur indique que de nombreux problèmes ont également été observés en matière de soins de santé dans les prisons. Si, en principe, des soins médicaux sont dispensés gratuitement à tous les détenus, il y aurait peu de médecins généralistes et ni psychiatre ni dentiste dans la plupart des prisons. Il ajoute que le peu de personnel soignant présent n’a reçu aucune formation à la prestation de soins en milieu carcéral ou à la médecine légale. Il invite la délégation à commenter ces observations.

13.Le Rapporteur demande également à la délégation d’expliquer pourquoi les périodes de détention préventive sont si longues, certains prévenus étant restés plus de douze mois en détention préventive et d’autres plus de trois ans, et ce que l’État partie entend faire pour remédier au problème que constitue le taux très élevé de personnes en détention préventive. Il souhaite savoir si les autorités envisagent de donner effet aux recommandations du mécanisme national de prévention et, en particulier, d’appliquer des peines alternatives à la détention, de favoriser l’aménagement des peines et de créer de nouvelles structures pénitentiaires.

14.S’agissant de l’usage excessif de la force par des agents de l’État, l’État partie affirme dans ses réponses à la liste de points (CAT/C/MRT/Q/2) que l’ensemble des manifestations ayant eu lieu au cours de la période examinée « se sont produites sans aucun incident » (CAT/C/MRT/Q/2/Add.1, par. 148) alors que le Comité a reçu des informations concordantes, y compris du Rapporteur spécial contre la torture, dénonçant l’usage d’une force excessive et de méthodes violentes par les forces de l’ordre pour disperser les manifestants. Il serait intéressant de savoir si des enquêtes ont été ouvertes d’office sur des allégations selon lesquelles les membres des forces de l’ordre auraient fait un usage excessif de la force et auraient infligé des mauvais traitements et des actes de torture lors des manifestations de janvier 2015, de février et juin 2016, et d’avril 2017, et si des manquements de la part des forces de l’ordre ont été constatés.

15.S’agissant du non-refoulement et du droit d’asile, le Rapporteur aimerait savoir si le projet de loi sur l’asile a effectivement été examiné par le Gouvernement en vue de sa soumission à la session parlementaire suivante, comme indiqué dans les réponses de l’État partie à la liste de points, et dans le cas contraire, si un calendrier d’adoption approximatif peut être donné aux membres du Comité. Il demande si le projet de loi en question consacre le principe de non-refoulement d’une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture, énoncé à l’article 3 de la Convention. Il souhaiterait également savoir si ce principe est inscrit dans la législation régissant l’extradition et l’expulsion de migrants en situation irrégulière et si les personnes expulsées ont eu accès à la procédure d’asile ou à un recours juridictionnel, avec effet suspensif automatique. Il invite plus précisément la délégation à indiquer si les migrants expulsés à la frontière avec le Sénégal ont eu accès à la procédure d’asile et si des enquêtes ont été menées concernant les détentions arbitraires, les mauvais traitements et d’autres abus commis lors d’opérations de contrôle des étrangers, notamment contre des pêcheurs étrangers dans les eaux mauritaniennes. Le Rapporteur souhaiterait connaître le nombre de personnes expulsées au cours de la période couverte par le rapport de l’État partie (CAT/C/MRT/2), ventilé par origine, par sexe et par âge.

16.Relevant que l’État partie indique au paragraphe 125 de ses réponses à la liste de points que « les informations faisant état d’actes de torture au sein des services de la police et de la gendarmerie ne sont pas fondées », le Rapporteur souhaite savoir si la délégation maintient cette affirmation au vu des informations concordantes, émanant de sources fiables et du Rapporteur spécial contre la torture, communiquées au Comité selon lesquelles la torture demeure une pratique généralisée au sein de ces services, en particulier au cours de l’arrestation, pendant la garde à vue ou lors de transfèrements, quelle que soit la nature de l’infraction présumée, et de manière systématique dans le cadre d’infractions terroristes. Le Rapporteur demande instamment à la délégation de fournir des statistiques précises sur les enquêtes ouvertes, les procédures menées et les condamnations prononcées contre les agents de l’État ayant commis des actes prohibés par la Convention, comme demandé dans la liste de points.

17.Enfin, concernant la Commission nationale des droits de l’homme, le Rapporteur note qu’à la lumière des préoccupations exprimées par le Sous-comité d’accréditation de l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme dans son rapport de novembre 2016, les autorités mauritaniennes ont adopté la loi f) 2017-016 fixant la composition, l’organisation, et le fonctionnement de la Commission en juillet 2017. Toutefois, étant donné que l’adoption de cette loi n’a permis de répondre ni à l’ensemble des préoccupations du Sous-Comité ni aux problématiques soulevées par nombre d’acteurs de la société civile mauritanienne, le Sous-Comité a recommandé que la Commission nationale soit rétrogradée au statut B à l’issue de sa session de novembre 2017. Le Rapporteur demande à la délégation d’indiquer les mesures qui ont été prises pour permettre à la Commission nationale des droits de l’homme de conserver son statut de catégorie A.

