Nations Unies

CAT/C/SR.1765

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

31 juillet 2019

Original : français

Comité contre la torture

Soixante- septième session

Co mpte rendu analytique de la 1765 e séance

Tenue au Palais des Nations, à Genève, le vendredi 26 juillet 2019, à 10 heures

Président (e): Mme Belmir

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Troisième rapport périodique du Togo

La séance est ouverte à 10 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Troisième rapport périodique du Togo (CAT/C/TGO/3 ; CAT/C/TGO/QPR/3 ; HRI/CORE/1/Add.38/Rev.1)

1.Sur l ’ invitation de la Présidente, la délégation togolaise prend place à la table du Comité.

2.M. Trimua(Togo) dit que l’élaboration du rapport à l’examen, qui porte sur la période 2012-2017, a donné lieu à un processus ouvert et participatif. En ce qui concerne le cadre juridique et institutionnel de la lutte contre la torture, il indique que le Togo a adopté en 2015 un nouveau Code pénal qui contient une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention et qui consacre l’imprescriptibilité du crime de torture. Une loi portant statut spécial de la police nationale a été adoptée en 2015 afin de renforcer les sanctions disciplinaires imposées aux fonctionnaires de police en cas de manquement aux devoirs de la charge. De plus, un nouveau Code de justice militaire a été adopté en 2016 afin de garantir qu’aucun militaire auteur d’actes de tortures ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants ne puisse se soustraire aux poursuites pénales. La nouvelle loi organique relative à la composition, à l’organisation et au fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme, promulguée le 20 juin 2018, renforce les prérogatives et l’indépendance de l’institution et attribue expressément à celle-ci la fonction de mécanisme national de prévention de la torture. Les membres actuels de la Commission ont pris leurs fonctions en avril 2019.

3.Le Haut-Commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale, créé en 2013, a adopté un programme qui prend en compte les différentes formes de réparation, à savoir la restitution, l’indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de non-répétition. La première phase du processus de réparation pour les victimes d’actes de torture et de violences commis lors des événements politiques que le Togo a connus entre 1958 et 2005 a débuté en décembre 2017 et pris fin en septembre 2018 ; au total, 2 510 victimes ont reçu une indemnisation financière et bénéficié d’une prise en charge médico-psychologique. Dans le domaine de la formation, plusieurs activités ont été menées dans le but de renforcer les capacités des acteurs de la lutte contre la torture. Ainsi, 120 officiers de police judiciaire ont bénéficié de deux ateliers régionaux de formation des formateurs en 2014. De plus, 2 539 officiers de police judiciaire ont été formés aux dispositions du Code de procédure pénale de 2015 à 2017 et de nombreux policiers et gendarmes suivent régulièrement des programmes de formation bilatérale en coopération avec la France, l’Italie ou le Cameroun, notamment.

4.Une attention particulière est accordée aux conditions de détention et, plus globalement, à la modernisation et à l’amélioration des infrastructures pénitentiaires, en particulier celles de la prison de Lomé. Le Gouvernement a engagé une réflexion autour d’un programme visant à améliorer les conditions sanitaires et la sécurité dans les lieux de privation de liberté. Pour atténuer le problème de la surpopulation carcérale, le Code pénal prévoit des mesures de substitution à l’emprisonnement telles que le travail d’intérêt général, la médiation pénale et la composition pénale, qui s’ajoutent au sursis et à la liberté provisoire. De plus, des libérations conditionnelles sont régulièrement accordées aux détenus ayant purgé au moins la moitié de leur peine qui présentent des gages sérieux de réadaptation. En janvier 2019, une grâce présidentielle a été accordée à 454 détenus. Il convient de préciser que le chef de l’État n’accorde plus de grâce présidentielle aux auteurs de violences, notamment à caractère sexuel, à l’égard des femmes et des enfants. Parmi les autres mesures mises en œuvre figurent la séparation des détenus mineurs et adultes et la surveillance des femmes détenues par des agents pénitentiaires de sexe féminin, effective depuis 2012. Les efforts pour mieux respecter les délais de garde à vue se poursuivent. Un registre de garde à vue uniformisé a été validé en février 2019, conformément aux Lignes directrices sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention provisoire en Afrique (Lignes directrices de Luanda).

