Nations Unies

CAT/C/SR.1031

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

14 novembre 2011

Original: français

Comité contre la torture

Quarante -s ept ième session

Co mpte rendu analytique de la 1031 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 8 novembre 2011, à 15 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Cinquième rapport périodique de l ’ Allemagne (suite)

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Cinquième rapport périodique de l’Allemagne (CAT/C/DEU/5; CAT/C/DEU/Q/5; CAT/C/DEU/Q/5/ Add .1; HRI/CORE/DEU/2009) (suite)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation allemande reprend place à la table du Comité.

2.M me Wittling-Vogel (Allemagne) dit que son pays n’a pas jugé nécessaire d’inclure une définition de l’infraction de torture dans le Code pénal dans la mesure où la Convention contre la torture est directement applicable en droit interne et que, de ce fait, la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention est, elle aussi, directement applicable. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est souvent citée par les juridictions internes dans leurs décisions et jugements, notamment lorsqu’il s’agit d’expulsion d’étrangers ou d’extradition. La loi relative au séjour des étrangers se réfère expressément à la Convention européenne et dispose que nul étranger ne peut être expulsé vers un pays où sa vie ou sa liberté risque d’être mise en danger. Mme Wittling-Vogel évoque plusieurs affaires datant de 2004-2005 dans lesquelles des tribunaux allemands ont appliqué l’article 3 (relatif à l’interdiction de la torture) de la Convention européenne des droits de l’homme dans des affaires d’expulsion. Elle indique qu’en 2007-2009, la population carcérale était composée de 20 % d’étrangers. L’Allemagne ne recueille pas de statistiques ventilées par appartenance raciale ou ethnique sur les détenus. D’une manière générale, les minorités ethniques sont farouchement opposées à l’établissement de telles statistiques. En outre, l’article 3 de la Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection de minorités nationales dispose que toute personne appartenant à une minorité nationale a le droit de choisir librement d’être traitée ou ne pas être traitée comme telle. Pour ce qui est des statistiques relatives aux infractions à caractère raciste, les membres du Comité voudront bien se reporter aux paragraphes 180 à 189 des réponses écrites de l’Allemagne à la liste des points à traiter (CAT/C/DEU/Q/5/Add.1).

3.En ce qui concerne le cas des mineurs intersexuels qui auraient subi des opérations médicales contre leur gré ou sans le consentement des parents, Mme Wittling-Vogel indique que tout traitement médical n’est possible qu’avec l’accord de la personne concernée, faute de quoi il s’agit d’une infraction pénale ouvrant droit à indemnisation. Lorsqu’il s’agit de mineurs, les parents doivent évidemment être consultés et donner leur accord. Le Gouvernement fédéral a, à cet égard, demandé au Conseil de l’éthique d’émettre un avis sur la notion de consentement aux soins et traitements médicaux.

4.M. Plate (Allemagne) dit que son pays ne dispose pas de statistiques sur les membres des forces armées qui ont été poursuivis ou condamnés pour mauvais traitements. Les statistiques pénales en la matière portent sur l’ensemble des agents de l’État et ne sont pas ventilées par profession. Pour ce qui est de la peine maximale encourue pour acte de torture, c’est le Code pénal général et non le Code pénal militaire qui s’applique au personnel militaire.

5.Les agents de police n’agissent pas de façon anonyme et doivent décliner leur identité si on leur en fait la demande. En revanche, ils ne sont pas tenus de porter un insigne indiquant leur identité, sauf à Berlin où les autorités municipales ont décidé, à titre d’expérience pilote, que les policiers devaient porter un badge avec leur nom. D’une manière générale, l’expérience montre que les policiers dont le nom figure sur l’uniforme font souvent l’objet de harcèlement sur Internet. Il n’existe pas de bureau indépendant chargé des plaintes pour mauvais traitements déposées contre la police. Dans ce type d’affaires, on s’assure systématiquement que l’enquête ne soit pas confiée à des policiers issus de la même unité que celle contre laquelle il est porté plainte.

