Nations Unies

CAT/C/SR.1051/Add.1

Convention contrela torture et autres peinesou traitements cruels,inhumains ou dégradants

Distr. générale

1er décembre 2011

Original: français

Comité contre la torture

Quarante-septième session

Compte rendu analytique de la deuxième partie (publique)* de la 1051eséance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 22 novembre 2011, à 15 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Réunion de consultation avec des parties prenantes sur le projet d’Observation générale concernant l’article 14 de la Convention

La deuxième partie (privée) de la séance commence à 16 h 5.

(CAT/C/47/GC/R.1)

1.Le Président souhaite la bienvenue aux représentants des États parties et des organisations de la société civile qui participent à la réunion. Il souligne que les Observations générales ont pour objectif d’aider les États parties et les particuliers qui soumettent des communications au Comité à mieux comprendre les obligations découlant des dispositions de la Convention, notamment certains principes juridiques qui ne sont pas expressément définis dans cet instrument. En outre, elles favorisent la transparence, en faisant connaître aux parties prenantes les critères sur lesquels le Comité se fonde pour apprécier la façon dont les États parties s’acquittent de leurs obligations.

2.Le Comité a débattu du projet au cours de sa précédente session et, en juin 2011, il l’a publié sur son site Web et invité toutes les parties prenantes à lui soumettre des observations écrites. Ses attentes ont été plus que satisfaites puisqu’il a reçu 25 communications. Il tenait toutefois aussi à rencontrer les parties prenantes dans le cadre de l’une de ses sessions pour qu’elles puissent lui présenter oralement leurs remarques et suggestions, et c’est à ce titre que la présente réunion a été organisée.

3.M. Alhama (Espagne) dit que l’Espagne approuve dans l’ensemble le contenu du projet d’Observation générale. Toutefois, le lien que le Comité établit aux paragraphes 33 et 35 du projet entre l’imprescriptibilité de toutes les formes de torture et l’interdiction d’amnistier les auteurs de ces actes pose problème. En effet, la Convention ne prévoit pas de disposition instituant l’imprescriptibilité des faits de torture. Conformément au droit international applicable, en particulier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, la législation espagnole dispose, elle, que les crimes contre l’humanité, le crime de génocide et les infractions contre les personnes et les biens protégés dans le contexte d’un conflit armé ne sont pas susceptibles de prescription. En vertu de l’article 607 bis du Code pénal, les actes de torture constitutifs de crimes contre l’humanité sont imprescriptibles.

4.La délégation espagnole partage les préoccupations du Comité concernant l’amnistie dont peuvent bénéficier des auteurs d’actes de torture, dont les paragraphes 35 et 36 du projet sont l’expression. Elle tient à souligner que la loi d’amnistie adoptée en 1977, à la fin de la dictature franquiste, avait pour objectif de libérer les détenus jugés et incarcérés en vertu de la législation antérieure. Comme le montre l’abondante jurisprudence en la matière, elle n’a jamais été appliquée à des faits de torture. L’Espagne considère donc que les remarques relatives aux lois d’amnistie figurant dans le projet d’Observation générale ne valent pas pour la loi d’amnistie de 1977.

5.M. Xia Jingge (Chine), relevant, à la lecture du paragraphe 20 du projet, que le Comité «estime que les obligations découlant de l’article 14 ne s’imposent pas à un État partie uniquement à l’égard des victimes de préjudices commis sur son territoire ou lorsque l’auteur ou la victime du préjudice sont des ressortissants de cet État partie», dit que le Gouvernement chinois estime que la réparation doit être accordée par l’État sur le territoire duquel une violation de la Convention a été commise et que l’exercice par un État de sa compétence à connaître des affaires de torture qui se sont produites sur le territoire d’un autre État risque de porter atteinte à la souveraineté de ce dernier. L’interprétation de l’article 14 de la Convention, faite à l’article 20 du projet, élargit l’étendue des obligations des États parties au-delà de ce qui était l’objectif premier de la Convention.

6.En ce qui concerne les obstacles à la réalisation du droit à réparation décrits au paragraphe 37 du projet, le Gouvernement chinois estime qu’il n’existe pas de lien de cause à effet entre l’immunité accordée à un État et à ses agents, qui est un principe de droit international reconnu par tous les pays, et l’impunité. La lutte contre l’impunité ne devrait pas servir de prétexte pour limiter la portée de l’immunité. En outre, la décision d’accorder une amnistie relève des prérogatives de tout État souverain et il n’y a pas lieu de s’ingérer dans la conduite des affaires intérieures des États.

