NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/SR.418

17 mai 2000

Original : FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Vingt-quatrième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*

DE LA 418ème SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,

le vendredi 5 mai 2000, à 10 heures

Président : M. BURNS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Troisième rapport périodique du Paraguay

________________

*Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CAT/C/SR.418/Add.1.

________________

Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

GE.00-41919 (F)

La séance est ouverte à 10 heures.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 7 de l'ordre du jour) (suite)

Troisième rapport périodique du Paraguay (CAT/C/49/Add.1; HRI/CORE/1/Add.24)

1.Sur l'invitation du Président, M. Ramirez‑Boettner, M. Canillas, Mme Villagra et M. Ramirez (Paraguay) prennent place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation paraguayenne à présenter le troisième rapport périodique du Paraguay (CAT/C/49/Add.1).

3.M. RAMIREZ-BOETTNER (Paraguay) dit que le Gouvernement paraguayen a rédigé le troisième rapport périodique dans un esprit d'objectivité et de franchise, sans masquer les difficultés rencontrées. C'est dans le même esprit que la délégation paraguayenne exposera les faits survenus depuis le 14 juin 1999, date à laquelle le troisième rapport a été soumis.

4.Un nouveau code de procédure pénale est entré en vigueur le 1er mars 2000, qui révolutionne le système pénal. En effet, la procédure de type inquisitoire est remplacée par la procédure accusatoire, le principe de l'oralité et de la publicité de l'audience est introduit et le respect des principes contenus dans la Convention contre la torture est garanti. Un nouveau Code pénal a également été adopté; il contient pour la première fois la qualification de torture, qu'elle soit physique ou psychologique, réprime notamment l'obtention de déclarations sous la contrainte et assure un meilleur respect des droits de l'inculpé. En outre, il confie au ministère public l'initiative et le contrôle de l'enquête, retirant ainsi à la police les pouvoirs discrétionnaires dont elle disposait jusque-là et qui étaient à l'origine de nombreux abus.

5.Des progrès ont également été faits pour éliminer les problèmes légués par la dictature : les condamnations pour actes de torture qui ont été prononcées concernent des tortionnaires de l'époque de la dictature. À cet égard, le Paraguay est fier d'être le seul pays du cône Sud de l'Amérique latine qui n'ait pas voté de loi d'amnistie consacrant l'impunité des responsables. Plusieurs des personnes ayant occupé des charges importantes pendant la dictature, dont le chef du service des enquêtes de la police nationale, ont été condamnées à des peines fermes allant jusqu'à 25 ans de réclusion pour le meurtre par torture de plusieurs personnes et purgent actuellement leur peine; les procès d'une trentaine d'autres personnes inculpées d'actes de torture sont en cours. C'est le défenseur du peuple qui est chargé d'établir si les victimes de la torture peuvent prétendre à une indemnité. Bien que la mise en œuvre de la loi No 838/96, qui prévoit l'indemnisation des victimes de violations des droits de l'homme sous la dictature, soit freinée du fait que le défenseur du peuple n'a pas encore été nommé, les choses avancent. Le Sénat a nommé trois candidats à la fonction de défenseur du peuple, et le titulaire sera prochainement élu par la Chambre des députés.

6.Pour bien voir l'évolution de la situation, il est important d'évoquer ce qui s'est passé au cours des dernières années au Paraguay. Au mois d'août 1998 sont arrivés au pouvoir des partis politiques autoritaires prêts à commettre de nouveaux abus de pouvoir, à faire fi des décisions de la Cour suprême de justice et à réprimer les opposants. L'assassinat du Vice‑Président de la République a mis en péril l'avenir du pays. L'ensemble des forces démocratiques de la société civile ont réagi vivement contre ce crime, soutenu les institutions démocratiques de la République et exigé la mise en accusation du Président. Celui-ci a réagi en ordonnant la répression par la force des opposants à son Gouvernement : huit manifestants ont été tués et une centaine ont été blessés. Plusieurs ambassadeurs ont marqué leur désaccord avec le Gouvernement en renonçant à leur charge. Malgré la répression, les opposants n'ont pas lâché prise et, face à l'imminence de sa mise en accusation, le Président a démissionné et quitté le pays. Une nouvelle période s'est ouverte en mars 1999; un gouvernement d'union nationale dirige le pays et favorise la participation de tous les partis politiques et de tous les acteurs de la société désireux de consolider le processus démocratique et l'état de droit, de mettre à jamais un terme aux pratiques du passé et de défendre efficacement les droits de l'homme.

