NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.73011 janvier 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑septième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 730e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le jeudi 9 novembre 2006, à 10 heures

Président: M. MAVROMMATIS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial du Burundi

La séance est ouverte à 10 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial du Burundi (CAT/C/BDI/1; HRI/CORE/1/Add.16/Rev.1)

1.Sur l’invitation du Président, la délégation burundaise prend place à la table du Comité.

2.Mme NGENDAHAYO (Burundi) explique qu’en raison de la récente guerre civile, le Gouvernement burundais n’a pas pu s’acquitter en temps voulu de l’obligation de présenter des rapports périodiques au Comité qui lui incombe en vertu de l’article 19 de la Convention. Le Burundi souscrit à la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention même si sa législation ne définit pas expressément cette pratique. La torture est considérée comme une circonstance aggravante d’autres infractions et les auteurs d’actes de torture sont poursuivis et condamnés pour différentes infractions de droit commun prévues aux articles 145 à 150 du Code pénal, comme les coups et blessures volontaires. Différents textes permettent également de combattre et de réprimer les actes de torture, comme l’article 19 de la Constitution du 18 mars 2005 qui dispose, entre autres, que les instruments internationaux, y compris la Convention contre la torture, font partie intégrante du droit interne, la loi du 8 mai 2003 sur la répression du crime de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre et la loi du 22 septembre 2003 sur le régime pénitentiaire.

3.Pour ce qui est de l’article 3 de la Convention, le Burundi est lié par des conventions d’extradition à la République‑Unie de Tanzanie, au Rwanda et à la République démocratique du Congo. La Convention d’extradition et d’entraide judiciaire en matière pénale signée avec la République‑Unie de Tanzanie fait obligation aux deux parties d’extrader toute personne accusée ou condamnée en tant qu’auteur principal ou complice d’un acte de torture.

4.À propos de l’article 5 de la Convention, en plus des informations figurant dans le rapport, Mme Ngendahayo signale qu’aux termes de l’article 3 du Code pénal, quiconque commet une infraction est puni conformément à la loi, sous réserve des conventions internationales sur les immunités diplomatiques et consulaires. Ceci signifie que toute personne qui se rend coupable d’une infraction au Burundi est punie conformément aux lois du pays. De même, l’article 4 du Code pénal stipule que toute infraction commise à l’étranger emportant une peine de plus de deux mois d’emprisonnement peut être jugée au Burundi, sous réserve des dispositions relatives à l’extradition, si une plainte est déposée par la victime présumée ou sur dénonciation des autorités du pays où l’infraction a été commise. Pour les infractions autres que celles attentatoires à la sécurité de l’État ou la contrefaçon, aucune poursuite n’a lieu si l’accusé a déjà été définitivement jugé à l’étranger.

5.À propos de l’article 6 de la Convention, Mme Ngendahayo précise que selon l’article 60 du Code de procédure pénale, la garde à vue ne peut excéder sept jours, sauf prolongation indispensable décidée par le Ministère public pour une période qui ne peut excéder le double de la durée initiale. En outre, le Ministère public peut décider de mettre fin à la garde à vue à tout moment s’il estime que celle‑ci n’est pas ou plus justifiée. Quant à l’article 62 du Code de procédure pénale, il stipule que même si le placement en garde à vue emporte restriction de la liberté de communiquer, la personne gardée à vue jouit du droit d’informer la personne de son choix de la mesure dont elle est l’objet. L’opportunité de l’exercice de ce droit est appréciée, selon les circonstances de la cause, par l’officier de police judiciaire responsable de la garde à vue ou le magistrat dont il relève. Lorsque le délai légal de la garde à vue arrive à expiration, la personne doit être présentée au Procureur de la République ou remise en liberté.

6.En ce qui concerne l’article 7 de la Convention, il y a lieu de noter que les tribunaux burundais sont compétents pour connaître de toute infraction commise sur le territoire burundais, indépendamment de la nationalité de l’auteur. Les personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de torture bénéficient à tous les stades de la procédure des garanties d’un procès juste et équitable. Quant au régime de la preuve, il est identique à celui qui est appliqué aux auteurs de délits ou de crimes de droit commun.