7.La délégation chinoise estime que l’interprétation du terme «réparation» qui est donnée au paragraphe 2 du projet est excessivement large. La législation chinoise garantit le droit des victimes d’obtenir réparation du préjudice subi, aussi bien lorsque ce préjudice est le fait d’une personne que lorsqu’il n’y a pas d’auteur identifié. De même, les notions de «satisfaction» et de «garanties de non-répétition» ne sont pas considérées comme des formes de responsabilité délictuelle en droit chinois. Enfin, la délégation considère que la définition de la victime figurant au paragraphe 3 est aussi excessivement large. En vertu de la législation chinoise, on entend par «victime» la personne qui est directement touchée par un acte illégal et ce terme ne recouvre pas les proches immédiats ou des tiers. Enfin, une personne ne peut être qualifiée de victime que dans le cadre d’une procédure judiciaire.

8.M. Kjaerum(Conseil international de réadaptation pour les victimes de la torture − CIRT) dit que l’organisation non gouvernementale au nom de laquelle il intervient représente 140 centres de réadaptation pour les victimes de la torture présents dans plus de 70 pays. Beaucoup de victimes d’actes de torture et de mauvais traitements souffrent de graves séquelles physiques et psychiques et, si elles ne bénéficient pas de services de réadaptation dans les meilleurs délais, le traumatisme devient de plus en plus profond à mesure que le temps passe. Or, les procédures engagées contre les auteurs de ces actes sont généralement très longues et les victimes peuvent souffrir de graves traumatismes pendant des années sans avoir accès à des services de réadaptation adéquats. Le Conseil international de réadaptation pour les victimes de la torture (CIRT) recommande donc au Comité de préciser clairement dans le projet que les victimes devraient avoir le droit de bénéficier de services de réadaptation dès que leur qualité de victimes de la torture est reconnue.

9.Tout en se félicitant des précisions apportées au paragraphe 14 du projet, M. Kjaerum fait observer que les recommandations qui y sont formulées ne sont peut-être pas adaptées à toutes les situations et à tous les pays. Beaucoup de survivants de la torture sont réticents à l’idée de bénéficier de services de réadaptation fournis par l’État, lorsque celui-ci est responsable des actes qui leur ont été infligés. De même, beaucoup de centres de réadaptation n’aiment pas devoir compter sur le soutien financier des pouvoirs publics car ils craignent que cela fragilise leur indépendance. Le CIRT propose donc que certains critères soient utilisés pour définir les centres de réadaptation et en évaluer le fonctionnement. Ces critères seraient les suivants: la capacité à répondre aux besoins concrets des victimes, l’accessibilité des services et la sécurité des bénéficiaires et leur protection contre d’éventuelles représailles. Il conviendrait en outre de faire participer les victimes elles-mêmes à la mise au point des services de réadaptation. Enfin, le CIRT pense que les réflexions livrées aux paragraphes 30, 31 et 34 du projet, qui visent essentiellement les femmes, pourraient aussi valoir pour les groupes vulnérables visés au paragraphe 29 du projet. Il invite instamment le Comité à étudier la possibilité de faire en sorte que les initiatives et mesures en faveur des femmes recommandées dans les paragraphes susmentionnés couvrent également les catégories de personnes énumérées au paragraphe 29 du projet, par exemple en recommandant l’adoption de mesures spécifiques en faveur des enfants victimes de la torture.

10.M. Urstad(Norvège) dit que son pays se félicite de l’élaboration par le Comité d’un projet d’Observation générale sur l’article 14 de la Convention, qui contient des indications utiles sur la portée et l’application des dispositions pertinentes. Il assure le Comité que ce document sera examiné de près par toutes les parties prenantes en Norvège.

11.M. Splinter(Amnesty International) note avec satisfaction que, dans son projet, le Comité considère que toutes les formes reconnues de réparation devraient être disponibles et que l’indemnisation financière seule n’est pas une réparation suffisante pour les victimes de torture et de mauvais traitements. Il se félicite en outre de ce que le projet confirme que les États parties ont l’obligation de promulguer une législation afin de donner effet aux dispositions de l’article 14 de la Convention et accueille avec satisfaction la définition des victimes figurant au paragraphe 3 du projet. En effet, il est attesté que les enfants de survivants de la torture peuvent être gravement affectés par les séquelles des sévices infligés à leurs parents.

