NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/SR.468

6 septembre 2001

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Vingt-sixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 468e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mardi 8 mai 2001, à 10 heures

Président: M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial du Brésil

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*Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.468/Add.1.

________________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l’une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d’édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

GE.01-41932 (F) 100501 060901

La séance est ouverte à 10 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial du Brésil (CAT/C/9/Add.16)

1.Sur l’invitation du Président, la délégation brésilienne, composée de M. Pinta Gama, Mme Menezes de Farias, Mme Pelizon et M. Peña Ghisleni (Brésil), prend place à la table du Comité.

2.M. PINTA GAMA (Brésil), présentant le rapport initial du Brésil (CAT/C/9/Add.16), déclare que la promotion et la protection des droits de l’homme sont l’une des priorités absolues du Gouvernement brésilien dont s’occupe le Secrétariat national des droits de l’homme, créé au sein du Ministère de la justice. Le Gouvernement fédéral s’est attaché à aborder la question de la lutte contre la torture d’une façon objective et transparente et a reconnu que son système de justice pénale souffrait de carences graves. Le rapport initial a été établi conjointement par le Secrétariat national des droits de l’homme et le Centre d’études sur la violence de l’Université de São Paulo. Il contient une description des difficultés rencontrées dans les efforts pour éliminer la pratique de la torture au Brésil et de certains cas particuliers d’actes de torture restés impunis ainsi qu’un aperçu de la situation politique, sociale et économique du pays et des mesures adoptées en vue de mettre en œuvre les articles 2 à 16 de la Convention. Pour que les racines de la violence soient bien comprises dans le pays, les auteurs du rapport ont jugé nécessaire de faire un rappel historique et de souligner que l’évolution vers un État démocratique n’a véritablement abouti à un régime civil qu’en 1988, avec l’adoption d’une Constitution fédérale garantissant les normes en matière de droits de l’homme internationalement reconnues et offrant le cadre juridique voulu pour le renforcement de la démocratie et de la primauté du droit. À partir de 1985, le Brésil a ratifié la majorité des instruments internationaux de défense des droits de l’homme, qui sont incorporés au droit interne en application du paragraphe 2 de l’article 5 de la Constitution. Toutefois ce n’est qu’en 1994 que les droits de l’homme ont commencé à être réellement pris en considération dans l’élaboration et l’application de la politique générale de l’État. Le Programme national des droits de l’homme adopté en 1996 et qui fait actuellement l’objet d’une révision a été l’aboutissement d’une large consultation avec les organisations de la société civile. Certes, certains de ses objectifs restent à atteindre mais la mobilisation en faveur de la cause des droits de l’homme a ouvert la voie à des initiatives importantes du Parlement, comme la promulgation de la loi sur les personnes disparues pour motif politique sous le régime militaire, la loi consacrant la compétence des tribunaux civils pour les affaires de violation des droits fondamentaux impliquant des membres de la police militaire, la loi sur les peines de substitution et la loi portant statut de l’enfant et de l’adolescent. D’autres projets importants sont en lecture au Parlement, notamment un projet de loi qui devrait placer sous la juridiction fédérale les infractions constituées par des atteintes aux droits de l’homme, un projet tendant à renforcer le Conseil national des droits de l’homme et une réforme du pouvoir judiciaire. La loi sur la torture (n° 9455, du 7 avril 1997), jalon capital dans la lutte contre la torture, contient une définition de ce fléau plus large que celle qui est donnée à l’article premier de la Convention, puisque tout individu peut être inculpé du délit de torture, mais l’accent est surtout placé sur les actes de torture et de mauvais traitements commis par des agents de l’État, en particulier les membres de la police et des gardiens de prison. À ce jour toutefois la loi n’a pas été appliquée d’une façon satisfaisante car, depuis son entrée en vigueur, aucune inculpation n’a été prononcée à la suite de plaintes pour torture soit parce que les procureurs n’avaient pas ouvert d’instruction soit parce que les juges avaient modifié la qualification de l’atteinte qui faisait l’objet de la plainte pour la ramener à des lésions corporelles ou à un abus d’autorité. Il serait toutefois prématuré de considérer que cette loi est inefficace. La durée moyenne de la procédure pénale au Brésil est de quatre à cinq ans et il faut donc attendre encore pour évaluer les effets de la loi. De plus, il reste à faire un travail de sensibilisation auprès des procureurs et des magistrats.

