Nations Unies

CAT/C/SR.1577

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 novembre 2017

Original : français

Comité contre la torture

Soixante-deuxième session

Co mpte rendu analytique de la 1577 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 9 novembre 2017, à 15 heures

Président (e): M. Modvig

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Cinquième rapport périodique du Cameroun (suite)

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Cinquième rapport périodique du Cameroun(suite) (CAT/C/CMR/5; CAT/C/CMR/QPR/5)

1.Sur l’invitation du Président, la délégation camerounaise reprend place à la table du Comité.

2.M. Bidima (Cameroun) explique que la crise sociale en cours dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du pays a commencé en octobre 2016 lorsque des associations d’avocats de ces régions anglophones ont réclamé une plus grande application de la Common Law, le droit de s’exprimer en anglais et la traduction en anglais de certains textes juridiques. Les syndicats d’enseignants ont rejoint le mouvement le mois suivant. Des manifestations violentes ont éclaté en novembre et décembre 2016. Le 22 septembre 2017, des manifestants ont réclamé la sécession d’une partie du pays. Le 1er octobre, les forces de l’ordre ont dû intervenir après de nouvelles manifestations et des actes de violence orchestrés par des bandes armées. Ces troubles ont causé la mort de 17 personnes, et plusieurs blessés parmi les forces de l’ordre. De nombreux édifices et biens publics ont été détruits, notamment des centaines d’écoles. L’État, dans le respect de ses engagements internationaux en matière de droits de l’homme, a rétabli l’ordre par un usage proportionné de la force et a engagé des poursuites judiciaires contre les personnes suspectées d’avoir commis des actes réprimés par la loi. Ainsi, 98 personnes ont été interpellées et poursuivies devant le Tribunal de première instance de Bamenda, la plupart pour trouble à l’ordre public ; 12 ont été relaxées et 86 condamnées à des peines d’amende. Les trois mineurs interpellés ont été relaxés. En août 2017, l’arrêt des poursuites a été ordonné pour 57 des 92 personnes poursuivies pour terrorisme, sécession ou rébellion armée devant le Tribunal militaire de Yaoundé. Des procédures sont encore en cours contre 41 personnes devant le Tribunal militaire de Bamenda et 11 personnes devant le Tribunal militaire de Buea. À la suite des événements du 1er octobre 2017, 192 personnes ont été interpellées dans la région du Nord-Ouest − 28 ont été remises en liberté et 164 déférées devant un tribunal militaire − et 112 personnes ont été arrêtées et déférées devant un tribunal militaire dans la région du Sud-Ouest. Une fois la situation stabilisée, l’État a pris des mesures visant à réaménager le cadre normatif et institutionnel et à renforcer les politiques d’inclusion. Par exemple, des réponses ont été apportées à presque toutes les revendications corporatistes des avocats et des enseignants, et la Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme a été créée par le Décret no 2017/013 du 23 janvier 2017 pour consolider la volonté des Camerounais de vivre ensemble.

3.En réponse aux préoccupations du Comité concernant la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés, M. Bidima dit que l’indépendance et l’autonomie financière de la Commission sont une priorité du Gouvernement et ne cessent d’être renforcées. La Commission, qui est dotée d’un secrétariat permanent, compte 30 membres statutaires et 107 employés, et 6 de ses 10 antennes sont opérationnelles. Ses Président, Vice-Président et Secrétaire général sont nommés par le Président de la République et les membres statutaires sont désignés par leurs administrations respectives ou par leurs pairs. En 2016, la Commission disposait d’un budget de fonctionnement de 756 millions de francs CFA, et elle reçoit annuellement 400 millions de francs CFA au titre des dépenses d’investissement. Le Gouvernement accompagne la Commission dans l’exécution de ses missions en facilitant l’accès de ses membres aux lieux de détention et en assurant leur sécurité. En ce qui concerne la dépénalisation des délits de presse, il convient de rappeler que la liberté de la presse est inscrite dans la Constitution. La loi no 90/52 relative à la communication sociale, modifiée par la loi no 96/04 du 4 janvier 1996, a instauré un système libéral d’information. Si la censure administrative a été supprimée, les délits commis par voie de presse demeurent sanctionnés par le droit pénal en vue de promouvoir la responsabilité et le respect de la déontologie chez les journalistes et de protéger les droits des autres citoyens. Les journalistes, les membres des ONG et les défenseurs de droits de l’homme exercent librement leurs activités, sous réserve qu’elles ne portent pas préjudice aux droits des autres citoyens. Dans le cas de Maximilienne Ngo Mbe, responsable du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC), les plaintes adressées aux autorités judiciaires ont toujours donné lieu à enquête, et le REDHAC collabore avec le Ministère de la justice. L’État veille à la sécurité des défenseurs des droits de l’homme, qui ne font l’objet d’aucune menace ou intimidation.

