NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.55227 mai 2003

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trentième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 552e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le jeudi 1er mai 2003, à 10 heures

Président: M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Deuxième rapport périodique de l’Islande

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l’ordre du jour) (suite)

Deuxième rapport périodique de l’Islande (CAT/C/59/Add.2; HRI/CORE/1/Add.26)

1.Sur l’invitation du Président, M.  Jóhannesson , M me Sigurgeirsdóttir , M.  Jónsson et M me Davídsdóttir prennent place à la table du Comité.

2.M.JÓHANNESSON (Islande) dit que le deuxième rapport périodique de l’Islande a été établi sous l’égide du Ministère de la justice, en consultation avec d’autres parties intéressées. La priorité y est accordée aux principaux changements survenus depuis l’examen du rapport initial et à la suite donnée aux recommandations du Comité.

3.Profondément préoccupé par le recours fréquent à la torture à travers le monde, le Gouvernement islandais apprécie au plus haut point le travail constructif et extrêmement utile effectué par le Comité dans la lutte contre ce phénomène affligeant. Le dialogue auquel donnera lieu l’examen du deuxième rapport périodique témoignera sans nul doute de la pleine adhésion de l’État partie à la Convention, qui est également illustrée par le fait que, depuis 1996, l’Islande contribue chaque année au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture.

4.MmeSIGURGEIRSDÓTTIR (Islande) souhaite tout d’abord signaler un certain nombre de modifications mineures qui n’ont pas été prises en compte au moment de l’élaboration du deuxième rapport périodique. Le nombre des circonscriptions électorales qui était de huit (par. 8 du rapport initial, CAT/C/37/Add.2) a été ramené en 1999 à six. Au cours des huit années précédentes, le Gouvernement a compté 12 ministres au lieu des 10 mentionnés au paragraphe 9 du rapport initial. La loi no 304/2000, adoptée en 1999, modifie le Règlement no 11/1996 sur les critères de recrutement et la formation des gardiens de prison (dont il est question au paragraphe 99 du rapport initial), en prévoyant que la formation de base de ces derniers s’effectue sur neuf fois, à savoir six mois d’enseignement théorique et de préparation physique et trois mois de stage pratique en établissement pénitentiaire. Enfin, l’amendement apporté en 1999 à l’article 184 du Code de procédure pénale islandais, mentionné au paragraphe 144 du rapport initial, permet de rouvrir une affaire s’il existe une très forte probabilité que les éléments de preuve produits ont été incorrectement évalués, rendant ainsi erroné le jugement final.

5.Parmi les principaux changements apportés à la législation, la loi no 80/2000 sur la protection de l’enfance renforce les dispositions de certains articles de la loi no 58/1992 relative à la protection des enfants et des adolescents. Plus précisément, les articles 82, 98 et 99 du nouveau texte, plus précis et prévoyant une plus grande protection, remplacent l’article 64 et le paragraphe 2 de l’article 52 de l’ancienne loi, dont une description détaillée figure au paragraphe 35 du rapport initial.

6.En ce qui concerne l’application de la Convention, l’article 3 en particulier, une nouvelle loi sur les étrangers (no 96/2002) est entrée en vigueur en 2003, qui, en vertu de son article 45 (Protection contre les persécutions), n’autorise pas le renvoi d’un étranger dans une zone où l’intéressé a des raisons de craindre des persécutions telles qu’elles justifieraient l’octroi du statut de réfugié ou s’il n’est pas garanti qu’il ne sera pas transféré dans cette zone. En outre, et c’est là la principale nouveauté, l’étranger qui, pour des raisons analogues à celles justifiant l’octroi du statut de réfugié, court le risque imminent de perdre la vie ou d’être soumis à un traitement inhumain bénéficie de la même protection. Dans la note explicative se rapportant au nouveau texte, le législateur a indiqué que cette disposition visait à renforcer la protection des étrangers et que, compte tenu de l’article 3 de la Convention, il avait été jugé utile de l’incorporer dans la législation. La situation juridique des étrangers et la procédure applicable à chaque cas devraient s’en trouver grandement améliorées.

7.En ce qui concerne l’article 7, un amendement a été apporté à la loi sur la police afin que les enquêtes relatives à des plaintes visant des fonctionnaires de police soient désormais supervisées par le Procureur général. Le fait que, comme cela était le cas auparavant, la partie habilitée à suspendre temporairement un fonctionnaire pour manquement présumé à ses fonctions était la même que celle chargée de superviser l’enquête, a en effet été considéré comme contraire au droit constitutionnel.

