NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.79624 janvier 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑neuvième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE (PARTIEL)* DE LA 796e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genèvele mercredi 14 novembre 2007, à 15 heures

Président: M. MAVROMMATIS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Quatrième rapport périodique de l’Estonie (suite)

La séance est ouverte à 15 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 5 de l’ordre du jour)

Quatrième rapport périodique de l’Estonie (CAT/C/80/Add.1; CAT/C/EST/Q/4/Add.1; HRI/CORE/1/Add.50/Rev.1) (suite)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation estonienne prend place à la table du Comité.

2.Mme OLESK (Estonie) dit qu’aucun article du Code pénal n’est spécifiquement consacré à la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention mais que ces éléments constitutifs sont couverts par différents articles, notamment l’article 122. Cet article ne mentionne pas les buts ou motifs précis qui sous‑tendent la torture, ni la participation d’une autorité publique mais le Chancelier de justice estime qu’il est néanmoins possible de poursuivre en justice des agents de l’État sur la base de cet article. Celui‑ci s’applique dans les cas où un traumatisme ou des souffrances mentales ont été provoqués par des mauvais traitements physiques infligés de manière répétée ou ayant entraîné de vives douleurs. L’Estonie considère qu’il n’est pas nécessaire de modifier cet article dans la mesure où les éléments constitutifs des actes de torture mentale y sont couverts. Des poursuites peuvent également être engagées sur la base d’autres dispositions du Code pénal, qui visent plus spécifiquement les actes de torture commis par des agents de l’État. C’est notamment le cas de l’article 291 du Code pénal relatif à «l’abus d’autorité», qui dispose que tout fonctionnaire qui a recours illégalement à une arme, à un équipement spécial ou à la violence dans l’exercice de ses fonctions est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Le mot «violence» s’entend à la fois des actes de violence physique et psychologique. Il y a aussi l’article 312 qui punit le recours à la violence par des agents de l’État au cours de l’enquête préliminaire en vue d’obtenir des aveux. Enfin, l’article 324 vise tout membre du personnel pénitentiaire qui, tirant avantage de son statut, porte atteinte à la dignité d’un prisonnier ou d’un prévenu, commet des actes discriminatoires à son encontre ou restreint illégalement ses droits.

3.On trouvera des données statistiques sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites, et les condamnations au titre de l’article 122 du Code pénal ainsi que sur l’indemnisation des victimes dans les réponses de l’Estonie à la liste de points à traiter (CAT/C/EST/Q/4/Add.1). Pour ce qui est des autres articles mentionnés, il convient d’indiquer qu’en 2006, 82 actions ont été intentées sur la base de l’article 291. Sur ces 82 affaires, 67 ont été classées sans suite, 2 ont été renvoyées devant le tribunal compétent et l’enquête suit son cours dans 13 affaires. Les dernières intentées au titre de l’article 312 du Code pénal remontent à 2005 et elles ont été classées sans suite. Enfin, en ce qui concerne l’article 324 du Code pénal, aucune suite n’a été donnée aux quatre actions qui ont été engagées sur la base de cet article en 2005. En 2006, une seule action a été intentée et l’affaire est encore pendante.

4.Pour ce qui est de l’application directe par les tribunaux estoniens de la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention, il convient tout d’abord de préciser que l’article 18 de la Constitution consacre la primauté du droit international et dispose qu’en cas de conflit entre les lois ou les règlements estoniens et les instruments internationaux dûment ratifiés, ces derniers s’appliquent. La définition de la torture à l’article premier de la Convention étant énoncée en des termes généraux, celle‑ci n’est pas appliquée par les tribunaux car cela serait contraire au principe de la légalité des délits et des peines en vertu duquel les juges, en matière pénale, ne peuvent retenir l’existence d’une infraction ou prononcer une peine sans s’appuyer sur un texte suffisamment précis.

5.Pour ce qui est des mesures législatives adoptées par l’Estonie pour donner effet au principe de la compétence universelle, Mme Olesk souligne que ce principe est consacré par l’article 8 du Code pénal, selon lequel le droit pénal estonien s’applique à tout acte commis en dehors du territoire estonien, quelle que soit la législation en vigueur dans le lieu où il a été commis, si cet acte constitue une infraction en vertu d’un instrument international auquel l’Estonie est partie.

6.Pour ce qui est du droit à l’assistance d’un avocat, il convient de signaler que toute personne soupçonnée d’une infraction pénale doit se voir offrir rapidement la possibilité de choisir un avocat. Quant aux personnes placées en détention, elles ont le droit de s’entretenir avec un avocat dans le lieu de détention. De manière générale, l’accès à un avocat est garanti pendant toutes les phases du procès pénal.