12.Amnesty International recommande au Comité de mentionner expressément que les États parties doivent offrir un recours utile aux victimes d’actes de torture et de mauvais traitements commis par des personnes qui ne sont pas des agents de l’État ou des entités privées. Étant donné qu’il n’est pas toujours possible d’identifier les auteurs et que les personnes reconnues responsables de violations de la Convention peuvent ne pas avoir les moyens d’indemniser pleinement les victimes, Amnesty International recommande au Comité d’exhorter les États parties à faire en sorte que les victimes bénéficient immédiatement de réparations et, le cas échéant, à prendre les mesures voulues pour obtenir une indemnisation de l’agent non étatique ou de l’entité privée responsable du préjudice. Amnesty International rappelle à cet égard la teneur du paragraphe 18 de l’Observation générale no 2 du Comité (CAT/C/GC/2), d’après lequel l’État partie peut être tenu responsable d’actes commis par des agents non étatiques ou du secteur privé s’il n’a pas «exercé la diligence voulue pour prévenir de tels actes, mener une enquête ou engager une action contre leurs auteurs».

13.Enfin, Amnesty International encourage le Comité à souligner que la réparation devrait avoir pour objectif de prévenir la répétition des violations de la Convention, en particulier celles perpétrées contre des femmes. Pour ce faire, la réparation devrait viser à changer les rapports de domination entre hommes et femmes qui ont favorisé la commission de violences fondées sur le sexe. Les personnes qui sont victimes de tortures spécifiquement liées à leur sexe devraient avoir accès à des mécanismes efficaces leur permettant d’obtenir réparation dans les meilleurs délais.

14.Mme Van Nes (Canada) rappelle que les Observations générales n’ont pas un caractère contraignant pour les États parties. Elle fait observer que certains éléments du projet mériteraient quelques éclaircissements. Le Comité voudra bien par exemple décrire plus précisément le type de réparation que les États parties devraient accorder aux personnes qui ont été victimes de torture à l’étranger et qui se sont ensuite établies sur leur territoire.

15.M. Gonin (Suisse) dit que la Suisse appuie globalement le projet d’Observation générale du Comité, mais souhaite formuler quelques observations sur certains points. Concernant la définition des victimes figurant au paragraphe 3 du projet, elle estime que, pour pouvoir être considérée comme couverte par les dispositions de l’article 14 de la Convention, la famille d’une victime de la torture doit pouvoir démontrer qu’elle a été elle-même victime de violations de l’article 16 de la Convention.

16.Concernant le paragraphe 20 du projet, la Suisse est d’avis que la responsabilité de l’État partie n’est pas engagée lorsque les actes de torture ont été commis à l’étranger par un auteur qui n’a aucun lien avec l’État partie concerné. Pour ce qui est de l’imprescriptibilité (par. 35), elle souscrit au point de vue exprimé par l’Espagne à ce sujet et estime qu’on ne saurait interpréter la Convention de façon à dire que les actes de torture sont imprescriptibles dans absolument tous les cas.

17.M. Townley(États-Unis d’Amérique) dit que l’article 14 de la Convention laisse aux États parties le soin de déterminer à leur discrétion la forme que peuvent prendre les réparations. Il estime que les États parties ne sont tenus d’indemniser les victimes de la torture que lorsque ces actes ont été commis sur un territoire sous leur juridiction.

18.MmeGuseva (Fédération de Russie) dit que la délégation est préoccupée par l’interprétation qui est faite de la notion de victime dans la définition donnée au paragraphe 3 du projet qui englobe des tierces personnes telles que les proches immédiats, les ayants cause de la victime et les personnes qui ont subi un préjudice en intervenant pour venir en aide à la victime. Une autre question qui se pose est la suivante: comment savoir si une personne peut être considérée comme une victime de la torture si l’auteur des actes qu’elle affirme avoir subis n’a pas pu être identifié et poursuivi?

19.M. Guillermet-Fernández(Costa Rica) se félicite du projet d’observation finale du Comité, dont le contenu est en harmonie avec certains éléments de la jurisprudence du système interaméricain des droits de l’homme, dont les garanties de non-répétition. Le Costa Rica ne s’est pas encore doté d’une législation spécifiquement consacrée à la torture, mais il est conscient qu’il doit légiférer en matière de réparation et adopter des programmes de réadaptation en faveur des victimes afin de donner effet à l’article 14 de la Convention.