7.Les droits civils et politiques, d'une part, et les droits économiques, sociaux et culturels, d'autre part, sont indivisibles et interdépendants. Le Paraguay, qui connaît de grandes difficultés économiques, demande dans toutes les organisations internationales et en particulier l'Organisation mondiale du commerce, que les pays développés ouvrent leurs marchés aux produits agricoles des pays en développement et leur accordent un traitement particulier afin qu'ils puissent faire face à leurs difficultés économiques.

8.Malgré les retards mentionnés dans la mise en œuvre de la législation, le Gouvernement s'efforce d'étendre sa politique en faveur des droits de l'homme. À titre d'exemple, M. Ramirez‑Boettner évoque un événement récent, qui a retenu l'attention de la communauté internationale. Il s'agit de l'affaire du pénitencier pour mineurs Panchita López, qui accueillait des jeunes délinquants de 14 à 20 ans, et que le Gouvernement avait décidé de fermer tant les conditions de détention y étaient mauvaises. Deux incendies survenus au pénitencier ont fait des morts et des blessés parmi les jeunes délinquants. À cause de la résistance des populations locales, il a été difficile de trouver un nouveau lieu, mais c'est aujourd'hui chose faite; les conditions de vie des détenus sont meilleures dans cet établissement, de plus en plus ouvert et orienté vers la réinsertion. Le 13 mars dernier, un premier groupe de 40 jeunes y ont été transférés. Parallèlement au réaménagement des établissements pénitentiaires, de nouveaux magistrats spécialisés dans la délinquance des mineurs étudient la possibilité d'appliquer plus largement des mesures de substitution à la peine de prison.

9.Plus généralement, il importe de signaler que de nouveaux mécanismes et institutions de défense des droits de l'homme ont été mis en place. Les principaux sont l'organe de défense publique, qui dépend de la Cour suprême de justice, la nouvelle Direction des droits de l'homme et du droit humanitaire (Ministère de la défense) et la Direction des droits de l'homme du Ministère des relations extérieures. Il est prévu de créer une commission interinstitutionnelle pour la défense des droits de l'homme, qui sera chargée de mettre en œuvre les recommandations formulées par les organismes internationaux et de proposer des solutions aux différents problèmes qui se posent dans le pays. Avec le concours de divers organismes et des organisations non gouvernementales, le Gouvernement a entrepris d'élaborer un plan national de promotion et de protection des droits de l'homme. Tous les faits présentés révèlent les progrès considérables qui ont été faits au Paraguay depuis la présentation du précédent rapport périodique.

10.M. GONZÁLEZ POBLETE (Rapporteur pour le Paraguay) note que le troisième rapport périodique du Paraguay a été soumis en temps voulu puisqu'il était attendu le 11 avril 1999 et qu'il a été remis le 14 juin 1999. Mais si à cet égard il marque un progrès par rapport aux deux premiers rapports, il n'est pas aussi satisfaisant que ces derniers sur le plan de la forme et du fond. En effet, le troisième rapport périodique est loin de satisfaire aux directives générales du Comité concernant la présentation du rapport, telles qu'elles ont été révisées le 18 mai 1998. Il se limite à énoncer en des termes généraux quelques changements survenus, sans étudier leurs caractéristiques ni leur portée eu égard aux obligations qui incombent au Paraguay au titre de la Convention. L'exposé oral du chef de la délégation paraguayenne a été heureusement plus riche d'informations, dont la plupart rendent compte de faits très positifs.

