Nations Unies

CAT/C/SR.874

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

18 janvier 2010

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante ‑ deuxième session

Co mpte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 874 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le vendredi 1er mai 2009, à 10 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Rapport initial du Nicaragua (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Rapport initial du Nicaragua (suite) (CAT/C/NIC/1)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation nicaraguayenne reprend place à la table du Comité .

2.M me Frixione Ocón (Nicaragua), rappelant que le Nicaragua n’est devenue partie à la Convention qu’en 2005, dit qu’il faudra encore quelques années pour pouvoir véritablement mesurer les effets de sa mise en œuvre. Elle tient toutefois à assurer le Comité que le Gouvernement nicaraguayen a pris toutes les mesures nécessaires pour incorporer les dispositions de la Convention dans la législation nationale et pour appliquer cette dernière malgré les difficultés engendrées par la situation économique du pays. Comme la délégation l’a indiqué la veille, la Constitution et les lois nicaraguayennes témoignent depuis longtemps d’une volonté de promouvoir et de protéger les droits de l’homme. Bien que des progrès considérables aient été enregistrés en matière de modernisation des institutions publiques et de renforcement du système juridique, des capacités doivent encore être créées pour appliquer et faire respecter les lois. MmeFrixione Ocón espère que le dialogue entre la délégation nicaraguayenne et le Comité permettra à celui-ci de se faire une meilleure idée de la situation au Nicaragua et, partant, d’aider plus efficacement le Gouvernement nicaraguayen à déceler et à combler les lacunes législatives et institutionnelles qui ont une incidence sur l’application de la Convention.

3.Répondant aux questions posées par le Comité à sa 872e séance (CAT/C/SR.872), Mme Frixione Ocón dit que la délégation nicaraguayenne ne sera pas en mesure de fournir toutes les statistiques qui lui ont été demandées par le Comité mais qu’elle compte les lui faire parvenir ultérieurement par écrit. La définition de la torture énoncée dans le Code pénal nicaraguayen est très similaire à celle figurant à l’article premier de la Convention; sa portée est toutefois plus large car elle couvre tous les actes de torture et ne se limite pas à ceux dont l’auteur est un agent de l’État.

4.On ne recense encore aucun jugement et aucune condamnation pour actes de torture depuis l’adoption du nouveau Code pénal. Des affaires de torture sont actuellement examinées en vertu du Code pénal antérieur mais, comme la torture n’y est pas définie comme une infraction spécifique, les faits sont traités comme des cas d’abus d’autorité ayant entraîné des blessures. Les actes entrant dans la catégorie des infractions purement militaires relèvent de la compétence des tribunaux militaires. La torture n’étant pas considérée comme une infraction militaire, les affaires de torture doivent être examinées par les tribunaux civils, même si l’auteur présumé de cette infraction est un membre des forces armées. Conformément à l’article 31 du nouveau Code pénal, l’ouverture d’une procédure pénale pour actes de torture n’est pas soumise à la prescription.

5.Parmi les organisations de la société civile qui ont participé à l’élaboration du rapport, on peut notamment citer l’Asociación de Desarrollo y Promoción Humana de la Costa Atlántica, le Centre nicaraguayen des droits de l’homme et Save the Children Nicaragua.

6.Le Bureau du Défenseur des droits de l’homme n’a malheureusement pas reçu de crédits supplémentaires aux fins de l’application du Protocole facultatif à la Convention, mais il jouera néanmoins un rôle de premier plan dans le cadre de sa mise en œuvre.

7.En ce qui concerne les droits des détenus, Mme Frixione Ocón indique que l’article 95 du Code de procédure pénale dispose que les suspects placés en garde à vue ont accès à un avocat et à un médecin. S’ils le souhaitent, ils peuvent consulter un médecin de leur choix. En vertu de la loi, les suspects et les prévenus qui n’ont pas les moyens de rémunérer les services d’un avocat privé se voient attribuer un défenseur public. Les poursuites ne peuvent être entamées tant que le suspect n’est pas représenté par un avocat.

8.Les juges de l’application des peines se rendent une ou deux fois par semaine dans les centres de détention. Des renseignements complémentaires seront envoyés ultérieurement au Comité à ce sujet. Les crédits réservés au financement de ces visites sont à vrai dire insuffisants. L’infrastructure et les conditions de détention dans les prisons se sont nettement détériorées au cours des seize années écoulées car le Gouvernement antérieur n’a pas engagé de dépenses dans l’entretien des centres de détention. Avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le développement, le Gouvernement en place a mené une enquête sur la situation dans les prisons et a élaboré un plan à moyen terme tendant à rénover les centres de détention existants et à en construire de nouveaux, dont une prison pour femmes. Le montant total des dépenses prévues dans ce plan pour la période 2008-2012 devrait atteindre 8,2 millions de dollars des États-Unis. Le Gouvernement nicaraguayen a également engagé des dépenses en vue d’améliorer les conditions de détention en général: le budget du système pénitentiaire a été étoffé de 20 % en 2008 par rapport à 2007, le but principal étant d’améliorer la qualité de la nourriture distribuée aux détenus.

