NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.86214 mai 2009

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Quarante et unième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 862e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le jeudi 20 novembre 2008, à 10 heures

Président: M. GROSSMAN

SOMMAIRE

DIALOGUE AVEC LE RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

L a séance est ouverte à 10 h 15.

DIALOGUE AVEC LE RAPPORTEUR SPÉCIAL SUR LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

1.Le PRÉSIDENT invite M. Manfred Nowak, Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, à prendre la parole devant le Comité.

2.M. MANFRED NOWAK (Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) se réjouit de l’occasion qui lui est donnée d’échanger avec les membres du Comité sur des questions d’intérêt commun. Quatre ans après son entrée en fonctions, le Rapporteur spécial n’a pas tout à fait abandonné son idée de départ qui était d’établir un rapport mondial sur la torture. Il était sans doute ambitieux de se donner six ans pour le faire, compte tenu de la nécessité d’examiner la situation propre à chaque pays. Quoi qu’il en soit, force est de constater que la torture reste une pratique répandue et qu’au plan mondial, les détenus forment un groupe particulièrement vulnérable dont la situation est préoccupante. C’est en tout cas ce qui ressort des visites effectuées par le Rapporteur spécial dans plus d’une dizaine de pays. Ces missions sont effectuées dans un triple but: évaluer l’ampleur de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le pays considéré; examiner de près la question des conditions de détention et engager, avec les États intéressés une coopération sur la base du rapport de mission. Dans ce cadre, on peut regretter que faute de ressources suffisantes, les activités de suivi nécessaires ne puissent être menées.

3.Lors de ses visites, le Rapporteur spécial a pu constater que dans nombre d’établissements pénitentiaires à travers le monde, les conditions de détention équivalaient à un traitement inhumain ou dégradant. Dans certains pays, les conditions sanitaires sont déplorables et aucune mesure n’est prise par les autorités pour que le droit à l’alimentation ou le droit à l’eau potable soient respectés. On considère même parfois que les détenus doivent être nourris par leurs familles, ce qui pose de graves problèmes lorsque le détenu est un étranger. La question de la garde à vue est également une source de préoccupation. Dans bien des cas, le Rapporteur spécial a constaté que des personnes étaient gardées à vue pendant des périodes prolongées. Il a également observé, dans les pays où le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant et où le principe de légalité n’est pas respecté, que nombre de détenus sont en réalité innocents. À cela s’ajoute le phénomène de la corruption des acteurs de la justice, y compris les juges.

4.Pour ce qui est des questions de fond, le Rapporteur spécial a toujours été convaincu que dans le cadre de la lutte antiterroriste engagée par les États après le 11 septembre 2001, il fallait insister sur la nécessité de respecter le principe de l’interdiction absolue de la torture en toutes circonstances, même exceptionnelles. Il importe également de faire respecter le principe de non‑refoulement, et on ne peut que se réjouir de la jurisprudence récente du Comité à ce sujet. L’on pourrait certes s’attendre à davantage de fermeté de la part des organes conventionnels sur la question des assurances diplomatiques, parce qu’elles ne sont tout simplement pas un instrument efficace de protection contre la torture. Les États parties ne devraient plus se voir accorder le droit de fonder leurs décisions sur de telles assurances. Enfin, ayant entrepris d’étudier le problème des châtiments corporels, le Rapporteur spécial se réjouirait de toute information concernant la jurisprudence du Comité sur la question. Il serait également utile de savoir si le Comité considère que la peine de mort est contraire à la Convention.

5.Dans le cadre de ses activités, le Rapporteur spécial s’est également attaché à étudier la question de la protection de groupes particuliers contre la torture; le précédent rapport (A/HRC/7/3) contient ainsi des conclusions et recommandations sur la protection des femmes contre la torture. Les mutilations génitales féminines sont des violations de la Convention et relèvent du mandat confié au Rapporteur spécial, qui a d’ailleurs abordé la question avec des représentants du Ministère des affaires sociales et des droits de la femme de la Guinée-Bissau. Par ailleurs, lors d’une mission en République de Moldova effectuée conjointement avec la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, la question de la traite a également été évoquée. Pour ce qui est des personnes handicapées, on constate que les personnes frappées d’un handicap physique ou mental sont particulièrement vulnérables à la torture. Dans bien des cas, le personnel pénitentiaire n’est pas formé pour prendre en charge ce type de détenus.

