NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.78424 janvier 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑neuvième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 784e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mardi 6 novembre 2007, à 15 heures

Président: M. MAVROMMATIS

SOMMAIRE

PROJET D’OBSERVATION GÉNÉRALE No 2 CONCERNANT L’APPLICATION DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION (suite)

La première partie (publique) de la séance commence à 15 h 15.

PROJET D’OBSERVATION GÉNÉRALE No 2 CONCERNANT L’APPLICATION DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION (cat/c/gc/2/crp.1/Rev.2; CAT/C/GC/2/CRP.1/Add.1; CAT/C/GC/2/CRP.1/Add.2) (suite)

1.Le PRÉSIDENT félicite Mme Gaer et M. Mariño Menéndez, corapporteurs pour le projet d’observation générale concernant l’application de l’article 2 de la Convention, pour le travail remarquable qu’ils ont accompli et se dit confiant, après plusieurs années d’efforts, dans l’adoption prochaine du projet.

2.Mme GAER (Rapporteuse pour le projet d’observation générale) rappelle que conformément à ce qui avait été convenu à la session précédente, le projet a été soumis aux États parties, aux organisations non gouvernementales et, via le site Web du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, à la société civile au sens large. Au total, 53 États parties, organisations non gouvernementales et institutions nationales des droits de l’homme ont adressé des commentaires, dont la grande majorité étaient favorables. Évoquant les doutes qui ont été émis par certains à propos du droit du Comité de formuler une observation générale, la Rapporteuse rappelle que ce droit est expressément conféré au Comité par la Convention. Elle ajoute que le projet à l’examen a été établi sur la base des conclusions, recommandations et autres décisions issues des travaux du Comité, dans le but de renforcer l’efficacité du processus de présentation des rapports par les États parties.

3.L’examen des commentaires susmentionnés a permis de dégager quatre grands thèmes sur lesquels le Comité a souhaité revenir pour clarifier sa position. Le premier a trait à la question de savoir si le Comité est fondé à inclure les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans un projet d’observation générale concernant l’application de l’article 2 alors que ledit article ne vise expressément que la torture. Mme Gaer tient à établir clairement que le Comité ne fait aucun amalgame entre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Renvoyant au paragraphe 3 du projet d’observation générale, elle rappelle la position du Comité qui est fondée sur l’idée que la prévention des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est une mesure de prévention de la torture et qu’elle s’inscrit à ce titre dans l’obligation de prévenir la torture énoncée à l’article 2. Il n’y a donc aucune ambiguïté quant à l’opportunité de maintenir la référence aux peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le projet d’observation générale. Des incertitudes ont été exprimées dans certains commentaires au sujet de l’applicabilité aux victimes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du droit d’obtenir réparation prévu à l’article 14 pour les victimes de la torture. Mme Gaer dit que le Comité maintient quant au fond la position exprimée au paragraphe 17 du projet mais que des améliorations de forme pourront être apportées pour la clarifier.

4.Le deuxième grand thème évoqué dans les commentaires reçus par le Comité est celui de la discrimination. La majorité des auteurs des commentaires ont félicité le Comité d’avoir inclus la discrimination dans son projet d’observation générale, mais certains autres ont remis en cause la compétence du Comité pour traiter cette question. La discrimination entre clairement dans le mandat du Comité puisqu’elle est l’un des motifs qui sous-tendent les actes de torture envisagés à l’article premier de la Convention. De l’avis du Comité, la position exprimée dans le projet d’observation générale concernant la discrimination est parfaitement conforme aux conclusions issues de ses travaux sur cette question et n’appelle par conséquent pas de modification.

5.Le troisième sujet de préoccupation soulevé par plusieurs États parties et organisations non gouvernementales touchait à l’applicabilité territoriale de la Convention (par. 6 et 16 du projet). Au paragraphe 16 du projet, le Comité interprète la notion de «territoire» comme s’étendant à toutes les régions sur lesquelles l’État partie exerce un contrôle effectif. Le Comité a eu un vif débat sur la question de savoir si cette interprétation était bien conforme à l’obligation faite aux États parties, au paragraphe 1 de l’article 2, d’empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous leur juridiction. Les travaux préparatoires de la Convention montrent clairement que l’intention des auteurs était d’élargir la portée du «territoire» bien au-delà du propre territoire des États parties et renvoient expressément aux territoires sur lesquels un État exerce un contrôle effectif. Le Comité a noté que le critère du contrôle effectif était entériné par d’autres organes conventionnels ainsi que par des juridictions internationales telles que la Cour internationale de justice et qu’il était compatible avec l’objet et le but de la Convention. Il n’a toutefois pas achevé l’examen de cette question.

6.Le dernier grand thème émanant des commentaires reçus concerne l’engagement de la responsabilité de l’État lorsque des violations sont commises par des acteurs du secteur privé, avec son consentement expresse ou tacite (par. 19 du projet). La position exprimée dans le projet d’observation générale se fonde sur la propre pratique du Comité en ce qui concerne l’interprétation de la notion de consentement et trouve confirmation dans le droit humanitaire international, la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux des Nations Unies, la Commission du droit international et d’autres sources du droit international.

