Nations Unies

CAT/C/SR.1037

Convention contrela torture et autres peinesou traitements cruels,inhumains ou dégradants

Distr. générale

16 novembre 2011

Original: français

Comité contre la torture

Quarante-septième session

Compte rendu analytique de la 1037e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le vendredi 11 novembre 2011, à 15 heures

Président: M. Wang Xuexian

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Rapport initial de Madagascar (suite)

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Rapport initial de Madagascar (CAT/C/MDG/1; HRI/CORE/1/Add.31/Rev.1) (suite)

Sur l’invitation du Président, la délégation malgache reprend place à la table du Comité.

2.M. Razafinjatovo (Madagascar)dit que toute loi pénale est applicable dès sa publication au journal officiel, qu’elle ait été intégrée ou non dans le Code pénal. La délégation convient toutefois qu’incorporer les lois au Code pénal présente des avantages pratiques et proposera une réforme en ce sens. Concernant la répression des actes de torture, la délégation rappelle que les éléments constitutifs de ces actes sont énumérés à l’article 2 de la loi contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et que les peines applicables peuvent aller jusqu’aux travaux forcés à perpétuité.

3.S’agissant de la distinction qui est établie entre les divers actes de torture, certains étant qualifiés de crimes et d’autres de délits, M. Razafinijatovo souligne que la Convention admet le principe de la gradation des infractions, disposant que les peines fixées pour celles-ci prennent en considération leur gravité.

4.Comme l’a indiqué la délégation, les faits de torture sont imprescriptibles dans le contexte du génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. Madagascar ne prévoit pas de modifier sa législation pour allonger le délai de prescription actuellement prévu. La délégation partage le point de vue du Comité selon lequel l’absence de peines pour les mauvais traitements est source d’ambiguïté; le problème qui se pose à cet égard est qu’il n’existe pas de définition de tels faits. M. Razafinijatovo constate d’ailleurs que la Convention n’exige pas explicitement la criminalisation des mauvais traitements. Il convient toutefois que ceux-ci doivent l’être au même titre que les actes de torture. Une réforme en ce sens sera proposée.

5.Madagascar ne dispose pas encore de statistiques sur l’application de la loi contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les tribunaux. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) effectue actuellement une étude en vue de la mise en place d’un système de collecte de données, notamment sur les violations des droits de l’homme.

6.Concernant les organes d’enquêtes, M. Razafinijatovo précise que si la Commission nationale mixte d’enquête a été dissoute par décret, la gendarmerie et la police nationale gardent toutes leurs attributions. La Force d’intervention spéciale, quant à elle, n’a pas de pouvoirs de décision en matière d’enquête, de poursuites et de détention. Ses services sont sollicités pour des opérations d’arrestation à haut risque et son travail prend fin dès que l’arrestation a été effectuée. La délégation malgache confirme enfin que le non-respect des règles de procédure peut entraîner l’annulation des actes irréguliers et signale que le Protocole d’Istanbul sera pris en compte dans le cadre de la formation des médecins afin de faciliter les enquêtes sur les cas de torture.

7.L’article 4 de la loi contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants énonce les garanties fondamentales dont bénéficie toute personne privée de liberté. En ce qui concerne les cas de Fetison Andrianirina Rakotoson, de Stanislas Zafilahy et du Pasteur Edouard, leurs transfèrements successifs d’un établissement pénitencier à un autre ont été motivés par le souci de les protéger face à des menaces de mort. Cette mesure a été levée lorsque ces menaces ont cessé et ils ont pu exercer les droits visés par l’article mentionné précédemment, notamment celui de communiquer avec leurs avocats et de recevoir des visites de membres de leur famille. Ces personnes ont été libérées après avoir été jugées. La délégation souligne en outre qu’il n’y a pas de détentions secrètes à Madagascar.

8.La disposition prévoyant que lorsqu’un officier de police judiciaire procède à une arrestation en dehors de son lieu de résidence habituelle, la garde à vue peut être prolongée d’un jour par tranche de 25 kilomètres d’éloignement dudit lieu de résidence sans pour autant pouvoir dépasser douze jours, n’est appliquée que dans de très rares cas dans des zones très reculées. Il y a lieu d’autre part de systématiser les contrôles dans les lieux de garde à vue afin de lutter contre la pratique consistant à arrêter les proches d’une personne recherchée afin de la contraindre à se manifester.

