Nations Unies

CAT/C/SR.932

Convention contrela torture et autres peinesou traitements cruels,inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 septembre 2011

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-quatrième session

Compte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 932e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 29 avril 2010, à 10 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Deuxième rapport périodique de la Jordanie

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

(CAT/C/JOR/2; CAT/C/JOR/Q/2 et Add.1)

Sur l’invitation du Président, la délégation jordanienne prend place à la table du Comité.

2.M. Madi (Jordanie), présentant le deuxième rapport périodique de la Jordanie (CAT/C/JOR/2), dit qu’aucun pays n’est épargné par le fléau de la torture et que son gouvernement reconnaît que des cas de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants se produisent parfois dans le pays. Cependant, ces incidents ne sont jamais cautionnés ni tolérés. En effet, la Jordanie déploie des efforts énergiques pour remédier aux déficiences dans l’application de la Convention et s’engage à prendre pleinement en considération les recommandations que lui adressera le Comité à cet égard.

3.La Jordanie concentre ses efforts sur la formation des capacités et la sensibilisation, le but étant de faciliter l’incorporation de la Convention et d’autres normes internationales relatives aux droits de l’homme dans le droit interne ainsi que l’application des résolutions pertinentes de l’Assemblée générale des Nations Unies et du Conseil des droits de l’homme. Elle s’est portée coauteur de projets de résolution traitant de la torture et a participé activement à des consultations officieuses afin que ces textes puissent recueillir un consensus.

4.Les autorités jordaniennes sont conscientes que des mesures plus énergiques devraient être prises afin de promouvoir la conduite d’enquêtes efficaces, l’inspection par un organe indépendant des lieux de détention et des centres de redressement et de réinsertion, le respect des garanties fondamentales, la responsabilisation des auteurs présumés de violations de la Convention et l’indemnisation des victimes. Elles collaborent plus étroitement avec les partenaires concernés, dont le Gouvernement danois et des organismes danois, ainsi qu’avec la société civile. Les rapports parallèles et les observations soumises par le Centre national des droits de l’homme et d’autres organisations de la société civile jordanienne ont été accueillis avec satisfaction et le Gouvernement jordanien répète qu’il est déterminé à collaborer avec ces organisations afin de faire fond sur les progrès réalisés à ce jour et de surmonter les obstacles qui subsistent afin d’éradiquer la pratique de la torture et des mauvais traitements. La Jordanie continue de prendre d’importantes mesures d’ordre législatif et institutionnel pour promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales et mieux appliquer les dispositions de la Convention.

5.MmeGaer (Rapporteuse pour la Jordanie) note que quinze années se sont écoulées depuis l’examen du rapport initial de l’État partie, soit un intervalle de temps considérablement plus long que la périodicité prescrite par la Convention. Elle accueille toutefois avec satisfaction le rapport, qui est très complet, et les réponses écrites à la liste des points à traiter (CAT/C/JOR/Q/2/Add.1). Elle apprécie tout particulièrement le fait que les réponses écrites aient été soumises dans plus d’une langue de travail.

6.Dans l’introduction de son rapport, le Gouvernement jordanien reconnaît que la torture constitue un crime contraire à la morale et aux valeurs humaines. Il affirme que de telles violations constituent des actes isolés ne reflétant en aucun cas sa politique ou sa position sur la question. Le Comité évaluera la situation compte tenu des mesures prises par la Jordanie pour prévenir la torture et les mauvais traitements et en fonction de la suite donnée aux allégations de fautes professionnelles commises par des agents de l’État.

7.La Rapporteuse salue la création du Centre national des droits de l’homme et du bureau du Médiateur et la mise en place de services des droits de l’homme dans plusieurs ministères. Les prisons sont désormais appelées «centres de redressement et de réinsertion» car leur objectif est de favoriser la réinsertion des détenus plutôt que de servir simplement à appliquer la loi du talion ou à exécuter les peines. Ces centres peuvent être inspectés et, en 2006, plus de 4 000 visites ont été effectuées. La prison d’Al-Jafr a été fermée et plusieurs autres mesures ont été prises afin de donner suite aux observations finales du Comité concernant le rapport initial (A/50/44).

8.La publication en 2006 de la Convention au Journal officiel a apporté la confirmation que cet instrument faisait partie intégrante du droit interne et l’article 208 du Code pénal a été modifié par l’adjonction d’une définition de la torture. La loi sur les centres de redressement et de réinsertion a été modifiée conformément à l’une des recommandations formulées par le Comité dans ses précédentes observations finales et des modifications ont été apportées à la loi sur les prisons afin d’interdire les châtiments corporels. La Rapporteuse souhaiterait en savoir davantage sur la nature de ces modifications.

9.Il est regrettable que l’État partie ne soit toujours pas disposé à faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention, qu’il n’ait pas l’intention de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et ne juge pas nécessaire d’abolir la Cour de sûreté de l’État.

10.Les organisations non gouvernementales et d’autres entités ont signalé à plusieurs occasions un certain nombre de problèmes fondamentaux, qui ont également été évoqués dans le cadre de l’Examen périodique universel concernant la Jordanie, à savoir le fait que la torture soit définie comme un délit plutôt que comme un crime grave; l’idée selon laquelle l’absence de poursuites pour torture serait un signe encourageant, alors qu’elle pourrait trahir l’existence d’une forme d’impunité; le recours généralisé à la détention administrative; l’absence de garanties juridiques fondamentales; les activités du Service des renseignements généraux; et les allégations selon lesquelles les femmes exposées à la violence seraient placées en détention «à des fins de protection».

11.Se référant à la question posée au paragraphe 1 de la liste des points à traiter (CAT/C/JOR/Q/2), qui porte sur le fait que la torture est définie comme un délit et qu’elle n’est pas punie par des peines en rapport avec la gravité de cet acte, la Rapporteuse note que le paragraphe 1 de l’article 208 du Code pénal dispose qu’il est interdit de torturer une personne dans le but d’obtenir des aveux ou des informations sur une infraction, mais que le paragraphe 2 dudit article prévoit une définition beaucoup plus large de la torture. Elle souhaiterait savoir quels actes sont visés par les dispositions de l’article 208 du Code pénal. Elle demande si l’État partie a l’intention de modifier la législation de façon à ce que les peines réprimant la torture soient proportionnelles à la gravité de cet acte. La délégation voudra bien indiquer dans quelles circonstances une personne reconnue coupable de torture pourrait être condamnée à une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement (c’est-à-dire les peines prévues par la loi) et si cette peine est considérée comme suffisante.

