NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/SR.495

8 janvier 2002

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Vingt-septième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE) *

DE LA 495e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,

le lundi 19 novembre 2001, à 15 heures

Président: M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial de l’Indonésie

________________

* Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.495/Add.1.

________________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l’une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d’édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

La séance est ouverte à 15 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial de l’Indonésie (CAT/C/47/Add.3)

1. Sur l’invitation du Président, M. Wisnumurti, M. Abbas, M me Rustam et M. Anshor (Indonésie) prennent place à la table du Comité.

2.M. WISNUMURTI (Indonésie) dit que la décision prise par l’Indonésie de ratifier la Convention contre la torture s’inscrit dans le droit fil du processus de réformes sociopolitiques et juridiques engagées dans son pays au lendemain du changement de régime en mai 1998. C’est pleinement conscient des graves problèmes liés à la pratique des actes de torture et autres peines ou traitements cruels que le Gouvernement indonésien a pris des mesures concrètes afin de permettre la mise en œuvre des diverses dispositions de la Convention. Au nombre des réformes juridiques et institutionnelles, il y a lieu tout particulièrement de mentionner l’incorporation des dispositions de la Convention dans la législation nationale, la mise en place de tribunaux des droits de l’homme, l’élaboration de projets de loi sur la protection des témoins et des victimes, sur l’extradition ainsi que la révision du Code pénal. De plus, des mesures ont été prises pour assurer une formation plus poussée des responsables de l’application de la loi ainsi que des juges et des avocats sur les questions relevant de l’application de la Convention, et diverses activités de diffusion visent à sensibiliser l’opinion publique aux dispositions de la Convention. Le pays traverse actuellement une période de transition et, faute de ressources financières et humaines, est en butte à de nombreuses difficultés pour mettre pleinement en œuvre les dispositions des instruments juridiques qui ont été adoptés. À cet égard, M. Wisnumurti se félicite tout particulièrement du concours apporté par les ONG et autres éléments de la société civile aux efforts déployés dans le pays pour favoriser une culture du respect des droits de l’homme et pour combattre la pratique de la torture en Indonésie.

3.En ce qui concerne l’article premier de la Convention, une définition de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants conforme à celle de la Convention est donnée à l’article 25 du décret n° XVII de 1998 de l’Assemblée consultative populaire, à l’article 4 de la loi n° 39 de 1999 relative aux droits de l’homme, à l’article 422 du Code pénal ainsi qu’à l’alinéa f del’article 9 de la loi n° 26/2000 relative aux tribunaux des droits de l’homme. Tous ces textes, et notamment le paragraphe 4 de l’article premier de la loi n° 39/1999, reprennent de très près le libellé de la Convention.

4.En ce qui concerne l’article 2 de la Convention, M. Wisnumurti dit que le programme quinquennal de développement (2001-2005) traite des questions prioritaires dans le domaine législatif, à savoir la révision des lois relatives au Procureur général et à la Cour suprême, l’adoption d’une loi relative à l’indépendance de la police nationale, d’une loi conforme à la loi relative au pouvoir judiciaire, la révision du Code pénal et de la loi de procédure pénale, l’adoption de la loi sur le médiateur, d’un code de déontologie des juges et d’une loi sur la protection des victimes et des témoins, ainsi que la révision de la loi relative à l’extradition. Au nombre de ces priorités, il convient aussi de mentionner la ratification de nombreux instruments relatifs aux droits de l’homme. La législation indonésienne contient de nombreuses dispositions relatives à la garde à vue. En vertu des paragraphes 1, 2 et 4 de l’article 24 de la loi de procédure pénale (KUHAP) de 1981, une personne peut être gardée à vue pendant 20 jours renouvelables, sans que la durée ne puisse excéder 60 jours. Selon l’article 50, la personne gardée à vue doit être immédiatement entendue par un officier de police judiciaire et peut, sur sa demande, être jugée en comparution immédiate. Conformément aux paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 13 de la loi 26/2000 relative aux tribunaux des droits de l’homme, qui traite de la détention à des fins d’enquête, la détention ne doit pas dépasser 90 jours, mais peut, sur demande du juge suprême du tribunal des droits de l’homme, être prolongée de 60 jours au maximum. L’article 14 de la loi 26/2000 dispose que la détention avant jugement ne peut dépasser 30 jours. Il y a aussi lieu de mentionner l’importance du principe de l’habeas corpus, raison pour laquelle le législateur a introduit dans la loi de procédure pénale de 1981 la notion de jugement préalable (pra-preradilan) selon laquelle l’agent chargé de l’enquête peut être traduit en justice s’il a procédé à une arrestation ou à une détention de façon illicite ou illégale. Les règles relatives à l’enregistrement du suspect sont énoncées à l’article 75 de la loi de procédure pénale qui prévoit l’obligation d’établir un rapport contenant tous les renseignements pertinents sur ce dernier. Le Gouvernement indonésien étudie actuellement la possibilité de mettre en place un fichier central d’enregistrement des détenus.

