NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.73412 janvier 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑septième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 734e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genèvele lundi 13 novembre 2006, à 10 heures

Président: M. MAVROMMATIS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial du Guyana

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES

Rapport de la réunion du Groupe de travail sur les réserves

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial du Guyana (CAT/C/GUY/1; HRI/CORE/1/Add.61)

1.Sur l’invitation du Président, M me  Teixeira (Guyana) prend place à la table du Comité.

2.Mme TEIXEIRA (Guyana) présente ses excuses au Comité pour le long retard avec lequel le Guyana présente son rapport initial. Il tient à signaler que le rapport a été élaboré, avec l’aide d’un expert, par un comité interministériel, en consultation avec plusieurs organisations non gouvernementales et organismes religieux représentatifs des différentes communautés du pays. Depuis 1992, année de la tenue des premières élections libres depuis l’indépendance, la pauvreté galopante, le militantisme violent du principal parti d’opposition et la montée de la criminalité ont grandement déstabilisé le pays. En 2006, le taux de pauvreté a néanmoins été ramené à 30 %, contre 85 % en 1991, et des élections nationales et régionales non violentes ont été organisées. Une politique active en faveur de l’éducation, de la santé, du logement et de l’accès à l’eau continue par ailleurs d’être menée, ainsi qu’un programme de lutte contre la violence et la criminalité. Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, lancée en 1992, les droits et libertés fondamentales consacrés par les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ont été élevés au rang de droits et libertés constitutionnels. Quatre commissions des droits de l’homme, chargées respectivement des droits des femmes, de l’égalité des sexes, des peuples autochtones et des droits de l’enfant, devraient en outre être créées, sous réserve de l’approbation de leur composition par les deux tiers du Parlement. La prédominance du pouvoir exécutif a par ailleurs été contrebalancée par l’élargissement des pouvoirs de décision et de supervision du Parlement concernant la politique générale et législative de l’État. Le Guyana n’en demeure pas moins une démocratie émergente, dans laquelle d’autres réformes législatives, sociales et économiques doivent encore être menées.

3.Aucun des gouvernements qui se sont succédé depuis 1992 n’a pour autant toléré ou encouragé la torture ou les peines et traitements cruels, inhumains et dégradants, ainsi que le confirment les rapports sur le Guyana établis notamment par le Département d’État des États‑Unis d’Amérique et l’Organisation des États américains. Depuis 2002, le Gouvernement, en collaboration avec, entre autres organismes, le Département du développement international du Royaume-Uni, le PNUD et l’Association guyanienne des droits de l’homme, s’emploie à diffuser les normes internationales en matière de respect des droits de l’homme auprès des forces de police et de sécurité. En 2004, une commission d’enquête a soumis un rapport au Parlement sur les moyens de moderniser les forces de police, l’armée et le système pénitentiaire et de remédier à l’engorgement des tribunaux. Ses recommandations sont actuellement étudiées par un comité spécial. Une enquête a également été effectuée sur les allégations relatives à des exécutions extrajudiciaires impliquant l’ancien Ministre de l’intérieur, M. Ronald Gajraj, à l’issue de laquelle celui-ci a été mis hors de cause. En 2006, le Gouvernement a sollicité des fonds auprès de la Banque internationale de développement pour financer deux projets concernant respectivement l’accroissement des capacités du système judiciaire et le renforcement de la sécurité publique.

4.En ce qui concerne la surveillance du traitement des personnes en détention, Mme Teixeira dit que parallèlement aux juges inspecteurs (par. 41, iii) du rapport), il existe des comités d’inspection, composés de membres de la société civile, qui sont habilités à se rendre dans les prisons pour recevoir les plaintes des détenus, examiner la gestion et l’état des prisons et faire rapport au Ministre de la justice. Il y a en outre depuis juillet 2006 dans toutes les prisons guyaniennes un conseil de représentants des détenus qui s’entretient une fois par mois avec le directeur de la prison.

