NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.68625 novembre 2005

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑cinquième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 686e SÉANCE**

tenue au Palais des Nations, à Genève,le lundi 21 novembre 2005, à 15 heures

Président: M. MARIÑO MENÉNDEZ

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial de la République démocratique du Congo

La séance est ouverte à 15 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial de la République démocratique du Congo (CAT/C/37/Add.6)

Sur l’invitation du Président, la délégation congolaise prend place à la table du Comité.

2.Mme KALALA (République démocratique du Congo), présentant le rapport initial de son pays, souligne que la République démocratique du Congo est attachée au principe de la démocratie et aux droits fondamentaux proclamés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et les instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme, comme le manifeste clairement le préambule de la Constitution issue de l’Accord global et inclusif sur la transition. Elle est d’ailleurs partie à six principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

3.Le rapport initial de la République démocratique du Congo devait être soumis au Comité au plus tard le 17 avril 1997 mais cette échéance n’a pas pu être respectée en raison notamment de l’instabilité politique liée au processus de démocratisation en cours depuis 1990. L’Accord global et inclusif sur la transition en République démocratique du Congo signé à Pretoria le 17 décembre 2002 a mis fin au conflit qui avait ensanglanté le pays pendant plusieurs années. La Constitution de transition en date du 5 avril 2003 issue de cet accord vise à instaurer un nouvel ordre institutionnel dont les principaux objectifs sont la réunification, le rétablissement de la paix et de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national, la reconstruction du pays, la réconciliation nationale, la formation d’une armée nationale restructurée et intégrée et l’organisation d’élections libres et transparentes en vue de la mise en place d’un régime constitutionnel démocratique. La Constitution prévoit en outre que les institutions fondamentales du pays sont le Président de la République, le Gouvernement, l’Assemblée nationale, le Sénat, les tribunaux, qui exercent leur compétence dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs, et les institutions créées pour renforcer la démocratie et le respect des droits de l’homme, à savoir la Commission électorale indépendante, l’Observatoire national des droits de l’homme, la Haute Autorité des médias, la Commission Vérité et Réconciliation et la Commission d’éthique et de lutte contre la corruption.

4.Le Gouvernement de transition a déployé d’intenses efforts pour normaliser la situation dans le pays, menant à cet effet des activités préélectorales et procédant à la restructuration de l’armée et de la police. De plus, ayant pris la ferme résolution de rattraper le retard accumulé dans la soumission de ses rapports aux organes conventionnels, il a présenté son troisième rapport périodique sur l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et met actuellement la dernière main à trois autres rapports destinés respectivement au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, au Comité des droits économiques, sociaux et culturels et au Comité des droits de l’enfant. Enfin, il a présenté son rapport initial sur la mise en œuvre de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples à la Commission africaine des droits de l’homme, qui l’a examiné.

5.Comme indiqué dans le rapport, la législation de la République démocratique du Congo ne contient pas de définition de la torture identique à celle de l’article premier de la Convention. Toutefois, si la torture n’est pas réprimée en tant qu’infraction distincte en droit congolais, cela ne signifie pas pour autant qu’elle est tolérée. En effet, le paragraphe 4 de l’article 15 de la Constitution de transition consacre l’interdiction absolue de la torture, en disposant que nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements inhumains, cruels ou dégradants. De plus, tant le Code pénal ordinaire que le Code pénal militaire contiennent des dispositions selon lesquelles les sévices et autres actes de violence commis par des agents de l’État ou par toute autre personne constituent des circonstances aggravantes des infractions auxquelles ces actes correspondent, à savoir notamment les coups et blessures volontaires simples, qualifiés ou ayant entraîné la mort sans intention de la donner et les actes de torture associés à l’infraction d’arrestation arbitraire et de détention illégale.