9.Le surpeuplement pose certes problème dans les prisons au Nicaragua, mais la situation n’est pas aussi grave que dans certains autres pays d’Amérique latine. Des experts de l’Institut pour la prévention du crime et le traitement des délinquants en Amérique latineont considéré que le système pénitentiaire nicaraguayen était plus humain et respectueux des droits des détenus que celui d’autres pays et que la violence entre détenus y était moins répandue qu’ailleurs.

10.À la fin de mars 2009, la population carcérale représentait 5 853 personnes. Sur ce chiffre, 79 % (soit 4 604 détenus) avaient été condamnés à une peine et 21 % (soit 1 249 détenus) étaient en attente de jugement ou de condamnation définitive. Sur ce dernier groupe, la majorité (soit 53 %) était détenue depuis trois mois ou moins, 18 % étaient détenus depuis trois à six mois, 8 % depuis six à neuf mois, et 5 % depuis neuf à douze mois. Toutes les personnes qui étaient détenues depuis plus de trois mois avaient été condamnées par un tribunal de première instance mais avaient formé un recours contre la décision les frappant. Seulement 1,7 % de la population carcérale était détenu dans un quartier de haute sécurité.

11.Les femmes ne représentaient qu’environ 5 % de la population carcérale. La grande majorité des détenus (98 %) étaient des adultes, le reste des détenus étant composé de 1 % de mineurs et de 1 % de personnes appartenant à la catégorie dite des cas spéciaux, qui comprend les détenus incarcérés alors qu’ils étaient mineurs et qui étaient encore en prison après avoir atteint l’âge de 18 ans.

12.Cinquante-six pour cent des détenus exerçaient un travail volontaire au sein de la prison, 10 % étaient placés dans des établissements semi-ouverts et 3 % dans des prisons ouvertes. Les détenus appartenant à ces deux dernières catégories étaient autorisés à quitter l’établissement pour aller travailler, étudier ou rendre visite à leur famille.

13.Il n’y a pas de crédits spécifiquement destinés aux programmes d’enseignement dans les prisons, mais grâce aux efforts déployés par des responsables de l’administration pénitentiaire et au soutien d’institutions publiques et d’organisations non gouvernementales, les détenus ont accès à diverses possibilités de formation. Quelque 40 % de la population carcérale (soit 2 378 détenus, dont 149 femmes et 78 adolescents) bénéficient actuellement de programmes éducatifs. La quasi-totalité des détenus mineurs suit des études. Actuellement, 143 détenus apprennent à lire et à écrire, 1 183 suivent un enseignement du niveau primaire, 966 suivent un enseignement du niveau secondaire en vue de l’obtention d’un diplôme et 86 ont entamé des études universitaires. Dix-huit cours de formation professionnelle ont été ouverts dans des domaines tels que la menuiserie, l’agriculture, l’informatique et l’apprentissage de l’anglais; ils ont été suivis par 380 détenus, dont 97 femmes et 3 adolescents. Des enseignements sur les droits de l’homme sont également proposés aux détenus.

14.Les détenus dits «abandonnés» ou «oubliés» sont des détenus qui ne reçoivent pas de visite ou d’aide matérielle de leur famille ou de leurs proches. La priorité est accordée à cette catégorie de détenus lorsqu’une assistance extérieure est fournie par exemple par des organisations non gouvernementales.

15.Répondant aux questions posées sur la notion évoquée dans le rapport de «devoir d’obéissance», MmeFrixione Ocón indique que le fait qu’un agent de l’État ait exécuté les ordres d’un supérieur ne peut nullement être invoqué pour justifier la commission d’un acte illégal quel qu’il soit, dont la torture. Conformément au principe de la légalité consacré dans la Constitution du Nicaragua, les ordres donnés par un supérieur ne doivent pas être contraires au droit.

16.S’agissant des informations émanant d’organisations non gouvernementales selon lesquelles des migrants chinois se trouveraient en détention, Mme Frixione Ocón affirme qu’aucun ressortissant chinois n’est actuellement retenu par les autorités nicaraguayennes chargées de l’immigration. Les migrants sont traités conformément aux lignes directrices publiées par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et il existe des dispositions garantissant le respect de leurs droits fondamentaux. Les décisions des autorités chargées des migrations sont susceptibles de recours. La délégation nicaraguayenne ne dispose pas d’informations sur le nombre de recours de ce type qui ont été formés à ce jour, mais elle s’emploiera à en fournir ultérieurement au Comité.