11.Le rapport écrit souffre d'un manque d'éléments concrets et d'une absence d'évaluation des mesures prises. Ainsi il est indiqué au paragraphe 6 que le défenseur public a été mis en place, mais il n'est pas précisé si les 70 défenseurs des prévenus sans ressources qui sont placés sous ses ordres dans l'ensemble du pays suffisent à répondre à l'obligation imposée par le paragraphe 6 de l'article 17 de la Constitution, qui consacre le droit à l'assistance gratuite d'un défenseur pour les personnes démunies. Au paragraphe 6 du rapport il n'est pas non plus précisé si ces défenseurs peuvent apporter une assistance juridictionnelle aux victimes de la torture. L'emploi des mots "défenseurs" et "prévenus" donne à penser que les victimes de la torture ne peuvent pas faire appel au défenseur public. Deux organisations non gouvernementales, la Coordination des droits de l'homme du Paraguay et le Comité des Églises pour les aides d'urgence, estiment l'une comme l'autre que d'une part les 70 défenseurs de l'institution du défenseur public ne sont pas suffisamment nombreux pour pouvoir aider les victimes de la torture dans l'ensemble du pays et d'autre part que la plupart des victimes sont issues des secteurs les plus pauvres de la population.

12.Il est dit au paragraphe 7 du troisième rapport qu'un progrès important a été accompli à la suite de la mise en place de l'organe de défense générale; s'agit‑il de l'institution du défenseur public dont il est question au paragraphe précédent, ou bien comment expliquer qu'il y ait deux institutions différentes ayant apparemment les mêmes buts ?

13.Les paragraphes 10 et 11 du troisième rapport font état de l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal et du nouveau Code de procédure pénale. Étant donné qu'il était déjà question de l'avant‑projet de Code pénal dans le rapport initial (présenté en 1993) et dans le deuxième rapport périodique, il est étonnant que, après plus de sept ans de procédure, lorsque enfin le texte entre en vigueur, il soit simplement indiqué que le nouveau Code pénal prévoit pour la première fois la qualification de torture, sans que l'article correspondant soit énoncé et que rien ne permette de déterminer si elle est ou non conforme à la définition de l'article premier de la Convention. Il aurait été aussi intéressant d'en savoir davantage sur les types de délits susceptibles de tomber sous le coup de la définition du nouveau Code pénal, alors qu'il est seulement indiqué que ces dispositions se révéleront être un instrument très utile pour lutter contre l'impunité des actes de violence et de torture commis par des agents de l'État.

14.En ce qui concerne le Code de procédure pénale, il est seulement indiqué (par. 19) que le nouveau Code atteste l'alignement de la procédure sur la nouvelle législation pénale. Le seul élément du nouveau Code de procédure pénale qui soit exposé en détail est l'institution d'un juge de l'application des peines (par. 14, 15 et 16 du rapport), mesure indéniablement d'une importance capitale, puisqu'au Paraguay de nombreux cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants surviennent dans les établissements pénitentiaires comme il est d'ailleurs mentionné aux paragraphes 16, 17, et 18 du rapport; mais rien n'est dit sur le fait que la loi No 1 444 de 1998 (c'est‑à‑dire antérieure à la date d'élaboration du rapport), en son article 15, diffère sine die l'installation et le fonctionnement de cette juridiction.

15.On peut lire au paragraphe 9 du troisième rapport que la loi No 838/95 sur l'indemnisation des victimes de la dictature est finalement entrée en vigueur. Les paragraphes 25 à 34 donnent des informations utiles sur les principaux éléments de cette loi. Ce texte pourrait correspondre à une mise en œuvre de l'article 14 de la Convention, si ce n'est qu'il ne vise que les victimes de la dictature, et non les personnes torturées après la dictature. Il semble en outre, au vu de l'alinéa 3 du paragraphe 27 du rapport, que les tortures ouvrant droit à indemnisation sont les tortures accompagnées de séquelles physiques ou psychiques graves et manifestes. À cet égard, l'article 14 de la Convention est plus large. Un autre problème est que, si la loi sur l'indemnisation des victimes de la dictature est entrée en vigueur, elle ne sera appliquée que lorsque sera nommé le défenseur du peuple, qui est chargé de déterminer qui peut bénéficier d'une indemnisation. Il est regrettable que huit ans après l'entrée en vigueur de la Constitution de 1992, dont l'article 276 porte création de l'institution du défenseur du peuple, et plus de quatre ans après la promulgation de la loi organique sur l'institution du défenseur du peuple, le Parlement paraguayen n'ait toujours pas nommé le titulaire et son adjoint. L'article 32 (provisoire) de la loi organique prévoit que la durée des fonctions du défenseur du peuple et de son adjoint, correspondant à la législature de 1993‑1998, prendra fin avec celle‑ci. Quelle sera la situation si le défenseur du peuple et son adjoint sont nommés par le congrès actuel ? Faudra‑t‑il de nouveau suivre la procédure prévue à l'article 4 de la loi organique ? Les motifs du retard dans cette nomination, qui sont exposés au paragraphe 5 du rapport, ne laissent pas d'être préoccupants. La nomination rapide du défenseur du peuple répondant aux critères de probité, de compétence et d'impartialité, devient donc urgente, non seulement pour assurer la réparation des victimes de mauvais traitements mais aussi parce que cette institution est, comme il était déjà indiqué dans le rapport initial (CAT/C/12/Add.3) l'une des plus appropriées pour garantir les droits des citoyens.

