Nations Unies

CAT/C/SR.1659

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 août 2018

Original : français

Comité contre la torture

Soixante- quatrième session

Co mpte rendu analytique de la 1659 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 25 juillet 2018, à 15 heures

Président (e): M. Modvig

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Deuxième rapport périodique de la Mauritanie (suite)

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Deuxième rapport périodique de la Mauritanie (CAT/C/MRT/2, CAT/C/MRT/Q/2, CAT/C/MRT/Q/2/Add.1 et HRI/CORE/1/Add.112) (suite)

1.Sur l ’ invitation du Président, la délégation mauritanienne reprend place à la table du Comité.

2.Le Président invite la délégation à répondre aux questions que le Comité lui a posées la veille.

3.M.  Ould Moulaye Abdellah (Mauritanie) dit que la loi no 2015-033 relative à la lutte contre la torture est muette sur la durée de la garde à vue. Cette dernière est fixée par le Code de procédure pénale et les textes spéciaux applicables. Sauf disposition contraire de la loi, elle ne peut excéder quarante-huit heures ; la garde à vue peut être prolongée une fois pour un nouveau délai de quarante-huit heures au plus, sur autorisation écrite du Procureur de la République. Dans les affaires de terrorisme, la durée maximale de la garde à vue est de quinze jours, renouvelable deux fois, durée qui est justifiée au regard notamment de la complexité des actes d’enquête. Aucun cas de prolongement indu d’une garde à vue n’est à signaler. La légalité de la garde à vue ne peut être contestée dès lors que les garanties légales ont été respectées. La personne qui est placée en état d’arrestation est informée par l’officier de police judiciaire des motifs de son arrestation et des faits qui lui sont reprochés. Dès le début de sa privation de liberté, elle a le droit d’être assistée par un avocat (si elle n’en désigne pas un, il lui en est commis un d’office dès sa comparution devant le juge ou le tribunal) et d’être examinée par un médecin (l’examen médical est systématique lorsque l’intéressé présente des blessures ou des signes apparents de maladie). Le Procureur de la République et l’Inspecteur général de l’administration judiciaire et pénitentiaire sont tenus de viser respectivement les registres de garde à vue et les registres d’écrou lors de leurs passages, si bien que ces registres font l’objet de contrôles effectifs. Une main courante informatisée est déjà opérationnelle dans 18 commissariats de Nouakchott, et un outil informatique de gestion des détenus est en cours d’élaboration. La réglementation en vigueur prévoit que des mesures doivent être prises en vue d’éviter les évasions et tous autres incidents lors des transfèrements et extractions de détenus. Les détenus peuvent être soumis, sous la responsabilité du chef d’escorte, au port des menottes ou, s’il y a lieu, d’entraves. Les transfèrements s’effectuent toujours dans des conditions permettant de préserver la dignité des détenus.

4.Les mineurs sont détenus à Nouakchott ou à Nouadhibou, où sont également gardés les détenus de sexe féminin, dans une prison pour femmes et dans un quartier réservé aux femmes, respectivement. L’absence de séparation des prévenus et des condamnés dans certains établissements est due essentiellement à l’inadéquation des locaux. Les prisons de Nouakchott et de Dar Naïm sont en voie de réhabilitation, et de nouvelles structures sont en cours de construction.

5.La présence de gardiens durant les visites médicales des détenus n’est pas systématique. Elle est décrétée au cas par cas, suivant la dangerosité du détenu, afin de prévenir les évasions et d’assurer la sécurité des différents intervenants. L’année 2016 a vu l’ouverture à la prison de Dar Naïm d’un quartier réservé aux détenus atteints de maladies contagieuses, où ils demeurent jusqu’à leur guérison ou la disparition du risque de contagion. Les détenus vivant avec le VIH/sida sont identifiés par les services de santé pénitentiaires, qui assurent leur suivi et leur prise en charge médicale ; ils ne sont pas mis à l’isolement. Il n’y a pas de situation de pénurie de médicaments dans le milieu carcéral. Des produits sont fournis en quantités suffisantes aux établissements pénitentiaires pour leur permettre d’assurer l’hygiène des personnes et des lieux. Les prisons sont toutes raccordées au réseau d’approvisionnement en eau et en électricité.