8.En ce qui concerne l’article 10, des efforts ont été faits par l’École nationale de police pour sensibiliser davantage les fonctionnaires à l’importance de respecter les droits de l’homme dans l’exercice de leurs fonctions.

9.Pour ce qui est de la formation du personnel médical, un programme spécial a été mis en place à l’hôpital national universitaire d’Islande. Il s’agit d’un stage de cinq jours pendant lesquels le personnel apprend à maîtriser un forcené en utilisant la parole et des gestes particuliers. Les techniques à employer pour se dégager et s’échapper sont enseignées dans le cadre d’une autre journée de formation. Chaque stage est organisé six fois par an et des cours de recyclage sont également proposés.

10.En ce qui concerne les articles 12 et 13, il n’existe pas d’exemple de plaintes selon lesquelles des policiers, ou d’autres personnes agissant dans le cadre d’une procédure pénale, auraient contraint une personne à avouer une infraction ou à fournir des informations relatives à une enquête criminelle. Les statistiques présentées dans le rapport font apparaître une augmentation du nombre des plaintes déposées contre des policiers, qui ne semble pas due à un plus grand recours à la violence pendant les arrestations (dans la plupart des cas, les blessures constatées sont de simples ecchymoses ou résultent du frottement des menottes), mais bien plutôt au fait que la population est mieux informée de ses droits.

11.Une correction doit être apportée au paragraphe 47 du rapport: le nombre des centres de traitement placés sous le contrôle de l’Office d’aide sociale à l’enfance, et qui offrent actuellement 42 places pour adolescents de 13 à 18 ans, a été ramené de huit à sept.

12.Pour ce qui est des recommandations formulées par le Comité à l’issue de l’examen du rapport initial, l’État partie rappelle les principaux éléments de réponse apportés dans son deuxième rapport périodique. En ce qui concerne la recommandation tendant à ce que la torture soit inscrite en tant qu’infraction spécifique dans la législation pénale islandaise, il y a lieu de faire observer que, même si le terme «torture» n’est pas employé dans les textes, il ne fait aucun doute qu’un acte constitutif de torture représente une infraction punie par la loi islandaise. Mme Sigurgeirsdóttir appelle à cet égard l’attention sur la note explicative se rapportant aux amendements à la Constitution (qui définit clairement le sens des termes torture et autres traitements dégradants et inhumains) et souligne l’importance de la volonté du législateur, exprimée dans les notes explicatives accompagnant les projets de loi, dans l’interprétation du droit.

13.Dans ces conditions, et compte tenu du principe général du droit islandais qui veut que les lois soient interprétées dans le sens des obligations juridiques internationales, il ne fait aucun doute que le terme de «torture» serait interprété conformément à l’article premier de la Convention si les tribunaux avaient à statuer en la matière. De plus, les dispositions de la Constitution islandaise et de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme sont plus larges que l’interprétation qui peut découler de l’article premier de la Convention, car elles ne sont pas restreintes aux seuls cas où la torture est pratiquée à l’instigation d’un agent de l’État, mais s’appliquent à toutes les situations.

14.Beaucoup de termes essentiels employés dans le système juridique islandais n’ont pas été définis dans le Code pénal général, comme par exemple le viol et le meurtre, mais il ne viendrait à l’idée de personne de prétendre que de tels actes ne constituent pas des infractions au regard du droit islandais. Ce qui importe en l’occurrence n’est pas tant le terme utilisé pour qualifier un comportement que le fait que l’acte lui‑même est qualifié de criminel.

15.Le Gouvernement islandais considère en conséquence que, pour ce qui est de la torture, tant physique que mentale, telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention, le droit islandais contient des dispositions satisfaisantes.

16.En ce qui concerne la recommandation tendant à ce que les autorités islandaises revoient les dispositions réglementant la pratique de l’isolement cellulaire pendant la détention provisoire afin de réduire sensiblement les cas dans lesquels ce régime pourrait être applicable, l’État partie rappelle que la marge de manœuvre autorisant l’isolement cellulaire est très étroite et que ce régime est appliqué uniquement lorsqu’il existe un risque que le prévenu entrave l’enquête. De plus, lorsque la personne chargée de l’enquête décide d’appliquer une telle mesure, le prisonnier est informé de son droit d’attaquer cette décision devant les tribunaux à tout moment. Enfin, le règlement stipule que la décision de mettre une personne au secret doit être conforme au principe de proportionnalité. La pratique montre que tel est le cas. De façon générale, l’isolement cellulaire ne dure pas plus d’une semaine. Le Gouvernement considère donc que la législation islandaise garantit un usage modéré de l’étroite marge de manœuvre autorisant l’isolement cellulaire.