6.M. Behrens (Allemagne) dit que l’article 6 du Code pénal établit le principe de la compétence universelle de l’Allemagne pour certaines infractions, notamment celles liées à la traite des êtres humains. La délégation allemande ne peut confirmer les estimations de l’Institut fédéral des droits de l’homme selon lesquelles 15 000 personnes seraient victimes de la traite dans le pays. En 2010, on a recensé 610 cas de traite à des fins d’exploitation sexuelle et 43 cas de traite à des fins d’exploitation par le travail. La lutte contre la traite compte parmi les grandes priorités de la Police fédérale même si, à l’évidence, les mesures prises ne sont pas suffisantes pour faire reculer ce phénomène. Les victimes de la traite bénéficient de mesures particulières de protection. En cas de menaces proférées à leur encontre, elles peuvent être admises dans un programme de protection de témoins. En juin 2011, l’Office fédéral des migrations et des réfugiés a conclu un accord de coopération avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) visant à renforcer les mesures d’identification et de protection des victimes de la traite.

7.M. Düwel (Allemagne) dit que la pratique de la contrainte physique (Fixierung) a été interdite au sein de la Police fédérale mais que les autorités fédérales ne sont pas habilitées à imposer la même interdiction aux Länder. En tout état de cause, dans les 16 Länder, la contrainte physique est une mesure de dernier recours qui ne peut être utilisée que si le détenu risque de s’enfuir, de se suicider ou de devenir violent vis-à-vis d’autrui ou de lui-même. En outre, cette mesure est limitée dans le temps (souvent moins de deux heures) et s’accompagne d’une surveillance médicale renforcée.

8.M. Plate (Allemagne) dit qu’à la suite du décès par asphyxie d’un ressortissant soudanais survenu en juin 1999 pendant une expulsion forcée par voie aérienne, la Police fédérale, tirant toutes les conséquences de ce drame, a modifié les règles applicables en la matière. Désormais, elle veille particulièrement à ce que toutes les conditions énoncées par les «Règles sur l’expulsion des étrangers par voie aérienne» soient réunies pour procéder à ce type d’expulsion. Concernant les renvois forcés, la délégation n’a malheureusement pas pu obtenir les données ventilées par âge, sexe et nationalité en temps utile et propose de les transmettre au secrétariat dès qu’elles auront été communiquées par les autorités compétentes.

9.M. Kleinhans (Allemagne), répondant à une question concernant la protection des mineurs non accompagnés, dit qu’il a pris bonne note des observations des membres du Comité à ce sujet et indique que l’Allemagne met en œuvre l’approche commune définie dans le Plan d’action de l’Union européenne pour les mineurs non accompagnés (2012-2014). Dans ce cadre, tout mineur non accompagné qui se présente aux frontières doit bénéficier de mesures de protection adaptées. En ce qui concerne le renvoi forcé de membres de minorité ethniques vers le Kosovo, l’Allemagne applique le principe général du retour librement consenti. Par ailleurs, le Gouvernement fédéral et plusieurs Länder fournissent une aide concrète à la réintégration économique et sociale des intéressés au Kosovo au titre du projet «URA 2». Dans ce cadre, une aide peut être accordée aux plus jeunes de façon qu’ils puissent poursuivre leurs études une fois rentrés au pays. Pour ce qui est du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), il est partie intégrante de la formation dispensée aux agents chargés de l’application des lois dans la plupart desLänder. Les fonctionnaires du service de l’immigration sont formés pour repérer le plus tôt possible les demandeurs d’asile susceptibles d’avoir subi des actes de torture ou des mauvais traitements. En cas de doute, ils peuvent demander des avis médicaux.

10.Les immigrants placés en rétention ne sont pas régulièrement recensés au niveau fédéral de sorte que la délégation n’est pas en mesure d’en préciser le nombre. Une enquête parlementaire a toutefois été menée sur les étrangers en attente d’expulsion dont les conclusions seront transmises au secrétariat le plus rapidement possible. Les immigrants clandestins sont généralement placés en détention dans les établissements pénitentiaires classiques mais ils sont séparés des prisonniers de droit commun. Il existe également des centres de rétention pour migrants en situation irrégulière, notamment le centre d’Hanovre ou encore celui de Hambourg, dont la capacité d’accueil est de 800 lits.

