NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/SR.424

29 mai 2000

Original : FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Vingt-quatrième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*

DE LA 424ème SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,

le mercredi 10 mai 2000, à 10 heures

Président : M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMENS DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATIONDE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

-Rapport initial des États-Unis d'Amérique

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*Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.424/Add.1.

________________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

GE.00-42082 (F)

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATIONDE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 7 de l'ordre du jour) (suite)

Rapport initial des États‑Unis d'Amérique (CAT/C/28/Add.5; HRI/CORE/1/Add.49)

1.Sur l'invitation du Président, M. Koh, M. Yeoman, M. Surena, M. Camponovo, Mme Sim et M. Solomon (États‑Unis d'Amérique) prennent place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation des États‑Unis d'Amérique à présenter le rapport initial de son pays (CAT/C/28/Add.5).

3.M. KOH (États‑Unis d'Amérique) indique que le rapport initial (CAT/C/28/Add.5) a été établi grâce à une étroite collaboration entre le Département d'État et le Département de la justice, avec la participation d'autres départements et organes de l'exécutif ainsi que des organisations non gouvernementales et de diverses personnalités.

4.Les États‑Unis sont depuis longtemps actifs dans la lutte menée contre la torture par la communauté internationale. Ils ont joué un rôle de premier plan dans l'élaboration de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de la Convention contre la torture, et ils estiment que le Comité est investi d'une mission très importante. Dès l'origine, le peuple américain a résolu que la démocratie et la liberté étaient incompatibles avec la torture, et le huitième amendement à la Constitution des États‑Unis, adopté voici plus de deux siècles, interdit expressément les châtiments cruels et inusités. De même, les quatrième et cinquième amendements consacrent le droit à l'intégrité de la personne et le droit de chacun de ne pas témoigner contre lui‑même. Depuis lors, de multiples textes constitutionnels, législatifs, réglementaires, administratifs et judiciaires sont venus s'ajouter à ces textes pour protéger toute personne contre la torture et pour finir, les États‑Unis ont signé la Convention contre la torture en 1992 et l'ont ratifiée en 1994.

5.La torture est interdite par la loi sur tout le territoire des États‑Unis et est proscrite en tant qu'instrument d'exercice de l'autorité; tout acte de torture constitue une infraction pénale et aucun fonctionnaire quel qu'il soit ne peut commettre ni charger quiconque de commettre un acte de torture; enfin, aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée pour justifier la torture. Le Congrès a légiféré de façon à prévoir des sanctions tant au civil qu'au pénal à l'échelon fédéral à l'encontre des tortionnaires, et les tribunaux condamnent cette pratique aux niveaux international et fédéral et au niveau des États. Deux lois, intitulées Alien Tort Claims Act et Torture Victims Protection Act, offrent des moyens de recours au civil à l'encontre de tortionnaires se trouvant aux États‑Unis, et l'exécutif fédéral aussi bien que ceux des États ont pour politique de ne tolérer la torture en aucune circonstance. En outre, le Gouvernement fédéral a édicté une nouvelle réglementation stipulant que nul ne peut être extradé ou refoulé si la probabilité qu'il soit torturé est plus forte que la probabilité contraire. On voit donc combien pour les États-Unis la Convention est importante tant du point de vue de l'administration de la justice que du point de vue de la promotion des droits de l'homme et les normes qu'elle consacre ont été véritablement assimilées dans la législation et dans la pratique.

6.En dépit d'un bilan tout à fait positif en ce qui concerne l'élimination de la torture, des sujets de préoccupation subsistent aux États-Unis. Des allégations de torture sont formulées de temps à autre, notamment en ce qui concerne les pratiques de ceux qui ont la difficile mission de faire appliquer la loi, et quelques incidents récents ont suscité une vive émotion tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des États-Unis. Mais il faut savoir que les cas de torture sont exceptionnels aux États-Unis, et qu'ils ne résultent jamais de politiques gouvernementales. Lorsque de tels cas surviennent, les auteurs sont poursuivis pénalement et les victimes obtiennent réparation pleine et entière. Tout acte relevant de la définition de la torture énoncée dans la Convention est illicite et passible de poursuites sur tout le territoire national.

7.Les États‑Unis s'emploient sans relâche à apporter les améliorations nécessaires au dispositif dont ils se sont dotés pour éliminer totalement la torture. Le débat public passionné qui se déroule dans le pays à propos du comportement de la police et de la situation dans les prisons est à cet égard précieux et tout manquement est promptement porté à l'attention de l'opinion par des médias libres, indépendants et inlassables. Dans ces conditions, et grâce à un système judiciaire efficace, ceux qui continuent à pratiquer la torture ne peuvent guère espérer l'impunité. De même, le Gouvernement des États‑Unis contribue à l'élimination de la torture dans le monde entier, par exemple en établissant chaque année des rapports sur la situation des droits de l'homme dans les différents pays. À la Commission des droits de l'homme comme à l'Assemblée générale des Nations Unies, il appuie des résolutions concernant la torture dans différents pays, et il soutient les travaux du Rapporteur spécial chargé des questions se rapportant à la torture; le cas échéant, les États‑Unis appuient aussi la mise en place de tribunaux pénaux internationaux, ainsi que les travaux de commissions vérité instituées dans différents pays.

