Nations Unies

CAT/C/SR.957

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

9 novembre 2010

Original: français

Comité contre la torture

Quarante ‑ cin qu ième session

Co mpte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 957 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 2 novembre 2010, à 15 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Rapport initial de l ’ Éthiopie

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention

Rapport initial de l’Éthiopie (CAT/C/ETH/1; HRI/CORE/ETH/2008)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation éthiopienne prend place à la table du Comité.

2.Le Président dit que le Comité est heureux d’accueillir la délégation éthiopienne à l’occasion de l’examen du rapport initial de l’Éthiopie, qui aurait dû être soumis en 1995. Il espère que cette première rencontre marquera le début d’une collaboration fructueuse entre le Comité et l’État partie.

3.M. Yimer (Éthiopie) dit que depuis le renversement du régime militaire en 1991, l’Éthiopie a accompli d’immenses progrès dans les domaines de la promotion et de la protection des droits de l’homme, permis entre autres par la nouvelle Constitution et la consolidation de la démocratie. Par manque de moyens, elle n’a pas pu soumettre ses rapports aux organes conventionnels dans les délais prévus. Toutefois, grâce à l’assistance du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), elle a pu établir plusieurs rapports qui étaient en retard, dont le rapport initial que le Comité s’apprête à examiner. Un mémorandum d’accord a été signé avec le bureau régional du HCDH pour l’Afrique de l’Est, qui étend la coopération avec le HCDH à d’autres domaines tels que le renforcement des capacités des institutions nationales des droits de l’homme et la sensibilisation des agents de la force publique et du personnel pénitentiaire aux droits de l’homme. Le processus de l’Examen périodique universel a été fructueux et l’Éthiopie a accepté un grand nombre des recommandations formulées par le Conseil des droits de l’homme, dont beaucoup ont une incidence sur la mise en œuvre de la Convention.

4.Le rapport initial a été élaboré conformément aux directives du Comité relatives à l’établissement des rapports. Une commission interministérielle, assistée par un comité d’experts, a été créée pour superviser le processus, auquel ont participé des représentants des autorités fédérales et régionales, des institutions nationales des droits de l’homme, des organisations de la société civile et du milieu universitaire. Le Comité trouvera dans le document de base commun (HRI/CORE/ETH/2008) des renseignements sur la structure fédérale du pays ainsi que sur le cadre constitutionnel et institutionnel de la promotion et de la protection des droits de l’homme, tant au niveau fédéral qu’au niveau régional.

5.L’Éthiopie a connu un régime cruel dans lequel le Gouvernement utilisait les institutions de l’État pour commettre des violations flagrantes des droits de l’homme et pratiquer massivement la torture. Après son arrivée au pouvoir en 1991, le Gouvernement provisoire s’est employé à faire traduire en justice les hauts responsables de l’ancien régime militaire qui étaient directement impliqués dans les massacres, les actes de torture et les autres crimes commis pendant la dictature. La nouvelle Constitution fédérale, entrée en vigueur en 1996, reconnaît la quasi-totalité des droits de l’homme et des libertés fondamentales protégés par les instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme et établit l’imprescriptibilité du crime de génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Elle reconnaît la primauté des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels l’Éthiopie est partie en tant que sources d’interprétation des dispositions constitutionnelles relatives aux droits de l’homme. Toute personne, sans discrimination, jouit des droits garantis par la Constitution. Celle-ci interdit expressément toutes formes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants et garantit le droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec humanité. Elle contient en outre des dispositions visant spécifiquement à protéger les femmes et les enfants contre les pratiques, les coutumes et les lois traditionnelles qui leur sont préjudiciables; les châtiments corporels à l’égard des enfants sont interdits. L’interdiction de la torture n’est susceptible d’aucune dérogation; elle est également inscrite dans les constitutions des régions.

6.Plusieurs mesures législatives ont été prises pour garantir la compatibilité de la législation nationale avec la Constitution fédérale et avec la Convention contre la torture. Ainsi, le nouveau Code pénal fédéral, adopté en 2004, contient une définition complète de l’infraction de torture et punit sévèrement les actes de torture et tout acte pouvant être considéré comme cruel, inhumain ou dégradant, y compris lorsqu’ils sont le fait de membres des forces de l’ordre. Le Code pénal fédéral réprime également le fait d’infliger des souffrances physiques ou psychologiques à autrui au nom de pratiques traditionnelles préjudiciables telles que les mutilations génitales féminines et les mariages précoces. Des lois et règlements fixant les règles de conduite que doivent observer la police, les procureurs, les directeurs d’établissements pénitentiaires et les agents pénitentiaires ont été adoptés; toute infraction à ces règles peut entraîner des sanctions disciplinaires allant jusqu’à la révocation ou des poursuites pénales. Les procédures applicables aux enquêtes et à l’exercice des poursuites contre des personnes soupçonnées d’avoir participé à des actes de torture sont régies par le Code de procédure pénale, qui prévoit les garanties nécessaires pour en assurer la régularité et l’équité. En Éthiopie comme dans de nombreux autres États, la peine capitale est toujours inscrite dans la loi. On peut néanmoins considérer qu’un moratoire de fait est appliqué puisque la peine de mort est rarement exécutée.