7.En ce qui concerne la recevabilité de preuves obtenues par la torture, l’article 64 du Code de procédure pénale interdit expressément le recours à la violence pour contraindre un suspect à faire une déclaration. En outre, en vertu de l’article 312 du Code pénal, le recours à la violence par un magistrat chargé de l’enquête préliminaire ou par un procureur en vue de contraindre un suspect à faire une déclaration est interdit. Toute personne dont la plainte relative à un acte de torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant est classée sans suite peut faire appel de cette décision dans un délai de dix jours, à compter de sa notification. Le parquet est alors tenu de se prononcer dans un délai de quinze jours. Si la plainte est de nouveau rejetée, la victime dispose d’un délai d’un mois pour saisir les tribunaux.

8.La durée maximale de la détention provisoire est actuellement de six mois, alors que pendant la période de transition, (du 1erjuillet au 31 décembre 2004), elle était d’un an. La détention provisoire ne peut être prolongée qu’à la demande du Procureur de la République; c’est le cas lorsqu’une affaire exige une entraide judiciaire internationale ou est particulièrement compliquée. La détention provisoire ne peut être prolongée que par périodes d’un mois renouvelables.

9.Mme HION (Estonie) dit, à propos des mesures prises par l’Estonie pour donner effet aux dispositions de l’article 3 de la Convention, qu’en vertu de la nouvelle loi sur les réfugiés, les autorités sont tenues d’évaluer le risque de torture encouru par tout requérant avant de le renvoyer vers son pays d’origine. Pour évaluer ce risque, les autorités compétentes prennent notamment en considération la situation générale des droits de l’homme dans le pays concerné ou l’existence de la peine capitale dans ce pays. Le renvoi forcé d’un étranger dans son pays d’origine n’est autorisé que s’il s’agit d’un pays «sûr». En droit estonien, un pays est considéré comme sûr, s’il est partie aux principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et s’il en observe les dispositions (notamment les articles 32 et 33 de la Convention relative au statut des réfugiés, l’article 3 de la Convention contre la torture et l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) et si un demandeur d’asile y est protégé contre les persécutions et l’expulsion vers un pays, y compris le sien, où une telle protection ne lui serait pas garantie.

10.Le Ministère de la justice n’a reçu aucune demande d’extradition donnant à craindre que des violations des droits de l’homme risquent d’être commises dans l’État requérant, et aucune demande d’extradition présentée par l’Estonie n’a été rejetée au motif que les droits de l’homme risquaient d’être violés en Estonie. En 2004, le Ministre de la justice a refusé d’extrader vers la Turquie un citoyen turc ayant aussi la nationalité suédoise, dont la Suède avait demandé le rapatriement. En 2007, au titre du mandat d’arrêt européen, l’Estonie a reçu 47 demandes d’autres pays de l’Union européenne et en a présenté 31. En 2006, les chiffres étaient de 30 demandes reçues et de 42 présentées. Par ailleurs, l’Estonie n’a ni sollicité ni reçu d’assurances diplomatiques, et n’a renvoyé personne dans un pays où l’intéressé risquait d’être torturé ou maltraité.

11.Le placement en détention de personnes en attente d’expulsion est soumis à l’autorisation du tribunal administratif, auprès duquel la personne faisant l’objet de la mesure d’expulsion peut elle‑même intenter un recours. C’est aussi le tribunal administratif qui supervise les conditions de détention. Il peut autoriser le placement d’une personne en détention pour une période de deux mois, une prorogation de deux mois étant possible. Des cas de rétention prolongée de personnes en attente d’expulsion ont été cités; des ressortissants russes ont en effet été retenus pour des périodes relativement longues, car ils n’étaient en possession d’aucun document et refusaient de coopérer avec les autorités estoniennes ou russes pour l’établissement de nouveaux papiers. Lorsque le traité entre l’Union européenne et la Fédération de Russie concernant la réadmission sera entré en vigueur, ce problème ne devrait plus se poser. Quant à la personne dont le cas a été évoqué, elle a été libérée sur ordre du tribunal administratif.

12.Entre 1997 et 2007, les demandeurs d’asile provenaient des pays suivants: Iraq (20), Russie (19), Turquie (16), Pakistan, Afghanistan (8), Géorgie (6), Nigéria (5), Syrie, Ouzbékistan (4), Biélorussie, Algérie, Arménie, Azerbaïdjan, Ukraine (3), Sri Lanka, Turkménistan (2), Japon, Gambie, Ghana, Inde, Cameroun, Lituanie, Moldova, Sierra Leone, Somalie (1). Entre 2000 et 2007, 4 personnes ont obtenu le statut de réfugié et 10 ont bénéficié d’une mesure de protection subsidiaire. Enfin, un mineur non accompagné a demandé l’asile en 2001. Durant l’année 2007, 996 affaires d’immigration clandestine ont été traitées par le Conseil de la citoyenneté et de l’immigration; dans 892 de ces cas, des amendes ont été infligées, 67 autres personnes ont été invitées à quitter le territoire et 129 ont été autorisées à demeurer en Estonie.