6.Le droit aux visites familiales est garanti dans les conditions prévues par la réglementation ; le détenu marié a également droit aux visites conjugales. Possibilité est offerte aux détenus de suivre une formation ou d’autres enseignements, afin de faciliter leur réinsertion sociale. L’isolement cellulaire constitue une mesure disciplinaire, décidée par le chef d’établissement. Sa durée ne peut excéder quinze jours consécutifs, à raison de vingt‑trois heures au plus par jour. La décision de mise à l’isolement pour une durée plus longue (soixante jours au maximum) relève du Ministre de la justice. Conformément à la loi, la détention provisoire est une mesure qui ne doit être prise qu’en dernier recours. Le taux de détention provisoire est aujourd’hui moins élevé qu’auparavant, grâce notamment aux mesures de substitution.

7.La détention de Mohamed Ould Ghadda est conforme à la loi. M. Ould Ghadda a été placé en garde à vue pour diffamation le 10 août 2017 par la brigade mixte de gendarmerie de Nouakchott. Le 18 août 2017, il a été requis par la Direction de lutte contre la criminalité économique et financière, seule compétente pour enquêter sur les infractions économiques et financières, conformément à la loi no 2016.014 relative à la lutte contre la corruption. Pour les infractions à cette dernière, la durée maximale de la garde à vue est de quarante‑huit heures, renouvelable trois fois. Le jour de repos hebdomadaire et les jours fériés, notamment, n’entrent pas en compte dans le calcul de la durée de la garde à vue. Le juge d’instruction saisi de l’affaire a procédé à l’interrogatoire de M. Ould Ghadda et a délivré contre lui un mandat de dépôt. La détention préventive de M. Ould Ghadda a été prolongée une fois, par ordonnance motivée du juge d’instruction dans les conditions fixées par la loi.

8.Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Le Président de la République préside le Conseil supérieur de la magistrature, mais n’assiste pas aux réunions où le Conseil est appelé à statuer sur le comportement d’un membre du corps judiciaire. Les magistrats du siège ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles, qu’à l’autorité de la loi.

9.L’ordre de la loi et le commandement de l’autorité légitime constituent des causes d’irresponsabilité. Conformément à la Constitution mauritanienne, la charia est l’unique source de droit. Elle n’est en rien incompatible avec la liberté de la preuve et l’introduction des techniques de police scientifique. Hormis les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve conforme à la loi ; l’aveu obtenu par la torture, la violence ou la contrainte n’a pas de valeur.

10.L’audit dont ont fait l’objet la loi relative à la lutte contre le terrorisme et la loi relative à la lutte contre le blanchiment de l’argent et le financement du terrorisme conclut à la nécessité, notamment, d’améliorer la qualification des infractions et l’adéquation des peines, d’étendre la compétence juridictionnelle, de renforcer les droits de procédure et de défense de l’accusé et de réviser le régime de la garde à vue.

11.Les décisions d’expulsion ou de refoulement émanant d’autorités judiciaires peuvent faire l’objet des recours habituels, jusqu’à leur épuisement. Lorsqu’elles émanent d’une autorité administrative, elles sont susceptibles de recours en annulation devant la juridiction compétente, dans les conditions fixées par le Code de procédure civile, commerciale et administrative.

12.Lorsqu’une personne est condamnée à payer la diya(prix du sang) mais n’a pas les moyens de s’en acquitter, l’État verse à sa place la somme due aux ayants-droits de la victime, si ceux-ci acceptent d’accorder leur pardon à l’auteur. Dans les affaires d’extradition, les personnes qui ne parlent pas l’arabe bénéficient des services d’un interprète à tous les stades de la procédure. La prison de Salahdine n’accueille plus aucun détenu depuis la fin de 2016. Les fouilles de détenus ne doivent être pratiquées que par des agents pénitentiaires du même sexe et l’examen des cavités corporelles ne peut être effectué que par du personnel qualifié. Les détenus peuvent librement s’entretenir en tête-à-tête avec les juges lorsque ceux-ci se rendent dans les établissements pénitentiaires. En outre, ils peuvent adresser des plaintes et des lettres aux autorités judiciaires et cette correspondance n’est pas ouverte par l’administration pénitentiaire. Aucune personne n’est détenue sans qu’un dossier ait été constitué à son sujet et aucun responsable d’établissement pénitentiaire ne peut admettre un détenu sans avoir reçu un acte émanant d’une autorité judiciaire.

