Nations Unies

CAT/C/SR.1737

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

14 mai 2019

Original : français

Comité contre la torture

Soixante- sixième session

Co mpte rendu analytique de la 1737 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le vendredi 3 mai 2019, à 15 heures

Président (e) : M. Modvig

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Troisième rapport périodique du Bénin (suite)

La séance est ouverte à 15 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Troisième rapport périodique du Bénin (CAT/C/BEN/3 ; CAT/C/BEN/Q/3 ; CAT/C/BEN/ Q/3/Add.1 et Add.2 ; HRI/CORE/1/Add.85) (suite)

1.Sur l ’ invitation du Président, la délégation béninoise reprend place à la table du Comité.

2.Le Président invite la délégation à répondre aux questions que le Comité lui a posées la veille.

3.M.  Yabit (Bénin) dit que le mandat de la Commission béninoise des droits de l’homme recouvre les attributions des mécanismes nationaux de prévention telles que définies à l’article 19 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention. La loi portant création de la Commission et le décret portant nomination de ses membres, ainsi que le règlement intérieur dont la Commission s’est dotée, sont suffisants pour lui permettre de remplir pleinement sa mission en tant que mécanisme national de prévention. Il convient de signaler que la Commission a effectué des visites inopinées dans plusieurs lieux de privation de liberté les 4 et 5 mars 2019. Elle a communiqué son rapport au Ministère de la justice, à la suite de quoi l’Agence pénitentiaire du Bénin s’est vu adresser des observations visant à l’amélioration des conditions de vie des personnes privées de liberté.

4.La Cour constitutionnelle peut être saisie directement par toute personne dénonçant une atteinte aux droits de l’homme. Cela étant, sa compétence en l’espèce se limite à la constatation d’éventuelles violations. Elle n’a pas le pouvoir de prononcer des sanctions pécuniaires, pénales ou disciplinaires, ce rôle incombant aux autorités judiciaires ou administratives compétentes. Le juge appelé à statuer sur une violation des droits de l’homme préalablement constatée par la Cour constitutionnelle peut annuler les actes de procédure entachés par la violation commise, prononcer des sanctions pénales contre l’auteur lorsque les faits perpétrés présentent un caractère infractionnel et accorder des mesures de réparation. Les autorités tirent les constats qui s’imposent des décisions de la Cour constitutionnelle, notamment celles qui concluent au non-respect des règles relatives à la garde à vue et à la détention. La notion de « traitements sauvages » n’est pas juridique. L’emploi de ce terme relève d’un usage de la Cour constitutionnelle, qui, pour référencer ses décisions, utilise les termes employés par les requérants.

5.Le Service de la jurisprudence et de la statistique du Ministère de la justice existe toujours, et de nouveaux indicateurs sont en cours d’élaboration. Dans l’intervalle, il est difficile de fournir au Comité des données statistiques sur les affaires dans lesquelles les tribunaux ont rendu une décision fondée sur la Convention contre la torture. Pour ce qui est du nouveau Code pénal, il est vrai que celui-ci ne prévoit pas expressément le cas d’une personne qui commettrait des actes de torture à l’instigation ou avec le consentement d’un agent de la fonction publique. Le Gouvernement entreprendra dès que possible des démarches auprès du Parlement afin que le Code pénal soit modifié de manière à tenir compte des dispositions de l’article premier de la Convention, conformément aux recommandations du Comité. En droit béninois, la torture constitue un crime puni de peines sévères allant de cinq à dix ans d’emprisonnement, et le fait justificatif du commandement de l’autorité légitime ne met pas à l’abri de poursuites pour actes de torture. En effet, l’article 19 de la Constitution érige la désobéissance en devoir lorsque l’ordre donné tend à la violation d’un droit fondamental.