16.En ce qui concerne la réparation des crimes commis pendant la dictature, il est heureux que les tentatives tendant à transférer l'obligation de l'État d'indemniser les victimes aux auteurs individuels des violations aient été abandonnées.

17.Le rapport contient de brèves allusions à la situation des prisons. La délégation a évoqué l'affaire du pénitencier Panchito López, dont les conséquences dramatiques ont mis en évidence le problème des prisons au Paraguay. Mais ces événements pourraient n'être en fait que la partie visible de l'iceberg. En effet, il est signalé au paragraphe 39 que seuls 4,12 % des détenus au Paraguay sont incarcérés en application d'une condamnation et que 90 % des détenus sont libérés non pas parce qu'une décision de justice à leur encontre a été exécutée, mais parce qu'ils ont purgé une peine; le Comité souhaiterait savoir ce que cela signifie dans la pratique.

18.Il ressort des rapports des organisations non gouvernementales de défense des droits de l'homme que c'est dans les prisons et les postes de police que se commettent le plus d'actes de torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité des Églises pour les secours d'urgence indique dans son rapport pour 1999 que la prison de Tucumbu, dont la capacité est de 750 détenus, en hébergeait en 1999 1 742, dont seulement 145 (8 %) étaient condamnés. D'après une autre organisation, la population carcérale totale du pays était de 4 179 détenus en date du 16 août 1999, et 7,1 % seulement étaient condamnés. Toutes ces informations, jointes à d'autres, portent à conclure que les détenus sont soumis à des violations permanentes de leurs droits. La surpopulation carcérale, la mauvaise administration et la corruption dans les établissements pénitentiaires ne sont certes pas propres au Paraguay, mais vu l'ampleur du problème, il est impératif de consentir un grand effort financier. L'article 20 de la Constitution dispose que l'objectif de la privation de la liberté est la protection de la société mais aussi la réadaptation des détenus. Or, dans leur conception actuelle, les prisons sont davantage des écoles du crime et de la délinquance que des centres de réadaptation.

19.Le nouveau Code pénal et le nouveau Code de procédure pénale, entrés en vigueur en 1999, contiennent certaines dispositions positives. Ainsi, en vertu des articles 8 et 37 du Code pénal, les délits commis à l'étranger feront désormais l'objet de poursuites pénales au Paraguay, ce qui correspond aux dispositions de l'article 5 de la Convention et répond à la recommandation faite par le Comité suite à l'examen du deuxième rapport périodique. L'article 102 consacre l'imprescriptibilité des crimes de génocide, de torture, de disparition forcée, de séquestration et d'homicide pour motif politique. Toutefois, il peut y avoir conflit avec les articles 136 à 139 du Code de procédure pénale, qui fixent une limite de trois ans pour l'achèvement de la procédure pénale, délai au bout duquel l'action pénale s'éteint automatiquement. Ne faut-il pas craindre que l'auteur présumé de crimes de torture puisse bénéficier des lenteurs de la procédure ou de la négligence du ministère public ? Le nouveau Code pénal contient, à l'article 309, une qualification de la torture que le Rapporteur considère trop éloignée de la définition donnée à l'article premier de la Convention. En effet, cet article introduit une notion différente, de caractère psychologique et subjectif très difficile à prouver au cours d'un procès : l'intention de détruire ou de léser gravement la personnalité de la victime ou d'un tiers. On court ainsi le risque de voir des actes de torture tomber sous le coup des articles 120 à 122 du nouveau Code pénal, qui réprime en fait les délits de contrainte, de menaces ou de lésions et être par conséquent assortis des peines beaucoup moins lourdes que celles que justifie la gravité de la torture. De plus, ces délits seraient susceptibles de prescription, alors que le délit de torture doit y échapper. Au regard de la Convention, le nouveau Code de procédure pénale a pour principal effet de remplacer la procédure inquisitoire par la procédure accusatoire. Dans la procédure inquisitoire, l'aveu est "la reine des preuves", ce qui a pour conséquence d'augmenter le risque de recours à la torture, alors que dans la procédure accusatoire l'importance de l'aveu est moindre, d'où un moindre risque de recours à la torture.

