NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.67015 novembre 2005

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑cinquième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE (PARTIEL)*DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE) DE LA 670e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le mercredi 9 novembre 2005, à 15 heures

Président: M. MARIÑO MENÉNDEZ

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE LARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial de la Bosnie‑Herzégovine (suite)

La séance est ouverte à 15 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE LARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 5 de lordre du jour) (suite)

Rapport initial de la Bosnie‑Herzégovine (CAT/C/21/Add.6) (suite)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation de la Bosnie-Herzégovine reprend place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation de la Bosnie-Herzégovine à répondre aux questions du Comité.

3.M. NAGRADIĆ (Bosnie‑Herzégovine) dit que les questions du Comité ont été regroupées par thème et qu’il répondra pour sa part à celles qui ont été posées sur les crimes de guerre, le massacre de Srebrenica, les discriminations au sein des organes du pouvoir judiciaire et les disparitions. En ce qui concerne les poursuites engagées contre les criminels de guerre, les autorités de la Republika Srpska ont certes été moins diligentes que celles des autres entités, mais des progrès sont enregistrés depuis 2004. En effet, sur l’ensemble des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt, seules cinq n’ont pas encore été traduites en justice, dont Radovan Karadzić et Ratko Mladić, et la plupart d’entre elles se sont livrées volontairement à la justice.

4.En 2004 et 2005, la police de la Republika Srpska et de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine ont arrêté plusieurs personnes accusées de crimes de guerre en vue de les remettre à la justice. En particulier, sur un mandat délivré par le Procureur de la Bosnie‑Herzégovine, plusieurs personnes ont été appréhendées à Srebrenica et dans l’est de la Republika Srpska et sont actuellement en attente de jugement. Récemment, la justice du district de Brčko a publié pour la première fois un acte d’accusation contre un criminel de guerre et, en Republika Srpska, trois personnes soupçonnées d’avoir participé à des crimes de guerre ont été arrêtées dans la ville de Bijeljina.

5.En ce qui concerne le massacre de Srebrenica, le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie a été saisi de plusieurs cas et a déjà prononcé quelques condamnations. Les autorités judiciaires de la Bosnie-Herzégovine ont quant à elles commencé à poursuivre et juger les criminels de guerre impliqués dans ce massacre à partir de 2004 et, en vertu d’une décision de la Chambre des droits de l’homme, la Republika Srpska a créé une commission d’enquête chargée d’établir les actes commis à Srebrenica, d’en identifier les auteurs et de déterminer l’ampleur du massacre. Cette commission a été active au cours de 2004 et 2005 et, étant donné la difficulté et la complexité de ses tâches, son mandat a été prorogé. Elle a établi un rapport qui a été adopté par le Gouvernement de la Republika Srpska puis soumis au Bureau du Haut Représentant qui en a approuvé les conclusions et l’a transmis au Bureau du Procureur de la Bosnie-Herzégovine pour suite à donner. Ce rapport contient une description détaillée des événements qui se sont produits à Srebrenica du 11 au 25 juillet 1995, notamment des informations sur le nombre de civils tués et l’identité des auteurs présumés, des personnes qui ont participé aux opérations et des chefs militaires impliqués dans ces crimes. Un mémorial a été construit à Srebrenica en l’honneur des victimes et un règlement est en cours d’élaboration concernant la signalisation des lieux où les massacres ont été perpétrés, question délicate car il faut veiller à favoriser la paix et la stabilité et à encourager la réconciliation.

6.La Bosnie‑Herzégovine s’est engagée à faire le nécessaire pour que les familles des victimes du massacre de Srebrenica puissent demander réparation. À cette fin, une loi a été adoptée en 2004, en application de laquelle un institut national chargé des personnes disparues a été créé en 1995, à la suite d’un accord entre le Conseil des ministres et la Commission internationale des personnes disparues dans l’ex-Yougoslavie. En outre, cette loi prévoit la mise en place d’un fonds d’indemnisation des familles des disparus. La création de ce fonds est l’une des priorités des autorités nationales et une étude approfondie doit être établie par le Ministère des droits de l’homme et des réfugiés (rapport, par. 5) d’ici fin 2006 et soumise au Conseil des ministres, qui prendra une décision finale sur cette base.

