COMITÉ CONTRE LA TORTURE
Trente‑septième session
COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 728e SÉANCE
tenue au Palais Wilson, à Genève,le mercredi 8 novembre 2006, à 10 heures
Président: M. MAVROMMATIS
puis: M. KOVALEV
puis: M. MAVROMMATIS
SOMMAIRE
EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATIONDE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)
Quatrième rapport périodique du Mexique
La séance est ouverte à 10 h 10.
EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 6 de l’ordre du jour) (suite)
Quatrième rapport périodique du Mexique (CAT/C/55/Add.12; CAT/C/MEX/Q/4 et Rev.1; HRI/CORE/MEX/2005)
1. Sur l’invitation du Président, la délégation mexicaine prend place à la table du Comité.
2.Mme GONZÁLEZ DOMÍNGUEZ (Mexique) indique que le quatrième rapport périodique du Mexique a été élaboré selon une nouvelle méthode consistant à prendre en compte des renseignements émanant d’organes du système des Nations Unies, des milieux universitaires et d’organisations de la société civile.
3.Le Gouvernement mexicain continue de déployer des efforts considérables afin de remplir les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention contre la torture. En 2004, le pouvoir exécutif fédéral a présenté un projet ambitieux de réforme judiciaire, que le pouvoir législatif actuellement en place devra réviser et, le cas échéant, approuver. L’exécution de ce projet n’a toutefois pas progressé au même rythme dans tous les États du pays.
4.Le 18 août 2003, dans le cadre de la mise en œuvre du Protocole d’Istanbul, le Bureau du Procureur général de la République a publié au Journal officiel la décision A/057/2003 dans laquelle sont énoncées les directives officielles que doivent suivre les médecins-légistes aux fins de la réalisation d’une expertise médico-psychologique en cas de présomption d’actes de torture ou de mauvais traitements. Ce texte est actuellement appliqué au plan fédéral. En outre, le 11 avril 2005, le Mexique a ratifié le Protocole facultatif à la Convention, lequel est entré en vigueur en juin 2006. Par conséquent, le Gouvernement mexicain est tenu de créer un mécanisme national de prévention de la torture d’ici juin 2007; à cette fin, il a d’ores et déjà lancé un processus de consultation avec divers organismes publics et des membres de la société civile.
5.Le Mexique a encore un long chemin à parcourir pour éradiquer totalement la torture. Le Gouvernement compte donc collaborer étroitement avec les organismes internationaux de défense des droits de l’homme, dont le Comité contre la torture, afin d’améliorer l’administration de la justice et de protéger les droits fondamentaux de toutes les personnes.
6.M. ÁLVAREZ LEDESMA (Mexique) indique que le Bureau du Procureur général de la République est informé des cas de torture ou de mauvais traitements par deux voies: par le biais de la Commission nationale des droits de l’homme et par le ministère public de la Fédération. Pendant la période allant de 2001 jusqu’au 31 octobre 2006, la Commission nationale des droits de l’homme a été saisie de 4 041 plaintes portées contre des fonctionnaires du Bureau du Procureur général pour violation des droits de l’homme, dont 92 seulement concernaient des actes de torture, et elle a adressé au Bureau du Procureur général 12 recommandations, dont deux avaient trait à des actes de torture et une à des traitements cruels ou dégradants.
7.En septembre 2003, un comité de contrôle et d’évaluation des expertises médico‑psychologiques faites en cas de présomption de torture et un groupe consultatif sur la question ont été constitués. Depuis sa création, le comité a tenu quatre sessions et a examiné 75 expertises médico-psychologiques effectuées à la suite de plaintes mettant en cause des agents de l’État. L’existence de mauvais traitements et d’actes de torture a été démontrée dans 12 et neuf cas respectivement. Il convient toutefois de souligner que, dans aucun des cas où des actes de torture avaient pu être décelés, les faits ont été imputés à des fonctionnaires du Bureau du Procureur général.