13.Le Conseil de l’Europe a procédé à une enquête au sujet des transferts illégaux de détenus. À cette occasion, l’Estonie a fait savoir que les activités des services de sécurité étrangers comportant des violations des droits fondamentaux ne sauraient être traitées comme des activités de renseignement: si le cas se présentait, une enquête pénale serait ouverte et les auteurs d’infractions traduits en justice. Lors de l’arrivée ou du passage en transit de détenus, ce sont les traités internationaux et notamment européens qui s’appliquent. Le transport de détenus en territoire estonien est soumis à autorisation du Ministère de la justice et réglementé par le Code de procédure pénale. L’autorisation d’entrée est refusée si les actes pour lesquels le détenu est transporté ne sont pas punissables en vertu du Code pénal estonien ou s’il s’agit d’un délit politique ou militaire, ou encore si l’intéressé risque la peine de mort. L’entrée en territoire estonien ne peut se faire qu’aux postes frontière, selon les procédures réglementaires. En vertu de la loi sur la coopération militaire internationale, l’autorisation donnée à un aéronef militaire de pénétrer dans l’espace aérien estonien est délivrée par le Ministère de la défense. L’Estonie a indiqué qu’aucun transport international de détenus n’a été signalé sur son territoire et qu’aucun agent de l’État n’a été associé au maintien en détention ou au transport de telles personnes. Dès lors, aucune enquête complémentaire n’a été effectuée à ce sujet.

14.Mme OLESK (Estonie), présentant les activités du Chancelier de justice, indique que celui‑ci est nommé pour sept ans et qu’il cumule les fonctions de médiateur et de gardien de la constitutionnalité. Une fois par an, il établit un rapport de synthèse sur ses activités, qui est publié sur l’Internet. Les trois missions essentielles du Chancelier sont les suivantes: en premier lieu, il s’assure de la constitutionnalité des textes législatifs et des actes du pouvoir exécutif et s’il estime qu’un acte juridique est en contradiction avec la Constitution ou une loi, il propose à l’organe qui l’a adopté de le modifier dans un délai de vingt jours, faute de quoi il peut en référer à la Cour suprême pour invalider l’acte en question. En second lieu, le Chancelier agit en tant que médiateur et, à ce titre, il veille à ce que les organismes de l’État, les autorités locales et toute personne physique ou morale exerçant des fonctions publiques respectent les droits et libertés fondamentaux et les principes de bonne pratique administrative. Il peut faire des recommandations et propositions visant à remédier aux manquements constatés et ses propositions sont presque toujours respectées. Enfin, le Chancelier reçoit des requêtes et engage des procédures. En 2006, il a rejeté 65,4 % des requêtes pour diverses raisons expliquées à leur auteur: en général, l’affaire n’était pas de son ressort car il s’agissait d’une question de droit privé ou d’une question très particulière nécessitant des connaissances spécialisées. En pareil cas, la requête est généralement transmise à l’organe compétent mais le Chancelier en assure toujours le suivi: si l’organe en question ne donne pas suite de manière satisfaisante, il engage une procédure à son encontre. D’autres raisons de rejeter une requête sont le fait que l’intéressé n’a pas fait usage d’autres voies de recours effectifs, que l’affaire fait déjà l’objet d’une procédure ou que la requête est manifestement dénuée de fondement. Même dans le cas où une requête n’est manifestement pas de son ressort, le Chancelier fait tout pour s’assurer que le problème trouvera une solution.

15.Depuis février 2007, le Chancelier est chargé de veiller à la mise en œuvre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention et il a été très actif dans ce domaine. Un groupe de travail sur le Protocole facultatif a été chargé d’élaborer des directives en matière d’inspection notamment. Une liste des lieux accueillant des personnes privées de liberté a été établie et le Chancelier collabore avec différentes institutions − ONG et organismes publics − pour la conduite des inspections. C’est ainsi que pour les hôpitaux psychiatriques, le Centre de défense des patients, le Conseil de l’action sanitaire et des associations d’usagers ont été consultés. À l’avenir, cette coopération avec la société civile va encore s’amplifier. Lors des inspections dans tous les lieux où des personnes sont privées de liberté, ces personnes, ainsi que le personnel, ont la possibilité de s’entretenir avec des membres du Bureau du Chancelier de justice et ce, de manière confidentielle. En cas de plainte, l’identité d’éventuels plaignants n’est évidemment pas révélée à l’institution en cause, et une enquête est immédiatement ouverte.