20.La délégation costa-ricienne appelle l’attention du Comité sur la nécessité de mettre l’accent sur la formation et l’éducation dans le domaine des droits de l’homme et d’établir des liens entre ce qui est dit au paragraphe 16 du projet et le Programme mondial d’éducation dans le domaine des droits de l’homme. Enfin, elle invite le Comité à tirer parti de la présence des bureaux régionaux et nationaux du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme pour diffuser largement le projet et recueillir des commentaires auprès de toutes les parties prenantes dans tous les pays.

21.M. Last (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) indique que son pays étudie encore le projet d’Observation générale du Comité sur l’article 14 de la Convention et présentera peut-être des observations par écrit à l’avenir.

22.MmeTrochu (Organisation mondiale contre la torture) se félicite que le Comité ait précisé, dans son projet d’Observation générale, que l’obligation de réparation qui incombe aux États parties concerne à la fois la procédure et le fond et qu’il y ait envisagé la réadaptation de manière globale, sous ses formes sociale, juridique et médicale.

23.S’agissant du droit des enfants victimes d’actes de torture de former un recours et d’obtenir réparation, l’Organisation mondiale contre la torture considère que le Comité devrait prendre davantage en compte l’intérêt supérieur de ces enfants, leur droit à la participation et leur sensibilité particulière. Le texte final de l’Observation générale devrait inclure des directives adressées aux États parties sur l’accès des enfants victimes d’actes de torture à la justice, leur participation aux actions en justice et l’adoption de mesures de réadaptation ciblées. S’agissant de la torture perpétrée au nom de la lutte antiterroriste et des doctrines sécuritaires nationales, Mme Trochu souligne que le secret d’État et la sécurité nationale ne doivent pas empêcher les victimes d’exercer leur droit à un recours effectif ni d’obtenir réparation.

24.Le droit à réparation peut incomber à plus d’un État lorsque les agents d’un autre État ont commis ou autorisé des actes de torture, y ont participé ou les ont tolérés.

25.Le fait que les États engagent des entreprises paramilitaires ou de sécurité crée de nombreux obstacles pratiques et juridiques à l’exercice par les victimes de leur droit à un recours effectif et à réparation. Ces entreprises et les États qui les mandatent doivent donc être tenus responsables de leurs actes et les victimes doivent pouvoir leur demander réparation. Il conviendrait, d’autre part, que le Comité mentionne dans le projet non seulement le rôle de la police mais aussi la responsabilité du parquet.

26.Les communications adressées au CAT par des particuliers devraient être davantage prises en compte dans l’établissement du droit à un recours effectif et à réparation. À cet égard, il faut veiller à protéger des représailles les personnes qui déposent des plaintes devant les instances internationales. En outre, il faudrait que les États donnent effet aux décisions du Comité concernant les communications.

27.MmeJørgensen (Danemark) déclare que la difficulté des négociations sur le paragraphe 20 des résolutions relatives à la torture à l’Assemblée générale montre bien l’utilité d’un projet d’Observation générale sur l’article 14 de la Convention. Il faudrait que l’Observation générale comporte des directives adressées aux États Membres et aux différentes parties prenantes mais que ces directives ne soient pas trop détaillées, afin d’en faciliter l’application par les États Membres. La Norvège reviendra à cette question par écrit.

28.La Norvège souligne l’importance des résolutions de l’Assemblée générale sur la torture, en particulier de leur paragraphe 20. Même si elles ne sont pas contraignantes, ces résolutions sont la manifestation d’un consensus entre tous les États et sont plus détaillées à certains égards que les instruments internationaux.

29.La Norvège approuve la mention des femmes en tant que groupe vulnérable mais considère qu’il existe d’autres groupes vulnérables, comme les enfants. L’aide aux victimes étant prioritaire, la réadaptation doit intervenir immédiatement et ne pas dépendre d’une procédure judiciaire ou administrative, qui risque de prendre trop de temps. La Norvège pense, par ailleurs, que la liste de points sur lesquels le Comité demande aux États parties de donner des renseignements spécifiques dans leurs rapports sur la mise en œuvre de l’article 14 devrait plutôt figurer dans les directives sur l’établissement des rapports.

30.MmeDawkins (Australie) déclare que l’Australie juge préoccupante l’idée que l’obligation de réparation qui incombe aux États parties en vertu de l’article 14 ne s’impose pas uniquement à l’égard des victimes de préjudices subis sur leur territoire mais aussi de victimes d’actes commis sur le territoire d’un autre État par un fonctionnaire d’un autre pays. En droit, l’obligation de réparation incombe à l’État partie tenu pour responsable des actes de torture, comme le prévoit l’article 2 de la Convention. Tout en considérant que cette interprétation de l’article 14 n’empêche pas les États de prendre des mesures plus larges pour aider toutes les victimes d’actes de torture, où qu’ils se produisent, l’Australie encourage le Comité à veiller à ce que le texte final de l’Observation générale soit clairement fondé sur les obligations juridiques énoncées dans la Convention et à tenir compte de sa position au sujet de l’obligation de réparation en vertu de l’article 14.