8.Ayant encore beaucoup à faire pour en finir avec la pratique de la torture dans le pays et éliminer l’impunité, le Gouvernement mexicain doit faire en sorte que les normes internationales pertinentes soient incorporées dans l’ordre juridique interne et appliquées et que des programmes de coopération technique avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme soient exécutés à ces fins. En particulier, il devrait prendre des mesures afin que les mauvais traitements soient définis dans les législations locales et fédérale.
9.Le Protocole d’Istanbul est déjà mis en œuvre par le Bureau du Procureur général de la République et par les parquets généraux de cinq États ainsi que celui du District fédéral et il doit être appliqué dans un avenir proche par les parquets généraux de cinq autres États. Il serait nécessaire que leurs homologues en place dans les autres États où le Protocole n’est pas encore appliqué ainsi que le parquet général de la justice militaire suivent leur exemple afin que les recommandations du Comité contre la torture soient pleinement mises en œuvre dans tout le pays. Étant donné que la décision A/057/2003 prévoit des mécanismes destinés à garantir la transparence, l’opinion publique est tenue informée des affaires de torture et de mauvais traitements présumés dans lesquelles une expertise médico-psychologique a été réalisée.
10.Les autorités chargées d’administrer les centres fédéraux de réadaptation sociale du Ministère de la sécurité publique ont dispensé une formation à leur personnel afin que celui‑ci soit en mesure d’effectuer un examen médico-psychologique en cas de présomption d’actes de torture et de mauvais traitements. C’est là un exemple que l’ensemble des autorités pénitentiaires locales, municipales et militaires devraient suivre.
11.M. LAGUNES LÓPEZ (Mexique) indique à propos de l’application du Protocole d’Istanbul que le Ministère de la sécurité publique exécute depuis 2001 un programme de formation à l’intention de son personnel ainsi que des employés des organes administratifs décentralisés. Les cours prévus dans ce cadre sont dispensés par des instructeurs provenant de divers départements fédéraux et locaux, d’établissements universitaires, d’organismes internationaux et d’organisations de la société civile. Cette formation est obligatoire et s’ajoute à celle qui est dispensée par le centre de formation de la police au sujet du cadre juridique de la lutte contre la torture. En outre, avec d’autres entités publiques, dont le Bureau du Procureur général, la Commission nationale des droits de l’homme et les collectivités locales, le Ministère de la sécurité publique a lancé un programme conjoint de formation au Protocole d’Istanbul destiné aux fonctionnaires travaillant dans les centres fédéraux de réinsertion sociale et les centres de rééducation pour mineurs. Au total, 878 cours ont été dispensés à 32 721 personnes. L’exécution de ce programme a entraîné une diminution du nombre de plaintes faisant état de violations des droits de l’homme reçues par le Ministère de la sécurité publique qui est tombé de 1 377 en 2001 à 709 en 2005 puis à 257 en 2006. Il convient de rappeler que la loi fédérale visant à prévenir et réprimer la torture s’applique à tous les agents de l’État, y compris les membres des forces armées et le personnel des prisons de haute sécurité.
12.À la suite d’activités de lutte contre la torture menées au plan fédéral, trois suspects et deux accusés sont actuellement en détention provisoire au centre fédéral de réinsertion sociale no 1 «Altiplano» et un condamné exécute au centre de réinsertion sociale no 3 «Noreste» une peine prononcée en 1991. Enfin, en 2006, la Commission nationale des droits de l’homme a formé 46 000 agents de l’État, dont des fonctionnaires du Bureau du Procureur général de la République, ainsi que des membres des forces armées.