6.La profession d’avocat est régie par des instruments internationaux, principalement sous-régionaux, dont le Règlement relatif à l’harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine). Aussi l’État ne peut-il s’immiscer dans les procédures de recrutement des avocats, et encore moins dans l’organisation de la profession. Le droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat est systématiquement porté à la connaissance des personnes mises en cause. Conformément à la loi, le procès-verbal d’interrogatoire doit indiquer, sous peine de nullité, que la personne interrogée a effectivement été informée de ce droit. L’officier de police judiciaire sursoit à l’interrogatoire afin de permettre à l’avocat dont les services ont été sollicités de se rendre auprès de son client. Hors des centres urbains, l’absence d’avocats disponibles à proximité empêche effectivement le plein exercice du droit d’être assisté par un conseil. Les autorités sont conscientes de ce problème. Le Barreau du Bénin compte environ 200 membres installés pour la plupart à Cotonou et à Porto-Novo. Il est urgent que des mesures soient prises pour que la profession soit mieux représentée sur l’ensemble du territoire. De fait, c’est là l’un des points essentiels du projet de loi portant statut du barreau de la République du Bénin, actuellement à l’examen devant l’Assemblée nationale. Les règles minimales pour la gestion des services d’aide juridictionnelle, que cette loi est aussi appelée à fixer, sont source de désaccords entre le barreau et le Gouvernement, ce qui explique pour beaucoup le retard pris dans ce domaine.

7.Le droit des personnes en garde à vue d’avoir accès à un médecin de leur choix est garanti par la loi ; les agents de police sont tenus de les informer de ce droit, qu’ils respectent de fait scrupuleusement car ils sont conscients qu’en cas d’altération de l’état de santé d’une personne placée sous leur garde, des poursuites pourraient être engagées contre eux. Le Code de procédure pénale n’exige toutefois pas un examen médical systématique, si bien qu’un médecin n’intervient que lorsque le gardé à vue demande à être examiné. Les inquiétudes exprimées par le Comité quant à l’indépendance des médecins sollicités ne sont pas fondées. La garde à vue se déroule sous le contrôle et la responsabilité du procureur de la République compétent. C’est lui qui apprécie l’opportunité de la prolonger, compte tenu en particulier de la complexité de l’affaire. Ni la loi ni la jurisprudence ne définissent la notion de complexité de l’affaire. Cela étant, aucun recours n’a encore jamais été déposé contre une garde à vue prolongée jusqu’à la durée maximale légale de huit jours. En revanche, des cas de placement en garde à vue injustifié ont été relevés, et il importera de lutter contre de tels abus.

8.Un registre central informatisé a été mis en place dans les établissements pénitentiaires de Cotonou, Porto-Novo et Parakou, dans le cadre d’un projet pilote mené sous l’égide de l’Agence pénitentiaire du Bénin. Si les résultats sont concluants, les registres de toutes les prisons du pays devraient être informatisés d’ici à la fin 2019. Des cours de formation à la tenue des registres ont été organisés à l’intention du personnel des établissements pénitentiaires en juin et novembre 2018. Les prisons tiennent entre autres un registre de santé, un registre des décès et, depuis mars 2019, un registre des plaintes des détenus. Tous les registres sont tenus de manière uniformisée et sont visés par le procureur de la République de la circonscription. L’Accord entre le Gouvernement de la République du Bénin et l’Organisation des Nations Unies concernant l’exécution des peines prononcées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda a été renouvelé en 2017. À l’heure actuelle, 17 ressortissants rwandais exécutent leur peine à la prison d’Akpro-Missérété, où ils sont détenus selon un régime spécifique conforme aux exigences minimales de l’ONU.

9.Il est vrai que les détenus de la maison d’arrêt de Cotonou ont subi par le passé une situation de discrimination fondée essentiellement sur leur situation de fortune, qui déterminait leur affectation dans tel ou tel bâtiment. Ainsi, aux uns, généralement les plus aisés, étaient réservés les bâtiments climatisés et faiblement occupés, aux autres les bâtiments surpeuplés et mal aérés. L’Agence pénitentiaire du Bénin s’est employée à enrayer la corruption qui avait favorisé l’émergence d’une telle situation, notamment en procédant au renouvellement complet du personnel de la prison, en supprimant les prérogatives reconnues à certains détenus chefs de bâtiment et en recensant les détenus bâtiment par bâtiment aux fins de leur répartition équitable au sein de l’établissement.