18.M me Belmir (Corapporteuse pour la Mauritanie) constate que la législation pénale mauritanienne est fondée sur le principe selon lequel la source de la législation en général est la charia. Elle constate avec préoccupation que l’article premier du Code pénal mauritanien évoque des catégories de crimes passibles des peines de la diya, ou prix du sang, et que les articles 306 et suivants dudit Code, qui figurent dans la section IV intitulée « Attentats aux mœurs de l’islam », prévoient en cas d’hérésie, d’apostasie, d’athéisme, de refus de prier, et d’adultère, des peines comme la mort, la lapidation et la flagellation, alors même que l’article 7 du Code pénal dit que « la mort, l’amputation, la flagellation, les travaux forcés à perpétuité, les travaux forcés à temps, la réclusion sont des peines afflictives et infamantes ». L’État partie devrait veiller à assurer la cohérence interne des dispositions de la législation pénale.

19.Mme Belmir juge problématique l’article 306, récemment modifié, qui indique que « toute personne qui aura commis un outrage public à la pudeur et aux mœurs islamiques ou a violé les lieux sacrés ou aidé à les violer » est passible d’une peine correctionnelle et d’une amende. En effet, cet article est libellé en termes si vagues qu’il est incompatible avec les normes internationales relatives à la légalité des délits et des peines. La délégation est invitée à commenter ces observations.

20.Mme Belmir juge également problématique la politique pénale dite « du prix du sang » qui s’applique majoritairement aux personnes démunies qui n’ont pas les moyens de payer l’amende à laquelle elles ont été condamnées. Le fait que la famille d’une victime puisse accorder ou non son pardon à l’auteur du crime et le fait que si ce dernier n’est pas en mesure de payer l’amende à laquelle il a été condamné, il puisse demeurer indéfiniment en détention dans l’attente d’un éventuel pardon ne satisfont pas aux normes propres à un état de droit et, de surcroît, aggrave le surpeuplement carcéral. Les autorités mauritaniennes doivent remédier à ce problème et mettre leur législation pénale en conformité avec les normes internationales applicables.

21.La Corapporteuse prend acte des informations fournies dans les réponses écrites sur la formation qui est dispensée aux forces de l’ordre et au personnel pénitentiaire au sujet des droits des personnes privées de liberté, mais elle constate que l’État partie ne dit pas avoir pris des mesures pour évaluer l’efficacité de la formation à la Convention et au Protocole d’Istanbul, alors que le Comité lui avait recommandé de le faire dans ses précédentes observations finales. Elle souhaiterait donc savoir si l’État partie envisage de se doter des moyens d’évaluer l’efficacité des formations existantes et de les actualiser en conséquence, de dispenser à tous les agents publics concernés des formations continues à la Convention, et de prendre des mesures pour que les détenus qui ne parlent que le hassanya aient accès aux services d’un interprète.

22.D’après des informations portées à la connaissance du Comité, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, il existerait des lieux de détention secrets dans le pays, où notamment des salafistes accusés de terrorisme auraient été détenus et torturés et contraints de signer des aveux. Même si l’interrogatoire se déroule dans un centre de détention officiel, il n’est pas enregistré ni filmé et, compte tenu du manque de personnel médical formé pour détecter les séquelles de torture, de la fiabilité insuffisante des registres, de l’interdiction pour les personnes soupçonnées de terrorisme d’être assistées d’un avocat pendant les interrogatoires et de voir un médecin, les victimes d’actes de torture commis dans ce contexte sont dans l’impossibilité de réunir des preuves pour étayer leurs allégations. La délégation voudra bien commenter ces observations et indiquer si l’État partie envisage de prendre les dispositions nécessaires afin que tous les interrogatoires soient systématiquement filmés et enregistrés. Elle voudra bien aussi préciser si les autorités comptent prendre des mesures afin que le personnel autre que médical ne soit plus autorisé à soumettre une personne privée de liberté à un examen des cavités corporelles.