13.Mme PÉREZ DUARTE (Mexique), abordant la question de la violence contre les femmes, dit que le Gouvernement s’est engagé à faire tout son possible pour prévenir, réprimer et éradiquer ce phénomène. C’est dans ce but qu’a été créé en avril 2006 le service spécial du Procureur chargé de la violence contre les femmes, qui a les mêmes compétences que le parquet fédéral. Dans le cadre de son mandat, le service a mis en place des mécanismes de coordination et de coopération avec les parquets locaux, notamment en ce qui concerne l’application de Stratégies et mesures concrètes types pour l’élimination de la violence contre les femmes dans le cadre de la prévention du crime et de la justice pénale et de la mise en œuvre du Protocole d’Istanbul. En outre, des accords de coopération ont été conclus en vue de dispenser une formation en la matière aux fonctionnaires du ministère public et aux membres féminins de la police chargés des enquêtes.
14.Citant un exemple marquant des actions entreprises par le service spécial du Procureur, Mme Pérez Duarte indique qu’en mai 2006 une enquête préliminaire a été ouverte d’office, c’est‑à‑dire sans qu’aucune plainte ait été déposée, pour faire la lumière sur des incidents survenus dans la prison de Santiaguito à San Salvador Atenco (État de Mexico) au cours desquels plusieurs femmes arrêtées lors de manifestations ont subi des sévices, incidents dont le service spécial avait été informé par les médias. Lorsque les fonctionnaires du service spécial ont rencontré les 13 femmes concernées, ils leur ont indiqué qu’ils ajoutaient foi en leurs déclarations et que le service spécial se chargerait de prouver l’existence des sévices sexuels qu’elles avaient endurés. Ayant constaté qu’en l’espèce, les violences sexuelles qui avaient été commises étaient des actes constitutifs de torture, le service spécial a requalifié le chef d’accusation et placé l’affaire dans le cadre de la Convention contre la torture et la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme (Convention de Belém do Pará). Cette approche a amené le service spécial à autoriser des expertises effectuées conformément au Protocole d’Istanbul par des spécialistes choisis par les victimes, à s’efforcer d’éviter la double victimisation des femmes concernées et à inviter la Commission nationale des droits de l’homme à lui communiquer les éléments de preuve qu’elle avait recueillis sur cette affaire.
15.En conclusion, Mme Pérez Duarte juge encourageant qu’en huit mois d’activité le service spécial soit parvenu à mettre en place des mécanismes de travail qui marquent une nouvelle étape dans l’administration de la justice en ce qu’ils tendent à appliquer les normes internationales en prenant en considération les problèmes touchant les femmes.
16.M. GROSSMAN (Rapporteur pour le Mexique) note avec satisfaction le haut niveau de la délégation mexicaine, qu’il remercie de sa présentation orale ainsi que des réponses écrites à la liste des points à traiter. Il constate avec plaisir que l’État partie est disposé à maintenir le dialogue avec le Comité et fait preuve d’autocritique dans son rapport. Il juge également encourageant que le Mexique ait reçu la visite de procédures spéciales de l’Organisation des Nations Unies, dont le Rapporteur spécial sur la question de la torture, et qu’il ait ratifié le Protocole facultatif à la Convention. Enfin, il est satisfait de voir l’importance que l’État partie accorde à la participation de la société civile mexicaine à la mise en œuvre de la Convention.
17.Concernant l’application de l’article premier de la Convention, le Rapporteur note que d’après le paragraphe 25 du rapport, dans le droit interne, la torture est définie comme le fait d’infliger des douleurs ou des souffrances aiguës. Or, il lit ailleurs dans le rapport que, d’après des organisations non gouvernementales, dans la pratique, les juges considèrent que si des lésions corporelles mettent moins de 15 jours à guérir, elles ne doivent pas être considérées comme des séquelles de torture car elles ne correspondent pas à des douleurs ou des souffrances graves (par. 278). M. Grossman se demande si cette interprétation est compatible avec l’article premier de la Convention et si des infractions telles que le viol, les tortures psychologiques et les tortures physiques qui ne laissent pas de trace visible au-delà d’une période de 15 jours sont punies en tant qu’actes de torture ou en vertu d’autres qualifications. M. Grossman souhaite, d’autre part, savoir si les nombreux instruments internationaux auxquels le Mexique est partie, qui contiennent des dispositions interdisant la torture, sont directement applicables par les tribunaux. Notant que le Code pénal du District fédéral punit tout agent public qui, dans l’exercice de ses fonctions, inflige des douleurs ou des souffrances à une personne alors que la définition de la torture énoncée dans la législation fédérale ne prévoit de sanctions que lorsque les souffrances infligées sont «aiguës», il souhaite savoir si cela a des répercussions sur le nombre de poursuites pénales engagées et de condamnations prononcées pour actes de torture. Constatant que le Code de justice militaire ne contient pas de définition précise de la torture, il souhaite que la délégation apporte des éclaircissements à ce sujet.