3.L’effort d’information vise également la société en général, qui doit être persuadée que la sécurité de tous passe par la garantie à tous des normes des droits de l’homme, y compris aux personnes soupçonnées de crime et aux détenus. Il faut dire que ceux qui ont lutté contre les exactions du régime militaire ne se montrent pas aussi horrifiés quand la torture est commise sur des personnes défavorisées et sur des prisonniers. Il est donc impératif de chercher à modifier les mentalités et d’encourager les juges à créer une jurisprudence solide concernant l’application de la loi sur la torture.

4.Actuellement au Brésil a lieu un grand débat général sur la nécessité de lutter contre la torture, qui a été lancé à la suite de la parution du rapport détaillé et sans complaisance du Rapporteur spécial sur la torture de la Commission des droits de l’homme (E/CN.4/2001/66/Add.2) et qui s’est poursuivi avec l’établissement du rapport initial soumis au Comité contre la torture. Un groupe de travail du Ministère de la justice a étudié attentivement les recommandations du Rapporteur spécial sur la torture et le Gouvernement fédéral entend s’en servir pour lutter contre la pratique des mauvais traitements, en particulier dans les cellules de garde à vue des commissariats, les établissements de détention avant jugement et les établissements pour peines.

5.La Cour suprême de justice, la Commission des droits de l’homme de la Chambre des députés et le Forum national des médiateurs de la police ont organisé en décembre 2000 un séminaire international sur l’application de la loi sur la torture, avec le soutien du Secrétariat national des droits de l’homme. Les organismes participants ont mis en lumière la complexité de la lutte contre la torture et la nécessité d’y associer la population générale et tous les secteurs du Gouvernement et ont signé un document par lequel ils s’engageaient à concourir à l’action engagée pour lutter contre la pratique de la torture. Le Gouvernement fédéral s’est appuyé sur cet engagement pour concevoir une campagne nationale contre la torture qui sera lancée en juin 2001. Tous les organes d’information - télévision, radio, presse - seront utilisés pour la campagne, qui vise à mobiliser les autorités à tous niveaux, le pouvoir législatif, l’appareil judiciaire et tous les professionnels du droit ainsi que les organisations de la société civile pour cette cause. La campagne d’information coïncidera avec l’ouverture d’un centre national d’appel qui pourra recevoir des plaintes pour torture, par le biais d’un numéro gratuit. C’est à une organisation non gouvernementale, le Mouvement national des droits de l’homme, que le Secrétariat national des droits de l’homme a confié l’administration de ce centre, qui sera chargé de transmettre les plaintes jugées fondées aux organes de l’État compétents ainsi qu’aux organisations non gouvernementales qui auront adhéré au pacte national contre la torture. Les mesures voulues pour enquêter et engager des poursuites ainsi que pour surveiller la suite donnée aux enquêtes seront ensuite prises.

6.En avril 2001, le Conseil national de défense des droits de l’homme a décidé de créer une commission permanente pour lutter contre la torture. Composée de fonctionnaires de haut rang, de juristes et d’experts, elle aura pour mission d’apporter son concours à la campagne nationale, d’assurer le suivi des plaintes pour torture et de réaliser des visites sur place. Elle aura accès aux données recueillies par le centre d’appel, qui seront également diffusées par l’intermédiaire du réseau national des droits de l’homme rattaché au Secrétariat national des droits de l’homme. Sur la recommandation du Rapporteur spécial sur la torture, le Conseil national de défense des droits de l’homme a décidé d’inviter le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires à se rendre au Brésil à une date qui reste à déterminer. La formation est considérée comme l’élément clef de la campagne nationale et quatre cours à l’intention de professionnels du droit seront organisés en 2001. Une formation aux droits de l’homme et aux techniques modernes d’enquête sera également dispensée aux membres des forces de police. Le pacte national contre la torture prévoira des obligations particulières pour chaque organisation qui y aura adhéré, de façon que l’engagement politique puisse être traduit en actions concrètes. Pour lutter contre les abus de pouvoir par la police, les bureaux des médiateurs de la police existants seront renforcés et d’autres seront créés dans les États qui ne sont pas encore dotés de mécanismes extérieurs de contrôle des activités de la police.

