NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.34813 novembre 1998

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Vingt et unième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 348e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le mercredi 11 novembre 1998, à 10 heures

Président: M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Rapport initial de la Yougoslavie

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (suite)

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l’une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d’édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

La séance est ouverte à 10 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 4 de l’ordre du jour)

Rapport initial de la Yougoslavie (CAT/C/16/Add.7; HRI/CORE/1/Add.40)

1. Sur l’invitation du Président, M. Hodza, M. Djordjevic, M. Krstic, M me  Sokovic, M me  Nikolic et M me  Boskovic ‑Prodanovic (Yougoslavie) prennent place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation à présenter le rapport initial de la Yougoslavie (CAT/C/16/Add.7).

3.M. HODZA (Yougoslavie) dit qu’en ratifiant la Convention en 1991, la Yougoslavie a reconnu la compétence du Comité au titre des articles 21 et 22. Son pays a ratifié tous les grands instruments relatifs aux droits de l’homme, notamment les deux Pactes internationaux, la Convention relative aux droits de l’enfant, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Son pays s’efforce toujours, lorsque les circonstances le permettent, de s’acquitter de son obligation de présenter des rapports.

4.Au cours de la période considérée, la guerre civile dans les pays avoisinants et les dures sanctions économiques imposées à la Yougoslavie ont eu des effets très négatifs sur le développement économique, politique et social et ont empêché la Yougoslavie de s’acquitter en temps voulu des obligations qui lui incombent au titre des traités internationaux, y compris de la Convention.

5.La République fédérale de Yougoslavie se compose des républiques de Serbie et du Monténégro, elle est l’État successeur de l’ex‑Yougoslavie et a réussi à préserver la stabilité intérieure du pays et la coexistence de plusieurs ethnies, plusieurs dénominations et plusieurs cultures. Elle a continué à satisfaire les besoins fondamentaux de ses citoyens malgré l’isolement international, la guerre chez ses voisins, les sanctions économiques et la présence de quelque 700 000 réfugiés de Croatie et de Bosnie‑Herzégovine. La Yougoslavie a également continué à promouvoir la société civile, la légalité et le respect des droits de l’homme. La Constitution fédérale et les constitutions des deux républiques garantissent les droits des minorités.

6.La Constitution fédérale garantit le droit à la vie, à l’intégrité physique et mentale, à la vie privée ainsi qu’à la dignité de la personne et à la sécurité. Elle garantit le respect de la dignité humaine dans les procédures pénales et autres procédures judiciaires, tant dans les périodes de restriction et de privation de liberté qu’au cours de l’exécution de la peine. Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements dégradants. Des expériences médicales et autres ne peuvent avoir lieu sans le consentement de la personne concernée.

7.La Constitution fédérale stipule que tout individu a droit à la liberté de sa personne, que nul ne peut être privé de liberté, comme le prescrit la loi et que toute personne privée de liberté a le droit de choisir un défenseur qui agira en son nom. La détention provisoire, les actes de violence à l’encontre d’une personne privée de liberté ou dont la liberté a été restreinte ainsi que l’extorsion d’aveux ou de témoignages sont des infractions passibles de sanctions. Les constitutions et la législation pénale de la République fédérale de Yougoslavie garantissent le droit à un procès équitable, l’impunité pour les actes qui ne sont pas passibles d’une peine au moment où ils ont été commis, la présomption d’innocence, le droit de recours, notamment l’accès à des recours extraordinaires et constitutionnels, ainsi que le droit à indemnisation et compensation pour les dommages encourus dans les cas de privation injustifiée de liberté ou de décision infondée du tribunal.

8.La Constitution fédérale garantit l’égalité à tous les citoyens, quels que soient leur origine ethnique, leur race, leur sexe, leur langue, leur religion, leurs croyances politiques ou autres, l’éducation, l’appartenance sociale, la situation financière et d’autres caractéristiques personnelles. Toutes les violations du principe d’égalité sont passibles d’une sanction au titre du droit pénal du pays.