7.En ce qui concerne la question des préjugés fondés sur l’appartenance ethnique et de la discrimination qui en résulte au sein des organes de l’État, on ne saurait nier que des problèmes de ce type subsistent dans le pays. Toutefois, les tensions intercommunautaires sont nettement moins prononcées que cinq années auparavant. La composition ethnique des forces de l’ordre et des organes judiciaires est beaucoup plus diversifiée, progrès résultant notamment d’une décision de la Cour constitutionnelle selon laquelle les Serbes, les Croates et les Bosniaques sont égaux en droits sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine, et non pas uniquement dans leurs entités respectives. Ainsi, on trouve au sein de la magistrature des membres de ces trois communautés ainsi que quelques‑unes des 17 minorités vivant dans le pays.

8.Force est toutefois de reconnaître qu’immédiatement après la guerre, la composition ethnique peu diversifiée des tribunaux avait nui à l’efficacité de la justice. En particulier dans l’affaire Matanović, les personnes mises en cause avaient été acquittées par le tribunal de première instance de Banja Luka, mais le Procureur a fait appel de cette décision, qui devrait être réexaminée prochainement par les juridictions compétentes.

9.Par ailleurs, il est encourageant de constater que le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie défère un nombre grandissant d’affaires (plus d’un millier actuellement) devant les tribunaux de la Bosnie-Herzégovine, preuve que les organes judiciaires nationaux sont désormais capables de prendre en charge ces dossiers. Enfin, M. Nagradić espère que des données statistiques sur le nombre d’affaires traitées par les tribunaux nationaux, leur issue et le type de sanctions prononcées pourront être fournies au Comité dans le deuxième rapport périodique de son pays.

10.Mme SMAJEVIĆ (Bosnie-Herzégovine), rappelant la préoccupation exprimée par le Comité selon laquelle la structure gouvernementale complexe de la Bosnie-Herzégovine pourrait constituer une entrave à l’application de la Convention, indique que cette complexité n’empêche pas les entités constitutives du pays d’être conscientes que les accords internationaux conclus par la Bosnie‑Herzégovine doivent être appliqués et l’on peut constater qu’elles sont de moins en moins réticentes à collaborer aux efforts déployés à cette fin.

11.En ce qui concerne la présence internationale dans le pays et son impact sur le respect de la Convention, l’opinion la plus répandue est que, durant les deux années qui ont suivi la fin de la guerre, la présence d’organismes tels que la Mission des Nations Unies en Bosnie‑Herzégovine, le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou le Groupe international de police était indispensable. L’organisme dont la présence est la plus controversée est le Bureau du Haut Représentant, dont les compétences devraient progressivement échoir aux structures politiques et autres du pays, étant donné qu’elles ont reçu une assistance technique d’organismes internationaux et sont maintenant aptes à assumer ce rôle.

12.À propos de l’harmonisation de la législation des entités, pendant les deux années qui ont suivi la fin de la guerre, il y a lieu de constater que ces dernières n’avaient pratiquement pas d’institutions communes et administraient leur territoire chacune de leur côté. La situation a changé depuis lors et elles délèguent progressivement leurs pouvoirs aux autorités nationales en ce qui concerne l’administration de la justice, la défense, la sécurité et les statistiques. Au plan national, plusieurs lois ont été adoptées qui contraignent les entités à aligner leur législation sur les lois nationales, ce qui fait que les différences autrefois considérables s’estompent progressivement. En outre, des travaux visant à mettre en conformité la législation nationale avec la Convention européenne des droits de l’homme sont actuellement en cours. Enfin, les organes communs, dont le Conseil des ministres est un exemple, sont de plus en plus nombreux dans le pays.

13.Des activités de sensibilisation ont été menées en Bosnie‑Herzégovine afin de faire connaître la Convention. Ainsi, des conférences, des ateliers et des tables rondes sur des thèmes liés à la Convention et aux droits de l’homme en général ont été organisés conjointement par le Gouvernement, des organisations non gouvernementales et les médias, et des séminaires de formation sur la question de la torture et des mauvais traitements ont été suivis par un grand nombre de fonctionnaires dans chacune des entités.