10.Les dispositions relatives au placement à l’isolement qui figurent dans le décret de 1973 portant régime pénitentiaire ne sont effectivement pas conformes aux Règles Nelson Mandela. Les mises à l’isolement se prolongent de manière excessive et ne sont pas véritablement soumises à un contrôle judiciaire, ce qui ouvre la porte à des abus. Ces insuffisances sont en passe d’être corrigées grâce à un projet de loi portant régime pénitentiaire, que le Gouvernement espère voir adopté par le Parlement d’ici à la fin 2019. Dans l’intervalle, l’Agence pénitentiaire du Bénin a entrepris de faire réaménager les cellules d’isolement. Ainsi, dans les prisons de Cotonou et d’Abomey-Calavi, ces cellules ont été électrifiées et équipées de nouvelles bouches d’aération. Des toilettes ont aussi été construites à l’intérieur des cellules (prison d’Abomey-Calavi) ou à proximité (prison de Cotonou). L’Agence pénitentiaire du Bénin a d’ores et déjà inscrit l’aménagement des cellules d’isolement des autres établissements pénitentiaires à son budget. En ce qui concerne le contrôle du recours à l’isolement, conformément à l’article 803 du Code de procédure pénale, le procureur de la République de la circonscription contrôle l’activité de l’administration pénitentiaire, fait rectifier ou annuler par les autorités judiciaires compétentes les actes et ordres contraires à la loi et prend toutes mesures utiles, y compris la mise en mouvement des procédures pénales et disciplinaires contre les agents en cause. Le recours à l’isolement fait aussi l’objet d’un contrôle de la part de l’Inspecteur général des services du Ministère de la justice.

11.La durée moyenne de la détention provisoire est certes encore excessive, mais les statistiques récentes montrent qu’elle diminue progressivement, ce qui est encourageant. En effet, de 30 mois en 2015, elle est passée à 21 mois en 2016, puis à 17,3 mois en 2017. En outre, au 30 avril 2019, le nombre de détenus en attente de jugement s’établissait à 2 360, contre près de 2 800 au 31 décembre 2018. Pour ce qui est de l’évolution future de la situation, la suppression de la Cour d’assises devrait favoriser une accélération des procédures d’instruction et, partant, une réduction de la durée de la détention provisoire. Le Ministère de la justice ne ménage pas ses efforts pour encourager les juges d’instruction à diligenter l’examen des dossiers des personnes placées en détention provisoire et à opter pour la mise sous contrôle judiciaire plutôt que la privation de liberté lorsque l’affaire concerne des infractions de faible gravité. Cependant, ces efforts n’ont pas encore porté leurs fruits, les juges se montrant peu enclins à modifier leurs habitudes et préférant placer un suspect en détention provisoire afin d’être certains qu’il ne se soustraie pas à la justice.

12.Répondant aux allégations selon lesquelles des restrictions auraient été imposées à certaines ONG en matière d’accès aux prisons, M. Yabit explique que les ONG internationales qui sont titulaires d’une autorisation permanente leur permettant de se rendre dans les établissements pénitentiaires du pays au titre de l’article 808 du Code de procédure pénale continuent d’exercer ce droit et n’ont fait l’objet d’aucune restriction. En revanche, certaines associations locales, qui menaient depuis quelques années des activités suspectes et qui avaient développé une véritable économie parallèle autour des prisons, sont désormais tenues de disposer d’une autorisation, qui leur est délivrée à certaines conditions et qui doit être renouvelée tous les trois mois. Les commissions de surveillance des établissements pénitentiaires sont quant à elles composées du procureur de la République et du commissaire de police compétents, du directeur départemental de la santé, du receveur des finances et d’un assistant social. Elles sont chargées notamment de contrôler les conditions de salubrité et d’hygiène, l’alimentation, l’organisation du travail et des loisirs des détenus, la bonne tenue des registres et la conduite des agents pénitentiaires, et d’adresser des recommandations au Ministre de la justice concernant la délivrance d’ordonnances de mise en liberté conditionnelle. Ces commissions se sont réunies en décembre 2018 et ont obtenu que des centaines de détenus puissent bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle.

13.Comme le prévoit le Code de l’enfant, les 14 tribunaux de première instance que compte le pays ont été dotés d’au moins un juge pour mineurs. En outre, dans cinq villes, des tribunaux « amis des enfants » (juridictions prévoyant des mécanismes spécialisés dans le traitement des affaires concernant les mineurs) composés non seulement de fonctionnaires, mais aussi d’acteurs privés ont été mis en place avec l’appui de l’UNICEF. En 2017, à la suite de la création de 10 unités de police spécialement formées pour assister les juges pour mineurs, la durée moyenne de la détention provisoire des mineurs a été réduite à cinq mois. Les enfants qui doivent comparaître devant les tribunaux, qu’ils soient victimes ou suspects, ont la possibilité d’être représentés en justice gratuitement par des membres de l’Association des avocates béninoises. De 2015 à 2017, plus de 1 300 mineurs ont bénéficié des services de cette association. En 2017, 167 affaires de violence à l’égard d’un mineur ont débouché sur des condamnations. Dans 25 % des cas, les affaires portées devant la Cour d’assises concernaient des violences sexuelles infligées à un enfant.