5.Les plaintes du public contre la police peuvent être adressées à l’Inspection générale des services de police, mais aussi au Bureau de la responsabilité professionnelle de la police du Guyana. Depuis sa création en 1999, avec l’aide du Programme d’assistance internationale à la formation aux enquêtes criminelles (ICITAP), ce dernier a été saisi de 1 494 plaintes à la suite desquelles 55 membres de la police ont fait l’objet de poursuites pénales, 306 se sont vu appliquer des sanctions disciplinaires et 402 ont reçu un avertissement. Au cours des deux dernières années, 80 policiers ont fait l’objet de poursuites.

6.L’expulsion des étrangers est régie par les lois sur l’immigration et par la loi sur l’expulsion des personnes indésirables. Un étranger ne peut être expulsé que lorsqu’il existe des preuves suffisantes attestant que son expulsion est nécessaire à la protection de l’intérêt public. En outre, lorsqu’un étranger suspecté d’avoir commis une infraction au Guyana est détenu à la frontière, la Commission des services de police en informe le Ministère des affaires étrangères, lequel contacte le consulat compétent au Guyana ou, à défaut, celui du pays le plus proche.

7.Conformément à l’article 10 de la Convention, une loi sur l’entraide judiciaire a été adoptée par le Parlement le 27 avril 2006. De même, conformément à l’article 13, le Parlement a adopté un projet de loi sur la protection des témoins le 2 mai 2006, lequel a été soumis au Président pour approbation. En ce qui concerne l’article 16, la flagellation des prisonniers coupables d’infractions aux règlements pénitentiaires, bien qu’elle soit autorisée par la loi sur les prisons comme indiqué au paragraphe 123 du rapport, n’est plus appliquée dans la pratique. En cas d’infractions graves, le détenu concerné peut être placé à l’isolement. En cas d’abus de la part d’un membre du personnel pénitentiaire, le directeur de la prison peut prendre directement des sanctions contre le contrevenant ou saisir le Procureur général afin que des poursuites soient engagées contre lui.

8.Le PRÉSIDENT (Rapporteur pour le Guyana), tout en se félicitant de la qualité du rapport initial, fait observer que certains des renseignements qui y figurent seraient mieux à leur place dans le document de base. Le Comité n’a malheureusement pas pu rencontrer d’organisations non gouvernementales guyaniennes juste avant l’examen du rapport initial, mais il a reçu d’elles plusieurs rapports en lien avec la Convention, ce qui compense en partie leur absence à Genève. S’agissant du rapport de la Commission présidentielle d’enquête concernant l’implication du Ministre de l’intérieur dans des exécutions extrajudiciaires, le Rapporteur souhaiterait savoir ce qu’il est advenu de ce haut fonctionnaire, étant donné que, même si sa participation à ces opérations n’a pas pu être prouvée, sa responsabilité demeure engagée. Il demande en outre si des mesures ont été prises afin de contrôler plus strictement la délivrance de permis de port d’armes de façon à éviter que de telles violations ne se reproduisent. Enfin, il aimerait savoir si les recommandations contenues dans le rapport de la Commission des forces de l’ordre ont été suivies et, le cas échéant, si des résultats encourageants ont été obtenus.

9.Selon un rapport, publié en 2005 par l’Association guyanienne de défense des droits de l’homme, sur le traitement des affaires de violences sexuelles dans le système judiciaire guyanien pour la période 2000-2004, la moyenne des taux de condamnations pour viol ne dépasse pas 1,4 %. S’agissant de ce type d’infraction, le Rapporteur ne comprend pas bien la distinction établie en droit interne entre les termes «rape»(viol) et «statutory rape» (viol d’un mineur n’ayant pas atteint la majorité sexuelle). Il se demande en outre pourquoi le taux de condamnations pour viol est aussi faible, si cela est lié à la façon dont sont conduites les enquêtes ou les poursuites et si l’adoption du projet de réforme du système judiciaire permettra de régler les nombreux problèmes existants, en particulier celui des lenteurs de la justice.

10.Par ailleurs, sachant qu’au Guyana, les magistrats sont employés à temps partiel ou de façon temporaire, le Rapporteur se demande comment le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire peut être garanti dans l’État partie si les juges ne sont pas titularisés. Il voudrait plus de précisions sur le rang occupé dans le droit interne par les instruments internationaux en général et la Convention en particulier. Enfin, il souhaiterait savoir pour quelle raison le poste de médiateur n’a pas encore été pourvu au Guyana alors que la création de cette institution est prévue dans la Constitution.