17.Pour ce qui est de la recommandation tendant à ce que la législation relative aux éléments de preuve à produire lors de procédures judiciaires soit mise en conformité avec les dispositions de l’article 15 de la Convention afin que toutes les preuves obtenues par la torture soient expressément exclues, l’État partie rappelle que, conformément à la procédure pénale islandaise, les juges apprécient librement les éléments de preuve produits. Toutefois, dans une affaire criminelle, ils sont tenus d’observer le principe énoncé au paragraphe 2 de l’article 70 de la Constitution, selon lequel toute personne accusée d’une infraction pénale doit être présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. La charge de la preuve incombe donc à l’accusation.

18.Un autre principe important dans ce contexte est celui de la production directe des éléments de preuve devant le tribunal (art. 48 du Code de procédure pénale). Le jugement doit être fondé sur les éléments de preuve présentés devant la Cour au moment de l’examen de l’affaire, ce qui signifie que les rapports de police qui ne sont pas étayés par des déclarations faites devant le tribunal ont une valeur probante limitée. Le droit islandais concernant l’administration de la preuve garantit qu’une personne ne peut être condamnée sur la base d’aveux s’il est établi que ces derniers ont été obtenus sous la torture, qu’ils n’ont pas été confirmés par l’intéressé et si la culpabilité de celui‑ci n’est pas établie par d’autres éléments de preuve.

19.M. ELMASRY (Rapporteur pour l’Islande) remercie l’État partie pour la qualité du deuxième rapport périodique et de la déclaration liminaire. Il se félicite des renseignements communiqués sur les modifications apportées à la législation, en particulier l’amendement visant à aligner la loi no 96/2002 sur le contrôle des étrangers sur les dispositions de l’article 3 de la Convention. Le deuxième rapport périodique a été présenté dans les délais, en novembre 2001. Il se divise en trois parties (nouvelles mesures, complément d’information demandé par le Comité et respect des conclusions et recommandations de ce dernier) qui portaient principalement sur la définition de la torture, la réglementation de l’isolement cellulaire et l’exclusion des éléments de preuve obtenus sous la torture. La première partie contient des renseignements détaillés sur la deuxième visite effectuée en Islande par des membres du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et les amendements apportés à la loi sur la police afin que les plaintes dénonçant une infraction commise par un agent de ce corps soient directement soumises au Procureur général.

20.Avant de passer à l’examen de l’application article par article de la Convention, M. El Masry souhaite rappeler que le principal problème rencontré par le Comité avec la plupart des États parties est l’écart considérable qui existe généralement entre le droit et la pratique, cette dernière étant loin de correspondre à ce qui est prévu dans les textes. Toutefois, dans le cas de l’Islande, c’est le contraire qui est vrai. La situation «sur le terrain» est excellente, le Comité européen pour la prévention de la torture a indiqué dans le rapport sur sa visite qu’il n’avait relevé aucun signe indiquant que des prisonniers étaient soumis à la torture, que les cas présumés de brutalité policière étaient très peu nombreux et que le Médiateur n’avait été saisi ces dernières années d’aucune plainte. Pour autant, l’incompatibilité entre le droit interne islandais et les instruments internationaux suscite un grand nombre de problèmes. Certains de ces problèmes ont été reconnus par l’État partie qui a pris des mesures pour y remédier, notamment en amendant la Constitution (qui ne contenait aucune disposition visant expressément les droits fondamentaux de la personne) et en alignant la législation nationale sur les dispositions de deux instruments internationaux: la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. D’autres problèmes subsistent qui découlent du fait que l’Islande adhère à la doctrine selon laquelle, en cas de conflit, le droit interne l’emporte sur les instruments internationaux. Répondant aux questions posées à ce sujet lors de l’examen de son rapport initial, l’État partie a indiqué dans son deuxième rapport périodique que les instruments internationaux ne faisaient pas automatiquement partie du droit interne et que, par conséquent, leurs dispositions pouvaient ne pas être appliquées par les tribunaux islandais, sauf si elles ont été expressément incorporées au droit islandais, en précisant toutefois que la législation interne était interprétée conformément au droit international.

21.Il en résulte plusieurs problèmes, dont celui de l’absence en droit islandais de définition de la torture en tant qu’infraction spécifique. Le Comité a déjà indiqué qu’il ne se satisfaisait pas de l’argument avancé par l’État partie, selon lequel le plus important n’est pas tant le terme employé pour qualifier un comportement que le comportement lui‑même. Il a fait valoir que, sans l’existence d’une infraction spécifique, il est extrêmement difficile de déterminer la mesure dans laquelle la torture est pratiquée.

