NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/SR.588/Add.1

6 janvier 2004

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente et unième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PARTIE PUBLIQUE* DE LA 588e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le mercredi 19 novembre 2003, à 15 heures

Président: M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Troisième rapport du Cameroun (suite)

La partie publique de la séance commence à 15 h 35.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 7 de l’ordre du jour) (suite)

Troisième rapport du Cameroun (CAT/C/34/Add.17; HRI/CORE/1/Add.109) (suite)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation camerounaise reprend place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation camerounaise à répondre aux questions qui lui ont été posées à la séance précédente.

3.M. MAHOUVE (Cameroun) répondra tout d’abord à la préoccupation du Comité concernant la menace que les différentes formes de garde à vue pourraient représenter pour la liberté individuelle. La difficulté en la matière tient à la nécessité de maintenir l’ordre public tout en préservant les droits de l’homme, et notamment la liberté individuelle. La garde à vue judiciaire relève des officiers de police judiciaire; d’une durée de 24 heures, elle concerne les cas de crimes flagrants et peut être prorogée trois fois, soit une durée totale de 72 heures. En ce qui concerne la garde à vue militaire, les délais sont plus souples puisque les suspects peuvent être gardés 48 heures à partir de leur arrestation, le délai pouvant être prorogé trois fois sur autorisation écrite du Commissaire du Gouvernement (l’équivalent du Procureur de la République en matière de justice militaire). La garde à vue administrative est ordonnée soit dans des circonstances exceptionnelles (état d’urgence notamment) soit en période normale et elle est d’une durée différente selon le cas. En cas de proclamation de l’état d’urgence seuls les préfets et les gouverneurs peuvent l’ordonner à l’égard des individus jugés dangereux pour la sécurité publique, les préfets pour une durée de 7 jours et les gouverneurs pour 15 jours. Le Ministre de l’administration territoriale peut l’ordonner pour une période de deux mois renouvelable, cette mesure devant être communiquée, en vertu de la loi du 19 décembre 1990, au Comité national des droits de l’homme. Dans le second cas, la garde à vue administrative vise au maintien de l’ordre et est ordonnée par les préfets et les gouverneurs pour une période de 15 jours renouvelable une seule fois. Elle doit être motivée par la lutte contre le grand banditisme mais des abus ont été constatés. La procédure d’habeas corpus ou de libération immédiate est disponible et peut être engagée par un tiers. De nombreuses décisions de justice attestent l’efficacité de ce recours. La garde à vue administrative répond difficilement aux impératifs de protection de la liberté individuelle, mais la procédure de recours mise en place permet au juge de l’ordre judiciaire de tenir son rôle de gardien de la liberté individuelle garantie par la Constitution.

4.En ce qui concerne les arrestations et les détentions qui seraient opérées par certains chefs traditionnels, elles sont illégales au Cameroun. Les chefs traditionnels n’ont pas le droit de procéder à des enquêtes pénales et encore moins de prononcer des peines et ne sont pas au‑dessus des lois. Dans sa lettre circulaire du 17 janvier 2003 adressée aux procureurs généraux des 10 provinces du Cameroun, le Ministre d’État chargé de la justice demandait des statistiques sur les poursuites engagées à l’encontre des chefs traditionnels pour les délits dont ceux‑ci se rendent de plus en plus souvent coupables, notamment en procédant à des arrestations et à des séquestrations. Les réponses reçues à ce jour de certaines cours d’appel attestent que les chefs qui avaient ainsi attenté à la liberté individuelle ont été poursuivis et dûment condamnés. Les peines infligées, de par leur valeur pédagogique, visent à lutter contre les pratiques illégales de certains chefs traditionnels. De plus, la Cour suprême ne cautionne pas les agissements de certains de ces chefs envers leurs opposants politiques, comme le prouve l’arrêt qu’elle a rendu le 30 juin 1997 annulant les élections législatives gagnées dans une province par le parti au pouvoir, au motif que les élections avaient été émaillées de violence et de séquestrations contre les militants de l’UNDP.

5.En ce qui concerne le critère des 50 kilomètres dans la fixation du délai de garde à vue, la disposition tendant à augmenter de 24 heures la durée de la garde à vue pour chaque portion de 50 kilomètres à parcourir entre le lieu de l’arrestation et le lieu de la garde à vue, faisait partie du texte de l’avant-projet de code de procédure pénale que le Cameroun a réexaminé au vu de l’évolution du droit international. Il est difficile au Cameroun d’élaborer un code de procédure pénale car le système juridique y est à la fois romano-germanique (notamment français) et anglo‑saxon (common law), donc avec des conceptions différentes du droit qu’il faut concilier. Le projet de code de procédure pénale a été transmis pour examen à la fois à des experts de la francophonie et à des experts du Commonwealth et le Cameroun attend aujourd’hui leurs observations. La délégation camerounaise prend acte des critiques du Comité au sujet des 50 kilomètres qui seront transmises aux autorités politiques du pays.