7.Soucieux de trouver une solution globale au surpeuplement carcéral, le Gouvernement fédéral prévoit la construction de nouveaux établissements, la rénovation des établissements actuels, l’utilisation plus systématique des peines de substitution, des bilans périodiques de la situation du détenu du point de vue de la procédure et la création de juridictions spéciales pour les affaires de dépendance à l’égard de substances chimiques. Quelques États, comme ceux de São Paulo et de Rio de Janeiro, ont entrepris de supprimer les cellules de garde à vue dans les commissariats et de transférer les détenus en attente de jugement dans des centres de détention provisoire, tendance encouragée par le Gouvernement fédéral. Le recrutement d’un plus grand nombre d’avocats devrait permettre de renforcer les bureaux des défenseurs publics aux niveaux de la Fédération et des États. Dans le cadre de la campagne nationale contre la torture, il est prévu d’élaborer un mémento sur les droits et les devoirs des prisonniers qui devrait exprimer en langage simple les dispositions légales applicables et devrait être remis à chaque personne placée en détention ainsi qu’aux familles dans tout le pays. Il est également prévu de mettre en place une base de données nationale contenant des informations détaillées sur le système de détention et un dossier individuel pour chaque prisonnier, ce qui permettra de suivre sa situation dès qu’il est placé dans un lieu de détention quel qu’il soit jusqu’à sa remise en liberté, en passant par tous les transfèrements, d’un établissement pénitentiaire à un autre ou de la prison au tribunal ou à l’hôpital.

8.Le Programme fédéral d’assistance aux témoins et victimes menacés, mis en œuvre actuellement dans 12 États, permettra d’aider les personnes en danger pour avoir dénoncé des actes de torture. En 2000, une protection et une assistance ont ainsi été apportées à 328 personnes dont 256 en bénéficiaient toujours à la fin de l’année. Ces chiffres, joints au fait qu’il n’y a eu à déplorer aucune victime, montrent que le système est crédible. Le service de protection des témoins spéciaux, coordonné par la police fédérale créé en juin 2000 vise à assurer une protection aux défendeurs qui collaborent avec la police et aux témoins qui ne peuvent bénéficier du système national de protection. Le Secrétariat national des droits de l’homme a encouragé la création de conseils et de programmes de défense des droits de l’homme au niveau des États ainsi que la mise en place de bureaux de médiateurs de la police. Le Secrétariat d’État à la justice prendra, quant à lui, des mesures expressément destinées à renforcer le rôle du Conseil national des politiques en matière pénitentiaire et des conseils communautaires, en particulier pour lui permettre de faire des visites impromptues dans les lieux de détention. En ce qui concerne les adolescents qui font l’objet de programmes de resocialisation, le Conseil national des droits des enfants et des adolescents (CONANDA) sera chargé de recueillir les plaintes pour torture et d’y donner suite. Il a organisé des réunions dans plusieurs États pour étudier des problèmes particuliers qui se posent dans certaines institutions et qui sont décrites en détail dans le rapport du Rapporteur spécial sur la torture.

9.En conclusion, M. Pinta Gama souligne que toutes les mesures qu’il a annoncées montrent la volonté du Gouvernement brésilien de lutter contre la torture partout sur le territoire national. Le Brésil souhaite une coopération et un dialogue avec tous les mécanismes de défense des droits de l’homme des Nations Unies, conventionnels ou non, conformément à la Déclaration et au Programme d’action de Vienne. La délégation espère instaurer avec la présentation du rapport initial une relation durable et fructueuse avec le Comité contre la torture.

10.Mme MENEZES DE FARIAS (Brésil) dit qu’elle a établi un document complétant le rapport initial, en sa qualité de Procureur fédéral pour les droits des citoyens et s’attachera à en faire un résumé. Elle souhaiterait toutefois que le Comité considère le document complet, qu’elle va distribuer aux membres, comme un élément du dialogue avec le Comité.