7.Pour ce qui est de l’article 8 de la Convention, le Burundi subordonne l’extradition de l’auteur d’actes de torture à l’existence d’un traité. Ainsi, selon la Convention d’extradition entre le Burundi et la République‑Unie de Tanzanie quatre des actes pouvant donner lieu à extradition ont trait à la torture: viol, enlèvement, emprisonnement arbitraire et actes occasionnant malicieusement un préjudice corporel. De même, la Convention d’extradition entre le Burundi et les pays de l’ex‑Communauté économique des pays des Grands Lacs dispose que toute infraction passible d’une peine d’emprisonnement de plus de six mois, ce qui est le cas de la plupart des actes de torture, donne lieu à extradition.

8.En ce qui a trait à l’article 10 de la Convention, les autorités ont mené des campagnes d’information sur l’interdiction de la torture par le biais de différentes institutions dont le Ministère de la solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre et la Commission gouvernementale des droits de l’homme mise en place en 2000. En outre, une commission nationale des droits de l’homme sera prochainement instituée.

9.Pour ce qui est de l’article 11 de la Convention, l’attention du Comité est appelée sur l’existence de mesures de contrôles destinées à prévenir la commission d’actes de torture sur des personnes interrogées, détenues ou emprisonnées. En outre, aux termes de l’article 61 du Code pénal, tout placement en garde à vue doit faire l’objet d’un procès‑verbal détaillé dressé par l’officier de police judiciaire responsable dans lequel seront indiqués notamment le lieu et l’heure de l’arrestation, les motifs de la garde à vue et le lieu où elle s’est effectuée. La personne gardée à vue doit, en outre, être informée de tous ses droits.

10.En ce qui concerne l’article 12 de la Convention, Mme Ngendahayo souligne que la personne reconnue coupable d’actes de torture physique infligés à une personne arrêtée ou détenue est passible de 10 à 20 ans d’emprisonnement. Quant à l’auteur d’actes de torture ayant provoqué le décès de la victime, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité ou la peine de mort. En outre, si le Procureur général trouve des indices de torture ou si la victime présumée ou un tiers le lui demande, il peut saisir le tribunal compétent s’il l’estime opportun.

11.À propos de l’article 13, Mme Ngendahayo indique que la victime présumée d’un acte de torture, comme toute victime d’une infraction pénale, dispose de deux moyens d’engager des poursuites contre l’auteur présumé de cet acte, à savoir, la citation directe et l’instruction, dans le cadre de laquelle l’action pénale est mue par le Ministère public.

12.Concernant l’article 14, il est précisé que lorsque l’auteur d’un acte de torture est condamné, la victime a droit à une réparation à la mesure du dommage subi. En revanche, la partie civile peut elle aussi être condamnée aux dommages et intérêts en cas de citation abusive.

13.Concernant l’article 15 de la Convention, Mme Ngendahayo informe le Comité que des aveux obtenus par la contrainte sont frappés de nullité. En outre, dans un arrêt en date du 26 septembre 2002, la Cour suprême a clairement établi le principe selon lequel l’aveu obtenu avant le procès n’est pas, en tant que tel, un moyen de preuve mais un simple élément susceptible d’emporter la conviction du juge s’il est étayé par d’autres éléments.

14.Sur un plan plus général, Mme Ngendahayo signale aux membres du Comité que le nouveau code pénal, dont l’entrée en vigueur est prévue pour bientôt, érigera la torture en infraction. Elle fait observer que le Burundi s’est engagé à ratifier dans les meilleurs délais le Protocole facultatif à la Convention contre la torture. En outre, un département chargé de l’assistance aux victimes de violations des droits de l’homme, y compris les victimes d’actes de torture, a été créé au sein du Ministère de la solidarité nationale, des droits de la personne humaine et du genre. Le Gouvernement burundais compte également mettre prochainement en place un fonds d’indemnisation des victimes d’actes de torture, grâce à l’aide de la communauté internationale. En plus de la réforme en cours du Code pénal et du Code de procédure pénale, il faudra aussi revoir la loi sur le régime pénitentiaire, le statut de la police judiciaire des parquets et le dispositif de protection des plaignants et des témoins. Des programmes de réadaptation devront également être mis en place pour les victimes d’actes de torture.