22.Un autre problème concerne les éléments de preuve obtenus sous la torture. Le droit islandais n’interdit pas expressément l’invocation de tels aveux, mais laisse le soin au juge d’apprécier les éléments produits. Le Corapporteur reviendra sur cette question, qui se rapporte à l’article 15 de la Convention, pour ce qui est en particulier de l’argument invoqué par l’État partie selon lequel les aveux doivent être confirmés par une déclaration devant la Cour.

23.Le fait que le système fonctionne bien semble certes un argument convaincant, mais il vaut la peine de rappeler aux États qui partent du principe que leur législation interdit la torture en vertu de dispositions pénales visant d’autres infractions ou que leur définition est plus large et plus globale que celle donnée dans la Convention, qu’ils méconnaissent en fait l’objet même de l’article premier de cet instrument, à savoir déterminer que la torture est une infraction distincte composée d’éléments précis. Lors de l’examen du rapport initial, le Président a indiqué que le fait que l’Islande n’avait pas incorporé dans sa législation une définition conforme aux termes de la Convention affaiblissait la capacité du Comité d’encourager d’autres États, qui ne respectaient pas autant les droits de l’homme, à le faire. Il convient aussi de rappeler qu’en adoptant la Convention, l’Assemblée générale s’est déclarée «désireuse d’assurer une application plus efficace de l’interdiction, telle qu’elle résulte du droit international et des droits nationaux, de la pratique de la torture» (résolution 39/46).

24.En ce qui concerne l’application de l’article 3, M. El Masry note que la nouvelle loi sur le contrôle des étrangers contient comme par le passé l’assurance que l’État partie n’extradera ni ne refoulera une personne vers un autre pays où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Il constate qu’un nouveau paragraphe, précisant que des infractions spécifiques pouvaient être définies, en vertu d’un accord passé avec un autre État, comme n’étant pas constitutives d’infractions politiques, a été ajouté à l’article 5 de la loi relative à l’extradition des criminels (par. 13 du rapport). Ce nouvel amendement vise apparemment à ne pas faire bénéficier les auteurs présumés d’actes de terrorisme des dispositions dudit article. Il serait utile de savoir pourquoi ces infractions spécifiques n’ont pas été définies comme s’appliquant à tous les États, et ce d’autant plus qu’il n’est pas concevable qu’un acte donné puisse être considéré comme une infraction politique dans certains pays mais pas dans d’autres.

25.L’État partie pourrait aussi fournir des précisions sur l’arrêt que la Cour suprême a rendu le 17 octobre 1997 en refusant l’extradition d’un couple vers les États‑Unis et, notamment, préciser les motifs exacts pour lesquels la Cour a conclu que les intéressés ne bénéficieraient pas d’un procès équitable devant un tribunal de l’Arizona (par. 14 du rapport). Il serait également intéressant de savoir dans quelles conditions a voyagé l’époux, qui est ensuite rentré de son plein gré: a‑t‑il été traité comme un homme libre ou selon les règles applicables au transfèrement des détenus?

26.M. MAVROMMATIS(Corapporteur pour l’Islande) félicite la délégation islandaise de l’excellente qualité de son rapport, du document de base (HRI/CORE/1/Add.26) ainsi que de la déclaration du chef de la délégation qui a fait état à la fois d’une protection plus efficace des enfants et des étrangers et d’une meilleure formation du personnel médical depuis la présentation du rapport initial. Il n’existe pas de torture en Islande, ce qui est très important. Seuls quelques cas de violation de l’article 16 de la Convention ont été observés et sont largement traités dans le cadre des recommandations formulées par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT).

27.M. Mavrommatis dit que le document de base est appelé à acquérir toujours plus d’importance dans le cadre des efforts pour l’harmonisation des activités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, et il recommande donc à la délégation islandaise de mettre à jour ce document (HRI/CORE/1/Add.26) qui remonte déjà à 10 ans. Il serait bon d’y inclure certaines informations demandées par tous les organes conventionnels, notamment sur l’indépendance du pouvoir judiciaire. Au paragraphe 56 du document de base, il est dit que «[p]endant longtemps ni la Cour ni la Commission des droits de l’homme n’ont eu quoi que ce soit … à reprocher» à l’Islande, M. Mavrommatis se demande si le fait qu’il n’y ait pas eu un seul recours à un mécanisme de protection n’est pas inquiétant car le respect absolu de ces droits n’existe pas, et il est bon que les lois et pratiques soient testées par un mécanisme de protection des droits de l’homme.