6.Aux termes des articles 191, 192 et 194 du Code pénal militaire, les sévices et tortures commis pendant un état d’exception ou au cours d’un conflit armé constituent des circonstances aggravantes d’un certain nombre d’infractions, notamment la réquisition abusive, l’expulsion illégale de civils et le fait d’arrêter, de séquestrer ou de détenir illégalement un individu. Ces dispositions montrent qu’en droit interne la torture peut constituer une circonstance aggravante d’une infraction, même lorsque l’acte en question est commis par une personne qui n’est pas un agent de l’État, alors que la Convention ne porte que sur les actes commis par des personnes agissant à titre officiel.

7.Outre les dispositions susmentionnées, plusieurs textes de la législation interne tendent à prévenir et à interdire les actes de torture, dont l’ordonnance no 78‑289 du 3 juillet 1978 relative à l’exercice des attributions des officiers et agents de police judiciaire près les juridictions de droit commun, qui garantit la légalité de l’enquête, de l’arrestation et de la garde à vue. En particulier, l’article 76 de ce texte consacre le droit des personnes gardées à vue d’être examinées par un médecin et le droit de ce dernier de signaler au Procureur de la République l’existence de sévices ou de mauvais traitements s’il en a constaté. Quant à l’article 80, il dispose que les fonctionnaires du ministère public sont tenus d’inspecter régulièrement et à tout moment les locaux de garde à vue afin de vérifier s’ils sont salubres et de surveiller la situation matérielle et morale des personnes qui y sont retenues. En outre, aux termes de l’ordonnance no 344 du 17 septembre 1965 concernant le régime pénitentiaire et la libération conditionnelle, les maisons d’arrêt et les prisons doivent être inspectées par des fonctionnaires du ministère public, des médecins et les autorités territoriales.

8.Le droit interne réglemente rigoureusement la situation des personnes en détention. En particulier, conformément à l’article 20 de la Constitution de transition et à l’article 73 de l’ordonnance no 78‑289 précitée, la durée de la garde à vue est fixée à 48 heures au maximum. À l’expiration de ce délai, le suspect doit être soit libéré soit présenté à l’autorité judiciaire compétente. Celle‑ci ne peut prolonger la garde à vue que de cinq jours au maximum; après quoi elle est tenue de présenter le suspect au juge habilité à statuer sur la légalité de la détention, conformément aux articles 27 à 30 du Code de procédure pénale.

9.En vertu de l’article 20 de la Constitution de transition, qui dispose que la personne gardée à vue a le droit d’avoir accès à sa famille et à un conseil, la détention au secret n’est pas autorisée en République démocratique du Congo. En outre, l’article 78 de l’ordonnance no 78‑289 susmentionnée prévoit que le fonctionnaire de la police judiciaire responsable de l’arrestation d’un suspect a l’obligation de prévenir immédiatement la famille de ce dernier.

10.Comme indiqué précédemment, la torture n’est pas érigée en infraction distincte en droit interne, ce qui ne permet pas de réprimer cet acte dans toutes ses dimensions et, partant, de donner pleinement effet aux dispositions pertinentes de la Convention. Afin de combler cette lacune, un projet de loi est actuellement examiné par l’Assemblée nationale. La juridiction compétente pour connaître de ce type d’infraction sera le Tribunal de paix, le tribunal de grande instance, la cour d’appel ou la Cour suprême de justice, en fonction de la qualité de la personne mise en cause et des peines associées à cette infraction. L’autorité judiciaire compétente sera habilitée en outre à indemniser les victimes.

11.Après de longues années de guerre ayant occasionné plus de trois millions et demi de victimes, la République démocratique du Congo sort d’un conflit qui a été marqué par des violations massives des droits humains. À ce titre, elle connaît bien le prix de la stabilité et de la paix. Le Gouvernement congolais souhaite donc assurer le Comité de sa ferme détermination à ne ménager aucun effort pour assurer le respect des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels son pays est partie.