14.Afin de centraliser la collecte de données statistiques, un office national de statistique a été créé en 2000, qui travaille en collaboration avec les bureaux de statistique des entités. En 2004, l’efficacité de cet organe a été renforcée grâce à la nomination d’un nouveau directeur, la simplification des méthodes de travail et l’attribution de locaux adaptés. Le Gouvernement est conscient que la publication de données sur la torture peut avoir un effet dissuasif et entend apporter un soutien continu à cet organe.

15.S’agissant de la protection des victimes d’actes de torture commis durant la guerre, il n’existe pas en Bosnie-Herzégovine de loi générale sur la protection des civils en temps de guerre. En revanche, une loi relative aux personnes disparues, reprenant les normes européennes, est entrée en vigueur en 2004. Elle contient des dispositions permettant aux familles de disparus de demander réparation. La protection des droits des victimes de la torture est assurée pour le moment par les lois respectives des entités. Afin de donner pleinement effet à l’article 14 de la Convention, la Bosnie‑Herzégovine devrait se doter à cet égard d’une loi‑cadre garantissant l’indemnisation de toutes les victimes de torture et prévoyant des ressources à cette fin.

16.Concernant la ratification du Protocole facultatif à la Convention, un projet tendant à mettre en place les organismes nationaux de suivi dont la création est prévue dans cet instrument a été présenté au Conseil des ministres, avec une estimation des ressources nécessaires. Toutefois, cette proposition n’a pas encore suscité de réponse.

17.Enfin, en ce qui concerne la violence au foyer, la Fédération de Bosnie‑Herzégovine et la Republika Srpska ont adopté en 2005 une loi sur cette question mais il n’existe pas encore de loi nationale en la matière. Des organisations non gouvernementales ont mené des activités d’enquête et de prévention dans ce domaine au cours de 2004 et 2005 mais elles n’ont pas établi de rapport sur ces activités.

18.M. PILAV (Bosnie‑Herzégovine) détaille les mesures prises par la Bosnie‑Herzégovine à propos de l’affaire du groupe des Algériens qui ont été remis le 18 janvier 2001 aux autorités militaires des États‑Unis présentes à Sarajevo et qui sont actuellement détenus sur la base militaire de Guantanamo à Cuba. Il souligne que ces faits sont intervenus à l’époque où l’ancienne législation pénale était encore en vigueur en Bosnie‑Herzégovine. Il rappelle qu’en octobre 2001, sur requête du Bureau du Procureur de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine, six personnes ont été placées en détention provisoire en vertu d’une décision de la Cour suprême de la Fédération de Bosnie-Herzégovine qui avait estimé qu’il existait des raisons sérieuses de croire qu’elles avaient participé à la planification d’une activité terroriste internationale visant les ambassades des États‑Unis et du Royaume‑Uni à Sarajevo. Le magistrat chargé de l’enquête au sein de la Cour suprême a décidé de ne pas prolonger la détention provisoire au‑delà de son échéance le 17 janvier 2001, de sorte que ces personnes pouvaient être libérées. Le «groupe des Algériens» a cependant été maintenu en détention et placé sous la supervision du Ministère de l’intérieur de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine, jusqu’à nouvel ordre. Le 18 janvier 2001 au matin, le Ministère de l’intérieur, donnant suite à une note émanant de l’ambassade des États‑Unis, a remis les six personnes du «groupe des Algériens» aux autorités militaires de ce pays à Sarajevo. Sur requête des familles des détenus, la Chambre des droits de l’homme de Bosnie‑Herzégovine avait auparavant demandé aux autorités fédérales de Bosnie‑Herzégovine de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les détenus ne soient pas remis aux autorités militaires américaines. Mais les autorités compétentes de Bosnie‑Herzégovine ne l’ayant pas reçue à temps, la demande de la Chambre des droits de l’homme n’a pas pu être satisfaite. Remis aux autorités militaires américaines présentes à Sarajevo, les six Algériens ont donc ensuite été transférés sur la base militaire de Guantanamo à Cuba.