6.Le Rapporteur spécial est par ailleurs préoccupé par la pratique de la mise à l’isolement et par les graves conséquences physiques et psychologiques liées à l’application d’un tel régime pendant des périodes prolongées. Ce régime est d’ailleurs aussi utilisé dans des pays où aucun cas de torture n’a été constaté. Dans certains pays de l’ex-URSS, des personnes condamnées à de lourdes peines ou à la peine de mort sont systématiquement mises à l’isolement à titre de sanction supplémentaire. Pour le Rapporteur spécial, toute mise à l’isolement qui n’est pas justifiée et limitée dans le temps équivaut à un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de la Convention et de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Saluant enfin l’œuvre de sensibilisation du Comité et les efforts qu’il déploie pour interpréter et faire appliquer la Convention à la lumière des défis actuels, le Rapporteur spécial souhaiterait recueillir ses vues sur la question de la distinction entre la torture d’une part et les traitements cruels, inhumains ou dégradants d’autre part.

7.Le PRÉSIDENT dit que pour plus d’efficacité, les activités du Rapporteur spécial et des organes conventionnels devraient être mieux coordonnées et plus interdépendantes. Le Comité pourrait, le cas échéant, s’appuyer sur les conclusions du Rapporteur spécial lorsqu’il examine la situation dans tel ou tel pays au titre de l’article 20 de la Convention. Quant à la coopération avec les États, elle peut être précieuse lorsque ceux‑ci font preuve de bonne volonté. Il serait également fort utile de renforcer la collaboration avec le Rapporteur spécial pour les activités de suivi. En ce qui concerne le principe de non‑refoulement, il ne devrait pas y avoir de place pour les assurances diplomatiques, le fait même qu’elles soient demandées étant déjà le signe que l’intéressé ne devrait pas être renvoyé.

8.M. GALLEGOS CHIRIBOGA se félicite de ce que le rapport présenté par le Rapporteur spécial en application de la résolution 62/148 de l’Assemblée générale (A/63/175) soit consacré à la protection des handicapés contre la torture, car cela donne une plus grande visibilité à des problèmes qui restent encore largement méconnus. En décembre 2007, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme a organisé un séminaire sur ce thème, auquel le Rapporteur spécial, Mme Sveaass et lui-même ainsi que plusieurs organisations non gouvernementales ont participé. De telles expériences devraient se renouveler car c’est en intensifiant la collaboration entre les organes et mécanismes de l’ONU et les ONG actives dans le domaine de la promotion des droits des handicapés que des progrès pourront être accomplis en matière de lutte contre la torture et les mauvais traitements infligés aux handicapés.

9.Mme BELMIR note avec satisfaction que le Rapporteur spécial s’intéresse de près à la relation entre la Convention et les femmes, comme en témoigne son rapport au Conseil des droits de l’homme (A/HRC/7/3), et qu’il a notamment examiné le phénomène de la violence familiale dans ce contexte. Rappelant que ce type de violence se produit généralement dans un contexte fermé à toute ingérence extérieure, et qu’il est de plus protégé par des lois garantissant le droit à la vie privée, elle prie le Rapporteur spécial d’indiquer dans quelle mesure l’obligation de respecter la sphère privée est à son avis compatible avec l’obligation de protéger les femmes et les enfants contre la violence familiale.

10.M. MARIÑO MENÉNDEZ dit que le Comité n’a pas adopté de position de principe sur la peine de mort mais qu’il lui est déjà arrivé de qualifier les circonstances associées à cette peine de traitement inhumain, notamment dans le cas des condamnés qui se trouvent dans le couloir de la mort, ce contexte étant pour eux source de souffrances psychologiques considérables.

11.Pour ce qui est des châtiments corporels, le Comité a souligné dans ses observations finales concernant le rapport d’un pays du Moyen-Orient que les peines telles que la flagellation, la lapidation et l’amputation constituaient des violations de la Convention, mais il n’a pas cité d’article en particulier. Toutefois, étant donné que la lapidation ne s’applique qu’aux femmes, la nature discriminatoire de cette peine pourrait être invoquée pour dire qu’il s’agit d’une forme de torture au sens de l’article premier de la Convention, puisque la discrimination y est citée au nombre des motifs pour lesquels une personne peut être torturée.