13.Depuis un certain nombre d’années, plus aucune grève collective de la faim n’a été entamée par des détenus afin de réclamer une amélioration des conditions de détention. On ne recense plus que quelques cas isolés de personnes condamnées pour terrorisme qui se sont mises en grève de la faim notamment parce qu’elles souhaitaient des repas halal ou voulaient recevoir des visites non autorisées par le règlement. Les organisations non gouvernementales (ONG) peuvent obtenir le droit d’accéder aux prisons en concluant des partenariats à cette fin avec le Ministère de la justice. C’est le cas de plusieurs ONG locales, qui sont autorisées à se rendre dans les prisons et à apporter une assistance aux détenus. Depuis son ouverture, la prison de Bir Moghrein a accueilli trois contingents de détenus provenant d’autres établissements, à raison de 120 personnes en 2016, 30 en 2017 et 141 en 2018. Les autorités mauritaniennes sont conscientes de l’importance que la médecine légale revêt pour la transparence de la procédure pénale. À ce jour, un seul médecin légiste a été formé dans le pays, ce qui est dû au fait que la faculté de médecine n’a que quelques années d’existence, mais les autorités espèrent bénéficier d’une assistance technique afin que davantage de médecins puissent se spécialiser dans ce domaine.

14.Le nombre de personnes arrêtées pour terrorisme s’établit à 44 ; deux d’entre elles sont encore en détention provisoire, les 42 autres ont été condamnées. Des informations plus détaillées sur chaque cas et sur les chefs d’inculpation retenus dans chaque affaire seront fournies ultérieurement par écrit. De 2016 à juillet 2018, la population carcérale est passée de 2 114 à 2 379 détenus, soit une augmentation de 12 %. Pendant cette période, le nombre de mineurs en détention est passé de 82 à 170, le nombre de femmes de 40 à 36, le nombre de prévenus de 1 057 à 965 et le nombre de condamnés de 1 057 à 1 420. Enfin, concernant la question de l’incompatibilité entre les dispositions du Code pénal relatives aux châtiments corporels et la Convention, M. Ould Moulaye Abdellah souligne que, conformément à la Constitution, la charia demeure la seule source de droit et que toute obligation contraire à ce principe est nulle et non avenue.

15.M.  Ould Naji (Mauritanie) dit qu’il n’existe pas de lieux de détention officieux ou illégaux en Mauritanie et que la détention est encadrée par des normes très strictes visant à garantir le respect des droits des personnes privées de liberté. Les lieux de détention sont soumis au contrôle et à la surveillance des autorités judiciaires. Ces garde-fous font qu’il n’est pas possible de créer des lieux détention secrets où les droits des personnes privées de liberté peuvent être bafoués. Les agents de la police judiciaire sont placés sous le contrôle direct du ministère public et collaborent étroitement avec les parquets. Le régime de la garde à vue est strictement défini et le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat est garanti. Aucun interrogatoire ne peut avoir lieu en dehors des locaux des services de la police judiciaire. En outre, tous les lieux de détention sont régulièrement visités par différentes entités, dont le parquet, l’observatoire des droits de l’homme et le mécanisme national de prévention.

16.Aucune plainte contestant la légalité et la régularité d’une procédure ou la conformité aux normes d’un lieu de détention ou son emplacement n’a été portée à l’attention de la délégation. Les allégations concernant l’existence de cellules au sous-sol du commissariat du 4e arrondissement de Nouakchott sont totalement dénuées de fondement. Le mécanisme national de prévention a effectué une visite inopinée sur les lieux et a constaté qu’il n’y avait aucun local de détention dans le sous-sol de ce bâtiment.

17.La formation de base dispensée à l’École nationale de police comprend des modules consacrés à l’enseignement des droits de l’homme. Les officiers de police judiciaire, qui sont appelés à mener des enquêtes administratives et judiciaires, bénéficient d’un enseignement plus poussé sur la procédure pénale, le déroulement des auditions et la jurisprudence relative au non-respect des garanties protégeant la dignité du détenu. En conséquence, les policiers chargés des auditions sont dûment formés pour interroger les suspects conformément à la loi.