8.Mettre fin à la torture n'est pas suffisant; il faut aussi venir en aide aux victimes : deux lois, intitulées Torture Victims Protection Act de 1992 et Torture Victims Relief Act de 1998, visent à aider les victimes de la torture réfugiées aux États‑Unis à obtenir réparation. Depuis 1980, le Gouvernement soutient les actions intentées au civil par des victimes de la torture au titre de l'Alien Tort Claims Act et d'autres lois, et il œuvre avec d'autres pays, notamment le Danemark, en faveur de centres d'aide aux victimes qui ont été ouverts aux États‑Unis et ailleurs. Des fonds importants ont été débloqués pour mener des recherches consacrées aux victimes ayant survécu à la torture, et une somme de 1,7 million de dollars environ a été consacrée au financement de 10 organisations qui ont pour mission d'identifier les victimes de la torture au sein des communautés de réfugiés dans les grandes villes. Au demeurant, cette aide aux victimes ne se limite pas aux personnes résidant sur le territoire américain et le rapport présenté fait mention de programmes d'appui aux victimes de la torture dans le monde entier, dispensés par l'intermédiaire de l'Agency for International Development. En outre, les États‑Unis sont le plus important donateur au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, auquel ils ont versé 3 millions de dollars en 1999. En vertu d'une ordonnance de 1998, le Président Clinton a créé un groupe de travail constitué de représentants du Département d'État et des Départements de la justice, de la défense et du travail notamment, groupe qui est chargé de veiller à la bonne application des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et qui se réunit régulièrement. Pour l'établissement du présent rapport, le Département d'État a demandé des informations sur la mise en œuvre de la Convention à l'échelon local à l'Attorney général de chacun des 50 États de l'Union; la démarche a été fructueuse et ces contacts se poursuivront. Le Département d'État veille aussi à ce que les bénéficiaires des programmes de formation militaire et policière dispensés par les forces armées et les destinataires de matériel américain ne soient pas connus pour violer les droits de l'homme. Des mesures législatives sont récemment venues renforcer ces dispositions de telle sorte que désormais, les antécédents en matière de droits de l'homme des forces de sécurité bénéficiant de l'assistance des États‑Unis seront examinés de très près. La lutte contre la torture n'est pas simplement menée par les pouvoirs publics; elle l'est aussi par les organisations non gouvernementales, les médias, les organisations intergouvernementales et les particuliers, qui apportent tous leur pierre à l'édifice. C'est pourquoi, sans toujours approuver les critiques dont il fait l'objet de la part de diverses organisations, le Gouvernement des États‑Unis se félicite de leur action et approuve les efforts qu'elles déploient pour soutenir les victimes de la torture et aider les autorités, sur le terrain, à faire prendre conscience aux forces de police des conséquences du recours excessif à la force sur le plan humain et juridique. Les États‑Unis ne prétendent pas s'être totalement acquittés de leur tâche; ils reconnaissent que beaucoup reste à faire. M. Koh, qui a souvent défendu des victimes de la torture devant des instances nationales et internationales, est résolu à dialoguer avec le Comité et à collaborer avec lui en toute sincérité.

9.M. YEOMAN (États‑Unis d'Amérique) indique que la Division des droits civiques du Département de la justice, dont il fait partie, est chargée de veiller à ce que les États‑Unis s'acquittent des obligations qui sont les leurs aux termes de la Convention et d'autres instruments internationaux. La Division est membre du groupe de travail présidentiel interinstitutions sur les droits de l'homme où sont représentés le Département d'État, le Service de l'immigration et de la naturalisation et d'autres organes chargés de veiller à ce que les États‑Unis s'acquittent de leurs engagements internationaux.

10.La pratique de la torture est interdite sur tout le territoire des États‑Unis et quiconque se rend coupable de violences en agissant sous couvert de la loi est passible de poursuites. Dès que le Département de la justice a connaissance d'allégations crédibles concernant des abus ou mauvais traitements de la part de policiers, de gardiens de prison ou d'autres agents de l'État, une enquête est ouverte et, le cas échéant, les auteurs de ces actes sont jugés. Les procureurs des différents États peuvent eux aussi engager des poursuites pénales contre les coupables. Ainsi, nul n'est au‑dessus des lois dans ce domaine, mais la vigilance continue d'être nécessaire en ce qui concerne par exemple le recours excessif à la force par des agents des services de répression et les sévices physiques et sexuels aux prisonniers. C'est la Division des droits civiques qui est chargée au premier chef de faire appliquer les lois fédérales en matière de droits civiques et notamment celle réprimant la discrimination en raison de la race, de l'origine nationale, de la religion, du sexe, etc. La Division veille aussi à l'application des lois interdisant le recours excessif à la force par des agents des services de répression et protégeant les droits constitutionnels des prisonniers. En général, ces garanties fédérales sont complétées par des lois analogues promulguées au niveau des États.

11.Aux États‑Unis, le fait d'agir sous couvert de la loi dans le but de priver une personne d'un droit consacré par la Constitution ou les lois est une infraction pénale. L'expression "sous couvert de la loi" désigne aussi bien les pouvoirs conférés au niveau local qu'au niveau des États ou à l'échelon fédéral. Le recours excessif à la force et les violences sexuelles figurent parmi les actes visés par cette disposition. Si le Département de la justice établit qu'un fonctionnaire chargé de l'application des lois a agi en violation de la législation fédérale relative au recours excessif à la force, il peut être poursuivi au pénal devant un tribunal fédéral et encourt une peine de prison. À tout moment, le Département de la justice enquête sur plusieurs centaines de plaintes dénonçant des mauvais traitements par la police. À cet égard, M. Yeoman cite trois exemples de poursuites engagées à l'échelon fédéral contre des agents de la force publique et ayant donné lieu à des condamnations : l'un concerne un officier de police de la Nouvelle‑Orléans et deux complices, le second un agent de la prison de Pelican Bay et le troisième, le plus récent, quatre policiers new-yorkais impliqués dans l'affaire Louima. En outre, les agents chargés de l'application des lois commettant des infractions de ce genre, encourent aussi des poursuites au niveau de l'État et peuvent faire l'objet de mesures disciplinaires.