7.Le traitement des détenus est régi par le règlement no 137/2007 du Conseil des ministres relatif à l’Administration pénitentiaire fédérale et le règlement no 138/2007 du Conseil des ministres relatif au traitement des prisonniers fédéraux. Le Code de procédure pénale énonce également des règles en la matière. Les détenus peuvent recevoir la visite de leur famille et de leurs proches et s’entretenir avec leur avocat ainsi qu’avec des représentants religieux. Ils reçoivent une nourriture suffisante, bénéficient de conditions sanitaires satisfaisantes et ont accès aux soins médicaux et aux autres services dont ils ont besoin. La protection de leur dignité et leur droit de pratiquer leur religion sont pleinement garantis. Les détenus qui s’estiment victimes d’une violation peuvent déposer une plainte et des voies de recours leur sont ouvertes dès lors que les faits allégués sont jugés crédibles. Les plaintes de détenus qui dénoncent des restrictions de leur droit de recevoir des visites ou de s’entretenir avec leur défenseur se révèlent souvent sans fondement.

8.Il n’y a aucun lieu de détention secret en Éthiopie. Pendant plusieurs décennies, les forces de l’ordre ont été utilisées par le Gouvernement pour faire régner la terreur et la violence. D’importantes mesures institutionnelles, administratives et législatives ont été prises pour les réformer et faire en sorte qu’elles opèrent dorénavant conformément à la loi. Un programme visant à garantir la professionnalisation des forces de l’ordre a été mis en place, et des inspections et des évaluations sont régulièrement effectuées pour vérifier que leurs agents respectent rigoureusement les lois, directives et règles de conduite en vigueur. En cas de violation, les sanctions prévues par la loi s’appliquent; plusieurs policiers ont ainsi été révoqués. Les forces de l’ordre et les autorités pénitentiaires font l’objet d’une surveillance indépendante, exercée par le Rapporteur spécial sur les conditions carcérales en Afrique de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), la Commission éthiopienne des droits de l’homme et diverses organisations de la société civile. En 2004, le Rapporteur spécial de la CADHP a effectué une mission en Éthiopie, à l’issue de laquelle il a établi un rapport d’évaluation concernant les conditions de détention et le traitement des détenus dans les prisons fédérales et régionales du pays. Plusieurs de ses recommandations ont été prises en considération aux fins de la réforme du système. Le Gouvernement, en partenariat avec l’ONG Prison Fellowship a mis en place plusieurs projets dans le but d’améliorer les conditions de vie des détenus.

9.Des enquêtes indépendantes ont été ouvertes pour faire la lumière sur les violences qui ont éclaté lors des manifestations d’étudiants de l’Université d’Addis-Abeba dans les années 90, pendant le conflit survenu dans la région de Gambella en 2003 et à la suite des élections de mai 2005. En ce qui concerne les manifestations d’étudiants d’Addis-Abeba et les incidents de mai 2005, les forces de l’ordre ont été mises hors de cause; en revanche, l’enquête sur le conflit de Gambella a établi la responsabilité de membres des forces de défense dans la commission de plusieurs violations; plus de 20 agents ont été jugés et condamnés. Les allégations d’actes de torture et de mauvais traitements qui auraient été commis dans les régions Oromia et Somali sont mensongères et dénuées de fondement; le Gouvernement a d’ailleurs permis à la communauté internationale, à la Commission éthiopienne des droits de l’homme et à plusieurs ONG de venir le constater par elles-mêmes. En 2007, le Conseil des droits de l’homme a rejeté une communication confidentielle qui mettait en cause le Gouvernement éthiopien et dans laquelle il était prétendu que des violations, y compris des actes de torture, avaient été commises dans l’Ogaden (région Somali). La Commission des réclamations Érythrée-Éthiopie a lavé l’Éthiopie et les forces de défense éthiopiennes des accusations de pratique systématique de la torture et de mauvais traitements à l’encontre des Érythréens expulsés pendant le conflit qui a opposé l’Éthiopie et l’Érythrée entre 1998 et 2000.