12.D’après les réponses à la liste des points à traiter, des enquêtes ont permis d’établir qu’aucun acte de torture n’avait été commis par des agents de la force publique depuis que l’article 208 du Code pénal a été modifié, en 2007, progrès que l’État partie attribue à la diffusion de la Convention à toutes les forces de sécurité et à l’incorporation de cours sur la Convention dans les programmes de formation. Le résultat de ces enquêtes est très surprenant, d’autant plus que l’État partie a reconnu que des incidents isolés se produisaient. Mme Gaer voudrait donc savoir si des enquêtes véritablement indépendantes ont été menées, si des mesures spéciales ont été prises afin de garantir que les fonctionnaires chargés de l’application des lois respectent les dispositions de la Convention et si certains d’entre eux ont été sanctionnés pour avoir commis des violences. L’État partie a indiqué qu’à la suite d’enquêtes ouvertes sur des plaintes, 10 affaires ont été renvoyées devant les tribunaux de police et 22 affaires ont été confiées à des commandants d’unité, mais il n’a donné aucune information sur l’issue de ces procédures. Le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’est rendu en Jordanie avant que l’article 208 du Code pénal ne soit modifié et a affirmé dans son rapport (A/HRC/4/33/Add.3) qu’aucun fonctionnaire n’avait été poursuivi en application de cet article. La délégation voudra bien indiquer si cette absence de poursuites pourrait être due au fait que les fonctionnaires de police sont jugés par d’autres tribunaux. D’après l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, les procédures intentées contre les membres de la police sont conduites par les procureurs et les juges des tribunaux de police. Pour cette organisation, la compétence à connaître d’affaires pénales se rapportant à des allégations de mauvais traitements commis dans les prisons devrait être retirée aux tribunaux de police et confiée aux procureurs des juridictions civiles. Il serait intéressant de savoir si les autorités jordaniennes ont déjà réfléchi à la possibilité de procéder à ce transfert de compétences et si elles ont l’intention de prendre des mesures afin que les membres de la police soient poursuivis par des magistrats relevant des tribunaux civils. Le Centre national des droits de l’homme ou un organe d’enquête indépendant pourrait éventuellement être chargé de faire un bilan de la situation.

13.Le Rapporteur spécial sur la question de la torture s’est rendu dans le centre de redressement et de réinsertion de Siwaqa, où 2 100 personnes étaient détenues. Malgré l’existence d’allégations de passages à tabac et bien que deux détenus soient décédés, il n’y avait pas eu d’enquête et aucun auteur présumé n’avait été traduit en justice. Lorsque Human Rights Watch a été autorisée à se rendre dans cette prison, une émeute a éclaté, dont les conséquences ont été tragiques. La Rapporteuse invite la délégation jordanienne à formuler des observations sur les changements apportés au fonctionnement de cette prison.

14.Le Rapporteur spécial sur la question de la torture a indiqué dans son rapport à propos de l’affaire Zaher Abed Al-Jalil Abu Al-Reesh qu’il avait établi au-delà de tout doute raisonnable qu’une affaire grave de torture s’était produite pendant sa mission d’enquête. Des éléments de preuve avaient été apportés par un témoin, par le médecin légiste qui accompagnait le Rapporteur spécial ainsi que par deux médecins légistes de l’Institut national de médecine légale, mais le Gouvernement jordanien avait répondu que la victime avait été consultée et qu’elle avait demandé que les deux responsables présumés ne soient pas poursuivis. Ceux-ci ont toutefois été traduits devant un tribunal de police, qui les a jugés pour entente en vue de blesser un tiers, en application de l’article 334 du Code pénal. La délégation jordanienne est invitée à commenter cette affaire.

15.Des renseignements seraient bienvenus sur l’enquête qui a été ouverte sur un incident survenu en avril 2008 à la prison de Muwaqqar, où trois détenus ont été brûlés vifs. Human Rights Watch affirme que le Département de la sûreté publique a tenté de protéger les fonctionnaires concernés contre d’éventuelles poursuites.

16.D’après des renseignements émanant d’Amnesty International, 10 fonctionnaires auraient été poursuivis à la suite d’un décès survenu à la prison de Jweida, qui serait imputable à des tortures et des mauvais traitements. Les fonctionnaires mis en cause auraient été condamnés à des peines d’emprisonnement, mais on ne savait pas exactement s’ils avaient été condamnés pour torture ou pour un autre type d’acte.

17.Concernant la question formulée au paragraphe 3 de la liste des points à traiter, la Rapporteuse voudrait savoir si la législation relative à la lutte contre le terrorisme et les procédures régissant la détention administrative ont des incidences sur le droit de voir un conseil et d’avertir un proche dans les meilleurs délais. La délégation voudra bien donner des précisions sur les dispositions de la loi de 2006 sur la prévention du terrorisme qui permettent de retenir un suspect en détention provisoire avant qu’il ne soit inculpé. Le Rapporteur spécial sur la question de la torture signale que, «dans certains cas», la loi de 1954 sur la prévention de la criminalité autorise les gouverneurs provinciaux à maintenir des suspects en détention pendant une année sans inculpation ni jugement, la durée de cette détention pouvant être prolongée indéfiniment. Mme Gaer voudrait savoir quel type d’affaire justifie l’application de ces mesures, qui sont assimilables à la détention administrative.

18.La Rapporteuse croit comprendre que, dans les affaires urgentes, les procureurs sont habilités en vertu des articles 63 et 64 du Code de procédure pénale à interroger les détenus en l’absence d’un avocat. Elle souhaiterait savoir dans quelles circonstances une affaire est considérée comme urgente et s’il existe des garanties permettant de prévenir un recours abusif aux dispositions de ces articles. Des statistiques ou d’autres informations seraient bienvenues sur l’application concrète des articles 63 et 64 et du paragraphe 2 de l’article 66 du Code de procédure pénale. La Rapporteuse appelle l’attention de la délégation jordanienne sur le contraste manifeste entre ces dispositions et le contenu du paragraphe 114 du rapport, d’après lequel la publicité des procès, le droit de l’accusé de charger un avocat de sa défense et l’application de la loi la plus favorable à l’accusé sont garantis.

