NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.65119 mai 2005

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑quatrième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 651e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève

le mercredi 11 mai 2005, à 10 heures

Président: M. MARIÑO MENÉNDEZ

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial de l’Ouganda

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial de l’Ouganda (CAT/C/5/Add.32; HRI/CORE/1/Add.69)

1. Sur l’invitation du Président, M mes  Nakirbirwa, Nganwa et Byakutaga et MM. Naggaga, Kyomuhendo, Sonko, Twaruhukwa, Bernard et David (Ouganda) prennent place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT souhaite la bienvenue à la délégation ougandaise.

3.M. SONKO (Ouganda) dit que sa délégation se propose de répondre article par article aux questions posées par le Comité après que l’Ouganda lui a soumis son rapport initial en 2004. S’agissant de l’article premier de la Convention, il signale que la torture n’est pas définie explicitement dans la législation ougandaise, mais que les tribunaux comblent cette lacune en se référant directement à l’article premier de la Convention lorsqu’ils ont à connaître d’une affaire de torture. En outre, comme indiqué dans le rapport, des dispositions protégeant les individus contre la torture et les mauvais traitements sont prévues dans la Constitution de 1995 (voir le paragraphe 31 du rapport) et le Code pénal (par. 33), ainsi que dans la loi contre le terrorisme de 2002 (par. 32). Le Code pénal punit en outre l’abus de pouvoir et l’emprisonnement illégal. Des dispositions interdisant le recours à la torture sont également prévues dans la loi sur les Forces de défense du peuple ougandais (voir le paragraphe 35 du rapport) et dans la loi sur la police (par. 34), laquelle dispose que toute plainte pour actes de tortures doit faire l’objet d’une enquête et que la victime de tels actes doit être examinée et soignée. En outre, le Code de conduite de la police établit la responsabilité pénale des membres de la police qui ont commis des sévices. En revanche, la loi sur les prisons ne contient pas de disposition interdisant expressément la torture. Elle réprime néanmoins le harcèlement, les injures et les voies de fait. Par conséquent, tout acte de torture commis par un membre du personnel pénitentiaire tombe sous le coup des dispositions du Code pénal relatives aux voies de fait. En outre, par une instruction administrative émanant du Directeur de l’administration pénitentiaire, le personnel carcéral est informé de l’illégalité de la pratique de la torture et de ce que toute transgression de l’interdiction de cette pratique engage sa responsabilité pénale.

4.M. TWARUHUKWA (Ouganda), donnant des précisions sur l’application par l’Ouganda de l’article 2 de la Convention, indique qu’en vertu de la Constitution et de la loi sur la police, la durée de la garde à vue est de 48 heures au maximum et qu’au cas où le suspect n’est pas présenté au juge avant l’expiration de ce délai, il est libéré sous caution. En outre, la Constitution prévoit à l’article 23 que la détention au secret est interdite en toutes circonstances et que toute personne arrêtée a le droit d’être représentée par un avocat, d’exiger que son conseil assiste à l’interrogatoire, d’être examinée par un médecin de son choix et d’informer ses proches de son arrestation. Toutes les dispositions susmentionnées sont citées dans les circulaires administratives et dans le répertoire de poche sur les droits de l’homme établi à l'intention de la police. De plus, le caractère intangible de l’interdiction de la torture est consacré dans l’article 24 de la Constitution et dans la loi sur la police et il est également rappelé dans les circulaires administratives et le répertoire de poche sur les droits de l’homme.

5.Enfin, il existe deux mécanismes de surveillance, la Commission ougandaise des droits de l’homme et le Bureau des droits de l’homme des Forces de défense du peuple ougandais, qui sont chargés de mener des enquêtes sur les allégations d’abus de pouvoir, dont les actes de torture commis par les membres des forces armées. En vertu de la loi sur les Forces de défense du peuple ougandais, la pratique de la torture est prohibée et, dans la loi sur les prisons, il est précisé que les agents du personnel pénitentiaire s’acquittent de leurs tâches en obéissant aux directives légitimes qu’ils reçoivent.

6.Mme BYAKUTAGA (Ouganda) dit à propos de l’article 3 de la Convention que toute décision d’extradition ou d’expulsion est prise par les autorités sur la base des informations contenues dans le mandat d’arrêt transmis par le pays demandeur et des renseignements figurant dans la demande d’extradition soumise par la mission diplomatique du pays en question. En vertu de la loi sur l’extradition, les infractions à caractère politique ne sont pas considérées comme des cas d’extradition. La décision d’extradition est susceptible d’appel: la personne dont l’extradition est demandée peut saisir la Haute Cour, en expliquant les motifs de son appel et, si elle n’est pas satisfaite de la décision rendue par cette juridiction, elle peut saisir la Cour suprême.