11.M. Duwel(Allemagne) dit qu’il n’y a pas de dispositif particulier pour examiner les demandes d’asile émanant de ressortissants ayant déjà séjourné en Allemagne et qui ont été victimes de torture dans leur pays d’origine ou de renvoi: les intéressés se voient appliquer la procédure d’asile classique. Les mineurs non accompagnés dont la demande d’asile a été rejetée sont placés sous la protection de l’Office de la jeunesse qui prend toute une série de mesures d’aide. S’il n’est pas possible de les renvoyer dans leur pays d’origine, par exemple, lorsqu’ils n’ont ni proche ni famille susceptibles de les prendre en charge, ils sont placés dans des logements spéciaux. Le réexamen automatique du statut de réfugié est effectué par l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés, qui applique les mêmes critères que lors de l’examen des demandes d’asile: il s’agit essentiellement de vérifier si la situation dans le pays d’origine s’est suffisamment améliorée pour que le risque de persécution soit devenu improbable. À cette fin, l’Office utilise des informations émanant du Ministère des affaires étrangères, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et d’autres sources. Il faut savoir que lorsque le risque de torture avait été établi lors de l’examen initial de la demande d’asile, le statut de réfugié n’est pas retiré si l’intéressé est à même de montrer que les effets de la persécution perdurent.

12.M. Plate (Allemagne) dit que les considérations qui ont conduit l’Allemagne à suspendre les expulsions vers la Grèce en application du Règlement Dublin II seront réexaminées de façon à déterminer si elles restent pertinentes.

13.M. Kleinhans (Allemagne) rappelle que le personnel des services de l’immigration est formé pour repérer les demandeurs d’asile ayant subi des tortures ou des mauvais traitements mais qu’il n’y a pas de suivi médical généralisé car cela allongerait considérablement la procédure. Concernant les centres de réadaptation des victimes d’actes de torture, ils sont toujours financés par le Gouvernement fédéral.

14.M me  Wittling-Vogel (Allemagne) dit qu’à sa connaissance, il n’y a pas de programme spécifique sur la violence à l’égard des migrantes, lesquelles bénéficient pleinement, en tant que catégorie particulièrement vulnérable de la population, des mesures générales de protection contre la violence à l’égard des femmes. Le Comité doit par ailleurs bien comprendre que les Länder bénéficient certes d’une certaine autonomie, mais cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas liés par l’ensemble des dispositions de la Convention contre la torture qu’ils sont tenus de respecter, de la même manière que l’État fédéral.

15.M. Behrens (Allemagne) dit que le rejet des demandes d’asile n’est pas automatique et que le bien-fondé de celles-ci est systématiquement examiné. S’agissant de la procédure d’extradition, toute demande doit être approuvée par l’Office fédéral de la justice, ce qui est le cas lorsqu’il n’y a pas de risque de torture ou de mauvais traitements. Il peut être recouru aux assurances diplomatiques, mais uniquement dans des cas exceptionnels. S’il y a un risque de torture ou de mauvais traitements, les assurances diplomatiques ne sont pas utilisées. Elles peuvent l’être en revanche lorsque le risque de torture est plus général et qu’elles contribuent à le réduire.

16.Les autorités allemandes ont décidé de ne pas demander l’extradition de 13 citoyens des États-Unis soupçonnés d’implication dans l’enlèvement du ressortissant allemand Khaled El-Masri, sachant que celle-ci serait refusée par les États-Unis. Cela ne signifie pas que ces dossiers soient clos; les intéressés restent sous mandat d’arrêt et peuvent être placés en détention s’ils pénètrent en Allemagne. Concernant le militant islamiste turc Metin Kaplan, expulsé vers la Turquie le 12 octobre 2004, il y a lieu d’indiquer qu’un agent consulaire a suivi son procès. Par ailleurs, l’Ambassade d’Allemagne a demandé au Ministère de la justice turc l’autorisation de lui rendre visite en prison, de sorte qu’un agent consulaire devrait pouvoir s’entretenir avec lui à brève échéance.

17.Concernant la réouverture de l’enquête parlementaire sur la participation présumée de l’État partie au transfert extrajudiciaire et à la détention secrète de personnes soupçonnées de terrorisme, il convient de souligner que seul le Parlement a le droit de le faire et que le Gouvernement fédéral, qui reste bien entendu libre d’enquêter plus avant sur ces faits présumés, n’a aucune possibilité de peser sur sa décision.