10.L’Éthiopie, comme de nombreux autres pays, doit faire face à la menace terroriste. Plusieurs attentats meurtriers ont été perpétrés dans différentes régions du pays. Le Gouvernement, qui est déterminé à user de tous les moyens autorisés par la loi pour protéger la sécurité de sa population, veille à ce que les mesures antiterroristes mises en œuvre soient conformes aux normes internationales. Les personnes soupçonnées de terrorisme qui sont arrêtées et détenues bénéficient des garanties nécessaires au respect de leur dignité à tous les stades de la procédure. Les lois qui régissent l’expulsion des étrangers et les traités d’extradition conclus par l’Éthiopie avec d’autres États sont compatibles avec les dispositions de la Convention.

11.L’éducation, la sensibilisation et la formation font partie intégrante de la stratégie mise en œuvre par l’Éthiopie pour prévenir la torture et pour donner aux victimes les moyens d’exercer des recours. Dans son rapport de 2007 sur sa mission en Éthiopie (A/HRC/4/9/Add.3), l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités a qualifié d’exemplaire le programme d’enseignement des droits de l’homme mis en œuvre par l’Éthiopie. L’éducation civique et morale est inscrite dans les programmes de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Dès l’école primaire, les enfants apprennent les fondements des droits de l’homme.

12.En vertu de la Constitution, les institutions religieuses, les structures traditionnelles et les établissements qui accueillent des enfants ont le devoir de protéger les personnes vulnérables contre les pratiques traditionnelles préjudiciables et les châtiments corporels. En complément des mesures législatives prises pour réprimer ces pratiques, un organisme de coordination nationale a été créé pour promouvoir leur élimination; il travaille en collaboration avec les établissements d’enseignement et les mécanismes traditionnels.

13.Il est essentiel de former les policiers, le personnel pénitentiaire, les agents des forces de défense et de sécurité, les procureurs et les juges afin qu’ils appliquent efficacement la Convention. L’École fédérale de la magistrature dispense aux futurs juges et procureurs un enseignement sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Les forces de défense éthiopiennes reçoivent une excellente formation en droit international des droits de l’homme et en droit international humanitaire, notamment dans le cadre de programmes de coopération avec le Comité international de la Croix-Rouge. Avec la collaboration de la Commission éthiopienne des droits de l’homme, des universités et des organisations de la société civile, plusieurs activités de formation ont été organisées à l’intention des principales institutions responsables de l’application des lois. On ne peut nier cependant que malgré ses efforts, le pays est toujours en butte à de nombreuses difficultés qui entravent la pleine réalisation des droits et des libertés consacrés par la Convention. L’ignorance et le manque de personnel qualifié et de moyens techniques sont des obstacles de taille. La conception traditionnelle selon laquelle la coercition, utilisée dans des proportions raisonnables, est nécessaire pour obtenir la vérité doit être combattue avec force; des actions de sensibilisation et de renforcement des capacités continueront d’être menées dans ce sens.

14.M. Gaye (Rapporteur pour l’Éthiopie) accueille avec satisfaction le rapport initial de l’État partie, tout en relevant qu’il a été soumis avec quatorze années de retard. De manière générale, ce document contient beaucoup de renseignements sur les mesures législatives qui ont été prises afin de donner effet aux dispositions de la Convention, mais très peu d’exemples d’application concrète de la législation pertinente. Cette lacune se fait d’autant plus sentir que le Comité a reçu des informations d’organisations non gouvernementales et de mécanismes des Nations Unies montrant que la situation dans l’État partie est préoccupante pour ce qui concerne l’application de la Convention. M. Gaye relève notamment que dans son rapport sur la mission qu’elle a effectuée en Éthiopie en 2006 (A/HRC/4/9/Add.3), l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités a noté que le fédéralisme à dimension ethnique avait été utilisé pour politiser l’ethnicité en tant que principale caractéristique identitaire, ce qui avait engendré une dynamique de discrimination et d’exclusion et que certaines des communautés les moins nombreuses du pays risquaient de disparaître en tant que groupes distincts. L’experte indépendante a également appelé l’attention sur la nécessité de prendre des mesures pour garantir la liberté des partis politiques et de la presse et pour libérer ou juger équitablement les opposants politiques, universitaires, journalistes et étudiants qui se trouvaient en détention. En outre, le fait que l’État partie n’ait pas accepté l’intégralité des recommandations formulées à l’issue de l’Examen périodique universel (EPU) auquel il a été soumis en 2009 (A/HRC/13/17) est un motif de préoccupation.