5.Le Togo a aboli la peine de mort en 2009 et a ratifié le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, en septembre 2016. L’interdiction de la torture et de toute forme d’atteinte à la vie est désormais consacrée par la Constitution. Le Code pénal togolais incrimine la pratique de la traite des êtres humains et le Togo a ratifié la quasi-totalité des instruments régionaux et internationaux relatifs à la traite des personnes. Des campagnes nationales de sensibilisation de la population à ce problème sont réalisées dans tout le pays. Le Code pénal interdit également l’expulsion, le refoulement ou l’extradition de toute personne dans un État où il existe des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. La loi portant statut des réfugiés, qui consacre le principe de non-refoulement, a été adoptée en 2016. D’après les chiffres de la Commission nationale pour les réfugiés, le Togo comptait 12 174 réfugiés et près de 335 demandeurs d’asile en 2018.

6.Un programme élargi de moralisation du corps des magistrats est mené depuis 2014 ; en application des réformes constitutionnelles adoptées en mai 2019, il a été décidé que les décisions disciplinaires concernant des magistrats « défaillants » seraient désormais publiées in extenso. Le guide des droits et obligations du justiciable, publié en septembre 2017 par le Conseil de la magistrature, a été porté à la connaissance du public dans tout le pays. Un projet de loi portant nouvelle organisation judiciaire, qui renforce la spécialisation des magistrats et l’indépendance de la justice et assure un accès équitable à une justice de proximité, a été adopté en Conseil des ministres début juillet 2019 et sera examiné par l’Assemblée nationale à sa seconde session ordinaire de 2019. Cette loi était le préalable à l’adoption du projet de code de procédure pénale.

7.M. Touzé (Rapporteur pour le Togo) constate avec satisfaction que le Code pénal de 2015 contient une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention et consacre l’imprescriptibilité de la torture ainsi que le caractère absolu de son interdiction. Notant que le nouveau Code de procédure pénale n’a toujours pas été adopté, ce qui rend inefficaces la définition, l’incrimination et l’imprescriptibilité de la torture, il demande quel est l’état d’avancement du projet de code. En ce qui concerne les garanties fondamentales lors de l’arrestation et de la détention, l’État partie reconnaît dans son rapport périodique que le droit de consulter un avocat, le droit de communiquer avec un membre de sa famille ou un proche, le droit d’être examiné par un médecin de son choix, et le droit d’être présenté à un juge dans les plus brefs délais « ne sont pas systématiquement respectés », ce que de nombreuses informations portées à l’attention du Comité semblent corroborer. L’avant-projet de code de procédure pénale étant à première vue très lacunaire, il serait utile que la délégation indique s’il pourra être revu et complété pour corriger ces lacunes et à quelle date le texte sera adopté.

8.Le Rapporteur s’inquiète du manque de rigueur généralisé dans la tenue des registres de détention. Les informations concernant les détenus sont souvent fractionnées et consignées dans différents documents, où il n’est fait aucune mention des visites des proches ou de l’avocat ni de l’état de santé des détenus, y compris dans le cas de personnes considérées comme vulnérables en raison d’un handicap physique ou mental. L’article 52 du Code de procédure pénale prévoit que la durée de la garde à vue est de quarante‑huit heures et qu’elle peut être renouvelée pour la même durée sur autorisation du Procureur de la République ou du juge d’instruction. Or dans les faits la garde à vue est souvent prolongée de manière arbitraire dans la plupart des commissariats et gendarmeries du pays, sans autorisation officielle ni contrôle, étant donné que les registres n’indiquent pas l’heure de début et de fin supposée de la garde à vue et ne portent pas la signature de l’intéressé. L’absence systématique de registres médicaux dans les commissariats et gendarmeries montre que le droit du gardé à vue d’être examiné par un médecin, pourtant consacré à l’article 53 du Code de procédure pénale, n’est pas appliqué dans la pratique. La délégation est invitée à donner des informations sur la mise en œuvre concrète de ce droit.