11.Le Bureau du Procureur fédéral pour les droits des citoyens est un organe d’État dont le pouvoir émane de la Constitution, habilité à prendre des mesures préventives ou répressives contre les responsables d’actes de torture qui sont des agents de l’État, conformément à la définition donnée dans la Convention contre la torture. Il a le devoir d’agir pour promouvoir l’élaboration de politiques générales et spécifiques devant permettre d’éliminer la pratique de la torture. La Constitution lui fait obligation de favoriser l’adoption des mesures nécessaires pour assurer la garantie des droits des citoyens et faire en sorte que les responsables de l’administration respectent leurs obligations. Il reçoit donc les plaintes des citoyens et des organisations et prend au besoin les contacts voulus avec les organes des pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif. Il sert d’intermédiaire entre la société et l’administration. De plus, il s’emploie activement à promouvoir la mise en œuvre effective des mesures concrètes visant à améliorer les services publics, à accroître la garantie du droit des détenus d’être traités de façon digne et du droit d’être représentés en justice. Il suit en outre les enquêtes de police, veille à ce que les preuves soient rassemblées par des moyens légaux, à ce que la dignité de l’être humain et le bien‑être physique et psychique des prisonniers soient préservés, ainsi qu’à garantir un procès équitable. Il est de surcroît tenu de faire procéder aux enquêtes nécessaires pour identifier les responsables d’actes de torture, qu’il s’agisse de membres de la police ou de particuliers et, la torture ayant été érigée en infraction pénale en vertu d’une loi fédérale, de lancer la procédure pénale, civile ou administrative contre les responsables.

12.Le Bureau du Procureur fédéral pour les droits de citoyens est un organe unique en son genre; il peut être comparé à un bureau du médiateur mais il a des attributions plus étendues puisqu’il a le pouvoir d’accuser le gouvernement, de demander des enquêtes et de faire mettre en œuvre les politiques publiques. Compte tenu de ses attributions, cette institution pourrait œuvrer à la mise en œuvre de la Convention contre la torture mais elle ne dispose pas de l’infrastructure voulue pour exercer pleinement ses pouvoirs et s’acquitter de ses fonctions dans ce domaine. L’institution est nouvelle au Brésil et, bien qu’elle ait été créée en vertu de la Constitution de 1988, elle n’a pu voir le jour qu’en 1993. Pour lutter contre la pratique de la torture dans tout le pays, il faut davantage de procureurs fédéraux, dans un plus grand nombre de villes, et des moyens humains et matériels plus importants. Il est également essentiel d’allouer au Procureur fédéral ou à la police un budget suffisant pour rassembler les preuves.

13.Ces dernières années, le Procureur fédéral pour les droits des citoyens a pris de nombreuses mesures pour lutter contre la torture et a beaucoup avancé dans l’un des domaines les plus importants pour l’élimination de ce fléau: l’action pour favoriser l’évolution des mentalités. La société brésilienne commence à peine à comprendre que tout acte de torture, quelle qu’en soit la victime, ne peut être toléré. Le Bureau du Procureur fédéral participe activement à des cours de formation à l’intention de la police et des procureurs généraux dans le domaine des droits de l’homme, et a été très actif dans la mise en œuvre du Programme national de protection des témoins. Il effectue des visites inopinées dans les établissements pénitentiaires et des institutions analogues, recherche activement les responsables de tortures et d’autres actes dégradants et les sanctionne; il est associé au processus de définition de la politique nationale de lutte contre la torture et contribue à renforcer l’action des défenseurs publics. Il a amélioré la coordination entre les divers organes et rendu plus efficace l’action commune des procureurs généraux des divers États.

14.M. HENRIQUES GASPAR (Rapporteur pour le Brésil) souhaite la bienvenue à la délégation brésilienne et se félicite de la présentation du rapport initial, tout en notant qu’il a été soumis avec 10 ans de retard et ne suit pas pleinement les directives du Comité. L’État partie a certainement rencontré de nombreuses difficultés et le Comité reconnaît les efforts qu’il a déployés pour les surmonter. Le seul fait de présenter le rapport est un pas important dans le combat contre la torture car il marque la volonté des autorités brésiliennes de s’acquitter des engagements internationaux qu’elles ont contractés en ratifiant la Convention. Le rapport se caractérise par une grande franchise et un esprit d’autocritique louable. Il présente une vision historique et culturelle qui expliquerait la persistance d’abus d’autorité et les faiblesses et les lacunes y sont bien mises en lumière. Ainsi, l’État partie ne cache pas dans son rapport que la torture a été un moyen couramment utilisé par la police pour enquêter et découvrir la vérité, du fait de l’héritage culturel légué par des régimes politiques non démocratiques et du maintien en fonctions de membres de la police civile et militaire de haut rang qui ne connaissaient d’autre moyen d’exercer leurs fonctions qu’en en abusant. De plus, le pays n’utilise pas encore les méthodes modernes d’investigation criminelle.