4.M me Makentsop Wamba (Cameroun) dit que la définition de la torture figurant dans le nouveau Code pénal adopté en juillet 2016 tient compte du contexte spécifique au pays en ce qu’elle permet d’incriminer les actes de torture commis par les autorités traditionnelles. Les sanctions légitimes sont celles prévues à l’article 18 du Code pénal, à savoir la peine de mort, l’emprisonnement et l’amende. Le régime disciplinaire dans les prisons relève également des sanctions légitimes. Les statistiques de l’année 2016 attestent de la volonté du Cameroun de continuer à lutter contre toutes les formes d’atteintes à l’intégrité physique ou morale commises par les agents de la force publique. Ainsi, en 2016, des poursuites ont été engagées contre 175 personnes, dont 14 ont été condamnées à ce jour. En outre, le Gouvernement poursuit ses efforts de formation et de sensibilisation des forces de sécurité et de défense. Les personnes ayant fait l’objet d’une garde à vue ou d’une détention provisoire abusive peuvent désormais saisir la Commission d’indemnisation créée au sein de la Cour suprême en vertu de l’article 237 du Code de procédure pénale. Depuis son entrée en fonction en février 2015, la Commission d’indemnisation a été saisie de demandes d’un montant total de 2 milliards de francs CFA. Enfin, l’article 315 du Code de procédure pénale donne la possibilité aux juges d’annuler les procès-verbaux relatifs aux aveux obtenus par la torture ainsi que tous les actes subséquents.

5.En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, Mme Makentsop Wamba dit que le Cameroun subit depuis 2013 les exactions du groupe Boko Haram dans l’extrême nord du pays. À ce jour, le nombre de victimes, principalement civiles, dépasse 2 000. Le Cameroun applique la Stratégie antiterroriste mondiale et le respect des droits fondamentaux est à la base de son action, comme en témoignent les activités de formation des forces de défense au respect des droits de l’homme, les sanctions prises contre les personnels de ces forces en cas d’écart de conduite et les poursuites engagées contre les auteurs d’actes de terrorisme. Dans le cadre de la formation, un accent particulier est mis sur l’obligation de ne pas respecter les ordres manifestement illégaux de commettre des actes de torture. En ratifiant des instruments de lutte contre la torture, le Cameroun s’est engagé non seulement à prévenir la torture, mais également à enquêter sur les actes de torture et à en sanctionner les auteurs. Pour ce faire, des gendarmes, qui jouent le rôle d’officiers de police judiciaire, ont été affectés auprès de chaque formation de combat pour relever les infractions, mener les enquêtes et déférer les militaires mis en cause devant les juridictions compétentes. Des sanctions judiciaires, administratives et disciplinaires ont été prises. Les lieux de détention sont quant à eux officiellement connus ; ils sont gérés par le Ministère de la justice (dans le cas des prisons) et la police et la gendarmerie (dans le cas des chambres de sûreté) sous le contrôle du Procureur de la République. Les allégations d’Amnesty International quant à l’existence d’une chambre de torture secrète sur la base du Bataillon d’intervention rapide à Maroua ont été démenties par le témoignage de journalistes qui ont visité cette base. Par ailleurs, le Cameroun réfute l’existence de fosses communes sur son territoire. L’État a fait le choix de poursuivre les terroristes en justice et non de les exécuter. L’analyse des décisions rendues par les tribunaux militaires dans les cas de terrorisme montre bien que les poursuites contre les membres de Boko Haram se déroulent dans le respect du droit et ne débouchent pas systématiquement sur des condamnations.