7.Les autorités habilitées à déterminer si le renvoi d’une personne dans son pays ou dans un pays ayant demandé son extradition l’exposerait à des risques de torture sont le Ministre de la justice et les tribunaux de niveau intermédiaire (tribunaux de grande instance et tribunaux d’instance du premier degré). En vertu de la loi sur l’extradition, le Ministre de la justice peut refuser d’ordonner qu’une personne soit remise à l’État demandeur si cette dernière fait valoir que son extradition est demandée pour des motifs politiques. Le Ministre de la justice peut se prévaloir de cette prérogative lorsqu’il existe de lourdes présomptions que l’intéressé serait soumis à la torture en cas de renvoi. Le Ministre de la justice a également pour tâche d’entériner les mandats d’arrêt délivrés à sa demande par les tribunaux. Quant à ces derniers, ils ont également la possibilité, en vertu de la loi sur l’extradition, d’user de leur pouvoir discrétionnaire afin d’apprécier si l’intéressé pourrait être soumis à la torture en cas de renvoi et, en conséquence, ils peuvent refuser de remettre un prisonnier au pays demandeur et ordonner sa mise en liberté. Les tribunaux jouent également un rôle fondamental lorsqu’ils examinent les mandats d’arrêt.

8.En ce qui concerne la formation des agents de l’État, les magistrats apprennent à examiner les preuves et à mener des enquêtes et certains bénéficient également d’une formation dans le domaine des droits de l’homme. Parmi les sources d’information prises en compte par les tribunaux, il convient de citer les déclarations orales des suspects dont l’extradition est demandée, notamment leurs allégations concernant les risques de torture en cas de renvoi, les informations émanant de missions d’autres pays, de diplomates et des autorités concernées du pays demandeur et les renseignements disponibles sur l’Internet.

9.M. DAVID (Ouganda) indique au sujet de l’article 4 de la Convention que, dans la loi contre le terrorisme de 2002, les actes de torture sont sanctionnés d’une peine de prison maximale de cinq ans ou d’une amende maximale de 250 points équivalents-monnaie, ou des deux à la fois. L’article 387 du Code pénal réprime toutes les tentatives de torture, qui sont passibles des peines définies à l’article 388 dudit Code et des sanctions disciplinaires sont prévues dans la réglementation relative au service public, selon laquelle tout agent de la fonction publique poursuivi au pénal est suspendu de ses fonctions et ne touche que la moitié de son salaire pendant toute la durée de la procédure. S’il est reconnu coupable par le tribunal, il est démis de ses fonctions et perd ses arriérés de salaire mais, s’il est déclaré innocent, il est réintégré dans ses droits. La loi sur les prisons prévoit des sanctions disciplinaires en cas de voies de fait à l’encontre des détenus, qui vont du blâme à la révocation, en passant par le paiement d’une amende. Il est également possible de signaler ces infractions à la police en vue du dépôt d’une plainte officielle.

10.Dans l’armée, les personnes reconnues coupables d’avoir infligé des mauvais traitements à un civil sont condamnées à être dégradées ou renvoyées, conformément aux dispositions de la loi sur les Forces de défense du peuple ougandais et, dans la police, tout membre des forces de l’ordre déclaré coupable de mauvais traitements et d’actes constitutifs de torture est condamné à être rétrogradé ou démis de ses fonctions. Des exemples concrets d’application de ces sanctions figurent aux paragraphes 39 et 40 du rapport.

11.M. BERNARD (Ouganda) rappelant, à propos de l’article 5 de la Convention, que la législation ougandaise contient tout un arsenal de dispositions incriminant la torture et les mauvais traitements et que les affaires de torture peuvent être examinées non seulement par les tribunaux, mais aussi par la Commission ougandaise des droits de l’homme, dont les arrêts et décisions ont la même valeur que ceux rendus par la Haute Cour (par. 38 du rapport), indique que les tribunaux ougandais n’ont pas compétence universelle pour connaître de tous les actes de torture où qu’ils soient commis. En effet, la torture ne fait pas partie des infractions, telles que la haute trahison et les actes de terrorisme, pour lesquelles la justice ougandaise a une compétence extraterritoriale en vertu du droit interne.