18.Le Centre de rétention de Bagdadaccueille les étrangers en infraction à la loi sur l’immigration qui sont en instance de reconduite à la frontière. Il est placé sous le contrôle des autorités administratives et judiciaires. La délégation n’a jamais entendu parler de faits de torture qui auraient été commis dans ce centre. Les migrants interceptés par les gardes‑côtes mauritaniens ne passent que vingt-quatre heures au centre de transit de Nouadhibou, après quoi ils sont transférés dans le centre de rétention de Nouakchott, d’où ils sont reconduits à la frontière étant donné qu’ils ont enfreint la législation sur l’immigration. La Mauritanie a mis en place 53 points de passage de la frontière autorisés. Seules les personnes qui entrent sur le territoire mauritanien par l’un de ces points peuvent obtenir un titre de séjour. Les étrangers qui empruntent d’autres points de passage violent la loi sur l’immigration et sont passibles d’expulsion. Les accords que la Mauritanie a passés avec le Sénégal et le Mali portent uniquement sur la liberté de circulation. Les Sénégalais et les Maliens qui souhaitent obtenir un titre de séjour sont tenus de passer par les points de passage officiels. L’accord bilatéral conclu avec l’Espagne porte essentiellement sur la sécurité et la coopération en matière de surveillance maritime et ne crée pas de risque de non-respect du principe de non-refoulement consacré par la Convention.

19.Concernant les allégations d’usage de la force dans le cadre des manifestations, M. Ould Naji indique que, depuis 2008, toutes les demandes concernant la tenue de manifestations ont été agréées et que la Mauritanie est le pays de la sous-région où le plus de manifestations ont eu lieu. En 2013 et 2014, la police nationale a géré plus de 300 manifestations diverses et, par rapport à d’autres régions du monde, le bilan est positif, un équilibre ayant été trouvé entre le respect des libertés publiques et le maintien nécessaire de l’ordre. Le nombre de manifestations par année pendant la période 2012-2016 a diminué progressivement, passant de 205 manifestations en 2012 à 158 en 2016. Toutes ces manifestations se sont déroulées sans aucun incident et aucun décès n’a été à déplorer. En revanche, en 2016, dans le contexte d’une intervention de la police lancée à la demande de particuliers qui avaient subi une attaque organisée d’une dizaine d’individus, un certain nombre de policiers, qui n’étaient pas préparés à faire face à une telle situation, ont subi des blessures graves et incapacitantes. Les auteurs de ces actes ont été arrêtés et ont reconnu les faits devant les juges, plusieurs preuves accablantes ayant été réunies contre eux, et n’ont pas formulé d’allégations de torture au moment de leur procès. Une fois remises en liberté, elles ont prétendu que leurs aveux leur avaient été arrachés par la torture, ce qui est totalement faux car la police disposait de suffisamment de preuves matérielles (vidéos, photos et enregistrements audio de conversations téléphoniques) pour ne pas avoir à recourir à ce type de méthode.

20.M. Ould Naji s’étonne que l’arrestation de Diadié Bambi Coulibaly soit qualifiée d’arbitraire par certains. Cet homme a été arrêté parce qu’il faisait partie d’un réseau de passeurs de migrants. La police ne l’a pas torturé et n’avait aucune raison de le faire vu qu’elle l’a pris sur le fait, à son domicile, où elle a trouvé une dizaine de faux passeports et une valise entièrement remplie de passeports vierges destinés à être utilisés dans le cadre d’un trafic de migrants. Les allégations selon lesquelles il aurait été torturé sont donc totalement dénuées de fondement. En ce qui concerne l’affaire Mohammed Ould Brahim, qui serait mort des suites de tortures ou de mauvais traitements subis dans un commissariat de police, M. Ould Naji objecte que l’intéressé, qui a été arrêté alors qu’il était en possession de près de 400 grammes de chanvre indien, n’est pas décédé au commissariat mais au domicile d’un important trafiquant de drogues, avec lequel la police avec organisé une confrontation. Pendant cette confrontation, cet homme a fait une crise cardiaque, à laquelle il a succombé ultérieurement à l’hôpital. Les causes naturelles du décès ont été attestées par un médecin et le père du défunt a signé une déclaration par laquelle il a refusé que le corps de son fils soit autopsié.