6.La loi 2017/012 du 12 juillet 2017 modifie le délai de garde à vue pour les affaires de terrorisme, qui passe à quarante-huit heures, renouvelable une fois puis prorogeable deux fois sur autorisation du Commissaire du Gouvernement. Le choix qu’a fait le Gouvernement de poursuivre en justice les personnes soupçonnées de terrorisme a engendré de nouveaux défis s’agissant de la surpopulation carcérale. Ainsi la prison centrale de Maroua, qui avait une capacité d’accueil initiale de 300 places, comptait en juillet 2017 plus de 1 500 détenus, dont près de la moitié pour terrorisme. Des travaux d’agrandissement et d’amélioration des conditions de détention y ont été entrepris. Les allégations d’exécutions sommaires massives sont contredites par le niveau de surpopulation carcérale lié à la lutte contre Boko Haram. Le Cameroun entend poursuivre cette lutte dans le strict respect des droits de l’homme. Un programme d’urgence triennal d’un montant de 4 milliards de francs CFA a notamment été mis en place dans les régions septentrionales pour lutter contre la pauvreté, terreau de l’extrémisme.

7.En ce qui concerne les mineurs impliqués dans des affaires de terrorisme, il convient de rappeler que Boko Haram utilise des mineurs pour commettre des attentats-suicide. En 2015, 29 attaques ont ainsi été perpétrées, principalement par des fillettes. La loi du 12 juillet 2017 portant Code de justice militaire exclut le jugement des mineurs par des tribunaux militaires. Les mineurs utilisés par Boko Haram sont traités comme des victimes de violations du droit international. En mai 2017, tous les mineurs encore détenus dans le cadre de la lutte contre Boko Haram ont été libérés. En collaboration avec l’UNICEF, le Cameroun a élaboré un protocole d’accord sur la prise en charge des enfants associés à Boko Haram en vue de la déjudiciarisation de leur traitement et de leur réadaptation. En outre, un quartier spécifique pour les mineurs a été construit à la prison centrale de Garoua.

8.La loi 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression du terrorisme n’a pas pour objet de restreindre la liberté d’expression, mais d’incriminer l’apologie des actes de terrorisme, y compris par voie de médias. Les journalistes qui ont fait l’objet de poursuites judiciaires en lien avec le terrorisme l’ont été dans ce cadre. Ahmed Abba, condamné en 2017 à dix ans de réclusion par le tribunal militaire de Yaoundé, a fait appel de cette décision. L’affaire est pendante devant la Cour d’appel de la région du Centre. Quant à Baba Wame, Rodrigue Tongue et Félix Ebolé, poursuivis pour non-dénonciation d’activités pouvant nuire à la défense nationale, ils ont été acquittés. L’État partie entend continuer d’encadrer l’activité des journalistes pour développer leur professionnalisme. Le Conseil national de la communication a ainsi organisé de nombreuses sessions de formation depuis 2013. Il consulte aussi régulièrement les associations professionnelles du secteur.

9.Le Cameroun a promulgué en 2010 le décret de ratification du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le dépôt des instruments de ratification est en cours. Desdiscussions ont été conduites au niveau national en vue de la mise en place d’un mécanisme national de prévention de la torture, et des propositions en ce sens sont à l’étude. La surpopulation carcérale demeure un défi pour l’État : le nombre de détenus s’élevait à 28 927 en septembre 2017, pour 17815places de prison. Pour y remédier, l’accent a été mis sur la réduction de la détention provisoire, notamment grâce au recrutement de magistrats, sur l’introduction de mesures de substitution à l’emprisonnement (travaux d’intérêt général et sanction‑réparation) et sur la construction de nouvelles prisons ou la rénovation des établissements existants, ainsi que leur équipement. Pour réduire la mortalité en prison liée aux maladies, un plan national de la santé pénitentiaire a été adopté en 2017 et les effectifs du personnel soignant ont été considérablement accrus. Le budget alloué à l’alimentation des détenus est passé d’environ 2 milliards de francs CFA en 2013 à plus de 3 milliards de francs CFA en 2017. Parailleurs, le principe de la séparation des détenus entre adultes et mineurs et entre femmes et hommes est observé dans la quasi-totalité des prisons.

