NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/SR.422

25 mai 2000

Original : FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Vingt-quatrième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 422ème SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le mardi 9 mai 2000, à 10 heures

Président : M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Rapport initial d'El Salvador

QUESTIONS D'ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES

DÉCISIONS DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE À SA CINQUANTE‑QUATRIÈME SESSION

________________

*Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.422/Add.1.

________________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

GE.00-42067 (F)

La séance est ouverte à 10 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 7 de l'ordre du jour)

Rapport initial d'El Salvador (CAT/C/37/Add.4)

1.Sur l'invitation du Président, MM. Lagos Pizzati, Mejia Trabanino et Castro Grande (El Salvador) prennent place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT souhaite la bienvenue à la délégation salvadorienne et l'invite à présenter le rapport initial d'El Salvador (CAT/C/37/Add.4).

3.M. LAGOS PIZZATI (El Salvador) se réjouit d'engager le dialogue avec le Comité au sujet de l'application de la Convention dans son pays et indique que pour ce faire, il est notamment accompagné d'un spécialiste des droits de l'homme du Ministère des relations extérieures auquel il cèdera la parole. Le Gouvernement salvadorien fonde de grands espoirs sur la réflexion commune qui va s'engager et tiendra le plus grand compte des observations et recommandations du Comité.

4.M. MEJIA TRABANINO (El Salvador) rappelle que son pays a ratifié la Convention contre la torture en 1994, soit deux ans à peine après la signature des accords de paix qui ont mis fin à 12 années d'un conflit sanglant. Le rapport présenté (CAT/C/37/Add.4) s'inscrit dans le processus engagé lors de la signature de ces accords, qui ont été le point de départ d'un projet démocratique et de mise en œuvre des droits de l'homme en El Salvador.

5.Le respect et la protection des droits de l'homme ont pris un sens entièrement nouveau en El Salvador depuis la fin du conflit armé, au cours duquel il faut bien reconnaître que les droits fondamentaux ont été malmenés. Il s'est trouvé des détenus pour faits de guerre qui, après leur libération, ont affirmé avoir été torturés au cours de leur détention; mais il faut souligner qu'aux dires mêmes de M. Pastor Ridruejo, Représentant spécial de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, il n'y a pas eu en El Salvador de politique institutionnalisée et généralisée de torture et les cas signalés ne dénotaient pas de pratiques systématiques. Le Gouvernement et la guérilla avaient d'ailleurs signé à San José, dès juillet 1990, un accord sur les droits de l'homme qui comportait divers arrangements relatifs au respect et à la garantie de ces droits, et dont l'application était soumise à un contrôle international par les Nations Unies; cet accord prévoyait expressément que nul ne serait soumis à la torture ou à d'autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. En outre, depuis la signature des Accords de paix de 1992, de nouvelles institutions juridiques et politiques et une nouvelle législation sont venues renforcer la protection des droits de l'homme dans le pays.

6.Le rapport à l'examen a été établi par une équipe pluridisciplinaire du Ministère des relations extérieures qui a consulté pas moins d'une douzaine d'institutions nationales en vue de préciser les buts et objectifs du rapport, de réaliser un travail coordonné et de rattacher les dispositions de la Convention à la réalité nationale tout en signalant les problèmes ou difficultés que pourrait comporter son application. En outre, le Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a apporté son appui au titre d'un projet de coopération technique en cours depuis 1997. Dans le cadre de ce projet, un séminaire sur la préparation et la présentation des rapports à établir en vertu de la Convention contre la torture s'est tenu en août 1998; une douzaine d'institutions y ont participé, dont deux organisations non gouvernementales, et le principal intervenant a été un ancien membre du Comité, M. Gil Lavedra.

7.El Salvador est partie aux principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, tant dans le cadre des Nations Unies que dans celui de l'Organisation des États américains, et l'application de ces instruments est obligatoire sur son territoire. Au niveau régional, El Salvador est notamment partie à la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture et à la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence contre la femme. La torture est proscrite par la Constitution et, quoique ce terme n'y soit pas défini, les articles 2, 11, 12 et 27 de la Constitution consacrent le droit à la vie et à l'intégrité physique, psychique et morale de chacun. En outre, l'article 297 du Code pénal en vigueur depuis 1998 qualifie la torture d'infraction et punit tout particulièrement les agents de l'État qui se livrent à des actes de torture dans l'exercice de leurs fonctions. Quant aux articles 5 et 10 de la loi de 1998 relative aux établissements pénitentiaires, ils introduisent pour la première fois la notion de droits des accusés. Enfin, la loi organique de la Police nationale civile de 1992 établit qu'aucun membre de ce corps ne peut infliger, provoquer ou tolérer d'acte de torture.