15.La délégation éthiopienne voudra bien indiquer si l’élaboration du rapport initial a fait l’objet de larges consultations et si toutes les parties prenantes, dont les organismes de défense des droits de l’homme et les organisations non gouvernementales, y ont été associées. Il serait utile de savoir si, en cas de conflit entre le droit interne − en particulier la Constitution − et le droit international, ce dernier l’emporterait et quelles normes sont applicables en matière de règlement des conflits de compétence entre juridictions fédérales et juridictions régionales.

16.Le Rapporteur relève que la notion de torture est utilisée dans le Code pénal éthiopien mais qu’elle n’y est pas définie. Sachant que tous les instruments internationaux ratifiés par l’Éthiopie font partie intégrante du droit interne, il demande si on peut considérer que cette lacune est comblée par la possibilité d’invoquer la définition de la torture qui figure à l’article premier de la Convention. Étant donné que le rapport initial ne contient pas de renseignement précis sur les mesures législatives adoptées afin de prévenir la torture, en particulier dans le contexte de la privation de liberté, M. Gaye souhaiterait savoir si une distinction est faite en droit éthiopien entre la garde à vue et la détention provisoire. À cet égard, il souhaiterait de plus amples informations sur la façon dont le droit d’habeas corpus est concrètement appliqué.

17.Dans son rapport, l’État partie indique que des responsables d’actes de torture ont été punis, sans préciser la nature des peines qui ont été prononcées. Il reconnaît par ailleurs que les mesures de prévention des violations de la Convention qui ont été adoptées n’ont pas été suffisamment efficaces. Le Rapporteur invite donc la délégation éthiopienne à citer des affaires de torture et à donner des statistiques sur le nombre de plaintes pour torture et sur les poursuites et les condamnations auxquelles ces plaintes ont donné lieu en précisant la nature des peines prononcées et, le cas échant, le nombre de décisions d’acquittement rendues par les tribunaux. En outre, il souhaiterait connaître la cause des nombreux décès qui se produisent dans les prisons étant donné que, selon l’État partie, ces décès ne sont pas imputables aux conditions de détention.

18.D’après le document de base (HRI/CORE/ETH/2008), la Constitution prévoit plusieurs restrictions et dérogations limitant les droits de l’homme et les libertés fondamentales dans les situations d’exception, notamment lorsque l’état d’urgence est proclamé. M. Gaye demande quelles sont les incidences de l’état d’urgence sur le respect des garanties protégeant les droits de l’homme, en particulier les dispositions interdisant la torture et garantissant le droit des suspects d’avoir accès à un avocat et à un médecin et de contacter leurs proches en cas d’arrestation. Le Comité ayant reçu des informations d’organisations non gouvernementales selon lesquelles des personnes seraient maintenues au secret ou placées dans des prisons secrètes pendant des périodes prolongées, le Rapporteur souhaiterait connaître la durée maximale de la garde à vue et de la détention provisoire.

19.D’après des informations portées à la connaissance du Comité, des exactions, dont des exécutions extrajudiciaires et des viols, auraient été commises par l’armée éthiopienne en 2007 dans la région de l’Ogaden. Des renseignements seraient bienvenus sur la situation prévalant actuellement dans cette région et sur les résultats de l’enquête ouverte à la demande du Gouvernement éthiopien sur ces violations, ainsi que sur la suite qui y a été donnée. Le Rapporteur note en outre que les rôles respectifs de la police et de l’armée ne sont pas clairement distincts, ce qui pose des difficultés en cas d’allégations de torture, lorsqu’il s’agit d’établir les responsabilités. À cet égard, il serait intéressant de savoir s’il existe une autorité indépendante chargée de surveiller les activités de la police et de l’armée.

20.D’après les renseignements dont dispose le Comité, les personnes en instance d’expulsion n’ont pas la possibilité de former un recours devant un organe judiciaire indépendant afin de demander que celui-ci vérifie si l’État partie respecte ses obligations en matière de non-refoulement. La délégation éthiopienne pourrait donc indiquer si les fonctionnaires habilités à prendre des mesures d’expulsion reçoivent une formation sur les instruments relatifs aux droits de l’homme, en particulier la Convention, et citer des affaires dans lesquelles des demandes d’extradition ont été acceptées ou rejetées, en précisant les motifs de la décision. Lorsqu’un étranger est poursuivi par la justice éthiopienne, un organe indépendant vérifie-t-il si les autorités consulaires du pays d’origine de l’intéressé ont été averties?