15.Sur le plan de la formation, le Burundi a organisé ces trois dernières années, avec ses partenaires internationaux, une série d’activités à l’intention du personnel de l’administration pénitentiaire axées notamment sur le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois et l’interdiction de la torture. Il y a lieu de signaler enfin que le Burundi vient d’obtenir de l’Union européenne un montant important qui servira à améliorer les conditions dans les lieux de détention.

16.M. MARIÑO MENÉNDEZ (Rapporteur pour le Burundi) remercie la délégation pour ses mises à jour sur l’évolution récente de la situation au Burundi et l’assure que le Comité comprend tout à fait les raisons pour lesquelles l’État partie n’a pas été en mesure de présenter plus tôt son rapport initial. Il salue l’honnêteté avec laquelle l’État partie a décrit dans ce document les difficultés et lacunes ayant jusqu’ici entravé la mise en œuvre de la Convention. Il note qu’une réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale est en cours et forme le vœu que le cessez‑le‑feu intervenu récemment avec le dernier mouvement armé au Burundi permettra de créer les conditions nécessaires au renforcement de l’état de droit et à la promotion et protection des droits de l’homme.

17.Une lacune préoccupante sur le plan législatif est l’absence de définition de la torture dans le Code pénal, qui fait obstacle à la pleine intégration des dispositions de la Convention dans la législation interne. La qualification de «lésions corporelles volontaires» ne suffit pas pour des actes qui sont constitutifs de tortures. Elle exclut notamment toutes les formes de torture morale ou psychologique et écarte certaines considérations fondamentales, comme celles ayant trait à l’imprescriptibilité ou encore à l’invocation de l’ordre d’un supérieur. Le fait que la torture ne soit pas érigée en infraction pénale rend en outre difficile la mise en mouvement de l’action publique.

18.La nécessité d’une réforme de la législation apparaît d’autant plus urgente que de nombreux cas de tortures continuent d’être signalés. D’après un rapport soumis au Comité par plusieurs ONG, 601 cas auraient été recensés entre le début 2005 et juillet 2006.

19.Bien que l’article 19 de la Constitution de 2005 dispose que les instruments internationaux ratifiés par le Burundi ont rang constitutionnel, les tribunaux burundais n’ont apparemment jamais appliqué directement les dispositions de la Convention. La question se pose donc de savoir si le système juridique du Burundi est moniste, comme indiqué dans les renseignements fournis au Comité, ou bien dualiste, comme tendrait à le montrer la pratique des tribunaux.

20.Les services de renseignements de l’État seraient responsables de nombreux cas d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions et de tortures. Leur double mandat (sûreté de l’État et police judiciaire) se prête particulièrement à une utilisation à des fins de répression politique, en particulier dans un contexte d’instabilité et de crise. Il serait donc intéressant de savoir si des mesures vont être prises dans le cadre des réformes envisagées sur le plan législatif, d’une part, pour clarifier le mandat de ces services et sur le plan institutionnel, d’autre part, pour mieux encadrer et contrôler leurs activités.

21.La délégation pourrait par ailleurs apporter des précisions en ce qui concerne la visite des lieux de détention, en indiquant notamment s’il existe des juges inspecteurs. Les inspections réalisées par des membres de l’Opération des Nations Unies au Burundi (ONUB) ont été suspendues au début 2006. Cette opération devant être remplacée au 1er janvier 2007 par un Bureau intégré des Nations Unies, le Gouvernement envisage‑t‑il de rétablir sa collaboration avec l’ONU aux fins de la surveillance des lieux de détention?

22.Une pratique inquiétante est la détention des patients qui ne peuvent pas régler les dettes qu’ils ont contractées au titre de leurs frais médicaux et hospitaliers, alors que l’interdiction de l’emprisonnement pour dettes est un des principes consacrés par les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Par ailleurs, le surpeuplement des prisons constitue un problème extrêmement préoccupant. Dans la plupart des établissements, les conditions de détention sont devenues quasiment inhumaines. La seule solution face à une telle situation serait la construction de nouveaux établissements. Le Gouvernement envisage‑t‑il de prendre des mesures à cet effet dans le cadre de la réforme de la législation pénitentiaire?