16.En diverses occasions, le Chancelier de justice est intervenu dans les médias pour clarifier la notion de torture afin de sensibiliser le public, et ses collaborateurs donnent des conférences à l’intention du personnel des établissements où des personnes sont privées de liberté au sujet des droits fondamentaux et de l’interdiction de la torture et des mauvais traitements. Des propositions et recommandations sont faites aux hôpitaux psychiatriques, prisons, foyers d’accueil, écoles spéciales, etc., en vue d’éliminer les risques de torture et d’améliorer les pratiques administratives; ces propositions et recommandations sont publiées sur le site Web du Chancelier et sont presque toujours mises en œuvre par les établissements en question. À la fin de 2008, tous les établissements correctionnels, prisons, maisons d’arrêt et établissements psychiatriques auront été inspectés.

17.Mme AMOS (Estonie) indique que les conditions de détention en vigueur en Estonie sont de plus en plus conformes aux normes internationales, car les autorités ont entrepris non seulement de moderniser les anciens établissements, mais surtout d’en créer de nouveaux. La population carcérale a diminué de 20 % grâce à différentes mesures telles que la surveillance électronique et la libération conditionnelle, en sorte que l’espace imparti à chaque détenu a augmenté; aux termes de la loi, la surface minimum par prisonnier est de 2,5 m2, la norme européenne étant de 4 m2. À l’heure actuelle, dans la pratique, chaque détenu dispose de 2,76 à 10,98 m2. En ce qui concerne le recours indu à la force par le personnel pénitentiaire, 6 procédures ont été menées à terme en vertu de l’article 291 du Code pénal en 2006; 5 procédures sont en cours en 2007, et 4 procédures ont été menées à leur terme au titre de l’article 324 du Code pénal.

18.Au début de 2007, 61,5 % des détenus étaient de nationalité estonienne, 33 % étaient apatrides, et 5 % étaient étrangers. En ce qui concerne les Roms, l’un d’eux se trouve en état d’arrestation, 17 sont en détention avant jugement et 25 exécutent une peine de prison. En vertu de la législation, tous les prisonniers sont traités sur un pied d’égalité, qu’ils soient ou non Estoniens. Pour tenir compte des problèmes linguistiques, les non‑ressortissants bénéficient d’un régime spécial en ce qui concerne la compréhension de leurs droits et obligations et le traitement des documents ou formulaires officiels. Si un étranger souhaite exécuter sa peine dans son pays d’origine, ses démarches sont facilitées. En outre, depuis le 1er septembre 2007, non seulement la langue estonienne est enseignée dans les établissements pénitentiaires, mais les prisonniers qui suivent cet enseignement touchent un salaire, le but étant de les encourager à mieux s’intégrer à la société par la suite. Un test de recherche du VIH est effectué lors des formalités d’écrou et, par la suite, le prisonnier peut demander au médecin de la prison de le renouveler.

19.La violence entre prisonniers est l’une des principales préoccupations du Ministre de la justice, et c’est pourquoi les anciens établissements du type camp de prisonniers sont en train d’être remplacés par des prisons dotées de cellules. Une nouvelle unité de contrôle interne a été chargée de la prévention des infractions en milieu carcéral. En 2010, seule la prison de Murru, qui est du type ancien, subsistera. À Murru, les mesures suivantes ont été prises pour prévenir la violence entre prisonniers: les déplacements des détenus sont désormais mieux contrôlés, les serrures et l’ouverture des portes ayant été modernisées. En cas de violence entre prisonniers, une procédure pénale est systématiquement engagée, et le service médical examine de près toutes blessures éventuelles et les signale le cas échéant. La vidéosurveillance se développe et enfin, la loi autorise à détenir certains types de prisonniers séparément pour leur propre sécurité ou celle des autres prisonniers, cette mesure étant réexaminée tous les trois mois.

20.Concernant la mort de deux détenus à la prison de Murru, l’enquête est en cours. Trois membres du personnel de la prison et sept détenus ont été mis en examen. Après cet incident, tout le personnel de la direction de la prison a été remplacé. Des efforts ont également été entrepris pour accroître le nombre de gardiens et améliorer leurs conditions de travail, notamment en augmentant leur salaire, et des campagnes d’information ont été menées pour restaurer l’image du personnel pénitentiaire.