12.La Division des droits civiques est aussi chargée d'appliquer une loi de 1994 qui interdit aux agents agissant pour le compte des États ou des autorités locales d'avoir un comportement qui porte atteinte à des droits garantis par la Constitution ou la législation. Parmi ces conduites proscrites figurent le recours excessif à la force, les brimades à caractère discriminatoire, les arrestations arbitraires, la contrainte sexuelle et les interpellations ou fouilles illégales. S'il s'avère qu'un service de répression recourt systématiquement à des pratiques illicites, le Département de la justice peut engager des poursuites à son encontre et demander à un tribunal fédéral d'ordonner qu'il soit mis fin à ces pratiques et que son mode de fonctionnement soit réformé; les particuliers peuvent aussi intenter une action et être indemnisés au titre d'autres textes en vigueur au niveau fédéral ou au niveau des États. M. Yeoman évoque plusieurs actions de ce type intentées par le Ministère de la justice à l'encontre notamment des services de police de Pittsburgh et de Steubenville, ainsi que contre la police de l'État du New Jersey à qui il a été enjoint de ne plus procéder aux contrôles routiers et aux fouilles en fonction de critères raciaux. La Division des droits civiques enquête actuellement sur les pratiques de certains services de police qui recourraient de façon excessive à la force; ces enquêtes concernent notamment la police de Los Angeles, de la Nouvelle‑Orléans et de New York. Son action dans ce domaine s'appuie sur le principe selon lequel il n'est pas tolérable que des policiers profitent de leur statut pour maltraiter des particuliers ou se laisser guider par des préjugés raciaux. La Division des droits civiques s'intéresse aussi au mode de fonctionnement des établissements pénitentiaires et, depuis la promulgation de la loi intitulée Civil Rights of Institutionalized Persons Act de 1980, elle a en outre enquêté sur plus de 300 établissements divers situés dans différents États et autres territoires de l'Union; grâce à son intervention, des dizaines de milliers de personnes placées dans des institutions et qui vivaient dans des conditions effroyables bénéficient maintenant de soins et de services adéquats. La Division a axé son travail sur la prévention des mauvais traitements et abus, sur la mise en place de services de santé physique et mentale adéquats, sur l'hygiène et la sécurité anti‑incendie. C'est ainsi qu'en 1997, certains établissements ont reçu des directives touchant les traitements médicaux, les mesures de contrainte et l'usage de substances psychotropes sur des personnes souffrant de handicap mental. La même année, à l'issue d'une action en justice, la Division a obtenu que la prison de l'État du Montana prenne des mesures pour protéger les détenus vulnérables contre des détenus agressifs. Ces dernières années, ses travaux se sont aussi axés sur les mauvais traitements et la négligence constatés dans des établissements de soins et des établissements accueillant des mineurs, sur les violences sexuelles aux prisonnières, sur l'enseignement dans les établissements hébergeant des enfants et des adolescents et sur la santé mentale des prisonniers et des prévenus. Jusqu'à présent, elle est parvenue à résoudre la grande majorité des problèmes révélés par ses enquêtes, en obtenant la collaboration des établissements en question ou en imposant des réformes par la voie judiciaire. Si des agents de l'État ou des administrations locales se refusent à corriger les insuffisances et dysfonctionnements constatés ou à résoudre les problèmes par voie d'accord, la loi autorise l'Attorney général à intenter une action auprès d'un tribunal fédéral.

13.Une loi de 1998 a rendu obligatoire la mise en place d'une réglementation propre à assurer l'application des dispositions de l'article 3 de la Convention par les États-Unis. En février 1999, le Département de la justice a édicté un règlement provisoire instituant des procédures de recours pour tout étranger voulant éviter d'être envoyé dans un pays où il craint d'être torturé; en vertu de ce règlement, un juge de l'immigration doit examiner, à l'occasion de la procédure d'expulsion, la demande de protection présentée au titre de la Convention. Grâce à ce règlement provisoire, les décisions prises devraient être équitables et adaptées à chaque cas.

14.Le PRÉSIDENT prenant la parole en tant que rapporteur pour les États-Unis, remercie la délégation pour son exposé instructif et pour un rapport fort complet et très clair. Il en ressort que les États-Unis ont su mettre en place tout un arsenal de protections juridiques qui sont incorporées à la Constitution fédérale et aux constitutions des États ainsi que dans la commonlaw. La protection conférée par la loi aux personnes arrêtées est bien définie et satisfaisante : accès à un avocat, habeas corpus en toutes circonstances, délai de présentation au magistrat instructeur, etc. M. Burns souhaiterait simplement s'entendre confirmer que la personne arrêtée peut également, au début de la garde à vue, contacter un proche et le cas échéant, un médecin. En tout état de cause, non seulement le rapport brosse un tableau très satisfaisant de la situation en ce qui concerne les garanties juridiques, mais il évoque aussi les problèmes qui subsistent, ce que peu d'États se montrent disposés à faire.

15.M. Burns ne s'explique pas pourquoi le rapport (CAT/C/28/Add.5) a été soumis avec cinq ans de retard. Il note que l'État partie n'a pas émis de réserve en ce qui concerne l'article 20 de la Convention, ce qui est positif, mais qu'il n'a pas fait non plus la déclaration prévue à l'article 22, ce qui est regrettable. Par ailleurs, lors de la ratification de la Convention, les États‑Unis ont fait des déclarations interprétatives à propos de la définition de la torture, d'où il ressort notamment que la torture mentale désigne, pour l'État partie, une "atteinte durable" à l'intégrité mentale : on ne peut que s'interroger sur les raisons qui justifient cette notion de durée.