12.À propos des articles 6, 7, 8 et 9, M. TWARUHUKWA (Ouganda) dit qu’il n’existe pas de procédures d’extradition spéciale pour les personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de torture. En outre, une personne ne peut être extradée que s’il existe un traité d’extradition avec l’État requérant. Toutefois, l’Ouganda est membre d’Interpol et du Comité des chefs de police des pays d’Afrique de l’Est, et des criminels peuvent être arrêtés et extradés même en l’absence d’un accord d’extradition dans le cadre des mesures d’entraide judiciaire prévues par ces deux organisations.

13.À propos de l’article 10 de la Convention, M. SONKO (Ouganda) dit que l’éducation et l’information en matière de droits de l’homme figurent parmi les fonctions confiées par la Constitution à la Commission ougandaise des droits de l’homme. La police et l’administration pénitentiaire disposent depuis 2000 d’un programme d’enseignement des droits de l’homme et d’un manuel de formation aux droits de l’homme, qui traitent entre autres de la torture. Un travail de sensibilisation à la torture est également effectué au sein des forces armées. La Commission ougandaise des droits de l’homme, en collaboration avec le Bureau des droits de l’homme des Forces de défense du peuple ougandais a ainsi organisé des séminaires sur les droits de l’homme à l’intention des unités de l’armée réparties sur l’ensemble du territoire. Grâce à cet effort de formation et de sensibilisation, les visites de représentants de la Commission nationale des droits de l’homme, du CICR et des commissions parlementaires dans les prisons et les locaux de la police ou de l’armée ont été facilitées.

14.S’agissant de l’application de l’article 11 de la Convention, M. DAVID (Ouganda) dit que le responsable d’un centre pénitentiaire a l’obligation d’inspecter toutes les parties de la prison et de recueillir les plaintes à la fois des gardiens et des détenus. Il existe un service d’inspection des prisons qui fait rapport au commissaire aux prisons. La visite des lieux de détention est aussi une tâche assignée à la Commission nationale des droits de l’homme et à certains magistrats. Lors des inspections, les policiers sont tenus d’autoriser l’accès aux cellules.

15.En ce qui concerne l’application de l’article 12 de la Convention, Mme BYAKUTAGA (Ouganda) dit qu’en vertu de la loi sur la police, la responsabilité des enquêtes incombe au département des enquêtes de la police criminelle. Une fois que les investigations ont été achevées et si des preuves suffisantes ont été recueillies contre le suspect, le dossier est transmis au directeur des poursuites (DPP). Ainsi, l’intervention de la police cesse dès la fin de l’enquête. En vertu de la Constitution, la Commission des droits de l’homme est habilitée à enquêter, de sa propre initiative ou sur plainte, à formuler des recommandations à l’intention du Parlement, notamment sur l’indemnisation de victimes de violations des droits de l’homme et à siéger avec des pouvoirs juridictionnels afin d’entendre les victimes et de leur accorder une indemnisation. À ce jour, 223 affaires sont pendantes devant la Commission. Au sein de tous les organismes de sécurité (armée, police et établissements pénitentiaires), des bureaux des droits de l’homme recueillent les plaintes.

16.À propos de l’article 13 de la Convention, M. SONKO (Ouganda) dit que les plaintes pour torture sont traitées comme toute autre plainte pénale. Si la plainte est déposée au sein de l’armée, de la police ou d’un établissement pénitentiaire, elle est traitée par cette institution. Toute personne qui estime qu’un de ses droits a été bafoué peut former un recours devant un tribunal pour obtenir réparation, conformément à l’article 50 de la Constitution. La Commission des droits de l’homme ne peut à cette fin se substituer aux tribunaux, mais complète l’action du pouvoir judiciaire. Elle est habilitée à enquêter sur toute plainte portant sur une violation des droits de l’homme, sauf si l’affaire est pendante devant un tribunal ou a déjà été jugée par un tribunal.

17.Les plaignants sont interrogés par le département des plaintes et des enquêtes de la Commission des droits de l’homme, puis le défendeur est invité à donner sa version des faits. Si les déclarations du plaignant et du défendeur ne concordent pas, la Commission poursuit son enquête. Une fois l’enquête achevée, le dossier est transmis au département des affaires juridiques et judiciaires qui détermine si l’affaire doit être examinée par la Commission des droits de l’homme siégeant en tant qu’organe juridictionnel ou réglée par la médiation.

18.À propos de l’article 14 de la Constitution, M. BERNARD (Ouganda) dit que la réparation due aux victimes d’actes de torture commis par des agents de l’État est du ressort de l’Attorney général. Les indemnisations sont accordées par les tribunaux, la Commission des droits de l’homme et d’autres organismes compétents. Pour évaluer leur montant, le juge, le magistrat ou l’organe compétent prend en considération l’étendue du dommage et les mesures nécessaires pour le réparer. La réadaptation médicale des victimes de violations est assurée par des organisations non gouvernementales telles que le Centre africain pour le traitement et la réadaptation des victimes de la torture.