17.La décision d’abroger la loi autorisant l’avortement thérapeutique n’était pas fondée sur des motifs religieux. En fait, elle a été l’expression de la volonté de la majorité. Elle a été prise par des représentants élus par le peuple nicaraguayen, dont une grande partie estime que l’avortement devrait être interdit par la loi. Quant à la question de savoir si, en raison de cette décision, les médecins se trouvent contraints de violer le serment d’Hippocrate, Mme Frixione Ocón souligne que la loi dispose clairement que l’avortement ne doit pas être utilisé comme une méthode de planification familiale, mais qu’elle n’interdit nullement aux médecins d’intervenir si la vie de la mère est menacée. En fait, les médecins ont l’obligation légale d’agir en tel cas.

18.M. B áez (Nicaragua) se félicite d’avoir l’occasion de présenter au Comité un aperçu des mesures prises par le Gouvernement nicaraguayen pour renforcer la police nationale par la promotion des valeurs sociales et morales, la création de liens étroits avec les collectivités et la formation du personnel de la police. En 2008, il y avait 171 fonctionnaires de police pour 100 000 habitants. Après avoir comparé l’incidence des meurtres, des attaques de banques et des enlèvements avec celle d’autres pays d’Amérique centrale, M. Báez souligne que les accidents de la route, dont le nombre a atteint 514 en 2008, est considéré comme un grave problème de santé publique dans son pays.

19.Invitant le Comité à se reporter au document contenant les réponses écrites de la délégation nicaraguayenne qui a été distribué la veille, M. Báez appelle l’attention du Comité sur les statistiques sur les plaintes déposées contre la police qui ont fait l’objet d’un suivi entre 2005 et 2008. Parmi ces plaintes, on trouve notamment des cas d’usage excessif de la force et de détention arbitraire. Toutes les affaires de mauvais traitements (soit environ 4 % de l’ensemble des plaintes) ont été transmises au ministère public pour suite à donner. Dans toutes ces affaires, des mesures de suivi ont été prises en collaboration étroite avec des institutions chargées des droits de l’homme, qui ont par ailleurs fait bénéficier le personnel des organes répressifs de leurs compétences en la matière en organisant des ateliers de formation et d’autres activités conçues à leur intention.

20.M. Báez appelle également l’attention du Comité sur un manuel élaboré par le Ministère de l’intérieur, qui contient des lignes directrices destinées à son personnel sur toute une série d’aspects à prendre en considération dans leurs rapports avec la population et sur le respect des droits de l’homme. On y peut lire que tous les êtres humains ont le droit d’être traités avec humanité et que les pratiques visées par la Convention sont interdites. Le Gouvernement nicaraguayen a renforcé ses capacités de détecter les violations des droits de l’homme grâce aux efforts conjugués de la police et du Bureau du Conseiller aux droits de l’homme.En 2008, la police a organisé, en collaboration avec le Centre nicaraguayen des droits de l’homme, des débats publics sur la promotion du respect des droits de l’homme et l’amélioration de l’accès à la justice.

21.Les politiques de la police continuent d’être axées sur la répression de la violence; un degré élevé de priorité est accordé à la violence familiale et à d’autres formes de violence visant les femmes et les enfants. Les conditions de travail des fonctionnaires de police en général ont été améliorées et des efforts considérables ont été faits pour encourager le recrutement de femmes dans la police. M. Báez a le plaisir d’informer le Comité que des femmes ont été promues aux grades les plus élevés des services de police. Citant brièvement quelques-unes des activités de promotion de l’égalité entre les sexes qui ont été menées au sein des forces de police, il indique qu’une unité pour l’égalité des sexes a été créée; que des services d’assistance aux femmes victimes de violences ont été mis en place; et que des efforts ont été déployés pour venir à bout des préjugés largement répandus selon lesquels l’homme serait supérieur à la femme. Depuis 2007, un plan national de prévention de la violence contre les femmes est mis en œuvre et la police a lancé plusieurs initiatives pour faire face à ce problème, notamment en créant au sein du ministère public des services d’information sur ce type de violence. Il importe en outre de noter que, dans le nouveau Code pénal, les dispositions au titre desquelles l’auteur présumé d’infractions de cette nature peut être poursuivi ont été harmonisées. Un certain nombre de programmes ont été mis au point afin de faire face au problème des mineurs en conflit avec la loi et des mineurs en danger.