10.En ce qui concerne le jugement de civils par des tribunaux militaires, il convient de souligner que les mineurs de 18 ans ne sont pas justiciables devant ces juridictions. Ces tribunaux ne sont pas des cours martiales au sens strict, mais des juridictions à compétence spéciale, qui appliquent des règles procédurales de droit commun pour juger des affaires d’une nature particulière. Les personnes poursuivies devant ces tribunaux bénéficient donc des mêmes garanties procédurales que celles poursuivies devant les tribunaux de droit commun. La composition de ces tribunaux est mixte : les magistrats qui y siègent sont soit des militaires, soit des civils, et tous reçoivent la même formation. Les droits de la défense y sont garantis, et les accusés n’ayant pas choisi de défenseur se voient attribuer un avocat un commis d’office lorsqu’ils sont passibles de la peine capitale ou perpétuelle. Les décisions de ces tribunaux doivent être motivées sous peine de nullité. Elles sont susceptibles d’opposition ou d’appel devant la Cour d’appel de la région concernée, juridiction civile composée de magistrats civils.

11.Pour ce qui est des rapports entre l’exécutif et le judiciaire, l’article 64 du Code de procédure pénale donne pouvoir au Procureur général, sur autorisation écrite du Ministre de la justice, de requérir l’arrêt des poursuites pénales à tout stade de la procédure avant qu’une décision ne soit intervenue sur le fond lorsque ces poursuites sont de nature à compromettre l’intérêt social ou la paix publique. Il s’agit là de la procédure du nolle prosequi, qui existe dans plusieurs systèmes juridiques de Common law. Cette procédure a été utilisée dans la crise anglophone par souci d’apaisement. Au demeurant, l’arrêt des poursuites ne met pas fin à l’action civile.

12.La gestion des lieux de détention relève du Ministère de la justice. Les prisons sont régulièrement contrôlées par les procureurs de la République, qui font rapport au Ministre de la justice, et par l’Inspection des services de l’administration pénitentiaire. Les organisations de défense des droits de l’homme et les organisations internationales peuvent également être autorisées à visiter les lieux de détention. Ainsi, entre 2013 et 2015, la Commission nationale des droits de l’homme a visité 48 lieux de détention, et en 2014 et 2015 le CICR a rencontré environ 5 500 détenus lors de visites des lieux de détention dans les régions de l’Extrême-Nord, de l’Est et du Centre, qui ont débouché sur un suivi individuel de la situation de 216 détenus. Pour ce qui est de la garde à vue, les procureurs de la République effectuent régulièrement des contrôles à l’issue desquels ils peuvent ordonner la libération immédiate de toute personne gardée abusivement.

13.En ce qui concerne l’assassinat de M. Éric Lembembe, directeur exécutif de la Cameroonian Foundation for AIDS (CAMFAIDS), le Procureur de la République a requis l’ouverture d’une information judiciaire, qui a abouti à une ordonnance de non-lieu. L’homosexualité reste une infraction punie par la loi, mais les personnes LGBTI ne font pas spécialement l’objet de harcèlement de la part des pouvoirs publics. Lorsqu’elles sont poursuivies, elles bénéficient de toutes les garanties procédurales. Ainsi, la Cour d’appel du Centre a relaxé, le 7 janvier 2013, Jonas Singha, Franky Djome et Hilaire Nguiffo, condamnés en première instance pour homosexualité.

14.En ce qui concerne les droits des femmes, la Stratégie nationale de lutte contre les violences fondées sur le genre adoptée en 2011 a été actualisée en 2016. Dans ce cadre, le Gouvernement a mené avec l’appui de la société civile des campagnes de sensibilisation qui ont touché en 2016 près de 50 000 personnes, notamment des acteurs clefs dont les parlementaires et les chefs traditionnels et religieux. Le Code pénal a été révisé en 2016, et les violences à caractère sexiste, dont les mutilations génitales féminines, le repassage des seins, le harcèlement sexuel, le mariage précoce et l’expulsion du domicile conjugal, sont désormais réprimées par la loi. Les violences conjugales sont sanctionnées par diverses dispositions du Code pénal. La difficulté vient de ce que les victimes gardent le silence pour préserver la cohésion familiale. La définition du viol sanctionne toutes les formes de viol, y compris le viol conjugal. Selon l’article 297 du Code pénal, le mariage entre l’auteur d’un viol ou d’un enlèvement et sa victime n’exempte plus celui-ci de poursuites pénales. En 2016, 344 procès-verbaux d’enquêtes pour viol ont été enregistrés, donnant lieu à 264 décisions judiciaires, dont 153 condamnations, contre 485 procès-verbaux d’enquête ayant donné lieu à 258 poursuites et 157 condamnations en 2015. La prise en charge psychosociale des victimes a été renforcée grâce à la mise en place de permanences téléphoniques et de guichets d’accueil ainsi qu’à un accompagnement par les acteurs de la société civile. Le plan d’action quinquennal contre les mutilations génitales féminines actualisé en 2016 s’est traduit par des campagnes de sensibilisation qui ont touché plus de 400 000 personnes de 2014 à 2016, et par la reconversion de 70 exciseurs. La lutte contre les mariages précoces et forcés a été intensifiée ; toute personne donnant en mariage des mineurs est désormais passible de sanctions pénales. La campagne de l’Union africaine contre les mariages d’enfants a été lancée au niveau national en novembre 2016.

