Nations Unies

CAT/C/SR.1184

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

8 novembre 2013

Original: français

Comité contre la torture

Cinquant e et un ième session

Co mpte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 1184 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 6 novembre 2013, à 10 heures

Président (e): M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Rapport initial du Burkina Faso

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports soumis en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Rapport initial du Burkina Faso (CAT/C/BFA/1)

Sur l ’ invitation du Président, la délégation burkinabé prend place à la table du Comité.

M me Nigna/Somda (Burkina Faso) dit que le Burkina Faso fait de la lutte contre la torture une priorité. La torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants font l’objet d’une interdiction absolue, principe posé par l’article 2 de la Constitution. En outre, plusieurs textes législatifs et réglementaires interdisent et punissent la torture ainsi que les pratiques qui y sont assimilées. Ni les troubles de l’ordre public ni les circonstances exceptionnelles prévues par la Constitution ne peuvent être invoqués pour justifier la torture. Plusieurs agents de la force publique ont été poursuivis et condamnés pour actes de torture ou mauvais traitements. Ainsi, dans l’affaire Justin Zongo, élève qui avait succombé à des sévices infligés par des policiers, trois agents ont été jugés coupables d’actes de torture et condamnés à des peines d’emprisonnement allant de huit à dix ans. Un projet de loi portant définition, prévention et répression de la torture et des pratiques assimilées vient d’être soumis au Gouvernement pour adoption. La définition de la torture qui y figure est conforme à celle énoncée dans la Convention. Les peines prévues varient d’un an à la réclusion à perpétuité et/ou une amende de 300 000 à 1 500 000 francs CFA. Comme il est expliqué en détail dans le rapport soumis au Comité, le Code pénal et le Code de procédure pénale comportent des dispositions qui garantissent les droits des personnes en détention. En ce qui concerne l’action civile en réparation, les victimes d’actes de torture peuvent soit se constituer partie civile en joignant leur action à l’action publique, soit saisir directement le juge civil. Lorsque les actes visés sont imputables à un agent public, l’État assure la réparation.

Pour prévenir la torture, le Burkina Faso met l’accent sur la formation et la sensibilisation des forces de sécurité. Ainsi, des conférences sur la Convention sont organisées chaque année à l’intention des élèves des écoles de police et des écoles militaires, et une formationest dispensée aux officiers de police judiciaire. En outre, le Burkina Faso s’est doté d’une nouvelle politique nationale des droits de l’homme pour la période 2013‑2022 qui fait une large place à la formation des responsables de l’application des lois, du personnel de santé et du personnel pénitentiaire aux dispositions de la Convention.

Des efforts sont déployés pour rendre les conditions dans les lieux de détention plus humaines. Ainsi, entre 2003 et 2011, 14 nouvelles prisons ont été construites. Des agents d’éducation spécialisés ont été mis à la disposition de toutes les maisons d’arrêt et de correction, et des innovations importantes ont été opérées dans le domaine de la santé et au niveau des installations et équipements. Diverses mesures ont été prises pour lutter contre le surpeuplement carcéral, notamment l’institution de la peine de travail d’intérêt général et l’application de mesures d’individualisation des peines. Le taux d’occupation moyen des établissements pénitentiaires a diminué, passant de 172 % en 2009 à 144,2 % en 2012, et il devrait baisser encore grâce aux mesures prises. La Commission nationale des droits humains, le parquet, le Ministère des droits humains et de la promotion civique et certaines organisations de la société civile effectuent des visites dans les lieux de détention à des fins de prévention de la torture. Il convient également de signaler que la loi interdit formellement à quiconque de commettre un acte de violence sur la personne d’un détenu.

Enfin, la législation burkinabé n’autorise l’expulsion, le refoulement ou l’extradition d’une personne que lorsqu’il existe des garanties permettant de s’assurer que celle-ci ne sera pas soumise à la torture.

M.  Gaye (Rapporteur pour le Burkina Faso) dit que plusieurs points positifs méritent d’être soulignés, notamment l’adhésion du Burkina Faso à de nombreux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, l’instauration d’un moratoire sur la peine de mort et le fait que le rapport soumis au Comité a été établi en consultation avec la société civile. Il conviendrait à cet égard de préciser quels acteurs de la société civile ont été consultés.