11.En ce qui concerne les articles premier et 4 de la Convention, le Rapporteur insiste sur la nécessité d’incorporer la définition complète de la torture énoncée à l’article premier dans le droit guyanien, pour que les peines réprimant les actes de torture soient proportionnelles à la gravité de cette infraction.

12.En ce qui concerne l’article 2 de la Convention, le Rapporteur souhaiterait savoir si les membres de la police sont informés dans le cadre de leur formation qu’ils ne peuvent pas invoquer les ordres d’un supérieur pour justifier des actes de torture. En outre, il demande si le fait de contraindre, par la menace ou d’autres moyens, une personne à infliger des tortures ou des traitements inhumains ou dégradants à un tiers est réprimé dans la législation guyanienne.

13.Concernant l’article 3 de la Convention, le Rapporteur aimerait savoir si le droit interne prévoit des garanties juridiques permettant d’éviter qu’une personne ne soit refoulée vers un pays où elle risque d’être torturée. Il souhaiterait également savoir si un demandeur d’asile qui fait l’objet d’une décision de renvoi peut contester cette décision devant les juridictions nationales.

14.S’agissant de l’article 5 de la Convention, le Rapporteur demande si la législation guyanienne comporte une loi d’application établissant la compétence universelle des tribunaux nationaux en matière de torture et, s’agissant de l’article 8 de la Convention, si la Convention pourrait être invoquée au cas où le Guyana recevrait une demande d’extradition d’un État avec lequel il a conclu un traité bilatéral d’extradition ne prévoyant pas de clause de non-refoulement en cas de risque de torture.

15.M. MARIÑO MENÉNDEZ (Corapporteur pour le Guyana) félicite la représentante du Guyana de sa capacité à assumer seule le dialogue avec le Comité.

16.Relevant une contradiction entre le paragraphe 38 du rapport et le contenu de l’alinéa 6) de l’article 154 a) de la Constitution (cité à la page 15 de la version française du rapport), le Corapporteur souhaiterait savoir si la Convention prime la Constitution et si elle peut être appliquée directement par les tribunaux.

17.Concernant l’article 10 de la Convention, M. Mariño Menéndez souhaiterait savoir si les cours de formation pour le personnel des prisons qui sont mentionnés dans le rapport (par. 93 à 95) sont organisés ponctuellement ou régulièrement et si le personnel médical des établissements pénitentiaires reçoit une formation afin d’être en mesure de détecter les séquelles d’actes de torture.

18.En ce qui concerne l’article 11 de la Convention, ayant appris que des commissions indépendantes effectuent des visites dans les prisons, M. Mariño Menéndez voudrait savoir quelle est leur composition, si les recommandations qu’elles formulent sont prises en compte par l’administration pénitentiaire et si elles ont accès à tous les lieux de détention, y compris les locaux de détention provisoire.

19.M. Mariño Menéndez note que les plaintes contre des membres de la police suspectés d’actes de torture sont habituellement examinées par l’Inspection générale des services de police, ce qui va à l’encontre du principe de l’indépendance des enquêtes sur des faits de torture. Constatant, d’autre part, que certains textes dérogatoires au droit commun habilitent l’Assemblée nationale ou le Président de la République à ouvrir des enquêtes sur des cas de torture (par. 103 et 104 du rapport), il souhaiterait savoir si le ministère public demeure compétent pour ordonner une enquête. Il se demande également si, de manière générale, le ministère public est compétent pour décider d’office d’enquêter sur des délits mettant en cause des membres de la police ou s’il ne peut le faire que par l’intermédiaire d’autres organes. Il serait utile aussi de savoir si la décision du ministère public de ne pas engager de poursuites à l’égard d’un membre de la police soupçonné d’avoir commis un délit fait l’objet d’un contrôle. M. Mariño Menéndez souhaiterait également savoir quel est le tribunal compétent pour les actes de torture infligés à un particulier par un militaire. De manière plus générale, il aimerait obtenir des précisions sur la répartition des compétences entre les tribunaux civils et les tribunaux militaires et demande à la délégation d’indiquer si des mesures sont prévues dans le cadre de l’actuelle réforme du système judiciaire pour établir une séparation plus nette entre les compétences respectives de ces deux institutions.