15.Le Rapporteur relève au sujet de l’article premier que le régime démocratique a été rétabli au Brésil en 1985 et que la Constitution de 1988 interdit expressément la torture et toutes autres peines ou traitements inhumains et dégradants, mais il a fallu attendre l’adoption de la loi de 1997 pour que les éléments constitutifs du crime de torture soient définis et les peines appropriées fixées.

16.En ce qui concerne l’application de l’article 2, un grand nombre de mesures sont citées dans le rapport et le Comité retient avec satisfaction la ratification de divers instruments internationaux, la définition du régime de détention provisoire, l’adoption du statut juridique de l’enfant et de l’adolescent, la création d’une commission des droits de l’homme au sein de la Chambre des représentants, l’élaboration et la mise en œuvre du Programme de protection et de promotion des droits de l’homme, l’institution d’un secrétariat d’État aux droits de l’homme, la création du poste de Procureur fédéral pour les droits de l’homme et de commissions des droits de l’homme dans certains États. M. Henriques Gaspar se félicite, d’autre part, du transfert de la compétence de la juridiction militaire à la juridiction civile pour le jugement des actes commis par les agents de la police militaire. Néanmoins, certaines pratiques qui relèvent de l’article 2 appellent des éclaircissements. Ainsi, on ne sait pas quelle est la durée maximale de la détention provisoire et de la garde à vue, qui est compétent pour ordonner la garde à vue et dans quel délai la personne en état d’arrestation doit être déférée devant un juge. Des informations seraient aussi nécessaires sur les pratiques administratives concernant la main courante des postes de police, registre absolument nécessaire pour connaître la situation de la personne arrêtée. Le Rapporteur souhaite savoir également si la détention au secret peut être ordonnée et, le cas échéant, par quelle autorité et sous quelles conditions. À partir de quel moment une personne en état d’arrestation peut communiquer avec un avocat? L’avocat peut‑il assister aux interrogatoires? Le détenu peut‑il être examiné par un médecin de son choix et, dans l’affirmative, à partir de quel moment? M. Henriques Gaspar voudrait savoir aussi si les membres de la police ont des instructions en ce qui concerne l’information à donner aux personnes arrêtées sur les droits qui leur sont garantis.

17.Le Rapporteur note l’absence de renseignements au sujet des résultats et des effets concrets des programmes de formation portant sur l’interdiction de la torture et quant à l’efficacité des organes et institutions chargés de surveiller le respect des droits de l’homme. De même, il n’est pas indiqué dans le rapport si, conformément au paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention, il existe dans la législation nationale des dispositions établissant la responsabilité des agents de l’État, pour les actes de torture, même lorsqu’ils agissent sur ordre d’un supérieur.

18.En ce qui concerne l’article 3 de la Convention, le Rapporteur se félicite de la nouvelle législation sur le statut des réfugiés, en vigueur depuis juillet 1997, qui a valeur de référence en Amérique latine et qui a permis de créer une institution s’occupant spécifiquement de réfugiés, le Comité national pour les réfugiés. Il souhaite, cependant, avoir un complément d’information sur les procédures d’asile, le degré d’indépendance du Comité national pour les réfugiés et les recours devant cet organe et les décisions qui en émanent. Selon quels critères intervient-il et comment prend-il ses décisions? Se fonde-t-il sur des règles précises pour mener ses enquêtes et déterminer si l’expulsion d’une personne l’expose à un risque d’être soumise à la torture?

19.En ce qui concerne l’article 4, le Rapporteur constate que la loi sur la torture d’avril 1997, en érigeant cette pratique en crime, constitue un instrument important en matière de prévention mais n’est pas entièrement conforme à la Convention. En effet, selon la définition qui y figure la torture se limite aux actes de violence physique alors qu’en vertu de l’article premier de la Convention, elle inclut tout acte causant une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales. En outre, alors que les motifs énoncés dans la loi brésilienne se limitent à la discrimination religieuse ou sociale, il est question dans la Convention d’actes de discrimination de toute nature. D’autre part, la définition donnée dans la loi concerne non seulement les actes commis par des agents de l’État mais aussi ceux imputés à des particuliers. Cela affaiblit considérablement le concept de torture et a des effets juridiques pervers. Toutes ces observations appellent des commentaires de la part de la délégation, à qui il est notamment demandé d’indiquer si elle considère que la législation interne est conforme à la Convention.