8.Le rapport à l'examen présente les données recueillies par la Procurature déléguée à la défense des droits de l'homme en ce qui concerne les violations de l'intégrité des personnes, données qui font ressortir une incidence assez faible de tels actes. Les plaintes ont essentiellement trait à des mauvais traitements, suivis du recours excessif à la force. Les données reçues pour 1999 font état de 4 cas d'atteintes à l'intégrité de la personne, de 4 cas de torture, de 20 cas de traitements cruels, de 825 cas de mauvais traitements, de 52 cas de recours excessif à la force et de 29 cas de traitement inhumain infligé à des détenus. Entre le 1er janvier et le 31 mars 2000, il ressort des indications fournies par la Procurature qu'il y aurait eu 2 atteintes à l'intégrité de la personne, 2 cas de torture, 1 cas de traitements cruels, 175 cas de mauvais traitements, 12 cas de recours excessif à la force et 3 cas de traitement inhumain de détenus.

9.L'enseignement dans le domaine des droits de l'homme, qui englobe notamment les normes du droit international et d'autres principes fondamentaux de protection et de promotion de ces droits, fait désormais partie des programmes de formation des membres de la Police nationale civile, de l'Académie nationale de sûreté publique et des forces armées. Les cadres des établissements pénitentiaires et de l'Institut de protection des mineurs reçoivent aussi une formation aux droits de l'homme. À cet égard, El Salvador bénéficie de l'aide du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme au titre du projet de coopération technique susmentionné, grâce auquel 510 officiers de police, 34 membres de l'Académie nationale de sûreté publique, 142 officiers des forces armées et 1 166 membres du personnel des établissements pénitentiaires ont suivi des cours sur les droits de l'homme.

10.Pour conclure, M. Mejia Trabanino souligne que si la situation des droits de l'homme s'est incontestablement améliorée en El Salvador, il n'en subsiste pas moins divers problèmes auxquels les autorités s'emploieront à apporter des solutions.

11.M. GONZALEZ POBLETE (Rapporteur pour El Salvador) se réjouit de voir un nouvel État engager le dialogue avec le Comité, tout en constatant que le rapport initial a été présenté avec quelque retard. Dans l'ensemble, celui‑ci a d'ailleurs été établi conformément aux directives du Comité concernant la forme et le contenu des rapports initiaux. Ainsi que vient de le rappeler le Représentant d'El Salvador, l'État partie a ratifié les principaux instruments internationaux de protection des droits de l'homme, tant au plan international qu'au plan régional. On relèvera en particulier (par. 33 du rapport CAT/C/37/Add.4) qu'El Salvador a ratifié dès 1994 la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture, et qu'il a en outre ratifié le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et reconnu la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme pour examiner des plaintes émanant de particuliers. En revanche, El Salvador n'ayant pas fait la déclaration prévue à l'article 22 de la Convention contre la torture, le Comité se trouve privé de la compétence dont jouissent de leur côté le Comité des droits de l'homme et la Cour interaméricaine des droits de l'homme et M. Gonzalez Poblete s'explique d'autant moins cette lacune que le Pacte d'une part et la Convention américaine relative aux droits de l'homme d'autre part, interdisent la torture : ces instruments imposent aux États qui en sont parties des obligations très semblables à celles découlant de la Convention contre la torture et la Cour interaméricaine, de même que la Commission interaméricaine des droits de l'homme, ont compétence pour examiner les plaintes émanant de particuliers. Il serait donc logique que les autorités salvadoriennes envisagent de reconnaître la compétence du Comité au titre de l'article 22 de la Convention, afin de poursuivre le dialogue constructif qui vient de s'engager.