23.M. Mariño Menéndez souhaiterait par ailleurs savoir si le Gouvernement a l’intention de prendre des mesures législatives en matière d’asile et de refuge. Citant l’exemple des 800 réfugiés rwandais renvoyés dans leur pays en juin 2005 sans avoir pu exercer le moindre recours, il fait observer que ce type de pratique constitue une atteinte au principe du non‑refoulement et demande à la délégation des commentaires sur ce point. Il demande également si le Gouvernement envisage d’adopter des dispositions législatives visant à garantir la protection des apatrides.

24.Soulignant que la discrimination et la violence à l’égard des femmes doivent faire l’objet d’une action ciblée, M. Mariño Menéndez demande si le Gouvernement prévoit de modifier la législation de façon à éliminer les principales formes de discrimination, dont certaines (comme la condamnation pénale de l’adultère de la femme) vont jusqu’à se traduire par des traitements inhumains. Il serait possible par exemple d’inclure dans le Code pénal une définition large de toutes les formes de violence fondées sur le sexe, y compris au sein de la famille.

25.M. Mariño Menéndez s’étonne de la définition du génocide donnée au paragraphe 56 du rapport, qui ne mentionne pas l’intention de détruire totalement ou partiellement un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Il se demande si cette définition incomplète correspond au texte même de la loi de 2003 dont il est question ou s’il s’agit simplement d’une citation tronquée. Il s’inquiète par ailleurs de la possible adoption d’une loi d’amnistie dans le contexte de la justice de transition, qui pourrait bénéficier aux auteurs de certains crimes normalement imprescriptibles.

26.Abordant la question de la lutte contre l’impunité des responsables d’actes de torture, M. Mariño Menéndez rappelle que la Convention contre la torture peut constituer la base juridique de l’extradition entre deux États qui ne sont pas liés par un traité et se demande s’il existe un obstacle à l’application de cette disposition de la Convention par les autorités burundaises. Pour ce qui est de la protection des défenseurs des droits de l’homme, il prend note avec préoccupation des renseignements faisant état d’actes de harcèlement et d’agressions contre les membres de certaines ONG ou certains militants dans le nord du pays.

27.M. Mariño Menéndez souhaiterait savoir si les militaires sont habilités à procéder à l’arrestation de personnes en flagrant délit ou si cette fonction incombe uniquement à la police. Il voudrait également savoir si la garde à vue fait l’objet d’une surveillance immédiate par le procureur ou un autre membre du pouvoir judiciaire. Il se demande, d’autre part, si la mise au secret est une pratique courante. La délégation pourrait en outre indiquer si les personnes placées en garde à vue peuvent se faire examiner à tout moment par un médecin et quelles sont les dispositions prises sur le plan médical et en matière d’enquête si une personne placée en garde à vue dénonce des actes de torture. De même, elle pourrait indiquer si les personnes placées en garde à vue ou en détention préventive ont accès à un avocat à tout moment et s’il existe un système public d’assistance juridique, permettant de bénéficier des services d’un avocat commis d’office. Il serait en outre intéressant de savoir s’il est possible de procéder à des interrogatoires sans la présence d’un magistrat. Faisant observer que l’action publique est mise en mouvement par le procureur, qui est considéré comme un magistrat, il met en avant la nécessité de séparer plus clairement les fonctions judiciaires afin que l’enquête préliminaire et l’action publique ne relèvent pas de la compétence du même organe.

28.La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale devrait répondre à certaines des préoccupations exprimées. Il est cependant à craindre que celle‑ci ne soit freinée voire paralysée par la mise en place des mécanismes prévus dans la résolution 16/06 du Conseil de sécurité. Le Gouvernement a‑t‑il établi un calendrier concernant la création de la Commission de vérité et du tribunal spécial, ou a‑t‑il l’intention de le faire? Quelles sont, selon la délégation, les incidences du projet de justice de transition sur la mise en œuvre du programme législatif du Gouvernement?