20.En règle générale, le nouveau Code de procédure pénale renforce les garanties prévues dans la Constitution devant entourer l'arrestation et la détention, telles que le droit de ne pas faire de déclaration en l'absence d'un avocat, une durée maximale de 48 heures pour la détention au secret, l'impossibilité pour la police de recueillir la déclaration d'un inculpé et l'interdiction de procéder à une arrestation sans mandat du ministère public ou du juge. Sur ce dernier point néanmoins, l'article 239 autorise la police à procéder à une détention dans les cas de délit flagrant mais aussi lorsqu'il existe des indices suffisants de la participation d'un individu à un acte punissable et s'agissant de cas où la détention préventive est prévue. Cette possibilité est préoccupante car elle laisse à la police la liberté de déterminer ce qui constitue des indices suffisants. Le Rapporteur ne doute pas que la délégation pourra dissiper ces doutes et inquiétudes.

21.Conformément à ses directives, le Comité attend d'un rapport qu'il fasse état "des plaintes, enquêtes, inculpations, procès, jugements, réparations et indemnisations concernant des cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants". Force est de constater, malheureusement, que la situation au Paraguay est toujours aussi préoccupante et rien de tout cela ne figure dans le rapport. Il semble même que le phénomène se soit aggravé tant dans les postes de police que dans les prisons ou dans l'armée. En juin 1999, une délégation de la Commission interaméricaine des droits de l'homme a effectué une visite au Paraguay, à l'issue de laquelle elle a exprimé dans un communiqué de presse ses motifs de préoccupation : personnes privées de liberté sans avoir fait l'objet d'une condamnation, arrestations par la police sans mandat, procès interminables intentés à des personnes aux ressources limitées, conditions de détention difficiles. Pour la Commission interaméricaine des droits de l'homme, la situation des recrues qui font leur service militaire obligatoire est elle aussi préoccupante : abus de châtiments corporels, avec des séquelles physiques et psychiques, décès restés impunis. Il n'y a donc aucun progrès accompli depuis l'examen du deuxième rapport, à l'exception notable des dispositions permettant aux juridictions paraguayennes de se saisir d'affaires concernant des actes de torture commis à l'étranger.

22.M. González Poblete signale pour terminer que le Paraguay n'a pas encore fait la déclaration prévue aux articles 21 et 22 de la Convention.

23.M. CAMARA (Corapporteur pour le Paraguay), ayant noté lui aussi que le rapport à l'examen (CAT/C/49/Add.1) n'était pas conforme aux directives du Comité, a été amené à examiner l'application de chaque article de la Convention en se référant systématiquement au deuxième rapport périodique de l'État partie (CAT/C/29/Add.1). C'est ainsi que l'application de l'article 10 de la Convention, touchant à l'enseignement et à l'information, n'est pas mentionnée dans le troisième rapport mais avait été assez longuement traitée aux paragraphes 41 à 48 du deuxième rapport. Cependant, étant donné que l'examen de ce dernier remonte à mai 1997, il eût été intéressant d'apprendre quels faits nouveaux étaient intervenus depuis lors au Paraguay dans ce domaine. Quant à l'application de l'article 11, il en était question aux paragraphes 49 à 52 du deuxième rapport périodique; une réforme du Code de procédure pénale y était annoncée et de fait il semble que la loi No 1 286 du 8 juillet 1998 a donné effet à ce projet de réforme. Il aurait donc été particulièrement intéressant pour le Comité d'avoir davantage d'informations sur les dispositions pertinentes de ce nouveau Code de procédure pénale.