23.La Corapporteuse note avec préoccupation que la Garde nationale, corps paramilitaire relevant du Ministère de l’intérieur, est chargée du maintien de l’ordre et de la sécurité dans les lieux de détention, alors que ses membres ne reçoivent aucune formation sur le traitement des détenus. Ceux-ci courent donc un risque élevé de subir des violations de la Convention, d’autant plus qu’ils n’ont pas la possibilité de saisir directement un juge d’une plainte ou de demander une enquête sur les tortures ou les mauvais traitements qui leur seraient infligés. Il serait donc utile de savoir comment les autorités mauritaniennes comptent pallier cette lacune et, en particulier, si elles entendent mobiliser la Commission nationale des droits de l’homme et le mécanisme national de prévention afin que davantage de plaintes émanant de détenus puissent être recueillies. La Corapporteuse relève en outre que, dans son rapport sur sa mission en Mauritanie (A/HRC/34/54/Add.1), le Rapporteur spécial sur la question de la torture a constaté que la torture et les mauvais traitements étaient encore répandus, en particulier pendant les interrogatoires, que le nombre de médecins formés à la détection des séquelles de torture était extrêmement faible, que leur formation était très rudimentaire, et que des personnes vulnérables étaient détenues dans des lieux officiels de détention sans qu’il n’existe de dossier à leur sujet. La délégation voudra bien commenter ces observations.

24.D’après les statistiques fournies par l’État partie, très peu de personnes ont été poursuivies et condamnées à des sanctions pénales ou disciplinaires pour des violations de la Convention, ce qui contraste avec le nombre considérable d’allégations qui ont été portées à la connaissance du Comité par des organisations de la société civile. À ce propos, la délégation voudra bien donner des renseignements sur la suite donnée aux affaires ci‑après : le décès en garde à vue en juin 2018 de Mohammed Ould Brahim, le passage à tabac d’une femme enceinte, Marième Mint Mohamed Sidi, par un ancien policier, survenu également en juin 2018, la détention arbitraire de Mohamed Ould Mbareck, président d’une ONG active dans la lutte contre l’esclavagisme, ainsi que la détention et les tortures infligées dans ce contexte à Moussa Bilal Biram, à Abdullahi Matalla Saleck, au sénateur Mohamed Ould Ghadda et à Adallahi Ould Yali. Des renseignements seraient également utiles sur les enquêtes éventuelles ouvertes sur les affaires Amadou Idrisse Dieng et Diadié Bambi Coulibaly, militants antiesclavagistes qui ont été arrêtés et soumis à des mauvais traitements et à la torture par la police en 2017 et 2018, respectivement, ainsi que sur l’exécution extrajudiciaire de Lamine Mangane et de Ramdhane Ould Mohammed.

25.La Corapporteuse relève à la lecture des réponses écrites concernant la suite donnée aux allégations de violations de la Convention commises entre 1986 et 1991 contre les minorités noires mauritaniennes qu’un accord d’indemnisation a été conclu avec le Collectif des victimes de la répression et qu’il a été accepté par les ayants droit des victimes. La Corapporteuse constate toutefois que l’État partie n’a pris aucune mesure pour abroger la loi d’amnistie de 1993, qui est incompatible avec le principe de l’imprescriptibilité des actes de torture consacré par la Convention et permet aux auteurs de tels actes de jouir de l’impunité. La délégation voudra bien indiquer si les autorités mauritaniennes envisagent d’abroger ladite loi afin que les responsables de ces violations aient à rendre des comptes devant la justice comme le souhaite depuis longtemps la société civile. Enfin, la délégation voudra bien commenter les informations selon lesquelles les femmes victimes de harcèlement sexuel ou de viol renoncent à porter plainte de peur d’être accusées d’adultère et condamnées à des châtiments corporels sur la base de ce chef.

26.M. Hani fait observer que l’article 303 du Code pénal, qui prévoit qu’« il n’y a ni crime ni délit lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés par l’autorité légitime », est totalement contraire à l’article premier de la Convention, ainsi qu’à la jurisprudence du Comité, selon laquelle une peine non conforme aux normes du droit international ne saurait être considérée comme légitime. Quant à l’article 449, qui dispose que « les matières dont le règlement n’est pas énoncé dans le présent code sont régies par les dispositions du droit musulman », il ouvre la porte à l’arbitraire. M. Hani est tout aussi préoccupé par l’article 307, qui punit le crime de zina d’un an d’emprisonnement et de 100 coups de fouet. Il aimerait connaître le statut du moratoire sur les peines corporelles et l’état d’avancement de la révision des dispositions du droit pénal visant à abolir les châtiments corporels, qui sont incompatibles avec l’esprit et la lettre de la Convention. Il aimerait également obtenir des données statistiques sur les personnes placées ou maintenues en détention pour cause de non-exécution de leur peine du fait de l’application du moratoire susmentionné. Pour terminer, M. Hani demande des précisions concernant : le statut de la police scientifique et les techniques permettant de faire parler les preuves plutôt que les suspects, le nombre de personnes auxquelles a été accordé le bénéfice du droit à réparation consacré par l’article 21 de la loi relative à la lutte contre la torture, le recensement des victimes de torture et de mauvais traitements durant la crise des années 1989 à 1991, visant à leur accorder réparation, et la mise en œuvre du droit à réparation après la dissolution de l’Agence nationale d’appui et d’insertion des réfugiés.