9.Suite à l’adoption de la Constitution fédérale en 1992, un vaste processus de réformes législatives a été entrepris, l’Assemblée fédérale devrait adopter un nouveau projet de code pénal fédéral en 1999 pour remplacer le Code pénal yougoslave, le Code pénal serbe et le Code pénal du Monténégro. Le nouveau Code pénal, fondé sur la recherche et la pratique yougoslaves et sur la législation pénale moderne d’autres pays européens ne contiendrait aucune disposition relative à la peine de mort. Un projet de code de procédure pénale a également été élaboré en tenant compte de principes similaires.

10.La situation dans la province autonome de Serbie du Sud au Kosovo‑et‑Metohija a récemment absorbé l’attention des médias internationaux. Les 26 minorités nationales vivant dans le territoire de la République fédérale de Yougoslavie représentent environ un tiers de la population du pays. La Constitution fédérale contient des dispositions spéciales relatives aux personnes appartenant à des minorités nationales basées sur les normes internationales, notamment celles énoncées dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans la Convention‑cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe. Au Kosovo‑et‑Metohija, les partis et associations politiques albanais sont libres, de nombreux journaux, quotidiens et hebdomadaires, et les livres sont publiés en langue albanaise et les médias électroniques diffusent un grand nombre de programmes en albanais. Les personnes appartenant à la minorité nationale albanaise jouissent de tous les droits au titre de la Constitution et de la législation de la Yougoslavie, sans restriction aucune.

11.Toutefois, un nombre considérable de personnes appartenant à cette minorité ont choisi de ne pas participer à la vie sociale et politique du pays, ont refusé de voter ou de participer aux élections, de prendre part au recensement et d’exercer leurs droits à l’éducation et à la culture. Dans le même temps, elles ont tiré parti, lorsque cela leur convenait, de ces droits, notamment de l’accès aux services de soins de santé, des prestations de retraite, des avantages sociaux et des droits d’enregistrement et d’exploitation de sociétés privées.

12.Des terroristes albanais à forte tendance séparatiste opèrent sur le territoire du Kosovo‑et‑Metohija depuis plusieurs années. Au cours des neuf premiers mois de 1998, quelque 1 500 incidents terroristes ont coûté la vie à 152 civils, et à plus de 100 officiers de police et ils ont blessé environ 130 civils et 380 officiers de police. Les victimes civiles étaient des Serbes, des Monténégrins et des personnes appartenant aux minorités albanaises et autres minorités nationales. Les terroristes albanais ont procédé à l’intimidation, au chantage et à l’enlèvement de civils qui ont refusé de leur accorder un soutien politique, financier ou autre. Ils ont enlevé 260 civils et 11 officiers de police.

13.Les autorités ont pris les mesures appropriées, conformément à la loi pour faire face à la menace terroriste. Un accord politique a été récemment conclu avec le Président Slobodan Milosevic et le Représentant spécial des États‑Unis, M. Richard Holbrooke. Un plan en 11 points a été adopté et un calendrier fixé pour un règlement politique de la question du Kosovo‑et‑Metohija. Les Gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie sont déterminés à tout faire pour parvenir à un règlement politique pacifique dès que possible. Conformément à un accord conclu entre le Gouvernement fédéral et le Président de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), une mission de vérification de l’OSCE vient d’être déployée.

14.La législation yougoslave, en particulier la législation pénale a été harmonisée avec les dispositions de la Convention. Il ne s’est pas produit de cas de torture ni de mauvais traitements, uniquement des cas d’abus ou d’usage non approprié du pouvoir, liés dans la plupart des cas à l’application de moyens de coercition (force physique ou matraque). Ces actes sont passibles de sanctions au titre de la loi.

15.Le Gouvernement yougoslave ne doute pas que sa coopération avec le Comité contribuera à une mise en œuvre intégrale des dispositions de la Convention en Yougoslavie.

16.M. YAKOVLEV (Rapporteur du pays) dit que le haut niveau de la délégation yougoslave témoigne de la bonne volonté des autorités à coopérer pleinement avec le Comité.