21.Des statistiques ont été demandées au sujet des violences en milieu carcéral. Les infractions signalées en 2007 comprenaient entre autres 2 homicides, 27 atteintes à l’intégrité physique et 8 agressions sexuelles. Aucune décision n’a encore été prise à leur sujet. Il convient de noter qu’aucun cas de torture n’a été enregistré.

22.Le recours à la force par les policiers et le personnel pénitentiaire est strictement réglementé par la loi; il n’est autorisé que dans la stricte mesure nécessaire.

23.Mme AMOS (Estonie) dit qu’il y a au total 16 centres de détention provisoire en Estonie, placés sous la supervision directe des services de police. Ils servent en principe à la détention des personnes à l’égard desquelles une enquête préliminaire est en cours, mais les personnes condamnées à des peines de prison ne dépassant pas trois mois peuvent y exécuter leur peine.

24.Les conditions de détention dans ces centres ne satisfont pas toujours aux normes destinées à prévenir les traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment en ce qui concerne le nombre de détenus, qui est souvent trop élevé. Le Ministère de l’intérieur est conscient du problème et espère parvenir à y remédier en 2008 grâce à la construction de nouveaux centres de détention provisoire. Le Chancelier de justice a adressé une recommandation au Conseil de la police visant à ce qu’il ne soit plus admis de nouveaux détenus dans les centres où les conditions de détention sont particulièrement mauvaises. La durée moyenne de la détention provisoire était de 6,5 jours en 2006 et de 6,3 jours en 2007. Au cours de la période récente, aucun cas de violences n’a été enregistré au sujet de personnes en détention provisoire.

25.L’assistance médicale dans les centres de détention provisoire est très insuffisante. Hormis dans les plus grands d’entre eux, il n’y a pas de médecin sur place ni même parfois d’infirmerie ou de pharmacie de base. L’état de santé des personnes placées en détention provisoire n’est pas vérifié à leur arrivée. Le Chancelier de justice a adressé en mars 2007 une recommandation au Ministère de l’intérieur visant à ce que des mesures soient prises d’urgence pour garantir la présence de services médicaux au sein des centres de détention provisoire et l’accès des détenus aux soins de santé dont ils ont besoin. Le Ministère de l’intérieur travaille actuellement à la mise en œuvre de solutions. Les travaux du Chancelier de justice pour l’année à venir seront en grande partie consacrés à la mise en place d’une évaluation systématique de la qualité des soins médicaux proposés dans les centres de détention provisoire, à laquelle participeront également des représentants du Conseil des affaires sanitaires et divers experts.

26.Mme LEPIK VON WIREN (Estonie) dit que les émeutes qui ont eu lieu à Tallinn en avril 2007 ont entraîné de graves troubles de l’ordre public et des dégâts matériels considérables. Un total de 99 infractions de vandalisme ont été enregistrées. Le montant des dommages a été évalué à 60 millions de couronnes, dont 19,5 millions ont été pris en charge par l’État. Au cours des émeutes, la police a arrêté près de 1 200 personnes qui ont pour la plupart été libérées immédiatement après avoir été identifiées, soit six heures au plus après leur arrestation. Une assistance médicale a été fournie aux personnes qui en avaient besoin. Les policiers présents sur le terrain au moment des émeutes n’ont eu recours à la force que dans la stricte mesure nécessaire pour assurer le retour au calme. Le Chancelier de justice s’est rendu dans les locaux de la police au moment des événements et n’a reçu à cette occasion aucune plainte pour violences policières ou absence de soins médicaux de la part des personnes qui avaient été arrêtées. Par la suite, 50 plaintes faisant état de violences commises par des policiers ont été adressées à la police, et 52 au Chancelier de justice, dont 12 ont été transmises au bureau du procureur afin qu’une enquête pénale soit ouverte. Six plaintes ont été classées sans suite pour absence d’éléments constitutifs d’une infraction. Sur les 300 émeutiers arrêtés, 85 ont été inculpés; à ce jour, 65 d’entre eux ont été jugés. Les cas de 13 mineurs ont été transmis à un juge pour mineurs.

27.Mme PALUSTE (Estonie) dit que la capacité d’accueil totale des hôpitaux psychiatriques et des services psychiatriques des hôpitaux généraux s’élève à 723 lits, soit un ratio de 52 lits pour 100 000 habitants, ce qui est comparable au ratio enregistré dans d’autres pays européens. D’après les statistiques du Ministère des affaires sociales, 14 000 admissions en hôpital psychiatrique ont été enregistrées en 2006, pour des séjours d’une durée moyenne de seize jours.