24.L'obligation faite aux États, en vertu de l'article 12 de la Convention, de procéder immédiatement à une enquête impartiale en cas de suspicion de torture était à peine évoquée dans le deuxième rapport périodique du Paraguay, et le troisième rapport est muet à ce sujet. C'est pourtant un point fondamental car si l'on veut lutter efficacement contre ces pratiques, il faut les réprimer sans délai. Le Comité a donc besoin de savoir ce qui a été fait à cet égard dans la période récente, grâce notamment à la réforme du Code de procédure pénale. Ce qui précède vaut également pour l'application de l'article 13 de la Convention.

25.Le droit à réparation et à indemnisation a été évoqué par M. González Poblete à propos du défenseur du peuple. L'application de l'article 14 de la Convention pose de fait de sérieux problèmes et pas moins d'un tiers du rapport y est consacré. Les auteurs du rapport eux-mêmes sont d'ailleurs très critiques, et les doutes émis sur le dispositif mis en place en matière d'indemnisation paraissent fondés puisqu'il existe une limitation ratione temporis, dans la mesure où la loi No 838 est une loi de circonstance qui ne couvre que les actes commis entre 1954 et 1989. La Convention étant par nature intemporelle, qu'en est-il des actes de torture perpétrés après cette date ? Au demeurant, même dans le cadre de cette loi, force est de constater l'existence de graves insuffisances, puisque l'indemnisation ne sera accordée que pour des "tortures accompagnées de séquelles physiques ou psychiques graves et manifestes" (par. 27 du troisième rapport). L'article premier de la Convention n'exige nullement que les victimes soient porteuses de séquelles pour que les traitements qu'elles ont subis soient qualifiés de torture. Le fait que les personnes ne portant pas de séquelles ne puissent pas être indemnisées est un grave problème. M. Camara ne reviendra pas sur le blocage institutionnel entourant la nomination du défenseur du peuple, qui suscite quelques doutes quant à l'efficacité de cette institution. Il eût fallu en tout état de cause mettre en place deux systèmes parallèles, l'un permettant d'indemniser rapidement les victimes, et l'autre leur donnant la possibilité de recourir aux juridictions ordinaires, ce qui est apparemment quasiment exclu dans la pratique. Il serait utile d'entendre les observations de la délégation sur la question de l'indemnisation, qui paraît dans ces conditions bien compromise.

26.L'application de l'article 15 était évoquée aux paragraphes 63 et 64 du deuxième rapport périodique (CAT/C/29/Add.1) mais de manière peu satisfaisante, et elle n'est pas même mentionnée dans le présent rapport. Or ce que vise la Convention dans cet article, c'est l'interdiction absolue pour toute juridiction de prendre en considération des preuves obtenues par la torture, et à plus forte raison de fonder une condamnation sur de telles preuves. Il serait donc essentiel pour le Comité de savoir si le nouveau Code de procédure pénale aborde la question et dans quels termes, et d'être informé de tous éléments de jurisprudence en la matière.

27.M. MAVROMMATIS remercie la délégation paraguayenne pour le complément d'information apporté et félicite le Paraguay d'être le seul pays de la région a n'avoir pas amnistié les auteurs de crimes visés par la Convention. À maintes reprises, les organes de protection des droits de l'homme ont insisté sur le fait que de telles amnisties ne devraient jamais être accordées, car elles sont une invite à la récidive. Il serait utile de savoir à cet égard si le Paraguay a demandé l'extradition des auteurs d'exactions réfugiés à l'étranger, ainsi que la Convention l'exige.

28.Le troisième rapport (CAT/C/49/Add.1) frappe non seulement par sa brièveté, mais aussi par l'impression étrange qu'il donne de ne pas émaner du Gouvernement. Le texte, fort critique, est à divers égards touchant, mais il ne répond pas à l'attente du Comité et ne lui permet pas de s'acquitter de sa tâche qui consiste à examiner, article par article, l'évolution de la situation dans l'État partie au regard de la Convention. Les deux rapporteurs pour le Paraguay ont dû se pencher avec minutie sur le Code pénal et le Code de procédure pénale et rechercher des renseignements pertinents dans le rapport précédent.

