Nations Unies

CAT/C/SR.1027

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

15 novembre 2011

Original: français

Comité contre la torture

Quarante -s ept ième session

Co mpte rendu analytique de la 1027 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 3 novembre 2011, à 15 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Rapport initial de Djibouti (suite)

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Rapport initial de Djibouti (CAT/C/DJI/1) ( suite)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation djiboutienne reprend place à la table du Comité.

2.M. Hersi (Djibouti) se réjouit de poursuivre le dialogue engagé avec le Comité et propose de répondre aux questions d’ordre général. Il rappelle que la Commission nationale des droits de l’homme a été créée en 2008, à la suite d’un atelier organisé par le Gouvernement sur la situation et les perspectives d’avenir en matière de droits de l’homme dans le pays. Composée de magistrats, d’avocats au barreau de Djibouti, de parlementaires et d’un nombre assez important de représentants d’organisations non gouvernementales, cette Commission assure une représentation pluraliste des forces sociales du pays, conformément aux Principes de Paris. Elle est administrée par un bureau composé d’un président, d’un vice-président et d’un secrétaire général. Pour ce qui est de ses fonctions et attributions, les précisions voulues seront apportées ultérieurement par son Président, M. Abdou, qui compte parmi les membres de la délégation.

3.Les instruments internationaux dûment ratifiés par Djibouti priment la législation nationale. Leurs dispositions peuvent être directement invoquées devant les juridictions nationales, sans qu’il soit nécessaire d’adopter une loi pour les transposer en droit interne. La Convention relative aux droits de l’enfant a ainsi été directement appliquée par les tribunaux djiboutiens, qui se sont appuyés sur la notion d’intérêt supérieur de l’enfant pour trancher des différends relatifs à la garde d’enfants ou au versement d’une prestation compensatoire. Pour ce qui est de la Convention contre la torture, elle n’a pas encore été directement appliquée par les tribunaux djiboutiens.

4.Ainsi qu’indiqué dans le rapport, la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention n’a pas encore été incorporée dans le droit interne. Cette question sera traitée par la Commission de réforme judiciaire, qui a été chargée d’harmoniser la législation interne avec les nombreux instruments internationaux ratifiés par Djibouti ces dix dernières années, y compris la Convention contre la torture. Si aucune disposition spécifique ne définit la torture, celle-ci est néanmoins visée par les articles 324 à 327 du Code pénal, qui répriment les tortures et les «actes de barbarie». De plus, l’article 16 de la Constitution dispose que nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements inhumains, dégradants ou humiliants et que tout individu, tout agent de l’État, toute autorité publique qui se rend coupable de tels actes, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, est puni conformément à la loi. Ainsi, même si la législation djiboutienne ne contient aucune définition de la torture, des éléments de la définition énoncée à l’article premier de la Convention sont néanmoins repris en droit interne.

5.En ce qui concerne l’indemnisation des victimes, il convient de signaler que toute victime d’actes de torture peut engager une action en réparation au pénal comme au civil. De ce point de vue, on peut considérer que le droit djiboutien répond aux exigences de la Convention en matière de réparation. De plus, toute personne arrêtée a droit à l’assistance d’un avocat à n’importe quelle étape de la procédure. Il s’agit d’un droit constitutionnel, également consacré par le Code pénal et le Code de procédure pénale. Pour ce qui est de la profession d’avocat, elle est organisée et réglementée par la loi de 1987 instituant le barreau de Djibouti, dont le bâtonnier est actuellement une femme.