29.M. CAMARA (Corapporteur pour le Burundi) dit que la question fondamentale à ses yeux est celle de la place des instruments internationaux auxquels le Burundi est partie dans le système juridique interne. N’ayant pas trouvé de réponse claire à cette question dans les documents soumis au Comité, il se demande, comme M. Mariño Menéndez, si le système juridique du Burundi doit être considéré comme moniste ou dualiste. Cette question, qui pourrait paraître purement théorique, est en réalité déterminante. Si la Convention contre la torture a effectivement un rang constitutionnel, l’absence de définition de la torture dans le Code pénal ne devrait pas nécessairement empêcher que les auteurs d’actes de torture soient poursuivis et sanctionnés. En effet, les tribunaux pourraient recourir à la définition de la Convention, si celle‑ci a été intégrée dans le système juridique interne. Il apparaît en outre contradictoire que la torture puisse être invoquée comme circonstance aggravante si elle n’est pas définie en temps qu’infraction. Le problème pourrait donc bien être un problème de politique pénale, voire de volonté politique. Pour aider le Comité à mieux comprendre les difficultés rencontrées, la délégation devrait préciser si les instruments internationaux auxquels le Burundi est partie font automatiquement partie du système juridique national dès leur ratification ou s’il est nécessaire d’adopter une loi spécifique pour les intégrer dans la législation et permettre leur application.

30.L’absence de répression pénale des actes de torture conduit à s’interroger sur le statut de la magistrature dans l’État partie, en particulier sur l’indépendance des magistrats du parquet. Des précisions concernant les règles régissant leur recrutement, leur avancement et les sanctions qui leur sont applicables seraient par conséquent utiles. M. Camara craint notamment que la possibilité, prévue par la loi, de prendre des sanctions pénales à l’encontre des magistrats ne soit un sérieux obstacle au libre exercice de leurs fonctions.

31.En ce qui concerne l’article 10 de la Convention, relatif à l’enseignement et à l’information concernant l’interdiction de la torture destinés au personnel chargé de l’application des lois, au personnel médical et aux agents de la fonction publique, M. Camara note que l’État partie a créé plusieurs organismes chargés des questions relatives aux droits de l’homme, dont la seule initiative connue à ce jour est un séminaire sur la justice internationale et la justice nationale qui a été organisé en 2002. Il souhaiterait savoir quelles autres activités de formation ont été entreprises par ces organismes en vue de développer une culture du respect des droits de l’homme dans le pays.

32.En vertu du Code de procédure pénale de l’État partie, la garde à vue peut durer de sept à quatorze jours. Bien qu’il n’existe pas de norme internationale en la matière, la durée maximale recommandée est de quarante‑huit heures. Pour limiter les risques de torture pendant la garde à vue, il ne faut pas seulement en réduire la durée mais aussi exercer un contrôle extérieur minimum en garantissant au suspect, dès le début de la garde à vue, l’accès à un avocat, à un médecin ou à toute autre personne de son choix. En outre, les noms des personnes arrêtées ainsi que la date et les motifs de leur arrestation devraient être consignés dans des registres accessibles aussi bien au personnel judiciaire qu’à la société civile. De tels registres existent‑ils? En vertu du Code de procédure pénale, la surveillance du traitement des personnes placées en garde à vue est exercée par les services du ministère public. Dans la mesure où les officiers de police judiciaire relèvent de cet organe, on peut craindre que les abus constatés ne soient passés sous silence. La mise en place d’un mécanisme de surveillance indépendant serait par conséquent souhaitable. Il ressort du paragraphe 145 du rapport que le fait d’infliger des «tortures corporelles» à des personnes arrêtées ou détenues est passible d’une peine d’emprisonnement de dix à vingt ans. Faut‑il comprendre que les tortures psychologiques, qui font également partie de la définition de la torture, telle qu’elle est énoncée dans la Convention, ne sont pas prises en considération?

33.Le paragraphe 146 du rapport donne à entendre que le ministère public peut décider de l’opportunité d’engager des poursuites lorsque des faits laissant supposer que des actes de torture qui ont été commis sont portés à sa connaissance. Cela constitue une violation de l’article 12 de la Convention. En outre, en vertu de ce même article, c’est à l’État, non à la victime, qu’incombe la responsabilité de veiller à ce qu’une enquête soit ouverte et, le cas échéant, que des poursuites soient engagées; or, il ne ressort pas clairement du rapport que tel est bien le cas.