9.La loi prévoit la possibilité de commettre un avocat d’office dès le début de l’enquête si la personne concernée n’a pas les moyens de s’assurer les services d’un conseil. En outre, un officier de police judiciaire ne peut s’opposer à ce qu’une personne gardée à vue subisse un examen médical si celle-ci ou son conseil en fait la demande.

10.Le placement en détention provisoire est motivé par les besoins de l’enquête ou par la nécessité de protéger la personne concernée contre d’éventuelles représailles. Une demande de mise en liberté provisoire peut être déposée à tout stade de la procédure.

11.La population carcérale, qui est aujourd’hui de 18 746 personnes, soit un taux d’occupation des prisons de 181 %, était de 22 000 en 2004. Ce nombre a été réduit grâce à l’accélération du traitement des dossiers et à l’adoption de mesures de remise de peine, de grâce et de libération conditionnelle, notamment. Le pays compte 82 établissements de détention, dont 2 «maisons de force», 39 maisons centrales et 41 maisons de sûreté, établissements pénitentiaires de moindre importance situés dans les chefs-lieux de district. Il est prévu de construire quatre nouveaux établissements pénitentiaires et d’en agrandir deux.

12.Le nombre de décès dans les établissements de détention a légèrement augmenté entre 2008 et 2010, passant à 131. Les autorités entretiennent une collaboration soutenue avec des ONG telles que Médecins du monde et la Croix-Rouge internationale afin de lutter contre la malnutrition, qui pourrait expliquer certains décès. Pour ce qui est de la proportion de condamnés par rapport aux personnes en attente de jugement dans les établissements de détention, elle était en août 2011 de 45,65 %. La proportion de prévenus a augmenté en raison de l’insuffisance des ressources financières et humaines du Ministère de la justice qui a eu pour conséquence que certaines «audiences foraines» n’ont pas pu être tenues. De nouvelles mesures prises au niveau des tribunaux, telles que l’informatisation des services, devraient permettre d’améliorer la situation.

13.Deux cas de mauvais traitement dans des établissements de détention font actuellement l’objet d’une d’enquête. Pour ce qui est des allégations de chantage sexuel à la nourriture, les informations requises seront transmises aux autorités compétentes pour enquête. Des mesures seront également prises pour mettre les conditions de mise à l’isolement en conformité avec les normes internationales. Des représentants du barreau et d’organisations d’assistance aux détenus sont d’autre part associés aux travaux de la Commission de surveillance des prisons.

14.Une étude sur l’adoption de mesures autres que la détention pour les infractions mineures est en cours de réalisation. En ce qui concerne les mineurs, les responsables de l’application des lois ont été sensibilisés aux dispositions relatives à la mise en liberté sous caution et à la liberté surveillée. Par ailleurs, si la législation malgache prévoit que tout crime est passible de travaux forcés, dans la pratique cette peine n’est jamais appliquée et il est même prévu de la supprimer.

15.La durée des périodes de détention provisoire prévues par la loi portant réduction de la détention provisoire n’est pas excessive, celle-ci ne pouvant pas dépasser dix-huit mois. S’agissant des cas de Rakotompanahy Andry Faly et de trois autres employés de la station de radio MBS, la délégation indique que ces personnes ont été inculpées d’atteinte à la sûreté de l’État pour des faits liés à la pose de bombes artisanales dans divers secteurs d’Antananarivo, et qu’elles passeront en jugement le 23 novembre 2011.

16.Le Conseil national des droits humains, comme toutes les institutions de la République, sera en mesure d’exercer effectivement ses activités au terme du processus de sortie de crise. Il convient de préciser que malgré la crise qu’a connue le pays, les autorités n’ont jamais décrété l’état d’exception. Toute décision d’extradition prise par le Ministère de la justice est précédée d’un contrôle juridictionnel effectué par la chambre d’accusation de la Cour d’appel. Madagascar a conclu un accord d’extradition avec deux pays, les Comores et la France. En ce qui concerne le non-refoulement, l’article 132 de la Constitution disposant que les instruments internationaux priment la législation nationale, Madagascar est tenue de se conformer aux dispositions de l’article 3 de la Convention.