18.M me  Wittling-Vogel (Allemagne) dit que les représentants de l’Agence nationale de prévention de la torture peuvent effectuer des visites dans les lieux de détention de manière inopinée. Ils ne peuvent pas se rendre dans les centres de détention des forces armées étrangères qui se trouvent sur le territoire allemand car ils ne relèvent pas de la juridiction allemande. En revanche, les mécanismes nationaux de prévention des États dont relèvent ces centres de détention peuvent s’y rendre. Il y a lieu de noter enfin qu’il est difficile de tirer des conclusions sur le nouveau dispositif de libération conditionnelle sous surveillance électronique parce qu’il a été adopté il y a peu. On sait simplement que dans l’État de Hesse, il a été appliqué à 209 personnes au mois d’août 2001.

19.M. Duwel (Allemagne) dit que des conditions strictes doivent être remplies pour recourir à l’isolement permanent, une mesure de dernier recours que le détenu peut contester devant les tribunaux judiciaires qui en apprécieront la légalité. Il faut savoir que tout détenu frappé par cette mesure fait l’objet d’un suivi médical et psychologique. L’isolement permanent vise à empêcher le contact avec les autres détenus. Par conséquent, il n’y a aucun obstacle à ce que la personne concernée reçoive des visites. Enfin, il faut bien comprendre que cette mesure disciplinaire n’est que provisoire. Au-delà de trois mois, son renouvellement doit être autorisé par le responsable de l’établissement pénitentiaire concerné.

20.M me  Wittling-Vogel (Allemagne) dit qu’au 31 mars 2011, il y avait 71 200 détenus dans les prisons allemandes, dont 10 468 prévenus. Il convient enfin d’ajouter que pour réduire le surpeuplement carcéral, quatre nouvelles prisons ont été construites, dont deux sont déjà en service.

21.M. Grossman (Rapporteur pour l’Allemagne), notant qu’il est indispensable de définir la torture et le type de peine qu’elle comporte, voudrait savoir combien d’allégations portent sur des violations présumées de l’article premier de la Convention et combien se rapportent à l’article 16. Il demande également que soient communiquées au Comité des données sur les poursuites engagées et les peines prononcées. Il souhaiterait aussi que la délégation allemande précise si la torture est constitutive d’un préjudice corporel grave ou d’un simple préjudice corporel, auquel cas, la peine maximale de cinq ans prévue pour cette infraction n’est pas suffisante au regard de la Convention selon la jurisprudence du Comité. Des statistiques à ce propos seraient les bienvenues.

22.Soulignant qu’il est impossible d’appliquer directement les dispositions de l’article premier, par le biais du Code pénal, car aucune peine spécifique n’y est prévue pour un acte de torture, M. Grossman souhaite obtenir des précisions sur l’applicabilité directe de la Convention en Allemagne. En outre, comme l’État partie ne peut recueillir de données à caractère ethnique, lorsqu’une infraction visée par la Convention est motivée par le racisme, il serait bon de savoir s’il existe d’autres moyens de faire face au problème, par exemple en mettant l’accent sur des activités telles que la formation de policiers roms.

23.S’agissant de la traite des êtres humains, M. Grossman souhaite savoir s’il existe des cas dans lesquels le principe de compétence universelle a été invoqué pour engager des poursuites et prononcer une condamnation et si la lutte contre la traite des êtres humains est une priorité pour l’Allemagne. Des indicateurs, comme la hausse des ressources budgétaires allouées, la création d’unités spéciales et les activités de formation menées, peuvent être révélateurs à cet égard.

24.Dans le cas des infractions commises par des militaires, le Rapporteur souhaite savoir comment la juridiction compétente est déterminée et quelles sont les procédures appliquées en cas de risque de double condamnation pour le même fait. Pour les délits relevant du Code pénal et non du Code militaire, comme le préjudice corporel grave, quelle est la juridiction compétente?