17.Le Comité appuie fermement le principe selon lequel aucune circonstance interne ou externe ne peut être invoquée pour justifier des violations de la Convention et il félicite la Yougoslavie d’avoir reconnu la compétence du Comité à recevoir et à examiner les communications émanant de personnes soumises à sa juridiction ou en leur nom qui prétendaient être victimes d’une violation des dispositions de la Convention.

18.Le rapport initial de la Yougoslavie devait être présenté en 1992. M. Yakovlev ne doute pas qu’à l’avenir le Gouvernement communiquera plus rapidement ses rapports. Il se félicite, toutefois, que l’article 25 de la Constitution fédérale interdise la violence à l’encontre de personnes privées de leur liberté et l’extorsion d’aveux ou de déclarations. Le Comité serait bien sûr très intéressé à avoir davantage d’informations sur la mise en œuvre pratique de cette disposition.

19.M. Yakovlev se félicite de l’élaboration d’un nouveau code pénal et un nouveau code de procédure pénale et il demande comment la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention sera incorporée dans cette nouvelle législation de manière à ce qu’elle ne se restreigne pas simplement à la violence par des agents publics. En référence au paragraphe 37 du rapport, certains cas de mauvais traitements ayant provoqué la mort des détenus, les condamnations s’accompagnent‑elles de peines de prison et dans l’affirmative pendant combien de temps? Les tribunaux disciplinaires mentionnés tiennent‑ils compte des personnes extérieures aux forces de police ou du personnel médical? Quel est le type d’indemnisation ou de compensation auquel les victimes ont droit lorsque l’abus de pouvoir a été clairement identifié au moment du prononcé? Existe‑t‑il un système d’inspection indépendant des lieux de détention puisque cette inspection peut exercer un effet préventif? La formation du personnel pénitentiaire, des membres de la police et des juges comprend‑elle des informations sur les droits de l’homme et, plus précisément, sur la Convention contre la torture? Les tribunaux sont‑ils tenus d’enquêter sur les allégations de torture au cours de la garde à vue? Un tribunal a‑t‑il appliqué le principe de la non‑recevabilité de la preuve obtenue par la torture? M. Yakovlev souhaiterait également obtenir des informations sur les circonstances sociales et politiques existantes qui sont extrêmement importantes, au regard d’un cadre juridique approprié, pour la mise en œuvre de la Convention.

20.M. ZUPANČIČ (Corapporteur pour la Yougoslavie) se félicite des aspects positifs du rapport mais souhaiterait soulever certains aspects techniques et juridiques. Il importe de toute évidence de définir la torture en ayant à l’esprit l’article premier de la Convention et d’incorporer systématiquement l’acte de torture dans le Code pénal et dans les autres législations, conformément à l’article 4. Certains États estiment que la torture entre dans le cadre d’autres infractions connexes, mais en fait la définition contenue à l’article premier est très spécifique et, de manière idéale, devrait être incorporée intégralement. L’intention et la complicité dans la commission d’un acte de torture devraient également être passibles de sanctions. Ces aspects sont d’autant plus importants que la République fédérale de Yougoslavie est sur le point d’adopter sa nouvelle législation pénale.