16.Les articles premier à 16 de la Convention ne sont pas directement applicables en droit interne mais, est‑il indiqué, leurs dispositions font néanmoins indirectement partie du système juridique des États-Unis. Puisque tel est le cas, ne serait‑il pas préférable de les rendre directement applicables, afin que les particuliers puissent les invoquer à l'appui d'une action en justice ?

17.Le non‑renvoi de personnes vers un pays où elles risquent d'être torturées est devenu un aspect important des travaux du Comité, et il semble que l'État partie s'acquitte bien de ses obligations au regard de l'article 3 de la Convention, le Service de l'immigration et de la naturalisation ayant été dûment instruit de ses devoirs à cet égard. Toutefois, selon l'interprétation donnée par les États-Unis de cet article, la personne qui demande à ne pas être expulsée doit démontrer que "la probabilité qu'elle soit torturée est plus forte que la probabilité contraire" (par. 58 du rapport) : ce n'est pas ainsi que le Comité comprend "les motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture", aux termes de l'article 3; dans certaines circonstances particulières, la réalité du risque peut dépasser la notion de probabilité et M. Burns voudrait savoir pourquoi l'État partie a opté pour une norme aussi stricte, qui n'est pas conforme à la doctrine du Comité.

18.Il est indiqué dans le rapport que la torture est passible de sanctions pénales dans tous les États de l'Union et que de tels actes peuvent faire l'objet de poursuites, par exemple en tant qu'agressions, voies de fait, homicide, etc., certains États ayant en outre introduit des circonstances aggravantes lorsque ces actes sont accompagnés de torture. Toutefois, le Comité souhaite que les États parties reprennent dans leur législation pénale la définition de la torture énoncée à l'article premier plutôt que de donner leur propre interprétation de cette notion. En effet, faute de cette définition, les États ne sont pas en mesure de remplir correctement leur obligation de faire rapport, puisque les renseignements à communiquer supposent la collecte de données précises. Outre que les États-Unis ne sont pas encore dotés d'un organisme capable de réunir ces données, la structure de la démocratie américaine, fondée sur la délégation d'autorité à de multiples échelons jusqu'au niveau local, ne facilite pas cette collecte et pour obtenir des renseignements cohérents et utilisables, les termes employés doivent être précis, dépourvus de jugements de valeur subjectifs, et par conséquent fondés sur une définition uniforme.

19.Une autre raison pour laquelle il est important de reprendre les termes de l'article premier de la Convention est que les actes constitutifs de la torture ne sont pas simplement des violences; au sens de cet article, la torture suppose aussi que l'agent de l'autorité inflige délibérément des souffrances à certaines fins, telles que l'extorsion d'aveux. Cela est moralement différent du simple recours à la violence et lorsque l'on ne reprend pas la définition de l'article premier, on met de côté, sciemment ou non, cet élément moral. Or rien ne s'oppose apparemment dans la Constitution américaine, à la qualification au niveau fédéral d'un crime de torture : M. Burns voudrait connaître les raisons de cette lacune.

20.Au paragraphe 26 du rapport, il est fait mention de toute une série d'organismes qui sont chargés de l'application de la loi et que les autorités fédérales doivent veiller à informer de leurs obligations. Certains corps ne sont pas mentionnés, par exemple la Central Intelligence Agency : il serait cependant important de savoir quelles directives et quelle formation reçoivent les personnes recrutées par la CIA et d'autres services de renseignements, en matière de techniques d'interrogatoire par exemple. Par ailleurs, s'agissant des forces armées, M. Burns demande quelles mesures sont prises par les autorités pour obtenir l'élimination de certaines formes de traitements dégradants et de sévices parfois infligés sous prétexte de bizutage.

21.Au paragraphe 70 de son rapport, l'État partie reconnaît les sévices, les brutalités et le recours injustifié ou excessif à la force imputables à la police. Ce qui est alarmant, ce sont les moyens et les techniques utilisés et notamment les matraques et les ceintures électriques. Dans un rapport adressé au Comité contre la torture, Amnesty International décrit en détail ces moyens et indique que des accidents graves ont été signalés. La question se pose de savoir si l'administration d'une décharge électrique, même brève, de 50 000 volts ne constitue pas un traitement cruel ou inhumain. Un autre phénomène alarmant est l'absence de poursuites contre les agents de la force publique qui commettent des abus, lesquels restent donc impunis. Un des principaux objectifs de la Convention étant de mettre fin à l'impunité des tortionnaires, il serait utile de savoir quelles sont les mesures prises par les autorités des États-Unis pour remédier à cette situation.

22.Une des questions cruciales à laquelle la délégation de l'État partie pourra répondre est celle de savoir quelle est la position des États-Unis en ce qui concerne la responsabilité dans la chaîne de commandement, car selon l'interprétation du Gouvernement des États-Unis, l'État ne

peut être tenu responsable d'un acte de torture que s'il savait au préalable que cet acte allait être commis et qu'il avait la possibilité de contrôler physiquement son auteur.