7.M. MARIÑO MENÉNDEZ (Corapporteur pour le projet d’observation générale) se félicite du consensus général que le projet d’observation générale a recueilli auprès des membres du Comité et dit qu’il a bon espoir que le texte pourra être adopté à bref délai. Il se félicite de l’intérêt qu’a suscité le projet d’observation générale auprès des États parties, organisations non gouvernementales et institutions nationales des droits de l’homme, dont les commentaires ont considérablement enrichi les discussions du Comité.

8.Le projet d’observation générale concernant l’application de l’article 2 est le deuxième projet d’observation générale établi par le Comité en plus de vingt ans d’exercice. Pour M. Mariño Menéndez, la difficulté du Comité à formuler des observations générales s’explique en grande partie par la perméabilité de l’interprétation de la Convention à l’évolution du droit international et les complications qui peuvent en résulter. Ainsi, l’émergence, en droit pénal international, de la notion de responsabilité internationale des particuliers complique le contexte juridique de l’interprétation de la Convention qui, elle, vise la responsabilité des États.

9.M. Mariño Menéndez rappelle que les obligations énoncées dans la Convention sont opposables par chaque État partie à tout autre État partie qui ne s’en acquitte pas correctement et qu’une procédure est expressément prévue à cet effet à l’article 21 de la Convention. Il regrette que les États parties n’aient pas recours à cette disposition car son application constituerait un moyen efficace de renforcer le respect de la Convention.

10.L’interprétation des dispositions de la Convention est soumise aux règles d’interprétation établies par la Convention de Vienne sur le droit des traités. L’interprétation de l’article 2 donnée dans le projet d’observation générale à l’examen est conforme à ces règles, à savoir qu’elle est fondée sur l’objet et le but de la Convention, la pratique suivie par le Comité dans l’application dudit article et les règles pertinentes de droit international.

11.M. Mariño Menéndez dit que l’adoption du projet d’observation générale lui paraît en bonne voie dans la mesure où les quelques points qui étaient sujets à controverse, en particulier l’applicabilité territoriale de la Convention et l’imputation à l’État d’actes commis par des agents non étatiques, ont été, sinon totalement, du moins en grande partie élucidés. Une question reste néanmoins en suspens: celle de savoir si la référence à la responsabilité des supérieurs hiérarchiques en cas d’actes de torture commis sur leur ordre ou avec leur consentement exprès ou tacite doit ou non être maintenue sachant que la Convention engage la responsabilité des États et n’a pas pour objet d’établir la responsabilité pénale internationale de particuliers. M. Mariño Menéndez est convaincu que cette question pourra être réglée rapidement et que la version finale du projet pourra être établie sous peu, compte dûment tenu des modifications de forme pertinentes proposées par les États parties et les organisations non gouvernementales.

12.M. GROSSMAN dit que, pour élaborer son projet d’observation générale, le Comité s’est appuyé sur la jurisprudence et les normes internationales en matière d’interprétation des instruments relatifs aux droits de l’homme et que son interprétation de l’article 2 de la Convention a pour objectif de rendre plus efficaces les mesures de lutte contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants prises par les États parties. Le temps et l’expérience montreront si cette interprétation aura aidé les États parties à atteindre cet objectif.

13.Un élément important devrait être intégré dans le projet, à savoir la nécessité de renforcer la protection des droits de l’homme par des garanties de procédure lorsque l’état d’exception est proclamé dans un pays. Comme le montre l’histoire de plusieurs pays de l’hémisphère occidental, dont l’expérience en matière de violations des droits de l’homme est malheureusement très riche, la restriction de ces garanties peut déboucher sur les pires violations. En effet, même si l’interdiction absolue de la torture est toujours en vigueur dans un pays et que l’intangibilité de ce principe n’y est pas remise en question, les risques de torture peuvent être très importants lorsque les garanties de procédure sont limitées et que les droits des détenus ne sont qu’incomplètement protégés.

14.En outre, le Comité doit encore se pencher sur la question de la surveillance des lieux de détention par un mécanisme indépendant et de ses liens avec l’interdiction de la torture. Il doit également examiner la question de savoir si, en cas d’état d’urgence, certains droits intangibles pourraient ne pas être considérés comme des normes impératives du droit international et, de ce fait, être soumis à des restrictions. À cet égard, la ratification par un État d’un autre instrument se rapportant à la Convention revêt une grande importance pour le Comité car, en acceptant volontairement d’être lié par des obligations supplémentaires, cet État est susceptible de respecter encore plus scrupuleusement les dispositions de la Convention.

15.Enfin, même si l’observation générale est consacrée uniquement à l’article 2, le Comité ne saurait faire complètement abstraction des autres articles de la Convention, qui sont implicitement ou explicitement liés à l’article 2. En ce sens, la reconnaissance par le Comité d’un lien de cause à effet entre les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la torture constitue un progrès considérable.