20.Par ailleurs, le rapport ne contient pas de renseignements sur la mise en œuvre dans la pratique de la loi sur la torture et le Comité a reçu, à ce propos, des informations d’organisations non gouvernementales brésiliennes selon lesquelles les autorités judiciaires ignoreraient les lois ou ne les appliqueraient pas et les fonctionnaires à tous les niveaux de l’appareil judiciaire feraient preuve de négligence. En outre, le ministère public aurait des difficultés considérables à exercer ses pouvoirs de contrôle externe du comportement de la police. À ces difficultés s’ajoute le fait que l’application de la loi sur la torture est du ressort des organes de chacun des États qui composent le Brésil et non d’un organe fédéral. Quelles mesures les pouvoirs publics envisagent‑ils de prendre pour donner davantage de moyens au ministère public pour qu’il puisse s’acquitter de ses fonctions dans ce domaine?

21.La délégation a informé le Comité du lancement d’une campagne nationale de sensibilisation à la torture. Or, s’agissant des magistrats, une telle campagne ne saurait suffire à les rendre plus diligents dans l’administration de la justice, car c’est d’une formation qu’ils ont besoin. Quelles mesures sont prévues par l’État partie dans ce domaine?

22.À propos de l’article 5, le Rapporteur souhaiterait savoir si la législation pénale de l’État partie autorise les tribunaux à juger un auteur présumé d’actes de torture commis à l’étranger se trouvant sur sol brésilien, quelle que soit sa nationalité ou celle de la victime.

23.Eu égard aux obligations découlant de l’article 6, de quelle manière le ministère public peut‑il intervenir en cas de présence sur le territoire brésilien d’une personne soupçonnée d’avoir commis des actes de torture?

24.Compte tenu des dispositions de l’article 7, la législation nationale autorise-t-elle l’extradition de ressortissants brésiliens, et le principe aut dedere aut judicare y est‑il incorporé? Dans l’optique des articles 8 et 9, l’État partie a-t-il conclu des accords d’entraide judiciaire? Des restrictions à cette entraide sont-elles prévues?

25.M. GONZÁLEZ POBLETE (Corapporteur pour le Brésil) s’associe aux félicitations adressées par le Rapporteur à la délégation concernant la franchise et l’esprit d’autocritique dont a fait preuve l’État partie.

26.En ce qui concerne l’enseignement relatif à l’interdiction de la torture qui doit être dispensé au personnel chargé de l’application de la loi en vertu de l’article 10 de la Convention, le Corapporteur constate que les multiples projets en cours décrits dans le rapport (par. 109 à 111) semblent inefficaces au vu du nombre considérable de violations des droits de l’homme dont il est fait état. En effet, ne bénéficiant pas d’une formation aux méthodes d’enquête scientifiques, les forces de police recourent à la force pour arracher des aveux aux prévenus, commettant ainsi des violations de divers droits fondamentaux, dont les droits à la liberté, au respect de l’intégrité physique et à la vie.

27.D’après le rapport (par. 112), la Constitution de l’État partie et sa législation interne satisfont aux exigences de l’article 11 de la Convention dès lors qu’elles garantissent à toute personne arrêtée le droit de connaître l’identité des responsables de son arrestation et de son interrogatoire, d’être informée de ses droits, de prévenir sa famille et de recevoir l’assistance d’un défenseur. La longue description des incidents tragiques survenus en milieu pénitentiaire qui figure aux paragraphes 123 à 140 du rapport montre que malgré l’imposant dispositif pour la communication des plaintes pour violation des droits de l’homme aux autorités compétentes (par. 156 du rapport), les dispositions constitutionnelles et législatives restent dans bien des cas lettre morte.

28.S’agissant de l’article 12, aucun chiffre n’est donné dans le rapport quant au nombre de procès intentés pour torture ou mauvais traitements et de condamnations prononcées. Selon Amnesty International, les policiers qui font l’objet d’une enquête pour brutalités ne sont généralement pas relevés de leurs fonctions et restent au même poste. Dans son rapport sur sa visite au Brésil (E/CN.4/2001/66/Add.2), le Rapporteur spécial sur la question de la torture indique, de son côté, que les membres de la force publique et en particulier ceux de la police militaire font obstruction aux investigations sur les actes de torture par solidarité avec leurs collègues. Pour cette raison, il recommande que les enquêtes sur les allégations de violations des droits de l’homme commises par la police soient menées par un organe externe et indépendant et que le parquet puisse surveiller leur déroulement et avoir librement accès aux commissariats de police.