28.Abordant la question de l’incorporation de la définition de la torture dans le droit islandais, M. Mavrommatis dit que la décision n’appartient pas au Comité qui ne peut que recommander une telle mesure. Le plus important, selon lui, c’est d’avoir l’assurance que tout acte de torture puisse être réprimé de manière adéquate, même s’il n’est pas inscrit dans le Code pénal.

29.Passant à l’article 10, M. Mavrommatis note avec satisfaction les modifications apportées au programme de formation des policiers ainsi que les efforts déployés pour préparer le personnel pénitentiaire aux visites des membres du CPT. Il espère à cet égard que l’Islande adhérera au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et que, dès son entrée en vigueur, elle lancera d’autres programmes de formation axés sur cet instrument. S’agissant de la formation de la police, le rapport à l’examen mentionne uniquement des matériels établis par le Conseil de l’Europe; or les documents de formation du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme (par exemple, le manuel sur la formation des responsables de l’application des lois) peuvent également être utiles. Toujours sur l’article 10, M. Mavrommatis note avec satisfaction que des exemplaires du rapport initial et des conclusions et recommandations ont été envoyés à différentes autorités nationales, ce qui est une excellente pratique dont d’autres pays pourraient s’inspirer.

30.À propos de l’article 11, M. Mavrommatis demande si l’Islande s’est conformée aux recommandations formulées par le CPT au sujet de la régularisation de la procédure visant à ce que toute personne arrêtée puisse prévenir un membre de sa famille et être informée par écrit de ses droits dès son placement en garde à vue. D’autre part, est‑ce que des mesures ont été prises pour éviter le renvoi au poste de police d’une personne déjà écrouée?

31.Abordant l’article 12, M. Mavrommatis se félicite des modifications apportées à la procédure d’enquête concernant une personne soupçonnée d’avoir eu recours à la torture et il demande si le Gouvernement islandais prévoit d’appliquer également au personnel des prisons les nouvelles dispositions décrites au paragraphe 24 du rapport (en vertu desquelles c’est désormais au Procureur général et non au Directeur national de la police qu’il appartient d’ouvrir une enquête). Il aimerait également savoir pourquoi le Ministère de la justice nomme désormais les commissaires de police divisionnaires et leurs adjoints pour des périodes de cinq ans seulement.

32.Considérant que même si aucun cas de torture n’a été constaté en Islande, il est capital que l’article 15 interdisant l’utilisation de toute déclaration obtenue sous la torture comme élément de preuve dans une procédure judiciaire devienne une règle absolue, M. Mavrommatis invite l’État partie à revoir sa position sur ce sujet tout en reconnaissant qu’il est très rare, dans un pays démocratique, que des aveux obtenus sous la torture entraînent une condamnation en l’absence d’autres preuves matérielles.

33.Passant à l’article 16, M. Mavrommatis note qu’en 2001, sur les 81 personnes placées en détention provisoire, 75 seulement étaient sous le régime de l’isolement cellulaire et 6 se trouvaient en détention partagée. Il invite l’État partie à se pencher sur le problème des personnes placées en isolement cellulaire, notamment eu égard au principe de la présomption d’innocence à leur égard. Il serait bon en outre d’envisager des mesures de remplacement à ce régime en s’inspirant des suggestions formulées par le CPT. M. Mavrommatis aimerait aussi savoir si les décès en prison, quelle qu’en soit la cause, donnent lieu à une enquête officielle. En outre, existe‑t‑il un organe indépendant habilité à effectuer des visites (notifiées à l’avance ou inopinées) dans les prisons et autres lieux de détention pour s’assurer que les conditions qui y règnent sont satisfaisantes?