19.D’après des informations portées à la connaissance du Comité, les personnes retenues en détention par le Service des renseignements généraux ne seraient pas autorisées à voir un avocat ou un médecin ni de contacter un proche pendant les sept jours qui suivent leur arrestation. La Rapporteuse demande si l’article 13 de la loi sur les centres de redressement et de réinsertion pourrait être appliqué dans ce cas de figure.

20.Le Rapporteur spécial sur la question de la torture a été informé que tous les détenus avaient le droit de voir un médecin au moment où ils arrivaient dans un lieu de détention. Mme Gaer demande quelle est la procédure habituelle lorsque des séquelles de mauvais traitements sont détectées. Combien de médecins sont affectés aux centres de redressement et de réinsertion?

21.D’après la réponse à la question énoncée au paragraphe 4 de la liste des points à traiter, les personnes placées en détention administrative étaient au nombre de 20 071 en 2006 mais on en recensait environ 4 000 de moins depuis. Les juges des tribunaux administratifs avaient reçu une circulaire les enjoignant à mettre fin à cette pratique et beaucoup de personnes avaient été remises en liberté. La Rapporteuse prie la délégation de fournir des statistiques et des informations plus récentes, ventilées par sexe, âge, appartenance à un groupe ethnique ou lieu de détention, sur les personnes placées en détention administrative. Le Comité aimerait s’assurer qu’il ne s’agit pas en fait de détention officieuse ou secrète. L’État partie prétend que cette mesure n’est applicable qu’aux personnes extrêmement dangereuses, dans certaines conditions. Or, le Comité a reçu des informations montrant que les personnes soupçonnées de fraude ou d’autres infractions non accompagnées de violences se retrouvent parfois en détention administrative, où ils n’ont aucune possibilité de saisir les tribunaux.

22.Malgré les efforts louables déployés par le Gouvernement jordanien pour améliorer la situation des femmes subissant des violences au sein du foyer, certaines femmes susceptibles d’être victimes de crimes commis au nom de l’honneur, d’infractions commises dans le cadre familial ou de mauvais traitements liés à leur sexe seraient placées en détention «à des fins de protection». L’État partie a indiqué que les «femmes détenues dans des lieux protégés» étaient au nombre de 290 en 2007, 501 en 2008 et 791 en 2009. La Rapporteuse prie la délégation de préciser si cette pratique peut être considérée comme une forme de détention administrative et si ces femmes pourraient être transférées dans des foyers de réadaptation où elles jouiraient d’une plus grande liberté et bénéficieraient de soins de santé et d’un accompagnement psychologique.

23.Dans ses observations finales concernant le rapport initial de la Jordanie, le Comité s’était dit préoccupé par le fait que le quartier général du Service des renseignements généraux était devenu une prison officielle, que les membres des forces armées étaient habilités à agir en qualité de procureurs et qu’ils avaient la faculté de placer des suspects, qu’ils soient militaires ou civils, en détention au secret jusqu’à la fin de l’interrogatoire, pour des périodes pouvant aller jusqu’à six mois. Le Comité prie une nouvelle fois la délégation d’indiquer s’il existe des mécanismes permettant de vérifier si le Service des renseignements généraux respecte les dispositions de la législation ordinaire relatives à la torture ou s’il est soumis à un autre régime juridique. Le Comité avait demandé si des visites inopinées étaient effectuées dans les locaux du Service afin de déterminer si des mauvais traitements risquaient d’être infligés dans ces lieux. L’État partie a répondu que le Centre national des droits de l’homme et d’autres organismes étaient autorisés à se rendre dans les centres de détention deux ou trois fois par an. Le Comité considère que ce système de surveillance n’est pas satisfaisant, d’autant plus que les visites sont annoncées à l’avance. La Rapporteuse demande s’il est envisagé d’organiser des visites inopinées dans les locaux de détention du Service des renseignements généraux. Il serait intéressant de savoir pourquoi le Rapporteur spécial sur la question de la torture n’a pas pu y avoir accès.

24.Dans ses précédentes observations finales, le Comité avait recommandé à l’État partie d’abolir la Cour de sûreté de l’État, mais celui-ci n’envisage toujours pas de le faire. Mme Gaer demande comment l’impartialité de cette juridiction est garantie, combien de suspects sont en détention et combien d’entre eux n’ont pas encore été inculpés.

25.La loi sur la défense constitue également un motif de préoccupation. Dans sa réponse à la question posée au paragraphe 6 de la liste des points à traiter, l’État partie indique simplement que cette loi n’est pas appliquée car aucun danger exceptionnel ne menace actuellement le pays. La délégation est invitée à donner des explications sur les normes relatives à l’état d’urgence. En particulier, elle est priée de préciser les circonstances dans lesquelles l’état d’urgence peut être déclaré, si la décision pertinente est susceptible de recours et quelles garanties ont été mises en place afin d’assurer que, pendant l’état d’urgence, les droits des individus, dont celui de ne pas être torturé, soient protégés.

26.La Rapporteuse souhaiterait recevoir de plus amples détails sur la procédure de nomination des membres du Centre national des droits de l’homme et demande s’il a été envisagé de les habiliter à assurer le suivi de certaines recommandations.

27.D’après la réponse à la question formulée au paragraphe 8 de la liste des points à traiter, le bureau des plaintes et des droits de l’homme de la Direction de la sûreté publique est chargé du suivi des affaires portant sur des violations des droits de l’homme. La délégation pourrait fournir de plus amples informations sur les effectifs de cet organe et les mesures adoptées afin de garantir l’indépendance et l’impartialité des enquêtes qu’il mène sur les violences imputées aux fonctionnaires chargés de l’application des lois.

28.Lisant dans les réponses écrites que le bureau du Médiateur a reçu 2 716 plaintes, dont 1 124 ont été acceptées, la Rapporteuse demande combien de ces plaintes ont donné lieu à des poursuites, quels étaient les chefs d’accusation, quelles mesures ont été prises pour que le mécanisme de plainte du bureau du Médiateur soit accessible au public et si les détenus ont la possibilité de saisir le Médiateur d’une plainte.