19.Au cours des mois qui ont suivi, la Chambre des droits de l’homme de la Bosnie‑Herzégovine a adopté trois nouvelles décisions dans lesquelles elle a demandé, notamment, aux autorités de la Bosnie‑Herzégovine d’entrer en contact avec les personnes détenues sur la base militaire de Guantanamo. M. Pilav précise qu’il a été personnellement désigné par le Ministère de la justice pour rencontrer quatre des six détenus entre les 26 et 29 juillet 2004. Un rapport sur cette visite a été adopté par le Conseil des ministres de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. À la suite d’une manifestation organisée par les familles des détenus, le 31 décembre 2005, devant le Parlement à Sarajevo, le Conseil des ministres a décidé d’adresser aux États‑Unis une demande officielle de libération des détenus algériens. Le Département d’État de ce pays n’a pas fait droit à cette demande, estimant que les conditions pour leur libération n’étaient pas réunies.

20.Depuis lors, la législation pénale de la Bosnie‑Herzégovine a subi des modifications importantes. Désormais, les enquêtes pénales ne relèvent plus de la compétence de la Cour suprême mais sont du ressort exclusif du Bureau du Procureur de la République fédérale de Bosnie‑Herzégovine. M. Pilav explique qu’après un réexamen du dossier, le Bureau du Procureur de la République a estimé qu’aucun motif ne justifiait d’aller plus loin dans les poursuites engagées contre les six personnes concernées pour participation à la planification d’un acte de terrorisme international. En tout état de cause, le Conseil des ministres de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine estime avoir agi conformément à la résolution 1433 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en date du 6 mai 2005 relative à la légalité de la détention de personnes par les États‑Unis à Guantanamo Bay, dans laquelle l’Assemblée a prié les États membres du Conseil de l’Europe, dont la Bosnie‑Herzégovine, de défendre les intérêts de leurs ressortissants ou résidents permanents détenus sur la base militaire de Guantanamo, qu’ils soient ou non tenus de le faire en vertu de la loi.

21.Les procédures pour crimes de guerre peuvent être engagées par les tribunaux locaux ou fédéraux dans la Fédération de Bosnie‑Herzégovine et par les tribunaux de district dans la Republika Srpska. En Bosnie‑Herzégovine, la loi sur les tribunaux telle que modifiée en 2005 a institué des chambres séparées pour ces crimes. Les affaires moins graves sont traitées par les tribunaux des entités. La loi relative à la procédure pénale et d’autres lois en découlant prévoient des modalités pour permettre à tous les témoins de faire une déposition et une loi spéciale sur la protection des témoins menacés est entrée en vigueur en mars 2003. Une nouvelle loi, adoptée en juin 2004, régit les programmes de protection des témoins dans le cadre des enquêtes et permet aux témoins de déposer devant les tribunaux sans que leur identité soit révélée.

22.En ce qui concerne la sécurité des juges et des procureurs, l’article 241 du Code pénal de la Bosnie‑Herzégovine prévoit des sanctions contre toute personne qui menace un magistrat. Les codes pénaux des entités contiennent des dispositions analogues.

23.En ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire, la loi de 2004 sur les juges et les procureurs garantit la totale indépendance des juges et des procureurs et il n’y a eu aucune plainte de leur part indiquant qu’ils feraient l’objet de pressions politiques en Bosnie‑Herzégovine.

24.Le Code de procédure pénale prévoit que les témoins cités à comparaître sont tenus de se présenter au tribunal sous peine d’une amende de 500 marks convertibles. De nombreuses lois garantissent en outre aux témoins la possibilité de comparaître sans crainte pour leur sécurité. La participation dans les tribunaux de juges internationaux nommés par le Haut Représentant est prévue par les amendements à la loi sur les tribunaux et à la loi sur le Bureau du Procureur.

25.En ce qui concerne la question de l’extradition vers des pays tiers, il y a lieu de signaler s’agissant du «groupe des Algériens», qu’il n’y a pas eu de demande d’extradition «classique» car l’ensemble du processus revêtait un caractère exceptionnel. Par ailleurs, la Bosnie‑Herzégovine respecte toutes les obligations énoncées à l’article 3 de la Convention et a incorporé dans sa législation d’autres dispositions de cet instrument, notamment les articles 5, 6, 8 et 9. Aux termes de l’article 186 du Code pénal tel que modifié en décembre 2004, c’est à l’État fédéral qu’incombe la lutte contre la traite des êtres humains. D’autre part, l’accord d’entraide judiciaire en matière civile et pénale, conclu entre la Bosnie‑Herzégovine et la Croatie en 1996, est entré en vigueur en juin 2002 et a été étendu à la Republika Srpska en 2004.