12.M. CAMARA (Rapporteur pour la République démocratique du Congo) note avec satisfaction les efforts faits par l’État partie pour s’acquitter de ses obligations découlant de la Convention malgré les difficultés passées et actuelles. En effet, le Gouvernement de transition a visiblement compris que la restauration de l’ordre au plan national devait aller de pair avec le rétablissement de ses relations avec les organisations internationales.

13.S’agissant de l’absence dans la législation interne d’une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention, M. Camara souligne que le contenu dudit article est bien particulier et ne doit pas être assimilé à la simple incrimination des actes constitutifs de la torture qu’on trouve généralement dans toutes les législations pénales, car il vise spécifiquement des actes dont les auteurs sont des agents de l’État. Le Rapporteur souhaiterait donc connaître le contenu du projet de loi évoqué par la délégation congolaise et savoir si un exemplaire de ce projet pourrait être fourni au Comité de façon qu’il puisse formuler des observations et contribuer ainsi à l’élaboration de ce texte. À ce propos, M. Camara fait observer que le plus difficile n’est pas d’établir de nouvelles normes mais de les appliquer. En effet, pour que les lois soient respectées, un État doit être doté d’organes dont le fonctionnement est conforme aux normes internationales, en particulier aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature et aux Principes de base relatifs au rôle du barreau. En ce sens, il voudrait savoir quel est le statut du parquet vis‑à‑vis du pouvoir politique et quelles mesures concrètes sont prévues pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire. Des précisions seraient souhaitables sur l’organisation du système judiciaire, en particulier sur la façon dont les magistrats sont recrutés et nommés et sur les ressources dont la justice dispose. Sont‑elles suffisantes pour qu’elle puisse accomplir ses tâches en toute indépendance?

14.Pour ce qui est des juridictions militaires, le Rapporteur souhaiterait savoir si elles peuvent connaître d’infractions de droit commun et si des mesures sont prévues dans le cadre des réformes en cours afin de limiter leur compétence aux infractions commises par des membres de l’armée. M. Camara voudrait également savoir comment la loi d’amnistie est appliquée concrètement, sachant que les crimes contre l’humanité sont exclus du champ de cette législation et ayant à l’esprit la nécessité de lutter contre l’impunité.

15.Enfin, le Rapporteur demande des précisions sur la manière dont les autorités nationales s’acquittent de l’obligation énoncée au paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention, selon lequel aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée pour justifier la torture, et quelles sont les mesures prises pour protéger les défenseurs des droits de l'homme qui, d’après des sources bien informées, seraient victimes de persécutions dans l’État partie.

16.Le PRÉSIDENT (Corapporteur pour la République démocratique du Congo) remercie la délégation congolaise d’être venue présenter le rapport initial de son pays tout en regrettant que ce rapport, bien qu’étant de qualité, se limite le plus souvent à dresser la liste des normes adoptées pour donner effet à la Convention sans aborder de manière détaillée la question de son application. Aussi, rappelle‑t‑il à la délégation l’obligation qu’ont les États parties à la Convention de décrire au Comité les mesures concrètes prises et les décisions de justice prononcées et de lui communiquer des données statistiques pour qu’il puisse se faire une idée concrète de l’application des différents articles de la Convention.

17.À cet égard, le Président rappelle que l’article 10 de la Convention oblige les États parties à veiller à ce que l’enseignement et l’information concernant l’interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation de tout le personnel chargé de l’application des lois et demande à la délégation de bien vouloir fournir de plus amples renseignements sur les mesures prises dans ce domaine. Les membres de la police bénéficient‑ils régulièrement de ce type de formation et, dans l’affirmative, la délégation pourrait‑elle en préciser le contenu. Le Président souhaiterait en outre savoir si le Ministère des droits humains diffuse des informations sur les règles relatives au traitement des détenus et à la protection des mineurs privés de liberté adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies.