Concernant l’article premier de la Convention, on ne peut que se féliciter du fait que le projet de loi portant définition, prévention et répression de la torture et des pratiques assimilées vise notamment à combler la grave lacune que constitue l’absence dans la législation de dispositions reprenant la définition de la torture énoncée dans la Convention. Cependant, la peine d’emprisonnement minimum d’un an qui est prévue n’est pas suffisamment sévère s’agissant d’une infraction aussi grave que la torture. La délégation est priée de formuler des remarques à ce sujet et d’indiquer si, tant que ce projet de loi n’aura pas été adopté, les dispositions de la Convention peuvent être invoquées directement devant les juridictions nationales et de donner, le cas échéant, des exemples d’affaires où elles l’ont été.

S’agissant de l’application du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, il est permis de se demander si les dispositions du Code de procédure pénale relatives à la garde à vue sont véritablement de nature à prévenir la torture, vu qu’une personne peut être détenue pendant trois jours sans possibilité d’avertir un de ses proches ou de consulter un avocat, délai qui peut être porté à cinq jours. Le Comité estime à cet égard que la nécessité de préserver le secret de l’enquête ne saurait justifier la privation du droit de consulter un avocat. De même, une personne gardée à vue ne peut voir un médecin qu’au bout du troisième jour. Par ailleurs, la loi no 17-2009 portant répression du grand banditisme prévoit un délai de garde à vue pouvant aller jusqu’à quinze jours, ce qui est très long et peut donner lieu à de nombreuses dérives. Il conviendrait à cet égard d’indiquer si la notion de grand banditisme est clairement définie dans la loi. Le dispositif visant à garantir les droits des personnes détenues présente ainsi un certain nombre d’insuffisances, constat que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher des informations émanant d’ONG indiquant que le recours à la torture et aux mauvais traitements par les forces de sécurité de l’État partie est courant. Le sentiment d’impunité des membres de ces forces semble aller en se renforçant, comme en témoignent la brutalité avec laquelle les manifestations populaires sont réprimées et les cas de mutinerie de militaires, qui s’en prennent directement à la population. À ce sujet, le Comité a été frappé par les informations faisant état du saccage par des militaires de locaux du palais de justice de Ouagadougou après que des membres des forces armées ont été condamnés pour outrage à la pudeur. Quelle a été la réaction des autorités face à ces faits?

En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 2, il est indiqué dans le rapport que tout membre des forces de police est tenu de se conformer aux instructions de l’autorité, sauf dans le cas où l’ordre est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement l’intérêt public. Or le Comité estime que le fait qu’un ordre soit illégal devrait suffire à justifier un refus de l’exécuter et qu’il importerait d’adopter une disposition autorisant expressément un agent de la force publique à refuser un ordre lorsqu’il est illégal et d’assortir cette disposition de mesures de protection contre les représailles.

Pour ce qui est de l’application de l’article 3, il conviendrait de préciser quelle autorité prend les décisions d’expulsion, quelles voies de recours sont ouvertes aux personnes concernées et si les recours ont un effet suspensif. Le Comité souhaiterait également avoir des renseignements sur la procédure de détermination du statut de réfugié, sur la proportion des demandes d’octroi de ce statut qui sont acceptées et sur le traitement réservé aux réfugiés. Selon les informations dont dispose le Comité, plusieurs problèmes se posent, notamment les difficultés rencontrées par les parents d’enfants réfugiés pour obtenir un jugement supplétif tenant lieu d’acte de naissance, le fait que l’organe de recours prévu par la loi sur les réfugiés n’a pas encore été créé et l’exploitation que subissent des enfants originaires de pays voisins, qui risquent d’être soumis à la traite. À cet égard, le Comité souhaiterait avoir des précisions sur les poursuites engagées pour traite d’êtres humains et sur les condamnations prononcées.

Concernant l’application de l’article 4, des sources non gouvernementales soulignent que l’État partie a promis à plusieurs reprises de combler les lacunes de sa législation pénale, notamment le fait que la torture ne constitue pas une infraction distincte, promesse qui n’a pas encore été tenue. Cette carence n’est sûrement pas étrangère à la persistance du recours à la torture par les forces de sécurité de l’État partie. À cet égard, M. Gaye évoque plusieurs cas de mort suspecte, notamment ceux de M. Mamadou Bakayoko, chauffeur de taxi tué par balles alors qu’il était aux mains de la gendarmerie, de MM. Ignace Ouedraogo et Lamine Ouedraogo, décédés alors qu’ils étaient en garde à vue, et du journaliste Norbert Zongo, affaire qui a eu un grand retentissement et dont le Comité souhaiterait connaître l’issue. Il convient, à cet égard, de signaler les nombreuses informations indiquant que les journalistes sont fréquemment victimes de harcèlement et d’agressions. Il semble également que la lenteur avec laquelle l’affaire Zongo est traitée illustre bien les insuffisances d’un système judiciaire très décrié et en lequel la population n’a plus confiance. Des observations sur ces différents points seraient les bienvenues.