28.Au cours des cinq dernières années, la durée moyenne des séjours en hôpital psychiatrique est passée de vingt‑six à seize jours; le nombre de troubles psychiatriques diagnostiqués pour la première fois a augmenté de 10 % tandis que le nombre d’hospitalisations est resté stable, les traitements ambulatoires étant de plus en plus fréquents. Le taux d’occupation des lits et les délais d’attente concernant les admissions en psychiatrie semblent indiquer que le fonctionnement des services psychiatriques est actuellement optimal. Ces indicateurs font néanmoins l’objet d’une surveillance continue.

29.Tous les hôpitaux estoniens sont des institutions indépendantes relevant du droit privé. La fourniture de services médicaux requiert l’obtention préalable d’une licence délivrée sur la base de critères définis dans les règlements pertinents du Ministère des affaires sociales. Le système des licences permet de garantir le respect de normes minimales. Les travaux de rénovation entrepris au cours des dix dernières années ont, par ailleurs, permis de réaliser d’importants progrès et de nouveaux hôpitaux devraient être construits dans les prochaines années.

30.L’organe chargé de la délivrance des licences et de la surveillance de la conformité des activités des hôpitaux avec les règlements applicables est le Conseil des affaires sanitaires. Sous la supervision directe du Ministère des affaires sociales, il contrôle la qualité des soins dispensés et examine les plaintes y afférentes. Depuis 2006, le Conseil des affaires sanitaires est habilité, en application des amendements apportés à la loi sur la santé mentale, à procéder à des visites d’inspection dans tous les hôpitaux psychiatriques. Il a déjà effectué plusieurs visites de ce type, à la suite desquelles il a formulé plusieurs recommandations visant à ce que les décisions en matière d’hospitalisation d’office et de recours à des moyens de contrainte soient soumises à des prescriptions plus strictes, notamment en ce qui concerne leur justification par le médecin responsable.

31.Le Fonds estonien d’assurance maladie surveille également de près la qualité des soins et traitements prodigués. À cette fin, il mandate régulièrement des experts pour effectuer des inspections dans les hôpitaux. Ces inspections devraient s’étendre aux hôpitaux psychiatriques dans le courant de 2008.

32.La formation des futurs professionnels de la santé se fait à l’Université de Tartu ainsi que dans deux établissements d’enseignement supérieur appliqué. Tous les étudiants, quelle que soit leur future spécialisation, sont initiés à l’identification des signes de la torture et de la violence physique de même qu’à la reconnaissance des symptômes de troubles psychiques résultant de violences psychologiques. Tout au long de leur carrière, les professionnels de la santé suivent des cours de recyclage organisés par l’Université de Tartu ou les deux établissements d’enseignement supérieur susmentionnés. D’autres institutions ayant des besoins particuliers en matière de soins médicaux, par exemple les prisons, peuvent également organiser des sessions de formation à l’intention du personnel médical dans des domaines ciblés tels que l’identification des symptômes de la violence.

33.L’hospitalisation d’office est réglementée par la loi sur la santé mentale, telle que modifiée en 2006. Cette révision de la loi a permis de préciser les circonstances dans lesquelles cette hospitalisation est justifiée, pour protéger la santé de la personne, et de mieux définir les responsabilités du psychiatre, notamment l’obligation de dûment motiver ses décisions. Lorsque l’hospitalisation d’office intervient sur la base de la seule décision du psychiatre, c’est-à-dire sans l’autorisation d’un juge, elle ne peut durer plus de quarante‑huit heures. L’utilisation de moyens de contrainte ainsi que les modalités de l’hospitalisation d’office d’urgence sont également réglementées de manière plus précise par les nouvelles dispositions de la loi.

34.Mme KOKK (Estonie) dit que bien que la traite des êtres humains ne constitue pas une infraction pénale distincte, elle est couverte par 16 articles du Code pénal, qui interdisent des activités apparentées. D’après les données consignées dans le Registre des procédures pénales, environ 160 infractions pénales pouvant être reliées à la traite des êtres humains ont été enregistrées en Estonie en 2006.

35.En ce qui concerne la protection des témoins, la procédure pénale estonienne permet à ces derniers de conserver l’anonymat et plusieurs mesures de protection, telles que la dissimulation de l’identité d’un témoin à un criminel, sont prévues par la loi sur la protection des témoins. L’Estonie a en outre conclu dans ce domaine un accord avec la Lettonie et la Lituanie.

36.Il existe en Estonie quatre foyers spécialisés dans l’accueil des victimes de violences au foyer. En 2005, 309 personnes, dont 136 enfants, ont été pris en charge par ces foyers. Les prestations consistent en la fourniture d’un soutien psychologique et d’une assistance juridique, y compris en langue russe, et sont offertes à toutes les victimes remplissant les conditions requises, sans distinction fondée sur l’origine ethnique ou la nationalité. Des programmes sont également mis en œuvre à l’intention des auteurs de violences au foyer.