20.À propos de l’article 13, M. Mariño Menéndez relève que, selon certaines informations, des personnes ayant témoigné devant des instances chargées d’enquêter ou de se prononcer sur des cas présumés de torture auraient subi des actes d’intimidation. Il souhaite savoir si les auteurs de tels actes sont passibles de poursuites. Notant par ailleurs l’absence de données statistiques détaillées dans le rapport, il aimerait savoir si les autorités prévoient d’établir un registre national des plaintes et des condamnations relatives à des actes de torture. Il se dit surpris par l’absence de données sur les indemnisations accordées par la Cour suprême aux victimes d’actes de torture commis par des agents publics (par. 115 du rapport) et demande à la délégation d’indiquer si elle dispose, à tout le moins, d’éléments d’information à ce sujet.

21.À propos de l’article 15, notant que les éléments de preuve obtenus par des «moyens illégaux» sont irrecevables devant les tribunaux (par. 118 du rapport), M. Mariño Menéndez souhaiterait savoir si, selon la jurisprudence, sont qualifiés de moyens illégaux des actes autres que la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Enfin, en ce qui concerne l’article 16 de la Convention, il demande à la représentante de l’État partie de préciser si le temps passé dans le quartier des condamnés à mort peut-être considéré dans certains cas comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant au Guyana. Notant, par ailleurs, le nombre important de plaintes relatives à des brutalités policières et les informations selon lesquelles des personnes auraient trouvé la mort lors d’opérations de police, il souhaiterait obtenir des précisions sur la législation régissant l’utilisation des armes à feu par les forces de police. Des renseignements seraient également les bienvenus sur les mesures prises par l’État partie pour prévenir les actes de violence sexuelle dans les lieux de détention et pour sanctionner leurs auteurs. À cet égard, M. Mariño Menéndez souhaiterait savoir si les établissements pénitentiaires sont dotés de personnels féminins chargés d’enquêter sur de tels faits et si les détenues victimes de violences sexuelles ont la possibilité d’être examinées par un médecin et peuvent exercer un recours. Il demande également à la représentante de l’État partie d’indiquer si la loi de 1996 sur la violence domestique a déjà été appliquée par les tribunaux. Comme les auteurs de violences au foyer ne semblent pas être poursuivis de manière systématique, M. Mariño Menéndez souhaiterait savoir si l’État partie envisage de renforcer son dispositif juridique en la matière.

22.M. GALLEGOS CHIRIBOGA remercie Mme Teixeira de sa présentation et lui demande de donner des informations sur la réflexion menée par les autorités au sujet des mesures qu’il convient d’adopter pour faire en sorte que les auteurs d’actes de torture ne restent pas impunis.

23.Mme SVEAASS constate que dans ses observations finales de 2004 (CRC/C/15/Add.224), le Comité des droits de l’enfant se dit préoccupé par les conditions de détention des mineurs au Guyana. Tout en étant consciente des efforts déployés par l’État partie pour améliorer les conditions de détention en général, elle souhaiterait obtenir des renseignements plus précis sur les mesures prises en matière d’administration de la justice pour mineurs. Mme Sveaass demande, en particulier, des informations sur l’application de l’article 37 de la loi sur les prisons qui prévoit la flagellation des prisonniers ou la réduction de leur ration alimentaire en cas d’infraction au règlement pénitentiaire. La délégation est invitée à indiquer si de telles pratiques existent toujours.

24.Mme BELMIR, constatant que les règles relatives à la protection des droits de l’homme en vigueur dans l’État partie sont sujettes à de nombreuses dérogations, souhaite faire quelques observations à ce sujet. L’article 39 de la Constitution dispose que, dans l’interprétation des dispositions relatives aux droits fondamentaux, les tribunaux doivent tenir compte des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Or, l’alinéa 2 de l’article 150 de la Constitution prévoit que dans les situations d’urgence, il peut être dérogé aux droits fondamentaux. Elle invite la délégation à indiquer de quels droits il s’agit. Elle relève en outre que le droit à la vie est gravement compromis par de nombreuses dispositions permettant d’y déroger. Le fait que nul ne soit réputé avoir été privé de son droit à la vie si son décès résulte d’un recours à la force «raisonnablement justifié» (par. 25 du rapport) est à cet égard préoccupant. L’État partie est invité à indiquer l’autorité chargée de vérifier la légalité de l’application de cette disposition. Certaines dispositions du Code pénal semblent contraires au principe de la présomption d’innocence dans la mesure où elles prévoient que la personne poursuivie doit apporter la preuve de son innocence alors qu’en la matière, la charge de la preuve incombe normalement à l’accusation.