16.Mme SVEAASS, se félicitant des observations nombreuses et pertinentes qui ont été formulées par les États parties, les organismes des Nations Unies et des organisations non gouvernementales, dit que le Comité fait tout son possible pour les prendre en compte. En particulier, donnant suite à certaines suggestions, il y fait référence à des pratiques extrêmement néfastes comme les mutilations génitales féminines, considérant qu’elles relèvent des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et a inclus les enfants et les personnes handicapées ou perçues comme telles dans les groupes particulièrement vulnérables dont il a dressé la liste afin d’aider les États à mieux cibler leurs mesures de prévention. Actuellement, le Comité procède à des vérifications pour s’assurer qu’il n’a pas omis de faire figurer d’autres groupes importants dans cette liste.

17.M. Wang XUEXIAN rappelle que les États parties et le Comité poursuivent le même objectif, à savoir la prévention de la torture, et que, si cet objectif est immuable, les moyens de l’atteindre peuvent en revanche évoluer, raison pour laquelle le Comité a jugé nécessaire d’élaborer une observation générale précisant les mesures que les États parties doivent prendre pour s’acquitter des obligations découlant de l’article 2 de la Convention.

18.Le Comité est parvenu à un large consensus sur le texte du projet et, dans les jours qui viennent, il s’emploiera à prendre en compte les observations formulées par les États parties, les organisations non gouvernementales et les autres parties prenantes. Toutefois, il ne pourra pas intégrer l’ensemble de ces observations dans le projet, certaines étant en contradiction avec d’autres ou n’apportant pas d’amélioration notable au texte du projet.

19.M. CAMARA, constatant que les rapporteurs chargés de l’élaboration du projet ont mis l’accent essentiellement sur le paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention, qui concerne l’impossibilité pour un auteur d’actes de torture de se retrancher derrière les ordres d’un supérieur, leur suggère d’ajouter au projet quelques réflexions sur le contenu du paragraphe 2 dudit article, qui porte sur l’interdiction d’invoquer des circonstances exceptionnelles, notamment une situation de conflit armé, pour justifier le recours à la torture.

20.Le PRÉSIDENT rappelle qu’à l’origine, les observations générales étaient un moyen indirect de donner des conseils à un État partie sans le nommer, à une époque où le Comité ne pouvait ni divulguer ses sources, ni citer le nom des organisations non gouvernementales qui lui faisaient parvenir des renseignements. Cette époque est certes révolue, mais l’objectif reste le même: aider les États parties à s’acquitter de leurs obligations conformément à l’interprétation que le Comité fait de la Convention. Une observation générale doit satisfaire à plusieurs critères: elle ne doit pas être excessivement longue, son contenu ne doit pas susciter de controverses et elle doit être fondée sur la jurisprudence et la pratique du Comité.

21.En raison de toute une série de contraintes et de difficultés, le Comité n’a adopté qu’une seule observation générale à ce jour. Afin de rattraper son retard en la matière, il devrait suivre l’exemple du Comité des droits de l’homme, qui se réserve la possibilité de revenir ultérieurement sur le texte d’une observation finale et de le modifier compte tenu de sa pratique et des nouvelles réalités du monde contemporain.

22.Enfin, le Président invite les représentants des organisations non gouvernementales présentes dans la salle à participer au débat.

23.Mme COPELOU (International Human Rights Clinic) dit que l’organisation non gouvernementale qu’elle représente s’occupe depuis une quinzaine d’années de la violence contre les femmes et de ses relations avec la torture et qu’elle fait partie des organisations non gouvernementales qui ont formulé des observations sur le projet du Comité.

24.L’élaboration par le Comité d’une nouvelle observation générale sur les mesures de prévention de la torture arrive à point nommé car il y a actuellement une résurgence des tentatives pour contourner l’interdiction absolue de la torture. On assiste parallèlement à une reconnaissance internationale de l’idée selon laquelle l’interdiction de la torture et des mauvais traitements devrait englober l’interdiction des violences contre les femmes et l’obligation de les prévenir. L’International Human Rights Clinic note donc avec satisfaction que ce dernier aspect est pris en compte dans le projet, de même que celui de la responsabilité de l’État pour des actes commis par des particuliers ou des agents non étatiques tels que les forces paramilitaires, ce qui comble d’importantes lacunes. À cet égard, la notion de consentement tacite est cruciale car elle permet de conférer à l’État la responsabilité de prévenir les violences commises dans la sphère privée, en particulier les violences faites aux femmes, qui sont un fléau d’envergure mondiale.

25.Le PRÉSIDENT remercie la représentante de l’International Human Rights Clinic de son intervention et invite les membres du Comité qui ont suggéré des modifications à fournir aux rapporteurs une proposition écrite. Il demande à ces derniers à modifier le projet à la lumière des propositions orales ou écrites des membres du Comité et des commentaires des États parties, des organismes des Nations Unies et des organisations non gouvernementales et de présenter leur nouvelle version du projet au Comité à une séance ultérieure.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 16 h 20.

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