23.S'agissant des articles 5 à 7 de la Convention, il convient de signaler que les États-Unis ont mis en place un vaste dispositif juridictionnel qui leur permet d'engager des poursuites contre leurs citoyens qui se rendent coupables d'actes de torture, que ce soit dans leur pays ou à l'étranger. Toutefois il faut savoir si cette juridiction s'étend aussi aux actes commis par les nationaux d'autres États. M. Burns souhaiterait entendre en particulier le commentaire de l'État partie au sujet de deux cas dont ont récemment fait état des organismes de défense des droits de l'homme. Le premier concerne un officier de l'armée péruvienne qui aurait commis de nombreux actes de torture dans son pays. Après qu'une plainte eut été déposée contre lui aux Etats-Unis, il aurait été arrêté à l'aéroport de Houston puis libéré et autorisé à quitter le pays au motif qu'il jouissait de l'immunité de poursuites. Or selon les organismes de défense des droits de l'homme qui ont soulevé cette affaire, l'intéressé n'était pas un agent diplomatique. Dans ces circonstances, il y a lieu de se demander comment l'immunité a pu lui être accordée et s'il n'y a pas eu violation non seulement des dispositions de la Convention mais aussi des règles du droit international coutumier. En outre, la délégation de l'État partie a indiqué qu'en vertu de la Constitution, il était possible de criminaliser certains actes portant atteinte au droit international tels que la piraterie. La torture fait-elle aussi partie de ces actes ?

24.La deuxième affaire évoquée par des organismes de défense des droits de l'homme concerne un ressortissant haïtien qui aurait torturé des détenus à l'époque où il était officier supérieur dans la police haïtienne, sous le régime de Duvalier. Il a été affirmé que lors d'un voyage de l'intéressé aux États‑Unis, les autorités de ce pays ont refusé de l'extrader vers Haïti malgré les demandes pressantes du Gouvernement haïtien et l'ont au contraire envoyé dans un lieu sûr où il serait à l'abri des poursuites. Selon les organismes qui ont soulevé le problème, la personne en question était à la solde de la CIA pendant qu'elle exerçait ses fonctions au sein de la police haïtienne. Si ces affirmations sont vraies, il y a eu violation des dispositions de la Convention qui font obligation à tous les États parties de juger ou d'extrader les tortionnaires. Quel commentaire la délégation des États-Unis peut-elle faire à propos de ces allégations ? De plus, il est indiqué au paragraphe 198 du rapport de l'État partie que jusqu'à présent, il n'y a eu aucun cas d'extradition vers un autre pays concernant des actes de torture ou des infractions en rapport avec la torture, ce qui appelle une confirmation.

25.En ce qui concerne l'article 10 de la Convention, l'État partie décrit en détail dans son rapport les nombreuses mesures prises aussi bien par le Gouvernement fédéral que par les États dans le domaine de l'éducation. M. Burns voudrait savoir si les étudiants en médecine reçoivent une formation qui leur permette de repérer les séquelles de la torture et d'apporter les soins nécessaires aux victimes. Les membres de la délégation de l'État partie ont, par ailleurs, certainement reçu un exemplaire du rapport soumis par le Rapporteur spécial sur la torture (E/CN.4/2000/9). Au paragraphe 1114 de ce rapport, le Rapporteur spécial rappelle au Gouvernement des États-Unis qu'il n'a pas répondu en ce qui concerne plusieurs cas qui lui avaient été soumis en 1995, en 1997 et en 1999. Quelles sont les raisons de ce silence ?

26.M. EL MASRY (Corapporteur pour les États-Unis) dit qu'il a pris acte avec satisfaction du décret du Président Clinton sur l'application des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, dans lequel l'État partie s'engage à s'acquitter de toutes les obligations qui lui incombent en vertu des instruments auxquels il est partie. Il tient également à rappeler que les États-Unis sont la principale source de financement du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture. Cela dit, certains sujets de préoccupation au regard des dispositions de la Convention subsistent. Il y a notamment les violences physiques et sexuelles commises à l'encontre des prisonniers par le personnel pénitentiaire et d'autres prisonniers, le fait que les gardiens de prison de sexe masculin peuvent accéder sans aucune surveillance aux femmes détenues, le traitement des malades mentaux et des migrants illégaux en détention, la discrimination raciale dont sont victimes les membres des minorités et les conditions excessivement dures et les procédures extrêmement rigides auxquelles sont soumises les personnes emprisonnées dans des établissements de très haute sécurité, et enfin, les mauvais traitements dont sont victimes les enfants en détention et le fait que le nombre d'enfants placés dans les mêmes cellules que les adultes a, selon le Ministère de la justice des États-Unis, plus que doublé entre 1995 et 1997.

27.En ce qui concerne les articles 11 à 16 de la Convention, il y a lieu d'appeler l'attention sur les informations détaillées fournies dans le rapport au sujet des dispositions du Cinquième amendement des États-Unis concernant l'auto-accusation et de la règle, imposée par la Cour suprême, permettant aux détenus de garder le silence et d'être interrogés en présence d'un avocat. Mais selon les informations dont dispose le Comité, il y a des cas où ces garanties ne sont pas respectées. Particulièrement alarmantes sont les informations indiquant que des enfants sont placés en détention par la police et interrogés à propos de crimes graves sans qu'ils aient accès à un avocat et en l'absence de leurs parents. En outre, certains mineurs auraient été condamnés à mort à la suite de procès durant lesquels leurs aveux obtenus sous la contrainte ont été utilisés comme preuve à charge. L'État partie est tenu de prendre des mesures pour combattre ces pratiques qui sont contraires à l'Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l'administration de la justice pour mineurs et de garantir la protection des enfants qui ont affaire avec la justice. De même, les engagements pris par l'État partie en vertu des articles 11 et 16 de la Convention doivent être respectés. Il faut en particulier interdire les moyens de contraintes mécaniques et chimiques qui sont dangereux et cruels et de faire en sorte que ceux de ces moyens qui ne le sont pas ne soient utilisés qu'en cas d'extrême nécessité. Le Comité reçoit de plus en plus d'informations indiquant que des prisonniers ont été torturés et brutalisés au moyen d'instruments envoyant des décharges électriques. Selon certaines sources, des détenus auraient même trouvé la mort à la suite de l'utilisation de ces moyens de contrainte. Le Comité doit savoir si les autorités ont ouvert une enquête pour évaluer les effets de ces moyens. Est-il exact que 11 personnes sont mortes après avoir été immobilisées sur des chaises de contention et que ces chaises sont également utilisées dans les centres de détention pour mineurs et par le Service de l'immigration et des naturalisations ?