12.En vertu de l'article 144 de la Constitution salvadorienne, les traités conclus par El Salvador sont des lois de la République et priment sur le droit interne. En revanche, la Constitution ne comporte pas d'interdiction expresse de la torture, même si son article 2 garantit l'intégrité physique et morale des personnes et si son article 11 établit la primauté du recours en habeas corpus en cas d'atteinte à la dignité ou à l'intégrité des personnes détenues. La seule référence figurant dans la Constitution qui puisse se rapprocher du concept de torture est celle de sévices ("tormento"), à l'article 27, qui ne couvre pas tous les éléments contenus dans la définition de la torture énoncée à l'article premier de la Convention. L'article 297 du nouveau Code pénal qualifie certes la torture d'infraction, mais sans préciser en quoi elle consiste. Cet article dispose simplement que les fonctionnaires ou agents de l'autorité qui, dans l'exercice de leurs fonctions, infligent des tortures physiques ou psychologiques ou ne s'y opposent pas sont passibles de trois à six ans de prison. Or l'article premier du Code pénal exige que la loi pénale décrive de façon précise et sans équivoque l'action ou l'omission constitutive d'une infraction, et l'article 297 du Code pénal ne spécifie pas quels actes concrets constituent la torture. M. Gonzalez Poblete n'a rien trouvé, ailleurs dans le Code, qui lui permettrait d'interpréter de manière satisfaisante l'article 297 et de savoir exactement ce qu'il y est entendu par torture. Il est vrai que le nouveau Code pénal a été promulgué en 1998, après la ratification par El Salvador de la Convention contre la torture et de la Convention interaméricaine, de telle sorte que l'on peut supposer que le concept de torture visé à l'article 297 est celui qui est défini dans ces conventions. Toutefois, c'est aux juges qu'il appartient en définitive d'interpréter cet article et il semble que bien souvent, les condamnations sont prononcées en application d'autres dispositions du Code pénal relatives à des conduites considérées comme s'appliquant à la situation, mais qui ne prennent nullement en considération les fins pour lesquelles ces actes ont été commis, ce qui est un élément essentiel de la définition énoncée dans la Convention. Il s'agit le plus souvent d'actes tels que les coups et blessures (art. 142 et suivants du Code pénal), la coercition (art. 143), les menaces (art. 154) et le viol (art. 158). À l'exception des coups et blessures graves (art. 144 du Code pénal) et du viol, tous ces actes auxquels les juges se réfèrent dans la pratique sont passibles de peines inférieures aux trois à six ans de prison prévus pour les actes de torture. En outre, ces qualifications autres que la torture que les juges sont tentés d'appliquer ne sont pas assorties de l'imprescriptibilité de la peine et des poursuites, pourtant prévue à l'article 99 du Code pénal afin que les tortionnaires ne puissent pas bénéficier de l'impunité. Il est vrai que s'il y a conflit entre l'article 297 du Code et la Convention, les tribunaux devront trancher en faveur de cette dernière, mais qu'en est-t-il d'un conflit éventuel d'interprétation auquel pourraient se heurter des juges appelés à imposer une sanction pour des actes pouvant être qualifiés de torture au sens de l'article premier de la Convention mais non au sens de l'article 196 du Code pénal ? M. Gonzalez Poblete ne peut donc être d'accord avec l'affirmation contenue au paragraphe 66 du rapport, selon laquelle le Code pénal met en vigueur les dispositions de la Convention : au contraire, le Code omet l'élément qui caractérise le mieux la torture au sens de l'article premier, à savoir les motifs du tortionnaire.

13.S'agissant de l'application du paragraphe 1 de l'article 2 de la Convention, les réformes constitutionnelles issues des accords de paix renforcent considérablement les normes de protection des droits de l'homme appliquées en El Salvador. À cet égard, l'Accord de San José sur les droits de l'homme mentionné au paragraphe 62 du rapport et évoqué par la délégation revêt une importance particulière. Les nouveaux code pénal et code de procédure pénale et la loi relative aux établissements pénitentiaires, promulgués en 1998, ainsi que la loi organique de la police nationale civile de 1992, ont renforcé les garanties essentielles données aux individus. Un autre élément positif a été la création de la Procurature déléguée à la défense des droits de l'homme en vertu d'une loi promulguée dès 1992, et la rapidité avec laquelle cette institution est devenue opérationnelle.