31.Enfin, plutôt que de présenter le projet d’Observation générale comme une interprétation de l’obligation juridique inscrite dans la Convention, le Comité pourrait dire plus clairement que ce texte a pour but d’encourager les États à aller au-delà de leurs obligations.

32.MmeSceats (Freedom from torture) se félicite de l’accent mis par le Comité sur une approche globale de la réadaptation, comprenant une prise en charge médicale et psychologique ainsi que l’accès à des services juridiques et sociaux et tenant compte de la force et de la résilience de la victime. Le droit à une réparation n’étant pas un droit socioéconomique, elle approuve également l’affirmation par le Comité du fait que l’obligation pour les États d’assurer les moyens d’une réadaptation «aussi complète que possible» ne renvoie pas aux ressources dont les États disposent. L’accès des victimes aux services de réadaptation pouvant être entravé par de nombreux facteurs, Freedom from torture pense que le Comité devrait préciser que ces services doivent être accessibles dans les faits, adaptés aux besoins des victimes, notamment des femmes, des enfants et des familles, et mis en œuvre dans un cadre sûr et durable. Répondant aux observations faites par certains États Membres au sujet du paragraphe 20 du projet d’Observation générale, Mme Sceats déclare que l’obligation de réparation qui incombe aux États parties en vertu de l’article 14 ne devrait pas concerner uniquement les victimes d’actes de torture commis sur le territoire d’un État partie ou des actes commis par ou contre des ressortissants de cet État. Cette idée ressort clairement des textes préparatoires de la Convention contre la torture.

33.MmeFulton (Redress) se félicite de l’importance accordée par le Comité aux victimes de la torture dans son projet d’Observation générale, qui s’inspire des Principes fondamentaux et Directives concernant le droit à un recours et le droit à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire. Elle se rallie à l’avis de Freedom from torture sur le paragraphe 20 de l’Observation générale. Mme Fulton estime, d’autre part, que le Comité pourrait renforcer son texte en mettant l’accent sur la nécessité de prendre des mesures spéciales pour remédier aux problèmes généraux qui se posent dans l’administration de la justice, notamment les retards et la corruption, et empêchent les survivants d’obtenir réparation.

34.MmeFiner (Center for reproductive rights) se félicite de la prise en compte de la situation des femmes dans le projet d’Observation générale. Elle déclare que certaines des violations des droits génésiques des femmes et des filles commises dans le monde constituent des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ces violations ont des conséquences spécifiques qui doivent être prises en compte dans le cadre des procédures de réparation. Dans certains cas, notamment les stérilisations forcées, la restitution n’est pas possible. Mme Finer exhorte le Comité à prendre systématiquement en compte la nécessité de fournir des services répondant aux besoins spécifiques des femmes victimes de la torture sur les plans thérapeutique et sanitaire, conformément aux normes établies par les organismes mondiaux spécialisés. Elle l’exhorte également à souligner dans son projet d’Observation générale la nécessité de garantir, en droit et dans les faits, l’accès des femmes et des filles aux mécanismes permettant d’obtenir réparation.

35.MmeArizaga (CELS) déclare que pour que la réparation tienne compte des questions de genre, le concept de victime doit être élaboré en fonction de la problématique hommes-femmes. La liste des actes qui constituent une violation donne lieu inévitablement à une inclusion ou à une exclusion car elle sert à déterminer qui a droit à une réparation. Au paragraphe 29 du projet d’Observation générale, le Comité cite parmi les facteurs pouvant entraîner une discrimination le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité transgenre. Cependant les catégories correctes sont le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Mme Arizaga souligne qu’il faut enquêter sur les causes de la violence à l’égard des femmes et des filles. Elle pense aussi que le Comité devrait élargir sa réflexion sur les garanties de non-répétition en s’appuyant sur l’expérience de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, à qui le CELS a remis un document recensant de nombreuses pratiques optimales. Il y a lieu de souligner enfin que certaines conditions de détention violent l’intégrité physique et psychique de la personne et peuvent constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