12.Depuis le moment où, pour la première fois, il s’est penché sur la question des assurances diplomatiques, à savoir dans l’affaire Agiza c. Suède (CAT/C/34/D/233/2003), le Comité a avancé dans sa réflexion et devrait être bientôt en mesure d’adopter une position tranchée sur ce sujet. Par ailleurs, il y a lieu de remercier le Rapporteur spécial d’avoir accueilli favorablement l’interprétation que le Comité avait faite de la torture systématique à l’issue de son enquête confidentielle en Turquie (A/48/44/Add.1, par. 39), interprétation selon laquelle la pratique de la torture ne doit pas nécessairement procéder de l’intention délibérée d’un État pour être qualifiée de systématique, et qui a ensuite servi de base aux travaux des membres du Comité lors de l’enquête confidentielle menée au Brésil en 2005 (CAT/C/39/2).

13.Enfin, rappelant la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Al ‑ Adsani c. Royaume-Uni, dans laquelle l’immunité des États a été invoquée comme motif pour débouter le requérant, un homme de nationalité britannique et koweïtienne qui aurait été torturé au Koweït, M. Mariño Menéndez souhaiterait savoir si le Rapporteur spécial pense que les personnes qui affirment avoir subi des tortures à l’étranger peuvent entamer une action en responsabilité civile contre l’État concerné ou au contraire que le principe de l’immunité des États représente un obstacle insurmontable à cet égard.

14.Mme SVEAASS relève avec satisfaction que, dans ses rapports les plus récents, le Rapporteur spécial s’est intéressé non seulement à la protection des handicapés et des femmes contre les mauvais traitements et la torture, mais aussi à la question de l’indemnisation des victimes. Elle l’encourage donc vivement à continuer de mettre l’accent dans ses travaux sur cet aspect de la Convention et à rappeler aux États qui accueillent des rescapés de la torture qu’en vertu de l’article 14 de la Convention, ils sont tenus de leur garantir les moyens nécessaires à leur réadaptation, notamment des traitements à long terme, même s’ils ne sont nullement responsables des tortures subies par ces personnes.

15.Le Comité a souvent beaucoup de difficultés à obtenir des renseignements sur la situation dans les établissements psychiatriques, car les rapports des ONG spécialisées dans le domaine de la torture sont souvent muets sur la question. Mme Sveaass invite le Rapporteur spécial à encourager ces organisations à collecter davantage d’informations à ce sujet.

16.M. WANG Xuexian souhaiterait savoir combien de missions le Rapporteur spécial a effectuées dans des pays européens et combien de pays de cette région ont été impliqués dans des transferts illégaux de terroristes présumés par la voie aérienne et combien d’États ont refusé de participer à ces opérations. Relevant en outre que, pour le Rapporteur spécial, l’isolement cellulaire ne se justifie que dans deux cas, à savoir si cette mesure est absolument indispensable et si sa durée ne peut être prolongée, M. Wang Xuexian souhaiterait de plus amples explications sur ces deux critères.

17.Mme GAER souhaiterait connaître le point de vue du Rapporteur spécial sur la relation entre les violences physiques et les violences psychologiques infligées aux femmes. En effet, l’état psychologique de la victime et le sentiment d’impuissance qui en résulte ne sont généralement pas suffisamment pris en considération, notamment dans le contexte de la violence conjugale et de la traite des femmes. À cet égard, le Rapporteur spécial est invité à faire part de ses réflexions au sujet du sentiment d’impuissance éprouvé par les victimes.

18.Mme KLEOPAS se dit personnellement convaincue que le fait de condamner une personne à mort constitue en soi un traitement cruel, inhumain et dégradant et souhaiterait que le Rapporteur spécial fasse part de son point de vue sur cette question. Elle le félicite d’avoir traité dans le cadre de son mandat le problème de la violence contre les femmes, en particulier la violence familiale, déplorant que dans le monde entier, de nombreux États continuent de nier la réalité de ce phénomène.

19.Le PRÉSIDENT invite le Rapporteur spécial à formuler des observations sur l’interprétation que donne le Comité de la notion de torture systématique, et le prie d’indiquer s’il a publié des documents officiels sur la question des transferts illégaux et de donner son avis sur cette pratique.