14.L’obligation d’aviser les parents du placement en garde à vue de leur enfant est rigoureusement respectée. Les mineurs en conflit avec la loi placés en détention reçoivent deux repas par jour. En cas de retard dans la livraison des repas, un en-cas doit obligatoirement leur être distribué par les responsables de l’établissement. Actuellement, tous les détenus mineurs de sexe masculin sont séparés des adultes. Compte tenu de leur nombre extrêmement faible (13), les détenues mineures sont détenues dans les quartiers réservés aux femmes. Le Bénin compte deux centres ouverts et un centre fermé pour mineurs en conflit avec la loi, qui sont en cours de transformation en raison de nombreux dysfonctionnements qui y ont été constatés. En effet, de 2014 à 2017, près de 17 400 cas de mauvais traitements d’enfants placés dans ces centres avaient été signalés. En 2017, plus de 4 800 des enfants concernés ont été pris en charge par des structures de protection.

15.Bien que la législation relative au statut des étrangers ne prévoie pas expressément que l’existence d’un risque de torture dans le pays de renvoi constitue un motif de refus d’extradition ou d’expulsion, les personnes frappées d’une mesure de ce type peuvent invoquer directement l’article 18 de la Constitution, qui consacre l’interdiction absolue de la torture. Les autorités béninoises ne procèdent pas à des reconduites à la frontière de demandeurs d’asile sans que leur cas ait été dûment examiné. L’expulsion est une sanction administrative ou judiciaire prononcée lorsqu’un non-ressortissant est reconnu coupable de violation de la législation nationale relative au statut des étrangers. La Convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale de la Commission économique des États d’Afrique de l’Ouest fait partie intégrante de l’ordre juridique interne et peut être invoquée dans le cadre d’une procédure d’expulsion.

16.La surpopulation carcérale demeure une réalité au Bénin. Au 3 mai 2019, le taux moyen d’occupation des établissements pénitentiaires était de 161 %. Des efforts sont cependant faits pour améliorer les conditions de vie des détenus. Chaque établissement est doté d’une infirmerie, où chaque détenu est examiné à son arrivée. Si une maladie est diagnostiquée, le détenu est soigné à l’infirmerie de la prison ou, si son cas nécessite des soins spécialisés, il est transféré dans le centre de santé le plus proche, où l’État prend en charge les frais de consultation, d’hospitalisation et d’analyse. Les médicaments de première nécessité sont fournis gratuitement aux détenus. Le nombre de décès enregistrés dans les prisons a baissé, passant de 68 en 2017 à 56 en 2018, puis 26 à la fin du premier semestre de 2019.

17.Un protocole pour la prise en charge des détenus présentant des troubles psychiatriques a été récemment adopté sous l’égide de l’Agence pénitentiaire du Bénin. Il prévoit, lorsqu’il y a suspicion de tels troubles, la saisine immédiate du Procureur de la République et l’examen du détenu par un expert. Si le diagnostic est confirmé, le patient est adressé au centre psychiatrique le plus proche. Cependant, le manque de ressources entrave la mise en œuvre de ce protocole, et des pourparlers sont en cours avec la Direction du service de santé des armées afin que les examens soient réalisés par des psychiatres militaires.

18.La fourniture de repas aux détenus est assurée par des prestataires privés sélectionnés sur la base d’un cahier des charges établi par l’administration pénitentiaire. Ce système fonctionne à peu près correctement, même s’il a été perturbé par des problèmes de trésorerie. Les problèmes d’accès à l’eau potable qu’a connus la prison de Natitingou en février 2019 étaient dus à une panne du système d’approvisionnement en eau qui a touché toute la ville. Pour faire face à cette situation exceptionnelle, qui a duré quarante-huit heures, les détenus ont été autorisés à se servir du puits de la prison.