21.En ce qui concerne l’article 15 de la Convention, une disposition a été introduite dans la législation interne en 1974 sur l’irrecevabilité de la preuve falsifiée dans les procès, ce qui inclurait la preuve obtenue par la torture. Toutefois, il conviendrait de veiller à empêcher les juges chargés de se prononcer sur le fond d’être exposés à ces preuves. Est‑il prévu d’incorporer la règle d’exclusion de l’article 15 dans le nouveau Code pénal? Dans l’affirmative, comment serait‑elle libellée? Le Tribunal constitutionnel est‑il compétent pour les requêtes individuelles? Dans l’affirmative, les personnes peuvent‑elles s’adresser immédiatement au Tribunal constitutionnel ou faut‑il tout d’abord épuiser les autres voies de recours? Si une telle possibilité existe, de combien d’affaires similaires le Tribunal constitutionnel a‑t‑il été saisi? L’accès est‑il accordé à un avocat durant les trois jours au cours desquels une personne peut être gardée à vue avant d’être amenée devant le juge d’instruction? Si une personne soupçonnée d’avoir commis un acte de torture au cours de la période de garde à vue − période au cours de laquelle les détenus sont le plus exposés à de tels abus − est ensuite présentée soit au juge d’instruction ou au juge du fond, le procureur a‑t‑il l’obligation de prononcer une condamnation et, dans l’affirmative, cela s’est‑il produit dans la pratique? Combien d’affaires ont fait l’objet d’une enquête, comme l’exigent les dispositions de l’article 12 de la Convention? Quelles sont les raisons avancées par le procureur en l’absence de condamnation et quels sont les motifs d’acquittement?

22.Il est regrettable que le rapport initial ne contiennent pas plus de données statistiques liées à l’article 11. Quant à l’article 14, quel est le nombre de victimes de torture qui ont obtenu réparation et été indemnisées équitablement et de manière adéquate? Quelle a été la nature de l’indemnité? Enfin, les informations contenues aux paragraphes 64, 65 et 66 examinent le droit de recours et non les plaintes civiles plutôt que pénales qui font l’objet de l’article 13.

23.M. SØRENSEN dit qu’il appuie les vues des deux rapporteurs. En tant que médecin, il limitera ses observations aux articles 10 et 14. Tout en se félicitant des contrôles effectués sur la conduite des membres de la police, de l’armée et du personnel médical, il estime que la portée de l’article 10 est en fait considérablement plus vaste et exige l’inclusion de l’éducation et de l’information dans le cadre de la formation. Par exemple, lorsque les médecins sont concernés, le rôle qu’ils exercent dans l’invention de méthodes de torture, de traitement des victimes afin qu’elles puissent continuer à être torturées et dans la falsification des rapports médicaux devrait être plus vaste. De même, compte tenu du nombre de victimes de la torture dans toutes les parties de la Serbie, les médecins devraient être en mesure d’identifier les victimes de la torture à la manière dont elles ont été traitées et ils devraient être suffisamment formés pour s’occuper d’eux. Comment l’interdiction de la torture est‑elle traitée aux différents niveaux de la formation universitaire des médecins, et quand a‑t‑elle été introduite pour la première fois?

24.Si le Comité partage les préoccupations exprimées au sujet des activités terroristes, il n’en reste pas moins que l’article 2 déclare de manière explicite qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture. Un certain nombre de contradictions semblent exister entre les informations contenues dans le rapport et celles qui figurent dans les rapports d’organisations non gouvernementales dignes de foi. M. Sørensen souhaiterait avoir des statistiques plus à jour pour 1997 et 1998, y compris une ventilation pour le Kosovo. L’importance cruciale de l’article 14 devrait être soulignée. L’impunité des tortionnaires ne peut être tolérée, en particulier depuis que les poursuites engagées à leur encontre peuvent constituer un élément important dans le rétablissement des victimes. De nouveaux centres de soins ont été créés en Yougoslavie et devraient bénéficier d’un très grand appui pour le traitement de toutes les victimes puisque, selon le rapport des ONG, toutes les parties portent une part de responsabilité. Il invite l’État partie à contribuer au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture, car même une obole symbolique indiquerait que le Gouvernement condamne la pratique de la torture.

25.M. MAVROMMATIS dit qu’il espère fermement que les problèmes touchant la Yougoslavie seront réglés rapidement et de manière pacifique, et que l’intégrité territoriale du pays sera respectée en tenant compte du droit des minorités. Vu les nombreuses allégations formulées à la fois par les États et par les organisations non gouvernementales, l’État partie aurait dû présenter son rapport à temps. Pour un pays évolué comme la Yougoslavie, un tel retard ne se justifie pas. M. Mavrommatis se félicite vivement de la déclaration faite par la Yougoslavie au titre de l’article 22 qui autorise les particuliers à présenter leur requête directement au Comité. Une législation nationale a‑t‑elle été promulguée pour mettre en vigueur automatiquement les décisions du Comité? La Yougoslavie devrait faire tous les efforts pour répondre de manière détaillée à toutes les allégations contenues dans les communications traitées par les organes de traité et elle devrait éviter de se cacher derrière des dénis d’ordre général.