9.Le droit des personnes gardées à vue de communiquer immédiatement après leur arrestation avec leur famille ou un proche n’est en général pas assuré. Dans les prisons, les visites au parloir sont systématiquement soumises au paiement d’un ticket de visite fixé arbitrairement par les autorités pénitentiaires, et ce, même si elles ont été autorisées par un juge d’instruction. Le Rapporteur souhaiterait donc savoir si l’État partie prévoit d’adopter les mesures nécessaires pour garantir l’exercice de ce droit et veiller à ce que chaque visite soit consignée dans un registre à cet effet, indiquant la date et l’heure de la visite, le nom du visiteur et son lien avec la personne détenue.

10.Si l’alinéa 3 de l’article 16 de la Constitution prévoit que « tout prévenu a le droit de se faire assister d’un conseil au stade de l’enquête préliminaire », le Code de procédure pénale actuel ne contient aucune disposition à cet égard, ce qui signifie que ce droit ne peut être exercé puisqu’il n’a pas d’équivalent sur le plan procédural. Citant le nom de plus d’une dizaine de personnes qui ont été arrêtées en 2017, puis interrogées et jugées sans avocat, le Rapporteur demande à la délégation d’indiquer si les autorités entendent prendre des mesures pour donner concrètement effet à ce droit. En ce qui concerne les mesures prises aux fins de la mise en œuvre de la loi portant aide juridictionnelle, il demande où en sont les projets de décrets d’application relatifs au mandat, au fonctionnement et à la composition du Conseil national d’aide juridictionnelle et l’amendement proposé pour faciliter l’application de la loi. Il voudrait aussi savoir si le système actuellement en place permet effectivement aux personnes qui en ont besoin de bénéficier d’une assistance gratuite.

11.Le Rapporteur souhaiterait des explications concernant les nombreux cas de plaintes pour torture et mauvais traitements mettant en cause des membres de la police et de la gendarmerie qui, selon le Sous-Comité pour la prévention de la torture et diverses ONG, n’ont donné lieu à aucune enquête. Il souhaiterait en particulier entendre la délégation au sujet de la plainte restée sans suite de Mme Mélé Sessi, arrêtée en septembre 2017 lors d’une manifestation de la Coalition de l’opposition et violemment battue par des policiers et des gendarmes. Au vu des nombreuses plaintes pour arrestation arbitraire, mauvais traitements et, dans certains cas, torture, déposées contre le Service central de recherche et d’investigation criminelle (SCRIC), la question se pose de savoir à quel titre ce service, qui n’a pas vocation à intervenir dans les opérations de maintien de l’ordre ni à exercer des fonctions de police judiciaire, procède à des interpellations et à des interrogatoires. La délégation voudra bien commenter également les informations selon lesquelles 16 militants du Parti national panafricain auraient été arrêtés en décembre 2018 et soumis à des actes de torture et des mauvais traitements pendant leur détention dans les locaux du SCRIC avant d’être transférés à la prison de Lomé le 15 janvier 2019.

12.Dans ses réponses aux questions relatives à l’usage excessif de la force par les agents de la force publique, l’État partie fait mention de diverses mesures législatives qui ont été prises pour durcir les sanctions applicables aux membres de la police et de l’armée qui ont commis des violences, mais il ne fournit pas les informations attendues concernant la suite donnée aux affaires expressément citées par le Comité. La délégation voudra bien remédier à cette lacune. Selon les informations dont dispose le Comité, 16 plaintes pour torture ont été déposées en 2018 mais aucune n’a été instruite. De nombreuses ONG dénoncent l’impunité totale dont jouissent les auteurs d’actes de torture, un problème également relevé par le Sous-Comité pour la prévention de la torture et par le Comité qui, dans ses précédentes observations finales, avait demandé à l’État partie de mettre fin à l’impunité en ouvrant des enquêtes approfondies et impartiales sur toutes les allégations d’actes de torture mettant en cause des agents des services de sécurité ou autres et en condamnant les coupables à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes. Or l’État partie n’a manifestement pas donné suite à la demande du Comité, notamment en ce qui concerne les actes de torture commis dans les locaux de l’Agence nationale de renseignement (ANR) en avril 2009, pour lesquels l’État partie a versé aux victimes 532 millions de francs CFA à titre de réparation mais n’a pas traduit les responsables en justice. L’État partie n’a pas davantage donné suite aux recommandations de la Commission vérité, justice et réconciliation concernant les exactions commises en avril 2005 ni aux 72 plaintes déposées par les familles de victimes, pas plus qu’au rapport d’enquête de la Commission nationale des droits de l’homme publié en 2012 sur des allégations de torture mettant en cause plusieurs membres de l’armée togolaise. La délégation voudra bien donner des explications à ce sujet.