19.M.  Hani (Rapporteur pour le Bénin) remercie la délégation pour la transparence de ses réponses et la prie de commenter les informations selon lesquelles un usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques aurait été à l’origine de décès ces derniers jours. Il serait par ailleurs utile que l’État partie fasse parvenir au Comité une copie de l’étude réalisée en janvier 2019 sur la situation sanitaire en milieu carcéral.

20.Le Rapporteur s’inquiète de ce que le quart des affaires portées devant la Cour d’assisses concernent des violences sexuelles à l’égard d’enfants et demande des statistiques sur le nombre de cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants envers des enfants. Pour ce qui est des affaires concernant des violations des droits de l’homme, il fait observer que ce n’est pas tant le rôle de la Cour constitutionnelle qui est en cause que celui du juge judiciaire, à qui il revient de prononcer les sanctions et, partant, d’accorder des réparations éventuelles. À ce titre, le Comité ne peut que se féliciter que l’État partie s’engage à modifier son Code pénal pour aligner sa définition de la torture sur celle de la Convention. Le Rapporteur formule l’espoir que cela sera fait dans les meilleurs délais et qu’il sera tenu compte non seulement de l’article premier mais aussi des articles 2 et 4 de la Convention, ainsi que de la jurisprudence du Comité. Il rappelle en particulier le caractère essentiel de l’imprescriptibilité de la torture.

21.Les 206 avocats du Bénin étant essentiellement concentrés dans l’extrême sud du pays, il serait intéressant de savoir combien de temps l’officier de police judiciaire est tenu d’attendre l’arrivée d’un avocat avant de procéder à un interrogatoire. La délégation voudra bien indiquer également s’il est envisageable d’instaurer un examen médical systématique de toutes les personnes gardées à vue, et si le coût des médicaments délivrés au cours de la garde à vue est pris en charge par l’État. Le Rapporteur souhaiterait aussi savoir s’il est prévu de modifier le Code de procédure pénale pour le rendre conforme à la recommandation du Comité tendant à limiter la garde à vue à une durée de quarante-huit heures renouvelable une fois et si, en attendant la révision de la législation de 1973 relative au régime pénitentiaire, l’État partie pourrait publier des circulaires visant à faire respecter les Règles Nelson Mandela. Il serait en outre intéressant de connaître le taux de renouvellement du personnel pénitentiaire résultant des efforts de lutte contre la corruption. Enfin, la délégation est invitée à fournir des statistiques sur le nombre d’expulsions administratives et sur les effets de la loi 2016-12 du 16 juin 2016 portant travail d’intérêt général et à répondre aux questions qui lui avaient été adressées précédemment concernant la carte judiciaire, la révision de la loi d’amnistie de 1990, la mise en œuvre du Code de l’enfant et la création en bonne et due forme du mécanisme national de prévention.

22.M me Zhang Honghong (Corapporteuse pour le Bénin) salue l’organisation de formations aux techniques d’enquêtes non coercitives et la reconduction des formations aux droits des détenus, aux droits de la femme et aux droits de l’enfant à l’intention du personnel de police, mais regrette qu’il n’existe pas de programmes concrets de formation qui permettraient de renforcer l’application des dispositions législatives relatives à la garde à vue et au traitement des personnes privées de liberté et de sensibiliser l’ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire à l’interdiction de la torture et au contenu des Règles Nelson Mandela et des autres normes internationales en vigueur. Il serait aussi utile que l’État partie se dote d’outils permettant d’évaluer l’efficacité des formations sur la prévention de la torture, comme le Comité l’a déjà recommandé.

23.Notant avec préoccupation que les juges continuent d’avoir fréquemment recours à la détention provisoire, y compris de longue durée, la Corapporteuse demande à la délégation de communiquer des statistiques relatives à la population carcérale, au nombre de personnes en attente de jugement et au nombre de nouveau-nés en prison. Elle souhaiterait en outre savoir si l’État partie envisage de lever les restrictions qui pèsent sur les ONG afin que celles-ci puissent accéder aux lieux de détention librement et à tout moment. De plus, elle invite la délégation à indiquer si le décret d’application du Code de l’enfant a été publié.

24.M.  Rodríguez Pinzón constate que la délégation n’a pas répondu à ses questions concernant les mesures de réparation prévues à l’article 286 de la loi de décembre 2015 portant Code de l’enfant, les centres de réadaptation dont il est question au paragraphe 86 des réponses à la liste de points et la commission d’indemnisation des victimes de préjudices, et l’invite à le faire.