14.L'article 29 de la Constitution relatif aux états d'exception autorise la suspension de certains droits ‑ liberté d'expression, d'association et de réunion, inviolabilité de la correspondance par exemple ‑, mais il ne permet pas de suspendre le droit à l'intégrité physique et morale, le droit de ne pas s'avouer coupable et le recours en habeas corpus. À cet égard, le système juridique salvadorien est tout à fait conforme aux exigences du paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention.

15.La situation est également satisfaisante en ce qui concerne l'application du paragraphe 3 du même article 2. La législation salvadorienne ne comporte apparemment aucune disposition dégageant un tortionnaire de sa responsabilité pénale parce qu'il aurait agi sur ordre d'un supérieur. Au contraire, les articles 32 et suivants du Code pénal semblent engager la responsabilité de celui qui a donné l'ordre aussi bien que de celui qui l'a exécuté. Quant à l'article 25 de la loi organique sur la Police nationale civile, il dispose expressément qu'aucun membre de ce corps ne saurait invoquer l'ordre d'un supérieur pour justifier le recours à la torture ou à d'autres traitements cruels.

16.Pour ce qui est de l'application de l'article 3 de la Convention, l'État partie cite aux paragraphes 111 à 135 de son rapport diverses dispositions de la Constitution et de la loi relative à l'immigration, mais aucune d'entre elles ne se réfère à l'interdiction d'expulser, de refouler ou d'extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture, telle qu'énoncée à l'article 3 de la Convention. En outre, il est dit au paragraphe 115 qu'il incombe au Ministère de l'intérieur de décider s'il y a lieu de procéder à l'extradition, à l'expulsion ou au refoulement de l'intéressé, dans le cas où celui-ci a participé directement ou indirectement à la politique intérieure du pays. Par contre, le rapport n'établit pas clairement la procédure d'expulsion et de refoulement en l'absence de participation de l'intéressé à la politique intérieure du pays. Par ailleurs, selon le paragraphe 122 du rapport, le Ministère de l'intérieur peut aussi autoriser l'expulsion de tout étranger en cas "d'entrée illicite" de ce dernier sur le territoire. Or, c'est justement la situation de la plupart des personnes qui risquent d'être renvoyées dans leur pays d'origine.

17.Il semble, selon le paragraphe 116 du rapport, que la décision d'expulsion ou de refoulement d'un étranger se prend au terme d'une "procédure administrative", garantissant aux intéressés l'impartialité, le droit d'être entendu et l'accès aux voies de recours prévues par la loi. Par ailleurs, des raisons fondées de croire que l'intéressé risque d'être soumis à la torture pourraient être suffisantes pour considérer que l'étranger court un "danger imminent", auquel cas, selon le paragraphe 123, il pourrait se voir accorder le droit de résidence permanente ou même la nationalité salvadorienne par naturalisation. En outre, il est dit au paragraphe 125 du rapport qu'il appartient à la Cour suprême de justice de rendre un avis sur la légalité de la demande d'extradition. Or, la Convention étant incorporée à la législation nationale, l'intéressé pourrait invoquer l'article 3 de la Convention devant la Cour suprême. Enfin, s'il se confirme que la Direction générale des migrations satisfait aux exigences des "instruments internationaux ratifiés par l'État salvadorien", comme il est dit au paragraphe 124 du rapport, elle devrait alors examiner les allégations de l'intéressé fondées sur l'article 3 de la Convention.

18.À propos de l'application de l'article 4 de la Convention, M. Gonzalez Poblete constate que la qualification du délit de torture énoncée à l'article 297 du Code pénal ne correspond pas à la définition figurant à l'article premier de la Convention. Selon cet article 297, l'auteur du délit est un fonctionnaire ou un agent public, un agent de l'autorité ou une autorité publique et le paragraphe 136 mentionne l'article 39 du Code pénal, qui définit toute la gamme des agents de l'État visés. Si l'auteur du délit commettait un acte de torture à l'instigation d'un agent de l'État, ou avec son consentement exprès ou tacite, cet agent de l'État deviendrait un "auteur indirect" et transmettrait à l'auteur direct sa qualité d'agent public, avec pour conséquence la même responsabilité pénale pour les deux intéressés.