13.Il ressort de plusieurs rapports et publications d’organisations de la société civile que les manifestations sont souvent réprimées dans la violence et que l’usage excessif de la force dans ce contexte est parfois meurtrier. Le Rapporteur souhaiterait entendre la délégation au sujet du décès d’une personne survenu lors de la dispersion d’une manifestation spontanée contre la hausse du prix du carburant à Lomé, ainsi qu’au sujet de Moufidou Idrissou, 11 ans, tué par balle devant son garage alors qu’il ne participait à aucune manifestation, de Lawa Irou Tchakondo, 27 ans, tué par balle lors d’une manifestation de l’opposition, et de Saibou Ouro Gao, décédé des suites des mauvais traitements que lui avaient infligés des militaires en raison de sa participation à une manifestation organisée par l’opposition. Des informations sur les mesures prises pour faire toute la lumière sur ces affaires seraient bienvenues. Il serait également intéressant de savoir si des enquêtes ont été ouvertes sur les menaces, agressions, intimidations, détentions arbitraires, actes de torture et mauvais traitements dont des défenseurs des droits de l’homme affirment avoir été victimes pendant la crise sociopolitique d’août 2017, ainsi que sur les actes d’intimidation et les agressions parfois violentes perpétrés contre des journalistes pour les empêcher de filmer les manifestations.

14.Notant avec satisfaction que la Commission nationale des droits de l’homme est désormais investie des fonctions de mécanisme national de prévention de la torture en plus de ses fonctions initiales d’institution nationale de protection des droits de l’homme, le Rapporteur demande s’il est prévu d’augmenter son budget en conséquence afin de lui permettre de s’acquitter efficacement de son double mandat. Il souhaiterait également savoir comment l’État partie entend garantir la pérennité du financement de la Commission, qui est assuré au moyen d’une subvention votée chaque année par l’Assemblée nationale, et faire en sorte que cette subvention ne puisse pas être utilisée comme moyen de pression à l’égard de la Commission. Bien que les candidatures soient libres et ouvertes à toute personne répondant aux critères énoncés dans la loi, la composition actuelle de la Commission, dont sept des neuf membres sont des agents de l’État, amène à s’interroger sur les critères appliqués par l’Assemblée nationale pour sélectionner les candidats ainsi que sur l’indépendance de la Commission, et ce, d’autant plus que la lumière n’a toujours pas été faite sur les raisons qui ont poussé l’ancien président de la commission à quitter le Togo après la publication du rapport d’enquête mentionné plus haut. Les précisions que la délégation pourra apporter sur ces questions seront les bienvenues.

15.Les informations fournies par l’État partie dans son rapport montrent que les mesures prises dans le but de lutter contre les mutilations génitales féminines ont indéniablement permis de grands progrès, ce qui mérite d’être salué. Cette pratique perdure cependant. Des données supplémentaires, notamment statistiques, sur son incidence et sur les moyens concrets mis en œuvre pour l’éliminer seraient appréciées. Enfin, en ce qui concerne l’obligation qui incombe à l’État partie d’établir sa compétence universelle à l’égard du crime de torture, la délégation voudra bien indiquer si l’État partie, qui indique dans son rapport poursuivre sa réflexion sur le sujet, envisage de ratifier le Statut de Rome.