25.En ce qui concerne l’utilisation, en dernier recours, de la contrainte physique, M. Grossman souhaite savoir si un examen médical est exigé dans tous les cas. Pour ce qui est des mineurs non accompagnés, il a été question de formation mais il serait utile de connaître la position de l’Allemagne dans le cadre du débat en cours à l’Union européenne sur la question. En ce qui concerne les retours volontaires qui, malheureusement souvent, ne sont pas aussi librement consentis qu’on le dit, les «candidats» au rapatriement bénéficient-ils des services d’un avocat, sachant que les conséquences du retour au pays ne sont pas toujours pleinement mesurées? Notant que les assurances diplomatiques semblent perdre de leur attrait en raison de leur faible fiabilité, confirmée dans la pratique, et que, lorsque le risque d’une violation de l’article 3 est invoqué, le recours à de telles assurances ne règle pas le problème, le Rapporteur souhaite obtenir des informations concernant les cas d’expulsion, afin de compléter celles communiquées au sujet de l’extradition. Enfin, s’agissant de M. El-Masri, il se demande si son cas ne relève pas de l’article 14 qui garantit le droit d’obtenir réparation, et voudrait savoir si une telle réparation a été demandée ou proposée, si un recours serait possible et si l’application de l’article 14 a été envisagée.

26.M me Kleopas (Corapporteuse) souhaite savoir comment pourrait-on faire en sorte que les Länder, qui sont responsables des prisons, soient au fait des recommandations du Comité et les appliquent.

27.Accueillant favorablement l’interdiction, pour la Police fédérale, du recours à la contrainte physique (Fixierung), elle demande si celui-ci a également été interdit par les Länder.

28.Pour ce qui est de l’obligation faite aux officiers de police, à Berlin, de porter un insigne les identifiant, la Corapporteuse souhaite savoir si cette initiative pourrait être étendue à l’ensemble du pays, au cas où elle s’avérerait fructueuse. S’agissant des enquêtes menées à l’étranger par des agents allemands, qui ne sont désormais plus autorisées, elle souhaite savoir si elles étaient effectuées par des agents de sécurité ou par des représentants fédéraux et si ceux-ci avaient le droit d’interroger des personnes dans le cadre de ces enquêtes. Elle voudrait savoir par ailleurs si les effets psychologiques de la torture seront également traités dans le cadre de la formation sur les procédures d’asile prévue au titre du Protocole d’Istanbul.

29.En ce qui concerne les aveux obtenus sous la contrainte, Mme Kleopas demande si la charge de la preuve ne doit pas incomber au parquet plutôt qu’à la personne poursuivie car, en l’absence de témoins, il est difficile quand on subit des interrogatoires, qu’on est soumis à la torture ou qu’on est mis au secret, de rassembler des preuves.

30.Enfin, la Corapporteuse souhaite des renseignements plus précis sur la séparation des délinquants mineurs des adultes et sur les enquêtes portant sur des allégations de mauvais traitements visant la police, lesquelles devraient être indépendantes de ces dernières et confiées non pas à un autre corps de police, mais à un organe indépendant.

31.M. Mariño Menéndez note, s’agissant du fait que le délit de torture n’est pas défini dans le Code pénal et que le Parlement refuserait toute modification de la législation imposée par le droit international, que de nombreux traités définissent la torture, qui est devenue un terme technique de droit international général. En ce qui concerne M. El-Masri, il souligne que, même si, d’un point de vue juridique, être de nationalité allemande ne suffit pas à établir la compétence de l’Allemagne, son extradition pour des raisons de sécurité nationale et d’intérêt politique vers un pays étranger et le fait qu’il n’ait pu obtenir réparation devant les tribunaux allemands, soulèvent bien des questions. M. Mariño Menéndez souhaite donc savoir si des considérations de sécurité nationale peuvent faire passer au second plan le risque de torture couru par des ressortissants allemands. En l’espèce, M. El-Masri n’a pas pu obtenir réparation au civil aux États-Unis et se voit aussi priver d’une telle réparation en Allemagne. Il y a donc lieu de se demander si dans un tel cas, il existe un recours utile.

32.Enfin, il serait bon de savoir pourquoi les femmes étrangères résidentes en Allemagne qui ont été contraintes de se marier à l’étranger pour des raisons religieuses se voient obligées de demander l’asile politique à leur retour et peuvent ne pas être autorisées à rester dans le pays, alors que, dans bien des cas, elles y ont grandi et y ont des liens.

33.S’agissant des bases de l’OTAN, qui relèvent de la compétence juridique de pays tiers, M. Mariño Menéndez souhaite savoir si, en vertu du droit international, l’Allemagne n’aurait pas une obligation de coopération en cas d’allégations de traitements inhumains dans une de ces bases, ainsi que l’obligation morale d’exiger une enquête, sans pour autant empiéter sur la juridiction d’un pays de l’OTAN. Enfin, en ce qui concerne les réfugiés, il souhaite savoir si, en cas de changement de régime politique dans un pays où une personne ne pouvait être refoulée à cause d’un risque de torture, le statut de réfugié peut être automatiquement révoqué.