17.Concernant le dina, M. Razafinijatovo explique qu’il s’agit d’une convention villageoise traditionnelle ayant pour but de préserver la cohésion sociale. Les juridictions qui en sont issues, aussi appelées dina, sont régies par la loi no 2001-004. Il peut y être recouru au niveau local pour résoudre des litiges d’ordre civil. Cependant, on constate parfois des dérives dans certaines régions, telles que l’application de mesures répressives d’ordre pénal qui sont incompatibles avec la législation en vigueur. Face à cette situation, le Gouvernement malgache prend diverses mesures, notamment l’accélération des procédures d’homologation du dina, l’adoption de dispositions pénales visant à sanctionner ce type d’instance lorsqu’il n’est pas homologué, la mise en place au niveau national d’une brigade spéciale chargée d’exécuter des mesures d’urgence pour faire cesser le recours illégitime au dina et la mise en place d’un contrôle de la légalité des décisions rendues par celui-ci avant qu’elles ne soient exécutées.

18.Pour ce qui est de la lutte contre la traite des êtres humains, le tourisme sexuel et l’exploitation sexuelle des enfants, Madagascar s’est dotée d’un texte de loi (no 2007-038) qui réprime ces pratiques.

19.Le Médiateur de la République anime et conduit un dialogue permanent entre administration publique et administrés, service public et usagers afin de rompre la rigidité ou l’inertie des structures et organes administratifs, ainsi que le formalisme des procédures juridictionnelles. Il prend en compte le principe de l’équité dans le cas particulier où un citoyen, usager ou administré se trouverait gravement lésé par l’application stricte ou mécanique d’une règle de droit sans pour autant contester la légitimité de celle-ci. Afin de remédier aux dysfonctionnements dans les services publics, le Médiateur propose des améliorations aux règles et procédures en vigueur.

20.Le débat se poursuit à Madagascar en vue de la ratification du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

21.En vertu du principe selon lequel le pénal tient le civil en l’état, il n’est pas possible d’intenter une action devant une juridiction civile pour demander la réparation de préjudices découlant d’un acte de torture alors que la culpabilité de l’auteur présumé n’a pas encore été prouvée au pénal.

22.La mise en jeu de la responsabilité de l’État constitue une garantie pour obtenir réparation en cas d’insolvabilité d’un fonctionnaire qui aurait commis des actes de torture. L’État peut se retourner contre le fonctionnaire fautif en exerçant une action récursoire.

23.Afin de combattre la pratique des mariages précoces, la loi no 2007-022 relative au mariage et aux régimes matrimoniaux a fixé la majorité matrimoniale à 18 ans pour l’homme et la femme. Avant cet âge, l’autorisation du Président du tribunal est nécessaire. Une étude a été menée afin de déterminer les causes profondes du moletry, qui consiste en un mariage à l’essai pour une période d’une année et qui concerne les filles de moins de 18 ans. Les chefs traditionnels, les chefs religieux musulmans et chrétiens, les médecins, les enseignants et les collectivités territoriales se sont engagés à lutter contre cette pratique.

24.La ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qui figure parmi les engagements pris par Madagascar lors de l’Examen périodique universel (EPU) du Conseil des droits de l’homme en 2010, aura lieu dès que les circonstances le permettront. À cet égard, Madagascar espère bénéficier de l’appui technique et financier des organismes des Nations Unies lors de l’application de son plan de mise en œuvre des recommandations issues de l’EPU. Enfin, M. Razafinijatovo indique que la loi no 2008-008 contre la torture est applicable aux militaires dès lors qu’ils ont commis des actes de torture dans les conditions visées à l’article 2 de cette loi.