6.En ce qui concerne le statut du procureur et son indépendance à l’égard des autorités administratives et exécutives et notamment par rapport au Ministre de la justice, il faut rappeler que le ministère public est composé de magistrats qui sont placés sous l’autorité du Ministre de la justice, les procureurs de la République étant soumis à l’autorité des procureurs généraux près les cours d’appel. Les magistrats peuvent donc recevoir des instructions du Ministre de la justice mais, dans la pratique, ce sont souvent des directives générales et concernent donc rarement des affaires particulières. Les procureurs de la République peuvent engager des poursuites sans instruction du Ministre de la justice, ce qui est très important notamment en matière de torture. Ces poursuites ne pourraient donc pas être annulées à la suite d’une instruction ministérielle. Un décret du Président de la République sur le travail et les attributions des autorités administratives dispose que les magistrats sont les seuls fonctionnaires qui ne relèvent pas du pouvoir hiérarchique des préfets et des gouverneurs.

7.M. MANDANDI (Cameroun), répondant aux préoccupations exprimées au sujet de la fiabilité et la transparence des registres de garde à vue, indique qu’il en existe de deux types, selon le type de garde à vue. Dans les registres de garde à vue judiciaire sont notamment consignés des renseignements sur l’état de santé du suspect et, si un examen médical a été effectué, les constatations du médecin, ainsi que la date et l’heure du début et de la fin de la garde à vue et, le cas échéant, une référence à la demande de prolongation présentée au Procureur. Les registres de garde à vue administrative font état notamment de l’ordonnance de garde à vue, dans laquelle est fixée la durée, et de la suite donnée à la mesure (décision de déférer le suspect devant la justice ou de le remettre en liberté). À son arrivée et à son départ, le prévenu vérifie et signe le document; s’il estime que les informations qu’il contient sont inexactes il peut refuser de le signer et demander qu’un avocat les vérifie. Les commissaires de police sont responsables du contenu des registres. S’ils y détectent des irrégularités ou des abus, ils sont tenus de prendre des mesures pour sanctionner les responsables. Un contrôle est exercé également par le Procureur de la République et, depuis quelque temps, par le Comité national des droits de l’homme et des libertés et par le Comité international de la Croix‑Rouge. Ainsi, on peut considérer que les registres de garde à vue sont fiables et transparents.

8.M. MAHOUVE (Cameroun) indique, en ce qui concerne les tribunaux militaires, que ces juridictions ont été créées afin de disposer d’une autorité judiciaire spécialisée en matière militaire. Conformément à l’ordonnance de 1972 portant organisation judiciaire, le tribunal militaire est le seul compétent pour connaître des infractions au Code de justice militaire et à la législation sur les armes commises par des membres de l’armée âgés de plus de 18 ans. Les mineurs de 18 ans complices des auteurs de ce type d’infraction ne sont pas considérés comme responsables. Les tribunaux militaires ont compétence pour juger un civil uniquement en cas de complicité avec un militaire dans la commission d’une infraction liée à l’armée. Cette extension exceptionnelle de la compétence a pour but d’éviter que l’auteur et son complice ne soient jugés pour le même acte par deux juridictions différentes. Les tribunaux sont également habilités à connaître d’affaires de détention ou d’utilisation d’armes de guerre, ce qui répond au souci de confier ce type de dossier à un tribunal doté des compétences techniques requises, et en cas de circonstances exceptionnelles justifiant que des limites soient imposées à la jouissance de certains droits.

9.La composition des tribunaux militaires est essentiellement non collégiale. Le magistrat du siège est un membre de l’armée et la charge de l’accusation est assumée par le commissaire du Gouvernement. Les juridictions militaires statuent en audience publique ou à huis clos, notamment dans les cas où il faut assurer la protection des victimes. Les personnes démunies ont droit aux services d’un avocat commis d’office et les victimes peuvent se constituer partie civile et demander réparation. Il est possible de présenter un recours à la cour d’appel, dont la décision peut à son tour faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Les magistrats des tribunaux militaires suivent la même formation que les magistrats des juridictions civiles. Le fonctionnement des tribunaux militaires est très rigoureux: en effet, les poursuites et l’instruction ne sont jamais confiées à la même personne, alors que, s’agissant des tribunaux civils, le Procureur cumule les deux fonctions. Il convient de relever que, dans l’affaire citée dans le rapport (par. 214), dans laquelle des aveux avaient été arrachés de l’accusé par la torture, un tribunal militaire a conclu à l’irrecevabilité des preuves ainsi obtenues, ce qui montre bien que ces juridictions rendent des décisions conformes à la Convention.