21.Le nombre de demandeurs d’asile varie en fonction de la situation en matière de sécurité dans la sous-région. Actuellement, on recense 800 demandeurs d’asile à Nouakchott. En 2013, le nombre de réfugiés maliens vivant dans le camp de Mberra s’élevait à plus de 70 000 et, au 31 décembre 2017, à près de 52 000. Le nombre d’étrangers titulaires d’une carte de résident avoisinait les 129 000 en avril 2018.

22.Depuis 2017, la police dispose d’un système informatique d’enregistrement des mains courantes. Dans le cadre du projet de modernisation des services de police, tous les actes (de la plainte à l’instruction) sont numérisés et enregistrés dans des fichiers accessibles à tous les services de police. De plus, l’État a adopté un projet pilote destiné à couvrir l’ensemble des services de police du pays. Dans le cadre de ce projet, il est notamment prévu de délivrer un reçu aux personnes qui déposent plainte et de donner la possibilité aux particuliers de formuler des commentaires sur la façon dont ils ont été accueillis au commissariat, le but étant d’améliorer ces services à la lumière des remarques des utilisateurs. Ce projet sera renforcé par le projet concernant l’établissement d’une base de données biométriques, qui devrait permettre de mieux surveiller les entrées et sorties du territoire et de retrouver plus facilement les auteurs d’infractions.

23.M.  Diakité (Mauritanie) dit que la Commission nationale des droits de l’homme est un organe constitutionnel et consultatif qui dispose d’un budget propre et de locaux adéquats. C’est une institution publique et indépendante dotée de l’autonomie administrative et financière. Son indépendance se manifeste par la nomination, la révocation et la protection de ses membres, qui sont désignés par leurs pairs ou par les départements techniques concernés, et par l’élection des trois quarts de ses membres. La Commission compte 27 membres, 14 sont issus des organisations professionnelles et de la société civile ainsi que des institutions démocratiques et judiciaires, et disposent de voix délibératives, les 13 autres membres sont désignés par les différents départements concernés et ne disposent que d’une voix consultative.

24.Le mécanisme national de prévention de la torture, qui n’est en fonction que depuis dix-huit mois, est constitué d’un président et de 12 membres : deux représentants de l’ordre national des médecins, deux représentants de l’ordre national des avocats, deux personnalités publiques indépendantes, cinq représentants d’organisations de la société civile travaillant dans le domaine des droits de l’homme et un universitaire. Les membres ont été choisis par une Commission de sélection créée en janvier 2016 par arrêté du Premier Ministre, qui est composée de neuf membres issus de divers ministères et des catégories socioprofessionnelles des futurs membres, sous la présidence du Commissaire aux droits de l’homme et à l’action humanitaire mauritanien.

25.Les actes de violence contre les femmes sont punis par l’article 287 du Code pénal et par l’article 309, s’il s’agit d’un viol. Pour renforcer la sanction de ces violences, le Gouvernement a élaboré et approuvé un projet de loi-cadre contre les violences fondées sur le genre qui est actuellement examiné par le Parlement en vue de son adoption. Ce projet de loi est axé sur trois volets essentiels : la prévention des violences à l’égard des femmes, la sanction desdites violences et la prise en charge des victimes. Il innove en posant le principe de la réparation civile et en tenant compte de la récidive d’agression sexuelle en tant que circonstance aggravante de la peine. Pour faciliter l’action des plaignantes devant les tribunaux, la présence de l’avocat est exigée à l’audience, l’instruction est obligatoire, le bénéfice de la liberté provisoire est exclu pour l’accusé, un psychologue est présent durant la procédure judiciaire et le huis clos est assuré. Plusieurs campagnes de sensibilisation du corps judiciaire ont été organisées pour insister sur la gravité de ces actes et inciter les femmes victimes de viol à porter plainte. Les femmes victimes de viol ne sont pas détenues et bénéficient au contraire de la compassion des juges qui font prévaloir leurs droits.