36.M. Sands (Association pour la prévention de la torture) déclare que l’indemnisation financière et la restitution sont souvent des formes de réparation inadaptées pour les victimes de tortures et de mauvais traitements en raison du caractère irréparable des dommages subis par celles-ci. Les victimes veulent souvent s’assurer qu’elles n’auront plus jamais à subir de tels actes, d’où le rôle central des garanties de non-répétition. En ne prenant pas de mesures pour prévenir de nouvelles violations, l’État partie maintient une situation qui va à l’encontre de l’interdiction de la torture et, a priori, commet une violation du droit international. En conséquence, l’Observation générale devrait disposer que toute réparation doit comprendre, le cas échéant, une demande adressée à l’État partie afin qu’il prenne des mesures concrètes pour éviter de nouvelles violations et une description des mesures concrètes à prendre pour éviter des violations particulières.

37.L’Association demande que le Comité instaure des garanties, comme un système efficace d’enregistrement dans les lieux de détention, afin de prévenir la détention au secret et d’en limiter la durée. Les pays disposant de corps d’inspection devraient les inviter à visiter les lieux de détention au plus vite. Il est fortement recommandé au Comité, au titre de la prévention, d’encourager les États à institutionnaliser, en procédant à des réformes institutionnelles, les visites inopinées par des mécanismes de prévention de la torture et des mauvais traitements dans les lieux de privation de liberté. Ces visites ont un fort effet dissuasif et permettent aux experts d’examiner les conditions de détention et de repérer les pratiques aboutissant à des violations. L’Association recommande également au Comité d’énoncer la nécessité de surveiller les lieux de privation de liberté au paragraphe 16 du projet d’Observation générale.

38.M. Conte (Commission internationale de juristes) met l’accent sur la question des violations commises par des acteurs non étatiques, qui est notamment examinée dans l’Observation générale no 2 du Comité. La Commission internationale de juristes recommande au Comité d’inclure dans son projet d’Observation générale, un paragraphe sur la responsabilité de l’État de protéger la population contre les actes de torture et les mauvais traitements commis sous leur juridiction par des acteurs non étatiques.

39.M. Seiderman (Commission internationale de juristes), commentant les paragraphes 21 à 25, estime que le Comité devrait préciser que, dans le cas de violations graves constitutives de crimes en droit international, comme la torture et les mauvais traitements, il est essentiel que les victimes aient accès à des recours judiciaires. Il attire l’attention du Comité sur le paragraphe 12 des Principes fondamentaux et Directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, que l’Assemblée générale a adoptés par consensus.

40.MmeLee (International Disability Alliance) déclare qu’il faut des approches tenant compte des traumatismes afin que les services fournis soient adaptés aux besoins des victimes et fondés sur leur consentement libre et éclairé. Il convient de veiller à ce que les services fournis par les systèmes médical, judiciaire et social ne perpétuent pas les effets des expériences traumatiques vécues par les victimes. Les États devraient faire participer les usagers et les organisations qui les représentent à l’évaluation de l’efficacité des programmes et des services de réadaptation.

41.Mme Lee rappelle les dispositions de l’article 4.3 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Le Comité devrait énoncer dans le projet d’Observation générale l’obligation de garantir l’accès des personnes handicapées à tous les services et informations afin qu’elles puissent revendiquer leurs droits au titre de l’article 14 de la Convention contre la torture sur un pied d’égalité avec le reste de la population. L’International Disability Alliance recommande la mise en place de mécanismes indépendants garantissant la confidentialité des plaintes dans les lieux de détention.

42.M. Koros (Centre Against Torture) déclare que le projet d’Observation générale devrait faciliter l’obtention de réparation en cas de violations commises par des acteurs non étatiques. Les États doivent renforcer les mécanismes nationaux de prévention. Dans certains cas, en l’absence d’une législation relative à la torture, les acteurs étatiques ne sont pas en mesure de fournir de réparation adéquate aux victimes. L’insuffisance des ressources empêche également les États de prendre les mesures voulues.

43.M. Oyarce (Chili) se félicite de l’accent mis sur les victimes et fait observer que le droit relatif aux droits de l’homme évolue également dans ce sens en Amérique latine. Le Chili approuve la définition du mot «victime» donnée au paragraphe 3 du projet d’Observation générale et le fait d’inclure les proches de la victime et d’autres catégories de personnes dans cette définition, qu’il juge particulièrement important.

44.Faisant siens les principes énoncés aux paragraphes 4 et 5 du projet, M. Oyarce tient à souligner qu’il est essentiel de faire participer la victime à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques nationales de réparation pour éviter de prendre des mesures susceptibles, aussi bien intentionnées soient-elles, de prolonger la souffrance des victimes.