26.En ce qui concerne les crimes de guerre, un service spécial a été établi en 2004 au Bureau du Procureur, en coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie. En vertu de la loi de 2005 qui prévoit le transfert des affaires de La Haye vers les tribunaux compétents de Bosnie‑Herzégovine, tous les éléments de preuve recueillis par le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie peuvent être utilisés dans des procès devant les tribunaux de la Fédération. Les détenus transférés de La Haye sont placés dans une unité spéciale de détention car la Bosnie‑Herzégovine a récemment adopté une loi sur l’application des peines criminelles et des mesures de détention en vertu de laquelle ces détenus doivent être séparés des détenus de droit commun.

27.M. SILADJI (Bosnie‑Herzégovine) dit que la Constitution de la Fédération de Bosnie‑Herzégovine dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. La Constitution de la Republika Srpska contient des dispositions analogues applicables à toute personne se trouvant sur son territoire et prévoit qu’aucune déclaration ne peut être extorquée sous la torture. Bien que le nouveau Code pénal de Bosnie‑Herzégovine et les lois pertinentes des entités ne contiennent pas de définition de la torture, plusieurs dispositions législatives répriment cette pratique conformément à l’esprit de la Convention. Les auteurs d’actes de violence sexuelle sont traités comme les auteurs d’actes de torture et les peines prévues, tant au niveau des entités qu’au niveau fédéral, sont extrêmement lourdes. Les sanctions pénales ont pour objet de protéger l’ordre juridique et de combattre les infractions. Qu’elles soient de caractère dissuasif ou répressif, elles ne visent en aucun cas à infliger une souffrance physique ou mentale. À l’évidence, toute sanction peut entraîner une souffrance, mais aucune disposition légale n’est conçue à cette fin.

28.Enfin, les différences entre les législations des entités et de la Fédération s’expliquent par le fait que les constitutions des entités ont été adoptées avant celles de la Fédération, de sorte que la Convention contre la torture n’a été incorporée que dans celle-ci. En cas de conflit entre les lois, les instruments internationaux priment sur la législation interne.

29.M. TOMIĆ (Bosnie‑Herzégovine) indique, en ce qui concerne les conditions carcérales, que la loi interdit au personnel pénitentiaire tout acte assimilable à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Cette interdiction est à la base de la formation dispensée aux gardiens, qui reçoivent tous une instruction théorique (droit pénal et droit constitutionnel, application des lois, déontologie, psychologie et psychopathologie) et pratique de près d’un millier d’heures sanctionnée par un examen. Tous les gardiens actuellement en poste ont été reçus à cet examen. Ceux qui ne l’ont pas été ont perdu leur emploi. Un programme de formation des gardiens et de surveillance de leur comportement a également été mis en place par le Conseil de l’Europe. L’Association des pénalistes, qui regroupe l’ensemble des responsables de l’application des lois, a organisé à l’intention du personnel pénitentiaire des séminaires et des tables rondes pour lui permettre d’échanger des données d’expérience et d’acquérir de nouvelles connaissances. Les nouveaux gardiens font l’objet d’une surveillance particulière et les auteurs d’infractions sont sanctionnés.

30.Les femmes et les mineurs délinquants purgent en général leur peine dans des quartiers distincts mais force est de reconnaître que les conditions carcérales ne sont pas encore conformes aux normes internationales. Une conférence organisée à Sarajevo par le Conseil de l’Europe a révélé que les femmes, les mineurs et les personnes souffrant de troubles psychiatriques sont des catégories de détenus particulièrement vulnérables. Avant la guerre, il existait des établissements modernes réservés aux femmes, aux mineurs ou aux malades mentaux mais à présent ces catégories de détenus sont seulement placées dans des quartiers séparés de prisons ordinaires. Les femmes représentent aujourd’hui 3 % de la population carcérale en Republika Srpska et 1,66 % dans la Fédération de Bosnie-Herzégovine, et les mineurs 0,3 % de l’ensemble de la population carcérale. Les mineurs détenus doivent obligatoirement suivre un enseignement ou une formation et ont accès aux loisirs, ils dorment dans des dortoirs distincts mais ne sont pas séparés des détenus adultes pendant la journée.