6.Pas plus que les autres polices du monde, la police djiboutienne n’est à l’abri de dérapages. La délégation regrette de ne pas être en mesure de communiquer des données chiffrées à ce sujet. Le Comité doit néanmoins savoir que tout abus commis par un policier dans l’exercice de ses fonctions est sévèrement puni. Ces dernières années, Djibouti a lancé un grand nombre d’initiatives en matière de formation et de sensibilisation à l’intention de tous les acteurs de la procédure pénale mais aussi des représentants de la société civile. D’importants efforts sont également consentis depuis cinq ans pour protéger et promouvoir les droits des personnes détenues. Un corps de surveillants pénitentiaires, relevant directement du Ministère de la justice, a récemment été créé. Désormais, tout fonctionnaire de police procédant à l’arrestation d’un suspect ne peut plus se voir confier ultérieurement la garde de l’intéressé.

7.En réponse aux questions du Comité concernant les conditions de détention et la surpopulation carcérale, il y a lieu d’indiquer que plusieurs locaux de la prison civile de Gabode ont été rénovés, notamment le quartier des femmes, et que de nouveaux bâtiments ont été construits. Les quartiers réservés aux mineurs ont également été rénovés et des éducateurs spécialisés ont été recrutés pour que les détenus puissent continuer de suivre un enseignement général. Les délinquants mineurs sont désormais détenus, dans la mesure du possible, dans l’établissement pénitentiaire le plus proche possible de leur domicile pour faciliter les visites de proches. Une infirmerie d’une capacité d’accueil de 30 lits a été créée à la prison de Gabode; deux médecins et quatre infirmiers ont été engagés. Des mesures ont également été prises dans le but de réhabiliter d’anciens établissements pénitentiaires situés à l’intérieur du territoire, qui avaient été laissés à l’abandon faute de moyens.

8.Le Règlement de l’administration pénitentiaire prévoit la mise à l’isolement à titre de sanction disciplinaire. Celle-ci est ordonnée par le directeur de la prison si elle n’excède pas dix jours. Au-delà, elle doit être autorisée par le juge d’instruction si elle vise un prévenu et par le juge d’application des peines si l’intéressé est un condamné. Pour ce qui est du Protocole d’Istanbul et du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, Djibouti a pris note des observations des membres du Comité. La Commission de réforme judiciaire étudiera la question à bref délai. Quant au paragraphe 75 du rapport, sa formulation maladroite laisse croire qu’il est possible de déroger au principe de l’interdiction absolue de la torture, ce qui n’est pas le cas. Ce paragraphe évoque simplement les causes d’exonération partielle ou totale de responsabilité pénale.

9.Dans le cadre de son action visant à promouvoir l’état de droit, le Gouvernement a mis l’accent sur la formation des fonctionnaires chargés de faire respecter la loi en organisant, dans certains cas avec le concours du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et du Comité international de la Croix-Rouge, de nombreuses activités de sensibilisation sur les droits de l’homme en général et sur le principe d’interdiction de la torture en particulier. De plus, des cellules des droits de l’homme ont été créées au sein de la police et de la gendarmerie nationales, afin de veiller à ce qu’aucun abus ne soit commis sur le terrain.

10.Un membre du Comité a souhaité savoir s’il était possible de régler à l’amiable les différends relatifs à des actes de torture. Ici encore, le libellé du rapport prête à confusion; en réalité les actes de torture donnent systématiquement lieu à des poursuites pénales, qui ne peuvent en aucun cas être écartées sur la base d’un accord entre les parties. En revanche, le montant de l’indemnisation à accorder à la victime peut faire l’objet d’une transaction. Tout détenu se disant victime d’actes de torture ou de mauvais traitements a le droit d’être examiné par un médecin et de porter plainte. Après enquête administrative, le Ministère de la justice peut, le cas échéant, révoquer l’agent pénitentiaire concerné, comme cela a récemment été le cas.

11.Les aveux obtenus sous la torture ne constituent en aucun cas une preuve recevable et le juge est tenu d’annuler la procédure s’il est établi que des aveux ont été obtenus de cette manière. Les personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de torture peuvent contester l’accusation et une enquête supplémentaire peut être demandée par le juge, qui joue donc un rôle important dans le contrôle de la procédure pénale.