29.Constatant que le rapport comprend des statistiques sur le nombre de plaintes déposées en 2005 et 2006 contre des policiers relevant de la Direction de la sûreté publique (par. 59), la Rapporteuse souhaiterait recevoir des statistiques plus récentes, en particulier sur le nombre de plaintes sur lesquelles une enquête avait été ouverte après leur dépôt et qui n’ont pas débouché sur un procès.

30.Se référant aux renseignements fournis par l’État partie sur les juges, elle demande s’il est déjà arrivé que des magistrats soient sanctionnés pour faute professionnelle et si les juges ont l’obligation d’ordonner l’ouverture d’une enquête médicale s’ils constatent l’existence de séquelles de violences ou si cela est laissé à leur discrétion.

31.Les informations se rapportant aux crimes dits d’honneur soulèvent la question de la détention dite à des fins de protection, de l’impunité des auteurs présumés de ces actes et de l’absence de prise en charge des victimes. La Rapporteuse demande en quoi consistaient à l’origine les peines prononcées dans les 13 affaires qui ont été jugées en 2009 et quelles peines sont actuellement exécutées par les 10 condamnés qui ont invoqué des circonstances atténuantes. D’autres membres du Comité poseront des questions à la délégation sur la distinction qui est établie entre ces meurtres et d’autres crimes violents.

32.La Rapporteuse constate que les dispositions de l’article 308 du Code pénal prévoient d’étranges circonstances atténuantes. En effet, en vertu de cet article, le violeur qui épouse sa victime échappe à une peine d’emprisonnement au motif que le mariage légitime son désir de fonder une famille avec la victime. Mme Gaer ne voit pas comment cet article peut être considéré comme compatible avec les normes internationales ou même avec le droit pénal ordinaire. Le viol est largement reconnu comme une forme de torture, comme l’attestent plusieurs instruments internationaux, et le fait d’autoriser un violeur à épouser sa victime va à l’encontre de ces normes. La délégation voudra bien indiquer quelles conditions devraient être réunies pour qu’un viol fasse l’objet d’une enquête et pour que le responsable présumé soit poursuivi et, le cas échéant, puni, et quelles mesures l’État partie envisage de prendre pour abroger ces dispositions, de façon à ce qu’il n’y ait plus de motif d’exonération de la responsabilité pénale pour un acte aussi odieux que le viol.

33.D’après le paragraphe 87 du rapport, la Jordanie n’expulse jamais une personne vers un autre pays si celle-ci pourrait y être en danger de mort. Mme Gaer fait toutefois observer que les dispositions pertinentes de la Convention ne portent pas sur l’éventualité que la personne perde la vie en cas de renvoi, mais sur l’existence d’un risque de torture. Elle demande si la Jordanie s’est dotée d’une loi interdisant expressément l’expulsion d’une personne vers un pays où elle risque d’être torturée.

34.Se référant à des informations récentes portées à sa connaissance, la Rapporteuse demande combien de non-ressortissants ont été arrêtés et expulsés du pays au cours de l’année écoulée, quel organe est spécifiquement chargé de l’extradition et quelle autorité est habilitée à déchoir de leur nationalité les personnes devenues jordaniennes par naturalisation.

35.Concernant l’affaire Maher Arar, Mme Gaer note que le Rapporteur spécial sur la question de la torture a jugé surprenants les renseignements qui lui ont été communiqués sur ce cas. Le Comité a reçu les mêmes informations, à savoir que M. Arar serait arrivé en Jordanie en avion, par un vol de la compagnie Royal Jordanian Airlines. Or, comme son nom figurait sur une liste de terroristes présumés, il aurait été prié de quitter le pays pour une destination de son choix. Il aurait opté pour la Syrie, où il aurait été emmené en voiture le jour même. Cependant, d’après d’autres informations parvenues à la connaissance du Comité, que le Rapporteur spécial et les tribunaux canadiens ont également reçues, il ne s’agissait pas d’une décision prise en toute liberté mais d’une expulsion ou d’une extradition. Étant donné que M. Arar n’a pas été autorisé à entrer sur le territoire jordanien, on peut se demander pourquoi il a été emmené en Syrie en voiture et pourquoi, d’après sa description des faits, on lui a bandé les yeux. La Rapporteuse voudrait savoir s’il existe des témoignages ou un enregistrement attestant qu’il a demandé d’aller en Syrie. L’État partie s’attendait-il à ce qu’il y ait une enquête indépendante sur cette affaire? Des mesures ont-elles été adoptées afin d’éviter que des incidents de ce type ne se reproduisent?

36.M. Gallegos Chiriboga (Corapporteur pour la Jordanie) indique que le Comité a reçu une quantité considérable d’informations, qui émanent pour la plupart d’organisations de la société civile jordanienne. Le volume de ces informations s’explique notamment par le fait que la Jordanie n’a pas présenté de rapport depuis une quinzaine d’années.

37.En ce qui concerne l’application de l’article 10 de la Convention, le Corapporteur note que le rapport et les réponses écrites contiennent des renseignements sur la formation des membres des forces de l’ordre mais que, s’agissant des membres des forces armées et de la police, ces renseignements sont très succincts et ne permettent pas de savoir si ces personnes bénéficient aussi d’une formation sur les droits de l’homme, les méthodes d’interrogatoire et l’utilisation adéquate du matériel. Le Corapporteur demande qui dispense cette formation et qui en évalue les résultats. L’État partie ne donne que peu de renseignements sur la formation des juges et des procureurs et ne dit rien de la formation dispensée aux médecins légistes et au personnel médical aux fins de la détection des séquelles physiques et psychologiques de torture et de l’établissement des faits. Étant donné l’importance de cette question, un complément d’information serait bienvenu.

38.Concernant l’article 11 de la Convention, le Corapporteur relève que le Centre national des droits de l’homme est habilité à se rendre dans les centres de détention. Il aimerait savoir si les postes de police et les locaux du siège de la Direction des renseignements généraux font l’objet d’une surveillance judiciaire et d’inspections. D’après les réponses écrites à la liste des points à traiter, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) effectue régulièrement des visites inopinées dans les centres de détention de la Direction des renseignements généraux. Le Corapporteur souhaiterait savoir si d’autres organes, dont le Centre national des droits de l’homme, sont aussi autorisés à effectuer des visites de ce type.