16.M. Heller Rouassant (Corapporteur pour le Togo) se félicite des avancées notables que le chef de la délégation togolaise a évoquées dans sa déclaration liminaire. Il remercie Mme Zhang pour les commentaires qu’elle lui a communiqués en prévision de son absence et qu’il relaiera dans le cadre de son intervention. Le Comité a reçu des informations indiquant que, le 18 septembre 2018, les autorités togolaises ont extradé deux hommes équato-guinéens venus participer à une réunion de la coalition politique CORED au Togo alors qu’ils couraient un risque avéré d’être soumis à la torture dans leur pays. Accusés d’avoir participé en 2017 à la planification d’un coup d’État manqué contre le Président Obiang Nguema, les intéressés auraient été torturés en détention et jugés en violation de toutes les garanties d’une procédure régulière, le président du tribunal ayant même interdit, d’après la presse locale, toute mention des actes de torture que les accusés affirmaient avoir subis. Il serait utile d’entendre la délégation sur ces allégations.

17.Dans sa déclaration liminaire, le chef de la délégation a indiqué qu’en 2018, la Commission nationale pour les réfugiés avait recensé plus de 12 000 réfugiés et près de 355 demandeurs d’asile, alors que le rapport fait mention de 21 456 réfugiés, originaires de 14 pays, enregistrés en 2015. Un tel écart semble surprenant, aussi serait-il souhaitable que la délégation apporte des éclaircissements sur ces chiffres.

18.Le Corapporteur s’inquiète de ce que le pourcentage de détenus en détention provisoire, qui est d’environ 63 %, n’a guère évolué entre 2012 et 2018. Évoquant deux cas dans lesquels la détention provisoire a duré respectivement dix et onze ans, il invite la délégation à expliquer les raisons d’une telle situation et demande en particulier si le pourcentage très élevé de personnes en détention provisoire est attribuable à une pénurie de magistrats suffisamment formés. À cet égard, des données actualisées sur le nombre de juges et leur répartition sur le territoire de l’État partie seraient les bienvenues. Il serait en outre intéressant de connaître l’effet des nouvelles dispositions du Code pénal prévoyant des mesures de substitution à la privation de liberté sur la pratique des tribunaux.

19.M. Heller Rouassant salue les dispositions prises pour que les femmes détenues soient surveillées par des agents de sexe féminin et la création du corps des surveillants de l’administration pénitentiaire ainsi que la mise en œuvre, avec l’appui du PNUD, d’un programme d’assistance judiciaire aux détenus démunis, qui a conduit à la libération de plus de 700 détenus en quatre ans. Il relève toutefois que ces mesures n’ont pas permis d’améliorer les conditions de détention, qui sont assimilables à des traitements cruels, inhumains ou dégradants Selon les informations dont dispose le Comité, les locaux de détention restent vétustes et les taux de surpopulation carcérale demeurent extrêmement élevés, atteignant même 460 % dans la prison de Tsévié. La question se pose donc de savoir quel a été l’effet de la mise en œuvre du Programme national de modernisation de la justice sur la réduction de la population carcérale et quelles mesures sont prévues pour abaisser le taux de surpopulation carcérale.

20.Plusieurs ONG, parmi lesquelles Amnesty International, ont constaté que les recommandations formulées précédemment par le Comité concernant les conditions de détention étaient restées sans effet, puisque les établissements pénitentiaires étaient toujours surpeuplés, délabrés, mal éclairés et mal ventilés, que les détenus continuaient de recevoir une nourriture insuffisante et de mauvaise qualité et qu’ils n’avaient pas toujours accès à l’eau potable. Les constatations formulées en 2014 par le Sous-Comité pour la prévention de la torture, dans lesquelles il était indiqué que beaucoup de détenus ne disposaient que d’un espace de 0,30 mètre carrépour dormir ou dormaient à même le sol, restent également d’actualité. Comme le reconnaît l’État partie dans son rapport, le budget de l’administration pénitentiaire est insuffisant et a été réduit d’un quart depuis 2015, malgré la recommandation dans laquelle le Comité avait exhorté l’État partie à augmenter les fonds alloués aux établissements pénitentiaires pour rendre les conditions de détention conformes aux normes internationales.