10.Concernant les préoccupations exprimées par le Rapporteur au sujet du rôle du Ministre de la défense dans l’ouverture de poursuites judiciaires, étant donné que la justice militaire est instituée pour juger les membres de l’armée, il est bien compréhensible que le Ministre de la défense ait un droit de regard sur le déclenchement des poursuites. Quoi qu’il en soit, il existe des voies de recours si l’intéressé considère que les poursuites dont il fait l’objet sont arbitraires.

11.La Cour de sûreté de l’État, qui avait été créée en 1990, n’est plus en activité depuis 1996, soit depuis la révision de la Constitution, dans laquelle cette cour ne figure plus au nombre des organes qui exercent le pouvoir judiciaire au Cameroun. Les juridictions qui ont compétence pour connaître des infractions commises par les ministres dans l’exercice de leurs fonctions sont la Haute Cour, en cas de complot contre la sûreté de l’État, et les juridictions de droit commun s’agissant de toutes les autres infractions.

12.En ce qui concerne le sens à donner à la notion d’ordre manifestement illégal, il est défini dans la jurisprudence de la Cour suprême comme un ordre déraisonnable à un point tel que sa nature illégale et arbitraire devrait être évidente pour toute personne dotée d’une intelligence moyenne. La torture étant un acte manifestement illégal, aucun subordonné ayant commis des actes de ce type à l’instigation d’un supérieur ne pourrait échapper à des sanctions. En outre, dans un arrêt rendu en 1969, la Cour suprême a conclu que l’obéissance aux ordres d’un supérieur hiérarchique ne constituait pas une exonération de responsabilité. La façon dont ce principe est appliqué était illustrée dans le rapport précédent par une affaire dans laquelle un capitaine de gendarmerie avait fait exécuter sommairement un groupe de bandits. Les membres du peloton d’exécution qui avaient tiré sur ses ordres n’avaient pas pu invoquer l’obéissance aux ordres d’un supérieur pour être dégagés de toute responsabilité et avaient été condamnés à des peines de prison (voir CAT/C/17/Add.22, par. 37).

13.M. DJOUNKENG (Cameroun), répondant à la question du recours formé par un étranger en situation irrégulière contre une décision d’expulsion qui pourrait ne pas avoir d’effet suspensif, dit que la loi n° 97/012 fixant les conditions d’entrée, de séjour et de sortie des étrangers prévoit que la personne frappée d’une mesure d’expulsion a 48 heures pour demander son annulation à la juridiction administrative compétente et que le juge n’a que huit jours pour confirmer sa décision. Pendant ce temps, l’étranger est autorisé à demeurer au Cameroun. Dans le cas où le juge déboute le requérant de sa demande, celui‑ci peut tenter d’obtenir un sursis à exécution dans le cadre d’un contentieux administratif d’urgence, qui lui permet de ne pas être expulsé immédiatement. Si l’étranger allègue des risques de torture en cas de renvoi, la décision d’expulsion est suspendue.

14.M. Djounkeng confirme que l’information donnée dans le rapport selon laquelle les contraintes budgétaires seraient la cause de la tenue irrégulière des réunions des commissions de surveillance des prisons est exacte (par. 188). Les responsables des établissements pénitentiaires se sont rencontrés en octobre  2003 et ont recommandé au Gouvernement d’inscrire au budget les frais de fonctionnement de ces commissions; ils lui ont également recommandé d’activer la commission nationale de l’administration pénitentiaire et de créer une commission d’inspection des services pénitentiaires. Ce n’est donc pas par manque d’initiative mais bien en raison de problèmes de financement que la commission ne se réunit pas.