26.En outre, tous les États parties devraient incorporer dans leur législation interne la définition de la torture telle qu’elle figure dans la Convention, pour faire preuve de bonne foi, et montrer qu’ils sont prêts à prendre des mesures pour éradiquer de telles pratiques. La Constitution yougoslave ne fait pas mention de traitements cruels, dégradants ou inhumains dans le contexte de la violence perpétrée à l’encontre de personnes privées de liberté. Des garanties devraient être incorporées dans le cadre juridique afin de protéger les détenus dans les premières heures qui suivent leur interpellation et pendant lesquelles ils risquent le plus d’être soumis à des actes de torture: le droit de consulter un avocat avant de faire une déclaration, le droit de communiquer aux autres le lieu de détention et le droit de voir un médecin.

27.Le rapport, qui ne mentionne pas le Kosovo, passe sous silence la situation réelle. C’est précisément dans de telles situations que les garanties contenues dans la Convention sont les plus importantes, et il serait donc utile de connaître la place qu’occupe la Convention par rapport à l’ordre juridique interne. A‑t‑elle le même ordre d’importance ou a‑t‑elle la priorité par rapport à la législation interne? En cas de conflit entre les dispositions de la Convention et celles de la législation interne, quelles sont les dispositions qui prévalent? Une loi postérieure à la ratification de la Convention par la Yougoslavie serait‑elle incompatible avec la Convention?

28.En outre, le paragraphe 31 du rapport n’est pas clair: M. Mavrommatis souhaiterait savoir si les tribunaux militaires sont supérieurs aux tribunaux civils et dans l’affirmative, dans quelles circonstances. Selon le paragraphe 37, la police agit sur la base de la loi et des textes juridiques qui définissent notamment les conditions de l’usage de la force. L’État partie devrait expliquer le sens de cette affirmation. En outre, le paragraphe 41 énonce de manière suspecte que la quasi‑totalité des actions intentées contre les agents du Ministère de la justice reposent sur des informations et des plaintes non fondées émanant de citoyens contre lesquels des poursuites pénales ont été engagées. Est‑il concevable pour l’État partie que la quasi‑totalité des plaintes ne soit pas fondée?

29.M. EL MASRY dit que la Yougoslavie n’a pas seulement ratifié la Convention, mais l’Assemblée fédérale a aussi fait des déclarations en rapport avec les articles 21 et 22. Dans ces circonstances, les nombreux rapports d’actes de torture au Kosovo sont d’autant plus choquants que ces actes n’ont pas été perpétrés uniquement contre des personnes accusées de terrorisme. Dans les prisons du Kosovo, de nombreux actes atroces ont été commis à l’encontre d’Albanais de souche dont certains sont morts par la suite. Par exemple, Nait Hassani aurait été arrêté et un jour plus tard amené dans le coma à l’hôpital après avoir été battu. Arian Curri, arrêté au Kosovo, a été torturé et un officier de police a sorti un couteau et entaillé sa poitrine. D’autres personnes ont disparu et ont été vues pour la dernière fois alors qu’elles étaient aux mains de la police yougoslave. On ne peut bien sûr supposer que toutes les personnes disparues aient été détenues; certaines ont dû s’enfuir ou se cacher. Il n’en reste pas moins que les autorités yougoslaves doivent rendre public le nombre de personnes qu’elles ont détenues et indiquer leur nom et d’autres données pertinentes.