5.En ce qui concerne l’interdiction de priver un détenu de tout contact extérieur et la détention incommunicado, M. Wisnumurti cite notamment les articles 18, 21, 23, 29 et 59 de la loi de procédure pénale (KUHAP), en vertu desquels il est interdit d’empêcher un détenu de communiquer avec sa famille, à qui une copie du mandat de détention ou de maintien en détention est immédiatement adressée. La loi de procédure pénale dispose également que les services d’un commis d’office sont assurés gratuitement. Entre autres dispositions, le détenu peut bénéficier à tout moment de l’assistance de l’avocat de son choix, dès son arrestation. La personne placée en détention qui est ressortissante d’un État étranger peut prendre contact avec la représentation consulaire de son pays. Enfin, si le suspect commet un acte criminel avant qu’un examen ne soit engagé par l’instructeur, l’instructeur est obligé de lui notifier son droit d’obtenir une assistance judiciaire. La présence d’un avocat est également requise si l’infraction qui a donné lieu à l’arrestation est passible d’un emprisonnement d’un an et plus, par le Code de procédure pénale et par diverses autres dispositions. Par ailleurs, en vertu de l’article 58 de cette même loi, un détenu a le droit de recevoir la visite de son médecin personnel.

6.Le droit de ne pas être soumis à des actes de torture lors d’une situation d’urgence ou autre circonstance exceptionnelle, en tant que droit auquel il ne peut être dérogé, est spécifié dans le décret n° XVII de 1998 se rapportant aux droits de l’homme de l’Assemblée consultative, la loi n° 39 de 1999 relative aux droits de l’homme et la loi n° 23 relative aux situations d’urgence. L’interdiction de refouler ou d’extrader un individu vers un autre État où il risque la torture (art. 3 de la Convention) est garantie par l’application de l’article 13 et de l’article 15 de la loi n° 1 de 1979.

7.La criminalisation de la torture ou de la tentative de torture et l’obligation de prévoir les peines voulues (art. 4 de la Convention) sont respectées avec l’article 39 et l’article 41 de la loi 26/2000. L’acte de torture ou l’incitation à la torture sont également punissables en vertu de l’article 55 du Code pénal. Ces dispositions ont été renforcées par le verdict du tribunal de Banda Aceh en vertu duquel tous les éléments de l’acte de torture devaient être qualifiés d’infraction. À cet égard, M. Wisnumurti cite l’exemple de 23 soldats indonésiens qui ont été reconnus coupables de tortures sur des prisonniers d’Aceh et condamnés de un à quatre ans de réclusion criminelle en janvier 1999. En avril 1999, 11 soldats, dont 8 officiers ont également été reconnus coupables d’enlèvement et condamnés à des peines de un à trois ans d’emprisonnement. En mai 2000, 11 membres des forces armées ont été condamnés à des peines de 8 ans et 6 mois d’emprisonnement et 13 officiers à 9 ans d’emprisonnement et une personne a été condamnée à dix ans de réclusion.