19.Les articles 137 et 138 du rapport mentionnent respectivement les articles 320 et 153 du Code pénal, qui fait des actes arbitraires et de la contrainte des infractions. En raison de l'insuffisance de sa qualification, la torture pourrait alors être assimilée à des actes arbitraires et à la contrainte, avec pour corollaire des peines inférieures à celles qui sont prévues à l'article 297 du Code pénal et la non‑application du principe de l'imprescriptibilité. Il serait souhaitable que les réformes au Code pénal mentionnées au paragraphe 139 visent non seulement le délit de torture au cours d'un conflit armé, mais aussi la qualification du délit de torture, afin que sa définition corresponde à celle de l'article premier de la Convention.

20.Le paragraphe 143 du rapport signale que "les enquêtes les plus importantes sur les atteintes à l'intégrité de la personne commises par des membres des corps de sécurité ont concordé avec les recherches effectuées par la Procurature déléguée à la défense des droits de l'homme, et qu'elles ont été suivies de poursuites judiciaires contre les responsables, dans les limites des possibilités du système judiciaire". Or l'annexe 7 à laquelle fait référence le paragraphe 147 du rapport et les conclusions auxquelles est parvenue la Procurature, illustrent clairement les "limites" du système judiciaire. En outre, M. Gonzalez Poblete a examiné plus de 100 cas présentés par une ONG nationale, le Centre de défense légale de l'archevêché d'El Salvador, et dans plus de la moitié des cas, les délits qualifiés de violations du droit à l'intégrité de la personne correspondaient en fait au délit de torture selon l'article premier de la Convention. Par ailleurs, il se déclare surpris de recevoir du Ministère de la sécurité publique un rapport basé sur les informations de l'institution concernée, et non sur les informations dont disposait la Procurature déléguée à la défense des droits de l'homme, qui est la conscience morale de la nation en matière de protection des droits de l'homme. À son avis, toutes ces constatations font douter de l'exactitude des statistiques qui font état d'un nombre réduit de cas de torture.

21.Une autre sujet de préoccupation est la réapparition des escadrons de la mort. Les actions de ces derniers étaient fréquentes pendant les 12 années du conflit armé, mais elles étaient dirigées contre les dissidents politiques, alors qu'il s'agit désormais d'opérations de "nettoyage social" destinées à éliminer des délinquants présumés. Ainsi, pendant la période comprise entre 1996 et 1999, le Centre de protection légale de l'archevêché d'El Salvador a fait état de 41 victimes des escadrons de la mort, ce qui est très préoccupant. Enfin, suite aux accords de paix, El Salvador a dissout l'ancienne police nationale civile et créé une nouvelle police dont les nouveaux officiers sont formés dans une académie, nouvellement créée elle aussi. Or de nombreux rapports signalent l'existence de méthodes semblables à celles utilisées par l'ancienne police nationale civile pendant le conflit armé, ce qui est également préoccupant.

22.S'agissant de l'application de l'article 5 de la Convention, M. Gonzalez Poblete constate que l'article 10 du Code pénal, transcrit au paragraphe 152 du rapport, est pleinement satisfaisant, puisque ses dispositions établissent le principe d'universalité de manière particulièrement claire, prévoyant la poursuite des auteurs de crimes de torture au niveau international.

23.Il semble que la législation salvadorienne soit conforme aux dispositions de l'article 6 de la Convention. À cet égard, le rapport détaille les garanties qui accompagnent toute détention : mandat d'arrêt écrit obligatoire, durée maximum de 72 heures pour la détention administrative, mise à la disposition du juge compétent pendant cette période, détention aux fins d'enquête, avec une nouvelle période maximum de 72 heures, au terme de laquelle le tribunal compétent doit avoir ordonné la mise en liberté ou la mise en détention provisoire. Il n'est naturellement pas nécessaire de produire un mandat d'arrêt écrit dans les cas de flagrant délit, mais la personne arrêtée doit être remise immédiatement à l'autorité compétente. Il semblerait que la seule autorité compétente pour émettre un mandat d'arrêt écrit soit le ministère public. M. Gonzalez Poblete souhaite recevoir des éclaircissements à ce sujet.

24.Pour ce qui est de l'application de l'article 7 de la Convention, il semble que la Constitution salvadorienne ne prévoit pas l'extradition des nationaux, mais que ce point est traité au paragraphe 3 de l'article 9 du Code pénal, qui stipule que la loi pénale salvadorienne est applicable aux délits commis à l'étranger par des Salvadoriens. Lorsque l'extradition a été refusée du fait de la nationalité, ce qui paraît conforme aux dispositions de cet article.