30.De plus, les rapports indiquent que des exécutions sommaires se sont déroulées dans les lieux de détention. Le Gouvernement doit procéder de manière urgente à une enquête et poursuivre les auteurs d’actes aussi odieux. Le Gouvernement autorise‑t‑il le Comité international de la Croix‑Rouge à accéder à toutes les personnes détenues au Kosovo? Plus important encore, le Gouvernement reconnaît‑il la compétence du Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie et, dans l’affirmative, quelles mesures ont été prises pour faciliter ses activités?

31.M. YU Mengjia demande si la Yougoslavie a dispensé une formation aux droits de l’homme au personnel chargé de l’application des lois, comme le stipule l’article 10. Il importe de se rappeler que l’article 2, paragraphe 2, établit qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture et que l’article 4, paragraphe 2, exige des États parties qu’ils rendent ces infractions passibles de peines appropriées qui prennent en considération leur gravité. Compte tenu de la situation extraordinaire en Yougoslavie, il serait utile de savoir comment le personnel chargé de l’application des lois a accepté l’article 2 et, en cas de réticence, quelles mesures, si tel a été le cas, le Gouvernement a pris pour les convaincre de respecter ces dispositions.

32.M. SILVA HENRIQUES GASPAR s’associe aux préoccupations exprimées au sujet des questions soulevées par d’autres membres du Comité. D’autres questions lui viennent également à l’esprit. Tout d’abord, la procédure selon laquelle le détenu est chargé de demander l’intervention d’un juge dans une période de temps limitée après son arrestation semble très inhabituelle. Selon les systèmes de droit international comparé, c’est au juge qu’il incombe obligatoirement d’intervenir. La procédure a‑t‑elle changé en vertu de la nouvelle loi de procédure pénale? Il aimerait aussi connaître la composition et la compétence des tribunaux militaires et en particulier les garanties existantes pour assurer l’indépendance du pouvoir judiciaire.

33.Enfin, il serait utile de savoir si les unités de police qui ont procédé aux enquêtes sont habilitées à agir de manière indépendante. Quels mécanismes permettent de contrôler leurs activités? Si les normes de conduite sont enfreintes, quelles mesures, le cas échéant, sont prises pour punir les auteurs de l’infraction? Les décisions peuvent‑elles faire l’objet d’un recours? La personne dont les droits ont été violés est‑elle autorisée à participer aux poursuites disciplinaires?

34.Le PRÉSIDENT dit qu’il serait utile d’avoir des informations sur la Police spéciale serbe et les pouvoirs dont cette force est dotée. Quelle est la structure de sa chaîne de commandement et auprès de qui est‑elle responsable? Il aimerait également savoir s’il existe en Yougoslavie une doctrine équivalente ou similaire à celle de l’habeas corpus. Lorsqu’un état d’urgence est proclamé, quelles sont les protections juridiques qui demeurent en vigueur et lesquelles sont suspendues?

35.Au Kosovo, de nombreuses instances ont eu connaissance de la mutilation de civils, à la fois avant et après leur mort. Des enquêtes ont‑elles été menées et, dans l’affirmative, quels ont été les résultats? De nombreux cas de torture ont été portés à l’attention du Comité par un certain nombre de sources indépendantes. D’après le numéro d’octobre 1998 de Human Rights Watch, en juillet et en août, on comptait parmi les détenus un nombre de plus en plus grand de défenseurs des droits de l’homme, de personnes chargées de l’aide humanitaire, de membres de partis politiques, de médecins et d’avocats, dont bon nombre d’entre eux ont fait l’objet de mauvais traitements physiques en prison. Le Président a ajouté que cette organisation avait d’importantes preuves fiables émanant d’avocats et de membres de la famille selon lesquelles les détenus faisaient régulièrement l’objet d’actes de torture et de mauvais traitements. Certains étaient morts; des centaines ont été battus. Il indique que, selon le Gouvernement yougoslave, une série de procès commencera en octobre et il déclare que par le passé les procès alliés au terrorisme avaient été entachés de graves irrégularités de procédure et par l’usage de la torture pour extorquer des aveux.