34.M me Gaer s’étonne de ce que des négociations soient en cours concernant une visite qui serait rendue à M. Kaplan, le «Calife de Cologne», alors que celui-ci a été expulsé d’Allemagne vers la Turquie en 2004. Elle souhaite des précisions quant aux assurances diplomatiques le concernant et au suivi de ce type d’affaires.

35.Il importe que les agents des forces de l’ordre puissent être identifiés individuellement, que ce soit dans les lieux publics ou dans les lieux de détention, au moyen d’un insigne ou d’une indication sur leur véhicule, par exemple. La délégation a souligné qu’aucune source fiable n’avait corroboré l’affirmation selon laquelle les difficultés posées par l’identification des policiers faisaient obstacle aux enquêtes les concernant. Or Amnesty International a indiqué dans son rapport que l’une des raisons pour lesquelles les victimes de mauvais traitements infligés par des policiers ne portaient pas plainte était l’impossibilité d’identifier l’auteur présumé. De même, un professeur berlinois a réalisé une étude détaillée, dans laquelle il indique que 10 % des affaires sur lesquelles il s’est penché ont été classées sans suite parce que les policiers impliqués n’avaient pas pu être identifiés. La délégation voudra bien indiquer si elle connaît cette étude et préciser les raisons pour lesquelles elle considère que les sources citées ne sont pas fiables.

36.M me Sveaass se félicite de ce que l’État partie ait mis en place des programmes de formation pour repérer les demandeurs d’asile vulnérables mais souligne qu’il importe de déterminer ce qu’implique pour un demandeur d’asile le fait d’être considéré comme tel. La procédure d’asile sera-t-elle accélérée, par exemple, ou se verra-t-il garantir d’autres droits? Il importe également, dans les cas relevant du Règlement Dublin II, de faire en sorte que les procédures d’examen préalable permettent de déterminer quelles situations doivent faire l’objet d’une évaluation plus approfondie. Le Protocole d’Istanbul constitue un instrument très important à cet égard car il porte non seulement sur les conséquences physiques de la torture, mais également sur ses effets psychologiques.

37.Mme Sveaass se félicite de ce que le Gouvernement continue d’apporter un soutien financier aux centres spéciaux de réadaptation des victimes de la torture. Cependant, compte tenu du nombre important de demandeurs d’asile et de réfugiés qui ont des besoins particuliers en la matière, elle souhaiterait savoir s’il est prévu de mettre en place des programmes de réadaptation plus systématiques, notamment dans le cadre du système de santé ordinaire.

38.La délégation a indiqué que lorsqu’un demandeur d’asile débouté et renvoyé dans un pays y était victime de tortures, il pouvait, en cas de retour en Allemagne, déposer une nouvelle demande d’asile. Or son renvoi constitue en soi dans de telles circonstances une violation de l’article 3 de la Convention et l’intéressé devrait donc bénéficier d’autres mesures qu’un simple réexamen de sa demande, notamment de mesures de réparation. La législation de l’État partie prévoit-elle de telles mesures?

39.M. Wang Xuexiansouhaite obtenir les commentaires de la délégation au sujet de l’étude conjointe sur les pratiques mondiales concernant le recours à la détention secrète dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il voudrait également qu’elle précise si les centres de détention de l’OTAN auxquels il a été fait référence relèvent de l’OTAN ou appartiennent à des membres de cette organisation.

40.M me Belmir s’étonne que l’un des critères en fonction desquels les mineurs délinquants sont séparés ou non des adultes soit celui de la nature de l’infraction. Or ni l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs ni les Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile ne mentionnent un tel critère. En outre, les mineurs réfugiés non accompagnés ayant atteint l’âge de 16 ans sont placés dans des centres d’hébergement avec des demandeurs d’asile adultes. Est-ce parce que leur simple présence sur le territoire de l’État partie constitue une infraction? Des éclaircissements sur ces points seraient les bienvenus.