8.Concernant l’article 5 de la Convention, la loi pénale indonésienne est applicable à toute infraction commise sur le territoire indonésien (art. 2 du Code pénal) et s’applique également aux infractions commises en dehors de l’Indonésie à bord d’un navire ou d’un aéronef immatriculés en Indonésie (art. 3 du Code pénal).

9.Passant aux articles 6, 7, 8 et 9 de la Convention, M. Wisnumurti dit que les articles 20 à 31 de la loi de procédure pénale fixent les compétences en matière de détention de l’autorité chargée de l’enquête, du procureur général et du juge. Les articles 25 à 27 de la loi n° 1 de 1979 relative à l’extradition portent sur l’arrestation et la détention d’un individu dont l’extradition est demandée, en assurant toutes les garanties nécessaires. Il y a lieu de noter qu’aucun cas d’extradition passive ou active de personnes soupçonnées d’acte de torture n’a été enregistré à e jour. L’Indonésie a signé des accords d’entraide judiciaire avec le Gouvernement australien le 27 octobre 1995 et avec le Gouvernement de la République de Chine en juillet 2000. Des pourparlers sont en cours avec notamment la République de Guinée et la Papouasie‑Nouvelle-Guinée. Elle a également passé des accords bilatéraux d’extradition avec l’Australie, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande et a signé un traité avec Hong Kong en vue de la remise des délinquants en fuite. La police indonésienne est en outre membre d’Interpol.

10.Afin d’instaurer une culture des droits de l’homme (art. 10 de la Convention), des séminaires et des formations sont organisés sur l’ensemble du territoire. Les forces armées et de police reçoivent un enseignement spécialement consacré aux droits de l’homme. De plus, les responsables de l’application de la loi reçoivent une formation spécifique sur les droits de l’homme, qui comprend un volet sur l’interdiction de la torture. Par ailleurs, un programme national de formation a récemment été mis en place en collaboration avec le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés afin de sensibiliser les policiers aux droits fondamentaux, et notamment dans le cas des réfugiés.

11.Passant à l’article 11 de la Convention, M. Wisnumurti dit que le Gouvernement peut, en plus des contrôles réguliers effectués par les autorités compétentes, autoriser des organes indépendants tels que la Commission nationale des droits de l’homme et le CICR, à rendre visite aux détenus et prisonniers. Il a pris note avec intérêt de la suggestion faite par un membre du Comité visant à ce que le Gouvernement coopère avec les ONG nationales à l’action de surveillance des prisons et lieux de détention.

12.Les dispositions légales régissant les enquêtes sur les allégations de torture figurent à l’article 89 de la loi n° 39/1999 relative aux droits de l’homme qui donne compétence à la Commission des droits de l’homme en la matière. La nécessité de mener une enquête immédiate et impartiale en cas de plainte pour torture fait l’objet de plusieurs dispositions législatives.

13.Le droit de la victime de porter plainte devant les autorités compétentes est prévu dans le règlement du Gouvernement n° 27 de 1983 relatif à l’application de la loi de procédure pénale tandis que la protection des victimes et des témoins figure à l’article 34 de la loi 26/2000. Une nouvelle loi sur la question est en cours d’élaboration. Le droit à réparation (art. 4 de la Convention) est énoncé aux articles 1365 et 1367 du Code civil ainsi qu’à l’article 35 de la loi 26/2000 relative aux tribunaux des droits de l’homme. Concernant l’article 15 de la Convention, l’article 117 de la loi de procédure pénale (KUHAP) interdit l’utilisation d’une déclaration obtenue sous la contrainte, de quelque nature ou origine que ce soit.

14.Au sujet de l’article 16 de la Convention, M. Wisnumurti dit que le décret n° XVII de 1998 se rapportant aux droits de l’homme de l’Assemblée consultative populaire, la loi n° 39/1999 et l’article 10 du Code pénal interdisent toute peine ou tout traitement inhumain ou dégradant et l’article 422 interdit d’autres actes constitutifs de traitements cruels.