12.Djibouti, en raison de sa stabilité politique et économique, accueille un grand nombre de migrants malgré sa petite taille. Même si la majorité d’entre eux ne fait que transiter, le pays a néanmoins pris des mesures législatives, comme l’adoption de la loi relative à la lutte contre le trafic des êtres humains en 2007, ainsi que d’autres mesures mises en œuvre avec le soutien de partenaires techniques comme l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), par l’intermédiaire de son Bureau de Djibouti, le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD). Des activités de sensibilisation sont menées par les pouvoirs publics, notamment sous forme de spots publicitaires sur les dangers de l’immigration clandestine, diffusés régulièrement à la radio et à la télévision. De nombreuses associations de la société civile contribuent à cette action.

13.La procédure d’extradition est de nature judiciaire; seuls le juge et le juge de la cour d’appel décident de l’extradition. Les personnes qui risquent d’être condamnées à mort ou de subir des actes de torture dans le pays requérant ne peuvent pas être extradées. En 2009, les États membres de l’IGAD ont adopté une convention sur l’entraide judiciaire et une convention sur l’extradition, que la République de Djibouti a signées. Deux projets de loi portant ratification de ces instruments ont été soumis à l’Assemblée générale.

14.S’agissantducas de M. Al-Assad, qui aurait déposé une requête contre la République de Djibouti devant la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, il convient de signaler que le Gouvernement djiboutien n’avait aucune connaissance des allégations de l’intéressé, qui affirme avoir été transféré à Djibouti depuis la Tanzanie pour y être interrogé à la demande de la CIA, avant d’être informé de l’affaire par la Commission africaine. Aucune entité djiboutienne n’a procédé à l’arrestation, au transport, à la détention ou au transfert de ce Yéménite vers un autre pays. À l’issue d’investigations, les autorités djiboutiennes confirment que la carte d’embarquement soumise comme preuve d’un vol à destination de Djibouti n’a été enregistrée ni par l’aviation civile de Djibouti, ni par celle de la Tanzanie. En tout état de cause, il n’existe pas de liaison aérienne régulière entre ces deux pays.

15.M.  Abdou (Djibouti), résumant les fonctions et attributions de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) telles qu’elles sont énoncées dans le décret no 2008-0103, dit que la Commission émet des avis et des recommandations et élabore des rapports sur les questions de partie générale relative à la promotion et la protection des droits de l’homme et sur les situations spécifiques de violation des droits de l’homme dans le pays, de sa propre initiative ou à la demande des pouvoirs publics. Elle contribue en outre à l’élaboration des rapports soumis par Djibouti aux organes conventionnels de l’ONU et à la Commission africaine des droits de l’homme. Grâce à la création, en 2008, de cette commission et du Comité interministériel de coordination du processus de rédaction et de soumission des rapports périodiques, le retard important accumulé dans la soumission des rapports périodiques a été résorbé et Djibouti a pu se soumettre à un Examen périodique universel en février 2009.

16.Des membres de la CNDH se sont récemment rendus à la prison de Gabode afin de vérifier les conditions de détention de personnes qui avaient été incarcérées après avoir participé à des manifestations, lors desquelles des édifices publics et privés avaient été saccagés à Djibouti. Ces détenus se plaignaient des restrictions qui leur étaient imposées concernant les visites familiales et de l’impossibilité de recevoir les soins médicaux dont ils avaient besoin. Un rapport a été soumis au Ministère de la justice par la Commission, qui a obtenu satisfaction puisque ces détenus ont été libérés.

17.Après avoir rendu visite à M. Mohamed Ahmed, dit Jabha, la Commission a confirmé que celui-ci n’avait pas été victime de tortures, mais qu’il souffrait d’une gastrite aiguë. Grâce à l’intervention de la Commission, les autorités pénitentiaires lui ont permis de recevoir les soins nécessaires à l’hôpital. L’intéressé se trouve toujours à la prison civile de Djibouti et la Commission a demandé aux autorités judiciaires de faire le nécessaire pour qu’il puisse être jugé sans tarder.