22.Enfin, M. Báez signale que quatre campagnes majeures de sensibilisation aux droits de l’homme ont été lancées, qu’elles ont été couronnées de succès et que le Nicaragua fait œuvre de pionnier par rapport aux autres pays de la région en matière de prise en compte des préoccupations liées à l’égalité entre les sexes. Il se dit disposé à fournir au Comité des documents complémentaires qui illustrent la portée des programmes, ateliers, séminaires, visites et conférences ainsi que d’autres activités pertinentes organisés de 2005 à 2008 par le Gouvernement nicaraguayen, en collaboration avec la société civile.

23.M me F rixione O cón (Nicaragua) dit qu’on recense 50 détenus présentant des troubles psychiatriques dans les prisons nicaraguayennes et que le Gouvernement n’a pas encore pu faire le nécessaire pour que ces personnes aient accès aux soins dont ils ont besoin au sein même du système pénitentiaire. À titre de solution temporaire, ces détenus sont placés dans des cellules individuelles. Il y a un hôpital psychiatrique dans le pays, mais cet établissement n’a pas les capacités suffisantes pour prendre en charge l’ensemble des patients nécessitant des soins psychiatriques au Nicaragua et, en conséquence, un certain nombre de patients sont en traitement ambulatoire. Dans certains cas, les détenus ont la possibilité d’être hospitalisés mais ils refusent généralement ce transfert et les hôpitaux ont de la difficulté à leur trouver une place.

24.Les dispositions relatives à l’accès à l’aide juridictionnelle garantissent à tous les inculpés la possibilité d’être par un conseil, quels que soient leurs moyens financiers.

25.Se référant aux allégations selon lesquelles les menaces de mort et l’intimidation seraient des méthodes de harcèlement fréquemment utilisées, Mme Frixione Ocón affirme catégoriquement qu’il n’y a aucune politique de persécution visant un groupe social en particulier au Nicaragua. Il est déjà arrivé que des groupes s’affrontent pour des motifs politiques mais, en tel cas, la loi est appliquée de la même façon à toutes les personnes impliquées dans ces incidents. La situation se complique lorsque les personnes concernées ne recourent pas aux mécanismes de protection à leur disposition. Elle croit savoir qu’une plainte a été déposée pour une infraction de ce type, mais on ne saurait en conclure qu’il y a un problème de harcèlement systématique au Nicaragua.

26.M me S veaass (Rapporteuse pour le Nicaragua) prend acte avec satisfaction des renseignements supplémentaires fournis par la délégation nicaraguayenne sur la réforme du système de justice pénale, la population carcérale et les décisions judiciaires, qui complètent utilement les informations disponibles sur les mesures législatives qui ont été adoptées dans l’État partie.

27.Mme Sveaass souhaiterait savoir pourquoi la portée de la définition de la torture a été élargie de façon à englober tous les auteurs potentiels d’actes de torture, qu’ils soient des agents de l’État ou non. Il serait intéressant de savoir si l’ampleur de cette définition a eu des répercussions concrètes sur les enquêtes ouvertes sur les allégations de torture et de mauvais traitements et sur la nature des peines prononcées dans ce type d’affaire.

28.Tout en approuvant le principe consistant à autoriser l’accès des détenus à un médecin indépendant, Mme Sveaass fait observer que l’exercice de ce droit a des incidences financières. Elle se demande donc si les personnes aisées ne risquent pas d’être les seules à bénéficier de cette possibilité.

29.À propos de la question des détenus dits abandonnés, elle se dit surprise d’apprendre que les moyens de subsistance de base des détenus, en particulier la nourriture, sont tributaires des visites que les détenus reçoivent de leurs proches. Elle prie la délégation nicaraguayenne de confirmer cette information.

30.S’agissant de la durée de la détention avant jugement, qui peut atteindre douze mois dans certains cas, Mme Sveaass se demande si l’État partie envisage de prendre des mesures pour la raccourcir. À cet égard, elle voudrait savoir si les immigrants en situation irrégulière peuvent aussi être privés de liberté pendant douze mois.

31.Compte tenu du taux élevé d’alcoolisme dans le pays, qui semble être à l’origine du nombre élevé d’accidents mortels de la route et de l’incidence de la violence contre les femmes et les filles, la Rapporteuse aimerait savoir si le Gouvernement a l’intention de mettre en place des programmes de lutte contre les dépendances.