18.À propos de l’article 2 de la Convention, M. Grossman note la mise en place d’un système spécial d’expertise médico-psychologique pour les cas présumés de torture et/ou de mauvais traitements. Il demande si la délégation pourrait fournir au Comité une copie d’un certificat médico-psychologique pour qu’il ait une idée de la nature des examens pratiqués. À ce propos, il juge surprenant que 75 certificats seulement aient été délivrés entre septembre 2003 et octobre 2006. Ce nombre est certes en adéquation avec celui des affaires de torture portées devant les tribunaux, mais il paraît relativement faible dans l’absolu. Soulignant la nécessité pour les victimes présumées de bénéficier d’un examen indépendant pendant leur détention, il demande à l’État partie d’indiquer les mesures adoptées en vue de garantir l’indépendance des médecins chargés d’établir les certificats médico-psychologiques. Il demande en outre si des programmes ont été mis en place pour former des experts indépendants ainsi que le personnel médical.
19.Le Rapporteur spécial note que, de manière générale, les tribunaux considèrent que les expertises médico-psychologiques qui révèlent des lésions ne suffisent pas pour établir l’existence d’un acte de torture. Or de telles expertises sont souvent le seul moyen dont dispose la victime pour prouver ses allégations. Pour M. Grossman, même s’il n’apporte de preuve absolue, le certificat médico-psychologique devrait donner lieu à une présomption simple d’acte de torture, à charge pour l’agent de l’État accusé d’apporter la preuve du contraire. Par ailleurs, M. Grossman souhaite obtenir des informations sur l’état d’avancement du projet de création d’un institut national médico-légal chargé de former des experts dans toutes les branches de la criminologie.
20.Rappelant que nombre d’homosexuels ont été victimes d’agressions qui auraient été commises avec la complicité de membres des forces de police, M. Grossman souligne le caractère inacceptable de toute violence motivée par l’orientation sexuelle et demande si des mesures législatives ou de sensibilisation ont été prises par l’État partie pour faire en sorte que de tels faits ne se reproduisent plus. Il souhaite en outre obtenir plus d’informations sur les actes de torture dont seraient victimes des membres de minorités ethniques, notamment dans l’État du Chiapas et dans celui d’Oaxaca.
21.Le fait que les tribunaux semblent accorder davantage de crédit aux déclarations faites par une personne immédiatement après son arrestation par la police qu’aux déclarations faites par la même personne lorsqu’elle se trouve en détention provisoire lui paraît préoccupant, sachant, en particulier, qu’une personne arrêtée ne bénéficie pas systématiquement de la présence d’un conseil dès son arrestation, que le certificat médico-psychologique n’a pas de force probante et que la notion de flagrant délit est interprétée de manière très large par les agents chargés de l’application de la loi. M. Grossman estime que de tels facteurs, pris ensemble, sont susceptibles d’entraîner des violations des dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. C’est pourquoi il souhaite que la délégation indique s’il est dans l’intention de l’État partie de procéder à un certain nombre de changements dans ce domaine.