31.En ce qui concerne la prévention de la violence en milieu carcéral, il n’existe pas, faute de ressources, de pavillons distincts ou de quartiers de haute sécurité qui permettraient d’isoler les multirécidivistes ou les criminels dangereux, de sorte que tous les prisonniers, quelle que soit la durée de la peine et la gravité de l’infraction commise, partagent les mêmes locaux. Il n’y a pas d’évaluation individuelle des risques mais les autorités carcérales savent que des abus, des mauvais traitements ou des pratiques telles que le racket et le chantage existent, et s’efforcent de les combattre par tous les moyens dont elles disposent. Le harcèlement sexuel est un problème tabou en sorte que les violences sexuelles, qui doivent exister, ne sont jamais dénoncées.

32.Le tableau 16 du rapport à l’examen (CAT/C/21/Add.6) expose les moyens de recours et de dépôt de plainte dont disposent les détenus. La législation relative aux établissements pénitentiaires est en passe d’être modifiée de façon à mettre en place un système moderne de recours, de dépôt de plainte et d’inspection. En ce qui concerne les mouvements de contestation dans les prisons, on signalera qu’en 2004 les détenus de la prison de Foča ont réclamé pacifiquement l’amélioration de leurs conditions de détention, ce qu’ils ont obtenu au terme d’un dialogue avec les autorités. En avril 2005, les détenus de la prison de Banja Luka ont demandé pacifiquement une amnistie et le Ministre de la justice de la Republika Srpska a fait adopter une loi dans ce sens à la fin du mois de mai. D’autre part, quatre condamnés pour crimes de guerre ont mené une grève de la faim dans la prison de Zenica. Enfin, la violence fondée sur l’origine ethnique ou nationale existe dans de nombreux établissements pénitentiaires mais la loi ne permet pas pour l’instant de transférer des détenus d’une entité à une autre.

33.M. TOMIĆ (Bosnie‑Herzégovine) souhaite tout d’abord souligner la complexité de la structure des services de police de son pays, qui relèvent de différents ministères ou organes jouissant généralement d’une grande autonomie (Ministère de l’intérieur de la Republika Srpska, police du district de Brčko, Ministère de la sécurité nationale, Service national des frontières, etc.). Une première question a été posée au sujet du remplacement du Groupe international de police (GIP) par la Mission de police de l’Union européenne (MPUE). Le GIP, dont le mandat s’est terminé à la fin de 2002, a apporté une aide précieuse pour la formation, l’organisation et la réglementation des forces de police; il a veillé à délivrer, après vérification, des certificats d’aptitude à tous les policiers de Bosnie‑Herzégovine ayant suivi une formation, notamment dans le domaine des droits de l’homme. La MPUE, quant à elle, a pour mission de superviser et de conseiller les autorités de police. À cet effet, elle a mis en place un conseil de direction composé de tous les responsables des services de police de Bosnie‑Herzégovine, conseil qui s’appuie sur différents groupes d’experts qui proposent des améliorations et innovations à apporter dans différents domaines du travail policier.

34.Depuis deux ans, l’égalité des sexes au sein des services de police est consacrée par une loi nationale. S’il n’existe au sein de la police aucune discrimination à l’égard des femmes, il n’en demeure pas moins que le nombre de femmes figurant dans ses effectifs est très inférieur à ce qui serait souhaitable, et l’on s’efforce d’en recruter davantage.

35.Le Code de procédure pénale dispose que toute personne privée de liberté a le droit de prendre contact avec un avocat et avec sa famille, et l’on s’assure qu’elle n’est pas porteuse de blessures ou traces de mauvais traitements. En 2001, la Bosnie‑Herzégovine a élaboré, en coopération avec le Centre pour les droits de l’homme, des instructions détaillées sur le traitement et les droits des détenus. En particulier, toutes les données les concernant sont dûment enregistrées et le moment exact où ils ont été informés de leurs droits est consigné, ce point étant confirmé par la signature des intéressés.

36.Il a été demandé quelle suite avait été donnée aux mises en accusation de policiers ayant commis des infractions pénales dans l’exercice de leurs fonctions (par. 274 et 275 du rapport à l’examen): ces policiers ont été démis de leurs fonctions et condamnés à des peines de trois à neuf mois de prison, voire, dans certains cas, à des peines plus lourdes assorties de sursis.