18.Le Président de la République peut présider le Conseil supérieur de la magistrature mais, dans la pratique, cette fonction est le plus souvent assumée par le Vice-Président du Conseil, qui est le Ministre de la justice. Lorsque le Conseil statue en matière disciplinaire, il est présidé par le Président de la Cour suprême ou par le Procureur général près la Cour suprême; les magistrats ne sont en effet jugés et sanctionnés que par leurs pairs. Les magistrats du siège, qui prennent les décisions, sont indépendants, tandis que les magistrats du parquet relèvent du Ministère de la justice.

19.La justice militaire n’existant pas à Djibouti, les militaires coupables d’infractions relèvent des tribunaux de droit commun. Il n’existe pas de juridiction d’exception, car la Cour de sûreté de l’État, qui statuait en matière politique, et la Cour supérieure de justice, qui s’occupait des détournements de fonds publics, ont été abrogées.

20.La cellule d’écoute et d’orientation offre une assistance aux victimes de violations des droits de l’homme, notamment aux personnes les plus vulnérables qui font l’objet de violences ou de mauvais traitements. Grâce à une permanence téléphonique gratuite, cette cellule donne des orientations quant aux personnes à contacter et à la procédure à suivre pour faire valoir ses droits devant les juridictions ou auprès des autorités de police ou de gendarmerie.

21.M.  Hachi (Djibouti)dit que des formations abordant tous les aspects de la traite des êtres humains ont été mises en place en collaboration avec l’OIM, le HCR, l’IGAD et l’Union africaine, à l’intention des personnes en contact avec les migrants et avec les citoyens djiboutiens les plus vulnérables, et des personnes chargées d’appliquer les textes, comme les agents de la police et de la gendarmerie, les magistrats et les préfets de région. Des formations sur l’assistance aux victimes de la traite, ainsi que des formations techniques sur les poursuites et la détection des cas de traite ont également été dispensées. Un centre d’information, où sont diffusés des renseignements sur les dangers liés à l’immigration illégale et à la traite des êtres humains, a été ouvert à Obock, dans une région où se regroupent souvent des personnes souhaitant émigrer vers le golfe Persique, en particulier le Yémen.

22.S’agissant du viol, une définition est bien donnée à l’article 343 du Code pénal, qui prévoit une peine de dix ans de réclusion criminelle. Il n’est donc pas possible de transiger sur l’action publique, mais seulement sur le montant de la réparation. Aucune grâce ni remise de peine ne peut être accordée en cas de viol et une politique de prévention en matière de viol et de violence sexuelle a été mise en œuvre. Des guides à l’intention des victimes ont été élaborés, afin de diffuser des renseignements sur la procédure à suivre, notamment concernant la nécessité d’obtenir rapidement un certificat médical.

23.Jusqu’à récemment, il n’existait pas de système spécifique de justice pour mineurs à Djibouti. Il a toutefois été donné suite aux recommandations formulées par les organes conventionnels et, depuis 2010, des juridictions spécifiques exclusivement compétentes pour statuer sur les infractions commises par des mineurs ont été établies.

24.En ce qui concerne la compétence territoriale des juridictions nationales, il convient de préciser que les tribunaux djiboutiens ne sont compétents que si les crimes sont commis sur le territoire national ou si les auteurs ou les victimes d’un crime sont de nationalité djiboutienne lorsque l’infraction a été commise à l’étranger. Les juridictions djiboutiennes n’exercent donc pas une compétence universelle.

25.M.  Douale (Djibouti) dit que, depuis son indépendance et malgré ses ressources limitées, Djibouti est traditionnellement une terre d’asile. La situation des réfugiés s’est néanmoins aggravée depuis le début de l’année en raison d’un afflux massif de nouveaux arrivants fuyant la brusque détérioration de la situation sécuritaire et humanitaire au sud de la Somalie. En réponse à cette situation d’urgence, le Gouvernement a décidé de rouvrir le camp de Holhol, car celui d’Ali-Adde a largement dépassé ses capacités d’accueil.