22.À propos de l’article 3 de la Convention, M. Grossman souhaite savoir si, dans l’affaire Francisco Rafael Arellano Félix, les autorités mexicaines ont obtenu, avant l’extradition de l’accusé vers les États-Unis, l’assurance qu’il ne serait pas poursuivi pour des infractions passibles de la peine de mort dans ce pays, conformément aux engagements souscrits par le Mexique en vertu de la Convention. Il demande en outre des informations sur les modifications qui ont été apportées à l’article 33 de la Constitution, lequel autorise le Président de la République à procéder à l’expulsion immédiate de tout étranger dont le séjour au Mexique est jugé inopportun, sans que ce dernier soit autorisé à intenter un recours devant les tribunaux locaux. Il semblerait, à cet égard, que les dispositions régissant l’expulsion d’un étranger ne soient pas conformes aux engagements internationaux contractés par le Mexique, en particulier au principe de non-refoulement. De plus amples informations sur les cas d’expulsion fondés sur des motifs liés à la sécurité nationale et, plus particulièrement, sur la possibilité pour la personne sous le coup d’une mesure d’expulsion d’exercer un recours suspensif devant les tribunaux judiciaires, seraient les bienvenues.
23.À propos de l’article 4 de la Convention, M. Grossman souhaite recueillir les observations de la délégation sur les renseignements fournis par Amnesty International selon lesquels un grand nombre d’actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants ne seraient pas reconnus en tant que tels et seraient qualifiés d’abus d’autorité. Il aimerait également savoir quelle suite a été donnée aux recommandations adressées aux autorités par la Commission mexicaine des droits de l’homme et demande si de telles recommandations ont force obligatoire. À cet égard, il relève que quatre recommandations concernant des faits de torture ont été adressées au Bureau du Procureur général entre 1997 et septembre 2004, mais qu’un seul agent a été condamné à une peine de prison. Rappelant, par ailleurs que, selon les instruments internationaux ratifiés par le Mexique, la compétence des tribunaux militaires est limitée aux délits commis dans le cadre de l’exercice de fonctions militaires, il note que, selon le Code de justice militaire en vigueur, le seul fait pour l’auteur d’un délit de porter l’uniforme suffit à établir la compétence de la justice militaire. Il demande aussi à la délégation d’indiquer quel serait le tribunal compétent en cas d’acte de torture commis sur un civil par un militaire. À cet égard, il rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, le Code de justice militaire n’est pas applicable dans une telle situation. Il souhaite enfin savoir si le nouveau Code de justice militaire contiendra une définition plus précise de l’expression «dans l’exercice de fonctions militaires» et établira l’incompétence de la juridiction militaire en cas d’acte de torture commis par un militaire sur un civil.
24.À propos des articles 6 et 7 de la Convention, M. Grossman se demande pourquoi les autorités n’ont pas fait preuve de davantage d’efficacité dans leur réaction aux événements de Juarez, où ont été commises de graves violations des droits de l’homme.
25.Concernant l’article 9, le Rapporteur spécial souhaite savoir si les graves problèmes posés par le terrorisme et le trafic de stupéfiants amènent les autorités mexicaines à considérer que la meilleure manière de combattre efficacement ces phénomènes consiste à restreindre les garanties en matière de droits de l’homme.
26.Enfin, M. Grossman souhaite savoir quelle suite a été donnée au rapport de la Commission nationale des droits de l’homme sur les événements qui se sont produits le 28 mai 2004 au cours d’une manifestation à Guadalajara dans l’État de Jalisco et selon lequel 73 personnes ont été victimes d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants lors de leur arrestation et de leur détention par les forces de police. Il souhaiterait également savoir si le fait pour une victime présumée d’actes de torture d’abandonner son action devant les tribunaux a pour effet de clore le dossier, en particulier lorsque la victime était en possession d’un certificat médical attestant l’existence de lésions. Il souhaite également savoir si des victimes d’actes de torture ont obtenu une indemnisation auprès de tribunaux mexicains. À propos de la durée de la garde à vue, il s’interroge sur sa conformité avec les normes internationales en la matière. Il demande à la délégation d’indiquer si des suspects ont été maintenus en garde à vue au-delà de la durée fixée par la loi et, dans l’affirmative, de fournir des données statistiques à ce propos. Enfin, il voudrait savoir quelle est la place du principe de la présomption d’innocence dans l’ordre juridique mexicain.