15.La déclaration à propos de l’article 20 de la Convention que le Gouvernement indonésien a faite au moment de la ratifier ne représentait pas une réserve au sujet de la compétence du Comité; il a affirmé que les dispositions des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 20 devaient être appliquées dans le strict respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des États parties. Cette déclaration est d’autant plus importante que l’Indonésie est menacée de désintégration territoriale et que la notion des droits de l’homme y est souvent utilisée abusivement par des mouvements séparatistes à des fins politiques. Cette déclaration ne sous‑entendait nullement que le renforcement des droits de l’homme allait porter atteinte à la stabilité et à l’intégrité territoriale du pays, et ne récusait pas la compétence du Comité établie par l’article 20 de la Convention.

16.En ce qui concerne les cas présumés de torture et d’exécutions extrajudiciaires de trois militants de Rehabilitation Action for Torture Victims in Aceh (RATA) en décembre 2000, M. Wisnumurti indique que le Gouvernement indonésien est fermement résolu à faire la lumière sur ces affaires et à traduire les coupables en justice. Une enquête de police a abouti assez rapidement à l’arrestation de huit personnes, dont le responsable des services de renseignements de l’un des secteurs militaires de Lhokseumawe. Le retard intervenu dans le traitement de ces affaires, auquel s’est ajoutée l’évasion des quatre suspects et témoins, est dû au conflit de compétence apparu entre la Commission nationale des droits de l’homme d’une part, qui affirme que la législation sur les droits de l’homme doit s’appliquer en l’espèce et qu’il lui appartient donc d’enquêter, et le bureau du Procureur d’autre part, qui fait valoir que c’est un tribunal mixte, civil et militaire, qui doit être saisi de ces cas puisque les tribunaux des droits de l’homme ne fonctionnent pas encore. Quant aux actes de torture qui auraient été commis en décembre 2000 à Abepura, le Gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour que les coupables soient punis. La Commission nationale des droits de l’homme, agissant en vertu de la loi 39/1999 relative aux droits de l’homme, a chargé une commission d’enquête de s’occuper de l’affaire. En mai 2001, le rapport de cette commission d’enquête a été présenté au bureau du Procureur général: il concluait que des violations des droits de l’homme avaient bien été commises et mettait en cause 15 policiers de l’Irian Jaya, dont un commandant des brigades mobiles et un responsable régional de la police. Ainsi que l’a souhaité la commission d’enquête, ces affaires ne seront pas jugées au pénal mais en vertu de la législation sur les droits de l’homme et sur les tribunaux des droits de l’homme, par le Tribunal des droits de l’homme de Makasar. Toutefois, après avoir étudié ces affaires de manière approfondie, l’équipe d’enquête mise sur pied par le bureau du Procureur général a renvoyé le rapport à la Commission nationale des droits de l’homme en vue d’obtenir un complément d’information, puis le rapport a été retourné au bureau du Procureur général afin que son équipe d’enquête puisse poursuivre les investigations. La délégation indonésienne fournira d’autres renseignements au Comité dès qu’ils seront disponibles.

17.Mme GAER (Rapporteuse pour l’Indonésie) remercie la délégation pour les nombreuses et utiles précisions apportées. Elle relève avec satisfaction que la délégation reconnaît que beaucoup reste encore à faire en Indonésie et que les garanties actuelles doivent être renforcées; elle constate aussi que l’Indonésie est consciente du rôle très utile joué par les organisations non gouvernementales pour instaurer une culture du respect des droits de l’homme dans le pays. Il est particulièrement important pour la protection des droits de l’homme de mettre en place un registre centralisé des détenus, non seulement à l’échelon local, mais aussi à l’échelon national: Mme Gaer a noté que la mise en place d’un tel registre est à l’étude et souhaiterait savoir si outre les registres locaux, il existera bien un registre national. Par ailleurs, la délégation a évoqué le droit des personnes arrêtées de se faire examiner par un médecin; mais plus important encore, il faudrait savoir si les autorités sont tenues de soumettre toute personne placée en détention à un examen médical.