19.S’agissant de l’article 15 de la Convention, M. TWARUHUKWA (Ouganda) souligne qu’en vertu de l’article 24 de la loi sur l’administration de la preuve, des aveux obtenus d’une personne pendant qu’elle est en garde à vue ne peuvent être retenus contre elle à moins qu’ils aient été faits en présence soit d’un officier de police de rang égal ou supérieur à celui d’inspecteur-adjoint, soit d’un magistrat. En outre, les aveux d’un inculpé sont irrecevables si le tribunal considère qu’ils ont été obtenus par la violence, la force, la menace, la persuasion ou la promesse aux fins de susciter des aveux mensongers. En aucun cas, un aveu obtenu sous la contrainte ne pourra être retenu comme moyen de preuve contre la personne accusée.

20.À propos de l’article 16 de la Convention, M. DAVID (Ouganda) rappelle l’article 24 de la Constitution ougandaise selon lequel nul ne sera soumis à quelque forme de torture, de peine ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant que ce soit. Il souligne qu’un bureau des droits de l’homme est chargé de veiller au respect des droits dans l’ensemble de l’armée ougandaise. Une instruction administrative interdit la torture dans les prisons et sensibilise les agents pénitentiaires au fait qu’ils sont personnellement responsables. Une autre instruction administrative impose à tous les agents de coopérer avec la Commission des droits de l’homme. Dans la police, le manuel des droits de l’homme prévoit que toutes les victimes de crimes ainsi que les détenus doivent être traités avec humanité.

21.M. NAGGAGA (Ouganda) dit que sa délégation espère avoir fourni des informations utiles au Comité. Il tient à signaler que, sans faire partie de la délégation, plusieurs membres de la Commission ougandaise des droits de l’homme assistent à la présentation du rapport initial de l’Ouganda devant le Comité.

22.M. MAVROMMATIS (Rapporteur pour l’Ouganda), après avoir remercié la délégation ougandaise de son exposé oral, note avec satisfaction que le Gouvernement ougandais est représenté par une délégation nombreuse et de haut niveau. Le Comité est heureux de pouvoir dialoguer avec un État comme l’Ouganda, pays en développement en butte à de nombreuses difficultés. Son plus vif désir est d’aider les autorités du pays à améliorer leur législation et leur pratique sur la base de son expérience et de sa connaissance de la situation dans d’autres pays. C’est dans un esprit constructif que les membres du Comité formuleront leurs questions, suggestions et recommandations.

23.Bien que la délégation n’en ait pas parlé, nul n’ignore que l’Ouganda connaît une situation difficile puisqu’il doit remédier aux survivances du régime du général Idi Amin et faire face à la guerre qui sévit dans le nord du pays. Selon le Département des affaires humanitaires de l’ONU, il semble que cette région connaisse aujourd’hui une très grave crise humanitaire. Il faut rappeler que, après que les rebelles ont enlevé 22 000 enfants, le Président ougandais a saisi la Cour pénale internationale. M. Mavrommatis aimerait que la délégation lui donne des informations sur la situation des personnes réfugiées dans les camps et sur les perspectives d’un règlement pacifique du conflit.

24.Par ailleurs, il se félicite de certaines mesures très importantes prises par les autorités ougandaises, telles que la création de la Commission ougandaise des droits de l’homme et de bureaux des droits de l’homme au sein de la police, de l’armée et de l’administration pénitentiaire, même si ces organes peuvent être encore améliorés. Il note que l’Ouganda a ratifié presque tous les instruments relatifs aux droits de l’homme. En outre, il croit savoir que le pays accueille sur son territoire environ 200 000 réfugiés et que, même s’il ne dispose pas d’une législation permettant de mettre en œuvre l’article 3 de la Convention, il n’a refoulé aucune personne. Cette politique est digne d’éloges et devrait amener certains pays développés à réfléchir. La volonté d’assurer le respect des droits de l’homme et de mettre un terme à la pratique de la torture doit également être mise au crédit du Gouvernement ougandais. Alors que le rapport initial ne cache pas que la torture est pratiquée dans le pays, il faut espérer que les efforts déployés par les autorités porteront leurs fruits.