39.Le Corapporteur souhaiterait également savoir si l’État partie envisage de transformer son système actuel de traitement des plaintes en un organe d’enquête indépendant, impartial et efficace. Le Comité considère qu’il est extrêmement important de mettre en place un organe indépendant chargé de traiter les plaintes déposées contre la police et de demander des comptes aux responsables présumés.

40.La délégation voudra bien confirmer qu’il n’y a pas de centres de détention secrets en Jordanie, vu que le Centre national des droits de l’homme affirme qu’il en existe.

41.Lisant au paragraphe 30 des réponses écrites que les dispositions de la loi sur les mineurs sont en cours de révision afin de ramener l’âge de la responsabilité pénale de 7 à 12 ans et de créer des tribunaux pour mineurs ainsi que des bureaux du Procureur général et une police spécialisés dans les affaires concernant des mineurs, M. Gallegos Chiriboga aimerait recevoir de plus amples informations sur le contenu et le statut de ces modifications et sur le calendrier de leur adoption.

42.Concernant l’application des articles 12, 13 et 15 de la Convention, il indique que, d’après des informations dont il dispose, la Cour de sûreté de l’État aurait déclaré recevables un témoignage obtenu par la torture et des allégations non étayées par des documents et dénuées de fondement. La délégation voudra bien fournir des informations sur l’application des dispositions relatives à l’irrecevabilité des moyens de preuve obtenus par la contrainte et indiquer si des agents de l’État ont été poursuivis pour avoir considéré que des déclarations faites dans ces circonstances étaient recevables.

43.M. Gallegos Chiriboga espère vivement que l’État partie envisagera d’abolir le système judiciaire spécial existant au sein de la Direction de la sûreté de l’État − en particulier les tribunaux de la police et du Service des renseignements généraux − et de transférer leurs compétences aux procureurs indépendants et aux tribunaux pénaux ordinaires. Des observations de la délégation seraient bienvenues sur ce point.

44.Le Corapporteur relève qu’aucune réponse n’a été donnée à la première partie de la question figurant au paragraphe 33 de la liste des points à traiter, qui porte sur la procédure à suivre en cas de plainte pour faute professionnelle déposée contre des membres de la police, des services de sécurité et des forces armées et, en particulier, sur les mesures prises par l’État partie pour garantir que des enquêtes indépendantes et efficaces soient immédiatement ouvertes sur ces plaintes.

45.Pour ce qui est de l’article 14 de la Convention, le Comité a pris acte de l’information selon laquelle l’article 256 du Code civil reconnaît le droit de la victime d’être indemnisée de tout dommage subi. Il n’en reste pas moins que la législation jordanienne ne contient pas de dispositions garantissant expressément le droit des personnes qui ont été arbitrairement détenues de demander réparation et le droit des victimes de torture de réclamer une indemnisation financière pour le dommage subi. Le Corapporteur demande si l’État partie envisage de prendre des mesures afin d’incorporer des dispositions de ce type dans la législation interne. En outre, il souhaiterait recevoir des renseignements sur les programmes de réadaptation en faveur des victimes de la torture et sur les mesures prises par l’État partie pour assurer leur réadaptation physique et psychologique.

46.Concernant l’article 16 de la Convention, le Corapporteur prend bonne note des renseignements fournis au paragraphe 80 des réponses écrites concernant les «maisons pour la réconciliation des familles» rattachées au Ministère du développement social, mais reformule la question qui avait déjà été adressée à l’État partie concernant les mesures prises pour remédier à la pénurie de foyers et de centres de crise pour les femmes victimes de violences. Il demande quel est l’état d’avancement du projet de loi visant à délivrer des autorisations aux organisations non gouvernementales afin que celles-ci puissent créer et administrer des foyers d’accueil.

47.Compte tenu d’informations reçues par le Comité d’après lesquelles les domestiques migrantes seraient très nombreuses à subir des mauvais traitements, le Corapporteur prie la délégation de donner des informations sur l’application concrète de la loi adoptée en août 2009 afin de mieux protéger les droits des domestiques migrants, qui porte modification de la loi de 2008 sur le travail (réponses écrites, par. 83). Il souhaiterait de plus amples renseignements sur les centres d’hébergement pour victimes de la traite qui ont été créés et demande si l’État partie envisage toujours de mettre sur pied un centre d’accueil pour les travailleuses migrantes qui fuient les violences et l’exploitation .

48.Aucune réponse n’a été fournie à la question posée au paragraphe 39 de la liste des points à traiter, qui a pour thème la prévention de l’exploitation sexuelle d’enfants à des fins commerciales. La délégation voudra bien donner des informations sur le contenu et l’application de la loi no9 sur les mesures de lutte contre la traite adoptée le 1er avril 2009 ainsi que sur le mandat du Comité national chargé de la lutte contre la traite.

49.La région connaît des problèmes considérables en raison de l’afflux de réfugiés et les efforts déployés par la Jordanie pour aider ces personnes doivent être soulignés. Il serait intéressant de savoir quelle politique le Gouvernement jordanien entend suivre en ce qui concerne les réfugiés, leur rapatriement, le traitement réservé aux femmes et aux enfants et les relations avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), et quelle est sa conception générale des problèmes liés aux réfugiés. S’agissant des personnes handicapées, le Corapporteur note que la Jordanie a pris plusieurs mesures encourageantes, mais il souhaiterait recevoir un complément d’information sur le système d’inspection des établissements pénitentiaires, des institutions psychiatriques et des institutions s’occupant de personnes handicapées.

50.L’État partie n’a pas répondu à la question formulée au paragraphe 40 de la liste des points à traiter, dans laquelle le Comité l’a invité à fournir des renseignements sur les mesures législatives et administratives adoptées afin de faire face au risque d’actes terroristes et à indiquer si ces mesures avaient eu des répercussions sur les garanties protégeant les droits de l’homme, en droit et en pratique. L’État partie ne donne pas d’information à ce sujet et indique seulement qu’aucune personne n’a été jugée en application de la loi no55 de 2006 sur la lutte contre le terrorisme.

51.Le Comité espère vivement que la Jordanie signera le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et qu’il fera les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

52.Citant deux affaires de brutalités policières, dont l’une s’est soldée par le décès de la victime, le Corapporteur aimerait obtenir des renseignements récents à ce sujet. En particulier, il souhaiterait savoir si les responsables présumés ont été poursuivis et reconnus coupables. Il demande si les autorités condamnent publiquement les actes de violence commis par les membres des forces de l’ordre et si des programmes plus intensifs de formation et de sensibilisation ont été lancés afin d’éviter que de tels incidents ne se reproduisent.