25.En ce qui concerne l'application de l'article 8 de la Convention, le paragraphe 168 du rapport cite les divers accords d'extradition ratifiés par El Salvador. Tous les traités qui ont été ratifiés avant l'entrée en vigueur de la Convention ont été conclus avec des États qui sont actuellement parties à la Convention. Ainsi, même au cas où ces États ne disposeraient pas de lois concernant le délit de torture, El Salvador se verrait dans l'obligation de concéder l'extradition conformément à l'article 8.1 de la Convention. En outre, après l'entrée en vigueur de la Convention, deux traités d'extradition ont été signés, l'un avec le Royaume d'Espagne et l'autre avec les États-Unis du Mexique, et tous deux sont conformes aux dispositions de l'article 8 de la Convention. Le rapport cite aussi les dispositions générales donnant effet à ces engagements.

26.M. HENRIQUES GASPAR (Corapporteur pour EL Salvador) souhaite faire quelques remarques au sujet de l'application des articles 10 à 16 de la Convention. À propos de l'article 10, il note que l'État partie a consacré d'énormes efforts à la formation du personnel chargé de l'application des lois; ces efforts de formation étant très récents, il est encore trop tôt pour dresser un bilan complet. Toutefois il serait intéressant de savoir comment les autorités salvadoriennes envisagent d'évaluer les résultats obtenus dans ce domaine et quelles sont les mesures qu'elles comptent prendre pour assurer un suivi efficace de l'action menée auprès des forces de police et du personnel pénitentiaire. Aux paragraphes 213 à 215 du rapport, il est fait état de la création de tribunaux de surveillance pénitentiaire et d'application des peines. M. Henriques Gaspar souhaiterait obtenir de plus amples informations sur les compétences de ces tribunaux. Il voudrait savoir en particulier s'ils sont compétents pour examiner des plaintes déposées par des détenus. Sont‑ils habilités à proposer des mesures disciplinaires ou leur tâche consiste‑t‑elle uniquement à communiquer les résultats de leurs investigations au ministère public ? D'autre part, en vertu de l'article 8 de la loi organique de la Police nationale civile qui est cité au paragraphe 222 du rapport, l'Inspection générale de la police semble jouir d'une grande indépendance dans l'exercice de ses fonctions. Il serait intéressant de savoir depuis quand cet organe est en place et quelle est l'étendue des pouvoirs d'enquête des inspecteurs généraux. Y a‑t‑il des données statistiques sur leurs activités et sont‑ils habilités à effectuer des visites non annoncées dans les locaux de la police ? Le cas échéant, des visites de ce type ont‑elles déjà eu lieu ? Les mécanismes mis en place semblent théoriquement à même de répondre aux exigences des articles 12 et 13 de la Convention, puisqu'ils permettent de procéder à des enquêtes que ce soit ex officio ou sur plainte, chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a été victime de mauvais traitements. Toutefois l'efficacité de ces mécanismes ne peut être évaluée qu'en fonction des résultats concrets obtenus. M. Henriques Gaspar souhaiterait obtenir à ce propos des informations sur la suite donnée aux plaintes déposées et savoir si des sanctions d'ordre pénal ou disciplinaire ont déjà été infligées. Si la délégation n'est pas en mesure de fournir ces renseignements immédiatement elle pourrait les communiquer au Comité plus tard par écrit.

27.En ce qui concerne l'article 14 de la Convention, il y a lieu de se féliciter du fait que le ministère public peut demander qu'une indemnisation soit octroyée aux victimes de la torture. Toutefois, qu'en est‑il exactement dans la pratique ? D'autre part, la volonté d'assurer l'efficacité des enquêtes sur les cas de mauvais traitements, tels qu'ils sont définis à l'article 16 de la Convention, semble être appuyée par un dispositif institutionnel approprié. Cependant, les cas rapportés au paragraphe 287 du rapport sont insignifiants. Quels commentaires la délégation salvadorienne peut‑elle faire à ce propos ? Est‑ce que les personnes concernées sont suffisamment informées sur leurs droits de porter plainte et sur la compétence des organes concernés ?