21.Le Corapporteur relève aussi que le dispositif de santé dans les prisons est totalement insuffisant et inadéquat. Selon les informations dont dispose le Comité, seule la prison de Lomé est dotée d’une infirmerie, dans laquelle travaillent une seule infirmière bénévole et un médecin. Le manque d’infrastructures, de ressources humaines et de moyens matériels et financiers a pour conséquence que l’obligation faite aux États d’assurer des soins de santé aux détenus, conformément aux Règles Nelson Mandela, n’est pas respectée. Les distributions annuelles de médicaments dans les prisons diminuent depuis 2015 en raison des restrictions budgétaires, ce qui a pour effet que les frais de santé sont à la charge des détenus eux-mêmes. Conséquence du manque de nourriture et d’hygiène et de l’insuffisance des soins dispensés aux détenus, le taux de mortalité dans les prisons est élevé. La délégation est invitée à indiquer si une enquête est menée lorsqu’un détenu décède en prison et si le rapport d’enquête est rendu public. Elle voudra bien indiquer également si certains décès en détention sont liés à un usage excessif de la force de la part des autorités, si une indemnisation est accordée aux familles des personnes mortes en détention et si l’État partie a l’intention d’établir un registre central des détenus. Contrairement à ce qui lui avait été demandé, l’État partie n’a fourni aucun renseignement sur les 14 décès survenus depuis janvier 2013 dans l’unité d’hospitalisation sécurisée « le Cabano », du centre hospitalier universitaire Sylvanus Olympio de Lomé, sur les peines prononcées contre les responsables ainsi que sur les mesures adoptées pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. Toute information à ce sujet sera bienvenue.

22.M. Heller Rouassant note avec préoccupation que, selon les informations communiquées par les ONG, les visites de la Commission nationale des droits de l’homme dans les prisons et autres lieux de privation de liberté sont soumises à une autorisation préalable et ne peuvent donc pas être inopinées. Il s’inquiète également de ce que la Direction de l’administration pénitentiaire et de la réinsertion ne dispose pas d’un budget lui permettant de prendre des mesures efficaces en matière de réinsertion des détenus et de lutte contre la récidive, qui de fait est fréquente. Il semblerait en outre que, depuis une quinzaine d’années, les responsables d’actes de torture bénéficient de l’impunité et des centaines de victimes n’ont pas eu accès à la justice. Entre 2012 à 2018, 32 plaintes ont été déposées pour des actes de torture mais aucune d’entre elles n’a encore été instruite. Dans son rapport, l’État partie affirme qu’il ne dispose pas d’un système informatisé de recensement des procédures de plainte, d’enquête, d’inculpation et qu’il lui est par conséquent difficile de fournir des données complètes et ventilées par âge, sexe, origine ethnique ou nationalité des victimes sur le nombre de ces procédures. Il serait utile que la délégation fasse connaître l’état d’avancement du projet du Ministère de la justice visant à collecter des informations sur ce point et à les publier sur une base trimestrielle ou annuelle.

23.M. Heller Rouassant accueille avec satisfaction l’introduction dans le Code pénal d’un article 200 qui prévoit que « [s]i les faits de torture sont établis, les déclarations ou aveux obtenus par ce moyen et les condamnations fondées sur ces déclarations ou aveux sont nuls ». Il invite toutefois la délégation à fournir des renseignements sur la manière dont les tribunaux appliquent cette disposition dans la pratique, sur les cas dans lesquels des éléments de preuve sont admis ou rejetés dans des affaires de torture et sur les mesures prises par l’État partie pour veiller à ce que les aveux obtenus par la torture soient annulés.