28.L'isolement de longue durée est également inquiétant. Plus de 20 000 prisonniers, dont de nombreux malades mentaux, sont détenus dans des quartiers dits de très haute sécurité. Nombre d'entre eux passent de nombreuses années, voire exécutent toute leur peine, dans ces quartiers. Des prisonniers seraient même soumis à ce type d'incarcération pour des infractions mineures aux règles de discipline. Ces pratiques, qui sont de toute évidence contraires à l'article 16 de la Convention et à l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, ont été dénoncées par les organes internationaux de protection des droits de l'homme et, notamment, par le Rapporteur sur la question de la torture. Il incombe à l'État partie de faire en sorte qu'aucun prisonnier ne soit maintenu à l'isolement pendant une période excessive. De même les critères régissant le placement des détenus dans des quartiers de très haute sécurité doivent être revus d'urgence.

29.L'absence de mécanismes d'enquête indépendants constitue un obstacle majeur à la réalisation d'investigations impartiales. La plupart des prisonniers qui veulent dénoncer le traitement auquel ils sont soumis doivent adresser leur plainte aux autorités pénitentiaires elles‑mêmes. Rares sont les États qui disposent d'organes de surveillance extérieurs. En conséquence le tribunal fédéral est actuellement la seule instance qui puisse assurer une surveillance effective des conditions carcérales. Or le processus est long et onéreux. M. El Masry voudrait savoir à ce propos si l'État partie a l'intention de mettre en place des organes de supervision indépendants, habilités à examiner les plaintes pour mauvais traitements déposées par des prisonniers et à surveiller les conditions dans tous les centres de détention.

30.En ce qui concerne l'application de l'article 14 de la Convention, l'État partie indique dans son apport que "toute personne soumise à la torture aux États‑Unis bénéficie du droit à réparation et du droit juridiquement reconnu de recevoir une indemnité juste et suffisante...". Or la loi de 1996 portant la réforme des procédures de plainte des personnes privées de leur liberté (Prison Litigation Reform Act) limite considérablement la marge de manœuvre des prisonniers qui veulent demander réparation. En les obligeant à apporter la preuve qu'ils ont été victimes d'un préjudice corporel, cette loi les empêche d'intenter une action pour préjudice psychologique. Cette exigence va à l'encontre de l'article premier de la Convention où la torture est définie comme "tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales sont intentionnellement infligées".

31.M. CAMARA félicite le Gouvernement, par l'intermédiaire de sa délégation, d'avoir établi un rapport particulièrement franc et complet. Toutefois - et c'est un paradoxe constant - plus un État s'efforce d'apporter une réponse anticipée aux questions qui peuvent être soulevées par le Comité, plus son rapport suscite d'interrogations. Comme il est indiqué au paragraphe 40 du document de base (HRI/CORE/1/Add.49), qui présente les institutions des États-Unis, "la Constitution est au‑dessus de toutes les autres lois et des décisions et règlements de l'exécutif, traités y compris", ce qui pose la question des conditions dans lesquelles les États-Unis s'acquittent de leurs obligations internationales. Aux paragraphes 302 et 303 du rapport initial, il est fait état des réserves exprimées à l'égard de l'article 16 de la Convention contre la torture, compte tenu des contraintes imposées par le caractère fédéral de leur système. Or au regard d'un traité international le sujet de droit est les États-Unis, et c'est à ce sujet de droit, au Gouvernement fédéral, que le Comité s'adresse quand bien même ses compétences ont des limites par rapport aux États fédérés. Par ailleurs, l'article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités dispose qu'un État partie à une convention ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité. Le Comité ne peut donc pas accepter que l'État partie excipe de son caractère fédéral pour ne pas remplir toutes ses obligations. En outre, la Convention contre la torture ne prévoit qu'un seul cas de réserve, énoncé à l'article 28 et qui porte sur l'article 20. Il n'est donc pas possible d'émettre une réserve vis‑à‑vis de l'article 16 puisque la Convention règle elle‑même la question des réserves et que le régime général des réserves en droit international public ne peut s'appliquer.

32.Le sujet ne semblant pas être abordé dans le rapport, M. Camara demande quel est le sort réservé aux demandeurs d'asile à leur arrivée dans le pays. Les demandeurs d'asile sont‑ils retenus ou libres d'aller et venir ?

33.M. HENRIQUES GASPAR souhaite la bienvenue à la délégation des États‑Unis et remercie les autorités américaines d'avoir soumis un rapport aussi complet, détaillé et franc, révélant les principes d'ouverture, de transparence et de démocratie qui sont l'apanage de la nation américaine. Comme M. Camara, il s'inquiète de la déclaration interprétative portant sur l'article premier de la Convention et de la réserve formulée en ce qui concerne l'article 16, qui portent sur des dispositions fondamentales de la Convention et risquent d'en compromettre l'application.