37.M. JOVIĆ (Bosnie‑Herzégovine) indique que la réglementation des services médicaux desservant les établissements pénitentiaires dans l’ensemble du pays est tout à fait satisfaisante: le principe général est que les personnes privées de liberté doivent bénéficier des mêmes soins que le reste de la population. Il est vrai que cet objectif n’est pas encore totalement atteint, la responsabilité des services médicaux incombant au Ministère de la justice qui dispose de ressources très limitées à cet effet. Le personnel de santé des prisons se compose d’infirmiers, d’auxiliaires médicaux et de quelques médecins. Pour les soins plus spécialisés, des arrangements contractuels sont conclus avec des établissements extérieurs compétents. Il est exact que le personnel de santé des prisons devrait être mieux formé dans des domaines particuliers tels que le sida, la tuberculose, les maladies transmissibles par voie sexuelle et les toxicomanies.

38.Trois services psychiatriques sont rattachés aux établissements pénitentiaires en Bosnie‑Herzégovine: l’unité psychiatrique médico‑légale de Sokolac, l’unité de la prison de Zenica et l’Institution Jakeš qui reçoit les malades mentaux chroniques; ces services spécialisés sont dotés d’un solide statut juridique. Le Comité européen pour la prévention de la torture leur a rendu visite par deux fois, en 2003 et 2004. Il s’est dit préoccupé de la situation à Sokolac où sont traités une centaine de malades: recours excessif à la contrainte physique, locaux et conditions sanitaires notoirement insuffisants, absence de motivation du personnel. Des améliorations ont déjà été apportées à cet égard et par exemple, neuf infirmiers et deux psychiatres ont été engagés. Toutefois, certains problèmes demeurent et les fonds manquent encore pour améliorer, entre autres, la formation du personnel. Les exigences du CPT sont en revanche presque toutes satisfaites à Jakeš et à Zenica; on est d’ailleurs en train d’installer l’unité psychiatrique de Zenica en un lieu totalement séparé de la prison.

39.La traite des êtres humains a été un problème particulièrement grave en Bosnie‑Herzégovine pendant la guerre. Des lois ont été promulguées ces dernières années et la vigilance s’est accrue dans ce domaine. Cependant, la situation est devenue très préoccupante en ce qui concerne la traite des femmes en provenance de pays situés à l’est de la Bosnie‑Herzégovine, elle‑même pays de transit mais aussi de destination. Certains établissements emploient des hôtesses, danseuses, etc., qui sont dûment immatriculées et suivies médicalement par les services sanitaires locaux au même titre que tout autre travailleur.

40.Pour ce qui est des gardiens de prison et policiers, ils bénéficient des services de médecine préventive habituels: visite médicale d’embauche, puis tous les deux ans ou plus souvent si des problèmes de santé physique ou mentale surviennent, pouvant entraîner un changement de fonction, voire une cessation d’emploi.

41.M. NAGRADIĆ (Bosnie‑Herzégovine) dit que sa délégation regrette de n’avoir pas pu, par manque de temps, répondre à toutes les questions.

42.Le PRÉSIDENT indique que la délégation pourra communiquer par écrit tout complément d’information qu’elle souhaitera fournir.

43.Mme GAER (Rapporteuse pour la Bosnie‑Herzégovine) remercie la délégation de s’être efforcée d’apporter le plus grand nombre de renseignements possibles dans le délai imparti, bien trop bref pour faire justice à un rapport initial. Elle‑même manquera de temps pour s’exprimer comme elle le souhaiterait, et les méthodes de travail du Comité devraient être revues à cet égard.

44.De plus amples explications seraient utiles au sujet de la reconnaissance de la situation des personnes qui ont été victimes de la torture durant la guerre. Il n’existe apparemment pas de législation harmonisée en ce qui les concerne, mais il serait utile de savoir s’il est actuellement envisagé de promulguer un texte législatif qui prendrait en considération l’ensemble des personnes ayant survécu à la torture, y compris notamment les victimes de violences sexuelles, et qui prévoirait une réparation et une indemnisation en leur faveur.