53.M. Bruni demande des éclaircissements sur le début du paragraphe 1 de l’article 208 du Code pénal qui, dans la traduction française du rapport, se lit comme suit: «Quiconque soumet une personne à un acte de torture interdit par la loi […] est passible de six mois à trois ans d’emprisonnement.», formulation qui semble sous-entendre que certaines formes de torture seraient autorisées par la loi.

54.À l’instar de Mme Gaer, il juge surprenant qu’aucune plainte dénonçant des actes de torture perpétrés par des membres des forces de l’ordre n’ait été déposée depuis le 15 septembre 2007. D’après des informations communiquées par le Centre national des droits de l’homme, 50 plaintes auraient été déposées en 2009 contre des membres de divers services chargés du maintien de l’ordre, dont six faisaient état de passages à tabac et d’actes de torture commis dans des centres de redressement et de réinsertion. Les statistiques pour 2008 étaient similaires. La délégation voudra bien donner des éclaircissements sur ces divergences.

55.Relevant que le rapport et les réponses écrites ne contiennent aucun renseignement sur l’application du paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention, aux termes duquel l’ordre d’un supérieur ne peut être invoqué pour justifier la torture, le Corapporteur demande s’il existe une procédure permettant aux membres des forces de l’ordre ou de l’armée de contester par les voies légales un ordre qui pourrait être interprété comme supposant la commission d’un acte de torture.

56.En ce qui concerne l’article 10 de la Convention, M. Bruni relève que le rapport et les réponses écrites contiennent des informations sur la procédure à suivre lorsqu’une personne affirme avoir été torturée par des agents de la police judiciaire et, en particulier, que l’auteur de la plainte doit être examiné par un médecin légiste lorsque cela s’avère nécessaire. Il demande si les médecins légistes sont formés pour détecter les séquelles particulières de la torture, comment cette formation est dispensée et si ces médecins connaissent le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) publié en 2005 par l’ONU. Il serait utile de savoir si l’auteur d’une plainte peut demander de subir un examen réalisé par un médecin de son choix, parallèlement à l’examen effectué par le médecin de la police.

57.En ce qui concerne l’application de l’article 11 de la Convention et les inspections de prisons, M. Bruni souligne qu’au moins une partie de ces visites devraient être inopinées. Il aimerait savoir s’il existe une procédure permettant aux personnes qui se rendent dans les prisons de s’entretenir librement avec les détenus sans être directement ou indirectement surveillés par les responsables de l’établissement. Cela vaut en particulier pour les centres de détention des forces de sécurité, qui sont généralement considérés − c’est le cas pour tous les pays, la Jordanie n’est pas une exception − comme étant des lieux dans lesquels le risque de torture est particulièrement élevé. Il demande si les rapports sur ces visites sont accessibles au public.

58.Concernant l’application de l’article 16 de la Convention, M. Bruni note avec satisfaction que les informations fournies aux paragraphes 67 et suivants du rapport sont consacrés à la peine de mort. Bien que celle-ci soit toujours en vigueur dans l’État partie, l’idée selon laquelle cette pratique pourrait être assimilée à un traitement cruel, inhumain et dégradant semble faire son chemin au sein de la population, voire parmi les autorités. La délégation est invitée à confirmer ou infirmer cette impression. Notant que le Gouvernement jordanien a indiqué qu’en 2006, il a soumis à la Chambre des représentants quatre projets de loi modifiés prévoyant d’abolir la peine de mort pour certaines infractions et qu’aucun condamné à mort n’a été exécuté en 2007, M. Bruni souhaiterait savoir quelles infractions n’emporteraient plus la peine capitale en cas d’adoption et si ces projets de loi ont été approuvés par la Chambre des représentants. Il aimerait savoir si des exécutions ont eu lieu en Jordanie depuis 2007.

59.Se référant au paragraphe 31 de la liste des points à traiter, il rappelle que le Rapporteur spécial sur la question de la torture a souligné que, bien que les forces de sécurité aient reçu des instructions claires leur interdisant de recourir à la torture, cette pratique était fréquente et relevait même de la routine dans certaines institutions. L’expert demande comment le suivi de l’application de ces instructions est assuré et par qui et quel est le bilan actuel de l’introduction de ces instructions. Il voudrait savoir si l’impunité existe encore.

60.M. Bruni note que la Jordanie a affirmé qu’elle n’avait l’intention de ratifier le Protocole facultatif ni de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention. Tout en reconnaissant que cette position est légitime étant donné le caractère facultatif de ces procédures, il constate avec surprise à la lecture du paragraphe 119 du rapport que l’État partie estime que «ces deux articles risquent d’être exploités à des fins politiques, sans rapport avec les objectifs de la Convention». La délégation voudra bien expliquer à quelles «fins politiques» ces articles pourraient être exploités. Étant donné que ces procédures ont été mises au point dans le but de renforcer les moyens juridiques de prévenir la torture, il ne voit pas en quoi elles ont un caractère politique.

61.Relevant qu’en 1984 la Jordanie a alloué des ressources au Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture mais qu’elle ne l’a plus fait depuis, M. Bruni demande si l’État partie serait disposé à recommencer à participer au financement du Fonds et à se joindre ainsi à la centaine d’États qui le soutiennent.

62.MmeBelmir  dit que, bien que l’appareil judiciaire de l’État partie compte de très bons juristes et d’excellents juges, dont certains sont des femmes, la structure hiérarchique de ce système pose problème car celui-ci comprend plusieurs juridictions d’exception que l’État partie a estimé opportun de créer, ainsi qu’une Cour d’appel. La doctrine veut qu’en matière de droits de l’homme le respect des garanties d’une procédure régulière suppose la réunion de plusieurs éléments tant matériels qu’intellectuels, notamment l’accès aux tribunaux. Mme Belmir doute que le tribunal de la police remplisse ces conditions car, d’après la doctrine, les juridictions professionnelles ne respectent pas le principe du droit à une procédure équitable étant donné que les accusés et les juges appartiennent au même groupe professionnel. L’État partie se justifie en faisant valoir que les décisions rendues par ces juridictions sont ensuite renvoyées devant la Cour de cassation mais, comme chacun sait, cette juridiction statue sur des questions de droit et non sur le fond. En conséquence, les questions de fond sur lesquelles les juridictions professionnelles se prononcent ne sont pas réexaminées par une autre instance remplissant les conditions voulues pour respecter les garanties d’une procédure régulière.