27.M. MARIÑO MENÉNDEZ (Corapporteur pour le Mexique), se référant à l’article 11, demande si la pratique de la détention au secret a réellement été abolie. L’État partie, au paragraphe 156 de ses réponses écrites, évoque la création d’équipes spéciales chargées de détecter les cas de détention au secret, et plus généralement, de détention arbitraire, mais il ne précise pas comment ces équipes fonctionnent. Il serait aussi utile de savoir si cette mesure s’applique au niveau des États fédérés.
28.En ce qui concerne l’article 12, M. Mariño Menéndez demande si une victime de torture peut contester la décision du ministère public de ne pas donner suite à sa plainte, ou dénoncer un procureur pour inaction, ou si un procureur peut faire l’objet de sanctions s’il n’enquête pas sur un cas de torture. Le Procureur général de la République peut apparemment se saisir d’une affaire relevant de la compétence du Procureur d’un État fédéré, s’il estime que celui-ci ne la traite pas comme il convient: il serait intéressant de savoir si cela s’est déjà produit.
29.À propos de l’examen médical des faits de torture, l’État partie insiste beaucoup sur la mise en place du diagnostic médico-psychologique fondé sur le Protocole d’Istanbul, mais il reste à savoir si les médecins qui effectuent ce diagnostic sont vraiment indépendants, sachant qu’ils font partie du Bureau du Procureur général de la République. La victime peut certes se faire examiner par un médecin de son choix, mais cela suppose qu’elle en ait les moyens. Il serait également intéressant de savoir quelle valeur de preuve les tribunaux accordent à ce diagnostic. De même, les victimes de torture ont rarement les moyens d’engager un avocat et ont donc généralement recours aux défenseurs publics, mais l’État partie lui-même reconnaît que ceux‑ci sont débordés. Il serait utile qu’il précise si des mesures sont prévues pour renforcer ce mécanisme. La rétention officieuse («arraigo») a été déclarée contraire à la Constitution, mais l’on peut se demander si elle a vraiment été supprimée dans la pratique, en particulier en ce qui concerne les demandeurs d’asile et les travailleurs migrants clandestins. En outre, l’article 33 de la Constitution autorise le pouvoir exécutif à expulser, immédiatement et sans décision judiciaire préalable, tout étranger qui menace la sécurité nationale: une telle mesure a-t-elle déjà été prise, et par qui, et peut-elle faire l’objet d’un recours?
30.Par ailleurs, la délégation est invitée à préciser s’il existe un registre des arrestations pour flagrant délit, en particulier lorsqu’elles sont effectuées par des militaires, et si le Gouvernement envisage de prendre des mesures pour protéger les défenseurs des droits de l’homme qui, d’après certaines informations, sont la cible de harcèlement.
31.Les autorités ont réagi de manière énergique face aux homicides de femmes à Ciudad Juárez, tant au niveau fédéral qu’à celui de l’État de Chihuahua, mais il reste préoccupant que beaucoup de victimes n’aient pas été identifiées et que, dans nombre de cas, l’enquête n’ait pas débouché sur des poursuites judiciaires, faute d’avoir permis d’établir les responsabilités. Cet échec pourrait être dû à un manque de coordination, ainsi qu’au fait, souvent dénoncé, que c’est la même instance qui est chargée à la fois de l’enquête et des poursuites. À ce propos, des précisions sur le futur rôle des procureurs après la réforme évoquée au paragraphe 240 du rapport seraient les bienvenues.
32.En ce qui concerne l’article 13, M. Mariño Menéndez rappelle que le ministère public a le monopole de l’action pénale et qu’une procédure pour acte de torture peut donc être totalement paralysée si le procureur reste inactif, ce qui revient à priver la victime du droit d’avoir accès à la justice. Elle peut former un recours en amparo, mais il serait intéressant de savoir si ce moyen est utilisé dans la pratique, et s’il existe des statistiques sur son utilisation.