34.L’article 15 de la Convention fait obligation aux États parties de veiller à ce qu’une déclaration obtenue par la torture ne puisse pas être invoquée comme élément de preuve. La délégation a mentionné l’arrêt de principe rendu par la Cour suprême selon lequel l’aveu ne peut à lui seul emporter la conviction. Or, cela laisse supposer qu’une déclaration obtenue par la torture peut être valable à condition d’être étayée par d’autres éléments de preuve, et vide par conséquent l’article 15 de son sens.

35.M. GROSSMAN, relevant que la définition de la torture telle qu’elle est énoncée à l’article premier de la Convention n’est pas reflétée dans le droit interne, demande quel est le délai moyen nécessaire à l’incorporation des dispositions des instruments internationaux ratifiés par l’État partie dans la législation nationale. Il signale à la délégation qu’il existe un code type pour la justice pénale après un conflit, élaboré sous l’égide du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, sur lequel l’État partie pourrait s’appuyer dans le cadre de la réforme en cours de sa législation pénale. Il serait utile au Comité de disposer d’une copie du projet de loi sur la répression pénale de la torture au sens de la Convention.

36.En référence à l’article 2 de la Convention relatif aux mesures devant être prises par l’État partie pour empêcher les actes de torture, M. Grossman cite plusieurs cas de meurtres, dont celui d’un étudiant, tué dans la commune de Butere par un groupe d’hommes en armes parmi lesquels un témoin a reconnu des membres du Service national de renseignements (SNR); il demande si des enquêtes ont été ouvertes et si des membres du SNR ont été condamnés et, le cas échéant, à quel type de peines. Il souhaiterait également savoir si, dans ce contexte, la mise en place d’un mécanisme de protection des témoins a été envisagée.

37.La résolution 1606 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 20 juin 2005 prévoyait la création d’une commission mixte de la vérité et d’une chambre spéciale au sein de l’appareil judiciaire burundais. Des renseignements concernant les mesures qui ont été prises pour la mettre en œuvre seraient les bienvenus. Par ailleurs, M. Grossman souhaiterait savoir si la Commission des droits de la personne humaine a été saisie de plaintes relatives à des actes de torture et si elle y a donné suite. Il demande en outre si des personnes ont été mises en examen et poursuivies en rapport avec les événements survenus en 2004 au camp de réfugiés de Gatumba. Le Gouvernement a nommé une commission chargée d’enquêter sur le massacre de plusieurs personnes commis en juillet 2006 par des membres des forces armées et des agents du Service national de renseignement dans la province de Muyinga. Quel est le statut de cette commission d’enquête? Où en sont ses travaux? D’après des organisations non gouvernementales, la personne responsable de l’enquête aurait été démise de ses fonctions. Est‑ce exact?

38.M. Grossman demande quelles sont les prescriptions applicables en matière de preuve dans les cas de viol. Il souhaiterait également savoir si des mesures sont prises pour protéger les victimes qui portent plainte contre d’éventuelles représailles et si des services de conseil post‑traumatique ont été mis en place à l’intention des femmes ayant subi des violences sexuelles, notamment dans les zones rurales. Par ailleurs, de nombreux cas d’enfants victimes de violences sexuelles dans les prisons sont signalés. Des enquêtes sont‑elles en cours? Un procureur spécial a‑t‑il été nommé? Plusieurs cas de viols d’enfants dans lesquels les auteurs présumés sont des agents des forces de l’ordre qui n’ont pas encore été appréhendés sont également rapportés par les organisations non gouvernementales. Il serait utile d’entendre la délégation sur ces affaires.

39.Mme BELMIR souhaiterait savoir si l’État partie envisage de ratifier les Conventions de Genève de 1949 qui fondent le droit humanitaire international ainsi que le deuxième Protocole additionnel y relatif. Elle demande où en sont les travaux préparatoires à la création d’une commission vérité et réconciliation et si le Gouvernement envisage de mettre en place une juridiction spécialisée pour examiner les crimes commis dans le cadre de la guerre civile. Elle invite instamment l’État partie à incorporer dans sa législation pénale une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention afin que les actes de torture puissent être sanctionnés comme tels et non plus seulement à titre de circonstance aggravante. En ce qui concerne la justice des mineurs, il est manifeste que l’État partie ne respecte ni les règles de Beijing ni les principes de Riyad.