15.Mme MFOULA (Cameroun) indique, au sujet de la persistance de la pratique de la torture et des mauvais traitements, qui seraient en lien avec la corruption, que le Gouvernement s’est engagé à assurer la protection des droits de l’homme et que, au fur et à mesure que la culture des droits de l’homme pénètre les milieux de la police, de l’armée et des établissements pénitentiaires, on assiste à une diminution remarquable des cas de violations. Les bavures qui se produisent néanmoins et qui sont signalées font l’objet d’une enquête et, si les faits sont avérés, les auteurs sont traduits en justice. Le Gouvernement s’est engagé aussi à lutter contre la corruption et, dans ce cadre, il a adopté un plan national de lutte contre la corruption, créé un comité ad hoc et chargé l’Observatoire de la lutte contre la corruption du suivi et de l’évaluation de l’application des mesures prises par le comité ad hoc. L’Observatoire a des antennes dans tous les départements ministériels, qui sont composées notamment de membres de la société civile. Ces efforts ont déjà porté leurs fruits, comme en témoigne le fait qu’un ancien ministre et des hauts fonctionnaires reconnus responsables de corruption sont actuellement derrière les barreaux.

16.M. MANDANDI (Cameroun), précisant le rôle du Ministre de la défense dans l’ouverture de poursuites contre les personnels militaires, dit que les juridictions de droit commun engagent des poursuites pour les infractions pour lesquelles elles sont compétentes sans que le Ministre de la défense leur en donne l’instruction. En revanche, les infractions commises dans les casernes, dans l’exercice du service militaire et à l’extérieur des casernes au moyen d’armes sont jugées par les tribunaux militaires, qui n’engagent pas de poursuites tant qu’ils n’ont pas reçu d’ordonnance de mise en jugement de la part du Ministre de la défense. Cette procédure peut certes donner l’impression que les membres de l’armée sont susceptibles de bénéficier d’une impunité mais, étant donné que la discipline est essentielle dans l’armée, le Ministre de la défense a tout intérêt à ce que les auteurs d’infractions soient poursuivis et sanctionnés pour l’exemple.

17.M. DJOUNKENG (Cameroun) rappelle que le Comité s’est intéressé à la crédibilité et à l’efficacité du Comité national des droits de l’homme et des libertés. Une réforme en profondeur de cette institution a été lancée afin de renforcer son indépendance, de modifier sa composition et son mandat et de resserrer ses liens avec d’autres parties prenantes. Créé en 1990, le Comité national est présidé par une personnalité indépendante et compte parmi ses membres un représentant du Ministère de la justice, deux représentants de la Cour suprême et deux représentants du barreau. Ses rapports, qui contiennent des conclusions et des recommandations, sont transmis au Président de la République et sont rendus publics. Son règlement intérieur révisé, qui permet de garantir la transparence de ses activités en attendant l’achèvement de la réforme, prévoit diverses dispositions concernant les activités du Comité, notamment la création d’un groupe chargé de l’examen et du suivi des requêtes et des enquêtes.

18.Mme MFOULA (Cameroun) répondra aux questions soulevées au sujet de l’affaire «des neuf de Bépanda». L’affaire a été transmise en septembre 2002 au Gouvernement camerounais par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Replaçant l’affaire dans son contexte, elle précise qu’au début de l’année 2000 le Gouvernement camerounais a mis sur pied des unités spéciales de maintien de l’ordre appelées «Commandements opérationnels» pour lutter contre la montée de plus en plus inquiétante du phénomène du grand banditisme, notamment dans les grandes métropoles comme Yaoundé et Douala. Après une certaine période de sécurité obtenue grâce à l’action du Commandement opérationnel, l’attention de celui‑ci a été attirée au début de l’année 2001 par des informations faisant état de la disparition de neuf jeunes gens à Douala, disparition dans laquelle auraient été impliqués plusieurs hommes du Commandement opérationnel. Dans la nuit du 22 au 23 janvier 2001, à la suite d’une plainte portée par une femme victime d’un vol à son domicile, neuf suspects ont été interpellés. Une perquisition a permis de saisir à leur domicile des armes à feu. Quelques jours plus tard, les jeunes gens ont changé de lieu de détention et sont arrivés au siège du Commandement opérationnel. Il est confirmé qu’ils s’en sont évadés au début du mois de février avant d’être traduits en justice mais certains ont mis en doute cette version des faits et c’est ainsi qu’est née l’affaire des disparus de Bépanda. Des investigations ont été ordonnées par le Gouvernement, mais toutes les démarches réalisées et les recours présentés pour localiser les personnes disparues ont été vains. Un colonel et sept de ses collaborateurs ont été arrêtés et conduits à la prison militaire pour assassinat, torture, corruption et violation de consignes, charges que tous ont niées. À la suite du procès ouvert le 23 avril 2002, le tribunal a rendu son verdict et a acquitté les inculpés des charges de corruption, de torture et d’assassinat, ajoutant que la preuve de la mort des neuf de Bépanda n’avait pas été apportée. Les parties civiles ont demandé des indemnités considérables en produisant de fausses copies d’actes de naissance sur la base desquelles une fausse affaire a été montée. Les huit militaires inculpés ont été jugés par le tribunal militaire dans le cadre d’un procès juste et équitable. En effet, l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif est consacrée par la loi et le règlement de discipline générale dans les forces armées. Le juge d’instruction militaire est un magistrat du siège non soumis à la subordination hiérarchique des magistrats du parquet, le Président du tribunal militaire est assisté de deux assesseurs qui ont voix délibérative et toutes les décisions du tribunal militaire sont susceptibles de recours devant la cour d’appel de droit commun et la Cour suprême.