29.L'introduction de l'institution d'un défenseur du peuple est un grand progrès; il est à noter que, contrairement à ce qui est dit dans le rapport, la Cour suprême de justice ne saurait "adhérer" à la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui n'est pas un instrument juridique. Quoi qu'il en soit, puisque le Paraguay a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention, la Cour suprême ne pourrait-elle pas en invoquer les dispositions pour autoriser le versement d'indemnités aux victimes en attendant qu'il soit donné plein effet à la loi d'indemnisation? De nombreux pays procèdent de la sorte et utilisent la jurisprudence pour compenser les lacunes de la législation, ce qui est particulièrement indiqué s'agissant de situations où des difficultés d'ordre politique entravent une nomination.

30.Apparemment, le Paraguay n'a pas de système d'aide juridictionnelle; cependant, un dispositif de défense publique vient d'être créé et il serait utile d'avoir des renseignements sur son mode de fonctionnement, et en particulier de savoir si l'avocat payé par l'État peut rendre visite à la personne qu'il défend dès le début de la procédure, juste après son incarcération, puisque c'est le moment où le risque de torture est le plus grand.

31.Le rapport fait état sans ambages des insuffisances du système judiciaire et de la culture d'impunité qui règnent au Paraguay. Il serait important de savoir, dans un pareil contexte, comment est assurée à l'heure actuelle l'indépendance du pouvoir judiciaire et comment il est prévu de surmonter ces insuffisances : en l'absence d'un appareil judiciaire efficace, la Convention ne peut pas être appliquée.

32.Les précédents orateurs ont déjà évoqué les problèmes liés à l'indemnisation. Celle-ci est apparemment réservée aux cas les plus graves, alors que la Convention exige que toute victime de torture soit indemnisée. De plus, seules les personnes incarcérées pendant plus d'un an peuvent prétendre à indemnisation, ce qui est contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui n'admet aucune durée minimale à cet égard; lorsque de telles restrictions sont apportées aux dispositions d'un instrument international, il faudrait à tout le moins que l'État émette une réserve au moment de la ratification. Par ailleurs, il serait utile d'avoir quelques renseignements sur les mesures prises en matière de réadaptation des victimes, dont il n'est pas fait mention dans le rapport. Enfin, il est permis de se demander si les victimes ne pourraient pas être indemnisées par le biais d'une procédure civile, comme cela se fait dans d'autres pays.

33.Il ressort que seules 4,12 % des personnes détenues le sont en vertu d'une décision judiciaire de condamnation : dans ces conditions, M. Mavrommatis se demande ce qu'il en est de la présomption d'innocence; le fait que 96 % de la population carcérale soit en détention avant jugement amène à s'interroger sur l'existence de recours tels que l'amparo ou l'habeas corpus au Paraguay. Nul ne saurait être maintenu indéfiniment en prison, et beaucoup de pays ont institué une durée maximale de la détention avant jugement, de telle sorte que même dans les affaires pénales les plus graves, elle ne puisse pas se prolonger au-delà d'un an par exemple. Des garanties doivent absolument être prévues à cet égard, car maintenir une personne innocente en prison pour une période indéterminée est inacceptable du point de vue de la Convention.

34.M. EL MASRY s'associe aux observations des membres précédents et apprécie la franchise avec laquelle a été rédigé le rapport, qui pose quantité de questions à l'adresse des autorités paraguayennes, les questions mêmes que le Comité est amené à poser à l'État partie. Aux paragraphes 17 et 18 par exemple, il est reconnu que l'état de droit est bafoué, que la violence règne dans les prisons et que la vie et l'intégrité physique des détenus ne peuvent même plus être garanties : dans ces conditions, il ne reste plus qu'à demander au Gouvernement ce qu'il compte faire pour mettre fin à cette situation. Une question analogue se pose à propos de la pratique consistant à placer fréquemment en détention des personnes pendant de courtes périodes pour entretenir la crainte : les autorités envisagent‑elles de prendre des mesures pour que de telles situations ne se reproduisent plus ?