26.M.  Touzé (Rapporteur pour la Mauritanie) demande à la délégation de commenter le communiqué de presse distribué à la présente séance au nom de cinq représentants des collectifs d’une ONG, la Coordination des organisations des victimes de la répression (COVIRE), qui n’ont pas été autorisés à embarquer pour Genève, alors qu’ils disposaient de visas dûment émis par l’ambassade de Suisse, et n’ont donc pas pu participer à la présente session du Comité.

27.Le Rapporteur dit avoir pris note de la vision très légaliste que l’État partie a de la mise en œuvre du droit national et du droit international, mais rappelle que ses questions portaient sur la mise en œuvre effective, en Mauritanie, des différentes garanties dont doivent jouir les personnes privées de liberté dans le cadre d’une garde à vue, comme le fait d’être informées sans délai des motifs de la détention, d’avoir accès à l’avocat de leur choix, et de passer un examen médical.

28.S’agissant du contrôle des registres de détention, les réponses de la délégation ne sont pas satisfaisantes car les questions posées portaient sur les rapports du mécanisme national de prévention qui faisaient état de l’inexistence de tels registres ou de registres lacunaires du point de vue des informations légalement requises. Le Rapporteur demande par conséquent quels moyens l’État partie entend mettre en œuvre pour améliorer la tenue des registres dans tous les établissements pénitentiaires et tous les lieux de garde à vue.

29.Le Rapporteur accueille avec satisfaction les données statistiques fournies par la délégation sur la population carcérale, mais rappelle qu’il avait demandé des informations précises sur les conditions matérielles de vie dans les prisons, qui semblent bien éloignées dans la réalité des descriptions idylliques qu’en donne l’État partie dans son deuxième rapport périodique.

30.De même, il y a lieu de remercier la délégation pour les informations qu’elle a communiquées au sujet des sanctions disciplinaires, mais il serait utile de disposer de statistiques dans ce domaine, et plus particulièrement sur la durée de leur application, au vu des informations faisant état de sanctions anormalement longues, faute de contrôles appropriés. Des explications seraient également bienvenues au sujet de l’information fournie par la délégation, à la présente séance, indiquant que les autorités ont enregistré trois plaintes de détenus pour mauvais traitements et que huit condamnations ont été prononcées pour actes de torture.

31.S’agissant des lieux de détention secrets, le Rapporteur rappelle qu’il n’est pas demandé à l’État partie d’en reconnaître l’existence, ce qu’aucun État partie à la Convention n’a jamais fait, mais de savoir si les allégations concernant l’existence de tels lieux ont fait l’objet d’enquêtes et, dans l’affirmative, si les conclusions de ces enquêtes ont été rendues publiques afin de prouver que de tels lieux n’existent pas.

32.M me Belmir (Corapporteuse pour la Mauritanie) dit que la peine de la diya, dont sont passibles certains crimes en vertu de l’article premier du Code pénal mauritanien, n’est pas conforme au droit international, et en particulier au principe de dignité humaine car l’on ne saurait faire dépendre le maintien d’une personne en détention du bon vouloir de la famille de la victime.

33.S’agissant des questions relatives à la formation des juges et des magistrats, la Corapporteuse constate que la délégation s’est contentée de répéter ce qui est dit dans le rapport de l’État partie (CAT/C/MRT/2) et les réponses écrites à la liste de points (CAT/C/MRT/Q/2/Add.1), alors que ses questions portaient sur les résultats concrets obtenus grâce à la formation dispensée aux juges et aux auxiliaires de justice en matière de gestion de toutes les étapes de la procédure judiciaire. Attendu que la situation semble avoir peu changé, il paraît nécessaire de renforcer les mesures prises en matière de formation afin que tous les fonctionnaires compétents connaissent mieux les dispositions de la Convention et puissent les appliquer, que ce soit dans les postes de police ou dans les établissements pénitentiaires.

34.En ce qui concerne les prisons, plusieurs points demeurent préoccupants, notamment le manque criant de médicaments, d’eau et de nourriture, et la durée de l’isolement cellulaire, qui excède parfois quinze jours, si l’on en croit les informations recueillies par plusieurs rapporteurs spéciaux, sans que les détenus aient accès à des sanitaires, par exemple.