26.Le Gouvernement s’emploie à améliorer la protection et les conditions de vie des réfugiés, en collaboration avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés. Il a entrepris de mettre sur pied des politiques visant à réduire les mouvements migratoires vers le Yémen et au-delà. Les autorités chargées des questions d’asile s’efforcent actuellement de redynamiser la Commission nationale d’éligibilité au statut des réfugiés afin de mettre en place des procédures rapides et équitables pour la détermination de ce statut. Des mesures ont également été prises pour renforcer le cadre administratif national afin de garantir et d’améliorer l’accès des réfugiés et des demandeurs d’asile à l’enregistrement et à la délivrance des documents et de leur permettre de faire valoir leurs droits économiques.

27.M. Bruni (Rapporteur pour Djibouti) dit que le Comité consignera dans ses observations finales l’engagement que l’État partie a pris de charger la Commission de réforme judiciaire d’harmoniser sa législation interne avec les dispositions des instruments internationaux auxquels il est partie et de faire en sorte que les membres de la Commission nationale des droits de l’homme soient à l’avenir élus et non plus nommés par le Président. Il prend également acte du fait que les informations énoncées au paragraphe 75 du rapport à l’examen sont erronées, et qu’un homicide et des coups et blessures ne peuvent donc pas être ordonnés par l’autorité légitime.

28.M. Bruni juge inquiétantes les informations exposées au paragraphe 84 du rapport à l’examen, où il est dit que, dans la pratique, de nombreux abus sont commis par ignorance ou par méconnaissance des règles de la part de certaines autorités administratives ou militaires ou de certains membres des forces de l’ordre. Cette lacune est d’autant plus préoccupante que le rapport fait ouvertement référence à l’impunité dont jouissent les auteurs de tels actes. Le Rapporteur souhaiterait donc savoir si des peines de quinze ans d’emprisonnement ont déjà été prononcées à l’encontre des auteurs d’actes de torture, comme le prévoit le Code pénal.

29.La délégation pourra peut-être indiquer si les anciens établissements pénitentiaires qui ont été remis en service pour tenter de résoudre le problème de la surpopulation carcérale dans la capitale offrent des conditions de détention décentes, étant donné qu’ils ont été fermés pendant de nombreuses années. Les informations fournies par le Président de la Commission nationale des droits de l’homme au sujet de Mohamed Ahmed, dit Jabha, qui avait été décrit par des ONG comme étant très malade et qui a manifestement bénéficié des soins de santé nécessaires en prison, sont rassurantes. Il va de soi que les ONG en question continueront de suivre la situation de cette personne.

30.D’après des informations émanant de l’Observatoire pour le respect des droits humains de Djibouti, plusieurs personnes ayant pris part aux manifestations du 18 février 2011 auraient été torturées dans les locaux de la gendarmerie. La délégation pourra peut-être confirmer ou infirmer ces affirmations. Elle pourra peut-être également apporter un complément d’information sur l’affaire concernant les deux pilotes éthiopiens qui avaient atterri sur le sol djiboutien pour y trouver refuge en 2005 et qui ont été renvoyés par la suite en Éthiopie, où ils auraient été soumis à la torture. Elle voudra bien indiquer à ce sujet si les intéressés sont réellement rentrés dans leur pays de leur plein gré comme l’affirment les autorités djiboutiennes, ce que les familles des victimes ont toujours nié.

31.Faisant référence au paragraphe 197 du rapport, M. Bruni demande pour quelles raisons les décisions d’indemnisation des victimes de torture sont «rares», et dans quel cas des indemnisations ont été accordées.