34.En ce qui concerne le surpeuplement carcéral, décrit avec franchise dans le rapport, M. Henriques Gaspar a lu dans la presse internationale que le taux de peuplement des prisons américaines était 10 fois supérieur au taux le plus élevé observé dans les prisons européennes, voire 12 fois plus élevé au Texas et 16 fois plus élevé en Californie. S'il n'est pas dans les compétences du Comité de se pencher sur la politique de l'État partie en matière criminelle, il lui appartient bien de souligner les risques de mauvais traitements, de traitements inhumains ou dégradants pour les détenus, qui sont proportionnels à l'augmentation de la population carcérale. Cette situation justifie que les autorités américaines réfléchissent à leur politique en matière de criminalisation qui est à l'origine d'un taux d'incarcération excessif. En ce qui concerne les articles 11, 12 et 13 de la Convention, il serait utile d'avoir des précisions sur le problème de la privatisation du système carcéral, qui découle lui aussi de la politique de criminalisation. Il est difficile d'imaginer que l'État partie puisse exercer pleinement la fonction de contrôle qui lui incombe en vertu des articles 11 et 12 de la Convention sur des sociétés privées très puissantes, dont le but est par définition de gagner de l'argent.

35.Le rétablissement de la pratique des groupes de prisonniers enchaînés, mentionné au paragraphe 334 du rapport, est consternant. L'image des forçats entravés appartient au XIXe siècle et ne devrait être vue aujourd'hui qu'au cinéma.

36.En ce qui concerne l'article 16 et la portée de la réserve émise, M. Henriques Gaspar demande si l'on ne peut pas qualifier de traitement inhumain ou de peine disproportionnée l'expulsion d'un étranger qui a passé plus de 40 ans aux États‑Unis, a fondé une famille et a un emploi, mais qui a conservé un lien exclusivement formel avec l'État dans lequel il est né, et se trouve frappé d'une mesure d'expulsion pour avoir commis une infraction mineure 10 ans auparavant.

37.Enfin, M. Henriques Gaspar voudrait des renseignements sur les moyens mis en œuvre pour faire connaître la Convention car il a été étonné de constater, à l'occasion de séminaires auxquels il a participé dans des facultés de droit au Massachusetts et à Washington, à quel point l'existence de la Convention contre la torture et la possibilité d'invoquer l'article 16 étaient mal connues.

38.M. YAKOVLEV, comme les autres membres du Comité, estime que le rapport traite d'un vaste éventail de problèmes et formule ouvertement des critiques, ce qui donne une impression positive. Le Comité est conscient de l'étendue des problèmes liés à l'augmentation de la criminalité aux États‑Unis. Il importe donc particulièrement dans ce contexte de prendre des mesures qui soient efficaces tout en garantissant le respect absolu des droits de l'homme et de la légalité.

39.M. Yakovlev demande des précisions au sujet de quatre lois promulguées récemment aux États‑Unis. En ce qui concerne tout d'abord la loi intitulée Illegal Immigration Reform and Immigrant Responsability Act de 1996, étant donné que l'afflux d'immigrants constitue un énorme problème aux États-Unis, on peut se demander comment l'État peut préserver sa souveraineté sans enfreindre les droits des individus, en particulier eu égard à la Convention contre la torture. Le Comité a été informé que cette loi ne reconnaît pas que la torture constitue en soi un motif suffisant pour refuser de renvoyer un étranger dans son pays d'origine et souhaiterait des précisions à ce sujet. Selon certaines informations, l'Antiterrorism and Effective Death Penalty Act, réduit considérablement le pouvoir des tribunaux fédéraux de réviser les décisions entachées d'erreur rendues par les juridictions des États, ce qui compromet la mise en œuvre du droit à un jugement équitable. Il serait utile d'avoir des précisions sur cette loi étant donné que l'expérience montre que la réaction des États face au terrorisme, si justifiée soit-elle, doit toujours s'accompagner de mesures garantissant le respect d'une procédure équitable. La loi intitulée Prison Litigation Reform Act prévoit qu'avant de pouvoir intenter une action devant un tribunal fédéral, tout détenu doit avoir épuisé tous les recours administratifs et prouvé qu'il a subi un préjudice physique. Or cette loi vise les individus privés de liberté, à qui par conséquent, toutes les voies ne sont pas ouvertes et elle limite donc le droit des détenus de porter plainte. En outre, elle ne prévoit que les préjudices physiques alors que la torture mentale peut être parfois plus difficile à supporter que la torture physique. Le Comité souhaiterait des éclaircissements à ce sujet car les États‑Unis ont subordonné la ratification de la Convention contre la torture à diverses réserves, dont l'une porte sur la définition de la torture, qui doit être entendue comme visant seulement les traitements physiques. M. Yakovlev serait reconnaissant à la délégation de lui fournir des explications.

40.M. RASMUSSENsouhaite la bienvenue à la délégation américaine. Il remercie le Gouvernement des États‑Unis pour son rapport, dont les qualités ont déjà été relevées par les autres membres du Comité, et qui fait état des problèmes auxquels l'État partie est confronté.

41.La question du surpeuplement carcéral, déjà traitée précédemment, qui empêche les prisonniers d'avoir des activités intéressantes, comme de suivre des cours, est étroitement liée au problème de la violence entre détenus, que les autorités pénitentiaires ont la responsabilité d'empêcher. Quelles mesures le Gouvernement américain a-t-il prévues pour atténuer ce problème ? Envisage-t-il par exemple des mesures de substitution à l'incarcération ? La question de la détention des mineurs a déjà été traitée mais il souhaite insister sur la nécessité de séparer les mineurs des adultes. Les établissements de très haute sécurité devraient être supprimés car cette forme d'incarcération constitue un traitement inhumain et dégradant et a de plus des effets dommageables graves sur la santé mentale. Mais, en attendant l'abolition de ces établissements, il serait bon de connaître le nombre de détenus incarcérés dans ces établissements et la durée de leur détention. Il serait également utile de connaître la procédure qui conduit à condamner à un tel régime et de savoir s'il est possible de revenir à un régime ordinaire et dans quels délais. Une description de la procédure permettant aux prisonniers des établissements de très haute sécurité de dénoncer les mauvais traitements serait également bienvenue.