21.La délégation éthiopienne pourra peut-être également indiquer s’il existe des règles de preuve et, le cas échéant, décrire comment elles sont appliquées dans la pratique. Il est dit au paragraphe 148 du rapport que, contrairement à la pratique suivie dans la plupart des pays, les faits qui ne revêtent pas le caractère d’infraction politique ne peuvent pas donner lieu à extradition dans l’État partie. Des explications seraient nécessaires sur ce point. Étant donné qu’en Éthiopie, l’extradition est subordonnée à l’existence d’un traité, il serait bon de savoir s’il est déjà arrivé qu’une personne soit extradée sur la base des dispositions de la Convention. Enfin, la délégation éthiopienne voudra bien indiquer si la législation interne prévoit des mesures d’entraide judiciaire aux fins de l’application de la Convention.

22.M me Belmir (Corapporteuse pour l’Éthiopie) prend acte avec satisfaction du rapport initial ainsi que du document de base de l’État partie. Elle note que le rapport de mission de l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités cité par M. Gaye permet de mieux comprendre les problèmes auxquels l’État partie est confronté et l’importance que revêt la Constitution dans un État fédéral caractérisé par une grande diversité ethnique et linguistique. En ce qui concerne les régions de l’Ogaden et d’Oromia, la Corapporteuse dit que la situation prévalant dans ces zones est assimilable à un état d’urgence car, comme souligné par M. Gaye, le rôle de la police et celui de l’armée se confondent et les droits et libertés des personnes ne semblent pas être respectés. Elle relève avec préoccupation que le droit à la vie ne figure pas au nombre des droits de l’homme non susceptibles de dérogations, même dans les circonstances les plus extrêmes, cités par l’État partie dans le document de base.

23.Concernant l’article 10 de la Convention, la Corapporteuse note que l’État partie mène beaucoup d’activités dans le domaine de la sensibilisation et de la formation aux droits de l’homme, notamment à l’intention des membres des organes chargés de l’application des lois. Or, d’après le paragraphe 14 du rapport initial, les efforts déployés dans ce domaine semblent loin d’avoir porté leurs fruits. Il serait donc utile de savoir si l’État partie envisage de revoir son système de formation et de sensibilisation aux droits de l’homme.

24.En ce qui concerne les règles, instructions, méthodes et pratiques d’interrogatoire et les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées, Mme Belmir demande des précisions sur le rôle du parquet, qui semble prédominant. Elle s’inquiète du risque que l’arrestation ou la détention échappent au contrôle de l’autorité judiciaire. Il est indiqué au paragraphe 67 du document de base de l’Éthiopie que le droit éthiopien comprend notamment la Constitution, les lois votées, les traités internationaux ratifiés ou les décisions de la section de cassation de la Cour, les lois religieuses et coutumières s’appliquant dans les affaires familiales et privées lorsque les parties consentent à être jugées en vertu de telles lois, «dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la Constitution». Il serait utile de savoir quelle est l’autorité compétente pour régler d’éventuels conflits entre ces lois et les autres dispositions du droit interne et d’avoir des précisions sur ce qu’il faut entendre par lois «religieuses».

25.D’après certaines informations portées à la connaissance du Comité, l’autorité judiciaire serait souvent soumise à l’influence du pouvoir exécutif. La délégation voudra peut-être faire des commentaires sur ce point et indiquer quelles mesures sont prises pour garantir l’indépendance de la justice. Elle pourra peut-être également commenter les renseignements selon lesquels dans certaines régions du pays en proie à un conflit armé, notamment l’Ogaden et Oromia, les juges ne tiendraient pas compte des allégations relatives à des actes de torture émanant de détenus, par peur de perdre leur emploi, voire leur vie. Enfin, Mme Belmir voudrait savoir pourquoi l’Éthiopie n’a pas accepté 32 recommandations faites dans le cadre de l’Examen périodique universel, notamment des recommandations relatives à la traite des êtres humains, alors que la plupart d’entre elles ne soulevaient pas de difficultés particulières quant à leur mise en œuvre.

26.M. Mariño Menéndez voudrait savoir si l’état d’urgence a été officiellement déclaré dans l’ensemble du pays − il semblerait que cela soit le cas dans certaines régions − et, dans l’affirmative, si les instruments internationaux pertinents ont été respectés. Il serait intéressant de savoir en particulier si l’État partie a utilisé le droit de dérogation prévu par l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et, dans l’affirmative, s’il a respecté les conditions prévues par cet article. Il semblerait que certaines régions du pays soient en proie à un conflit armé interne, même si l’état de guerre n’est pas reconnu. La situation est d’autant plus ambiguë que la législation n’établit pas véritablement de distinction entre lutte contre le terrorisme et action militaire. Des éclaircissements sur la situation juridique du pays seraient donc particulièrement utiles au Comité.