25.Il semblerait que des personnes soient détenues pour non-paiement d’une dette civile, ce qui est contraire aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Qu’en est‑il exactement? Dans ses observations finales de 2000 concernant le Guyana (CCPR/C/79/Add.21), le Comité des droits de l’homme note que l’État partie envisage de recruter des juges à temps partiel et temporaires pour éponger l’arriéré d’affaires en attente d’examen et le prie de veiller à ce que cette mesure ne porte pas atteinte à l’efficacité, à l’indépendance et à l’impartialité des instances judiciaires. Mme Belmir souhaite savoir quelle suite a été donnée à cette recommandation. Selon de nombreuses informations, des membres de minorités ethniques seraient victimes de violences commises par les forces de police. L’État partie envisage‑t‑il de faire en sorte que la composition de ces forces reflète mieux la diversité ethnique du pays?

26.M. CAMARA relève que, selon les observations finales du Comité des droits de l’homme déjà mentionnées par Mme Belmir, la détention avant jugement peut être prolongée jusqu’à quatre ans. Or au paragraphe 25 de son rapport, l’État partie indique qu’elle ne saurait être prorogée au‑delà d’une période de trois mois. Des éclaircissements à ce propos seraient les bienvenus. Rappelant que la discrimination peut être un motif de torture (art. 1er de la Convention), M. Camara souligne que la composition multiethnique de la police est un élément essentiel de prévention de la torture et encourage l’État partie à prendre des mesures en ce sens. Enfin, il souhaite obtenir des renseignements complémentaires sur la possibilité qu’ont les tribunaux guyanais d’appliquer directement la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention.

27.Mme GAER suggère à l’État partie d’actualiser les informations contenues dans son document de base (HRI/CORE/1/Add.61), ce qui faciliterait la tâche des différents organes conventionnels dans leurs examens respectifs de la situation dans le pays. Au paragraphe 16 de son document de base, l’État partie souligne qu’en vertu de l’article 153 de la Constitution toute personne estimant que ses droits et libertés fondamentaux ont été violés a le droit de s’adresser directement à la Haute Cour pour qu’elle se prononce en la matière. Quant au paragraphe 18 de ce même document, il indique que les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne peuvent être invoquées directement devant les autorités judiciaires ou administratives que si elles sont incorporées à la Constitution et aux lois du pays. Des éclaircissements sur ce qui semble être une contradiction seraient les bienvenus.

28.Le Rapporteur et le Corapporteur ont déjà soulevé l’importante question des violences sexuelles; pour sa part, Mme Gaer souhaiterait savoir s’il existe un contrôle et des statistiques concernant les violences sexuelles contre les femmes mais aussi les hommes et si une formation spécifique des personnels est assurée en la matière. Le rapport établi à ce sujet par la Guyana Human Rights Association préconise une action en trois points pour lutter contre le viol en particulier: remise en cause des mythes, réforme de la législation et réforme des politiques et pratiques en vigueur, y compris notamment la question de l’indemnisation. Il serait utile de savoir s’il y a eu des progrès vers la mise en œuvre de ces recommandations.

29.La représentante du Guyana a indiqué que le rapport avait été préparé avec l’aide d’un consultant et de plusieurs organisations non gouvernementales. Il serait utile de savoir si le consultant en question était guyanien et si le texte du projet de rapport destiné au Comité a été soumis à diverses instances gouvernementales, et lesquelles, avant d’être adopté.