34.MmeGAERse dit étonnée du nombre élevé de personnes qui auraient spontanément demandé à être placées en isolement cellulaire (pour 12 heures à quelques jours) et aimerait avoir des explications à ce sujet. Est-ce que l’isolement cellulaire ne serait pas perçu comme «un lieu de villégiature», vu la qualité des conditions de détention qui y règnent (voir par. 68 du rapport)? Mme Gaer voudrait, d’autre part, obtenir des statistiques ventilées par sexe et type d’infraction pour en savoir plus sur les causes de détention autres que les infractions liées aux stupéfiants. Elle souhaiterait également avoir des explications sur la faible peine encourue en vertu des dispositions du Code pénal par les auteurs de violences sexuelles et de viols (un à deux ans d’emprisonnement). La question de la violence dans les prisons a été soulevée dans le cadre de la visite du CPT mais il serait bon d’obtenir davantage de précisions sur les différents actes de violence perpétrés dans les établissements pénitentiaires, en particulier sur la violence sexuelle. Mme Gaer aimerait également de plus amples informations sur les conditions de détention dans la prison de femmes de Kópavogur ou, selon le rapport du CPT (CPT/Inf(99)1), seraient également incarcérés des hommes. Il serait en outre utile de connaître les résultats de l’étude réalisée en 1996 sur la violence sexuelle à l’encontre de personnes souffrant de maladies mentales et de savoir si des mesures ont été prises à l’issue de cette étude. Des précisions sur la question du consentement des malades mentaux internés dans des établissements psychiatriques et des personnes âgées placées dans des foyers seraient également les bienvenues. Enfin, Mme Gaer demande si l’Islande a mis au point des directives sur l’application du principe de proportionnalité concernant les sanctions infligées aux délinquants juvéniles.

35.M. RASMUSSEN note avec satisfaction les mesures prises en Islande à la suite de l’examen du rapport initial par le Comité contre la torture et de la visite du CPT. Il se félicite notamment des réformes concernant les enfants, mentionnées dans le rapport susmentionné du CPT. Vu l’augmentation importante du nombre de demandeurs d’asile en Islande (qui est passé de 25 en 2000 à 51 en novembre 2001, soit une augmentation de 100 %), et compte tenu des mauvais traitements dont les réfugiés font souvent l’objet, il demande si une formation particulière est envisagée pour les médecins chargés d’examiner ces personnes. M. Rasmussen est heureux de constater que, suite aux recommandations formulées par le CPT après sa première visite en Islande, toutes les personnes placées en détention subissent un examen médical dès qu’elles sont écrouées et toutes les lésions constatées sont notées dans un dossier. Il serait utile de connaître le contenu précis de la formation dispensée aux médecins, notamment pour leur permettre de se protéger contre d’éventuelles agressions de la part des détenus et de reconnaître les signes observés. Par ailleurs, M. Rasmussen voudrait savoir si les personnes placées en garde dans les locaux de la police peuvent faire appel à un médecin ainsi qu’il l’est recommandé au paragraphe 24 du rapport du CPT de 1998.

36.M. MARIÑOMENÉNDEZ félicite lui aussi la délégation islandaise pour un rapport clair et concis, qui émane d’un pays dont la population est homogène et où les conflits sociaux sont peu fréquents. Il note que lors de l’examen du rapport initial de l’Islande (CAT/C/37/Add.2), la représentante de l’État partie avait indiqué que la notion de torture était un concept juridique relativement nouveau en Islande, ce qui est assez surprenant à entendre lorsque l’on est de culture latine.

37.La nouvelle loi sur les étrangers comporte un article spécifique proscrivant l’expulsion des étrangers vers des pays où ils courent un risque grave d’être torturés. Or en 2000, l’Islande est devenue partie à l’Accord de Schengen, qui dispose que désormais, les démarches relatives à l’octroi de l’asile devront être effectuées dans un seul pays de l’Union européenne. Dans ces conditions, se dirige‑t‑on vers un système de rejet automatique des demandes d’asile, fondé sur des critères abstraits − par exemple, la provenance d’un pays d’origine considéré d’emblée comme sûr, ou le fait que la personne ait traversé un pays où elle aurait pu demander l’asile − ne tenant pas compte de la situation particulière des personnes? Ces dispositions de l’Accord de Schengen vont‑elles être appliquées automatiquement en Islande, ou avec une certaine marge d’appréciation? Ce sont là des questions délicates car la situation pourrait évoluer dans un sens contraire à l’esprit de la Convention.

38.M. Rasmussen a relevé que d’après les statistiques présentées au paragraphe 16 du rapport à l’examen, les demandes d’asile ont augmenté de 50 % entre 2000 et 2001. Il serait utile de savoir combien de permis de séjour ont été accordés en 2001 et quels ont été le nombre et l’issue des recours déposés auprès du Ministère de la justice. Par ailleurs, les permis de séjour ont‑ils une durée indéterminée ou sont‑ils assortis de conditions?

39.Les pays scandinaves entretiennent entre eux des relations privilégiées qui permettent à leurs ressortissants de passer d’un pays à l’autre en bénéficiant de facilités particulières. Y a‑t‑il beaucoup d’expulsions de demandeurs d’asile d’un pays scandinave vers un autre, sachant que certains d’entre eux n’appliquent pas ou pas intégralement l’Accord de Schengen? Et dès lors, un traitement spécifique en matière d’asile est‑il réservé aux personnes provenant d’autres pays scandinaves?