35.Il est indiqué au paragraphe 29 que le Gouvernement n'est pas parvenu à mettre en place une commission d'enquête afin de connaître le sort des victimes et d'établir la responsabilité de l'État dans les disparitions, assassinats et tortures; or il s'agit là d'une obligation qui découle de l'article 12 de la Convention. Quant à la dernière phrase du paragraphe 30, elle est pour le moins déconcertante et le moindre commentaire que l'on puisse faire est de rappeler que l'article 14 exige une indemnisation adéquate et équitable des victimes.

36.Mme GAER partage l'étonnement de M. Mavrommatis devant la sincérité avec laquelle a été rédigé le rapport. S'associant aux commentaires des autres membres, elle se contentera de revenir sur deux points. Tout d'abord, elle constate que la loi No 838 a qualifié expressément le régime du général Stroessner de "dictature" et que les autorités reconnaissent qu'il n'y a aucune raison pour que la population paie pour les crimes de la dictature. Il serait utile d'en apprendre davantage, alors que le général Stroessner coule des jours tranquilles à Brasilia, sur les enquêtes en cours au Paraguay au sujet des actes de torture et autres crimes commis sous la dictature, et de savoir où en sont les procédures engagées contre leurs auteurs.

37.En second lieu, Mme Gaer s'inquiète de la situation des femmes détenues, au vu notamment du contenu des paragraphes 20 et 21 du rapport. Il serait utile d'avoir des précisions sur la question préoccupante de la justice à l'égard des femmes, qu'elles soient victimes ou accusées. Certes, il est indiqué dans le rapport que des progrès ont été accomplis dans l'ensemble de la société à l'égard des victimes de viol, grâce notamment à la création de structures leur permettant de porter plainte dans des conditions moins traumatisantes. C'est certainement là un point positif, mais le Comité s'intéresse plus spécifiquement à la situation dans les prisons; qui paraît fort inquiétante. Il ressort du rapport sur les droits de l'homme, établi par le Département d'État américain pour 1999 que bien qu'il soit interdit d'affecter des gardiens de sexe masculin dans des prisons pour femmes, des cas de viol de prisonnières par leurs gardiens ont été signalés. Ce même rapport indique que les violences sexuelles et les viols sont monnaie courante au Paraguay et qu'ils sont rarement dénoncés, ce qui est malheureusement vrai dans bien des pays. Étant donné que moins de 4,2 % des détenus le sont en vertu d'une condamnation, on sait fort peu de choses sur la population carcérale; Mme Gaer voudrait notamment savoir quelle est la proportion de femmes détenues, pour quelles infractions elles sont placées en détention et quelle proportion d'affaires aboutissent à une condamnation, quelle suite est donnée aux plaintes pour violences sexuelles à l'intérieur des prisons et de quelles sanctions ces violences sont passibles. Compte tenu de ce qui précède et des mauvaises conditions régnant dans les établissements pénitentiaires paraguayens, il serait important d'obtenir prochainement des réponses à toutes ces questions.

38.M. RASMUSSEN souhaiterait pour sa part revenir sur la question des établissements pénitentiaires pour mineurs. Il rappelle les événements qui se sont produits au pénitencier pour mineurs Panchito López, où régnaient des conditions effroyables : surpeuplement, séjours prolongés en détention préventive et conditions matérielles déplorables ont amené des détenus à mettre le feu aux locaux, ce qui a entraîné la mort de huit d'entre eux. Or une semaine plus tard à peine, deux jeunes détenus auraient été torturés par leurs gardiens. Il se trouve que quelques jours après, M. Rasmussen s'est rendu dans le pays, où il a pu constater que ces événements avaient suscité une vive émotion qui laissait espérer que la situation allait changer. Dans le débat public qui a suivi et qui a notamment porté sur l'éducation des prisonniers, d'excellentes idées de programme ont été avancées, et il serait important pour le Comité, dans l'optique de l'application de l'article 10 de la Convention, d'apprendre quels progrès ont été accomplis à la suite de ces événements dramatiques.

39.M. YU Mengjia voudrait savoir quelle suite a été donnée aux allégations selon lesquelles des paysans chassés des terres qu'ils occupaient auraient été torturés.

40.Le PRÉSIDENT s'associe aux questions posées par les membres du Comité et invite la délégation à y répondre lors d'une séance ultérieure du Comité.

41.La délégation paraguayenne se retire.

La partie publique de la séance prend fin à 12 h 5.

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