19.M. DJOUNKENG (Cameroun), revenant sur la question de la garde à vue administrative, dit que la garde à vue est régie par deux textes de loi, l’un applicable en période normale, l’autre dans des circonstances exceptionnelles. Dans le premier cas, la loi 90/054 du 9 décembre 1990 relative au maintien de l’ordre confère à l’autorité administrative, dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme, le pouvoir d’ordonner la garde à vue administrative d’une personne pour une durée renouvelable de 15 jours. Pour éviter tout abus, le Ministre de l’administration territoriale a, dans une circulaire du 13 novembre 1997, précisé les modalités d’application de cette garde à vue administrative en période normale, qui vise à protéger la liberté individuelle des citoyens contre l’arbitraire des autorités administratives. Cette garde à vue ne peut être ordonnée que par les gouverneurs de province et les préfets dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme et ne peut être exécutée que dans les locaux appropriés relevant de la sûreté nationale, de la gendarmerie ou de l’administration pénitentiaire. Parallèlement, la loi 90/047 du 19 décembre 1990 relative à l’état d’urgence donne aux autorités administratives territorialement compétentes le pouvoir d’ordonner, pour des motifs de sécurité publique, la garde à vue dans tous les locaux, y compris dans un quartier spécial des établissements pénitentiaires pendant une durée de 5 jours pour le préfet et de 15 jours pour le gouverneur. Ces deux textes sont complémentaires, leur finalité étant de préserver l’ordre public et de lutter contre le grand banditisme. Il convient toutefois de ne pas confondre l’isolement cellulaire et la garde à vue administrative. En effet, l’isolement cellulaire peut être ordonné par le magistrat instructeur, notamment par le Procureur de la République. Dans la pratique, le détenu peut également, pour des raisons qui lui sont propres et sur accord du chef de l’établissement pénitentiaire, demander à en bénéficier. La garde à vue administrative donne lieu à un contrôle de régularité dans la forme et le contenu afin de vérifier si l’arrêté ordonnant une garde à vue administrative obéit aux règles d’élaboration des actes administratifs unilatéraux. Les gouverneurs de province et le Ministre de l’administration territoriale exercent le contrôle administratif en la matière. Deux types de contrôle juridictionnel sont également prévus: le contrôle du juge administratif, c’est‑à‑dire actuellement de la chambre administrative de la Cour suprême en première instance et de l’Assemblée plénière en appel dans le cadre du contentieux de l’annulation de la responsabilité de l’État du fait des actes administratifs. Le deuxième type de contrôle est celui du juge judiciaire qui peut s’effectuer au moyen d’une action en libération immédiate fondée sur l’article 16 de l’ordonnance du 26 août 1972, prévoyant la procédure d’habeas corpus. Une jurisprudence libérale et encourageante traduit l’effectivité de ce contrôle juridictionnel sur la garde à vue administrative. Des données statistiques pourront être transmises au Comité.

20.Répondant à la question de savoir à qui peut s’adresser une personne victime de torture, M. Djounkeng dit que les décisions des tribunaux de grande instance et des tribunaux militaires sont susceptibles d’être attaquées devant une cour d’appel. La victime peut aussi introduire son recours devant le juge administratif lorsque la violation de son droit repose sur un acte administratif. De plus, l’atteinte à la liberté constituant une voie de fait administratif, la victime peut faire constater cette voie de fait par l’Assemblée plénière de la Cour suprême. En outre, le barreau à son niveau a créé un centre de recours judiciaire implanté dans 10 provinces du Cameroun; la victime de torture peut s’adresser au Comité national des droits de l’homme et des libertés. Il y a enfin lieu de noter que le Parlement peut exercer sa compétence à ce sujet puisqu’en vertu de l’article 105 de la Constitution telle que révisée en 1996, il contrôle l’action gouvernementale par voie de questions orales ou écrites et surtout par la constitution de commissions d’enquête sur des sujets précis.