42.M. Rasmussen se félicite des activités mises en œuvre en matière d'éducation, en application de l'article 10 de la Convention, ainsi que des mesures qui ont été prises en faveur de la réadaptation des victimes de la torture. Il demande s'il existe une formation particulière pour les médecins pénitentiaires et quelle procédure ils doivent suivre lorsqu'ils décèlent des signes de mauvais traitements infligés par les membres des forces de police.

43.M. MAVROMMATIS remercie les autorités américaines de leur excellent rapport caractérisé par sa franchise, et qui fait état de mises en œuvre concrètes. Toutefois, le rapport initial est présenté avec cinq ans de retard et, compte tenu de la périodicité fixée par la Convention, l'État partie aurait dû soumettre son deuxième rapport périodique en 1999. Les autorités américaines, qui disposent de tout le personnel compétent nécessaire, doivent pouvoir donner de bonnes raisons pour justifier un tel retard.

44.Les États-Unis ont considérablement contribué à la promotion et à la protection des droits de l'homme sur le plan international et obtiennent de très bons résultats dans ce domaine. Il est donc regrettable qu'ils s'emploient, par des réserves et déclarations interprétatives, à mettre la Convention contre la torture en conformité avec leur propre législation, alors qu'il vaudrait mieux adopter l'attitude inverse et donner aux citoyens la protection supplémentaire accordée par les instruments internationaux. M. Mavrommatis espère que les États‑Unis envisageront de retirer les réserves qu'ils ont émises. Il engage aussi vivement l'État partie à accepter au moins de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers. Cette démarche renforcerait la protection des citoyens et serait édifiante pour d'autres États parties.

45.M. YU Mengjia souhaite la bienvenue à la délégation américaine et la remercie de sa présentation orale. Il se félicite de voir que les États-Unis s'efforcent d'améliorer la situation en vue de se conformer aux dispositions de la Convention contre la torture.

46.Dans leur rapport il est indiqué avec franchise que les États-Unis ont la population carcérale la plus nombreuse au monde mais rien n'est dit des raisons qui peuvent expliquer cette situation d'autant plus critique que le surpeuplement carcéral est une cause de torture et de mauvais traitements. Il ressort des informations portées à la connaissance du Comité que moins de 1 % des 12 000 plaintes enregistrées a donné lieu à des poursuites pénales et que le pourcentage de condamnations est encore plus faible et qu'il semble régner aux États-Unis une certaine impunité. Des éclaircissements sont nécessaires à ce sujet. Pour ce qui est des traitements infligés aux détenus, M. YU Mengjia a appris avec consternation que des femmes incarcérées accouchaient avec les menottes aux poignets et demande si la pratique est courante et si les autorités prévoient des mesures en vue de la faire cesser. Le rapport décrivant sur le ton de la neutralité le phénomène des groupes de prisonniers enchaînés, il est difficile de savoir si les États-Unis acceptent cette pratique ou s'ils la considèrent au contraire comme un traitement anormal. Comme il a déjà été souligné, l'incarcération de mineurs dans les mêmes locaux que les adultes est préoccupante. Dans le rapport les autorités américaines font valoir des difficultés financières mais seuls les pays pauvres peuvent avancer cet argument qui appelle des observations.

47.Enfin, il serait souhaitable que dans le rapport annuel que le Département d'État établit sur la situation des droits de l'homme pays par pays, une partie soit consacrée aux États-Unis, en application du principe d'universalité, et à des fins de comparaisons utiles aux lecteurs.

48.Le PRÉSIDENT demande à la délégation américaine si elle peut confirmer les allégations d'ONG selon lesquelles des demandeurs d'asile et des immigrants clandestins seraient gardés en détention dans les mêmes centres que les prisonniers et quelquefois même dans des centres de haute sécurité. Il voudrait savoir aussi s'il est exact que des jeunes qui ont été condamnés à mort alors qu'ils avaient moins de 18 ans, ou en tout cas qu'ils étaient mineurs puisque cet âge varie selon l'État concerné, sont sur le point d'être exécutés. Compte tenu de l'interprétation de l'article premier de la Convention par les États-Unis, le Président demande si, dans le cas où le Gouvernement fédéral ou le gouvernement d'un État délègue à une entreprise privée la création et la gestion d'une prison, l'État partie considère que cela exclut toute responsabilité pénale pour les agents de l'État qui adopteraient dans ces établissements un comportement contraire aux dispositions de la Convention. En conclusion, il remercie la délégation pour son ouverture d'esprit et sa bonne volonté qui lui ont valu une multitude de questions de la part des membres du Comité.

49.M. KOH (États-Unis d'Amérique) dit que le rapport des États-Unis a été soumis avec retard car le processus d'élaboration d'un tel rapport exige beaucoup de temps. En effet, les informations ont été recueillies auprès de différents organes administratifs et judiciaires des 50 États de la Fédération. Il espère toutefois qu'une meilleure coopération interinstitutionnelle permettra d'accélérer l'élaboration de ce rapport à l'avenir.

50.Si les États-Unis ne figurent pas dans le rapport annuel publié chaque année par le Département d'État, c'est parce que le but de ce rapport est de donner aux États-Unis, principal pays donateur d'aide, un bilan annuel de la situation en matière de droits de l'homme par pays pour que le Congrès puisse être informé des décisions à prendre dans ce domaine.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 20.

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