33.En ce qui concerne le droit à réparation et à indemnisation (art. 14), l’État partie se contente, aux paragraphes 258 et suivants du rapport, d’expliquer les dispositions en vigueur, sans donner d’exemples de son application. Dans ses réponses écrites, il déclare qu’il n’existe pas de statistiques sur les indemnisations accordées à des victimes de torture. Cette absence de données est préoccupante car elle donne à penser qu’il n’y a pas eu de décisions judiciaires dans ce domaine, et que cette absence de décisions s’explique à son tour par l’absence de procédures pénales concernant des cas de torture.
34.En ce qui concerne l’interdiction de retenir à titre de preuve des aveux obtenus sous la torture (art. 15), il serait utile de savoir si ces aveux sont totalement exclus ou s’il arrive qu’ils soient utilisés comme un élément de la décision judiciaire. D’aucuns ont proposé, pour prévenir le recours à la torture, qu’un suspect ne déclare que devant un juge: l’État partie envisage‑t‑il d’introduire une telle disposition dans sa législation?
35.En ce qui concerne l’article 16, M. Mariño Menéndez demande pourquoi l’État partie met en œuvre un programme de stérilisation uniquement destiné aux communautés indigènes. Si ce programme s’inscrit dans le cadre du contrôle de la natalité, il devrait concerner toute la population.
36.Par ailleurs, M. Mariño Menéndez se demande si la création d’un bureau du Procureur spécialement chargé des cas de torture exigerait réellement une modification de la Constitution, comme l’affirme l’État partie. Il ne semble pas qu’une telle réforme constitutionnelle ait été nécessaire pour créer d’autres bureaux spéciaux, comme celui qui est chargé des crimes violents contre les femmes. Il s’enquiert par ailleurs s’il existe une base de données sur les victimes de torture. Une base de données sur les plaintes pour torture serait également utile, même si l’État partie affirme que sa création poserait des problèmes.
37.Enfin, M. Mariño Menéndez aimerait avoir des explications sur les tensions qui semblent exister depuis quelques mois entre la Commission nationale des droits de l’homme et le Bureau du Procureur général de la République, ainsi que sur la mise en examen dont aurait fait l’objet le médiateur. Il demande aussi s’il est prévu de renouveler le Programme national pour les droits de l’homme qui s’achève en décembre 2006. Pour conclure, il salue les initiatives récentes de l’État partie, comme l’abolition de la peine de mort et la reconnaissance de la compétence du Comité pour recevoir des communications.
38.M. KOVALEV aimerait avoir des précisions sur les mesures qui ont été prises pour favoriser une culture de protection des droits de l’homme au sein du Bureau du Procureur général de la République (par. 63 du document de base).
39. M. Kovalev (Vice-Président) prend la présidence.
40.Mme BELMIR constate que l’État partie manifeste une réelle volonté de lutter contre la torture et qu’il a pris à cette fin un très grand nombre de mesures dans de multiples domaines, mais que la pratique de la torture et l’impunité persistent. Elle se demande donc où le bât blesse. Elle relève en particulier que le partage des attributions entre les différentes instances concernées est très flou. Par exemple, on ne sait pas où est la limite entre les fonctions des juges et celles des procureurs, et notamment dans quelle mesure les premiers sont indépendants des seconds. De même, on peut se demander s’il n’y a pas un chevauchement entre les activités du Ministère de la justice et celles du Ministère de l’intérieur, et quel est le rôle respectif de la police et des gardiens dans les établissements pénitentiaires.
41.Mme GAER aimerait savoir quelle suite a été donnée aux recommandations formulées par le Comité à l’issue de l’enquête confidentielle effectuée au Mexique en 2001 en vertu de l’article 20 (CAT/C/75) et, notamment, si des mesures ont été prises pour lutter contre les facteurs responsables de la persistance de la pratique de la torture chez les policiers. Elle note avec satisfaction que dans son quatrième rapport périodique, l’État partie a fait une place importante à la question de la violence contre les femmes. La création du service spécial du Procureur chargé de la violence contre les femmes constitue dans ce domaine une avancée notable. Des informations complémentaires concernant la politique mise en œuvre par le Gouvernement pour lutter contre cette violence seraient les bienvenues.