29.Le Corapporteur constate en ce qui concerne le droit des victimes de la torture à réparation prévu à l’article 14 de la Convention, que le rapport ne mentionne que deux affaires dans lesquelles l’État partie a indemnisé la famille des victimes, encore qu’il ne l’ait fait qu’à la suite d’une décision de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans un cas et d’une intervention du Président de la République dans l’autre. Ce fait montre qu’il est exceptionnel que les victimes soient indemnisées et qu’il serait souhaitable que l’État partie fasse la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention, afin que les victimes de la torture au Brésil puissent demander réparation par le biais du Comité. Le Corapporteur note enfin l’absence totale de renseignements sur les programmes de réadaptation des victimes.

30.Concernant l’article 15 de la Convention, il est dit au paragraphe 173 du rapport que l’article 199 du Code de procédure pénale permet que l’aveu soit obtenu avant ou après l’interrogatoire et que c’est donc à l’accusé de prouver le caractère fallacieux des aveux obtenus hors de l’interrogatoire. La délégation brésilienne pourrait‑elle fournir des éclaircissements sur cette remarque, qui équivaut à renverser la charge de la preuve, et illustrer son propos par des exemples concrets d’affaires portées devant les tribunaux? Toutes les dispositions citées au paragraphe 175 du rapport semblent garantir la protection pénale voulue contre les peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants. Comment expliquer alors les cas nombreux et largement attestés de mauvais traitements infligés dans les locaux de la police et dans les établissements pénitentiaires? Quel est le délai imparti à la police pour présenter un suspect à un juge? L’absence d’ateliers de travail et de lieux de détente sportive et culturelle dans les prisons n’est‑elle pas une forme de mauvais traitements? Quant au surpeuplement carcéral, qui est reconnu aux paragraphes 134 et 135 du rapport, il est incontestablement à l’origine de violences entre détenus et de mutineries dans les prisons. L’État partie, qui est tenu d’assurer la sécurité de tous ses citoyens, y compris celle des détenus, devra s’employer d’urgence à régler le problème que posent les conditions de détention.

31.M. RASMUSSEN dit qu’il serait utile de connaître les causes du retard du Brésil dans la présentation de son rapport initial ‑ qui était demandé pour 1990 ‑ car le Comité mène une réflexion sur la façon dont il pourrait aider les États parties à s’acquitter de leurs obligations redditionnelles. Il déplore lui aussi le surpeuplement carcéral et les très mauvaises conditions de détention qui en découlent. Faut‑il attribuer cet état de choses à la lenteur de la procédure judiciaire et à la longueur de la période de détention avant jugement? Existe‑t‑il des peines pouvant être substituées à la privation de liberté et quelles mesures l’État partie compte‑t‑il prendre pour améliorer la situation? Le manque d’assistance médicale est un grave problème et le risque de contracter des maladies infectieuses en prison que courent les détenus revient à leur imposer une double peine. Le salaire des médecins de prison est‑il trop bas? S’agit‑il d’une profession mal considérée? Les autorités pourraient‑elles envisager d’améliorer la formation du personnel médical dans les prisons? Enfin, M. Rasmussen dénonce vivement la pratique de certains médecins légistes ‑ dont Amnesty International s’est fait l’écho ‑ qui consiste à établir de faux rapports d’autopsie où des décès sous la torture sont présentés comme des décès dus à des causes naturelles. Il aimerait savoir où en sont les poursuites engagées en mars 1999 contre des fonctionnaires de la santé publique accusés de mauvais traitements, de non‑assistance ayant entraîné des dommages corporels et de crimes contre des handicapés (par. 139 du rapport). Quelle est l’autorité habilitée à démettre de leurs fonctions les médecins coupables de tels actes? Existe‑t‑il un comité d’éthique chargé d’examiner les accusations de torture portées contre des médecins?

32.Mme GAER demande si, pour l’établissement de leur rapport périodique suivant, les autorités envisagent d’engager des consultations plus formelles avec les ONG. D’autre part, le fait que la loi 9455/97, donnant effet à l’article 4 de la Convention, ne limite pas le crime de torture aux actes perpétrés par des agents de la force publique peut être considéré comme une interprétation progressiste du texte de la Convention. En revanche, l’absence de poursuites engagées contre des auteurs d’actes de torture en vertu de cette loi est inexcusable. Est‑il exact que non seulement des fonctionnaires coupables d’actes de torture jouissent de l’impunité judiciaire mais sont maintenus dans leurs fonctions?