32.Le Président (Corapporteur pour Djibouti) voudrait savoir si les dispositions de l’article 65 du Code de procédure pénale citées au paragraphe 149 du rapport à l’examen sont bien appliquées, et si l’État partie a mis en place un registre des gardes à vue à l’échelle du territoire et, dans l’affirmative, si les entrées et sorties des personnes gardées à vue y sont systématiquement consignées. Il souhaiterait par ailleurs connaître la pratique de l’État partie pour ce qui est du placement en régime cellulaire, que le Rapporteur spécial sur la question de la torture a assimilé à une forme de torture dans certaines circonstances, notamment lorsque l’isolement se prolonge au-delà d’un certain délai, et avoir des précisions sur les normes appliquées en la matière.

33.Notant les vastes pouvoirs discrétionnaires dont disposent les magistrats djiboutiens pour décider de la validité des éléments de preuve, le Président demande si l’État partie s’est doté d’une disposition interdisant aux juges de fonder leur décision sur des aveux obtenus sous la torture. Les instruments internationaux primant le droit interne, le Président rappelle toutefois que quiconque aurait fait des aveux dans ces conditions pourrait directement invoquer la Convention devant les tribunaux.

34.Le Comité a eu connaissance d’informations selon lesquelles la pratique des mutilations génitales féminines serait courante dans l’État partie, en particulier en dehors des zones urbaines. Il serait donc intéressant de connaître le montant des ressources budgétaires allouées à la prévention de ce phénomène − qui constitue une violation de la Convention − et d’avoir un aperçu des activités concrètes mises en œuvre par l’État partie dans ce domaine, y compris celles menées en collaboration avec les organisations de la société civile.

35.M me Sveaass se félicite de la place désormais accordée à la médecine légale dans la formation des médecins, qui jouent un rôle primordial dans la détection d’éventuels signes de mauvais traitements, de torture ou de viol. Elle pense toutefois que pour être efficaces, les services spécialisés dans ce domaine et dans l’enregistrement des plaintes et la prise en charge des victimes doivent être gratuits et faciles d’accès, implantés au sein des hôpitaux par exemple.

36.Lisant au paragraphe 147 du rapport que le Code pénal réprime sévèrement les mutilations génitales féminines, Mme Sveaass demande qui, en pareil cas, est passible de poursuites, et insiste sur la nécessité de mettre l’accent sur la prévention et de faire respecter la loi portant interdiction de cette pratique. Elle invite par ailleurs la délégation à indiquer si des garanties ont été mises en place pour que les détenus ne soient pas privés de soins de santé psychiatriques, ni contraints de suivre un traitement contre leur gré.

37.M me Belmir demande quelle autorité a compétence pour enquêter sur les bavures commises par des membres des forces de l’ordre ou de l’armée et pour quelles raisons l’État partie n’a pas accepté la recommandation formulée par le groupe de travail de l’Examen périodique universel portant sur le droit syndical à Djibouti. En ce qui concerne la mise en place du système de justice pour mineurs, elle espère que l’État partie ne négligera aucune des composantes essentielles d’un tel système que sont l’âge minimum de la responsabilité pénale, le recours à la détention en dernier ressort et la nécessité de séparer les détenus mineurs des adultes et de ne pas placer de mineurs en détention avant jugement, entre autres.

38.M. Mariño Menéndez dit qu’il est indispensable que l’État partie réglemente l’entrée et le séjour des étrangers sur son territoire et adhère aux deux conventions internationales relatives à l’apatridie, à savoir la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 relative à la réduction des cas d’apatridie. Il estime en outre que l’État partie devrait renforcer les tribunaux du statut personnel, qui, d’après certaines sources, auraient du mal à fonctionner dans les zones situées à l’intérieur du pays.

39.M . Wang Xuexian souhaiterait savoir si l’État partie s’est doté d’une loi nationale sur les réfugiés et les demandeurs d’asile et si, statistiquement, les femmes qui présentent une demande d’asile ont autant de chances que les hommes d’obtenir le statut de réfugié.