25.M. Gaye (Corapporteur pour Madagascar) regrette que la définition de la torture figurant dans la loi no 2008-008 n’ait pas été intégrée dans le Code pénal et que l’État partie n’ait toujours pas fourni de statistiques sur l’application de cette loi par les tribunaux. Notant que, d’après les réponses fournies par la délégation malgache, la Force d’intervention spéciale (FIS) participe à des opérations d’arrestation, notamment lorsqu’il y a de sérieux motifs de penser que les personnes à arrêter sont armées, il voudrait savoir qui évalue la situation dans de tels cas et qui exerce le contrôle des opérations. Le Corapporteur souhaiterait aussi savoir si les parlementaires qui ont été arrêtés bénéficiaient de l’immunité parlementaire et si cette immunité a été levée avant leur arrestation. Le Corapporteur s’inquiète des risques élevés de torture liés à la prolongation possible de la garde à vue jusqu’à douze jours. Il prend note des statistiques fournies sur le surpeuplement carcéral, qui montrent la forte proportion des prévenus par rapport au nombre total de détenus condamnés, et demande à la délégation si la lenteur des procédures judiciaires n’explique pas en grande partie cette situation.

26.À propos de l’extradition et du non-refoulement, le Corapporteur constate que la décision du Ministre de la justice est précédée d’un contrôle juridictionnel effectué par la Cour d’appel. Il demande si l’avis de la Cour lie le Ministre de la justice, y compris lorsqu’elle estime que l’extradition est illégale pour des questions de droit. Concernant le système du dina, il demande des explications au sujet des «déviances» évoquées par M. Razafinijatovo dans ses réponses orales et souligne que l’État partie doit surtout mettre un terme à la vindicte populaire, y compris les lynchages.

27.Il serait intéressant de savoir si l’État partie a adopté une politique de lutte contre la violence à l’égard des femmes et des enfants, pourquoi le viol conjugal n’a pas été érigé en infraction, si Madagascar a l’intention de ratifier les différentes conventions relatives à l’asile et aux réfugiés et s’il existe un recours en habeas corpus permettant aux personnes privées de liberté de contester leur détention. Des détails sur les mécanismes prévus pour assurer la protection des plaignants et des témoins, y compris des membres de leur famille, seraient les bienvenus. La délégation pourrait aussi fournir des exemples concrets de décisions de justice dans lesquelles des aveux obtenus par la torture ont été écartés. Enfin, M. Gaye voudrait obtenir davantage de renseignements sur l’exploitation des mineurs par le travail et en particulier sur les enfants de la rue qui sont réduits à l’esclavage.

28.M. Mariño Menéndez voudrait savoir si Madagascar envisage d’adhérer à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, s’il lui arrive de demander des assurances diplomatiques aux pays vers lesquels des étrangers sont expulsés ou extradés et si un détenu victime de torture psychologique peut obtenir réparation. Il demande quels droits pourraient être suspendus si le pays venait à décréter un état d’exception, étant entendu que certains droits ne souffrent d’aucune dérogation. Enfin, il voudrait savoir quand sera opérationnel le Conseil national des droits de l’homme et ce qu’il est advenu des responsables de l’opposition arrêtés en mars 2011: dans quel établissement sont-ils détenus? Pourquoi n’ont-ils pas pu recevoir la visite de leurs proches?

29.M. Bruni salue l’adoption par Madagascar de la loi no 2008-008 du 25 juin 2008 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et se félicite des mesures prises pour la faire connaître. Il regrette que la délégation ne puisse présenter aucune donnée sur son application; elle pourrait peut-être fournir quelques exemples d’affaires traitées par les juridictions internes. Au paragraphe 77 du rapport, il est dit que la prescription de l’action publique pour les actes de torture qualifiés de délit est de trois ans et de dix ans pour ceux qui sont qualifiés de crime. Ces délais de prescription sont bien plus courts que dans la plupart des pays. Il semblerait que Madagascar n’ait pas l’intention d’adopter des délais plus longs; la délégation pourrait-elle dire pourquoi? Il y a lieu de se réjouir de ce que le Protocole d’Istanbul soit partie intégrante de la formation du personnel médical, mais cela ne suffit pas. Il faudrait que l’ensemble du personnel qui s’occupe de personnes privées de liberté soit formé à l’utilisation du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans le rapport, il est indiqué qu’en vertu de l’article 136 du Code de procédure pénale, un officier de police judiciaire ne peut retenir une personne en garde à vue pendant plus de quarante-huit heures mais que conformément à l’article 137, lorsque l’arrestation a lieu en dehors du lieu de résidence habituel de l’officier, le délai de quarante-huit heures est prolongé d’un jour par 25 kilomètres sans jamais pouvoir dépasser un maximum de douze jours. On peut se demander si la prorogation d’un jour par 25 kilomètres n’est pas excessive; il serait intéressant d’avoir le point de vue de la délégation à ce sujet. Enfin, M. Bruni salue les mesures prises pour améliorer les conditions de détention dans les prisons malgaches et invite Madagascar à les mettre urgemment en œuvre de façon que l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus soit respecté.