25.Au plan général, M. Mavrommatis constate que plusieurs dispositions de la Convention ne sont pas reflétées dans la législation nationale. Il encourage donc le Gouvernement ougandais à procéder à une comparaison entre la Convention et sa législation nationale, au besoin en créant une commission législative, en vue de combler les lacunes actuelles du droit interne. Entre autres, la législation nationale en matière d’extradition doit être révisée à la lumière de la Convention. Alors que l’indépendance du pouvoir judiciaire semble garantie, il serait intéressant de savoir comment cette indépendance est assurée et d’avoir des précisions sur les visites de juges dans les lieux de détention. Ces visites, ainsi que celles de membres de la Commission des droits de l’homme, sont-elles annoncées ou menées à l’improviste? En ce qui concerne la place des traités dans la hiérarchie des normes juridiques, serait‑il possible que l’Ouganda fasse primer les instruments internationaux sur le droit interne? Il est en outre capital que le Gouvernement ougandais poursuive sa collaboration avec les ONG.

26.Au sujet de l’application de l’article premier de la Convention, M. Mavrommatis dit comprendre la position du Gouvernement ougandais puisqu’il vient lui‑même d’un pays de common law. Il souligne néanmoins qu’aux fins d’une pleine application de la Convention, il est indispensable que le pays se dote d’une disposition qui définisse et réprime explicitement la torture, ce qui permettra d’infliger aux auteurs d’actes de torture des peines appropriées. Il serait également utile que la délégation précise si la peine de mort est toujours en vigueur et appliquée et si les châtiments corporels ont effectivement été abolis.

27.La délégation n’a pas évoqué le deuxième paragraphe de l’article 2, qui porte sur l’interdiction absolue de la torture quelles que soient les circonstances. Il serait utile qu’elle donne des garanties à cet égard. De même, elle pourrait apporter des précisions sur l’application du paragraphe 3 du même article, et notamment sur l’obéissance aux ordres d’un supérieur. L’orateur souhaite obtenir des précisions sur le mandat de la Commission ougandaise des droits de l’homme. A-t-elle le pouvoir de contrôler les lois et pratiques en vigueur pour s’assurer de leur conformité avec les obligations internationales de l’Ouganda et les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme? Il semble que, dans la pratique, ses arrêts soient rarement suivis d’effet. Il importe donc de renforcer ses compétences pour préserver sa crédibilité. Les actes de torture doivent être punis avec sévérité et l’on ne saurait se contenter d’indemniser les victimes. L’orateur note avec satisfaction que l’Ouganda reconnaît avec franchise dans son rapport, en particulier aux paragraphes 47 et 48, l’existence de la torture mais déplore qu’un véritable programme d’éradication de ce phénomène n’ait pas été mis en place. Il note que la partie du rapport consacrée à l’article 3 traite essentiellement de l’extradition. Or cet article est beaucoup plus vaste et porte sur l’interdiction de renvoyer quiconque, y compris des immigrés clandestins, vers un État où la personne concernée risque d’être soumise à la torture. L’Ouganda devrait se doter à cet égard d’une loi qui serait conforme à la Convention contre la torture, à la Convention relative au statut des réfugiés et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Se félicitant de l’honnêteté avec laquelle la délégation reconnaît que la torture est encore largement pratiquée, l’orateur attire son attention sur la région de Karamoja où, selon des informations fournies par des organisations non gouvernementales, des tribunaux de droit coutumier condamneraient des personnes à être torturées. Il demande en outre des précisions sur deux affaires concernant l’une, un homme politique, et l’autre un jeune avocat. En ce qui concerne l’article 4, il appelle l’attention de la délégation sur les dispositions relatives à «la tentative pour pratiquer la torture». Il déplore qu’au regard du droit ougandais, de telles tentatives soient considérées comme de simples délits alors que ce sont des crimes graves qui devraient être jugés comme tels. Il souhaiterait que la délégation donne des exemples de peines auxquelles ont été condamnées des personnes reconnues coupables d’actes assimilables à la torture.

28.En ce qui concerne l’article 5, M. Mavrommatis note que la compétence des tribunaux ougandais est strictement territoriale. Les dispositions du droit ougandais ne couvrent donc pas les obligations de l’État en vertu de l’article 5. Il importe que l’Ouganda se mette en conformité avec cet article en adoptant une législation appropriée.

29.Dans la partie du rapport consacrée à l’article 6, l’État partie évoque une fois de plus presque exclusivement l’extradition, alors que le champ d’application de cet article est bien plus vaste. De même, l’article 7 ne porte pas seulement sur l’extradition. Le choix qui se pose à l’État dans les circonstances évoquées à l’article 7 est soit d’extrader la personne, soit de la juger. En l’absence d’accord d’extradition, la Convention peut constituer la base juridique en la matière, comme précisé à l’article 8.