45.S’agissant des obligations de fond et de l’étendue du droit à réparation, le Chili convient que l’indemnisation financière seule n’est pas une réparation suffisante pour les victimes de torture et de mauvais traitements. Les politiques de réparation doivent être intégrales et globales puisque la torture, en particulier lorsqu’elle s’inscrit dans un contexte de violation systématique des droits de l’homme, touche non seulement la victime mais aussi l’ensemble du tissu social, ce qui rend indispensable un processus de réconciliation.

46.En ce qui concerne les garanties de non-répétition, comme l’ont indiqué plusieurs organisations non gouvernementales, la question des visites préventives revêt une importance cruciale dans le contexte des activités du Comité mais aussi de celles d’autres organes conventionnels.

47.Le Chili a pris diverses initiatives qui vont dans le sens des principes établis dans le projet à l’examen, notamment la création de la Commission nationale Vérité et Réconciliation et de la Commission nationale sur l’emprisonnement politique et la torture. Dans le domaine judiciaire, des mesures ont été prises pour que les procédures engagées, actuellement au point mort, se poursuivent. En matière de réparation, les victimes de la torture reçoivent des pensions et des prestations en matière de santé et d’éducation. Pour garantir la non-répétition, il est indispensable que la subordination des forces armées à l’autorité civile soit strictement établie dans les constitutions nationales et que tous les agents chargés d’appliquer la loi soient sensibilisés aux questions relatives aux droits de l’homme.

48.M. Achgalou (Maroc) dit que le Maroc se réjouit du fait que le Comité ait adopté une approche centrée sur les victimes. Il attache une importance particulière aux paragraphes portant sur la satisfaction et le droit à la vérité (par. 15) et aux garanties de non-répétition (par. 16). Ils renvoient en effet à des éléments fondamentaux de la justice transitionnelle qui seront au cœur du mandat au titre des procédures spéciales en cours de création et dont le titulaire sera nommé à la prochaine session du Conseil des droits de l’homme. L’expérience du Maroc en matière de justice transitionnelle, qui a déjà été présenté devant le Comité, fait figure d’exemple sur le plan régional. D’autre part, les institutions et la législation marocaines respectent les principes énoncés au paragraphe 17 du projet à l’examen, comme l’illustre la Loi fondamentale qui érige la torture en infraction pénale et la condamne dans les termes les plus forts.

49.M. TinajeroEsquivel (Mexique)signale que dans le cadre de sa récente réforme constitutionnelle, le Mexique a effectué une analyse comparative de la législation existante et des normes internationales régissant la réparation. Les résultats de cette analyse, qui a notamment porté sur les cinq formes de réparation énoncées dans le projet d’Observation générale, à savoir la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et la garantie de non-répétition (par. 6 à 16) et qui servira de base au projet de loi nationale sur la réparation, ont été communiqués aux membres du Comité. Le Mexique a déjà beaucoup progressé dans le domaine de la réparation et les mesures prises vont au-delà de la simple indemnisation financière. À titre d’exemple, les autorités mexicaines ont récemment reconnu publiquement, au plus haut niveau, la responsabilité de l’État dans la disparition de M. Rosendo Radilla Pacheco en 1974 et érigé une plaque à sa mémoire dont le texte a été élaboré en collaboration avec la famille de la victime. De telles mesures contribuent à renforcer aussi bien l’état de droit que le tissu social.

50.Tout en étant convaincues que le projet d’observation finale facilitera grandement les efforts menés dans le domaine à l’étude au niveau national, les autorités mexicaines estiment qu’il sera encore plus utile si le Comité établit une nette distinction entre victime individuelle et victimes collectives. Enfin, considérant que la condamnation par un tribunal n’est pas une condition préalable à la réparation, le Mexique invite le Comité à préciser à quel moment intervient l’obligation de réparation qui incombe à l’État, et en particulier à aborder avec plus de détails la question des mesures administratives, législatives et judiciaires nécessaires de façon à mieux définir les obligations de l’État à l’égard des victimes individuelles.