18.Se référant à des informations selon lesquelles les personnes arrêtées par la police seraient systématiquement placées en détention provisoire pour des périodes prolongées, le Président demande à la délégation d’indiquer au Comité le nombre de personnes se trouvant actuellement en détention provisoire et s’il existe des registres des personnes incarcérées dans les différents centres de détention du pays. Il semblerait par ailleurs que plusieurs lieux de détention de la police échappent à tout contrôle de l’autorité judiciaire. La délégation pourrait‑elle préciser si cela est toujours le cas?

19.Il serait d’autre part utile de connaître les règles régissant l’organisation et les attributions de la garde présidentielle, corps spécial doté de pouvoirs de police, et de savoir quelle est l’autorité chargée de vérifier que ce corps respecte les normes relatives à l’arrestation et au placement en détention.

20.Le Président invite la délégation à commenter les informations concernant le décès d’un détenu survenu dans la prison de Kinshasa en septembre 2004 et les allégations selon lesquelles le directeur de l’établissement pénitentiaire n’aurait pas été poursuivi. D’autre part, le Comité ayant reçu des informations émanant d’organisations non gouvernementales internationales faisant état de violences sexuelles subies par des détenues, la délégation pourrait‑elle indiquer si des poursuites ont été engagées contre leurs auteurs?

21.Rappelant que l’indépendance de la magistrature est un principe fondamental dont le respect permet de combattre l’impunité, le Président souhaiterait savoir s’il est exact que le Ministère de la justice est habilité à suspendre les enquêtes relatives à des actes de torture lorsqu’ils sont imputables à des fonctionnaires. La délégation pourrait‑elle en outre préciser les modalités de l’exercice du contrôle judiciaire sur les activités de la police. Le Président souhaiterait aussi obtenir de plus amples renseignements sur la compétence des tribunaux militaires pour connaître d’affaires de droit commun.

22.La République démocratique du Congo a‑t‑elle un plan d’action pour garantir l’accès à la justice des victimes d’actes de torture et s’est‑elle dotée de mécanismes permettant de les indemniser? Quelles sont par ailleurs les mesures prises par l’État partie pour garantir que toute déclaration obtenue par la torture ne puisse pas être invoquée comme élément de preuve.

23.M. MAVROMMATIS se réjouit de la présence d’une délégation de la République démocratique du Congo devant le Comité à un moment où ce pays déploie d’importants efforts pour avancer dans la voie de la démocratie. La franchise avec laquelle le rapport rend compte de plusieurs cas de torture atteste la volonté des autorités congolaises de lutter contre ce phénomène. Il convient toutefois de noter avec la même franchise que l’examen de la mise en œuvre de la Convention, article par article, révèle des défaillances liées à l’état actuel de l’infrastructure juridique dans le pays et à l’incapacité d’assurer une application effective de la loi. C’est pourquoi il est de la plus haute importance pour la République démocratique du Congo de s’attacher à renforcer les capacités de ses institutions nationales de protection des droits de l’homme et, en premier lieu, le moyen de l’autorité judiciaire. Il est également souhaitable que l’État partie adopte une définition de la torture pleinement conforme à l’article premier de la Convention. La nécessité d’adopter une définition générale de la torture en droit interne se fait d’ailleurs particulièrement sentir à la lecture du paragraphe 80 du rapport initial où il est précisé que l’alinéa 2 de l’article 67 du Code pénal fait de la torture une circonstance aggravante des infractions d’arrestation arbitraire et de détention illégale. Une bonne lecture de la Convention aurait dû conduire le législateur à édicter la règle inverse en prévoyant que l’arrestation arbitraire et la détention illégale constituent des circonstances aggravantes du crime de torture, les actes de torture étant susceptibles d’être commis même lorsque l’arrestation et la détention sont légales. Il y a là une confusion qu’une incrimination spécifique de la torture permettrait de dissiper.