63.Les juridictions administratives suscitent des préoccupations similaires. Le fait que des détenus ayant exécuté leur peine puissent être placés en internement administratif sur ordre d’un gouverneur − ce qui équivaut à une détention sans jugement − soulève d’importantes questions de principe. La délégation voudra bien expliquer au Comité en quoi ces mesures et l’existence de juridictions d’exception permettent à l’État partie de remplir les obligations qui lui incombent en vertu des instruments internationaux auxquels il est partie.

64.L’experte se dit également préoccupée par l’absence de démarcation claire entre les compétences en matière d’arrestation de suspects et les compétences en matière d’interrogatoire, en particulier pour ce qui est des organismes du renseignement tels que la Direction des renseignements généraux et la police judiciaire. Elle constate que la distinction entre la période passée en détention provisoire et la période passée en prison aux fins de l’exécution d’une peine n’est pas claire non plus, ce qui fait que la durée réelle de la peine demeure vague.

65.La délégation est invitée à donner des éclaircissements sur les relations entre les organes du renseignement tels que la Direction des renseignements généraux et le Service des enquêtes criminelles de la Direction de la sûreté publique, d’une part, et les organes de droit commun tels que le ministère public, d’autre part.

66.De plus amples informations seraient bienvenues sur les méthodes utilisées pour calculer la durée du maintien en détention provisoire d’un suspect à des fins d’interrogatoire et si celle-ci est déduite de la peine d’emprisonnement en cas de condamnation.

67.Mme Belmir relève que les règles régissant la conduite d’inspections dans les centres de détention ne sont pas clairement définies et demande quel organe est chargé d’effectuer ces inspections et quelle est la procédure suivie.

68.Tout en notant que, d’après des informations dont dispose le Comité, un établissement pénitentiaire aurait été fermé en raison d’irrégularités qui y auraient été commises, Mme Belmir se dit préoccupée par des allégations persistantes dénonçant les conditions de détention dans d’autres établissements de ce type. Elle prie la délégation de fournir de plus amples renseignements sur leur fonctionnement.

69.Tout en reconnaissant les efforts déployés par l’État partie pour lutter contre la traite d’enfants et de femmes, en particulier l’adoption de la loi no9 de 2009 sur la lutte contre la traite, Mme Belmir regrette que la Jordanie ne se soit pas dotée d’une stratégie globale dans ce domaine et espère vivement qu’elle lancera d’autres initiatives pour combattre ce phénomène.

70.Tout en prenant acte des mesures qui ont été adoptées afin de protéger les droits des femmes étrangères employées comme domestiques, Mme Belmir estime que d’autres mesures devraient être lancées pour renforcer les mécanismes chargés de surveiller les conditions de travail de ces personnes.

71.Elle se dit préoccupée par le fait qu’entre 2004 et 2008, plusieurs personnes qui avaient obtenu la nationalité jordanienne, dont des Palestiniens, ont été déchues de leur nationalité.

72.M. MariñoMenéndez prend acte avec regret de la décision de l’État partie de ne pas reconnaître les procédures facultatives prévues aux articles 20 et 22 de la Convention. Si la Jordanie prenait des mesures dans ce sens, cela représenterait une avancée notable dans le domaine de la prévention de la torture. Il espère que l’État partie ratifiera le Protocole facultatif se rapportant à la Convention, qui prévoit la création d’un mécanisme national chargé d’effectuer des visites inopinées dans tous les lieux de détention.

73.En ce qui concerne le statut des apatrides vivant en Jordanie, il demande si les personnes qui avaient la nationalité jordanienne avant de devenir apatrides et qui vivent encore dans le pays bénéficient d’une protection et si le Gouvernement envisage de ratifier les instruments internationaux garantissant les droits de ces personnes.

74.S’agissant de la question du refoulement, il aimerait savoir si l’entité habilitée à prendre des décisions de renvoi à l’encontre d’étrangers est un organe judiciaire ou administratif. Il aimerait également savoir si les fonctionnaires chargés de la surveillance des frontières peuvent refuser aux demandeurs d’asile le droit d’entrer sur le territoire ou s’ils sont tenus de transmettre toutes les demandes d’asile à un autre organe.

75.Les droits des avocats revêtent une importance particulière dans le contexte de la détention administrative. La délégation voudra bien indiquer quelles sont les modalités d’accès à la profession, s’il existe un barreau et comment les compétences des avocats sont vérifiées.

76.Concernant le rôle joué par le Service des renseignements généraux lors de l’interrogatoire de suspects, M. Mariño Menéndez demande si des normes relatives à la conduite des interrogatoires ont été élaborées à l’intention des membres de ce service. Ces normes revêtent une grande importance car elles permettent de spécifier quelles méthodes sont interdites.

77.Des allégations dénonçant l’impunité dont jouiraient certains membres des forces de l’ordre qui sont accusés d’actes de torture ont été portées à la connaissance du Comité. M. Mariño Menéndez note que les juridictions supérieures jordaniennes ont considéré que les aveux obtenus par la torture n’étaient pas recevables. Toutefois, il est arrivé que des allégations de torture soient formulées et que les éléments de preuve obtenus par ce moyen soient déclarés irrecevables, mais aucune enquête n’a été ouverte par la suite afin d’établir si ces allégations étaient fondées. Une enquête devrait être menée en bonne et due forme afin de faire la lumière sur ces affaires.

78.M. Mariño Menéndez croit comprendre que la peine de mort n’est appliquée dans l’État partie que si la décision pertinente a reçu l’aval du Roi de Jordanie. Il souhaiterait savoir comment un recours en grâce peut être formé et si ce type de demande est automatiquement transmis au Roi pour examen.

79.MmeSveaass, se référant à des allégations faisant état de menaces et de tentatives d’intimidation dont des défenseurs des droits de l’homme auraient été la cible, demande quelles sont les mesures prises par le Gouvernement jordanien pour garantir que les organisations et les défenseurs des droits de l’homme puissent mener leurs activités en toute sécurité.