41.Mme Belmir s’étonne également que l’Allemagne, pays exemplaire à bien des égards en matière de droits de l’homme, n’ait pas incorporé dans son droit interne une définition de la torture conforme à celle énoncée dans la Convention, et que la législation et les tribunaux allemands ne fassent que rarement référence aux normes internationales relatives aux droits de l’homme. La délégation pourrait peut-être faire des commentaires à ce sujet.

42.M me Wittling-Vogel (Allemagne) dit que les cas évoqués par Mme Kleopas ont bien fait l’objet d’une évaluation mais que des informations à ce sujet n’ont pas été apportées faute de temps. Des informations écrites à ce sujet seront fournies au Comité. Répondant à M. Wang, Mme Wittling-Vogel précise que les centres de détention de l’OTAN auxquels il a été fait référence appartiennent à l’OTAN et non à des États membres de cette organisation.

43.M. Behrens (Allemagne) dit que l’Allemagne a répondu par écrit aux auteurs de l’étude conjointe sur les pratiques mondiales concernant le recours à la détention secrète dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et qu’elle a pris part aux débats du Conseil des droits de l’homme sur cette question. S’il est exact que les auteurs de cette étude ont fait part de leur préoccupation concernant les liens qui pouvaient être établis entre l’Allemagne et certains vols de transfèrement, ils ont également fait état de la volonté de coopérer dont celle-ci avait fait preuve.

44.S’il est vrai que les dispositions relatives aux lésions corporelles prévoient une peine d’emprisonnement de cinq ans au maximum, tous les faits de lésion corporelle grave, par exemple les lésions infligées au moyen d’une arme ou d’un instrument, emportent jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Une traduction en anglais de ces dispositions sera envoyée au Comité.

45.Pour ce qui est des craintes que l’application au personnel militaire du Code militaire donne lieu à une double condamnation pour un même fait, M. Behrens explique que ce Code soumet les membres des forces armées à certaines obligations auxquelles ne sont pas astreints les civils mais que les faits constitutifs à la fois d’une infraction au Code pénal et d’une infraction au Code militaire font l’objet de poursuites devant les tribunaux ordinaires, dans le cadre d’une seule et même procédure, et une seule peine globale est prononcée.

46.Les explications apportées au sujet des assurances diplomatiques ne concernent que les cas d’extradition, dans lesquels l’État requérant a tout avantage à maintenir de bonnes relations avec l’État requis pour que ce dernier continue de coopérer avec lui à l’avenir. Il en va tout autrement pour les renvois, dans le cas desquels de telles assurances peuvent ne pas avoir le même poids et les possibilités d’assurer un suivi sont beaucoup plus limitées. En ce qui concerne M. Kaplan, les assurances données − qui ont été respectées − portaient sur le suivi de la procédure et sur les modalités de la détention. À la connaissance de M. Behrens, il s’agit du seul cas de renvoi dans lequel des assurances diplomatiques ont été demandées.

47.S’agissant de la question de la charge de la preuve en cas d’allégation d’obtention d’aveux par des moyens illicites, M. Behrens explique qu’il appartient aux tribunaux d’enquêter sur de telles allégations et que ceux-ci se fondent sur tous les éléments disponibles pour en évaluer le bien fondé. Du reste, le terme de «charge de la preuve» ne convient pas tout à fait dans de tels cas car, même si le prévenu n’arrive pas à étayer une allégation de mauvais traitement, les tribunaux sont tenus de prendre en considération tous les éléments dont ils disposent pour apprécier les preuves présentées. La simple contestation d’un élément de preuve suffit à en réduire considérablement la valeur et le fait pour un tribunal de ne pas en tenir compte constitue un vice de procédure pouvant motiver un appel.

48.Enfin, pour ce qui est de la question des interrogatoires menés à l’étranger par des fonctionnaires allemands, M. Behrens confirme que les enquêteurs allemands ne sont plus associés aux interrogatoires menés par des membres des services du renseignement.

49.M me Wittling-Vogel (Allemagne) dit que la question de l’opportunité d’intégrer dans la législation allemande une définition de la torture qui soit pleinement conforme à celle figurant dans la Convention et des dispositions plus spécifiques sur la torture fait l’objet d’un débat à haut niveau mais qu’aucun engagement ne peut être pris à cet égard pour le moment. Tous les Länder ont pour politique de recruter des personnes appartenant à des minorités ou issues de l’immigration au sein de leurs forces de police et dispensent une formation à la lutte contre la discrimination. L’État partie ne dispose cependant pas de données sur ces questions.