32.Tout en prenant bonne note de l’explication fournie par la délégation selon laquelle les interventions médicales qui peuvent sauver des vies sont autorisées, Mme Sveaass se dit toutefois préoccupée par le fait qu’au Nicaragua, la législation relative à l’avortement est extrêmement restrictive. Il faut bien voir que, lorsque certaines interventions médicales sont érigées en infraction pénale comme c’est le cas au Nicaragua, cela crée un climat de peur qui est préjudiciable à l’intégrité et à la capacité de jugement du personnel de santé.

33.La Rapporteuse souhaiterait des renseignements sur l’accès aux moyens de contraception. Constatant que des campagnes efficaces de sensibilisation au VIH/sida ont été menées dans l’État partie, elle voudrait savoir si des campagnes analogues sur les grossesses non désirées ont été menées, tout en faisant observer que de telles initiatives ne peuvent contribuer à réduire le nombre de grossesses non désirées résultant d’un viol ou d’un inceste. La brochure d’information distribuée par la délégation montre que des initiatives encourageantes sont lancées en matière de sensibilisation dans l’État partie. Le Gouvernement nicaraguayen a-t-il mesuré l’effet de ces campagnes et, le cas échéant, par quel moyen?

34.M. Gallegos Chiriboga (Corapporteur pour le Nicaragua) dit que les réponses à la liste des points à traiter contiennent des informations importantes sur la législation interne. Les statistiques fournies par l’État partie montrent que des efforts sont déployés pour trouver des solutions à certains des problèmes soulevés par le Comité. Les initiatives menées actuellement pour former et sensibiliser la police au phénomène de la violence familiale, par exemple, constituent une étape importante dans la lutte contre la culture de la violence. Le Corapporteur rappelle que, dans ses observations finales concernant le troisième rapport périodique du Nicaragua, le Comité des droits de l’enfant avait noté que la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants étaient interdits dans l’État partie mais qu’il s’était dit préoccupé par des allégations faisant état d’actes de maltraitance d’enfants. Il avait recommandé à l’État partie de prendre des mesures afin de lutter contre un certain nombre de phénomènes, dont la violence contre les enfants et l’exploitation sexuelle et économique des enfants. Les questions soulevées par le Comité des droits de l’enfant sont particulièrement pertinentes pour les États latino-américains, dont la population est constituée en majeure partie de mineurs.

35.La traite − pratique qui, concrètement, est synonyme d’esclavage − n’a pas fait l’objet de commentaires de la part de la délégation nicaraguayenne. Or, ce phénomène est préoccupant du fait qu’il est lié à la question de la violence contre les femmes et les enfants. M. Gallegos Chiriboga souhaiterait savoir si les autorités compétentes ont donné suite à une demande tendant à ce qu’une enquête soit ouverte sur plusieurs cas de disparitions forcées survenues au Nicaragua.

36.En ce qui concerne les efforts déployés par l’État partie pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu des instruments internationaux, le Gouvernement nicaraguayen devrait réserver les ressources limitées dont il dispose aux domaines essentiels et accorder un rang de priorité à la protection des droits de l’homme et à l’élimination de la torture. Le Nicaragua s’étant doté d’une législation interdisant aux agents de l’État et aux particuliers de recourir à la torture, il faut désormais sensibiliser le public à cette question.

37.Le plan, tendant à améliorer la situation dans les prisons, que l’État partie a prévu d’exécuter avec l’assistance de la communauté internationale, témoigne des progrès en cours. Il faudrait en définir les objectifs aussi précisément que possible.

38.Pour ce qui est de la question des plaintes émanant de la société civile, le Corapporteur estime que le Gouvernement nicaraguayen devrait consulter davantage cette dernière dans le cadre du processus de changement. La société civile joue en effet un rôle de contrepoids et contraint les pouvoirs publics à prendre acte de certains problèmes.

39.Il est nécessaire de surveiller l’application des décisions des tribunaux et l’efficacité du système judiciaire, qui a une incidence sur le traitement des détenus. Les statistiques fournies par l’État partie montrent qu’une minorité de détenus est en attente de jugement et que plus de 70 % des détenus ont été condamnés à une peine. Il serait utile d’avoir des précisions sur les détenus qui composent cette minorité, étant donné l’existence de cas extrêmes où des détenus sont abandonnés par le système parce qu’ils n’ont aucun soutien extérieur. Le Corapporteur relève que la délégation nicaraguayenne a utilisé le terme «abandonnés» pour qualifier les détenus qui ne recevaient pas de visites de leur famille. Tout en comprenant que cette situation est due à une pénurie de ressources et au fait qu’au Nicaragua, le détenu peut compter sur la solidarité familiale, il souligne que c’est à l’État de pourvoir aux besoins des détenus.