25.M.  Hani souhaiterait que la délégation réponde aussi aux questions qui ont été posées concernant les infanticides rituels, l’amendement de l’article 221 du projet de Code pénal visant à incorporer le principe de non-refoulement dans la législation nationale et l’accord conclu avec les États-Unis d’Amérique en vertu duquel les ressortissants américains se trouvant sur le territoire béninois ne peuvent être transférés devant la Cour pénale internationale.

26.M me Zhang Honghong (Corapporteuse pour le Bénin) demande quelles mesures l’État partie a prises pour prévenir et faire cesser les infanticides d’enfants dits « sorciers », et notamment si des dispositions pénales réprimant cette pratique ont été adoptées. Des statistiques actualisées indiquant le nombre de plaintes déposées, le nombre d’auteurs d’infanticides traduits en justice et les sanctions imposées seraient bienvenues. La délégation voudra bien également fournir des informations sur les enlèvements d’enfants à des fins de prélèvement d’organes, dont les auteurs présumés ne seraient pas poursuivis, et indiquer si dans le cadre de la lutte contre ce phénomène, des enquêtes ont été menées, des actions en justice engagées, et des peines prononcées. De la même façon, la délégation pourrait donner des renseignements sur les violences sexuelles et sexistes survenues au cours des cinq dernières années, statistiques à l’appui.

La séance est suspendue à 17 h 15 ; elle est reprise à 17 h 25.

27.M.  Yabit (Bénin) dit que le Gouvernement déplore l’explosion de violence survenue en marge des élections législatives du 28 avril 2019, et qu’en aucun cas la police n’a fait un usage excessif de la force. Certains éléments radicaux ont empêché le bon déroulement du scrutin en barrant l’accès aux urnes et en incendiant certaines zones de stockage du matériel électoral, et ont aussi mis le feu à des véhicules de l’armée et pris en otage des policiers. L’ancien chef de l’État, Boni Yayi, a profité des manifestations organisées le 1er mai pour appeler au rassemblement à proximité de son domicile, au mépris de l’interdiction frappant les attroupements de ce type, et les manifestants ont promis au Président Patrice Talon de « le faire partir ». La police ayant dû intervenir pour disperser la foule, les manifestants se sont emparés des réseaux sociaux, affirmant que les forces de l’ordre tentaient d’interpeller l’ancien Président. Il s’est ensuivi une explosion de violence, la foule saccageant des ministères à quelques centaines de mètres de la présidence, qu’elle a tenté de prendre d’assaut. Compte tenu de la violence de ces manifestations qui n’étaient en rien pacifiques, on peut dire que le bilan de trois morts, à confirmer, aurait pu être bien plus lourd, même s’il est éminemment regrettable.

28.Pour ce qui est de la carte judiciaire, le Bénin compte désormais 11 établissements pénitentiaires couvrant l’ensemble du pays. Seule la juridiction de Djongon n’est pas dotée d’une prison, mais elle dispose de suffisamment de matériel roulant pour assurer le transport des personnes privées de liberté entre le tribunal et la prison la plus proche, située à environ une heure de route, pendant la procédure. Au 30 avril 2019, on dénombrait 179 enfants privés de liberté, dont 16 ont déjà été jugés et condamnés. La délégation ne dispose pas de statistiques relatives aux infractions commises par ces mineurs.

29.M me Hadonou-Toffoun (Bénin) dit qu’une réflexion sera engagée sans délai quant à la possibilité d’inscrire expressément le mandat de mécanisme national de prévention dans les statuts de la Commission béninoise des droits de l’homme. Le Ministère des finances procède actuellement à un arbitrage qui devrait aboutir à l’allocation à la Commission des fonds prévus dans le budget afin de lui permettre de s’acquitter efficacement de son mandat et de celui de mécanisme national de prévention.