18.Le Comité a entendu avec intérêt les précisions apportées par la délégation sur les inculpations d’auteurs d’actes de torture. À ce sujet, Mme Gaer souhaiterait aussi savoir si des fonctionnaires de rang élevé ont été inculpés et notamment si dans l’affaire Bantaquiah, on s’efforce de retrouver la personne qui exerçait l’autorité au moment des faits.

19.Les renseignements donnés au sujet de la formation dispensée en matière de droits de l’homme aux membres de la police et des forces armées sont fort intéressants. Le fait que cette formation soit dispensée systématiquement, unité par unité, et qu’un bataillon entier des brigades mobiles de la police (Brimob) en ait déjà bénéficié est encourageant. Mais l’expression «droits de l’homme» est assez vague et il serait utile de savoir si la formation vise spécifiquement la prévention de la torture et notamment si les intéressés sont informés de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements. Par ailleurs, le fait que la délégation ait indiqué que la coopération avec des ONG nationales pour surveiller les prisons et les lieux de détention est vue favorablement par les autorités, et qu’elles s’intéressent aussi à la mise en place d’un dispositif de protection des victimes et des témoins, est un sujet de satisfaction pour le Comité. Enfin, en ce qui concerne la déclaration faite par l’Indonésie à propos de l’article 20 de la Convention, Mme Gaer tient à rappeler que tous les organes des Nations Unies sont très respectueux de l’intégrité territoriale des États et veillent à traiter tous les États souverains sur un pied d’égalité absolue. À propos de l’affaire relative aux militants de l’organisation RATA, la délégation a indiqué que le Gouvernement indonésien était résolu à traduire les coupables en justice, mais qu’un conflit de juridiction avait occasionné des retards; l’évasion des quatre suspects et témoins n’a‑t‑elle pas elle aussi joué un rôle, comment ces évasions ont-elles été possibles, que vont faire les autorités pour retrouver ces personnes ainsi que ceux qui les ont aidées à s’évader, et quelles vont être les suites données à l’affaire? Par ailleurs, il semble que les auteurs des actes de torture commis à Abepura ont été identifiés et que parmi eux figure un commandant des brigades mobiles de la police (Brimob). Le Gouvernement s’inquiète‑t‑il du comportement des Brimob, qui semblent souvent impliquées dans les affaires les plus graves? Depuis l’arrivée au pouvoir du Gouvernement de transition, ce corps de police a‑t‑il été réformé, les membres de ces brigades ont-ils fait l’objet d’une sélection et ont-ils bénéficié d’une formation spéciale?

20.Mme Gaer souhaiterait savoir si le Gouvernement coopère avec l’Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental dans les enquêtes menées par celle‑ci au sujet des violations des droits de l’homme commises au Timor oriental: ses représentants ont‑ils été autorisés à se rendre en Indonésie, leur a‑t‑on remis des copies des dossiers, etc.? En outre, aucune information n’a été donnée sur les mesures éventuellement prises afin d’assurer la sécurité des communautés chrétienne et musulmane des îles Moluques: que fait‑on pour remédier à l’apparente impunité du groupe d’hommes qui, arrivé en force sur ces îles, s’est livré à des exactions qui ont entraîné la mort de milliers de personnes et le déplacement de centaines de milliers d’autres – d’autant plus que ce groupe paraît lié au terrorisme international et a été identifié par le Département d’État américain comme ayant des liens avec le réseau Al-Qaïda?