36.Au nombre des cas individuels décrits figure celui de M. Destan Rukiqui, un avocat de Pristina qui a défendu des douzaines de détenus politiques de souche albanaise au cours des années précédentes. Il a été arrêté en juillet 1998 après un incident au cours duquel il a émis une objection sur le refus du juge de district de l’autoriser à prendre des notes alors qu’il réexaminait le dossier de son client. En prison, il a été violemment battu avec un bâton long de cinq mètres. Bien qu’il ne s’agisse pas évidemment du cas le plus grave des actes de torture perpétrés au Kosovo, il a peut-être valeur d’exemple. Le fait d’interdire aux avocats de prendre des notes au cours des procès est‑il courant et, dans l’affirmative, quelle en est la raison?

37.Dans son introduction, la délégation a déclaré que les journalistes étaient très nombreux en Yougoslavie. Le Président demande si les journalistes de la presse et de la télévision yougoslaves sont libres et indépendants. Une fois de plus comment les juges sont‑ils nommés et pour quelle période? Qui décide si les membres du pouvoir judiciaire doivent faire l’objet de sanctions disciplinaires? Le Comité considère également comme quelque peu inquiétant que la législation récemment promulguée en Yougoslavie autorise les autorités à destituer les administrateurs et même les professeurs d’université.

38.Le Comité a reçu des informations abondantes sur les mauvais traitements infligés aux détenus roms et albanais. Tout en appelant l’attention sur la définition de la torture exposée à l’article premier de la Convention, qui comporte la douleur ou les souffrances aiguës infligées à une personne pour un motif fondé sur la discrimination, il demande si la délégation considère que ces rapports sont faux. Quels sont les moyens disponibles pour répondre à de telles allégations et sont‑ils actuellement utilisés?

39.Le Comité tend à mettre l’accent sur l’article premier, mais l’article 16 relatif aux peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est également important. En effet, les informations que le Comité reçoit relèvent souvent de l’article 16 plutôt que de l’article premier. De quels recours disposent les personnes qui estiment que leurs droits au titre des articles premier et 16 ont été violés, sont‑ils accessibles aux divers groupes en Yougoslavie et combien de cas ont été récemment examinés?

40.Il invite la délégation yougoslave à répondre aux questions du Comité lors de la prochaine séance.

41. La délégation yougoslave se retire.

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (point 2 de l’ordredu jour) (suite)

42.Le PRÉSIDENT dit que lors de la dixième réunion des présidents des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, l’un des points inscrits à l’ordre du jour a été un plan d’action visant à persuader les États parties à accroître leur appui financier destiné au Comité contre la torture, au Comité des droits de l’homme et au Comité sur l’élimination de la discrimination raciale. Un projet de plan a été présenté aux présidents qui ont estimé qu’il devait être révisé et renforcé. Il a donc été décidé que le plan serait inscrit à nouveau à l’ordre du jour de la prochaine réunion des présidents, en mai 1999. Entre‑temps, il a été demandé au secrétariat de présenter un nouveau projet et une proposition a été avancée tendant à créer un groupe de travail pour suivre les progrès réalisés par le secrétariat sur cette question. Il a été suggéré de nommer deux membres de chaque Comité, à cette fin. Le Président demande donc si deux membres sont volontaires pour s’acquitter de cette tâche.

43.M. SILVA HENRIQUES GASPAR et M. MAVROMMATIS se portent volontaires pour exercer cette fonction au titre du Comité.

Progrès réalisés dans le cadre du groupe de travail à composition non limitée chargé d’élaborer un projet de protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

44.Le PRÉSIDENT demande à M. Sørensen de faire rapport au Comité sur les faits récents intervenus dans le groupe de travail sur le protocole facultatif.

45.M. Sørensen dit que le groupe de travail à composition non limitée s’est réuni du 28 septembre au 9 octobre 1998. Il existe depuis sept ou huit ans et procède actuellement à la deuxième lecture du projet.