40.M. Gallegos Chiriboga note avec inquiétude que des mesures disciplinaires sont souvent prononcées contre les membres des forces armées et de la police qui ont commis des infractions alors que ces affaires devraient être portées devant les tribunaux. Les infractions commises par les membres des forces armées devraient faire l’objet d’un examen minutieux et les responsables devraient avoir à répondre de leurs actes devant la société.

41.La présentation et l’examen du rapport périodique de l’État partie et le dialogue avec la délégation nicaraguayenne constituent une première étape dans la recherche de solutions aux problèmes évoqués précédemment. Le Corapporteur invite la délégation nicaraguayenne à solliciter l’aide du Haut-Commissariat aux droits de l’homme ou du Comité afin de régler ces problèmes en collaboration avec ceux-ci. Soulignant que l’élimination de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants suppose un changement d’attitude au plan personnel, M. Gallegos Chiriboga encourage le Gouvernement nicaraguayen à continuer de progresser vers cet objectif.

42.M. Mariño Menéndez note que la définition de la torture telle qu’elle figure dans la législation de l’État partie a une portée plus large que celle énoncée dans la Convention: au Nicaragua, elle couvre non seulement les actes de torture commis par des agents de l’État, mais aussi ceux qui sont perpétrés par des particuliers. Lorsqu’un agent de l’État torture une personne, son acte constitue une violation de la Convention, ce qui n’est pas le cas si l’auteur du même acte est un simple particulier. Le décalage entre ces définitions risque de soulever des problèmes juridiques et de créer des complications.

43.Rappelant que le Protocole facultatif à la Convention contre la torture a été ratifié par le Nicaragua, M. Mariño Menéndez souhaiterait savoir si la Conseillère spéciale chargée des prisonsnommée par le Bureau du Défenseur des droits de l’homme effectue des visites inopinées dans les prisons militaires conformément aux dispositions de cet instrument.

44.Notant que la nouvelle loi sur les réfugiés a reçu un accueil élogieux, M. Mariño Menéndez demande s’il y a déjà eu des affaires dans lesquelles les dispositions de l’article 3 de la Convention ont été invoquées.

45.Il voudrait savoir si les décisions judiciaires sont rendues publiques et si, dans certains cas, leur publication est soumise à des restrictions.

46.Enfin, il prie la délégation nicaraguayenne d’indiquer comment le «principe de proportionnalité» est appliqué dans la pratique lorsque la police et le procureur souhaitent obtenir des informations d’un suspect. Des exemples concrets seraient bienvenus sur ce point.

47.M me Belmir note que les différentes étapes d’une procédure judiciaire et les divers lieux de détention correspondants sont clairement définis dans la législation nicaraguayenne. Par exemple, les prévenus en attente de jugement ne doivent pas être détenus avec les condamnés. Ces dispositions devraient être respectées.

48.Mme Belmir se dit préoccupée par le temps considérable que prennent les diverses démarches liées aux demandes de statut de réfugié dans l’État partie.

49.M. Wang Xuexian dit que le problème de la discrimination contre les femmes est grave au Nicaragua et qu’une stratégie en deux temps devrait être adoptée pour combattre ce phénomène: premièrement, une législation efficace devrait être adoptée et, deuxièmement, une campagne nationale d’information du public devrait être lancée afin de sensibiliser le public à cette question.

50.M me Kleopas dit que le nombre de défenseurs publics est faible en comparaison du nombre de personnes qui n’ont pas les moyens de payer les services d’un avocat privé. Elle souhaiterait des précisions sur le rôle joué par le Bureau du Conseiller aux droits de l’homme dans le cadre des enquêtes relatives aux allégations de torture. Signalant que des organisations non gouvernementales disent s’être vu refuser l’accès à des lieux de détention, elle rappelle que la société civile peut contribuer utilement à l’amélioration des conditions de détention et du traitement des détenus.

51.Le Président dit que les statistiques peuvent s’avérer utiles au moment d’élaborer les politiques publiques et qu’il y a plusieurs moyens de collecter des données même si le budget de l’État est limité, notamment par le biais des universités. Les statistiques permettent de déterminer dans quelle mesure les lois sont appliquées.

52.Lorsque des actes de torture sont imputés à des membres des forces armées ou de la police, les auteurs présumés de ces actes sont souvent inculpés d’une infraction de moindre gravité telle que les mauvais traitements, lesquels emportent une peine plus légère. Dans le Code pénal militaire, la peine encourue en cas de mauvais traitements est moins lourde que dans le Code pénal révisé. Ce dernier ne contient pas de dispositions réprimant les actes de torture commis par un membre des forces armées dans l’exercice de ses fonctions, même si ces actes sont définis comme une infraction de droit commun dans le Code pénal. Des éclaircissements seraient souhaitables sur ce point.