33.Dans le rapport qu’il a établi à l’issue de sa visite au Brésil (E/CN.4/2001/66/Add.2), le Rapporteur spécial sur la question de la torture met l’accent sur la nécessité de révoquer les fonctionnaires coupables d’actes de torture, et en particulier les tortionnaires connus pour leurs agissements durant la période du régime militaire (par. 169). Ces recommandations ont-elles été suivies? Pour ce qui est des actes de torture et des mauvais traitements dans l’armée, un seul cas présumé de torture sur les 11 dénoncés par le groupe «Tortura Nunca Mais» pour ces 10 dernières années aurait fait l’objet de poursuites. Ainsi, les parents du Cadet Marcio Lapoente attendent‑ils toujours que justice soit faite. Est-il vrai, à ce propos, que les familles des victimes renoncent à porter plainte sous l’effet des pressions et du chantage? Il est indiqué au paragraphe 137 du rapport, que les prisonniers séropositifs sont soumis à une discrimination caractérisée et abandonnés à leur sort. Quel sens faut‑il donner à l’expression «abandonnés à leur sort»? Au paragraphe 138 du rapport de l’État partie est évoqué le cas de handicapés mentaux purgeant une peine de prison. La délégation brésilienne pourrait‑elle donner des précisions sur la «discipline inhumaine» à laquelle ils seraient soumis? Au paragraphe 31 de son rapport, le Rapporteur spécial sur la question de la torture mentionne le cas de travestis et de violeurs qui ont été placés dans une aile séparée de la prison de Carendiru pour s’être battus entre eux. Le Gouvernement entend-il prendre des mesures pour éliminer toutes ces formes de discrimination? Est-il vrai, par ailleurs, que les détenus ayant fait des études supérieures bénéficient d’un traitement particulier? Les auteurs du rapport dénoncent, au paragraphe 140, les conditions de détention des prisonnières qui par exemple ne bénéficient pas des soins médicaux dont elles ont besoin parce que beaucoup de provinces n’ont pas les moyens de les leur assurer. Le Rapporteur spécial sur la question de la torture va plus loin en évoquant les coups et les abus sexuels dont elles seraient victimes. Existe-t-il un mécanisme de surveillance de la violence en prison? Est-il vrai que les parents des détenus qui rendent visite aux leurs sont soumis à des fouilles corporelles humiliantes?

34.M. MAVROMMATIS souhaiterait connaître les attributions exactes du Procureur fédéral des droits des citoyens; en quoi sont‑elles différentes de celles du Procureur général? Par ailleurs, pour des raisons évidentes, il serait souhaitable que le Brésil envisage de faire la déclaration au titre de l’article 22 de la Convention. La définition de la torture au Brésil est d’une portée relativement large, et il serait utile de connaître la position exacte du Gouvernement actuel sur les enquêtes relatives aux violations des droits de l’homme, notamment aux actes de torture commis sous le précédent régime. Il importe aussi au plus haut point que le Gouvernement actuel veille à assurer le respect des droits énoncés aux articles 2 et 16 de la Convention.

35.M. YU MENGJIA souhaiterait lui aussi savoir quelles sont les mesures que prennent les autorités brésiliennes pour améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays, sachant que les actes de torture sont souvent liés à la corruption, à l’abus de pouvoir et à la répression de l’opposition politique. Il se demande si un changement de mentalité est perceptible dans ce pays qui n’a pas de tradition démocratique.

36.Le PRÉSIDENT voudrait savoir s’il existe un délai de prescription pour les actes de torture dans le droit pénal brésilien et, dans l’affirmative, si la légalité d’un tel délai a été remise en cause par la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Il rappelle à ce propos qu’il n’existe de prescription pour les délits graves ni dans les pays de common law ni en droit international. L’ancien régime militaire s’étant auto‑amnistié, il serait utile de connaître les décisions prises récemment par la Cour pour annuler cette mesure dont bénéficient des personnes qui ont commis des violations flagrantes du droit pénal. Enfin, compte tenu de l’esprit de corps qui existe dans les forces de police, il importe de savoir si le Gouvernement brésilien envisage d’adopter des dispositions pour protéger les témoins et les victimes d’actes de torture commis par des membres de ces forces.

37.La délégation brésilienne se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 35.

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