30.M.  Yabit (Bénin) dit que le Gouvernement béninois déplore que les avocats soient inégalement répartis sur le territoire national et que les citoyens n’aient pas toujours accès à un avocat dès le stade de l’enquête préliminaire, et qu’il est conscient de l’urgence absolue qu’il y a à garantir l’accès à l’aide juridictionnelle. Il a bon espoir que le gouvernement et le barreau trouvent un accord concernant la mise en place d’un mécanisme garantissant une permanence judiciaire à l’échelle du pays. Les officiers de police judiciaire ne peuvent pas suspendre une procédure indéfiniment dans l’attente qu’un avocat soit disponible et ne peuvent pas prolonger la garde à vue au-delà de la durée légale maximale, qui est de huit jours. De plus, ils sont tenus d’entendre le gardé à vue dans un délai de quarante-huit heures car ils doivent notifier le Procureur de la République, qui a compétence pour se prononcer sur le maintien ou non en détention. Cela étant, force est de constater que dans la pratique, les membres des unités de la police républicaine sont contraints de mener des interrogatoires en l’absence des avocats, qui interviennent dès qu’ils parviennent à se rendre disponibles. Ces unités n’ont pas les moyens d’assumer les frais médicaux des personnes placées en garde à vue, et n’assurent leur prise en charge que si l’état de santé de ces personnes se dégrade brusquement et nécessite qu’elles soient conduites d’urgence vers un établissement sanitaire pour y recevoir les premiers soins.

31.M.  Yekpe (Bénin) dit que pour des raisons de sécurité, les associations chargées de dispenser des formations aux détenus devront désormais faire tenir leur calendrier d’intervention aux autorités pénitentiaires, tandis que les organisations de la société civile souhaitant effectuer des visites dans les lieux de privation de liberté devront attester qu’elles sont reconnues par l’État, auquel cas elles pourront se rendre dans les établissements pénitentiaires au même titre que le Comité international de la Croix-Rouge ou Amnesty International.

32.M. Yabit (Bénin) dit que l’abrogation de la loi d’amnistie est une question complexe du fait qu’elle est éminemment politique. En ce qu’elle a assuré aux tortionnaires d’hier la possibilité de quitter le pouvoir sans craindre d’être poursuivis, la loi d’amnistie constitue l’un des socles du Pacte républicain du Bénin. C’est pour cette raison qu’il n’est pas prévu de revenir sur cet acquis de la Conférence nationale des forces vives de la Nation. Le Bénin s’est toutefois doté d’un mécanisme d’indemnisation des victimes d’actes de torture et autres exactions commis sous la révolution, au sujet duquel la délégation fera parvenir au Comité un complément d’information par écrit. La délégation prend bonne note de la recommandation formulée par le Comité concernant la nécessité de tenir compte du risque de torture en cas d’expulsion administrative.

33.M. Lalou (Bénin) dit que l’enseignement des droits de l’homme fait partie intégrante du cursus initial des fonctionnaires de police et des officiers de police judiciaire, tandis que des formations spécifiques portant notamment sur la lutte contre la torture, les questions de genre ou encore la défense des droits de l’enfant sont dispensées par des universitaires et autres experts dans le cadre de la coopération avec les partenaires belges et français.

34.M. Laourou (Bénin) dit qu’il n’est pas prévu de réviser les termes de l’accord conclu entre le Bénin et les États-Unis d’Amérique en vertu duquel les ressortissants américains se trouvant sur le territoire béninois ne peuvent être transférés devant la Cour pénale internationale afin d’être jugés pour crimes de guerre ou crime contre l’humanité, y compris pour des actes de torture.

35.M. Yabit (Bénin) dit que pour lutter contre la corruption en milieu carcéral, tous les personnels paramilitaires en charge des établissements pénitentiaires ont été remplacés, et que seuls les personnels des infirmeries et des greffes ont été maintenus dans leur poste. Une affaire de corruption récente concernant la fourniture clandestine de bouteilles d’alcool à des détenus a donné lieu à l’engagement de poursuites contre trois agents pénitentiaires.

36.Après s’être félicité de la richesse des échanges avec le Comité, M. Yabit fait savoir que le Bénin demandera prochainement à bénéficier du fonds spécial prévu à l’article 26 du Protocole facultatif destiné à aider les États parties à financer l’application des recommandations que le Sous‑Comité de la prévention de la torture leur adresse à la suite de ses visites.

37.Le P résident remercie la délégation béninoise et l’invite à faire parvenir par écrit les réponses qu’elle n’a pas pu apporter oralement dans le délai de quarante-huit heures prévu à cet effet, afin que le Comité puisse en tenir compte dans ses observations finales.

La séance est levée à 18 heures.