21.M. MAHOUVE (Cameroun) dit que la question de savoir si un procureur peut engager des poursuites contre un fonctionnaire pour torture ou mauvais traitements ayant déjà fait l’objet d’une réponse sur le principe, il préfère donner un exemple récent. Le 9 octobre 2003, le régisseur de la prison principale de Kribi a été placé sous mandat de dépôt par le Procureur de la République de cette même ville pour torture, coups mortels et omission de porter secours. Il aurait infligé des sévices corporels à un détenu qui est décédé le même jour des suites de ses blessures. L’affaire est actuellement pendante et le régisseur a été placé sous mandat de dépôt et incarcéré à la prison centrale de Bolova. Cet exemple montre bien qu’au Cameroun les procureurs peuvent initier des poursuites contre les fonctionnaires pour torture. D’autres cas de poursuites engagées contre des fonctionnaires suspectés de torture ont été exposés dans les précédents rapports présentés au Comité.

22.En ce qui concerne le principe de l’irrecevabilité de toute preuve obtenue par la torture, le droit processuel prévoit que les aveux extorqués de quelque manière que ce soit sont irrecevables comme preuve pertinente. Rien par ailleurs n’empêche un juge d’appliquer directement l’article 15 de la Convention. Un relais législatif ne semble pas absolument indispensable puisque la primauté du droit international est constitutionnellement acquise par le Cameroun. La recommandation du Comité visant à incorporer dans la législation interne cette importante disposition de la Convention sera transmise aux autorités camerounaises mais aucun projet de loi n’est à sa connaissance actuellement en préparation sur la question.

23.Mme MFOULA (Cameroun) rappelle qu’il a été demandé ce que les pouvoirs publics faisaient pour remédier aux pratiques traditionnelles préjudiciables aux femmes et déclare que, bien entendu, l’État ne saurait négliger 51 % de sa population. Afin d’infléchir certaines tendances discriminatoires liées à la tradition et préjudiciables aux femmes, diverses mesures ont été prises, à commencer par la création d’un ministère de la condition féminine qui bénéficie du concours de plus de 150 associations et ONG œuvrant dans une multitude de secteurs. En outre, les femmes elles-mêmes sont à l’avant‑garde du combat pour l’égalité; elles ont constitué des groupes de pression tels que l’Association des femmes juristes ou l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes, qui s’emploient à faire entrer dans les mœurs le principe du respect des droits de la femme et de l’égalité entre hommes et femmes. Les stratégies visant à lutter contre les discriminations et stéréotypes ont été énoncées dans la déclaration sur la politique d’intégration de la femme au développement, et des campagnes de sensibilisation et d’éducation sont menées en vue d’éliminer les tabous culturels qui freinent l’épanouissement des femmes et des fillettes.

24.La Constitution camerounaise comporte des mécanismes juridictionnels de protection des droits de l’homme et les citoyens, hommes ou femmes, sont en droit de demander justice en s’adressant aux tribunaux. Ainsi, toute femme victime d’un acte discriminatoire peut saisir la justice en premier et deuxième ressort et même aller devant la Cour suprême. Malgré l’absence d’une définition légale de la discrimination et les qualifications trop générales du Code pénal, il y a des recours juridiques contre la discrimination et s’il n’existe pas de sanctions expressément prévues pour les mutilations sexuelles, celles‑ci peuvent être assimilées aux atteintes à l’intégrité physique qui sont réprimées par ledit Code.

25.S’agissant de la prostitution, les pouvoirs publics ont pris diverses mesures préventives, aidés en cela par les ONG. Tout d’abord, des programmes de récupération des jeunes filles en danger moral ou inadaptées ont été mis en œuvre par les Ministères de la condition féminine et des affaires sociales, qui ont créé des structures telles que centres de promotion de la femme ou centres sociaux. Des campagnes de sensibilisation sont périodiquement menées, qui visent particulièrement les adolescents, les éléments de la police et de l’armée, les prostituées et les étudiants. Quoiqu’il n’existe pas de tourisme sexuel au Cameroun, le Parlement a voté une loi en 1998 pour réglementer l’activité touristique, loi qui dispose que le Gouvernement doit veiller au respect de la Charte du tourisme et du Code mondial d’éthique du tourisme de l’Organisation mondiale du tourisme, qui prohibent l’utilisation du tourisme aux fins de l’exploitation d’autrui. Pour ce qui est des mesures répressives, le Code pénal camerounais réprime la prostitution, le proxénétisme et la corruption de la jeunesse.