35.M. Hani dit que les réponses de la délégation aux questions qui lui ont été posées n’ont pas répondu à ses attentes. Il insiste sur le fait que la discussion ne porte pas sur le principe du droit musulman comme source première du droit, mais sur certains articles du Code pénal qui contiennent des dispositions totalement inadmissibles au regard de la Convention. L’article 303 du Code pénal, par exemple, qui dispose qu’« il n’y a ni crime ni délit lorsque l’homicide, les blessures et les coups étaient ordonnés par la loi et commandés par l’autorité légitime » est une aberration. Il invite les autorités de l’État partie à consulter les déclarations interprétatives du Luxembourg et des Pays-Bas à l’article premier de la Convention qui indiquent que les seules peines légales ou légitimes qui sont reconnues comme telles sont celles qui sont reconnues à la fois par le droit national et par le droit international. Il rappelle qu’il existe autant de régimes juridiques fondés sur le droit musulman qu’il existe de pays musulmans et que la plupart de ces derniers ont aboli les peines corporelles depuis plus de deux siècles, dont la Tunisie qui les a interdites en 1847. Certaines dispositions du Code pénal mauritanien, comme celles qui criminalisent la mendicité ou la perte de domicile, ne sont pas issues de l’islam mais proviennent de l’interprétation d’autres sources. Il est temps de les abroger et de mettre le Code pénal en conformité avec les normes internationales.

36.La délégation a indiqué qu’un moratoire sur l’exécution des peines corporelles avait été décidé, mais l’expert aimerait connaître le statut légal de cette mesure, qui ne figure dans aucun document officiel. Toujours dans ce registre, il souhaite savoir ce qu’il advient si une personne condamnée a exécuté sa peine de prison mais que la peine corporelle n’a pas été exécutée en vertu dudit moratoire.

37.S’agissant des services de police technique et scientifique, il serait intéressant de savoir si des projets et des programmes ont été élaborés pour inciter les enquêteurs à s’attacher davantage à rassembler des preuves matérielles qu’àobtenir des aveux.

38.M. Rodriguez-Pinzon rappelle qu’il avait demandé comment, dans la pratique, est appliqué l’article 14 de la Convention. Il demande si les tribunaux ont la possibilité d’accorder une réparation aux victimes, y compris dans le cas où les auteurs de mauvais traitements n’ont pas été identifiés. Il aimerait également savoir s’il est juridiquement possible d’accorder réparation aux victimes par voie administrative, hors mécanisme civil ou judiciaire.

39.Le Président , relevant que la délégation a indiqué que les autorités n’ont pas jugé bon de torturer la personne qui avait été appréhendée munie d’un faux passeport, demande quels suspects, aux yeux des autorités, méritent d’être torturés.

40.M me  Belmir (Corapporteuse pour la Mauritanie) demande si l’État partie prévoit de donner suite aux recommandations du Groupe de travail sur la détention arbitraire concernant, d’une part, l’octroi d’une réparation à MM. Biram Dah Abeid, Brahim Bilal Ramdane et Djibril Sow, et, d’autre part, la libération immédiate et l’octroi d’une réparation à M. Mohammed Shaikh Ould Mohammed Ould M. Mkhaitir, condamné à mort pour apostasie.

La séance est suspendue à 17 h15 ; elle est reprise à 17 h 25.