42.Au sujet des événements survenus les 3 et 4 mai à San Salvador Atenco, Mme Gaer a entendu avec intérêt la délégation qualifier les violences commises par des policiers à cette occasion d’actes constitutifs de torture. L’enquête qui a été ouverte à la suite de ces événements semble avoir été entravée par la partialité de certains enquêteurs. Est-ce exact? Dans l’affirmative, quelles mesures sont prises pour garantir l’impartialité de l’enquête? Le Gouvernement envisage-t-il de la confier au service spécial du Procureur chargé des violences contre les femmes? Il serait également intéressant de savoir si les policiers sous le coup d’accusations ont été suspendus ou si d’autres mesures provisoires ont été prises, en particulier pour protéger les victimes ou les témoins contre d’éventuelles représailles ou manœuvres d’intimidation. D’après certaines allégations, les policiers qui ont participé à l’opération de San Salvador Atenco portaient des masques. Il serait utile d’entendre la délégation sur ce sujet, notamment sur le point de savoir s’il s’agit d’une pratique autorisée par la loi.
43.L’application du Protocole d’Istanbul par l’État partie ainsi que les programmes de formation du personnel médical à l’évaluation médicale de la torture et autres mauvais traitements sont des points très positifs. Il serait utile de savoir quels types de services, notamment de police scientifique, sont mis en place dans la pratique.
44.D’après certaines sources, il arrive que les personnes qui viennent rendre visite à des prisonniers soient soumises à des fouilles corporelles humiliantes avec exploration des orifices naturels. Cette pratique est-elle avérée? Il serait également utile de savoir s’il existe des mécanismes de surveillance de la violence sexuelle dans les prisons, ainsi que dans d’autres institutions telles que les hôpitaux psychiatriques, les foyers pour personnes âgées, etc.
45. M. Mavrommatis reprend la présidence.
46.Mme SVEAASS souhaiterait savoir quelles sont les mesures prises par le Gouvernement pour lutter contre la violence à l’égard des femmes dans la sphère familiale. Un projet de loi visant à protéger les femmes contre ce type de violence était à l’étude. Des précisions concernant son état d’avancement seraient les bienvenues. Concernant l’enquête sur les événements de San Salvador Atenco, Mme Sveaass est préoccupée par le fait que, selon certaines informations, les plaignantes ont été interrogées très peu de temps après les faits et que, en dépit de l’état de stress post-traumatique dans lequel elles se trouvaient, il leur a été demandé de prouver qu’elles avaient effectivement fait l’objet des sévices qu’elles alléguaient.
47.Mme Sveaass accueille avec satisfaction le travail effectué par l’État partie en collaboration avec le Conseil international de réadaptation pour les victimes de la torture en vue de former le personnel médical aux techniques d’évaluation des éléments de preuve physique et psychologique de la torture et autres mauvais traitements. Elle encourage toutefois l’État partie à ne pas centrer ses efforts sur la seule formation d’experts, mais à veiller à ce que le personnel médical au sens large puisse se familiariser avec ces techniques. Les symptômes psychologiques de la torture doivent faire l’objet d’une attention particulière car ils sont souvent plus difficiles à identifier que les symptômes physiques du fait qu’ils ne se manifestent parfois que plusieurs semaines, voire plusieurs mois, après les faits. Mme Sveaass souhaiterait également en savoir plus sur les programmes de réadaptation mis en place conformément à l’article 14 de la Convention.
48.Le PRÉSIDENT remercie la délégation, les rapporteurs et les autres membres du Comité pour leur contribution à la première phase de l’examen du quatrième rapport périodique du Mexique et les invite à reprendre le dialogue à une séance ultérieure.
49. La délégation mexicaine se retire.
La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 35.
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