40.M. Hersi (Djibouti) répond que les femmes et les hommes ont les mêmes droits en matière d’asile et que la loi consacre le principe de l’égalité des citoyens, qui s’applique en l’occurrence aussi aux étrangers se trouvant sur le territoire djiboutien. Il ne saurait dire si la République de Djibouti s’est dotée d’une loi sur l’asile, et indique qu’un complément d’information sera envoyé par écrit au Comité à ce sujet. Il précise néanmoins que les conditions d’admission et de séjour des étrangers sur le territoire de la République de Djibouti font l’objet d’une réglementation spécifique.

41.Étant donné que les tribunaux ont leur siège dans la capitale, où environ 65 % de la population est concentrée, les habitants des régions de l’intérieur sont défavorisés par rapport aux citadins en ce qui concerne l’accès à la justice. Afin de corriger ces inégalités, un programme prévoyant la tenue d’audiences foraines dans ces régions a été lancé en 2009, les premiers juges qui y ont été envoyés sont ceux des tribunaux du statut personnel, les autorités ayant estimé que la priorité devait être accordée au règlement des litiges familiaux. En outre, des «guichets du droit» ont été mis en place dans chacun des chefs-lieux des régions. Un représentant du Ministère de la justice y est chargé de recevoir les requêtes, de réunir les pièces du dossier et d’organiser des audiences dans les villes de l’intérieur.

42.En ce qui concerne la justice pour mineurs, M. Hersi rappelle qu’à Djibouti, l’âge de la responsabilité pénale est fixé à 13 ans et que les mineurs délinquants condamnés à une peine privative de liberté sont placés dans l’unique centre d’éducation surveillée du pays, qui se trouve dans la capitale. Actuellement, aucun mineur n’est détenu dans ce centre.

43.En ce qui concerne les «bavures» évoquées au paragraphe 78 du rapport, qu’il aurait été préférable de qualifier d’«abus d’autorité», le seul jugement se rapportant à des actes de ce type a été rendu par la cour d’appel au début des années 2000. Dans cette affaire, un membre des forces de l’ordre a été condamné à trois ans de prison ferme et révoqué de ses fonctions pour mauvais traitements infligés à un suspect dans le cadre de la garde à vue. La délégation ignore si la victime a été indemnisée.

44.Les mutilations génitales féminines sont interdites à la fois par la Constitution, qui prohibe les atteintes à l’intégrité physique et psychique de la personne, et par l’article 333 du Code pénal, qui réprime cette pratique par de lourdes peines. Ces dispositions n’ont encore jamais été appliquées concrètement car aucune plainte n’a été déposée à ce jour. Cependant, comme suite aux recommandations formulées à l’issue de l’Examen périodique universel (A/HRC/11/16) et aux observations finales du Comité des droits de l’enfant concernant le deuxième rapport périodique de Djibouti (CRC/C/DJI/CO/2), des mesures ont été prises afin que les organisations de la société civile puissent aussi porter plainte contre les personnes qui pratiquent les mutilations génitales féminines et une circulaire a été envoyée aux tribunaux pour les enjoindre d’appliquer rigoureusement la législation lorsqu’ils sont saisis d’une affaire de ce type. Le Gouvernement djiboutien a la ferme volonté d’éradiquer cette pratique et, à cette fin, il mène de nombreuses activités de sensibilisation. Il a organisé des conférences régionales et sous-régionales, auxquelles des dignitaires religieux ont accepté de participer pour aider à faire comprendre à la population que les mutilations génitales féminines n’ont rien de religieux et ne constituent nullement une obligation au regard de la charia islamique. Enfin, il convient de signaler que Djibouti est partie au Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo).