40.À propos de l’application de l’article 5 de la Convention, le rapport à l’examen renvoie au rapport initial, où il était indiqué que la compétence des tribunaux islandais pour des crimes de torture commis à l’étranger ne comporte aucune restriction, à ceci près que le Ministre de la justice peut ordonner de ne pas poursuivre un tortionnaire, ce qui, en principe, est contraire aux dispositions de la Convention. Enfin, M. Mariño Menéndez éprouve quelques doutes quant à l’affirmation figurant au paragraphe 58 selon laquelle la Convention européenne des droits de l’homme aurait une portée plus large que la Convention contre la torture. Mais toutes ces considérations, il convient de le souligner, sont quelque peu théoriques car la situation en Islande est en pratique tout à fait satisfaisante.

41.M. CAMARA se joint aux orateurs précédents pour louer la qualité du rapport que vient de présenter l’Islande. Il félicite en particulier l’État partie d’y avoir inclus, ce qui est une pratique encore rare, une partie consacrée à la mise en œuvre des recommandations précédemment formulées par le Comité.

42.Les préoccupations dont M. Camara s’était fait l’écho lors de l’examen du rapport initial de l’Islande subsistent en ce qui concerne la place des instruments internationaux dans le système juridique islandais. En effet, il existe deux manières d’intégrer de tels instruments dans un système juridique, qu’il soit dualiste ou moniste: soit on donne à l’instrument ratifié, la prééminence sur les lois internes, soit, à tout le moins, on le place au même niveau. M. Camara avait été surpris de lire dans le rapport initial qu’en Islande, les instruments internationaux, même introduits dans le système juridique, ont un rang inférieur aux lois internes. Certes, des modifications ont été apportées à la Constitution pour remédier à cette situation, mais le contenu des paragraphes 50, 51 et 60 du rapport à l’examen reste préoccupant. Il est indiqué au paragraphe 50 que suite à l’introduction de la Convention européenne des droits de l’homme dans la législation islandaise, cet instrument a désormais force de loi et dès lors, l’interdiction de la torture est incorporée à la législation interne. Mais il s’agit d’un tout autre instrument que la Convention contre la torture et le problème de la définition de la torture demeure. Or c’est là une question très pratique pour un pénaliste, car une infraction comporte des éléments constitutifs matériels et moraux, lesquels se retrouvent dans la définition figurant à l’article premier de la Convention. Est‑on sûr que même si par extrapolation, les tribunaux islandais considèrent ledit article premier comme applicable en Islande, le juge pénal, qui est tenu d’interpréter la loi, pourra par analogie appliquer ces éléments qui ne figurent pas formellement dans la législation islandaise? Les États ne doivent pas perdre de vue que la Convention de Vienne sur le droit des traités leur interdit d’invoquer des dispositions d’ordre interne pour ne pas appliquer un engagement international. Dans ces conditions, il est difficile de comprendre pourquoi l’Islande ne clarifie pas la situation; il ressort du paragraphe 60 qu’elle n’envisage pas d’adopter de définition de la torture alors que dans la pratique, le juge pénal risque de rencontrer des difficultés lorsqu’il voudra appliquer des éléments absents de la loi islandaise. Quoi qu’il en soit, M. Camara tient à dire qu’il a été frappé de la qualité du rapport et de la haute tenue du dialogue engagé avec la délégation.

43.Le PRÉSIDENT souligne, à l’appui des remarques de M. Camara au sujet de l’article premier de la Convention, que l’une des raisons avancées par l’État partie pour ne pas incorporer de définition de la torture dans sa législation est que d’autres crimes tels que le meurtre ou le viol n’y sont pas non plus définis alors que, bien évidemment, les assassins et les violeurs sont poursuivis, tout comme les tortionnaires: voilà un argument que le Comité aura bien du mal à admettre. De plus, on ne doit pas perdre de vue un principe important du droit pénal, le principe de légalité, qui veut que toute personne mise en accusation sache exactement de quelle infraction pénale elle va devoir répondre. Si l’infraction en question n’est pas définie précisément, l’intéressé ne peut savoir de quoi il est accusé. Dans la plupart des systèmes juridiques, une telle lacune serait considérée comme grave et il serait souhaitable que l’État partie apporte quelques éclaircissements à ce sujet.