M.  Domah(Corapporteur pour le Burkina Faso) rappelle que chaque État partie doit veiller à ce que le principe d’interdiction absolue de la torture soit systématiquement enseigné aux agents de police, aux militaires, au personnel pénitentiaire et aux professionnels de la santé. Saluant l’organisation par le Burkina Faso d’une série de conférences sur la Convention contre la torture, il demande qui y a participé et quelles questions y ont été abordées. Il voudrait aussi savoir s’il existe un centre pour former l’ensemble du personnel judiciaire du pays. Est-ce que les agents chargés de l’application de la loi et, de manière générale, tous les agents qui sont directement au contact des victimes d’actes de torture et de mauvais traitements reçoivent une formation adaptée? Les importantes mesures prises par l’État partie pour lutter contre les pratiques traditionnelles nocives, notamment les mutilations génitales, ont-elles permis de faire évoluer les mentalités? Le Prytanée militaire du Kadiogo − École militaire nationale − relève-t-il désormais du Ministère de l’éducation? Notant avec préoccupation le taux élevé de surpeuplement carcéral, M. Domah demande si un plan d’action national est prévu pour lutter contre ce phénomène. Des mesures devraient être en outre prises d’urgence pour que les prévenus soient détenus séparément des personnes condamnées.

L’État partie envisage-t-il d’actualiser sa législation relative aux personnes privées de liberté? Au paragraphe 66 du rapport, il est indiqué qu’en raison du caractère secret de l’enquête policière préliminaire la législation burkinabé ne prévoit pas la présence d’un avocat à ce stade. Cet argument n’est pas recevable, les avocats font partie du système de justice et ne peuvent être considérés comme de simples tiers. La délégation pourrait-elle, par ailleurs, présenter un aperçu des activités accomplies depuis 2000 par la Commission nationale des droits humains, qui n’aurait semble-t-il pas tous les moyens voulus pour s’acquitter de ses fonctions? Des mesures ont-elles été prises pour donner effet à l’article 2 de la Convention en vertu duquel l’ordre d’un supérieur hiérarchique ne peut être invoqué pour justifier la torture? Des renseignements plus concrets sur l’utilisation des mécanismes de plainte par les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements seraient les bienvenus.

Des mesures ont-elles été prises en application de l’article 13 de la Convention pour protéger le plaignant et les témoins dans des affaires relatives à la torture? Les tribunaux qui ont condamné des agents de police pour actes de torture ou mauvais traitements ont-ils aussi ordonné des mesures de réparation? La délégation pourrait-elle donner des exemples d’affaires dans lesquelles les juridictions nationales ont écarté des aveux au motif qu’ils avaient été obtenus sous la torture? Quelles mesures ont été prises pour favoriser l’accès des femmes au système de justice et quel est l’âge de la majorité pour les femmes? Existe‑t‑il enfin un fonds d’indemnisation pour les enfants devenus handicapés à la suite d’accidents de la route, qui seraient apparemment nombreux dans le pays?

M me Sveaasssalue la franchise avec laquelle certaines questions sont traitées dans le rapport et voudrait savoir quelles mesures concrètes sont envisagées par l’État partie pour lutter contre le problème préoccupant du surpeuplement carcéral. Au paragraphe 69 du rapport, il est indiqué que faute de locaux disponibles, les détenus mineurs ne sont pas séparés des adultes. Pour remédier à ce problème, le Burkina Faso ne pourrait-il pas envisager d’appliquer des peines non privatives de liberté aux mineurs? Des précisions sur les attributions du futur mécanisme national de prévention de la torture, notamment en ce qui concerne les visites dans les lieux de détention, seraient les bienvenues. De plus amples détails sur les zones dites «rouges» où le droit de manifester et d’autres droits de l’homme sont apparemment restreints seraient également utiles.

