Nations Unies

CAT/C/SR.1230

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

15 mai 2014

Original: français

Comité contre la torture

Cinquante-deuxième session

Co mpte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 1230 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 12 mai 2014, à 10 heures

Président (e): M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Troisième rapport périodique de la Lituanie

La séance est ouverte à 10 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Troisième rapport périodique de la Lituanie (CAT/C/LTU/3, CAT/C/LTU/Q/3, HRI/CORE/1/Add.97)

Sur l ’ invitation du Président, la délégation lituanienne prend place à la table du Comité.

M. Stripeika (Lituanie) dit que, depuis la soumission de son rapport en octobre 2012, la Lituanie a ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et a désigné le Médiateur pour exercer les fonctions de mécanisme national de prévention. À ce titre, le Médiateur est désormais habilité à se rendre régulièrement dans tous les lieux de détention et à s’entretenir en privé avec les détenus. Depuis le début de l’année, il a déjà effectué 11 visites dans ce cadre, et plusieurs autres visites sont déjà prévues pour les mois à venir. Une délégation du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) s’est rendue en Lituanie du 27 novembre au 4 décembre 2012; le rapport de la visite ainsi que le rapport du Gouvernement sur la suite donnée aux recommandations du CPT devraient être rendus publics prochainement.

De nouvelles instructions relatives à la sécurité et à la surveillance des lieux de détention de la police ont été adoptées. L’un des progrès notables qui en résultent est que la détention de mineurs avec des adultes, qui pouvait auparavant être autorisée par le procureur dans des cas exceptionnels, est désormais interdite. Les conditions dans les centres de détention de la police se sont beaucoup améliorées depuis l’examen du précédent rapport. Ceux de ces établissements où les conditions étaient les plus mauvaises ont été fermés; d’importants travaux de rénovation ont été entrepris dans plusieurs autres et la construction de nouveaux centres a été entamée. Depuis 2012, le programme d’enseignement de l’École de police comprend une formation dans le domaine des droits de l’homme qui comporte un volet consacré aux dispositions de la Convention contre la torture. L’adoption en juillet 2012 de la loi sur la probation visant à promouvoir les mesures non privatives de liberté et les modifications qui ont été apportées au Code de l’application des peines, au Code pénal et au Code de procédure pénale en vue d’assouplir le régime d’aménagement des peines devraient permettre de réduire le surpeuplement carcéral et de garantir plus efficacement le droit des détenus de ne pas être soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Seulement quatre des 11 établissements pénitentiaires du pays sont actuellement surpeuplés; la situation n’est toutefois pas dramatique puisque le taux de surpeuplement n’est que de 2 %.

En septembre 2013, l’Institut lituanien de surveillance des droits de l’homme et l’ONG REDRESS ont prié le Bureau du Procureur général d’ouvrir une enquête sur les allégations relatives à l’implication des autorités lituaniennes dans le transfert illégal de Mustafa al-Hawsawi, actuellement détenu par les autorités américaines. Déboutées par le Procureur général en date du 27 septembre 2013, les deux ONG ont fait appel auprès du tribunal régional de Vilnius, qui a annulé la décision du Procureur général. Une enquête a finalement été ouverte le 13 février 2014; elle est toujours en cours.

Le 21 juin 2012, le Parlement a ratifié la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. Des mesures ont également été prises pour mettre en œuvre la Directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes, et une vaste campagne de sensibilisation au problème de la traite à des fins de travail forcé a été lancée par le Ministère de l’intérieur. Des modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale visant à renforcer la protection et l’accompagnement des victimes pendant les procédures judiciaires sont examinées par le Parlement. La Lituanie participe également à un programme international de prévention de la traite auquel collaborent notamment l’Institut européen pour la prévention des crimes et la lutte contre la délinquance auprès des Nations et l’Équipe spéciale de lutte contre la traite du Conseil des États de la mer Baltique.

Depuis l’entrée en vigueur en décembre 2011 de la loi sur la protection contre la violence dans la famille, diverses mesures ont été prises pour renforcer la lutte contre cette forme de violence. Un groupe de travail, composé de représentants du Gouvernement et de la société civile, a été créé et a élaboré un plan national d’action contre la violence dans la famille pour la période 2014-2020 qui devrait entrer en vigueur prochainement. Des modifications ont été apportées au Code pénal et au Code de procédure pénale afin d’améliorer l’application de la loi de 2011; elles prévoient notamment l’ouverture d’office d’une enquête sur tout fait de violence intrafamiliale signalé à la police et la mise en relation immédiate des victimes avec les services d’assistance compétents. Plusieurs centres d’accueil spécialisés devraient en outre ouvrir leurs portes d’ici à 2016. Une hausse du nombre de plaintes pour violence dans la famille a été enregistrée en 2013 par rapport à 2012, signe que les campagnes intensives de sensibilisation qui ont été menées en 2013 portent leurs fruits et que les victimes hésitent moins à porter plainte qu’auparavant.