30.Le rapport du Département d’État des États‑Unis sur les droits de l’homme au Guyana ne fait état d’aucun cas de torture dans ce pays, mais mentionne de nombreuses allégations d’abus commis par la police; sont cités en particulier 61 cas d’arrestations illégales et 3 cas de recours abusifs à la force; il serait important d’apprendre quelle suite a été donnée à ces allégations et notamment combien de mises en accusation et d’acquittements ont été prononcés. Le même rapport faisait mention d’un désaccord existant entre le chef de la police et les instances policières désireuses de ne pas porter atteinte aux droits de l’homme, d’une part, et certains milieux estimant que cette attitude nuit à la capacité de la police de combattre la criminalité, d’autre part: des mesures ont‑elles été prises pour soutenir le chef de la police contre ceux qui souhaiteraient abolir toute règle dans un prétendu souci d’efficacité?

31.Enfin, Mme Belmir a évoqué à juste titre le cas d’enfants détenus avec des adultes; dans le même ordre d’idée, il semble que des femmes sont incarcérées à Georgetown dans le même établissement que les hommes: il serait important de savoir si elles sont détenues dans des quartiers séparés, gardées par des femmes et protégées d’éventuelles violences.

32.M. GROSSMAN relève avec satisfaction que d’après les indications fournies par des organisations non gouvernementales, les violences politiques sont extrêmement rares au Guyana. Le problème essentiel qui se pose au pays semble être la recherche d’un juste équilibre entre le besoin légitime de sécurité des citoyens et les méthodes à adopter pour préserver cette sécurité. Selon la Guyana Human Rights Association, 12 exécutions extrajudiciaires auraient eu lieu avant le 30 septembre 2006; l’Inspection générale des services de police aurait enquêté sur 11 d’entre elles et recommandé 2 mises en examen pour assassinat. L’ouverture d’une enquête aurait été recommandée pour huit autres cas, mais à la fin janvier 2006, rien n’avait encore été fait; la situation a‑t‑elle évolué depuis lors? À ce propos, il est permis de se demander si l’Inspection générale des services de police dispose des ressources financières nécessaires pour s’acquitter correctement des obligations découlant de la Convention. Lutter contre une criminalité très répandue et extrêmement violente au Guyana est en effet une tâche sérieuse et lourde, mais cette lutte ne peut être réellement efficace que si l’on se conforme rigoureusement aux normes universellement reconnues comme fondamentales.

33.Le PRÉSIDENT remercie la représentante du Guyana et l’invite à revenir à une séance ultérieure pour répondre aux questions qui lui ont été posées.

34. M me  Teixeira (Guyana) se retire.

La séance est suspendue à 12 h 25; elle est reprise à 12 h 35.

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (point 4 de l’ordre du jour)

Rapport de la réunion du Groupe de travail sur les réserves (HRI/MC/2006/5 et Rev.1)

35.Le PRÉSIDENT invite M. Camara, qui a représenté le Comité au sein du Groupe de travail sur les réserves, à faire rapport sur la réunion que celui‑ci a tenue en juin 2006.

36.M. CAMARA (représentant du Comité au Groupe de travail sur les réserves), présentant le rapport HRI/MC/2006/5 et Rev.1, rappelle que les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme sont tous postérieurs à la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, laquelle définit les réserves et en régit les modalités. De plus, ladite Convention s’intéresse aux traités ordinaires conclus entre États soucieux de défendre leurs intérêts, alors que les instruments relatifs aux droits de l’homme visent à préserver des valeurs humaines universelles, si bien que dans leur cas, il faut se demander sur quoi les États peuvent se fonder pour émettre des réserves. Enfin, certains de ces instruments donnent la possibilité d’émettre des réserves mais d’autres non; l’article 30 de la Convention contre la torture prévoit cette possibilité, mais les réserves seront alors d’une nature particulière dans la mesure où il n’y a pas d’intérêts réciproques à préserver mais où on est en présence d’un acte unilatéral. Le Groupe de travail devait rechercher comment concilier le droit que les États se reconnaissent d’émettre des réserves pour limiter leurs obligations conventionnelles avec le respect de valeurs universelles. En relation avec la Commission du droit international, il a ébauché une première esquisse pour cerner le problème, qui est présentée dans le document à l’examen.