46.La réunion n’a que peu progressé. Par exemple, il n’a pas été possible d’adopter le rapport, ce qui sera fait ultérieurement. Toutefois, la réunion a adopté deux articles. Le premier, l’article 15 (ancien article 12 bis) libellé comme suit: «Chaque État partie diffuse à toutes les autorités concernées des informations sur le présent Protocole, les tâches du Sous‑Comité et les facilités à mettre à sa disposition lors d’une mission et veiller à ce que ce type d’informations soit transmis lors de la formation du personnel concerné, civil, militaire ou de la police affecté à la garde, aux interrogatoires ou au traitement des personnes se trouvant dans l’une des situations mentionnées à l’article premier». Il s’agit d’un article très important et très utile aux délégations qui se rendent dans le pays. Il y a lieu de noter que lorsque le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe est sur le point de se rendre dans un pays, il envoie toujours le chef de la délégation deux mois auparavant pour expliquer ses intentions.

47.L’autre article adopté à la réunion est l’article 19 (ancien article 18) qui déclare simplement que le «présent protocole entrera en vigueur le trentième jour après la date du dépôt auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du vingtième instrument de ratification ou d’adhésion».

48.Il semble que toutes les questions ne suscitant pas l’objet de controverses aient été résolues alors que les points décisifs ne le sont pas, notamment les articles premier, 8 et 12.

49.En ce qui concerne l’article premier du projet, certains États sont favorables à se rendre uniquement sur invitation dans les pays, tandis que d’autres estiment qu’un consentement préalable doit être requis. La majorité convient néanmoins que, si tel est le cas, un protocole ne se justifie pas. Une forte unanimité semble se dégager pour que le protocole autorise des visites dans les pays et que l’acceptation de ces visites soit implicite à la ratification du protocole.

50.Une longue discussion s’est tenue sur le mandat au cours de ces visites, mais la question ne semble pas poser de grandes difficultés. Une délégation devrait être autorisée à se rendre sur tous les lieux où des personnes sont privées de leur liberté, de leur parler en privé, de visiter les locaux et les cellules, d’inspecter tous les documents pertinents et de revenir sans que leurs visites soient annoncées. De l’avis général, un organe des Nations Unies est tenu de respecter le droit national. M. Sørensen appelle l’attention sur l’article 8, paragraphe 2 d) de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants en vertu de laquelle une Partie doit fournir au Comité pour la prévention de la torture toute information dont elle dispose et qui est nécessaire au Comité pour l’accomplissement de sa tâche. En recherchant cette information, le Comité tient compte des règles de droit et de déontologie applicables au niveau national.

Programme de travail révisé

51.Le PRÉSIDENT dit que le programme de travail révisé qui a été distribué tient compte des changements survenus dans la pratique d’examen des rapports présentés par les États parties et laisse plus de temps au Comité pour qu’il établisse ses conclusions. Les États parties seront prochainement informés de ces changements.

Établissement d’une liste de questions posées le plus fréquemment

52.M. BRUNI (Secrétaire du Comité) dit qu’il a été demandé au Comité de définir certaines questions qui reviennent fréquemment dans les dialogues avec les États parties. Cette tâche a déjà été accomplie il y a fort longtemps, sous la présidence de M. Voyame. Une liste de ces questions, qui figurent dans le document CAT/C/XXI/Misc.1, a été traduite pour permettre son examen. Elle n’est pas exhaustive. Elle vise à fournir aux délégations gouvernementales une idée générale des questions auxquelles elles peuvent s’attendre et est également utile pour les personnes chargées de préparer les cours de formation. Il s’agit simplement d’un guide informel.

53.M. ZUPANČIČ se félicite que cette liste soit disponible. Il serait également utile d’établir un questionnaire à l’intention des États parties qui permettrait de plus de produire des statistiques comparatives. Il offre son assistance pour l’établissement de cette liste.

54.Le PRÉSIDENT propose que, lorsque le Comité reprendra l’examen de la question la semaine prochaine, les membres qui le souhaitent fassent des suggestions visant à améliorer la liste ou la rédaction de ce questionnaire.

La séance est levée à 12 h 40.

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