M. Tugushi (Rapporteur pour la Lituanie) note que bien que la torture soit punissable en vertu de plusieurs dispositions du Code pénal, celui-ci ne contient toujours pas de définition de la torture incorporant tous les éléments énoncés à l’article premier de la Convention. Il voudrait savoir s’il est prévu d’incorporer une telle définition dans le Code pénal, comme l’avait déjà recommandé le Comité dans ses précédentes observations finales (CAT/C/LTU/CO/2). Bien que légale, la pratique consistant à maintenir des personnes en détention dans les locaux de la police jusqu’à quinze jours après expiration du délai de quarante-huit heures fixé pour la garde à vue est incompatible avec l’objectif de prévention de la torture. L’État partie a-t-il pris des mesures pour y mettre fin, comme le lui a recommandé le CPT à plusieurs reprises? Il semble que l’assistance d’un avocat ne soit pas systématiquement garantie dès le début de la privation de liberté et qu’il soit fréquent que les détenus rencontrent leur avocat pour la première fois au moment de l’audience préliminaire. La délégation voudra bien commenter ces informations et indiquer si des mesures sont prises pour garantir l’accès à un avocat dès le début de la privation de liberté. Elle pourra peut-être également indiquer si l’État partie prévoit de modifier sa législation afin de garantir expressément le droit des personnes détenues par la police d’être examinées par un médecin de leur choix dès le début de la détention. L’obligation d’informer les détenus de leurs droits dans une langue qu’ils comprennent dès leur arrestation ne semble pas toujours être respectée. Des informations sur les mesures prises ou envisagées pour garantir ce droit fondamental seraient appréciées.

Étant donné qu’avant d’être désigné comme mécanisme national de prévention, le Médiateur avait tout juste assez de ressources pour examiner les plaintes dont il était saisi et y donner suite, la question se pose de savoir si le Gouvernement a prévu de lui allouer davantage de moyens pour lui permettre d’effectuer régulièrement des visites dans tous les lieux de privation de liberté. Il serait également intéressant de savoir quelles mesures vont être prises pour rendre l’institution du Médiateur pleinement conforme aux Principes de Paris. En dépit du renforcement de la législation relative à la violence dans la famille, l’incidence de cette forme de violence ne semble pas diminuer et la protection et la prise en charge des victimes demeurent insuffisantes. Une révision plus approfondie de la législation et l’élaboration de recommandations et de directives à l’intention des autorités chargées de faire appliquer la loi devraient être envisagées.

Le Rapporteur souhaiterait savoir quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour renforcer les enquêtes et les poursuites dans des affaires de traite pour améliorer la prise en charge des victimes. Il voudrait également savoir s’il est prévu de modifier la législation de manière à interdire expressément toutes les formes de violence à l’égard des enfants, y compris les châtiments corporels, en toutes circonstances. Certaines pratiques en vigueur dans les centres de détention administrative qui accueillent des mineurs en conflit avec la loi − comme le placement des mineurs dissipés dans des chambres dites de relaxation, qui s’apparente en fait à une mise à l’isolement − constitueraient des violations des droits de l’homme. La délégation pourra peut-être indiquer si l’État partie entend enquêter sur ces pratiques en vue d’y mettre un terme, et s’il prévoit de développer des mesures de substitution à la détention administrative pour les mineurs. En ce qui concerne les allégations relatives à la participation de l’État partie à la détention secrète et au transfert illégal d’étrangers soupçonnés de terrorisme, il serait intéressant de savoir si le champ de l’enquête qui a été ouverte récemment dans l’affaire al-Haw s awi pourrait être étendu aux plaintes pour violations des droits de l’homme et torture déposées précédemment dans le cadre d’autres affaires du même type et qui n’ont à ce jour donné lieu à aucune poursuite. Enfin, le Rapporteur souhaiterait connaître l’état d’avancement du plan de mise en œuvre 2009-2017 relatif à la Stratégie de rénovation des établissements pénitentiaires et demande si des initiatives ont été prises afin de fermer les centres de détention provisoire les plus vétustes, dont ceux de Lukiškės et de Šiauliai et pour prévenir et combattre la violence entre détenus, en particulier dans le centre pénitentiaire d’Alytus.