37.Le problème qui se pose dans le cas de la Convention contre la torture est celui de savoir, lorsqu’une réserve a été émise par un État, de quel pouvoir dispose le Comité pour apprécier la licéité de cette réserve et les conséquences à en tirer et surtout, dans quelles circonstances le Comité peut émettre un jugement à cet égard: on est donc dans une situation de construction jurisprudentielle dans la mesure où ces points ne sont pas précisés dans la Convention. Ainsi qu’il ressort du paragraphe 15 du rapport à l’examen, il y a eu divergence de vues entre une majorité de membres du Groupe de travail et M. Camara lui‑même sur la question de savoir s’il était nécessaire ou non pour les organes conventionnels de se prononcer sur la validité d’une réserve. En fin de compte, le Groupe de travail s’est rallié à l’avis de M. Camara selon lequel un organe tel que le Comité a le droit d’évaluer une réserve faite par un État partie non seulement lorsqu’il est saisi d’une communication mais aussi lorsqu’il examine un rapport périodique. En tout état de cause, et puisque le Comité fait chaque année rapport à l’Assemblée générale, c’est aux États Membres qu’il appartient de décider, à la lumière du rapport du Comité, si l’État en question est toujours, ou n’est plus, partie à la Convention. Cependant, de l’avis de M. Camara, le Comité peut fort bien dire si la réserve considérée est licite ou non; ce sera ensuite à l’État en cause de voir s’il continue à être partie à l’instrument, ou aux autres États de dire s’il ne respecte pas ses obligations conventionnelles.

38.M. MARIÑO MENÉNDEZ constate que le Groupe de travail s’est donné pour tâche d’élaborer des directives destinées à harmoniser les pratiques des différents organes conventionnels en ce qui concerne les réserves. Des divergences de vues peuvent bien entendu apparaître à cet égard, comme l’atteste le paragraphe 15 du rapport. Une majorité de membres du Groupe de travail a estimé que lors de l’examen des rapports périodiques, «il n’est pas nécessaire» que les organes se prononcent sur la validité d’une réserve − cette expression impliquant que s’ils n’y sont pas tenus, ils peuvent éventuellement le faire; M. Camara a été au contraire d’avis que les organes conventionnels doivent se prononcer à ce sujet, ce qui est au moins vrai dans le cas de la Convention contre la torture, qui est effectivement un instrument bien particulier, qui comporte une norme impérative du droit international public: le Comité peut estimer à bon droit que l’article premier de la Convention contre la torture ne se prête à aucune réserve, point de vue que Sir Nigel Rodley a également défendu sur la base de l’Observation générale no 24 (1994) du Comité des droits de l’homme.

39.Un point demeure peu clair, à savoir la distinction à faire entre déclaration interprétative et réserve. En effet, il arrive qu’un État partie affirme non pas émettre une réserve, mais apporter des précisions sur la signification de telle ou telle disposition d’un instrument. On peut parfois se demander si telle interprétation ne constitue pas en réalité une réserve du fait qu’elle limite, modifie ou même supprime une disposition. Il serait intéressant d’entendre M. Camara à ce sujet. On se rappellera qu’à l’occasion de l’examen du rapport des États‑Unis d’Amérique, le Comité avait eu l’occasion de se prononcer sur une interprétation donnée par cet État à l’article premier de la Convention au sujet de la torture mentale: le Comité avait fait valoir fort diplomatiquement que l’interprétation de l’État partie n’était pas des plus correctes. Lorsqu’il s’agit non pas d’un rapport périodique mais de plaintes individuelles par exemple, le Comité doit sans doute indiquer nettement à l’État partie qu’il ne peut tenir compte de telle réserve incompatible avec l’application de la Convention. C’est probablement la position de la Commission du droit international en la matière, et il serait intéressant de savoir si le Groupe de travail en a discuté.

40.M. GROSSMAN appuie le point de vue exposé par M. Camara selon lequel l’interdiction de la torture est une norme impérative en droit international et qu’aucune réserve à l’article premier de la Convention n’est recevable. Il en va sans doute de même pour d’autres dispositions de la Convention, notamment l’article 3. Le Comité devrait débattre de ces questions.