27.M me Gaer voudrait entendre la délégation sur les informations selon lesquelles, quelques années auparavant, des défenseurs des droits de l’homme auraient été arrêtés et soumis à la torture et à des mauvais traitements durant leur détention. Elle demande quelles sont les mesures de protection prises en faveur des femmes qui luttent pour les droits de l’homme, dont Mekfoula Brahim, qui est la cible notamment d’actes de harcèlement, de menaces de mort et de fatwas. Elle demande également si le cas de Mme Brahim a donné lieu à une quelconque enquête et à des mises en examen. Elle demande en outre un complément d’information sur les mesures prises pour garantir et protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire, ainsi que sur les mesures mentionnées au paragraphe 65 du rapport de l’État partie. Elle invite la délégation à indiquer les raisons pour lesquelles le Comité n’a pas reçu les statistiques mentionnées au paragraphe 145 du rapport de l’État partie. S’agissant des allégations selon lesquelles plus de 200 Mauritaniennes auraient été soumises à la prostitution forcée après avoir été recrutées en 2016 par un bureau de placement saoudien pour travailler comme domestiques, elle demande si une enquête a été ouverte et si les bureaux de placement sont agréés par l’État partie.

28.M. Rodríguez-Pinzón fait observer qu’afin d’évaluer le degré d’application de l’article 14 de la Convention, l’État partie doit impérativement établir des données statistiques ventilées par sexe, âge et type d’infraction, et indiquer combien de demandes de réparation par l’octroi d’une indemnisation ou de mesures de réadaptation ont été reçues et combien ont été acceptées, ainsi que le nombre de demandes auxquelles il a été fait droit et le montant de l’indemnisation accordée. Il souhaiterait savoir si le droit interne dispose qu’une victime de torture ou de mauvais traitements peut obtenir réparation en justice même si la responsabilité pénale de l’auteur n’a pas été établie, et que l’État peut accorder réparation pour un tel acte par voie administrative, sans qu’aucune décision n’ait été rendue par une juridiction pénale ou civile.

29.M me Zhang aimerait savoir ce que l’État partie a fait pour que laloi relative à la lutte contre la torture soit largement diffusée par l’intermédiaire des médias, et connaître le nombre de séminaires de vulgarisation organisés et le nombre de participants, ainsi que les autres initiatives menées pour faire connaître cette loi aux membres des forces de sécurité et des autorités judiciaires. Mme Zhang voudrait connaître également les mesures qui ont été prises pour que les supérieurs hiérarchiques soient au fait de leur obligation d’empêcher et de punir la commission d’actes de torture par leurs subordonnés. Elle invite la délégation à indiquer quel bilan est à tirer de l’entrée en vigueur de la loi relative à la lutte contre la torture, notamment en précisant quels changements positifs sont intervenus et en fournissant des renseignements sur les poursuites engagées contre les auteurs d’actes de torture, ainsi que des données statistiques sur le nombre de plaintes pour torture qui ont été enregistrées et sur celles qui ont donné lieu à des enquêtes et à des condamnations. Mme Zhang s’enquiert du rôle du mécanisme national de prévention dans la réduction des crimes de torture et dans l’amélioration de la situation des détenus, et engage la délégation à communiquer au Comité des données statistiques sur les visites inopinées. Elle demande si l’État partie compte recourir davantage à des mesures non privatives de liberté pour réduire la population carcérale.

30.Le Président donne la parole au Rapporteur et à la Corapporteuse pour la Mauritanie et les invite à formuler leurs observations et questions complémentaires.

31.M. Touzé (Rapporteur pour la Mauritanie) dit que le fait que les allégations de torture formulées par MM. Abdellahi Matalla et Moussa Bilal Biram n’ont donné lieu à aucune enquête − la cour pénale a conclu à son incompétence en l’espèce − est contraire à l’article 12 de la Convention, et demande un complément d’information. S’agissant du mécanisme national de prévention, il souhaiterait savoir quelles organisations de la société civile ont participé au processus de désignation de ses membres.

32.M me Belmir (Corapporteuse pour la Mauritanie) fait observer que des étrangers en situation régulière font l’objet de peines de détention dépourvues de fondement juridique, et que les personnes visées par une décision d’expulsion du territoire national n’ont pas la possibilité de déposer un recours. Elle invite l’État partie à réviser sa législation sur les étrangers pour tenir compte de l’évolution de la situation et des dispositions de l’article 3 de la Convention.

La séance est levée à 13 heures.