41.M. Ould Naji (Mauritanie) confirme au Président que nul suspect n’a besoin d’être torturé. En ce qui concerne les lieux de détention secrète, il indique que des enquêtes ont été menées par les autorités administratives, les autorités judiciaires et le mécanisme national de prévention. Il précise que l’accord conclu entre la Mauritanie et l’Espagne est un accord de coopération en matière de sécurité, strictement destiné à la surveillance maritime et sans aucun rapport avec les étrangers. Le centre national de rétention de Nouadhibou est géré par la police mauritanienne et constitue un centre de transit pour migrants clandestins. Les immigrés maliens et sénégalais ne sont pas refoulés s’ils sont entrés sur le territoire mauritanien par les postes réglementaires et munis de visas. Les migrants en situation irrégulière, quelle que soit leur nationalité, sont reconduits à la frontière, conformément à la législation nationale. La Mauritanie a engagé un projet de modernisation des services de police ayant notamment abouti à la mise en place d’une main courante informatisée, qui permet un meilleur suivi des affaires et dont les données sont évaluées quotidiennement par l’administrateur du système. Déjà opérationnel dans 80 % des postes de police de Nouakchott, ce système doit être étendu à toutes les grandes villes du pays. Récemment, un contrat a été signé avec une société internationale spécialisée pour doter les services de police des équipements nécessaires. De même, par l’intermédiaire de la Mission permanente de la Mauritanie à Genève, un projet a été élaboré avec la COGINTA, ONG spécialisée dans la réforme des services de police, mais il pâtit d’un manque de financement. La Mauritanie participe également au projet de Système d’information des polices d’Afrique de l’Ouest (SIPAO), financé par l’Union européenne, qui prévoit la création de bases de données au niveau national et l’échange d’informations aux niveaux régional et international. De plus, elle s’est dotée d’un système biométrique qui, en interconnectant une base de données d’état civil et une base de données judiciaires, permet un meilleur recoupement des informations et une plus grande fiabilité en matière d’identification. Elle développe aussi son laboratoire technique et scientifique en collaboration avec une société spécialisée.

42.En ce qui concerne M. Mohamed Ould M. Mkhaitir, il a été condamné le 9 novembre 2017 à deux ans d’emprisonnement par la Cour d’appel de Nouadhibou. Compte tenu des violentes réactions de la population à cette condamnation et des menaces visant M. Mohamed Ould M. Mkhaitir, le Ministère de l’intérieur a décidé, par la voie d’un arrêté, de placer celui-ci en sécurité. Cette mesure sera levée dès que le maintien de l’ordre public et la sécurité physique de l’intéressé seront garantis. Pour ce qui est des cinq défenseurs des droits de l’homme qui auraient été empêchés de venir à Genève, la délégation vient d’apprendre que ces personnes avaient choisi de faire une demande de visa auprès des autorités sénégalaises, ce qui avait compliqué les contrôles à l’aéroport et, finalement, leur avait fait rater leur vol.

43.M. Ould Moulaye Abdellah (Mauritanie) reconnaît qu’il reste beaucoup à faire pour améliorer les conditions de détention, en dépit des progrès accomplis depuis la dernière visite du Rapporteur spécial sur la torture. Il explique que la privation de visite, qui n’a plus cours aujourd’hui, était une mesure provisoire ayant valeur de sanction disciplinaire et que le détenu qui en faisait l’objet lors de la visite du Rapporteur spécial, en janvier 2016, s’était rendu coupable d’actes de terrorisme et d’évasion préméditée. Il assure que les plaintes pour torture sont instruites et que des condamnations sont prononcées, comme le prouve la décision no 108 de la Cour criminelle de Nouakchott du 7 mars 2012, mais il précise que les statistiques à ce sujet sont difficiles à produire, faute d’une informatisation des services de justice. Quant à la surpopulation carcérale, elle doit être mise en perspective. Il est vrai qu’elle est une constante à la prison de Dar Naïm. Cependant, lors de la visite du Rapporteur spécial sur la torture en janvier 2016, on dénombrait seulement 120 détenus à la prison d’Aleg et quelque 130 détenus à la prison de Nouadhibou, alors que ces établissements peuvent respectivement accueillir 650 et 450 personnes. Les autorités remédient à ces inégalités de répartition de la population carcérale en procédant presque chaque année à des transferts de détenus. En ce qui concerne les personnes visées par une peine de quisas (loi du talion) et condamnées à la diya, elles ne peuvent bénéficier d’un aménagement de peine qu’à la condition d’obtenir le pardon de la famille de leurs victimes. Cette situation peut donner lieu à des mesures d’intermédiation ou au paiement de la diya par l’État. Deux cas sont pendants devant le Haut Conseil de la fatwa et des recours gracieux.

44.M. Ould Sidi (Mauritanie) remercie le Président et les membres du Comité. Il les assure de l’engagement de la Mauritanie à poursuivre les efforts engagés, à appliquer les dispositions de la Convention et à donner suite aux recommandations qui lui seront faites, et à coopérer pleinement avec les organes conventionnels.

La séance est levée à 18 heures.