26.Enfin, l’élaboration d’une loi contre les violences faites aux femmes est en bonne voie. Elle vise toutes les pratiques traditionnelles et autres portant atteintes à la santé des femmes. Des dispositions sont par ailleurs prises en vue de la ratification prochaine du protocole additionnel à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

27.M. DJOUNKENG (Cameroun) relève que d’après les allégations de certaines ONG, des détenus hommes cohabiteraient avec des détenues en raison du surpeuplement carcéral, alors que les autorités pénitentiaires veillent de manière constante à une séparation rigoureuse des détenus hommes et femmes et que toutes mesures sont prises pour veiller à ce que cette séparation, prévue à l’article 20 du décret 92/52 de mars 1992, soit effective. Cet article dispose que les prévenus sont séparés des condamnés et les femmes des hommes, et qu’un quartier spécial est réservé aux mineurs. Par un arrêté d’avril 1989, la Ministre des affaires sociales et de la condition féminine a créé des postes d’assistants sociaux auprès des prisons, et le chef de poste d’assistant social auprès des prisons est notamment chargé de veiller au respect absolu du principe de la séparation. Enfin, un séminaire national des responsables d’établissements pénitentiaires qui s’est tenu à Yaoundé en octobre 2003 a notamment fait une recommandation allant dans le sens d’une répartition rigoureuse des détenus eu égard aux besoins particuliers des femmes, des vieillards, des malades, des mineurs et des nourrissons et tendant à ce qu’il soit veillé à la présence effective de travailleurs sociaux dans les prisons et à la formation professionnelle des mineurs et des femmes détenus. Les participants au séminaire ont également souhaité que les prisonniers soient associés à la prise de certaines décisions par l’administration pénitentiaire. M. Djounkeng tient enfin à préciser que la séparation des hommes et des femmes dans les prisons est effective même en cas de surpeuplement carcéral.

28.Un membre du Comité a demandé si les pouvoirs publics diligentent des enquêtes à la suite du décès de détenus et s’il existe des statistiques à ce sujet. Le registre des services médicaux des établissements pénitentiaires ainsi que le registre des décès peuvent être consultés. Pour ce qui est des décès survenus à la prison centrale de Douala, le médecin‑chef du centre médical de la prison et le régisseur de l’établissement ont préparé un rapport tout à fait fiable selon lequel 25 détenus au total − et non 72 selon une allégation − ont été enregistrés entre janvier et octobre 2003, comme suit: 18 décès imputables aux maladies opportunistes liées au sida, 2 décès imputables au sida et 5 cas de tuberculose multirésistante; ce rapport, qui est à la disposition du Comité, fait aussi mention des noms de chacun des détenus décédés, de la date de leur mise en détention et de leur situation pénale.

29.M. MANDANDI (Cameroun) précise qu’il interviendra au sujet de la formation des agents de la force publique en qualité de responsable de la gendarmerie camerounaise, la police ayant sa propre école. Le centre de perfectionnement de police judiciaire de la gendarmerie a été créé il y a peu avec la coopération militaire de la France, dans le but d’apprendre aux unités de gendarmerie territoriale et aux brigades de recherche à faire usage de leurs connaissances techniques et scientifiques dans la recherche de preuves, en lieu et place de certaines pratiques contestables utilisées naguère pour obtenir des aveux forcés. Il est à noter que les aveux obtenus sous la contrainte ne sont plus pris en considération par les parquets.

30.Le programme de cette école est assez fourni. Son but est d’apprendre à ceux qui conduisent les enquêtes à tirer le meilleur parti des données recueillies sur les lieux de l’infraction et à se servir de la mallette judiciaire pour relever et comparer les empreintes, prendre des photographies et les analyser, etc. L’usage de ces techniques a permis aux enquêteurs de réduire considérablement le nombre de fausses pistes qui pouvaient conduire à l’interpellation d’innocents. Avec le temps, cette formation sera dispensée à tous les niveaux de la hiérarchie.

31.M. MAHOUVE (Cameroun) rappelle que des membres du Comité se sont inquiétés de ce que l’article 297 du Code pénal permet à l’auteur d’un viol d’épouser sa victime. Il convient d’abord de rappeler que l’article 296 du Code punit le viol − c’est‑à‑dire le fait de contraindre une femme, même pubère, à avoir des relations sexuelles − d’un emprisonnement de 5 à 10 ans. L’article 297 précise que le mariage librement consenti d’une victime de viol, pubère lors des faits, avec l’auteur du viol entraîne une amnistie pour ce dernier. Force est de reconnaître qu’un tel mariage pourrait poser des problèmes sur le plan psychologique, mais il faut peut‑être se replacer dans le contexte culturel de l’époque où le texte a été promulgué, contexte qui a certainement changé. La délégation prend acte de cette préoccupation du Comité et en fera part aux autorités camerounaises.