M.  Bruni demande quandleprojet de loi portant définition, prévention et répression de la torture et autres pratiques assimilées sera prêt. Saluant la ratification par l’État partie du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, il note qu’aucun mécanisme national de prévention de la torture n’a à ce jour été désigné et voudrait savoir si des mesures seront prises pour combler rapidement cette lacune. Le taux élevé de surpeuplement des prisons devrait amener les autorités à recourir à des peines non privatives de liberté comme les travaux d’intérêt général. Des renseignements sur le sort des 10 personnes qui seraient encore dans le couloir de la mort seraient aussi les bienvenus. Le Burkina Faso n’applique plus la peine capitale depuis vingt ans, le moment ne serait-il pas venu de l’abolir?

M. Mariño Menéndez voudrait savoir si le Burkina Faso a établi sa compétence pour engager des poursuites contre des étrangers accusés d’actes de torture ou de mauvais traitements. L’État partie pourrait-il envisager de modifier le statut de la Commission nationale des droits humains pour pouvoir la désigner en tant que mécanisme national de prévention de la torture? La délégation pourrait-elle donner des précisions sur la coopération entre le Burkina Faso et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, notamment en ce qui concerne les réfugiés maliens?

M me  Gaer, notant que la population carcérale est composée pour moitié de prévenus, voudrait savoir si les intéressés ont accès à un avocat et, dans l’affirmative, à quel moment et s’il existe un mécanisme pour surveiller les conditions de détention? La délégation dispose-t-elle de données statistiques sur les condamnations ou sanctions disciplinaires prononcées contre des agents de police reconnus coupables d’avoir commis des actes de torture ou des mauvais traitements. Les agents accusés d’avoir commis de tels actes sont-ils immédiatement suspendus? D’après certaines informations, le nombre de décès en détention serait relativement élevé. Ces décès donnent-ils systématiquement lieu à des enquêtes et sont-ils liés à des actes de torture? Au paragraphe 89 du rapport, il est indiqué que les personnes victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements commis par des agents de l’État «peuvent» intenter une action en réparation devant les juridictions burkinabé. Il serait utile de savoir si des réparations ont effectivement été accordées.

M me  Belmirsalue la franchise et la sincérité avec lesquelles la délégation burkinabé a présenté le rapport et voudrait savoir pourquoi le Burkina Faso n’a pas accepté la recommandation issue de l’Examen périodique universel tendant à ce que des mesures législatives, administratives et financières soient prises pour assurer l’indépendance de l’appareil judiciaire (A/HRC/24/4). Elle voudrait aussi savoir si des dispositions sont prises pour lutter contre la propagation de certaines maladies en prison. Relevant que le délai de garde à vue peut être porté à cinq jours «en temps de guerre» Mme Belmir rappelle que même en cas de circonstances exceptionnelles, les États sont tenus de respecter un «noyau de droits fondamentaux de l’homme».

Le Président,s’exprimant en sa qualité de membre du Comité, demande quand le projet de loi portant définition de la torture sera prêt. Il voudrait savoir si l’interdiction générale du recours à la force physique énoncée dans le Code pénal ne vise que certains agents de la force publique. En dépit des efforts déployés pour lutter contre le surpeuplement carcéral, deux à quatre détenus continuent selon certaines informations de décéder chaque semaine en raison des conditions de détention. Si tel est le cas, des mesures sont-elles envisagées pour remédier à cette situation? Il serait aussi utile de savoir si le Manuel de formation des forces de police élaboré avec l’aide de l’Institut danois des droits de l’homme est achevé et si le Burkina Faso envisage de faire la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention. Quelles sont les sanctions encourues par les entreprises du secteur minier qui emploient, d’après certaines informations, des enfants? Enfin, il serait utile d’en savoir davantage sur la mise à l’isolement. S’agit-il d’une mesure administrative ou judiciaire? Est-elle susceptible d’appel? Peut-elle être appliquée à des mineurs ou à des malades mentaux?

M.  Gaye (Rapporteur pour le Burkina Faso) salue les efforts déployés par l’État partie pour lutter contre certaines pratiques traditionnelles nocives. Il ne comprend cependant pas très bien si la législation burkinabé incrimine spécifiquement la pratique des mutilations génitales féminines et voudrait des éclaircissements à ce sujet.

La première par tie (publique) de la séance prend fin à midi.