30.Il serait intéressant de savoir si l’État dispose d’un système d’assistance judiciaire et si l’habeas corpus est efficace et accessible. Il faudrait envisager de réduire le nombre de personnes habilitées à procéder à des arrestations, afin de mieux les contrôler et de réduire les risques de torture et de mauvais traitements. Des rapports font mention de lieux de détention secrets, dont l’existence est souvent niée. Il serait bon que la délégation apporte des précisions à ce sujet et indique, dans le cas où l’existence de tels lieux serait avérée, les mesures prises pour veiller au respect des dispositions de la Convention dans ces locaux, comme par exemple des contrôles inopinés visant à vérifier qu’aucun acte de torture n’y est commis. Il est fait mention, au paragraphe 106 du rapport, d’un placement en détention provisoire pendant 360 jours. Il serait utile que la délégation apporte des éclaircissements à ce sujet. Il est curieux qu’une personne accusée d’un crime grave puisse être mise en liberté sous caution après avoir passé 360 jours en détention, car cela remet en cause la pertinence de la première ordonnance de mise en détention. De même, on peut douter de l’équité d’un procès qui n’a lieu qu’au bout d’un délai de deux ou trois ans. Enfin, la délégation pourrait préciser les intentions du Gouvernement ougandais quant au protocole facultatif.

31.M. CAMARA (Corapporteur pour l’Ouganda) se félicite de la qualité du rapport et de la présence de représentants d’organisations non gouvernementales, qui traduit la volonté du Gouvernement de s’acquitter de ses obligations internationales. La torture étant considérée comme un crime contre l’humanité, elle doit être traitée différemment des autres infractions. C’est une infraction qui fausse les règles du jeu judiciaire en introduisant une relation d’inégalité. L’orateur voudrait connaître la position de l’Ouganda par rapport aux articles 20 à 22 de la Convention. Il relève une contradiction entre le paragraphe 78 du rapport, qui donne la liste des infractions donnant lieu à extradition, et l’article 8, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 7. Il semble que le juge de l’extradition ne procède qu’à un contrôle formel; il serait intéressant de savoir s’il peut, lorsqu’il n’est pas convaincu par les éléments de preuve apportés, refuser l’extradition.

32.L’enseignement et l’information concernant l’interdiction de la torture semblent très satisfaisants, notamment en ce qui concerne les activités entreprises auprès de la police ou dans les prisons. En ce qui concerne l’article 11, la délégation pourrait expliquer comment, dans la pratique, les règles sont respectées et par quels moyens les autorités contrôlent le respect de ces règles, qu’il s’agisse de visites inopinées, de circulaires administratives ou autres. Elle voudra bien également apporter des précisions sur les paragraphes 105 et 106 du rapport, et notamment sur la durée de la détention provisoire. Concernant le paragraphe 107, elle pourrait préciser comment, dans la pratique, est assurée la présence d’un médecin et d’un avocat et si ces services sont à la charge de l’État, de l’individu ou de sa famille.

33.En ce qui concerne l’article 12, il serait utile de savoir si l’autorité responsable est tenue d’exercer des poursuites systématiquement ou si elle peut décider de ne pas en engager. Enfin, il faudrait savoir si la victime peut elle-même déclencher les poursuites, et à quelles conditions. Concernant l’article 13, la délégation voudra bien préciser les dispositifs juridiques permettant à une personne victime d’actes de torture de déclencher une action publique ainsi que les mesures prises pour protéger le plaignant et sa famille d’éventuelles représailles. S’agissant de l’article 14, il apparaît au paragraphe 136 qu’une victime peut engager une action au civil contre le coupable en vue d’obtenir des dommages et intérêts et une indemnisation, tandis que le paragraphe 138 précise que l’État est légalement responsable des actes de ses agents et que le financement des indemnisations est assuré par un fonds public. Il serait bon de savoir si, dans le cas où un agent de l’État est reconnu coupable d’actes de torture, c’est l’État qui verse des indemnités à la victime, avant de se retourner contre son agent.

34.En ce qui concerne l’article 15, il est dit, au paragraphe 139 du rapport, que des aveux obtenus d’une personne pendant qu’elle est en garde à vue ne peuvent être retenus contre elle à moins qu’ils aient été faits en présence d’un officier de police ou d’un magistrat. Cela ne semble pas être une garantie suffisante. Après tout, on a déjà vu des médecins assister des tortionnaires. En outre, les différentes dispositions applicables ne semblent pas couvrir la torture psychologique. La délégation pourrait peut-être apporter des précisions à ce sujet.