24.Le rapport expose plusieurs affaires dans lesquelles des auteurs d’actes de torture se sont vu infliger des peines par les tribunaux malgré l’absence d’une définition spécifique de la torture en droit congolais. Il ressort toutefois de la lecture du paragraphe 90 a) que certaines peines prononcées à l’encontre d’auteurs d’actes de torture sont manifestement insuffisantes, comme la condamnation du commandant de la police congolaise, Kifua Mukuna Albert, à 12 mois de servitude pénale alors qu’il avait administré des coups de fouet à une personne, lui causant de graves lésions corporelles. La délégation pourrait‑elle en outre préciser si la cour d’appel de Kinshasa a confirmé ou non la peine de 10 ans d’emprisonnement prononcée à l’encontre de l’agent territorial Derwa reconnu coupable de sévices graves sur la population autochtone du territoire de Budjala. Est‑ce que des sanctions ont été prononcées à l’encontre des soldats de son escorte qui avaient participé aux actes de torture. Il est rappelé à cet égard à la délégation qu’en vertu de l’article 3 de la Convention l’ordre d’un supérieur hiérarchique ou d’une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture.

25.M. RASMUSSEN, insistant sur la nécessité de décrire avec précision les mesures concrètes prises pour appliquer la Convention, demande à la délégation d’indiquer quel est l’âge de la majorité légale en République démocratique du Congo et si les délinquants mineurs sont détenus séparément des adultes. En outre, la procédure d’interrogatoire des mineurs prévoit‑elle la présence systématique d’un membre de la famille ou d’un représentant légal? Relevant par ailleurs que le Procureur de la République est habilité à désigner une équipe de fonctionnaires du ministère public aux fins d’effectuer un contrôle hebdomadaire des lieux de détention, M. Rasmussen demande à la délégation de bien vouloir en préciser les modalités. Les visites sont‑elles effectuées de façon inopinée et concernent‑elles aussi les lieux de détention placés sous le contrôle de la police? Les comptes rendus établis à la suite des visites sont‑ils rendus publics? M. Rasmussen souhaiterait par ailleurs savoir si les médecins bénéficient d’une formation appropriée leur permettant de détecter les cas de torture. La délégation pourrait‑elle aussi indiquer si les châtiments corporels figurent parmi les sanctions disciplinaires infligées aux détenus ayant enfreint le règlement intérieur de la prison. La République démocratique du Congo a‑t‑elle, d’autre part, pris des mesures pour donner suite aux recommandations du Comité des droits de l’enfant s’agissant de la démobilisation des enfants soldats et de leur réinsertion?

26.Mme GAER relève avec satisfaction que l’État partie a récemment fait de grands efforts pour s’acquitter de son obligation redditionnelle à l’égard des organes conventionnels, après tant d’années de silence. Il serait intéressant de savoir comment les autorités se sont donné les moyens, concrètement, de relancer le processus dans un contexte manifestement difficile.

27.L’État partie reconnaît honnêtement, aux paragraphes 33 et 71 du rapport à l’examen, que la définition de la torture est absente de son droit, et le Comité attend avec intérêt la suite qui sera donnée à cette constatation. Par ailleurs, il lui serait utile d’apprendre l’issue de certaines affaires, par exemple la plainte évoquée au paragraphe 56 du rapport. Dans le même ordre d’idées, il est indiqué au paragraphe 81 que le Code pénal réprime les viols ou attentats commis par des personnes en situation d’abuser de leur position: y a‑t‑il eu des condamnations ou des mises en examen pour ce type d’infraction? Aux alinéas b et c du paragraphe 90, déjà évoqué par les rapporteurs, il est question de deux femmes qui, l’une pour préserver son honneur, l’autre par honte, ne se sont pas présentées à l’audience alors même que les accusés, eux, ont été condamnés. Il serait important de savoir quelles mesures sont prises en République démocratique du Congo pour protéger les victimes de ce genre d’infraction et leur éviter de nouveaux traumatismes si elles se présentent devant la justice. Par ailleurs, Mme Gaer est frappée, au même paragraphe, par la forte disparité des peines infligées dans les affaires évoquées aux alinéas b et c d’une part et à l’alinéa e d’autre part. Enfin, à propos du paragraphe 154 du rapport, il serait utile d’en apprendre davantage sur les «mesures adéquates» proposées par le Ministère des droits humains: celles‑ci sont‑elles contraignantes, et le Ministre peut‑il prendre des sanctions s’il n’est pas tenu compte de ses recommandations?