41.Mme GAER dit qu’il ressort de l’intervention de M. Camara que le Groupe de travail était d’avis que les dispositions de la Convention de Vienne sur le droit des traités n’étaient pas applicables aux instruments relatifs aux droits de l’homme; or, c’est le contraire qui est indiqué au paragraphe 13 du rapport, et elle souhaiterait avoir des précisions à ce sujet.

42.Dans le passé, le Comité s’est déjà prononcé sur des réserves émises par des États parties. Cela a notamment été le cas à la session précédente, à l’occasion de l’examen du rapport du Qatar; et d’ailleurs, un certain nombre d’autres États parties ont formulé des objections à la réserve émise par le Qatar. Par ailleurs, certains nouveaux instruments, par exemple le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et celui se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, excluent expressément toute réserve, alors que lesdites conventions elles-mêmes ne les interdisent pas: cela semble poser un problème auquel le Groupe de travail devrait sans doute s’intéresser. Le Comité devrait discuter de ces questions, ainsi que M. Grossman l’a suggéré.

43.M. WANG Xuexian juge également souhaitable d’engager la discussion sur tous ces points. Il tient à souligner à ce sujet que faire des réserves est une prérogative expresse des États parties et que l’acceptation ou non des réserves incombe à l’Assemblée générale et non aux organes conventionnels. Le Comité doit donc faire preuve de prudence dans les conclusions auxquelles il parviendra. Dans l’idéal, aucun instrument ne devrait jamais faire l’objet de réserves, surtout s’agissant des droits de l’homme. Mais le principe de réalité doit prévaloir et s’il est souhaitable de discuter et de faire des recommandations, il faut le faire avec circonspection.

44.M. CAMARA (représentant du Comité au Groupe de travail sur les réserves) précise que les paragraphes 1 à 15 du rapport à l’examen sont un simple compte rendu des débats du Groupe de travail et que les recommandations auxquelles celui‑ci est en fin de compte parvenu sont présentées au paragraphe 16. La divergence initiale évoquée au paragraphe 15 a été dépassée, ainsi qu’il apparaît dans la recommandation no 5. Il est à souligner que le Groupe de travail a opté pour une solution diplomatique pour ne pas dire politique, car l’objectif de la communauté internationale est d’obtenir une ratification la plus large possible des instruments en question: tout doit être fait pour que les États ne s’excluent pas ou ne soient pas exclus en raison d’une réserve, d’où la formulation de la recommandation no 7, où une grande souplesse est préconisée. S’agissant des déclarations interprétatives, la recommandation no 2 va également dans le sens d’une très grande souplesse, toujours dans le but d’universaliser les instruments considérés; il faut éviter de classer d’emblée une déclaration dans la catégorie des réserves, surtout quand l’État lui‑même n’emploie pas ce terme.

45.Loin de vouloir exclure l’applicabilité de la Convention de Vienne à des instruments qui lui sont postérieurs, le Groupe de travail a tout fait pour que cette Convention puisse servir d’éclairage aux travaux des organes conventionnels. Le Comité lui‑même a d’ailleurs invoqué la Convention de Vienne lors de l’examen du rapport de la Grande-Bretagne, à propos de l’affaire Pinochet, et l’a expressément mentionnée dans ses conclusions finales. Quant à la question soulevée à propos des réserves par le Protocole facultatif, il incombera au comité qui sera créé de l’examiner. Enfin, pour dissiper les doutes de M. Wang Xuexian, M. Camara rappelle que le Groupe de travail a bien insisté sur la souplesse dont il fallait faire preuve en ce qui concerne les conséquences à tirer de l’invalidité d’une réserve. Le Comité, faisant rapport à l’Assemblée générale, lui indique que telle réserve émise à propos d’une disposition de la Convention met l’État dans la position d’une partie qui ne respecte pas ses obligations conventionnelles. Les conséquences doivent être tirées par les autres États, dans le cadre des travaux de l’Assemblée générale. En conclusion, il faut souligner que le rapport à l’examen est un travail préliminaire et que la discussion doit se poursuivre; une autre réunion du Groupe de travail est d’ailleurs prévue prochainement.

46.Le PRÉSIDENT dit que le Comité reviendra sur cette question pour tâcher d’arriver à un consensus dont M. Camara pourra faire part au Groupe de travail.

La séance est levée à 13 h 5.

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