28.M. RASMUSSEN dit que les examens médicaux jouent un rôle très important dans la prévention de la torture. Il voudrait savoir à cet égard si toute personne détenue dans un poste de police a le droit de se faire examiner par un médecin pendant sa détention et avant son transfert en prison. Comment, le cas échéant, le rapport établi par le médecin est‑il porté à l'attention des autorités compétentes ? D'autre part, chacun sait qu'il y a en El Salvador un problème de surpeuplement des prisons. À ce propos, il est question au paragraphe 163 e) du rapport de mesures de remplacement de la détention provisoire. M. Rasmussen voudrait savoir s'il existe des statistiques sur l'application de ces mesures. Dans cette même optique, le paragraphe 236 du rapport contient des informations sur l'évolution de la population carcérale de 1995 à 1997. Dans la plupart des cas, le nombre des détenus a baissé, sauf à Hobasco, où il est passé de 81 en 1995 à 244 en 1997. Il serait à cet égard intéressant de savoir quelle est la capacité des différents centres de détention.

29.Selon des informations reçues par le Comité et qui ont été communiquées à l'État partie, il y a une contradiction entre ce qu'affirme la Procurature déléguée à la défense des droits de l'homme et ce que disent les autorités salvadoriennes à propos de la violence dans les prisons. Les autorités pénitentiaires gardent‑elles un registre des différents incidents et des cas où il a fallu employer la force pour contrôler le comportement des prisonniers ?

30.Mme GAER note que les forces de police ont fait l'objet, depuis la conclusion des accords de paix, d'une vaste réorganisation. Des changements importants ont été apportés à leurs pouvoirs. Les informations fournies aux paragraphes 51, 85 et 86 du rapport indiquent que, selon la Procurature déléguée à la défense des droits de l'homme, la torture est généralement le fait des forces de police auxiliaires, c'est‑à‑dire des agents de police locaux et du personnel des centres de détention et de rééducation. Le rapport n'indique pas clairement quel est leur lien avec la Police nationale civile. Mme Gaer serait reconnaissante à la délégation salvadorienne de bien vouloir fournir des précisions à ce propos. Il est indiqué en outre au paragraphe 97 du rapport que la Police nationale civile dispose d'un service d'Inspection générale chargé de surveiller le comportement des policiers. Les paragraphes 100 et suivants du rapport contiennent des informations sur le rôle d'autres institutions, à savoir le Ministère de l'intérieur, le Ministère de la justice et le Ministère de la défense nationale dans la prévention de la torture. De plus amples informations sur les tâches incombant en la matière à ces institutions et une comparaison de ces tâches avec celles de la Police nationale civile seraient les bienvenues. Mme Gaer voudrait également savoir si la police militaire garde, elle aussi, certaines compétences dans ce domaine. Une autre question qui appelle quelques éclaircissements est celle de la restructuration des forces de police. Comment se fait actuellement le recrutement des membres de ces forces et qu'est‑il advenu des anciens agents de police qui ont été relevés de leurs fonctions ?

31.S'agissant de l'article 3 de la Convention, il est question au paragraphe 119 du rapport de nombreux cas de traite d'êtres humains. Parmi les victimes de cette pratique figurent des Chinois, des Égyptiens, des Sénégalais, des Équatoriens et des personnes originaires de l'Amérique centrale. Des précisions quant au sexe et à l'âge des personnes concernées seraient les bienvenues. Les autorités salvadoriennes ont‑elles prévu des mesures de réadaptation pour leur venir en aide ? Il est indiqué en outre dans le rapport que les personnes concernées sont immédiatement expulsées : il serait utile d'avoir à ce propos des précisions sur leur sort après leur expulsion.

32.Aux paragraphes 145 et 146 du rapport, il est indiqué avec une certaine candeur que les victimes de la torture hésitent à porter plainte officiellement auprès des institutions compétentes. Mme Gaer voudrait savoir à ce propos quelles sont les mesures qui sont prises pour faciliter la tâche des détenus qui veulent dénoncer de mauvais traitements. Sont‑ils pleinement informés de leurs droits et ont‑ils l'assurance qu'ils ne feront pas l'objet de représailles s'ils portent plainte ? Il serait également utile de savoir si la violence sexuelle dans les prisons fait l'objet d'une surveillance et si des personnes ont été déjà sanctionnées pour une telle pratique. Enfin, Mme Gaer souhaiterait savoir si, dans le cadre de l'information fournie aux agents de l'État et de la formation qui leur est dispensée, l'accent est mis sur la sensibilisation aux actes de torture sexospécifiques.