27.M. Mariño Menéndez voudrait savoir si le principe de non-refoulement consacré à l’article 3 de la Convention est appliqué à toutes les catégories d’étrangers, sans distinction. D’après les renseignements communiqués par l’État partie, toute personne placée en détention a le droit de contacter immédiatement un membre de sa famille mais il semblerait que le droit de consulter un avocat ne puisse pas être exercé dès le début de la détention. La délégation pourra peut-être indiquer si la loi fixe des délais en ce qui concerne l’accès à un avocat. La question de la détention sans contrôle judiciaire se pose dans le contexte de la législation antiterroriste, qui présente les caractéristiques d’une législation d’exception puisqu’elle confère à la police et aux services de renseignements des pouvoirs qui empiètent sur ceux de la justice.

28.Pour ce qui est des milices régionales, M. Mariño Menéndez voudrait savoir si elles dépendent directement de l’État et agissent sous son contrôle, ce qui signifierait que l’État peut-être tenu pour responsable des violations des droits de l’homme, notamment de l’interdiction de la torture, commises par des miliciens. Enfin, il souhaiterait savoir si l’Éthiopie envisage de relever l’âge de la majorité pénale qui est très bas, d’accorder une protection spéciale aux enfants apatrides, apparemment très nombreux en Éthiopie, et d’interdire complètement les châtiments corporels sur les enfants, y compris dans la famille.

29.M me Sveaass note que le Code pénal érige expressément la torture en infraction et prévoit des peines d’emprisonnement sévères à l’encontre des auteurs d’actes de torture; elle demande combien de personnes purgent actuellement une peine de prison en application de ces dispositions. Le Comité a appris que les représentants du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) avaient rencontré des difficultés pour accéder à des lieux de détention. La délégation pourra peut-être indiquer quelles organisations de la société civile sont autorisées à effectuer des visites dans les lieux de détention de la police et dans les établissements pénitentiaires, et donner des précisions sur les modalités de ces visites. Des précisions sur les fonctions de la Commission éthiopienne des droits de l’homme seraient les bienvenues. L’État partie envisage-t-il de prendre des mesures pour renforcer cet organe? Plusieurs demandes de visite ont été adressées aux autorités éthiopiennes par des titulaires de mandat au titre de procédures spéciales, notamment le Rapporteur spécial sur la question de la torture. L’État partie a-t-il l’intention d’y répondre favorablement?

30.M me Kl e opas, soulignant l’importance de la lutte contre l’impunité des auteurs d’actes de torture, demande si l’État partie a pris des mesures pour faire en sorte que les allégations faisant état d’actes de torture commis par des policiers donnent lieu à des enquêtes indépendantes. Elle souhaiterait également savoir si des enquêtes peuvent être diligentées en l’absence de plainte, lorsqu’il y a des raisons sérieuses de croire qu’un acte de torture a été commis.

31.Selon des informations portées à la connaissance du Comité, la pratique de la torture serait généralisée en Éthiopie. Il serait intéressant d’entendre les commentaires de la délégation à ce sujet et d’avoir des précisions sur les cas de MM. Hussein Ahmed Osman, Mezegebu Effa et Abdi Omar, qui auraient tous trois été victimes d’actes de torture. Enfin, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a recommandé à l’Éthiopie de renforcer ses mesures visant à éliminer les pratiques traditionnelles préjudiciables, notamment les mutilations génitales féminines. Quelle suite a été donnée par l’État partie à cette recommandation?

32.M. Bruni note que l’article 19 de la loi antiterroriste no 652/2009 prévoit que la police peut arrêter sans mandat judiciaire toute personne suspectée d’avoir commis ou de s’apprêter à commettre une infraction terroriste, l’intéressé n’étant présenté à un juge qu’au terme d’un délai de quarante-huit heures. Cette disposition est préoccupante en ce que la personne arrêtée ne semble bénéficier d’aucune protection légale pendant cette période, où le risque de mauvais traitements, voire d’actes de torture, est le plus important. La Constitution de l’Éthiopie prévoit la création d’un bureau d’enquête sur l’état d’urgence, chargé de veiller à ce qu’aucune mesure prise dans le cadre de l’état d’urgence ne soit cruelle, inhumaine ou dégradante de quelque manière que ce soit. Il serait intéressant de savoir si cet organe a été effectivement mis en place et, dans l’affirmative, quel est son rôle vis-à-vis de la nouvelle loi antiterroriste.