51.M. Sibille Rivera (Pérou)déclare que le Pérou souscrit aux principes énoncés dans le projet d’Observation générale qu’il défend aussi bien sur le plan national qu’à l’échelle internationale. S’agissant du paragraphe 4 du projet, la participation des victimes doit s’étendre à l’élaboration, aux modalités de financement et à l’exécution des programmes de réparation. Le Pérou note avec satisfaction que les excuses publiques font partie des mesures de réparation prévues au paragraphe 15, tout comme les commémorations et hommages aux victimes. En ce qui concerne les garanties de non-répétition (par. 16), le Comité pourrait inclure dans le projet le rôle des mécanismes nationaux de prévention de la torture prévus dans le Protocole facultatif. Quant aux réparations collectives ou symboliques, elles ne peuvent remplacer les réparations individuelles, mais sont importantes puisque l’indemnisation pécuniaire seule n’est pas suffisante. Pour ce qui est de la levée des obstacles au droit à réparation, il convient de souligner le rôle que jouent les organisations de la société civile, les institutions nationales de protection des droits de l’homme et les associations de victimes dans la défense des droits des victimes. Il y a lieu également de mentionner les entraves administratives dont font l’objet les organismes qui défendent les victimes et les persécutions que subissent parfois leurs membres ainsi que les difficultés d’accès aux informations auxquelles se heurtent les personnes qui essayent d’obtenir réparation, en particulier lorsqu’elles appartiennent à des groupes vulnérables qui, par exemple, ne parlent pas la langue du pays.

52.Le Président,notant que le Comité a reçu 26 communications écrites des parties prenantes depuis la publication du projet d’Observation générale sur sa page Web, se félicite de la qualité du dialogue établi.

53.M. Mariño Menéndez s’inquiète d’une possible contradiction entre les observations formulées par certains États parties et le paragraphe 2 de l’article 5 de la Convention qui énonce le principe de l’obligation de poursuivre ou d’extrader (aut dedere aut judicare). Il appelle également l’attention sur la question de l’immunité dont bénéficient les États, les hauts responsables gouvernementaux et les personnes qui jouissent de l’immunité diplomatique, et souligne que cette immunité cesse si les personnes qui en bénéficiaient n’exercent plus leurs fonctions officielles.

54.MmeSveaassdit qu’en sa qualité de psychologue s’occupant de longue date de la réadaptation des victimes de la torture, elle sait combien il est difficile d’assurer une réparation effective en tenant compte aussi bien des obligations juridiques que des besoins des victimes. Le Comité s’est donc efforcé de définir clairement l’étendue de l’obligation de réparation, notamment en ce qui concerne la réadaptation, et de mettre l’accent sur les victimes et leur famille ainsi que sur les groupes touchés.

55.M. Brunidit que différents points de vue ont été exprimés par les participants, ce dont le Comité devra tenir compte. Toutefois, une fois adoptée, l’Observation générale ne sera pas un texte de compromis, mais exposera la position du Comité fondée sur l’expérience qu’il a acquise dans le cadre de la procédure d’examen des rapports et sur les contributions de toutes les parties prenantes, l’objectif étant de guider et de faciliter l’application de la Convention par les États parties.

56.MmeBelmir dit que certaines délégations ont évoqué la nécessité de limiter la réparation au territoire de l’État partie alors que le projet d’Observation générale met l’accent sur la juridiction de l’État partie, qui est un concept plus large que celui de territoire. D’autre part, dans les pays où un mécanisme civil de réparation a été mis en place, rien n’empêche les victimes, lorsqu’aucune amnistie na été proclamée, de s’adresser aux tribunaux pour obtenir réparation. Il y a donc un risque de double emploi. Il y a aussi les problèmes auxquels se heurtent les victimes vulnérables lorsqu’elles tentent d’obtenir réparation. Il ne s’agit pas simplement d’obstacles à l’accès à l’information puisque ces personnes ont surtout du mal à accéder à la justice.

57.MmeGaer souligne que la distinction entre l’immunité de l’État et l’immunité individuelle est un principe fondamental auquel le Comité est particulièrement attaché. La tendance du droit international à une plus grande responsabilité des États va dans le sens des préoccupations du Comité eu égard à l’article 14 de la Convention. S’agissant de l’indemnisation, il serait intéressant de savoir combien d’États parties ont effectivement constitué un fonds national pour les victimes de la torture.

58.Le Président dit que le Comité est engagé dans un travail d’interprétation du texte de la Convention contre la torture, qui n’est pas un traité de type classique créant un ensemble de droits et d’obligations réciproques entre États, mais un instrument relatif aux droits de l’homme à vocation humanitaire. Tous les tribunaux internationaux ont d’ailleurs reconnu cet objectif humanitaire. C’est pourquoi, quand plusieurs interprétations sont envisageables, le Comité adopte toujours celle qui est favorable à la victime.

La séance est levée à 18 heures.