15.Des formations et des colloques sur la lutte contre la traite des personnes ont été organisés à l’intention de toutes les parties prenantes en vue de l’application effective des dispositions de l’article 342-1 du Code pénal, qui sanctionnent le trafic et la traite des personnes. Des équipes régionales de lutte contre la traite des personnes ont également été mises en place. En 2016, 38 cas de trafic et traite de personnes ont fait l’objet d’enquête, et plusieurs condamnations ont été prononcées. Ainsi, l’un des auteurs a été condamné à un an d’emprisonnement, à 500 000 francs CFA d’amende et à des dommages et intérêts d’un montant de 2 millions de francs CFA.

16.À la fin de l’année 2016, le Cameroun comptait environ 88 000 réfugiés nigérians et 288 000 réfugiés centrafricains. La loi de 2005 sur le statut des réfugiés dispose qu’ils doivent être assimilés aux nationaux. La commission d’admission au statut de réfugié a été rendue opérationnelle en 2016, ce qui constitue une étape vers l’appropriation nationale du processus de détermination du statut de réfugié. Des accords en ce sens ont été conclus avec le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Un comité ad hoc a été constitué en 2014 pour la prise en charge des situations humanitaires d’urgence, et une convention signée en 2016 avec le HCR permet de prendre en charge les frais médicaux des réfugiés à hauteur de 30 %. En outre, différents plans d’aide aux réfugiés et aux déplacés internes ont été élaborés depuis 2013, bien que l’État peine à mobiliser les ressources nécessaires à leur mise en œuvre. En ce qui concerne les allégations de renvoi forcé, il convient de signaler qu’un accord tripartite pour le rapatriement volontaire des réfugiés nigérians a été signé le 2 mars 2017. Dans ce cadre, environ 13 000 personnes sont retournées dans leur pays d’origine. Par ailleurs, le Gouvernement a formé depuis 2015 plus de 400 policiers à la protection des femmes et des enfants contre les violences dans les situations de crise humanitaire. Des formations similaires seront bientôt dispensées aux magistrats. Pour ce qui est de l’enregistrement des enfants de réfugiés, l’ordonnance 81/002 du 9 juin 1981 portant organisation de l’état civil prévoit que tout enfant né au Cameroun peut se voir délivrer un acte de naissance. En outre, des audiences spéciales sont organisées pour délivrer des jugements supplétifs d’actes de naissance aux réfugiés. Le Gouvernement a aussi mis en place un Bureau national de l’état civil, et il a adopté en 2017 un plan stratégique de réhabilitation de l’état civil dans le cadre duquel des campagnes de sensibilisation ont été organisées à l’intention des officiers d’état civil, des chefs de village et des personnels de santé.