33.Il serait également utile d’avoir des précisions sur les personnes ou entités habilitées à effectuer des visites dans les lieux de détention. Dans une communication adressée au Comité en septembre 2010, Human Rights Watch affirme que le CICR n’est pas autorisé à se rendre dans les prisons fédérales, dans les postes de police et dans les centres de détention militaires, contrairement à ce qui est affirmé dans le rapport. La délégation pourra peut-être indiquer clairement si les visites du CICR sont autorisées et, dans l’affirmative, préciser quand et où a eu lieu la dernière visite effectuée par cet organisme et quel en a été le résultat. De manière générale, le Comité souhaiterait savoir à quelle fréquence les institutions mentionnées dans le rapport − notamment la Commission éthiopienne des droits de l’homme − procèdent à des visites, si ces visites peuvent être inopinées, si des rapports présentant les conclusions et recommandations formulées à l’issue de ces visites sont publiés et quelle suite y est donnée par les autorités compétentes. Dans son rapport de juillet 2008, la Commission éthiopienne des droits de l’homme a appelé l’attention sur la situation déplorable dans la majorité des centres de détention, pour la plupart surpeuplés, et recommandé que des mesures soient prises pour y remédier. La délégation pourra peut-être indiquer quel est le taux actuel d’occupation des centres de détention et quelles mesures ont été prises pour améliorer les conditions de détention.

34.M me Gaer s’étonne de ce que le Gouvernement éthiopien ait pris si longtemps à soumettre un rapport au Comité et invite la délégation à expliquer les raisons de ce retard. Elle relève que le Rapporteur spécial sur la question de la torture a adressé au Gouvernement éthiopien plusieurs demandes d’invitation à se rendre dans le pays depuis 1995 et demande à la délégation d’indiquer s’il est prévu d’autoriser une telle visite et, dans la négative, d’exposer les raisons de ce refus.

35.Il a été noté lors de l’Examen périodique universel dont l’Éthiopie a fait l’objet qu’une loi récente classait les ONG qui recevaient plus de 10 % de leur budget de l’étranger dans la catégorie des «organismes caritatifs étrangers» et les empêchait de s’occuper de droits de l’homme. Le Gouvernement éthiopien a rejeté la recommandation qui lui a été faite d’abroger cette loi, ce qui appelle des commentaires. À ce sujet, il serait utile d’avoir des renseignements sur le nombre de demandes d’enregistrement qui ont été déposées par des ONG et sur le nombre de ces demandes qui ont été acceptées.

36.Les violences sexuelles et les pratiques du mariage précoce et de l’enlèvement de femmes et d’enfants à des fins de mariage forcé semblent courantes dans l’État partie. La délégation pourra peut-être indiquer quelles mesures ont été prises par le Gouvernement pour lutter contre ces phénomènes et expliquer pourquoi il maintient la disposition en vertu de laquelle l’auteur d’un rapt ou d’un viol n’est pas puni si la victime accepte de l’épouser.

37.Les renseignements dont dispose le Comité indiquent que de nombreux enfants vivant dans les régions rurales sont victimes de traite à des fins de travail domestique et, dans une moindre mesure, d’exploitation sexuelle. Selon le rapport 2009 sur les droits de l’homme du Département d’État américain, bien que de nombreuses enquêtes sur de tels cas aient été menées, pas un seul d’entre eux n’a donné lieu à des poursuites, ce qui est surprenant compte tenu de ce que ces pratiques sont couramment dénoncées, y compris par le Gouvernement éthiopien. Des commentaires sur cette question seraient les bienvenus.

38.M. Gallegos Chiriboga note avec satisfactionque l’État partie a ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées et souligne qu’il importe de veiller à ce que les détenus souffrant d’un handicap, notamment d’un handicap psychosocial, soient séparés des autres détenus. Évoquant certaines pratiques traditionnelles très préjudiciables aux femmes, telle la mutilation génitale féminine, il demande à la délégation de fournir des précisions sur les mesures prises pour venir en aide aux femmes qui en sont victimes.

39.M. WangXuexiannote que le champ de la loi antiterroriste est très large et couvre notamment les actes qui causent de graves dommages matériels ou des dommages à l’environnement, qui portent atteinte au patrimoine historique ou culturel ou qui perturbent un service public, ce qui pose la question de l’application de cette loi dans la pratique. Des observations à ce sujet seraient souhaitables.