28.Human Rights Watch a signalé, à propos des événements du Nord‑Kivu, un nombre extrêmement élevé de viols et autres exactions perpétrés par les forces armées de la République démocratique du Congo à l’encontre de civils, attestés notamment par les enquêteurs de la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo. L’ONG en question a indiqué que, dans un cas exceptionnel, 30 soldats ont été jugés pour des actes de ce genre, apparemment habituels de la part des combattants dans la partie orientale du Congo. Mme Gaer aimerait avoir des détails non seulement sur les poursuites ainsi engagées, mais aussi sur les éventuelles mesures prises pour faire clairement comprendre aux forces armées contrôlées par le Gouvernement que ces exactions sont absolument proscrites. Enfin, elle aimerait savoir si des dispositions sont prises pour protéger les défenseurs des droits de l’homme dans la région orientale du pays.

29.M. GROSSMAN souhaite revenir sur le problème de l’impunité qui, il le reconnaît, ne peut se résoudre en un jour. Mais il tient à rappeler, à propos de la loi d’amnistie promulguée en avril 2003, que lorsque l’on a affaire à des crimes internationaux il ne doit en aucun cas y avoir impunité. Ce point est crucial: amnistier des crimes internationaux, et notamment la torture, est une violation caractérisée du droit international, et en particulier de la Convention. Par ailleurs, le statut des défenseurs des droits de l’homme est le baromètre du respect de ces droits dans les pays. Il serait donc utile de savoir si l’État partie a pris des mesures spéciales en faveur de ces personnes protégées sur le plan international car infliger des tortures ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants est un crime encore plus grave lorsqu’elles en sont la cible. Une législation existe‑t‑elle ou est‑elle en préparation pour aggraver les peines en pareil cas?

30.Mme KALALA (République démocratique du Congo) est bien consciente de l’importance et de la pertinence des questions qui ont été posées, et souligne que le processus de refondation engagé par son pays rencontre encore d’immenses difficultés et que les réponses apportées ne seront sans doute pas à la mesure de l’attente du Comité; mais elle constate qu’un dialogue fructueux est désormais engagé, et tient tout d’abord à souligner que c’est grâce au soutien apporté par le Centre pour les droits de l’homme aux personnes chargées d’établir les rapports de son pays qu’il a été possible de soumettre en temps utile le présent rapport. L’action de la communauté internationale ne s’est pas limitée à la simple interpellation mais a consisté aussi en un travail sur le terrain dont les experts de la République démocratique du Congo ont pu tirer profit.

31.Changer les mentalités par l’éducation est un enjeu essentiel. Le Ministère des droits humains a lancé une campagne destinée à sensibiliser non seulement les autorités, mais aussi la population; en effet, on constate trop souvent que les violations des droits humains sont commises à l’instigation de populations mal renseignées. Ce programme d’éducation devrait être systématisé, mais le manque de moyens y fait obstacle. Dans l’actuelle période de transition, ce sont vers des domaines prioritaires que va la majeure partie du budget de l’État. Pour l’heure, on pare au plus urgent, c’est‑à‑dire, notamment, à la restructuration de l’armée; le Ministère des droits humains a un budget dérisoire et il s’appuie nécessairement sur des partenaires extérieurs, qui doivent prendre davantage conscience de la nécessité impérative de le soutenir dans son action d’information et d’éducation. Certes, cette éducation commence à l’école mais, pour l’heure, ce sont les services publics, l’armée, la police et les services de sécurité qui reçoivent, à titre prioritaire, une formation en matière de droits humains.

32.Le PRÉSIDENT remercie la délégation et l’invite à revenir à une séance ultérieure poursuivre le dialogue engagé.

La délégation de la République démocratique du Congo se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 17 heures.

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