M. Domah  (Corapporteur pour la Lituanie) demande si la Lituanie est un État moniste ou dualiste et si la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention est considérée comme faisant partie intégrante du droit positif. Il aimerait savoir si la législation interne a été revue à la lumière de l’article 11 de la Convention afin que le droit de tout suspect de contacter un avocat, d’être examiné par un médecin et d’informer ses proches de sa détention soit garanti par la loi. Il invite en outre la délégation à décrire des projets visant à désengorger les centres de détention provisoire de Lukiškės et de Pravieniškės en précisant s’il est envisagé de recourir dans ce cadre à la mise en liberté sous caution, et à indiquer quelles mesures ont été prises afin que le caractère absolu de l’interdiction de la torture soit mis en exergue dans tous les programmes de formation destinés aux agents de l’État, dans les campagnes de sensibilisation du public et dans les instructions et manuels relatifs à la conduite des interrogatoires.

En ce qui concerne l’enquête sur les violations qui auraient été commises dans les centres de détention clandestins mis en place en application d’accords secrets conclus entre les autorités lituaniennes et la CIA aux fins de la lutte contre le terrorisme, décrite aux paragraphes 57 à 61 du rapport, la question se pose de savoir si celle-ci a été menée de manière réellement approfondie ou si la préoccupation première a été de calmer les inquiétudes de l’opinion publique. Les commentaires de la délégation sur ce point seront les bienvenus. Il serait en outre intéressant de savoir quelles dispositions du droit interne peuvent être invoquées pour demander réparation en cas de torture et de mauvais traitements et quel type de dommages sont couverts par la loi relative à l’indemnisation des préjudices résultant d’infractions violentes. La délégation voudra bien également indiquer les mesures prises pour éradiquer la pratique du bizutage dans l’armée et donner des statistiques sur le nombre de plaintes pour bizutage déposées au cours des années précédentes, en précisant quelle suite leur a été donnée. Des renseignements sur la teneur des dispositions de la loi relative aux soins de santé mentale concernant le placement non volontaire en établissement psychiatrique et sur l’imposition de traitements contre la volonté des patients seraient bienvenus. Enfin, la délégation voudra bien expliquer pourquoi la loi relative aux minorités de 1999 n’est pas encore entrée en vigueur et décrire les mesures prises pour améliorer les conditions de détention de détenus condamnés à une peine de réclusion à perpétuité.

M. ZhangKening constate à la lecture des statistiques figurant au paragraphe 162 du rapport qu’une seule des 87 plaintes déposées de 2009 à 2011 contre le personnel pénitentiaire de 13 établissements a fait l’objet d’une enquête préliminaire, ce qui appelle un commentaire de la délégation. Se référant au paragraphe 165 du rapport, il prie la délégation d’expliquer comment la police procède pour prendre en considération le profil d’un délinquant avant de recourir à des mesures de contrainte susceptibles d’occasionner des blessures physiques ou de provoquer la mort.

M me  Belmir demande si l’État partie entend se doter d’un système de justice pour mineurs digne de ce nom et former des juges à cet effet.

M. Gaye demande si la définition de la torture que la Cour suprême a donnée en 2008 était fondée sur une disposition existante de la loi ou si elle a été établie ex nihilo pour pallier les lacunes de la législation interne dans ce domaine. Il aimerait en outre savoir si les autorités lituaniennes ont pris des mesures pour que le droit des suspects de s’entretenir avec un avocat dès leur arrestation soit garanti par la loi, comme le CPTle leur avait recommandé. La délégation voudra bien indiquer si le Protocole d’Istanbul fait partie intégrante de la formation des médecins et si l’État partie a évalué l’efficacité des programmes de formation et d’enseignement ainsi que leur incidence sur la réduction du nombre de cas de torture. Enfin, il serait intéressant de savoir si, dans une action en indemnisation pour des dommages subis du fait des agissements d’un fonctionnaire, l’État peut être mis en cause en tant qu’entité civilement responsable des faits imputés au fonctionnaire concerné.