37.Les informations relatives aux services d’aide aux victimes et aux modalités d’indemnisation peuvent être consultées sur les sites Web du Ministère des affaires sociales, du Conseil des assurances sociales et des organisations non gouvernementales d’aide aux victimes. Des brochures explicatives peuvent également être obtenues auprès des bureaux de la sécurité sociale, des commissariats de police, et des services sociaux. Les policiers sont par ailleurs tenus d’informer les victimes des recours dont elles peuvent se prévaloir pour demander réparation. Des cours sont régulièrement organisés sur cette question par le département de l’aide aux victimes du Conseil des assurances sociales à l’intention des membres des forces de l’ordre, des juges, des procureurs et des travailleurs sociaux.

38.La question a été posée de savoir si des indemnisations pouvaient être versées pour préjudice moral. Le préjudice moral n’ouvre pas droit à une indemnisation financière mais des mesures de soutien, notamment psychologique, sont proposées aux victimes. En vertu de la loi sur l’aide aux victimes, les dommages ouvrant droit à une indemnisation sont ceux liés à des lésions corporelles graves entraînant une incapacité, des frais de traitement médical élevés ou le décès de la victime. La proportion relativement faible d’indemnisations versées par rapport au nombre total de demandes présentées tient au fait que bon nombre de ces demandes concernent des dommages autres que ceux visés expressément par la loi et sont par conséquent rejetées.

39.Au début de 2007, le taux d’indemnisation a été relevé en application d’une modification de la loi sur l’aide aux victimes, de sorte que l’État ne rembourse plus 70 % mais 80 % des frais réels de la prise en charge des victimes, dans la limite d’un plafond de 150 000 couronnes.

40.Mme HION (Estonie) dit qu’au lendemain de l’indépendance, il y avait en Estonie 32 % de personnes dont la nationalité n’était pas connue. Grâce à la politique de naturalisation menée depuis cette époque, les personnes dans ce cas ne représentent plus aujourd’hui que 8,3 % de la population totale. Le Gouvernement poursuit sa politique d’intégration à leur égard en les encourageant à demander la nationalité estonienne, étant entendu que conformément à la Constitution, ces personnes jouissent des mêmes droits que le reste de la population en ce qui concerne l’accès aux prestations sociales et le recours à la justice.

41.Pour ce qui est des apatrides, le Haut-Commissariat pour les réfugiés a lui-même reconnu, dans son rapport de 2006, que le champ des droits qui leur sont accordés en Estonie excédait celui des droits prévus par la Convention relative au statut des apatrides. Après un examen approfondi de sa législation eu égard à ladite Convention, le Gouvernement est parvenu à la conclusion que les droits prévus par cette dernière étaient effectivement couverts par les lois estoniennes.

42.Le PRÉSIDENT remercie la délégation pour ses réponses et invite les membres du Comité qui le souhaitent à poser des questions complémentaires.

43.Mme SVEAASS (Rapporteuse pour l’Estonie), se félicitant des réponses détaillées et franches de la délégation estonienne, souhaiterait savoir si le rapport d’activité du Chancelier de justice est également disponible en russe.

44.Tout en prenant bonne note des arguments avancés par l’État partie concernant sa réticence à incorporer la définition énoncée à l’article premier de la Convention dans le droit interne, la Rapporteuse appelle l’attention de la délégation sur le fait que ce serait pourtant un geste symbolique fort montrant que l’Estonie s’engage à bannir le recours à la torture et considère cette pratique comme un crime extrêmement grave. Tel qu’il est libellé, l’article 122 du Code pénal de l’État partie n’a pas cet impact. Il devrait donc être modifié afin notamment d’intégrer la notion de torture psychologique et de prévoir des peines mieux adaptées à la gravité de l’acte qu’il réprime.

45.Par Mme Sveaass souhaiterait savoir si des demandeurs d’asile sont parfois directement confiés aux autorités estoniennes par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Elle souligne que, s’agissant des demandeurs d’asile originaires d’Iraq et d’Afghanistan, les autorités chargées de l’asile devraient vérifier de très près si ces personnes ne risquent pas d’être torturées en cas de renvoi dans leur pays.

46.En ce qui concerne la traite, la Rapporteuse demande si des campagnes de prévention sont menées auprès des femmes qui pourraient en être victimes et si ces informations sont diffusées non seulement en estonien mais aussi en russe. Enfin, elle demande si la durée de l’hospitalisation involontaire d’un patient peut excéder quarante‑huit heures et si cette décision est prise par un juge.