24.En ce qui concerne les activités de formation et de sensibilisation portant sur les droits de l’homme, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements et l’application du droit interne, le Corapporteur souhaiterait savoir notamment si les programmes de formation font directement référence aux dispositions de la Convention qui font de l’interdiction absolue de la torture une norme impérative et qui prescrivent aux États parties d’ouvrir une enquête sur toute allégation de violation de la Convention et de poursuivre les responsables. Il aimerait également savoir si les activités menées portent aussi sur d’autres instruments internationaux importants tels que les Règles Nelson Mandela relatives au traitement des détenus, les Règles de Bangkok relatives au traitement des femmes détenues ou le Protocole d’Istanbul. Il invite en outre la délégation à fournir des précisions sur le nombre d’agents des forces de l’ordre et des forces armées qui ont reçu une formation concernant les obligations découlant de la Convention et sur les mesures prises pour que les magistrats, les juges, les sous-préfets ou les avocats suivent une formation concernant la Convention et les autres instruments relatifs aux droit de l’homme. Il accueille avec intérêt les informations selon lesquelles des policiers et des gendarmes suivent régulièrement des formations à l’étranger, notamment en France, en Italie, au Cameroun, en Côte d’Ivoire ou à Madagascar, mais souhaiterait obtenir des renseignements sur la fréquence de ces formations et le nombre de personnes qui les suivent, et savoir si ces formations sont dispensées dans le cadre d’accords bilatéraux ou d’accords financés par des agences internationales. Il serait en outre intéressant de connaître les mesures mises en place par l’État partie pour donner suite aux recommandations du Comité l’invitant à dispenser à l’intention des magistrats et agents chargés de l’application des lois des formations sur le principe de la présomption d’innocence, l’imprescriptibilité du crime de torture, l’irrecevabilité des déclarations obtenues par la torture ainsi que l’obligation positive d’ouvrir des enquêtes lorsque des allégations de torture sont portées à la connaissance des autorités. Enfin, la délégation voudra bien décrire les méthodes qui ont été élaborées pour évaluer l’incidence des formations existantes sur la prévention, la réduction et la répression des cas de torture et de mauvais traitements.

25.Le Corapporteur note que l’État partie a exécuté l’arrêt du 13 juillet 2013 de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest le condamnant à verser des dommages et intérêts aux personnes poursuivies et condamnées dans l’affaire d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État. Il s’enquiert des autres mesures qui ont été prises pour faire en sorte que toutes les victimes de torture puissent obtenir réparation et être indemnisées équitablement et de manière adéquate, et pour leur assurer une réadaptation aussi complète que possible. Se félicitant de la création du Haut-Commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale, qui est chargé de mettre en œuvre les recommandations et le programme de réparation de la Commission vérité, justice et réconciliation, il demande un complément d’information sur le fonctionnement de cette institution et les résultats qu’elle a obtenus depuis sa création. Il demande aussi s’il est exact que le programme de réparation ne concerne que les victimes des événements politiques survenus dans l’État partie entre 1958 et 2005, ce qui poserait problème car aucun autre mécanisme n’a été mis en place à l’intention des victimes d’actes de torture et de mauvais traitements postérieurs à 2005. Il voudrait en outre savoir si ce programme englobe les formes de réparation autres que l’indemnisation, qui est apparemment la seule prévue par le Code pénal.

26.En dépit de l’action menée par l’État partie, la violence sexuelle et sexiste à l’égard des femmes demeure fréquente au sein de la société togolaise. De plus, les mariages précoces et forcés restent nombreux dans tout l’État partie, les mutilations génitales féminines sont encore largement pratiquées dans certaines communautés, et les auteurs de ces pratiques ne sont pas toujours traduits en justice. Le Corapporteur souhaiterait donc savoir si l’État partie compte élaborer un nouveau plan d’action national visant à lutter contre les pratiques traditionnelles néfastes et à éliminer les obstacles qui font qu’il est difficile de faire évoluer les mentalités et les comportements. Il s’enquiert également des mesures qui sont prévues pour renforcer la législation et garantir l’accès effectif des femmes à la justice, ainsi que pour poursuivre et sanctionner comme il convient tous les auteurs de violences à l’égard des femmes.