30.MmeSveaass demande à la délégation de donner des exemples d’application de la loi du 14 janvier 2008 interdisant la traite des personnes et le tourisme sexuel. Elle voudrait également savoir par quelles sanctions seront remplacées les peines de travaux forcés dans la législation malgache. Enfin, elle demande si Madagascar a adopté une loi sur la violence à l’égard des femmes.

31.MmeGaer remercie la délégation malgache de ses réponses particulièrement précises et exhorte l’État partie à créer, le plus rapidement possible, une base de données qui centraliserait toutes les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements et, le cas échéant, les condamnations auxquelles elles ont abouti. Elle voudrait également appeler l’attention de la délégation sur l’Observation générale no 2 du Comité sur l’application de l’article 2 de la Convention pour signaler que le principe de l’interdiction de la torture est absolu et le crime de torture imprescriptible. La délégation a indiqué que la victime présumée d’un acte de torture ou de mauvais traitements devait déposer une plainte pour que des poursuites soient engagées. Or, en vertu de l’article 12 de la Convention, tout État partie veille à ce que les autorités procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction. Tout acte de torture ou mauvais traitement doit donc automatiquement donner lieu à une enquête.

32.MmeKléopas s’inquiète des informations émanant d’Amnesty International concernant la prison d’Antananarivo et insiste sur la nécessité de prendre sans plus tarder des mesures pour améliorer les conditions de détention dans cet établissement où 2 800 personnes sont actuellement détenues alors que la capacité d’accueil est de 800 lits. Il convient par ailleurs de rappeler que la lutte contre l’impunité est essentielle et que les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements ne sauraient être amnistiés. Des enquêtes doivent être systématiquement menées en cas d’allégation d’acte de torture ou de mauvais traitements. Certaines ONG font état de cas d’arrestation arbitraire et de détention illégale et indiquent que les fonctionnaires de police continueraient de violer gravement les droits de l’homme. Quel commentaire la délégation peut-elle faire à ce sujet? Des mesures sont-elles envisagées pour mettre un terme à ces agissements?

33.Le Président, s’exprimant en sa qualité de membre du Comité, demande s’il y a eu des cas de mutilation génitale féminine à Madagascar et, dans l’affirmative, si la loi malgache interdit cette pratique.

34.M. Razafinjatovo (Madagascar) convient de la nécessité de créer une base de données et de recueillir des statistiques sur l’application de la loi de 2008 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Concernant la Force d’intervention spéciale (FIS), il rappelle qu’elle a été créée pour faire face aux situations dangereuses, au plus fort de la crise à Madagascar, alors que de nombreuses armes de petit calibre, appartenant à des militaires ou d’origine inconnue, circulaient dans le pays et que des attentats terroristes étaient commis à l’aide d’engins explosifs artisanaux, ce qui ne s’était jamais produit auparavant. Il ne faut pas oublier que toutes les personnes arrêtées par la FIS étaient en possession d’armes. Pour ce qui est de la lenteur des procédures, le Comité doit savoir que le Ministère de la justice n’épargne aucun effort pour accélérer le traitement des affaires. Concernant les conditions de détention, le Gouvernement a pris des mesures pour améliorer les infrastructures et s’était fixé pour but de ramener en 2011 à moins de 4 % le nombre de détenus souffrant de malnutrition dans les prisons malgaches, un objectif qui a été atteint puisque lors de la dernière évaluation trimestrielle de la situation, ils étaient moins de 3 %. Le système de médiation pénale mis en place au niveau local pour désengorger les tribunaux de première instance favorise l’application de peines non privatives de liberté. Pour ce qui est de la Commission nationale des droits de l’homme, il est exact qu’elle n’est pas encore opérationnelle; le Gouvernement prendra les mesures nécessaires pour remédier à cette situation quand le pays sera sorti de la crise. Concernant l’extradition et le principe de non-refoulement, Madagascar applique des accords bilatéraux conclus avec la France et les Comores, mais aucune loi spécifique ne régit la question. Les autorités malgaches veillent toutefois à ce qu’aucune personne ne soit refoulée vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