17.M. Hani (Rapporteur pour le Cameroun) relève avec inquiétude que, d’après les réponses de la délégation, la peine minimale encourue par les auteurs d’actes de torture n’est que de deux ans et que, de surcroît, cette peine est susceptible de sursis. Il relève également avec inquiétude qu’en vertu des articles 90 à 92 du Code de procédure pénale de 2016, les juges peuvent retenir des circonstances atténuantes et, partant, prononcer des peines plus légères contre des personnes reconnues coupables de torture. La délégation est priée de donner des explications sur ce point et de préciser si l’imprescriptibilité des faits de torture est consacrée dans la législation interne. Rappelant que, dans ses précédentes observations finales, le Comité s’était dit préoccupé par le fait que les gendarmes et les militaires ne pouvaient être poursuivis qu’après l’obtention d’une autorisation du Ministère de la défense, le Rapporteur demande si, compte tenu du nombre considérable de militaires participant à la lutte antiterroriste, l’État partie estime nécessaire de maintenir cette exigence. Le Comité s’était également dit préoccupé par la durée de la garde à vue en cas d’état d’urgence qui, en vertu de la loi no90/047 de 1990 sur l’état d’urgence, était de deux mois, renouvelable une fois. Le Rapporteur aimerait savoir si les dispositions pertinentes ont été modifiées et si l’état d’urgence est en vigueur dans les régions anglophones du pays comme l’affirment certaines sources. Il fait observer que les revendications à l’origine de la crise anglophone sont avant tout d’ordre social et que ce type de revendication est courant dans le monde. Même en cas de troubles dans un tel contexte, la plupart des États traduisent les responsables présumés des violences devant leurs juridictions civiles. Tout en prenant bonne note des explications de la délégation, M. Hani ne voit toujours pas la nécessité pour l’État partie de faire juger les civils arrêtés dans le contexte de la crise anglophone par des juridictions militaires, ni de mettre en place un tribunal militaire permanent dans chacune des régions concernées. Les commentaires de la délégation sur ce point seront les bienvenus.

18.Relevant que les personnes démunies peuvent bénéficier des services d’un avocat commis au titre de l’aide juridictionnelle si elles encourent la peine capitale ou la réclusion criminelle à perpétuité, M. Hani demande ce qu’il en est des personnes sans ressources qui sont soupçonnées d’infractions de moindre gravité. Enfin, il prend note des objections de la délégation qui nie l’existence de centres de détention secrets dans le pays et d’un local qui selon Amnesty International aurait servi de chambre de torture au Bataillon d’intervention rapide sur la base de Maroua Salak et demande pourquoi les autorités camerounaises ne vont pas plus loin en menant une enquête en bonne et due forme sur les allégations nombreuses et précises de torture contenues dans les rapports des organisations de la société civile.

19.M me Belmir  (Corapporteuse pour le Cameroun) dit que les mesures disciplinaires telles que l’enchaînement ne sauraient être qualifiées de légitimes et que seules les sanctions résultant d’une décision judiciaire prononcée en application de la législation pénale et susceptible de recours devant une juridiction supérieure peuvent être considérées comme telles. Elle relève toutefois avec satisfaction qu’en 2013, les délégués régionaux de l’administration pénitentiaire ont décidé de ne plus enchaîner les détenus malades et que la question de l’abolition de l’enchaînement des personnes privées de liberté continue d’être débattue dans l’État partie.

20.M. Touzé, constatant que les questions qu’il avait posées lors de la première partie du dialogue sont restées sans réponse, demande une nouvelle fois combien des manifestants arrêtés entre novembre 2016 et février 2017 dans le contexte de la crise anglophone se trouvent encore en détention et si des enquêtes et des procédures pour usage excessif de la force ont été ouvertes. Il voudrait en outre savoir si l’État partie a diligenté des enquêtes et procédé à des exhumations afin de donner suite aux allégations reproduites dans le rapport du Haut-Commissaire aux droits de l’homme sur les atrocités commises par le groupe terroriste Boko Haram (A/HRC/30/67), d’après lesquelles les forces camerounaises auraient tué 70 personnes et jeté leur dépouille dans une fosse commune à Mindif. Enfin, la délégation est invitée à préciser si des enquêtes et des poursuites ont été ouvertes sur les informations indiquant que sept personnes ont été tuées par le Bataillon d’intervention rapide lors d’une opération menée à Bornori en novembre 2014, qu’au moins 30 personnes ont été tuées par l’armée à Achigachiya en janvier 2015 et que 17nouveaux cas de disparition forcéeont été recensés entre avril 2015 et février 2016.