45.D’autre part, à propos des informations reçues de M. Pilav au sujet des efforts qu’il a faits pour éclaircir la situation des quatre personnes expulsées dont la Chambre des droits de l’homme s’est occupée, Mme Gaer souhaiterait en savoir davantage sur les protections mises en place en Bosnie‑Herzégovine pour prévenir d’autres violations de ce genre. En effet, si ladite chambre n’a pas constaté de violation de l’article 3 de la Convention européenne pour la prévention de la torture, elle a estimé que l’article 3 de son quatrième Protocole et l’article premier de son sixième Protocole avaient été violés. Il serait utile de savoir si de nouvelles procédures d’audition ont été mises en place avant l’exécution d’une mesure d’extradition ou d’expulsion, car il semble que dans cette affaire, les intéressés n’ont nullement été entendus avant leur expulsion. En outre, des dispositions législatives ont‑elles été prises afin qu’il n’existe plus de procédure différente pour les nationaux et les étrangers en ce qui concerne l’application de l’article 3 de la Convention contre la torture, qui ne prévoit aucune distinction de ce genre? Dans ce contexte, il serait utile de savoir si dans cette affaire, il a été mis fin au mandat de la Chambre des droits de l’homme en raison de la fermeté dont elle avait fait preuve en l’espèce, et d’apprendre quelle instance assume désormais les responsabilités dont la Chambre était auparavant investie. Enfin, M. Pilav a indiqué que, lorsqu’il a rencontré quatre des six personnes en question, il l’a fait en présence de membres des forces de défense: a‑t‑il pu lui‑même se faire accompagner d’un médecin, d’un avocat, et de membres des familles?

46.M. GROSSMAN demande si le Comité pourrait avoir copie du rapport établi à l’issue de la visite aux Algériens détenus à Guantanamo. Il rappelle par ailleurs qu’il a demandé si les victimes d’abus commis par des policiers disposent, le cas échéant, d’une voie de recours extérieure aux services de police. Des précisions seraient également souhaitables en ce qui concerne la traite des femmes et des jeunes filles en Bosnie‑Herzégovine aux fins de prostitution, car Human Rights Watch, entre autres, a rapporté que certains policiers s’en faisaient complices: des enquêtes ont‑elles été ouvertes et des statistiques existent‑elles à ce sujet? Enfin, il a été question de trois émeutes qui avaient eu lieu dans les prisons entre 1998 et 2001. Le Comité pourrait‑il avoir des informations sur celles qui se sont produites en 2004 et 2005?

47.M. NAGRADIĆ (Bosnie‑Herzégovine) précise, en réponse à Mme Gaer, que ce n’est pas en raison de la fermeté dont elle avait fait preuve qu’il a été mis fin au mandat de la Chambre des droits de l’homme; ce mandat a d’ailleurs été prorogé d’un an afin qu’elle puisse mener sa tâche à bien en ce qui concerne toutes les affaires dont elle était saisie; elle s’est notamment occupée de questions liées au droit de propriété. Toutes les affaires restées en suspens ont ensuite été confiées à la Commission des droits de l’homme qui relève de la Cour constitutionnelle de Bosnie‑Herzégovine.

48.En ce qui concerne la reconnaissance de la situation de toutes les victimes de la torture, les difficultés à surmonter tiennent aux traditions ancestrales du pays, qui sont très restrictives en ce qui concerne l’attitude à l’égard des femmes victimes, notamment en cas de viol. Les responsables des droits de l’homme, quant à eux, adhèrent aux normes internationales en la matière et se donnent pour tâche de protéger la dignité de tous les êtres humains quels que soient leur âge, leur sexe ou leur origine ethnique. Leur mission est d’autant moins facile que la structure de l’État est extrêmement complexe. Les pressions exercées dans ce domaine par le secteur des ONG sont très utiles. Il existe déjà des lois qui protègent certaines catégories de victimes, mais on prévoit d’élaborer, dès 2006, une loi d’ampleur nationale qui définira le statut des victimes et prévoira leur indemnisation: cela n’ira pas sans peine.

49.La Bosnie‑Herzégovine est reconnaissante au Comité de l’intérêt qu’il lui témoigne ainsi que de ses questions, qui l’aideront à trouver des solutions aux délicats problèmes qu’elle connaît.

50.Le PRÉSIDENT remercie la délégation de Bosnie‑Herzégovine et l’invite à revenir entendre, lors d’une séance ultérieure, les conclusions et recommandations du Comité.

51. La délégation de Bosnie ‑Herzégovine se retire.

Le débat qui a fait l’objet du compte rendu prend fin à 17 h 15.

-----