21.Il serait utile de savoir si la Commission indonésienne des droits de l’homme (Komnas‑HAM) peut fonctionner conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), si le Gouvernement tient compte de ses rapports et de ses recommandations, et si ces rapports, et notamment celui portant sur les événements qui se sont produits à Aceh, sont rendus publics. Enfin, il semble que le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire et la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, lorsqu’ils sont allés en Indonésie, n’ont pas pu se rendre dans des zones de conflits; Mme Gaer souhaiterait savoir si c’est parce qu’ils n’y ont pas été autorisés. Quant au Rapporteur spécial sur la torture, il demande depuis de nombreuses années à se rendre en Indonésie et le Comité voudrait avoir des indications sur la manière dont une telle visite pourrait être facilitée.

22.M. YU Mengjia (Corapporteur pour l’Indonésie) rappelle que selon ce qui est indiqué dans le rapport, on a veillé à séparer les juridictions militaires et les juridictions civiles. Or il semble qu’en cas d’émeutes, des militaires peuvent fort bien être amenés à arrêter des individus: quelles garanties spécifiques le Gouvernement a‑t‑il mises en place pour les situations d’urgence de ce genre?

23.M. GONZÁLEZ POBLETE conserve, malgré l’exposé fort instructif du représentant de l’Indonésie, l’impression qu’en droit pénal indonésien, la torture n’est pas qualifiée de délit distinct. Il est vrai que l’article premier de la loi n° 39 de 1999 relative aux droits de l’homme reprend quasiment à la lettre les dispositions de l’article premier de la Convention; mais il ne s’agit pas là d’une disposition pénale, puisque aucune sanction spécifique n’y est prévue. Quant aux sanctions énumérées aux paragraphes 76 et suivants du rapport, elles concernent des actes ayant entraîné des lésions ou le décès de la victime, alors que la torture ne produit par forcément de lésions physiques, raison pour laquelle elle doit être traitée séparément dans le Code pénal. Même si la Convention a été intégrée au droit interne indonésien, il ne s’agit pas d’un texte pénal; mais peut-être d’autres dispositions de la législation prévoient-elles des sanctions pénales spécifiques pour les actes de torture.

24.M. WISNUMURTI (Indonésie) s’efforcera de répondre aux questions qui viennent d’être posées, et sa délégation communiquera ultérieurement par écrit toutes informations complémentaires utiles. Tout d’abord, il faut savoir que le registre centralisé dont la mise en place vient d’être décidée ne fonctionne pas encore pour l’heure; les autorités s’efforcent à titre prioritaire de développer et d’assurer le bon fonctionnement des registres à l’échelon régional. Des mesures d’ordre judiciaire ont effectivement été prises à l’encontre des fonctionnaires impliqués dans les incidents qui ont eu lieu à Aceh, et la procédure se poursuit. Par ailleurs, on s’emploie à dispenser une formation aux membres des brigades mobiles et des forces armées indonésiennes, qui sont informés des dispositions de la législation relative aux droits de l’homme et notamment de la Convention contre la torture; un petit recueil de consignes à respecter dans les situations de conflit a même été élaboré à l’intention de la police et des forces armées. Certes on peut douter un peu de l’efficacité de ce texte, mais il atteste la volonté du Gouvernement de sensibiliser les personnes ayant à intervenir dans des zones de conflit.