40.Le Président , relevant que la délégation a indiqué que les peines de mort étaient rarement exécutées et que l’on pouvait donc considérer qu’un moratoire de fait sur cette peine était en vigueur, fait observer qu’un tel moratoire implique qu’aucune peine de mort n’est exécutée. Il souhaiterait donc savoir si cette peine a été appliquée pendant la période considérée et, dans la négative, si les autorités envisagent de prolonger ce moratoire. Notant qu’il n’y a pas de définition unique de la torture dans la législation éthiopienne, il demande à la délégation d’indiquer s’il est prévu d’incorporer dans le Code pénal une définition de la torture qui soit conforme à celle qui figure à l’article premier de la Convention. Par ailleurs, il serait très utile que le Comité dispose de copies des règlements et directives fournis aux agents des forces de l’ordre et aux agents pénitentiaires ainsi que du manuel utilisé pour leur formation afin de pouvoir se faire une meilleure idée de la manière dont l’État partie s’acquitte de ses obligations en matière de prévention.

41.Il serait intéressant que l’État partie fournisse une liste des dates auxquelles l’état d’urgence a été décrété depuis 1994 ainsi que des précisions concernant les circonstances qui ont conduit à prendre une telle mesure. Des précisions sur la composition du Bureau d’enquête sur l’état d’urgence et sur ses activités seraient également utiles.

42.Le Code pénal ne contient pas de dispositions claires concernant l’établissement des responsabilités dans le cas d’actes de torture commis sur l’ordre d’un supérieur. Le paragraphe 2 de l’article 743 dispose qu’une personne ayant commis une infraction n’est pas punissable si elle obéit à l’ordre d’un supérieur agissant dans le cadre de ses fonctions et n’outrepasse pas cet ordre. Une autre disposition sanctionne le fait pour une personne de commettre un acte criminel en exécution d’un ordre tout en étant consciente de la nature criminelle dudit acte et énumère certaines des infractions ainsi visées, parmi lesquelles ne figure pas la torture. La délégation pourra peut-être apporter des éclaircissements sur la question de savoir pourquoi la torture ne figure pas expressément au nombre des infractions qui ne peuvent pas être justifiées en invoquant l’ordre d’un supérieur. Elle pourra peut-être également fournir des données sur le nombre de poursuites engagées depuis 2004 en vertu de l’article 424 du Code pénal, sur les chefs d’inculpations retenus, sur les condamnations prononcées et sur les sanctions prononcées.

43.Le Président demande s’il existe des données sur le nombre de cas où un procureur a été rétrogradé ou destitué pour non-respect des droits de l’homme ou de la dignité humaine en vertu du Règlement administratif no 44/1998 du Conseil des ministres relatif aux procureurs fédéraux. Par ailleurs, il souhaiterait connaître la liste des États avec lesquels l’Éthiopie a conclu un accord d’entraide judiciaire et savoir si ces accords couvrent l’infraction de torture et quel est l’organe responsable du traitement des demandes d’entraide judiciaire.

44.Le CICR ayant été expulsé de la région de l’Ogaden en 2007, le Président se demande ce qu’il en est de la présence actuelle de cet organisme dans le pays et de ses rapports avec les autorités éthiopiennes. Selon un rapport d’Amnesty International, le nombre des étudiants de l’Université d’Addis-Abeba arrêtés lors des manifestations de juin 2005 a été de 4 500 et 190 d’entre eux ont été détenus pendant plus d’un mois. Des étudiants auraient été victimes de mauvais traitements; certains auraient notamment été contraints à marcher à genoux sur des pierres coupantes. Or la délégation a indiqué qu’il a été conclu que la responsabilité des forces de l’ordre n’était pas engagée, ce qui appelle des éclaircissements. Il serait en outre utile de savoir si le Code civil prévoit l’octroi de réparations aux membres de la famille des personnes décédées des suites d’actes de torture et si des actes de torture ou des mauvais traitements infligés par un agent de l’État ont déjà donné lieu à des mesures de réparation et, dans l’affirmative, quelles étaient ces mesures.

45.Concernant le problème de la violence à l’égard des femmes, il serait intéressant d’avoir des renseignements sur le nombre de poursuites engagées pour violences dans la famille et de personnes condamnées pour viol pendant la période considérée, ainsi que sur les peines prononcées et sur les réparations accordées.

46.Le Président remercie la délégation éthiopienne et l’invite à poursuivre le dialogue à la prochaine séance.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 17 h 20 .