20.M. NOWAK (Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) indique, à propos des violations de la Convention dont sont victimes les femmes que, si les États dans lesquels il se rend en mission font souvent tout leur possible pour cacher l’existence de la torture dans les prisons et les postes de police, ils sont en revanche beaucoup moins enclins à nier des phénomènes tels que la violence familiale et les mutilations génitales féminines car ils ne se sentent qu’indirectement responsables; ils ne perçoivent pas les activités des rapporteurs spéciaux dans ce domaine comme une ingérence dans leurs affaires internes. Parler avec une victime de la torture après sa remise en liberté s’avère souvent extrêmement délicat, mais s’entretenir avec une victime de la violence familiale dans un centre pour femmes battues ne pose aucun problème. Cela dit, comme le Rapporteur spécial ne peut pas effectuer de visites impromptues au domicile des personnes touchées par la violence familiale, il ne peut que s’en remettre aux statistiques établies par les pouvoirs publics et aux rapports des ONG pour évaluer l’ampleur de ce phénomène dans les pays où il se rend. Il reconnaît que c’est une lacune et qu’il doit encore réfléchir aux moyens de recueillir des informations sur ce type de violations afin de pouvoir se faire sa propre idée de la situation.

21.Le principe de l’immunité de l’État entrave la réalisation du droit d’obtenir réparation consacré par l’article 14 de la Convention. L’obligation de réparation est traditionnellement interprétée comme incombant à l’État tenu pour responsable des actes de torture dont la victime a fait l’objet, mais l’article 14 tel qu’il est libellé n’interdit pas d’en faire une interprétation plus large et de la considérer comme une obligation générale imputable à tous les États, y compris les États qui accueillent des victimes de la torture venant d’autres pays. Le principe de l’immunité de l’État l’emporte dans les procédures civiles relatives à des actes de torture qui mettent en cause un État tiers, mais dans la mesure où l’immunité s’applique aux États mais pas à leurs agents, une action en réparation pour actes de torture intentée contre les agents d’un État tiers devrait être recevable. Une décision avait été rendue dans ce sens au Royaume-Uni par la Cour d’appel dans l’affaire Jones c. Ministère de l ’ intérieur de l ’ Arabie s aoudite, mais elle a malheureusement été infirmée par la Chambre des Lords. Or, de même que la Convention contre la torture établit la compétence universelle en matière pénale à l’égard des actes de torture, il faudrait pouvoir établir une compétence universelle en matière civile. Les gouvernements se montrent naturellement réticents compte tenu des implications financières qui en découleraient. L’indemnisation des victimes de la torture de même que leur accès à une réadaptation la plus complète possible devraient pourtant être considérés comme une responsabilité commune de tous les États et non comme la seule responsabilité des États tortionnaires. C’est malheureusement la seconde conception qui prévaut, comme en atteste la diminution des contributions des États au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture.

22.M. Nowak précise qu’il a à ce jour effectué des visites dans trois pays européens − la Géorgie, la République de Moldova et le Danemark. Il s’est également rendu dans trois pays africains, dans plusieurs pays d’Asie et dans un pays d’Amérique latine. Il envisage d’effectuer des missions aux Caraïbes et dans le Pacifique mais il n’a pas encore reçu des gouvernements concernés l’invitation requise.

23.Tous les pays européens ont participé à des transferts illégaux, certains activement, comme la Suède dans l’affaire Agiza, d’autres passivement en autorisant des avions affrétés par la CIA pour transférer illégalement des prisonniers à traverser leur espace aérien ou à se ravitailler en carburant dans leurs aéroports. Face à ce problème grave, les institutions européennes ne sont pas restées inactives. Le Conseil de l’Europe a chargé un rapporteur spécial − M. Dick Marty − d’enquêter sur la nature exacte de la coopération des gouvernements européens avec les États‑Unis; celui-ci a présenté deux rapports établissant au-delà de tout doute raisonnable qu’il existait des lieux de détention secrets administrés par la CIA sur le territoire de nombreux pays européens, notamment en Pologne et en Roumanie, conclusions qui ont été confirmées par la suite par le rapport de la Commission temporaire du Parlement européen sur l’utilisation alléguée de pays européens par la CIA pour le transport et la détention illégale de prisonniers. En application de l’article 52 de la Convention européenne des droits de l’homme, le Secrétaire général du Conseil de l’Europe a demandé à tous les États membres de présenter un rapport sur cette question. La plupart d’entre eux ont refusé de divulguer les informations voulues au motif qu’il s’agissait de secrets d’État et qu’ils avaient conclu un accord avec les autorités américaines garantissant que la confidentialité de ces informations serait préservée. D’autres enquêtes sont néanmoins en cours, et on peut espérer que la nouvelle administration américaine collaborera à l’établissement de la vérité concernant la coopération entre les services secrets américains et les pays européens dans le cadre de la guerre contre le terrorisme engagée par les États-Unis.