44.Un autre sujet d’étonnement est le nombre important de personnes placées en isolement cellulaire et ce, alors qu’elles sont bien souvent en attente de jugement. Cela est d’autant plus surprenant que les intéressés peuvent à tout moment attaquer une décision de mise au secret devant les tribunaux. Il a été suggéré que s’ils ne le font pas, c’est que les conditions de détention sont meilleures lorsque l’on est à l’isolement, mais il existe peut‑être d’autres explications moins subjectives. Il ressort des exemples cités dans le rapport à l’examen que les juges maintiennent ces détenus à l’isolement pour ne pas nuire à l’instruction; il semble donc que l’isolement cellulaire est une pratique considérée comme normale, et sans s’inquiéter outre mesure de la chose, le Président souhaiterait recevoir quelques éclaircissements à ce sujet.

45.Ce qu’a dit M. Mariño Menéndez au sujet de l’application de l’article 5 est tout à fait fondé. Le Président avait lui‑même été étonné de lire dans le rapport initial de l’Islande (CAT/C/37/Add.2) que si celle‑ci avait compétence universelle pour les crimes de torture, le Ministre de la justice devait donner son consentement avant que des poursuites soient engagées. À y bien réfléchir, cela ne semble pas contraire aux dispositions de l’article 5 qui obligent seulement les États parties à créer les conditions juridiques permettant d’exercer cette juridiction universelle, sans spécifier dans quelles circonstances celle‑ci doit être exercée. Il peut exister de bonnes raisons pour s’en abstenir, mais il est un cas où l’État partie est tenu de faire jouer sa compétence, c’est lorsqu’une demande d’extradition a été rejetée ou qu’il n’est pas possible d’y faire droit. Dans ce cas précis, il pourrait y avoir conflit entre les obligations contractées par l’Islande en vertu de la Convention et la faculté du Ministre de la justice de décider de ne pas engager de poursuites. Il est vrai que cette possibilité qui lui est laissée peut parfois avoir son utilité, si l’on songe par exemple au cas de la Belgique où le principe de la compétence universelle a pu être invoqué non pour poursuivre des infractions pénales, mais à des fins tout autres. Il serait donc utile de savoir comment le Ministre islandais de la justice fait usage de ce droit sans enfreindre les obligations contractées par l’État partie en vertu de l’article 5.

46.En dépit des quelques points soulevés par Mme Gaer, il ne semble pas que les mauvais traitements constituent un réel problème en Islande. Toutefois, le Président tient à revenir sur une question déjà évoquée lors de l’examen du rapport initial, ainsi que l’a rappelé M. El Masry. Il s’agit de l’application de l’article 15, qui dispose expressément qu’aucune déclaration obtenue par la torture ne peut être invoquée comme élément de preuve dans une procédure. Cet article ne dit pas qu’une telle déclaration doit être rejetée par le tribunal, mais qu’elle ne peut pas même lui être présentée. Or, en droit islandais, a‑t‑il été indiqué au Comité, il existe le principe de la libre appréciation des preuves par le juge, qui rejetterait bien évidemment toute déclaration obtenue par la torture. Mais cette disposition n’empêche nullement que d’autres éléments de preuve obtenus grâce à de tels aveux soient, eux, utilisés au cours du procès. Si par exemple un suspect avoue sous la torture avoir commis un crime et indique où trouver l’arme, le droit islandais n’interdit pas de produire cette arme devant le tribunal, ce qui va totalement à l’encontre de l’esprit de l’article 15 qui tend à dissuader les policiers de recourir à la violence pour obtenir des aveux. C’est au contraire une incitation à maltraiter les détenus, puisque l’objectif premier de la police est un taux satisfaisant de condamnations. Interdire et punir les brutalités policières est loin d’être suffisant, car l’on sait bien qu’elles sont toujours très difficiles à prouver. La seule mesure véritablement efficace à cet égard est d’exclure non seulement tout aveu obtenu par la torture, mais aussi toute pièce obtenue à la suite de tels aveux. Il est difficile de comprendre pourquoi l’un des systèmes juridiques les plus évolués du monde n’a pas encore exclu l’utilisation de ce genre de preuve.

47.Il s’agit là de quelques points plus théoriques que véritablement sources de préoccupations et le Président se plait à souligner que le rapport périodique de l’Islande est parfaitement satisfaisant. L’État partie s’est attaché à répondre aux questions non résolues lors de l’examen du rapport initial et à appeler l’attention sur quelques faits nouveaux intéressants. Le Comité apprécie beaucoup l’action du Gouvernement islandais dans le domaine des droits de l’homme et attend avec intérêt les réponses que la délégation islandaise apportera à une prochaine séance.

48. La délégation islandaise se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 11 h 40.

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