35.M.Rakotoniaina  (Madagascar) dit qu’une circulaire interministérielle prévoit expressément que les forces de l’ordre doivent intervenir pour empêcher un dina contraire à la loi. La police est à ce titre récemment intervenue pour prévenir un lynchage et a procédé à plusieurs arrestations. Plusieurs affaires similaires ont donné lieu à des poursuites et à des condamnations. Des audiences foraines sont organisées dans les localités où il n’y a pas de juridiction pénale; le tribunal se compose du Président, d’un procureur et d’un greffier, et le procès se déroule de la même façon qu’au siège. Ce système facilite l’accès à la justice des personnes qui vivent loin des centres urbains; il permet en outre de traiter un plus grand nombre d’affaires et, partant, de réduire le nombre de personnes détenues dans l’attente d’être jugées.

36.Madagascar a accepté la recommandation formulée dans la cadre de l’Examen périodique universel (A/HRC/14/13) qui l’engage à ériger le viol conjugal en infraction pénale, et prendra les mesures législatives voulues dès que possible compte tenu de la transition politique et institutionnelle en cours. Il n’existe pas de données permettant de mesurer l’incidence effective de la formation relatives à la Convention dispensée aux juges mais le mécanisme de collecte des données judiciaires, qui est actuellement à l’étude et devrait être opérationnel en 2012, devrait permettre de combler cette lacune. Il n’a jusqu’à présent jamais été nécessaire de mettre en place des mesures de protection spéciale des victimes, des témoins ou des enquêteurs dans des affaires de torture. Le cas échéant, les mesures prises seraient fonction de la nature et de la probabilité du risque encouru, mais également des ressources disponibles à cette fin, qui sont malheureusement limitées.

37.Il n’y a pas de programmes ni de structures spécifiquement prévus pour la réadaptation des victimes de la torture, mais l’étude des mesures prises dans ce domaine par d’autres pays pourra ouvrir des pistes de réflexion utiles. M. Rakotoniaina n’est pas en mesure d’indiquer si des aveux ont déjà été rejetés par un tribunal au motif qu’ils avaient été obtenus par la torture mais la mise en place prochaine du mécanisme de collecte de données judiciaires susmentionné permettra de disposer de ce type d’informations à l’avenir.

38.La durée de la garde à vue prévue par la loi a paru excessive à certains membres du Comité, mais elle a été fixée pour tenir compte de certaines réalités propres au pays. En effet, dans certaines régions, il n’y a aucun moyen de locomotion, de sorte que les policiers doivent parfois parcourir plusieurs dizaines de kilomètres à pied pour appréhender un suspect et le ramener jusqu’au poste de police. Il serait inapplicable, dans ce contexte, d’exiger que la personne soit libérée dans un délai de quarante-huit heures. C’est pour couvrir ces cas de figure que la durée de la garde à vue a été fixée à douze jours, mais il va de soi que lorsque les circonstances ne l’exigent pas, elle peut durer moins longtemps.

39.Après les événements de janvier 2009, le Parlement a été dissous. Les députés n’étaient donc de fait plus en exercice et ne bénéficiaient plus de l’immunité parlementaire. Madagascar est parfaitement au fait des limitations qu’impose l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques aux restrictions applicables dans le cadre de l’état d’urgence et veillerait à ce qu’elles soient pleinement respectées si l’état d’urgence devait être proclamé, ce qu’elle n’envisage pas pour le moment.