35.Le Corapporteur souligne que tout organe du pouvoir, qu’il relève de la branche exécutive, législative ou judiciaire, doit pouvoir encourir des sanctions en cas de faute. Or le fait que la Commission ougandaise des droits de l’homme soit habilitée à rendre des jugements alors qu’elle ne fait pas partie de l’appareil judiciaire soulève la question de savoir s’il existe des procédures permettant de la sanctionner en tant qu’organe ou de sanctionner ses membres si nécessaire. Il serait par ailleurs intéressant de connaître les critères selon lesquels ces derniers sont sélectionnés.

36.En conclusion, le Corapporteur félicite l’État partie pour son engagement en faveur des droits de l’homme en général et de la mise en œuvre de la Convention contre la torture en particulier, preuve que le respect des droits de l’homme n’est pas seulement lié au niveau du développement mais tient aussi beaucoup à la volonté politique des États.

37.M. RASMUSSEN indique que conformément au règlement du Comité, il ne participera pas au dialogue général avec la délégation ougandaise dans la mesure où il a participé au séminaire organisé en janvier 2004 en collaboration avec des représentants des instances gouvernementales ougandaises et des ONG en vue de l’élaboration du rapport à l’examen. Il souhaiterait toutefois suggérer à la délégation de faire figurer, parmi les réalisations intervenues depuis l’établissement du rapport de l’organisation, par le Conseil international de réadaptation pour les victimes de la torture, d’un séminaire sur la mise en œuvre du Protocole d’Istanbul, qui s’est déroulé en octobre 2004 et a réuni quelque 50 médecins et 25 juristes.

38.Mme GAER demande si l’enquête ouverte en 2004 par le Procureur de la Cour pénale internationale sur la situation au nord de l’Ouganda a toujours l’aval du Gouvernement ou si ce dernier envisage d’en demander la suspension. Par ailleurs, compte tenu des responsabilités judiciaires assumées par la Commission ougandaise des droits de l’homme, il serait utile de savoir qui est chargé d’assurer le suivi de la mise en œuvre des décisions rendues par cette dernière et à quel type de mesures concrètes ces décisions permettent d’aboutir. Des précisions concernant la procédure selon laquelle les plaintes sont transmises à la Commission seraient également les bienvenues, notamment en ce qui concerne la possibilité de créer des mécanismes locaux chargés de la réception des plaintes. Concernant l’accès des membres de la Commission ougandaise des droits de l’homme aux lieux de détention, il serait intéressant de savoir si cet accès est illimité et, dans le cas contraire, si les restrictions de cet accès sont d’ordre temporel, géographique ou institutionnel. La même question se pose pour les ONG. Qu’en est-il des lieux de détention non officiels? Qui y a accès? D’après certaines sources, le Parlement aurait effectué une étude à ce sujet. A-t-elle été rendue publique? Dans l’affirmative, le Comité apprécierait d’en obtenir une copie.

39.Se référant aux informations fournies en rapport avec l’article 13, Mme Gaer demande quelle suite est donnée aux plaintes recueillies par le Bureau des droits de l’homme au sein des forces armées et si des statistiques pourraient être fournies quant au nombre de cas dans lesquels ces plaintes ont donné lieu à des sanctions. De graves problèmes ont également été signalés au sujet de la prison de l’unité de lutte contre le terrorisme située sur la colline de Kololo, à Kampala. Il serait utile de savoir si une étude a été effectuée à ce sujet et si des mesures sont envisagées pour remédier à la situation.

40.Mme Gaer note que les violences collectives, comme le lynchage, sont très fréquentes en Ouganda et souhaiterait savoir si des mesures sont prises à l’échelle locale pour y remédier, s’il existe des statistiques concernant le nombre de plaintes déposées en rapport avec de tels actes et quelles sont les difficultés rencontrées dans la poursuite de leurs auteurs.

41.Mme Gaer se félicite du fait qu’un ensemble de brochures et de manuels entérinant les principes essentiels énoncés dans les instruments relatifs aux droits de l’homme, notamment dans la Convention contre la torture, ont été élaborés à l’intention des forces de police. Elle note avec satisfaction que les violences sexuelles contre les femmes y sont définies comme des actes de torture et expressément condamnées. Il serait toutefois utile de savoir dans quelle mesure la formation des policiers s’appuie sur ces manuels, si ces derniers sont destinés à l’ensemble des forces de police ou à certains services en particulier, et si des poursuites ont déjà été engagées en rapport avec des actes de torture impliquant des violences sexuelles.