21.M. Bruni demande à nouveau si, dans les affaires de détention abusive citées dans le rapport de l’État partie, les responsables ont été jugés et sanctionnés. Il aimerait savoir comment une personne qui n’a pas droit à l’aide juridictionnelle du fait que l’infraction dont elle est soupçonnée est de moyenne ou de faible gravité peut assurer sa défense, en particulier si elle est analphabète. Enfin, il souhaiterait savoir si l’État partie a fixé une échéance pour le dépôt des instruments de ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

22.M me  Gaer souhaiterait connaître les motifs du non-lieu dans l’affaire concernant M. Éric Lembembe, directeur exécutif de la CAMFAIDS et défenseur des droits des personnes LGBTI, qui aurait été torturé avant d’être assassiné. Se référant au rapport transmis par la CAMFAIDS, l’Observatoire national des droits des personnes LGBT et de leurs défenseurs et The Advocates for Human Rights, elle demande s’il est exact que les enquêteurs n’ont pas pris de photographies ni procédé à des relevés d’empreintes sur la scène de l’assassinat et, le cas échéant, quelles en sont les raisons. Elle demande s’il est également exact que le rapport d’examen post‑mortem ne fait aucune mention de brûlures ou de blessures sur le corps de M. Lembembe et, rappelant l’existence de manuels tels que le Protocole d’Istanbul et le Protocole du Minnesota, s’enquiert des procédures d’enquêtes appliquées dans l’État partie en cas de mort suspecte. Elle souhaiterait en outre savoir si des actes présumés de violence par des policiers sur des personnes LGBTI placées en garde à vue ont été signalés et, dans l’affirmative, si des enquêtes ont été ouvertes et quelles en ont été les conclusions.

23.Se référant à un rapport du Département d’État des États-Unis sur la traite des personnes, Mme Gaer demande combien d’auteurs d’actes de traite ont été condamnés avec sursis et combien ont eu à purger la totalité de leur peine. Les réponses à ces questions seraient bienvenues pour interpréter la baisse du nombre d’enquêtes et de condamnations concernant des faits de traite, et pour déterminer s’il existe une situation d’impunité. Il serait également utile de savoir quelle aide juridictionnelle l’État partie apporte à ses ressortissants victimes de la traite qui se trouvent à l’étranger.

24.Le Président, s’exprimant en tant que membre du Comité, réitère sa question concernant les mesures prises en vue d’assurer une réparation aux victimes de la torture.

25.M. Hani (Rapporteur pour le Cameroun) demande si l’État partie prévoit de réviser les dispositions légales qui n’interdisent l’enchaînement à titre de mesure disciplinaire en milieu carcéral que pour les détenus malades. Il réitère la recommandation faite à l’issue de l’examen du quatrième rapport périodique, dans laquelle le Comité invitait l’État partie à prévoir un recours juridictionnel en cas d’arrêt de poursuites pénales sur décision du Ministre de la justice, même si cette décision était prise au nom de l’intérêt social ou de la paix publique. Il aimerait savoir si l’État partie entend rendre effective son invitation permanente au Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, au Groupe de travail sur la détention arbitraire et au Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, qui pourraient lui apporter une aide précieuse. Il demande s’il existe des programmes de démobilisation et de réadaptation à l’intention des enfants qui ont été enrôlés dans des groupes terroristes. Il invite de nouveau la délégation à apporter des précisions sur le nombre de décès enregistrés en prison (environ deux par mois) et sur la révision des dispositions relatives à la contrainte par corps en cas de non‑exécution de sanctions pécuniaires. Il aimerait savoir de combien de demandes la Commission d’indemnisation en cas de garde à vue ou de détention provisoire abusive a été saisie et combien de ces demandes ont abouti.

La séance est suspendue à 17 h 10 ; elle est reprise à 17 h 40.

26.M. Bidima (Cameroun) tient à souligner que la crise anglophone, née de revendications corporatistes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, s’est muée en une véritable insurrection, menée par des partisans de la sécession du pays dotés d’un arsenal de guerre. La délégation n’est pas en mesure de donner le nombre exact de personnes interpellées au cours des événements des derniers mois. M. Bidima regrette que le REDHAC n’ait pas rendu publique l’identité de la centaine de personnes qui, selon les informations que celui-ci avait transmises aux médias, auraient été tuées lors des manifestations du 1er octobre 2017, car cela aurait permis d’ouvrir des enquêtes. Il reconnaît que certaines organisations non gouvernementales contribuent de manière louable à la protection des droits de l’homme, mais considère que les travaux de Mme Maximilienne Ngo Mbe, directrice exécutive du REDHAC, relèvent de l’activisme. Il affirme qu’il n’y a pas d’état d’urgence dans les régions anglophones du pays. En ce qui concerne les titulaires de mandat au titre de procédures spéciales, il précise que deux d’entre eux se sont déjà rendus au Cameroun et que les visites des autres ont reçu l’aval du chef de l’État.