53.Le Comité demeure préoccupé par le fait que les femmes nicaraguayennes n’ont pas la possibilité d’avorter pour des raisons thérapeutiques. Le droit interne et la souveraineté de l’État ne sauraient être utilisés comme argument pour revenir sur des engagements internationaux librement contractés par l’État partie. Étant donné que l’important, en l’espèce, est de protéger les droits d’une minorité et d’appliquer les normes juridiques, la «décision de la majorité» − qu’elle soit prise par référendum ou adoptée par le Parlement − ne peut pas être invoquée pour ne pas appliquer la Convention. À titre d’illustration, le Président dit que la majorité peut considérer qu’un terroriste présumé ne devrait pas avoir accès à la justice, mais ce n’est pas une raison valable pour priver l’intéressé de son droit à une procédure régulière. L’État partie a apparemment à cœur de garantir l’accès des personnes les plus vulnérables de la société à la justice: il ne peut donc ignorer que, tandis que les Nicaraguayennes aisées peuvent aller à l’étranger pour se faire avorter, celles qui n’en ont pas les moyens ne peuvent pas le faire.

54.L’expérience du Comité lui a montré que le problème de la violence familiale était étroitement lié à l’absence d’autonomie chez les femmes, en particulier dans les couches les plus défavorisées de la société. Chacun devrait avoir le droit d’agir en son âme et conscience, pour autant que ces actes ne sortent pas du cadre des instruments internationaux auxquels l’État partie concerné a adhéré.

55.Le Comité estime préoccupant que les recours internes ne soient pas toujours épuisés au Nicaragua, étant donné que leur épuisement est une condition à remplir pour la soumission des requêtes. Le fait que peu de requêtes soient présentées au Comité ne signifie pas nécessairement qu’un système judiciaire est efficace. Dans certains pays latino-américains, la police et le pouvoir judiciaire sont considérés comme n’étant ni objectifs ni légitimes, raison pour laquelle les victimes ne voient pas l’utilité de former un recours contre une décision de justice.

56.M me Frixione Ocón (Nicaragua), répondant aux questions supplémentaires posées par les membres du Comité, dit que les personnes dont la détention provisoire a atteint douze mois avaient entamé de longues procédures afin de contester une condamnation non définitive. Certaines de ces affaires sont encore jugées en vertu du Code pénal antérieur. Le Nicaragua a fait beaucoup de progrès en ce qui concerne la détention avant jugement mais, comme une enquête sur la situation actuelle est en cours, la délégation nicaraguayenne ne dispose pas de plus amples informations à ce sujet pour le moment.

57.Mme Frixione Ocón tient à assurer le Comité que les migrants ont les mêmes droits et devoirs que tous les ressortissants nicaraguayens. Le Nicaragua n’est pas véritablement un pays de destination mais il est seulement un pays de transit pour la traite des personnes; aussi, peu de statistiques sont disponibles sur cette question. Ce phénomène n’en est pas moins un sujet de préoccupation pour le Gouvernement nicaraguayen. Des représentants de l’administration publique et de la société civile participent aux travaux de la Commission nationale chargée de la traite des personnes et un plan national décennal de lutte contre la traite a été élaboré.

58.Dans le nouveau Code pénal, les infractions sexuelles commises contre les enfants et les adolescents emportent des peines particulièrement lourdes. Le Gouvernement nicaraguayen est conscient qu’il importe de sensibiliser le public à ce problème. Citant un exemple de coopération fructueuse avec une organisation non gouvernementale, Mme Frixione Ocón indique qu’un certain nombre d’affaires a été porté devant les tribunaux par Casa Alianza, une organisation non gouvernementale avec laquelle les pouvoirs publics collaborent. La participation de la société civile à la lutte contre ces infractions doit toutefois être renforcée.

59.Bien que le féminicide ne soit pas érigé en infraction pénale spécifique dans le nouveau Code pénal, il est couvert par les dispositions réprimant les mauvais traitements infligés aux femmes.

60.La délégation nicaraguayenne partage les préoccupations du Comité concernant la consommation d’alcool, qui est en hausse dans le pays. Les pouvoirs publics envisagent d’augmenter les taxes sur l’alcool.

61.Mme Frixione Ocón ne comprend pas bien la question soulevée par le Comité à propos de la définition de la torture énoncée dans le nouveau Code pénal. Le Gouvernement nicaraguayen ne pense pas que cette définition est incompatible avec celle figurant à l’article premier de la Convention.