24.Le seuil à partir duquel un comportement donné devient un acte de torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant est souvent difficile à déterminer et doit être analysé au cas par cas. Le régime cellulaire est à cet égard un excellent exemple. D’après des études médicales menées sur le sujet, quelques semaines de ce régime suffisent pour occasionner des dommages psychologiques durables, mais il est vrai que ses effets peuvent varier considérablement d’un individu à un autre. La jurisprudence des juridictions internationales des droits de l’homme est toutefois relativement tolérante à l’égard de cette pratique. Dans certains cas, par exemple pendant la détention avant jugement, lorsque l’on veut éviter que le prévenu détruise ou fasse disparaître des preuves, elle peut être nécessaire, à condition toutefois qu’il y soit mis un terme dès que les circonstances qui ont motivé son application cessent d’exister. Au critère de la nécessité s’ajoute celui de la proportionnalité. Or dans de nombreuses prisons, le régime cellulaire est utilisé comme mesure disciplinaire pour sanctionner des infractions mineures au règlement pénitentiaire, ce qui est excessif.

25.La peine de mort a toujours été analysée du point de vue du droit à la vie, auquel elle constitue une exception autorisée par plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, d’où on en a longtemps conclu que la peine de mort était autorisée en vertu du droit international et qu’elle ne pouvait par conséquent pas être considérée comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il ne faut pas oublier qu’au moment où les instruments en question ont été élaborés, la plupart des États et des peuples étaient favorables à la peine de mort. Mais les temps ont changé, et on ne peut plus, à une époque où toutes les formes de châtiments corporels sont considérées comme des traitements cruels, inhumains ou dégradants et catégoriquement interdites à ce titre, continuer à soutenir que la peine de mort, qui est en quelque sorte le châtiment corporel suprême, ne constitue pas un traitement cruel, inhumain ou dégradant. La Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a rendu en 1995 une décision exemplaire à cet égard, en concluant que la peine de mort, quelle que soit la manière dont elle était appliquée, constituait un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il faut espérer que cette approche, à laquelle la communauté internationale semble commencer à s’ouvrir, finira par s’imposer.

26.La violence physique et la violence psychologique sont souvent intimement liées et il est parfois difficile de déterminer ce qui relève exclusivement de l’une ou de l’autre. Par exemple, le fait de suspendre une personne par les bras et de lui attacher les chevilles de manière à ce qu’elle ne puisse plus bouger constitue en soi un traitement cruel et dégradant qui peut être assimilable à la torture à partir du moment où la victime souffre non seulement physiquement, mais aussi psychologiquement du fait de se savoir totalement sans défense. La volonté de faire naître chez la victime un sentiment de totale impuissance constitue indéniablement un critère distinctif permettant de définir ce qui relève de la torture et ce qui ressortit aux autres formes de peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants. C’est le même mécanisme d’oppression qui est à l’œuvre dans la plupart des cas de violence familiale ou de traite des personnes, les victimes étant maintenues dans un état de terreur doublée d’une totale dépendance vis-à-vis de leurs oppresseurs.

27.L’idée d’une institutionnalisation de la coopération entre le Comité et le Rapporteur spécial sur la question de la torture est séduisante et il faudra réfléchir aux moyens de la concrétiser. La jurisprudence du Comité est une référence pour le Rapporteur spécial, qui s’en est déjà inspiré en plusieurs occasions. Il s’est par exemple appuyé sur la position que le Comité avait adoptée à l’égard de la Turquie (A/48/44/Add.1, par. 39) selon laquelle la torture pouvait avoir un caractère systématique sans qu’elle résulte de l’intention directe d’un gouvernement pour formuler ses conclusions sur le Brésil, le Népal, l’Équateur et la Guinée.

28.Le PRÉSIDENT remercie le Rapporteur spécial, dont la venue constitue une marque d’intérêt à laquelle le Comité est très sensible. Il espère que le dialogue engagé entre eux se poursuivra en vue d’une meilleure coordination et d’un suivi efficace de leurs travaux respectifs.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 11 h 55.

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