27.M me Makentsop  Wamba (Cameroun) dit que, conformément à l’article 277-3 du Code pénal, les peines pour actes de torture sont proportionnées à la gravité des faits reprochés et sont décidées par le juge en fonction des circonstances dans lesquelles ces actes ont été commis et de la personnalité de leurs auteurs. En vue de lutter contre l’impunité, la loi no 2017/012 du 12 juillet 2017, portant Code de justice militaire, ne subordonne plus les poursuites contre des membres de la police et de l’armée à l’autorisation du Ministre de la défense. Le Code de procédure pénale constitue le texte de référence devant les tribunaux civils et les tribunaux militaires. Aussi bien les militaires que les civils qui sont déférés devant des tribunaux militaires bénéficient de toutes les garanties juridictionnelles découlant du droit interne et des règles internationales transposées en droit interne, dont le plein respect des droits de la défense. De plus, ce sont très souvent des juges civils qui siègent dans les tribunaux militaires, assumant ainsi leur charge dans les deux types de juridictions. Des mesures normatives et structurelles sont prises pour remédier au problème de la surpopulation carcérale et la pratique de l’enchaînement à des fins disciplinaires est susceptible d’être réexaminée dans le cadre de la réforme du régime pénitentiaire et de l’alignement probable de celui-ci sur les normes internationales applicables. En vertu du Code de procédure pénale, le délai de garde à vue ne peut excéder quarante-huit heures et est renouvelable une fois. Il s’applique également en matière militaire, les délais spéciaux dans les affaires de terrorisme ayant été supprimés. Les personnes ayant subi une prolongation injustifiée de leur garde à vue peuvent non seulement être indemnisées, en application de l’article 236 du Code de procédure pénale, mais aussi porter plainte. La durée maximale de la détention provisoire est de six mois, renouvelable une fois, en matière délictuelle et de dix‑huit mois en matière pénale. Si cette durée n’est pas respectée, la personne détenue peut saisir le juge de l’habeas corpus, qui ordonnera sa libération immédiate.

28.La délégation s’étonne que les autorités camerounaises n’aient pas été informées par le Centre des Nations Unies pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique centrale, pourtant situé à Yaoundé, des allégations figurant dans le rapport du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme (A/HRC/30/67), selon lesquelles l’armée camerounaise aurait tué plus de 70 personnes et jeté leur corps dans des fosses communes. La connaissance de ces informations aurait permis l’ouverture d’enquêtes. De même, le parti pris par Amnesty International de préserver l’anonymat des victimes empêche d’enquêter sur les allégations présentées par cette organisation dans son rapport 2016‑2017. En ce qui concerne le refoulement d’une centaine de milliers de réfugiés nigérians du territoire camerounais, la délégation s’étonne du chiffre ainsi avancé, à l’heure où le camp de Minawao accueille environ 80 000 Nigérians.

29.L’accès des personnes démunies à la justice est notamment garanti par la loi no 2009/004 du 14 avril 2009, portant organisation de l’assistance judiciaire. En 2016, 297 demandes d’assistance judiciaire ont été déposées, donnant lieu à 115 décisions d’accord total et à 17 décisions d’accord partiel. De plus, dans le cadre du projet « barreau, gouvernance et état de droit », mis en œuvre avec l’appui de la Commission européenne, des avocats ont apporté gratuitement des conseils juridiques à des justiciables sans ressources dans plus de 3 700 affaires.

30.Mme Makentsop Wamba rappelle que, à la suite de la mort suspecte de M. Éric Lembembe, une enquête avait été ouverte par le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Yaoundé, dans le cadre de laquelle les membres de la famille de la victime avaient été entendus. Aucun coupable n’ayant pu être identifié, une ordonnance de non-lieu avait été prononcée. Elle réaffirme que les personnes LGBTI ne font pas l’objet de discrimination et ont droit aux mêmes prestations, médicales ou juridiques, que le reste de la population. De fait, des personnes condamnées pour homosexualité ont été relaxées en appel.

31.Le Président rappelle que la délégation dispose de quarante-huit heures pour apporter par écrit les réponses aux questions du Comité qu’elle n’aurait pas eu le temps de donner pendant la séance.

La séance est levée à 18 h 5.