27.Se référant au paragraphe 36 du rapport de l’État partie, où figurent des statistiques sur la traite des enfants pour les années 2012 à 2015, M. Heller Rouassant invite la délégation à fournir les données correspondantes pour les années 2016 et suivantes. Il demande si l’État partie alloue ou prévoit d’allouer des crédits budgétaires à la prise en charge des enfants victimes de la traite. Il prend note des informations faisant état de l’exploitation d’enfants, notamment dans les marchés, et du meurtre d’enfants dits « sorciers », tout particulièrement en pays Losso. Il relève aussi avec inquiétude que la prostitution des plus de 15 ans est légale et que des centaines d’enfants continuent d’être livrés à la prostitution à Lomé, notamment dans un lieu surnommé le « marché aux enfants », que les enfants employés comme domestiques, dont beaucoup sont des filles âgées pour certaines de 9 ans à peine, effectuent de très longues journées de travail et sont soumis à la violence, qu’un grand nombre d’enfants exécutent des travaux dangereux, que les viols et les actes de harcèlement sexuel contre les filles sont extrêmement fréquents en milieu scolaire, que les châtiments corporels restent socialement acceptés et largement pratiqués à l’école et à la maison alors qu’ils sont interdits par la loi, et que des enfants sont vendus, en particulier à des fins d’adoption illégale et de transfert d’organes. Il serait intéressant de savoir si tous ces faits donnent lieu à des enquêtes et à des poursuites et si les coupables sont sanctionnés. La délégation est en outre invitée à commenter les informations selon lesquelles des mineurs arrêtés dans le cadre de manifestations organisées pendant la crise sociopolitique ont déclaré avoir subi des actes de torture et des mauvais traitements et des organisations de la société civile ont relevé des blessures et des traces de coups sur leur corps. Pour terminer, M. Heller Rouassant voudrait entendre la délégation sur la question de la coopération internationale bilatérale et multilatérale aux fins de la mise en œuvre de la Convention dans l’État partie.

28.M. Hani constate que, conformément aux dispositions de l’article 10 de laloi organique no 2018-006 relative à la composition, à l’organisation et au fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), qui a été désignée comme mécanisme national de prévention, la durée du mandat des membres de la Commission est de deux ans renouvelable deux fois. Cette durée très courte interpelle, notamment face à la nécessité de garantir l’indépendance de la Commission. De fait, dans ses directives concernant les mécanismes nationaux de prévention, le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants indique que la durée du mandat des membres du mécanisme devrait être suffisante pour favoriser le fonctionnement indépendant de celui-ci. La délégation voudra donc bien préciser pourquoi l’État partie a décidé de fixer à deux ans la durée de ce mandat et s’il prévoit de l’allonger après un certain temps afin d’assurer l’indépendance et le bon fonctionnement du mécanisme national de prévention.

29.M me Gaersouhaiterait obtenir des données statistiques sur les abus sexuels perpétrés contre des détenues en prison et, plus généralement, sur les plaintes reçues et les enquêtes ouvertes concernant des violences subies par des femmes. Elle souhaiterait également connaître le résultat des travaux entrepris aux fins de la publication de l’annuaire des infractions évoqué au paragraphe 33 du rapport de l’État partie. Il serait aussi utile que la délégation fournisse des informations sur les enquêtes menées, les poursuites engagées et les condamnations prononcées dans les éventuels cas de traite des personnes commis par des agents de l’État.

30.La Présidente, s’exprimant en sa qualité de membre du Comité, relève l’existence d’un certain nombre de problèmes dans le système de justice pénale de l’État partie, parmi lesquels les suivants : les procès-verbaux d’enquête préliminaire ne sont pas fiables, car ils ne reflètent pas l’entière réalité des faits ; le juge unique a des attributions de juge d’instruction, de représentant du ministère public et de juge de siège, ce qui a pour effet de fausser les procédures ; et les parquets n’ouvrent pas de leur propre initiative des enquêtes sur les agissements des membres des forces de l’ordre, pas même dans les cas de décès en détention. Tout commentaire à ce sujet sera le bienvenu.

La séance est levée à 12 h 35.