25.Le Gouvernement indonésien est désireux de continuer à coopérer avec les organisations non gouvernementales dans leurs efforts en faveur de la cause des droits de l’homme. Cette volonté existe depuis longtemps et a abouti à la mise en place de la Commission nationale des droits de l’homme. Dans bien des cas, cette coopération s’est révélée très efficace. Dans l’enquête relative aux violations des droits de l’homme commises au Timor oriental en 1999, le Procureur général a tenu compte des conclusions et du rapport de la Commission nationale des droits de l’homme et a ouvert des enquêtes au sujet d’actes qui auraient été commis par des membres des forces armées, y compris des officiers de haut rang; cette procédure, engagée au début de 2001, a été retardée quelque peu parce que les tribunaux des droits de l’homme n’existaient pas encore: c’est maintenant chose faite, différentes villes sont dotées de tribunaux permanents des droits de l’homme et un tribunal spécial a été créé pour connaître des violations des droits de l’homme perpétrées au Timor oriental en 1999. Dès que la nomination des juges appelés à y siéger sera achevée, ils seront saisis des dossiers établis sur la base du rapport rédigé par la Commission des droits de l’homme en coopération avec les organisations non gouvernementales. Grâce à cette coopération, les auteurs de violations des droits de l’homme ne devraient donc pas restés impunis. Les retards intervenus dans la procédure concernant les membres de l’organisation RATA ne sont pas exactement dus à un conflit de compétence puisque les tribunaux des droits de l’homme et la Commission des droits de l’homme n’ont pas compétence en la matière, mais d’un différend sur la question de savoir s’il s’agit d’une affaire pénale ou d’une affaire nécessitant la constitution d’un tribunal mixte civil et militaire. Certes, la situation a été aggravée par l’évasion des détenus; la police fait de son mieux pour retrouver les évadés mais sa tâche est malaisée parce que l’on se trouve dans une période de transition. Dans le passé en effet, seuls les militaires étaient responsables de la sécurité, la police n’agissant qu’en tant qu’auxiliaire; désormais, c’est elle qui est chargée de l’ordre public et de la sécurité intérieure. Or elle ne maîtrise pas encore entièrement les moyens qui lui permettront de s’acquitter de cette mission et elle manque encore d’expérience, en matière de collecte de renseignements notamment. Mais les pouvoirs publics ne manquent ni de bonne volonté, ni de détermination. La Présidente de la République est très préoccupée par ces difficultés rencontrées par les services chargés de l’application de la loi, mais il ne fait pas de doute qu’elles sont passagères.

26.À propos des événements d’Abepura, M. Wisnumurti rappelle que pendant 30 ans, l’Indonésie a vécu dans une culture de la violence qui a permis aux membres des brigades mobiles et des forces armées de se livrer à des exactions en toute impunité. On s’efforce maintenant de remédier à cette situation non seulement par des mesures d’ordre législatif mais aussi par des actions de formation visant à transformer les mentalités, ce qui prendra nécessairement du temps. Cela n’est en aucune manière une excuse, mais les autorités ne ménagent pas leurs efforts pour réaliser cette transformation en profondeur.

27.La coopération entre le Gouvernement indonésien et l’Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental en vue de traduire en justice les auteurs de violations des droits de l’homme est active. Des juges et des avocats de l’Administration transitoire se sont rendus en Indonésie où ils ont pu, travaillant avec le bureau du Procureur général, interroger des témoins et des coupables présumés. Toutefois, la mise en œuvre de cette assistance mutuelle se heurte encore au problème que poserait le fait pour des procureurs de l’Administration transitoire d’enquêter eux‑mêmes directement sur le territoire indonésien; l’une et l’autre partie s’emploient à résoudre le problème à la satisfaction des uns et des autres et dans l’intérêt de la justice.

28.En ce qui concerne la situation dans l’archipel des Moluques, le Gouvernement est fermement décidé à punir les responsables de violations à Ambon et dans d’autres parties des Moluques. Le chef des combattants armés du Jihad qui ont sévi dans cette région, les Laskar Jihad, fait actuellement l’objet d’une enquête ouverte par le procureur général. Il s’agit là d’un défi pour le Gouvernement, non seulement du point de vue de l’application de la justice, mais en raison de l’orientation religieuse de ce groupe armé. Actuellement, la situation dans les Moluques est en passe de revenir à la normale.

29.Concernant l’indépendance des membres de la Commission nationale des droits de l’homme, le fait que des fonctionnaires de l’administration publique en fassent partie ne doit pas être interprété comme une ingérence de l’État dans ses activités. Cette institution a fait la preuve de son intégrité et de sa crédibilité dans son travail et veille à sauvegarder son indépendance quand il s’agit d’élire de nouveaux membres. M. Wisnumurti ne sait pas où en est l’enquête de la Commission nationale sur les exactions commises à Aceh et il donnera ultérieurement des renseignements au Comité à ce sujet.