50.S’agissant de la coopération entre les divers niveaux de gouvernement, Mme Wittling-Vogel indique que les autorités fédérales et les Länder entretiennent une collaboration et un dialogue constants en matière de droits de l’homme. Un rapport sur l’examen par le Comité du cinquième rapport périodique de l’Allemagne et les observations finales du Comité seront envoyés à toutes les institutions fédérales et à l’ensemble des Länder. Les autorités fédérales leur transmettront également des informations sur le Protocole d’Istanbul et leur recommanderont de veiller à ce que toutes les personnes s’occupant de réfugiés aient accès à la version allemande de ce document. Il convient de préciser, à cet égard, que les autorités sont conscientes de la nécessité d’élargir la formation à la détection des signes de torture aux aspects psychologiques de cette pratique.

51.En ce qui concerne les mineurs non accompagnés, il est malaisé pour l’Allemagne de préciser plus avant la position qu’elle défend dans le cadre du débat en cours au sein de l’Union européenne car il s’agit de discussions internes. Ce débat se poursuit et devrait déboucher sur des résultats très positifs.

52.Force est de reconnaître que, parfois, la non-identification de policiers pose des difficultés sur le plan de la procédure pénale et que, dans des cas tels que celui évoqué par Mme Kleopas, les policiers doivent pouvoir être identifiés, mais il importe également de tenir compte des problèmes inhérents à la diffusion de noms et d’adresses de policiers, notamment sur l’Internet. Le débat sur la question se poursuit, et il sera tenu compte à cet égard de l’étude mentionnée par Mme Gaer.

53.Pour ce qui est des installations militaires et des centres de détention ne relevant pas de la juridiction de l’Allemagne, si le Gouvernement apprend que des mauvais traitements y sont infligés, il n’aura d’autre choix que de traiter cette question par les voies diplomatiques habituelles, de gouvernement à gouvernement.

54.En réponse à une question posée par Mme Sveaass, Mme Wittling-Vogel indique que les autorités allemandes partagent pleinement l’avis selon lequel la formation des personnes qui évaluent la situation des réfugiés et demandeurs d’asile vulnérables doit viser à rendre ces personnes à même de déterminer quelles sont les cas qui nécessitent un examen plus approfondi. Des efforts en ce sens continueront d’être déployés.

55.Il n’existe pas de programme particulier destiné aux étrangers qui retournent chez eux de leur propre initiative et qui souhaiteraient dans ce cadre consulter un avocat. Chacun a le droit d’accéder à un avocat et à une assistance juridique, y compris les étrangers.

56.La législation allemande comporte des dispositions générales sur les mesures de réparation et d’indemnisation qui peuvent être prises en faveur de demandeurs d’asile déboutés qui sont renvoyés dans un pays où ils ont ensuite été victimes de torture. L’adoption de telles mesures dépend cependant du degré de responsabilité de l’État allemand et doit donc être décidée au cas par cas.

57.Mme Wittling-Vogel convient que la législation et les tribunaux allemands, à quelques exceptions près, ne font que très peu référence aux normes internationales, et le regrette. Cependant, cela ne signifie pas qu’il y ait des lacunes en matière de protection des droits de l’homme car la législation allemande suffit habituellement à assurer l’application des normes internationales et permet aux tribunaux d’obtenir le résultat souhaité. Le Gouvernement organise cependant des séminaires à l’intention des magistrats pour les sensibiliser davantage aux instruments internationaux, et les barreaux s’emploient à mieux faire connaître ces instruments aux avocats.

58.En conclusion, Mme Wittling-Vogel indique que des réponses écrites à toutes les questions auxquelles il n’a pas été répondu seront envoyées au Comité. Elle se félicite du dialogue constructif que sa délégation a eu avec le Comité, lequel nourrira la réflexion des autorités sur les questions qui y ont été abordées.

59.Le Président remercie la délégation allemande de ses réponses approfondies et annonce que le Comité a ainsi achevé l’examen du cinquième rapport périodique de l’Allemagne.

60.La délégation allemande se retire.

La séance est levée à 18 h 5.