M me  Gaer souhaiterait un complément d’information sur les modalités de nomination de l’Inspecteur général de la défense nationale et sur les mesures adoptées afin de garantir son indépendance. Elle s’enquiert en outre des mesures prises en application de l’arrêt rendu en 2013 par la Cour européenne des droits de l’homme dans une affaire de violence intrafamiliale, dans lequel la Cour avait estimé que les autorités lituanienne avaient manqué à leur obligation de protéger les personnes contre ce type d’acte. Elle aimerait savoir si l’augmentation du nombre de cas de violence dans la famille signalés est due à l’accroissement du nombre d’incidents de cette nature ou à une meilleure sensibilisation de la population à cette question. Enfin, la délégation voudra bien indiquer pourquoi les nouvelles mesures de lutte contre la violence intrafamiliale ne seront appliquées qu’en 2016 et préciser si les autorités surveillent la violence sexuelle dans les prisons, en particulier dans celles qui sont surpeuplées.

Le Président demande si la discrimination figure expressément au nombre des motivations possibles d’une infraction dans la législation pénale, si la Convention peut être directement invoquée par les tribunaux et si l’infraction de torture est imprescriptible en droit lithuanien. Concernant l’article3 de la Convention, la délégation voudra bien indiquer s’il y eu des cas dans lesquels l’État partie a procédé à une expulsion ou à une extradition sur la foi d’assurances diplomatiques. Enfin, il est indiqué au paragraphe241du rapport que le nombre de condamnations pour incitation à la haine est passé de 14 en 2010 à 91 en2011. Ils’agitlà d’une augmentation considérable, dont il serait intéressant de connaître les raisons.

M. Tugushi (Rapporteur pour la Lituanie) relève qu’en 2013, 11 femmes sont décédées des suites de violences intrafamiliales et que, d’après les informations dont dispose le Comité, les forces de police avaient été alertées dans un certain nombre de ces cas mais n’étaient pas intervenues avec la célérité voulue. La délégation est priée d’indiquer si des enquêtes ont été menées sur ces cas et si des sanctions ont été prises. Il serait par ailleurs fréquent que les personnes faisant l’objet d’une mesure d’internement psychiatrique ne soient pas entendues par le juge qui ordonne cette mesure et que celui-ci ne sollicite pas l’avis d’un psychiatre indépendant. La délégation est invitée à commenter ces informations et à indiquer s’il est envisagé de remédier à ce problème systémique. Elle voudra bien indiquer également si le mécanisme national de prévention sera doté de ressources suffisantes pour exercer une surveillance dans les établissements de soins de santé mentale.

Selon diverses sources, les enquêtes sur les allégations de violations commises par des agents pénitentiaires, qui sont dans un premier temps, confiées aux services de sécurité de l’établissement concerné, sont le plus souvent inefficaces. La délégation pourrait peut‑être indiquer s’il est prévu de modifier les dispositions législatives et réglementaires pertinentes pour que ces enquêtes soient menées dès le départ par un organe n’ayant pas de lien direct avec l’établissement concerné ou avec les services pénitentiaires. Par ailleurs, de nombreuses informations indiquent que les détenus condamnés à la réclusion à perpétuité doivent rester dans leur cellule vingt-trois heures sur vingt-quatre et ne peuvent pas communiquer avec d’autres détenus. Il serait utile de savoir s’il est prévu de modifier le règlement pénitentiaire pour remédier à cette situation. Au nombre des problèmes portés à l’attention du Comité figure également le fait que des personnes sont parfois placées dans des locaux de détention de la police pour y effectuer une peine dite administrative − par exemple pour non‑paiement d’une amende −, dont la durée peut parfois dépasser cent jours, alors que ces locaux ne sont pas adaptés pour une détention de plus de deux ou trois jours. La délégation est invitée à apporter des éclaircissements sur cette pratique et à préciser s’il est envisagé de prendre des mesures pour y mettre un terme. Enfin, la délégation voudra bien indiquer s’il est prévu d’améliorer les conditions au centre de détention de la police principal de Vilnius, qui est dans un état de grande vétusté, ou de fermer cet établissement.

M. Domah note avec étonnement que la législation de l’État partie comporte une disposition autorisant le recours à la contrainte et que certaines décisions de justice ont confirmé que les policiers pouvaient en faire usage pour autant qu’ils s’efforcent d’éviter qu’elle ait des conséquences graves. Il serait intéressant d’entendre les commentaires de la délégation à ce propos. Au nombre des mesures encourageantes prises par l’État partie figure la formation d’un certain nombre d’agents publics à la détection des signes de torture. On peut regretter, cependant, que cette formation n’ait pas été dispensée aux personnes susceptibles d’en tirer le meilleur parti, notamment les membres de l’appareil judiciaire. Des commentaires à ce sujet seraient les bienvenus.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 5.