33.Le PRÉSIDENT remercie la délégation d'avoir apporté des réponses complètes aux questions écrites du Comité et l'invite à revenir à une prochaine séance pour répondre aux questions qui ont été posées oralement.

34.La délégation salvadorienne se retire.

La séance est suspendue à 11 h 30; elle est reprise à 11 h 45.

QUESTIONS D'ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (point 5 de l'ordre du jour) (suite)

Déclaration conjointe pour la Journée des Nations Unies pour le soutien aux victimes de la torture

35.Le PRÉSIDENT appelle l'attention sur la version révisée du projet de déclaration conjointe pour la Journée des Nations Unies pour le soutien aux victimes de la torture (CAT/C/XXIV/Misc.3) qui a été distribuée en anglais seulement et précise que les changements qui ont été apportés sont indiqués entre crochets.

36.M. EL MASRY propose de remplacer au paragraphe 8 le mot "proper" qui est entre crochets par le mot "adequate".

37.Il en est ainsi décidé.

38.M. RASMUSSEN note, à propos du même paragraphe, que dans le contexte de la célébration de la Journée de soutien aux victimes de la torture, un accent particulier est mis sur le principe de réparation. Il propose, par conséquent, de remplacer dans le texte le mot "compensation" par le mot "reparation". Cela permettrait au Comité d'harmoniser sa terminologie avec celle des autres organismes qui participent à la célébration de la Journée.

39.Le PRÉSIDENT, répondant à une demande de clarification de Mme Gaer, croit comprendre que M. Rasmussen souhaite uniquement assurer une certaine harmonie avec les termes utilisés par d'autres organismes concernés et qu'il ne s'agit pas d'établir une distinction entre le mot "compensation" et le mot "reparation". S'il n'y a pas d'objection, il considérera que le Comité souscrit à la proposition de M. Rasmussen.

40.Il en est ainsi décidé.

41.Le PRÉSIDENT dit que s'il n'y a pas d'autres observations, il considérera que les membres du Comité acceptent également les changements figurant aux paragraphes 6 et 12 du projet de déclaration.

42.Il en est ainsi décidé.

43.M. GONZALEZ POBLETE fait observer que dans le texte espagnol de la Convention le terme employé est "reparación" et estime que ce même terme devrait être utilisé dans la version espagnole de la déclaration conjointe.

44.Mme GAER dit que, dans la version anglaise de la Convention, le mot "compensation" est employé deux fois au paragraphe 1 de l'article 14 et une fois au paragraphe 2. Elle pense en conséquence que ce mot devrait être conservé dans la version anglaise de la déclaration conjointe.

45.M. CAMARA signale à l'attention du Comité que la version française de la Convention emploie aussi bien les termes de "réparation" que d'"indemnisation".

46.Le PRÉSIDENT rappelle qu'il s'agit d'une déclaration conjointe, dont le but est de servir au mieux les intérêts des victimes. Il suggère que la version anglaise du paragraphe 8 se lise comme suit : "Urge all States to provide for fair and adequate reparation, including compensation and rehabilitation".

47.Le projet de déclaration commune, ainsi modifié oralement, est adopté.

DÉCISIONS DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE À SA CINQUANTE‑QUATRIÈME SESSION (point 10 de l'ordre du jour)

48.M. BRUNI (Secrétaire du Comité) informe les membres du Comité que ce point reste inscrit à l'ordre du jour des travaux du Comité contre la torture, puisque ce dernier présente tous les ans un rapport annuel à l'Assemblée générale. Toutefois, compte tenu de la réorganisation des travaux de la Troisième Commission, les rapports annuels sont désormais examinés tous les deux ans. Le seul document dont le Comité est saisi cette année au titre de ce point de l'ordre du jour est la résolution A/RES/54/156 intitulée "Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants", qui a été adoptée en décembre 1999 sans avoir été mise aux voix, comme résolution "commune", traitant de toutes les questions relatives à la torture. Ce texte ne présente pas d'éléments nouveaux par rapport aux résolutions adoptées les années précédentes.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 15.

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