32.La question de l’accès du détenu à un avocat au cours de l’enquête est fondamentale et a été très discutée lors de la préparation de l’avant‑projet de Code de procédure pénale. La première version de ce texte prévoyait l’intervention précoce de l’avocat et même du médecin puisqu’il disposait en son article 123 que la personne gardée à vue pouvait à tout moment aux heures ouvrables recevoir la visite de son avocat et de sa famille et, en son article 124, qu’elle pouvait être examinée à tout moment par un médecin requis d’office par le Procureur, à la demande de l’intéressé, de son avocat ou de sa famille. Cet avant‑projet a été examiné par des experts désignés par le Commonwealth, qui ont été d’avis que la personne arrêtée devait avoir le droit d’accéder à un avocat dès le moment de l’arrestation, mais il est trop tôt pour dire si cette disposition sera retenue dans la version finale du projet de code de procédure pénale.

33.Il a été donné effet au principe du non‑refoulement consacré à l’article 29 de la loi sur l’extradition par un premier arrêt rendu en février 1997 par la cour d’appel du Centre dans une affaire d’extradition de ressortissants rwandais, extradition qui a été refusée, puis ensuite − pour constater qu’il n’y avait pas de violation de ce principe − dans deux autres arrêts de la cour d’appel du Littoral: en mars 1997, la cour a estimé que l’Italie n’était pas un pays connu pour bafouer les droits de l’homme et que la personne extradable ne courait pas personnellement le risque d’y être torturée et en mars 1998, la même cour, invoquant l’article 29 de la loi susmentionnée, a estimé que la personne extradable, une française alléguant le caractère raciste de la demande d’extradition présentée par la France, ne courait pas un risque réel d’être maltraitée. Pour ce qui est du droit des réfugiés tel qu’il est consacré par la Convention de Genève de 1951, deux affaires attestent que le Cameroun respecte le principe du non‑refoulement: la première concernait 12 réfugiés politiques équato‑guinéens dont le pays d’origine réclamait le refoulement. Une ONG internationale ayant saisi le Gouvernement camerounais en faisant valoir que ces personnes couraient le risque d’être torturées à leur retour dans leur pays, le Cameroun a refusé de les livrer à l’État requérant. La deuxième affaire avait trait à quatre militants sécessionnistes de l’Île de Bioko que la Guinée équatoriale réclamait, les présentant comme des détenus de droit commun évadés; les autorités camerounaises ont répondu que cet État devait entamer des démarches en vue de leur éventuelle extradition − prévoyant sans doute que cette procédure se heurterait au principe de la non‑extradition pour infraction politique ou au principe de non‑refoulement pour risque de torture − un principe qui, on le voit, est fermement établi en droit et en fait dans l’ordre juridique camerounais.

34.M. NGANTCHA (Cameroun) dit que sa délégation s’est efforcée d’être la plus exhaustive possible dans ses réponses, attestant la volonté du Gouvernement camerounais de donner effet à la Convention tant sur le plan juridique que sur le plan pratique. Elle attend avec intérêt les observations du Comité.

35.M. CAMARA (Rapporteur pour le Cameroun) remercie la délégation de s’être employée avec diligence à répondre aux questions du Comité et souhaiterait que les réponses qui n’ont pu être apportées à la présente séance soient ultérieurement communiquées par écrit, notamment pour ce qui est des cas individuels, afin que le Comité ait des précisions sur les suites judiciaires des procédures entamées.

36.M. YU Mengjia (Corapporteur pour le Cameroun) a été favorablement impressionné par la volonté manifestée par la délégation de coopérer avec le Comité, dont le but est d’identifier les obstacles à l’application de la Convention et d’aider les États à les surmonter. Il espère que le dialogue engagé sera utile à l’État partie dans son œuvre de progrès social.

37.LE PRÉSIDENT remercie la délégation d’avoir préparé dans un délai aussi bref des réponses nombreuses et utiles, et attend lui aussi avec intérêt de recevoir des précisions sur les cas individuels.

38.M. NGANTCHA (Cameroun) souligne qu’identifier les obstacles est en effet particulièrement important et que grâce au dialogue engagé avec le Comité, le Gouvernement camerounais sera mieux à même de donner plein effet aux dispositions de la Convention. Des réponses écrites seront apportées au sujet des cas individuels évoqués.

39.La délégation camerounaise se retire.

La partie publique de la séance prend fin à 17 h 50.

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