62.La teneur de la préoccupation du Comité concernant l’interdiction de l’avortement thérapeutique sera communiquée au Gouvernement nicaraguayen. Mme Frixione Ocón n’a pas connaissance de cas dans lesquels un médecin aurait été accusé de négligence pour n’avoir pas tenté de sauver la vie d’une femme enceinte.

63.La délégation reconnaît la nécessité de renforcer la formation des fonctionnaires chargés d’appliquer les lois et la réglementation en vigueur. Le Nicaragua traverse une période de transition et, bien que plusieurs mécanismes de suivi soient en place, des progrès restent à faire.

64.L’expression «détenus abandonnés» n’a rien de discriminatoire. Il s’agit simplement d’un terme familier du jargon policier qui désigne les personnes inculpées ou condamnées qui ne reçoivent pas de visites de membres de leur famille, soit parce qu’ils ont été abandonnés, soit parce que le détenu n’a pas souhaité être transféré dans un centre de détention situé plus à proximité de son lieu de résidence. Ces détenus qui n’ont pas de proches disposés à leur apporter de la nourriture ou à les aider d’une autre manière ont tendance à sombrer dans la dépression et doivent bénéficier d’une attention spéciale. Toutefois, ce n’est pas parce qu’ils ont été abandonnés qu’ils sont en détention.

65.Les mesures disciplinaires préliminaires prononcées par les tribunaux militaires n’excluent nullement l’imposition de sanctions pénales si les juges concluent qu’une infraction pénale a été commise. Par exemple, un membre de la police ou un fonctionnaire de l’administration pénitentiaire peut être suspendu de ses fonctions jusqu’à ce que la juridiction pénale saisie de l’affaire rende sa décision. Des inspecteurs issus de la société civile peuvent mener des enquêtes, si nécessaire, et des défenseurs des droits de l’homme ont le droit de se rendre dans les lieux de détention. Toutefois, aucune statistique n’est disponible à ce sujet.

66.La plupart des procès sont publics, à l’exception des audiences spéciales au cours desquelles des mineurs ou des trafiquants de drogues sont entendus, où la sécurité des parties doit être assurée.

67.Lorsqu’un migrant est arrêté, les fonctionnaires de l’administration compétente ont cinq jours pour en notifier le Ministère des affaires étrangères, l’ambassade du pays d’origine de l’intéressé et la Direction des défenseurs publics. Si une organisation non gouvernementale se voit refuser l’accès à un centre de détention, elle peut former un recours.

68.Le Nicaragua ne compte pas beaucoup de défenseurs publics, mais des efforts sont fournis pour en accroître le nombre, notamment dans les régions reculées. Des dispositions sont toujours prises pour que les personnes accusées d’une infraction aient accès à un moyen de défense ainsi qu’à l’aide juridictionnelle.

69.Concernant la question de la justice militaire, les autorités compétentes prendront les mesures voulues pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de conflit entre le Code pénal et le Code pénal militaire.

70.M. Báez (Nicaragua) dit que les suspects sont toujours interrogés étant donné que, pour déterminer si une infraction a été commise, il importe de réunir des éléments de preuve ainsi que les éléments qui feront l’objet d’un examen médico-légal. À cet égard, il signale que les pratiques et les manuels sont actuellement mis à jour conformément aux nouvelles procédures pénales.

71.Le Nicaragua a encore besoin de la coopération internationale pour améliorer la formation du personnel et les infrastructures dans les prisons et les postes de police. Quelques estimations des coûts ont déjà été réalisées et des plans ont été élaborés pour renforcer le respect des droits de l’homme, notamment les droits des femmes − question dont il est tenu compte dans tous les plans nationaux.

72.Des mécanismes efficaces ont été mis en place pour promouvoir la collaboration entre la police nicaraguayenne et diverses institutions nationales chargées des droits de l’homme ainsi que des organisations non gouvernementales. Lorsque des violations des droits de l’homme sont commises, les informations pertinentes sont communiquées aux intéressés. Des activités de prévention devraient toutefois être menées de manière systématique afin que la loi soit pleinement respectée. Les forces de police sont conscientes des problèmes existants, mais elles sont sur la bonne voie.

73.M. Robelo Raffone (Nicaragua), réitérant l’engagement constant de son pays en faveur des droits de l’homme, remercie le Comité d’avoir donné à la délégation nicaraguayenne la possibilité de dialoguer avec elle et dit que cette dernière est convaincue que les recommandations du Comité aideront le Gouvernement nicaraguayen à appliquer la Convention et à combler les lacunes existantes. Il invite les organisations non gouvernementales présentes dans la salle à collaborer avec le Gouvernement nicaraguayen à cette fin.

74. La délégation nicaraguayenne se retire.

La partie publique de la séance prend fin à 12 h 30.