42.Mme Gaer note avec inquiétude qu’entre janvier et octobre 2004, 230 personnes sont décédées en garde à vue. Bien que le rapport du Département des prisons indique que 60 % de ces décès sont imputables au sida, il n’en demeure pas moins que les causes des quelque 90 décès restants sont inexpliquées. Des précisions pourraient-elles être fournies à cet égard? Des enquêtes ont-elles été ouvertes?

43.Concernant la protection des personnes déplacées dans le nord du pays, Mme Gaer fait référence aux recommandations formulées par le Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des personnes déplacées dans leur propre pays à la suite de sa visite en Ouganda en 2003, en particulier celle visant à mettre en place une présence militaire adéquate pour assurer la sécurité des personnes déplacées aussi bien à l’intérieur qu’aux abords des camps. Le Représentant spécial avait également recommandé d’examiner les moyens d’aider la Commission ougandaise des droits de l’homme à surveiller l’évolution de la situation dans la région et de former les forces de sécurité aux directives applicables en matière de protection des personnes déplacées, s’agissant notamment de la prévention de l’exploitation et des violences sexuelles dans les camps. Mme Gaer demande si des données actualisées pourraient être fournies concernant la mise en œuvre de ces recommandations.

44.Mme Gaer note que des efforts ont été faits pour combattre la traite des personnes et demande si des données chiffrées pourraient être fournies concernant les cas dans lesquels des poursuites ont été engagées contre des personnes soupçonnées de participer à des activités de traite. Elle demande enfin si la Convention s’applique aux forces armées ougandaises présentes à l’étranger ou dans le cadre d’opérations de maintien de la paix des Nations Unies ou de l’Union européenne.

45.M. GROSSMAN demande si les instruments internationaux tels que la Convention contre la torture peuvent être invoqués directement devant les tribunaux. Il demande en outre si des travaux visant à incorporer dans l’ordre juridique interne une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention ainsi qu’une définition des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, sont en cours. S’agissant de l’application des articles de la Convention, le rapport fournit des renseignements détaillés sur les textes législatifs en vigueur mais des données concrètes concernant leur mise en œuvre effective seraient des plus utiles pour évaluer objectivement la situation.

46.Se référant aux paragraphes 56 et 57 du rapport indiquant que les dispositions de la loi sur l’extradition sont archaïques et dépassées et que l’absence de loi générale traitant de la torture en matière d’extradition, d’expulsion ou de rapatriement préoccupe le Gouvernement, M. Grossman demande si des mesures ont été prises pour incorporer les dispositions de l’article 3 de la Convention dans l’ordre juridique interne et garantir ainsi le respect du principe du non‑refoulement. Il serait en outre utile de connaître la position de l’État partie sur la question de la compétence universelle en matière de torture.

47.Renvoyant aux informations complémentaires fournies par la délégation au sujet de l’application de l’article 14, M. Grossman demande s’il y a eu des cas dans lesquels la victime a obtenu réparation, et si, par réparation, l’État partie entend uniquement indemnisation financière ou si la réadaptation médicale et les compensations morales sont également comprises, ainsi que le prévoit la Convention.

48.M. WANG félicite l’État partie pour les mesures qu’il a prises en faveur de la promotion et de la protection des droits de l’homme, en particulier pour la création de la Commission ougandaise des droits de l’homme. Il salue également avec admiration la politique d’accueil des réfugiés menée par le pays en dépit des graves difficultés, économiques et autres, auxquelles il est lui-même en butte. Faisant référence aux indications figurant dans le rapport selon lesquelles la pratique de la torture dans les prisons de l’administration locale demeure alarmante, M. Wang demande quelles sont les mesures envisagées pour remédier à cette situation, en dehors de la possibilité de fusionner les prisons de l’administration centrale et celles de l’administration locale.

49.Le PRÉSIDENT demande si les manuels de formation aux droits de l’homme destinés aux membres de la police ont une quelconque valeur juridique ou s’il ne s’agit que de directives non contraignantes. Par ailleurs, il trouve inapproprié que certaines garanties fondamentales telles que l’accès d’un détenu aux services d’un avocat soient régies par des circulaires administratives. En outre, il serait utile de savoir comment l’État partie concilie le principe du non‑refoulement avec la pratique en vertu de laquelle, dans le cadre de traités internationaux de coopération policière, tout étranger accusé d’avoir commis une quelconque infraction peut être renvoyé dans un pays qui en fait la demande sans que soit lancée une procédure d’extradition. Le Président demande si un registre des détenus est tenu dans tous les lieux de détention et, dans l’affirmative, si ce dernier peut être consulté. Enfin, il demande si l’État partie a l’intention de ratifier le Protocole facultatif à la Convention et d’abolir la peine de mort dans les années à venir.

La séance est levée à 13 heures.

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