47.M. KOVALEV (Corapporteur pour l’Estonie) souhaiterait savoir si un apatride qui aurait eu un accident ou qui aurait commis une infraction pénale lors d’un séjour à l’étranger serait, selon le cas, rapatrié ou extradé avec l’aide des autorités consulaires estoniennes.

48.Mme BELMIR, rappelant que la relaxe est censée être une décision judiciaire, demande comment il se fait que le tribunal puisse classer l’affaire d’office lorsque le procureur abandonne les poursuites. Elle souhaiterait par ailleurs savoir quelle est la durée maximale de la détention provisoire et qui décide de sa prolongation. Croyant comprendre que le Chancelier de justice et le Médiateur sont étroitement liés au Gouvernement, elle voudrait savoir s’ils exercent leurs tâches en toute indépendance. Enfin, elle souhaiterait que la délégation réponde aux questions qu’elle avait posées à une séance antérieure sur la maltraitance d’enfants, les brutalités policières et la législation sur les armes à feu.

49.M. GROSSMAN demande à la délégation estonienne de citer des précédents dans lesquels les tribunaux se sont fondés sur la Convention pour interpréter le droit interne dans le cadre d’une affaire pénale ou de l’examen d’un recours en indemnisation. Il souhaiterait en outre savoir si le Procureur a déjà fait l’objet d’une plainte pour avoir autorisé la police à employer la force et si les tribunaux administratifs habilités à prononcer des décisions d’expulsion offrent toutes les garanties inhérentes au droit à un procès équitable et si les personnes qui font l’objet d’une telle décision peuvent interjeter appel.

50.M. MARIÑO MENÉNDEZ demande si la discrimination serait considérée comme une circonstance aggravante si une personne était torturée par un agent de l’État en raison de sa couleur de peau ou de son appartenance nationale ou ethnique. Par ailleurs, il voudrait savoir si les apatrides qui se trouvent à l’étranger bénéficient de la protection diplomatique de l’Estonie. Enfin, il demande des éclaircissements sur l’expression «détention administrative» utilisée au paragraphe 89 du rapport. Quelle est la juridiction compétente pour ordonner le placement en détention administrative et quel est le rapport entre cette dernière et la détention aux fins de l’exécution d’une peine?

51.Mme LEPIK VON WIREN (Estonie) dit que, conformément à l’article 59 de la loi consulaire, les ressortissants estoniens et les apatrides qui ont un permis de séjour en Estonie bénéficient d’une assistance consulaire à l’étranger. En cas d’accident, de maladie, de décès, ils sont rapatriés et, s’ils font l’objet de poursuites pénales, leur extradition est demandée aux autorités du pays dans lequel ils se trouvent.

52.Mme AMOS (Estonie) dit que tous les documents d’information sur la traite sont publiés non seulement en estonien mais aussi en russe, de même que les brochures d’information destinées aux patients des hôpitaux psychiatriques. Par ailleurs, elle assure le Comité que le Chancelier de justice, qui est nommé par le Parlement, jouit d’une complète indépendance vis‑à‑vis des pouvoirs publics.

53.Mme HION (Estonie) dit que les demandes d’extradition sont examinées avec la plus grande minutie et que les décisions en la matière sont prises au cas par cas. Les décisions d’expulsion sont prises par un organe administratif, le Conseil de la nationalité et des migrations, qui prend dûment en considération les normes internationales pertinentes, dont la Convention contre la torture. Les décisions de cet organe sont susceptibles de recours devant le tribunal administratif, puis devant la cour d’appel et enfin devant la Cour suprême. Enfin, en cas d’abandon des poursuites par le procureur, la victime a la possibilité de demander un réexamen de sa plainte.

54.Mme OLESK (Estonie) dit que la durée maximale de la détention provisoire est de six mois et qu’elle ne peut être prolongée que d’un mois supplémentaire. En outre, tous les mois, le juge doit examiner si le maintien du prévenu en détention provisoire se justifie ou non. Enfin, dans le Code pénal, les apatrides sont traités sur le même pied que les ressortissants estoniens, qu’ils soient l’auteur ou la victime d’une infraction.

55.Mme PALUSTE (Estonie) dit que, lorsqu’une personne est hospitalisée contre sa volonté dans un établissement psychiatrique et que les troubles dont elle souffre ne peuvent être soignés en quarante‑huit heures, la prolongation de l’internement doit être autorisée par un juge, conformément à la législation pertinente.

56.Le PRÉSIDENT remercie la délégation de ses réponses détaillées et déclare que le Comité a ainsi achevé l’examen du quatrième rapport périodique de l’Estonie.

Le débat résumé prend fin à 17 h 5.

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