45.Le placement à l’isolement est strictement encadré par la législation. Cette mesure n’est appliquée qu’à titre de sanction et n’est pas utilisée dans un autre but. Le juge de l’application des peines ou le juge d’instruction surveille régulièrement les conditions de détention du détenu ou du prévenu placé à l’isolement ainsi que la durée de cette mesure. La délégation comprend l’importance qu’attache le Comité aux statistiques se rapportant aux réparations accordées aux victimes de violations de la Convention et regrette de ne pouvoir lui en fournir. Elle tient toutefois à signaler que, depuis la soumission du rapport, une innovation importante a été introduite dans l’administration pénitentiaire: à leur arrivée à la prison, les détenus sont désormais inscrits dans un registre d’écrou informatisé, qui contient le nom et la photo du détenu, ainsi que la date et l’heure de son entrée, ce qui permet de connaître avec exactitude la situation de chaque détenu.

46.M. Hachi (Djibouti), réagissant aux allégations selon lesquelles les autorités djiboutiennes auraient renvoyé dans leur pays deux pilotes éthiopiens sans entrer en matière sur leur demande d’asile, dit que, depuis son indépendance, Djibouti a accueilli des milliers de réfugiés provenant d’Éthiopie et qu’il accorde une protection aux personnes qui viennent chercher refuge sur son sol. Répondant à une préoccupation exprimée par le Rapporteur, il souligne que les prisons régionales qui sont vides depuis le XIXe siècle seront entièrement rénovées et mises en conformité avec les normes internationales avant d’accueillir des détenus. Enfin, il assure le Comité qu’aucune des personnes arrêtées après les manifestations du 18 février 2011 n’a été torturée.

47.M. Douale (Djibouti) indique que la question de l’adhésion de Djibouti à la Convention sur la réduction des cas d’apatridie est en cours d’examen. Revenant sur les conclusions de l’Examen périodique universel, il souligne le caractère politisé des recommandations fondées sur des allégations faisant état d’actes d’intimidation et de répression à l’encontre des syndicalistes, qui ne tiennent aucun compte du fait qu’en 2008, une délégation de l’Organisation internationale du Travail s’est rendue à Djibouti, qu’elle a pu s’entretenir librement avec tous les partenaires sociaux et que toutes les recommandations formulées à l’issue de cette visite ont été appliquées.

48.M. Bruni (Rapporteur pour Djibouti), constatant que deux mots clefs, «ignorance» et «impunité», reviennent régulièrement dans le rapport, dit qu’il serait souhaitable que le Gouvernement djiboutien ne se borne pas à reconnaître les problèmes existants mais prenne des mesures pour y remédier et combler le fossé entre la loi et son application. Il espère que le rapport suivant de l’État partie contiendra une description des initiatives que les autorités djiboutiennes auront prises à cette fin, en particulier dans le domaine de la réadaptation des victimes.

49.Revenant sur l’affaire des deux pilotes éthiopiens, M. Bruni indique que les informations dont il dispose sont tirées d’un rapport du Rapporteur spécial sur la question de la torture (E/CN.4/2006/6/Add.1), d’après lequel deux membres de l’armée éthiopienne, Behailu Gebre et Abiyot Mangudai, seraient arrivés à Djibouti le 9 juin 2005, à bord d’un hélicoptère militaire. Ils auraient été détenus au secret dans la capitale, sans inculpation, et n’auraient pas été autorisés à voir un avocat. Le bureau local du HCR se serait vu refuser le droit de rendre visite à ces hommes, qui auraient été renvoyés en Éthiopie le 11 juin 2005. Le Ministère de l’intérieur aurait déclaré à un journaliste britannique que les deux pilotes avaient été renvoyés dans leur pays avec leur accord, ce qui est contesté par les proches des intéressés. À ce jour, les autorités djiboutiennes n’ont fourni aucune information en réponse à ces allégations.

50.M. Douale (Djibouti) remercie le Rapporteur de ces précisions, qui aideront les autorités djiboutiennes à mener les recherches nécessaires. Des renseignements seront communiqués ultérieurement au Comité à ce sujet.

51.Le Président (Corapporteur pour Djibouti) espère que Djibouti se penchera sur la question de son adhésion au Protocole facultatif se rapportant à la Convention et invitera le Rapporteur spécial à effectuer une visite dans le pays.

La séance est levée à 17 h 55.