80.À propos de l’indemnisation des victimes de la torture et des programmes de réadaptation conçus en leur faveur, elle note que, dans ses réponses écrites, l’État partie fait mention d’un programme de réinsertion pour les détenus. Elle aimerait savoir s’il envisage de mettre au point des programmes destinés à aider non seulement les personnes ayant subi des tortures en prison, mais aussi celles qui ont été torturées dans d’autres lieux de détention.

81.L’experte se félicite des mesures prises pour protéger les femmes contre la violence familiale, en particulier celles tendant à favoriser la réconciliation entre les membres d’une famille. Elle est néanmoins préoccupée par le fait que la loi no6 sur la protection contre la violence familiale semble offrir une plus grande protection aux femmes qui vivent avec un conjoint violent qu’à celles qui ont fui le domicile conjugal. La délégation est priée d’indiquer si tel est effectivement le cas.

82.Mme Sveaass croit comprendre que les examens médicaux des personnes qui disent avoir été victimes d’actes de torture doivent être ordonnés par les tribunaux. Elle demande s’il existe des procédures permettant aux victimes de demander d’être auscultées par un médecin indépendant qui effectue cet examen conformément au Protocole d’Istanbul.

83.Concernant les droits des étrangers engagés comme domestiques, elle souhaiterait savoir s’il est déjà arrivé que des employeurs soient inculpés ou condamnés pour avoir confisqué le passeport de leur employé.

84.Évoquant les efforts fournis par l’État partie pour lutter contre la traite des personnes, elle note que certaines affaires ont été renvoyées devant les tribunaux compétents. Elle prie la délégation de donner des informations sur l’issue de ces procédures.

85.MmeKleopas, rappelant que le Comité considère que les actes de torture ne sont pas soumis à la prescription, demande si la torture est définie comme un crime imprescriptible en Jordanie.

86.Concernant les normes régissant la conduite des interrogatoires, elle juge surprenant que le Procureur général ait le droit d’empêcher l’avocat d’assister à l’interrogatoire et qu’aucun recours ne puisse être formé contre une décision de ce type. Le Comité est d’avis que l’avocat devrait être présent durant l’interrogatoire afin qu’aucun acte de torture ne puisse être commis. Des observations de la délégation seraient bienvenues sur ce point.

87.Mme Kleopas note avec préoccupation que tous les détenus n’ont pas accès aux services d’un conseil, en particulier ceux qui se trouvent dans les locaux de l’armée. Elle note également avec préoccupation que, dans le cadre des procédures parallèles à celles des tribunaux ordinaires, les allégations de torture mettant en cause des membres des forces de l’ordre sont examinées à la lumière des dispositions de la loi sur la sûreté publique, qui ne prévoit que des sanctions disciplinaires.

88.Le Président,constatant que les actes de torture sont passibles d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement, demande si les personnes reconnues coupables de cette infraction exécutent réellement leur peine.

89.En vertu de la loi sur la sûreté publique, les fonctionnaires de police reconnus coupables d’actes de torture n’encourent apparemment que des sanctions disciplinaires très légères. La délégation voudra bien fournir un complément d’information à ce sujet.

90.Lisant dans le rapport de l’État partie que l’exercice de certains droits peut être suspendu lorsque l’état d’urgence est proclamé, le Président rappelle qu’en droit international, certains droits ne sont pas susceptibles de dérogation. La législation jordanienne prévoit-elle des dispositions stipulant expressément que, dans les affaires de torture, il est impossible de déroger à certains droits?

91.D’après des informations dont dispose le Comité, l’article 61 du Code pénal prévoirait que la personne qui a commis un acte sur les ordres d’un supérieur n’en est pas pénalement responsable. La délégation est invitée à formuler des observations sur ce point.

92.Le Comité a reçu des informations d’où il ressort que les salles dans lesquelles se déroulent les entretiens entre les suspects et leur conseil sont prévues pour accueillir 20 avocats à la fois. Le Président souhaiterait savoir quelles mesures ont été prises pour assurer que les suspects et les prévenus puissent s’entretenir avec leur conseil en tête à tête.

93.D’après les réponses écrites, la loi no7 de 1954 sur la prévention de la criminalité ne s’appliquerait qu’aux affaires dans lesquelles des personnes extrêmement dangereuses sont impliquées, dont les hors-la-loi et les criminels qui attaquent et terrorisent la population. La délégation voudra bien expliquer pourquoi l’État partie juge nécessaire de priver les suspects considérés comme très dangereux de voir un représentant du parquet pendant les vingt-quatre premières heures de leur garde à vue. La délégation est invitée à citer des affaires de jurisprudence permettant de mieux saisir ce que l’État partie entend par «extrêmement dangereux» dans ce contexte.

94.Le Président demande comment les activités terroristes sont définies dans la loi de 2006 sur la prévention du terrorisme et s’il y est fait mention des instruments et protocoles internationaux en vigueur se rapportant au terrorisme.

95.Dans sa réponse à la question énoncée au paragraphe 11 de la liste des points à traiter, qui traite des violations de la Convention fondées sur le sexe, l’État partie a indiqué que la Convention faisait désormais partie intégrante de la législation interne. La délégation voudra bien citer, le cas échéant, des affaires de violations de la Convention liées au sexe de la victime.

96.Sachant que les proches des femmes victimes de viol peuvent renoncer à leur droit de porter plainte, le Président prie la délégation de citer des cas de jurisprudence illustrant concrètement le fonctionnement de la procédure pertinente. Il la prie également de fournir des informations sur le nombre d’affaires dans lesquelles l’auteur d’un viol a épousé sa victime.

97.Compte tenu des allégations nombreuses et répétées selon lesquelles la Jordanie aurait participé à un programme de transferts illégaux, il aimerait savoir si le Gouvernement envisage de mener une enquête approfondie sur ces allégations.

98.Dans ses réponses écrites, l’État partie a indiqué à propos du principe de non-refoulement que dans «plusieurs affaires», la décision de renvoi a été annulée par la Cour suprême. Des précisions seraient utiles sur le libellé et l’exposé des motifs des décisions en question. En outre, l’État partie mentionne les travaux préparatoires menés par le Ministère du travail en vue de créer un réseau de centres d’hébergement pour les victimes d’infractions commises dans le contexte de la traite (par. 89). La délégation voudra bien décrire l’état d’avancement de ce projet et indiquer quand ces centres deviendront opérationnels.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 20.