40.Tout acte de torture est odieux et porte atteinte à la dignité humaine, mais tous les actes de torture ne sont pas pour autant d’une égale gravité. Certaines pratiques peuvent certes être éprouvantes pour la victime, par exemple l’usage d’une certaine violence verbale, mais ne causeront pas de dommages corporels durables pouvant être attestés par un examen médical. C’est pourquoi la loi fait une distinction entre les actes constitutifs de délits et ceux qui constituent des crimes. Les peines de travaux forcés sont un vestige du Code pénal français hérité de l’époque coloniale. Elles ne sont toutefois plus appliquées depuis longtemps. Il est envisagé de supprimer les dispositions concernées. L’introduction de peines d’intérêt général est l’une des mesures de substitution à la détention envisagées pour, d’une part, réduire le surpeuplement carcéral et, d’autre part, encourager la réinsertion par le travail. Ces peines ne seraient toutefois pas applicables aux personnes ayant commis des infractions graves. Il n’existe pas de mécanisme chargé de contrôler systématiquement la légalité de la détention et habilité à recevoir les plaintes de détenus à cet égard. Une forme de contrôle indirect est néanmoins exercée par le juge de la chambre de détention provisoire, qui est tenu, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en liberté provisoire, de vérifier que les faits reprochés à l’intéressé étaient constitutifs d’une infraction et justifiaient son placement en détention.

41.Les mutilations génitales n’existent pas à Madagascar. La loi protège les femmes contre toutes les formes de violences, mais il n’y a pas de texte spécifique sur la protection des femmes contre la violence au foyer. L’incorporation de dispositions visant à assurer une protection spécifique aux femmes handicapées, qui sont particulièrement vulnérables, notamment face au viol, est actuellement envisagée. En vertu de la loi en vigueur, les violences infligées à une femme enceinte sont passibles de peines plus lourdes que dans les autres cas. La traite des femmes à des fins d’exploitation sexuelle est punie par la loi.

42.La loi sur la protection des enfants contre les pires formes de travail réprime l’exploitation des enfants des rues. Grâce à la campagne menée contre ce phénomène, un certain nombre d’enfants ont pu sortir de la précarité, être placés dans des centres d’accueil et être scolarisés. D’importants efforts ont également été consentis dans ce domaine dans le cadre du plan national de lutte contre le travail des enfants, l’exploitation sexuelle des enfants et toutes activités susceptibles de les mettre en danger. La délégation ne dispose malheureusement pas de statistiques sur ce sujet. En ce qui concerne la feuille de route signée par les chefs religieux, les chefs traditionnels et les autres acteurs locaux concernés pour lutter contre le moletry, la délégation informera le Comité en temps utile des mesures prises pour la mettre en œuvre et des résultats obtenus.

43.M. Razafinjatovo (Madagascar) dit que les forces de sécurité sont tenues de respecter les principes de nécessité et de proportionnalité ainsi que les normes internationales relatives à l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre en toutes circonstances. Toute violation de ces dispositions donne lieu à des poursuites, qui peuvent être disciplinaires ou pénales selon la gravité de l’infraction commise.

44.M. Bruni dit que desexemples de cas concrets dans lesquels la loi no 2008-008 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a été appliquée seraient très utiles; il espère que la délégation pourra communiquer ces données par écrit dans le délai imparti pour la soumission d’informations complémentaires. Il prend note des explications fournies au sujet de la durée de la garde à vue, mais reste perplexe quant aux implications de la cohabitation prolongée entre policiers et suspects dans les cas où la distance à parcourir nécessiterait plusieurs jours de marche. La délégation a indiqué que le Gouvernement n’avait pas l’intention de modifier les dispositions relatives au délai de prescription pour les actes de torture. Or, puisque Madagascar semble établir une gradation dans la gravité des actes de torture, comment un délai de prescription de dix ans peut-il être considéré comme suffisant pour tous les actes de torture, y compris ceux qui ont entraîné la mort de la victime?

45.M. Razafinjatovo (Madagascar) dit que la délégation répondra par écrit, dans le délai imparti à cette fin, aux questions auxquelles elle n’a pas pu répondre oralement. Il remercie les membres du Comité pour l’objectivité et la volonté de mieux comprendre les réalités malgaches dont ils ont fait preuve tout au long du dialogue et qui laissent augurer au mieux de la collaboration à venir. En dépit des progrès accomplis, il reste encore beaucoup à faire pour que les droits garantis par la Convention soient pleinement réalisés. Madagascar n’épargnera aucun effort pour y parvenir, mais elle aura besoin pour ce faire du soutien de ses partenaires internationaux.

La séance est levée à 17 h 50.