40.Mme GAER, notant avec satisfaction la franchise avec laquelle sont décrites dans le rapport les méthodes de torture utilisées par les agents de l’État (par. 12) et relevant l’information selon laquelle ces pratiques sont répandues surtout dans des lieux secrets ou d’accès difficile (par. 13), rappelle que, s’il veut éradiquer ce fléau, l’État partie doit faire en sorte que les personnes détenues dans ces lieux puissent recevoir la visite de leurs proches, d’un médecin, d’un avocat et d’organisations de défense des droits de l’homme. À cet égard, elle souhaiterait savoir si le Comité international de la Croix‑Rouge a librement accès aux lieux de détention dans le pays et, dans la négative, si des mesures sont envisagées pour améliorer la situation.

41.Se référant aux statistiques relatives à la population carcérale fournies au paragraphe 16 du rapport, Mme Gaer prie la délégation burundaise de préciser si, dans les établissements mentionnés, les hommes sont séparés des femmes, les adultes des mineurs et les suspects des condamnés. Elle demande en outre si des mesures sont prises pour prévenir les violences sexuelles dans ces lieux de détention et, le cas échéant, combien de plaintes pour sévices sexuels ont été enregistrées.

42.La délégation burundaise est priée de commenter des informations émanant d’Amnesty International selon lesquelles les fonctionnaires de l’administration minimiseraient, nieraient, voire cautionneraient les viols lorsqu’ils sont saisis de plaintes. De plus, les auteurs d’infractions qui appartiennent aux forces armées jouiraient d’une impunité quasi totale quelle que soit la gravité de l’infraction. Selon le rapport du Département d’État des États‑Unis d’Amérique publié en mars 2006, le viol serait utilisé comme une arme de guerre au Burundi. Dans ce cas, cette infraction constituerait non seulement une violation de la Convention, mais aussi un crime contre l’humanité. L’État partie pourrait efficacement lutter contre de telles pratiques s’il prenait des mesures pour sensibiliser les recrues lors de leur instruction militaire au caractère inadmissible du viol, sanctionner les membres des forces armées qui commettent des viols, protéger les victimes potentielles et poursuivre en justice les responsables, y compris les supérieurs hiérarchiques qui cautionnent de tels actes. Mme Gaer, d’autre part, voudrait savoir si l’État partie a adopté un plan d’action pour prévenir la torture en général et les violences sexuelles en particulier et s’il a mis en place des structures d’assistance et de soutien psychologique en faveur des victimes de viol. Sachant que les membres de la police et les magistrats non seulement ne font rien pour retrouver les auteurs dans les affaires de viol, mais tournent en ridicule et humilient les femmes qui s’adressent à eux, Mme Gaer demande si l’État partie envisage de mener des activités de sensibilisation à l’intention des fonctionnaires du système de justice pénale afin de faire évoluer les mentalités et les attitudes vis‑à‑vis des victimes de viols.

43.Par ailleurs, Mme Gaer voudrait savoir, dans le contexte de l’article 14 de la Convention, si l’État partie exerce sa compétence universelle. Par exemple, un tortionnaire réfugié au Burundi pourrait‑il être jugé par les tribunaux nationaux et la victime pourrait‑elle saisir les juridictions civiles pour obtenir réparation, même dans le cas où les faits se seraient produits à l’étranger? Enfin, Mme Gaer demande si le Gouvernement burundais a réagi à l’appel conjoint lancé en août 2006 par huit organisations non gouvernementales, l’exhortant à condamner fermement la torture, à prendre des mesures pour que des enquêtes crédibles soient ouvertes et à autoriser les détenus à recevoir la visite de leurs proches, d’un avocat et d’organisations de défense des droits de l’homme.

44.Le PRÉSIDENT, notant que plusieurs membres du Comité ont souligné la nécessité d’inclure une définition de la torture dans le droit interne burundais, suggère à l’État partie d’incorporer celle qui figure à l’article premier de la Convention. Il estime par ailleurs que le Burundi devrait adopter des règles de droit positif et des lois d’application afin de consacrer, entre autres, l’interdiction absolue de la torture, l’impossibilité d’invoquer les ordres d’un supérieur pour la justifier, l’inadmissibilité du renvoi d’une personne vers un pays où elle risque d’être torturée et l’irrecevabilité des moyens de preuve obtenus sous la contrainte.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 40.

-----