30.Pour ce qui est des invitations de rapporteurs spéciaux, le Gouvernement étudie chaque demande au cas par cas et émet parfois des réserves concernant la zone à visiter quand il craint pour la sécurité du rapporteur spécial. Plusieurs visites de rapporteurs spéciaux ont déjà eu lieu et le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats doit se rendre en Indonésie au début de 2002.

31.Il a été demandé s’il existait des peines pour sanctionner les personnes reconnues responsables d’actes de torture. De telles peines sont prévues à l’article 41 de la loi n° 26/2000 relative aux tribunaux des droits de l’homme.

32.Mme GAER (Rapporteuse pour l’Indonésie) dit qu’à sa connaissance, la loi n° 26/2000 est limitée dans le temps et dans l’espace; il faut savoir s’il existe des peines applicables en tout temps et sur tout le territoire. Beaucoup de violations des droits de l’homme sont dues à l’usage excessif de la force contre des manifestants par les brigades mobiles, dans les zones de conflits mais pas uniquement. Le nouveau Gouvernement dit avoir besoin de temps et s’efforce de lutter contre ces violations et de les prévenir. Mme Gaer souhaiterait savoir quels enseignements peuvent être tirés de l’expérience de ces dernières années et comment le comportement de ces forces de police pourrait être contrôlé. Les autorités indonésiennes qui sont désireuses de collaborer avec le Comité pourraient indiquer dans quels domaines elles ont besoin d’assistance pour mieux poursuivre leurs efforts.

33.M. WISNUMURTI (Indonésie) répond que la loi n° 26/2000 n’est pas limitée dans le temps et l’espace, car il s’agit d’une loi fondamentale, qui prévoit notamment la création de tribunaux des droits de l’homme et un certain nombre de sanctions en cas de violations. Seul le décret présidentiel portant création du tribunal spécial chargé de connaître des violations commises au Timor oriental porte sur une période et une zone géographique limitée. Des enquêtes sont menées par la Commission nationale des droits de l’homme en collaboration avec le bureau du Procureur et des organisations non gouvernementales. Le tribunal spécial a certes un mandat limité, de par sa nature même, mais il existe dans trois villes des tribunaux permanents des droits de l’homme auxquels aucune restriction temporelle ou géographique ne s’applique.

34.Pour que le comportement des brigades mobiles de police et des militaires change dans les faits, il faudra un certain temps, mais le Gouvernement met tout en œuvre pour faire évoluer les mentalités par l’éducation. Les efforts déployés par les pouvoirs publics pour combattre le recours excessif à la violence contre les manifestants ont été assez fructueux et des progrès ont été accomplis. Ces progrès découlent également de la démocratisation de la société et de la liberté d’expression dont jouissent la presse et les organisations non gouvernementales, qui suivent de près les actions des forces de police. En ce sens, il serait important de renforcer le rôle d’observateur critique de la presse en Indonésie, qui est devenue en quelque sorte un acteur non gouvernemental contribuant aux efforts du Gouvernement et au processus de démocratisation. Un autre acteur très dynamique dans ce processus est le Parlement, qui se réunit quotidiennement et s’emploie à lutter contre les abus de pouvoir des agents de l’État. En outre, toute violation des droits de l’homme peut facilement être dénoncée dans les médias et donner lieu à une réaction de la part du Parlement. Le fait que la situation en Indonésie soit sous la surveillance du Comité et d’autres institutions internationales est susceptible d’inquiéter de nombreuses personnes, notamment dans les milieux politique et militaire, signe de l’influence que peut avoir le Comité. Le Gouvernement indonésien a donc besoin de ses conseils et critiques afin de progresser dans la promotion des droits de l’homme.

35.Le PRÉSIDENT remercie la délégation des renseignements complémentaires qu’elle a apportés et l’invite à revenir à une séance ultérieure pour entendre les conclusions et recommandations du Comité.

36. La délégation indonésienne se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 16 h 45.

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