NATIONS

UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.64919 mai 2005

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑quatrième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 649e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genèvele mardi 10 mai 2005, à 10 heures

Président: M. MARIÑO MENÉNDEZ

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial de l’Albanie

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial de l’Albanie (CAT/C/28/Add.6; HRI/CORE/1/Add.124)

1. Sur l’invitation du Président, M mes Cangonji et Goxhi et MM. Vathi, Thanati, Kaja, Ndoni, Bele, Hysa et Nina (Albanie) prennent place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT souhaite la bienvenue à la délégation albanaise et invite son chef à faire sa déclaration liminaire.

3.M. VATHI (Albanie) dit que le respect et la protection des droits de l’homme sont des piliers de la société démocratique en République d’Albanie, dont les principes fondamentaux sont consacrés par la Constitution. Convaincu que la violation ou la remise en question des droits de l’homme est source d’instabilité politique et de conflit, le Gouvernement albanais condamne sans réserve la pratique de la torture et s’emploie à la combattre en conjuguant ses efforts à ceux de ses partenaires internationaux, en particulier l’ONU.

4.Le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est un droit universel clairement établi à l’article 25 de la Constitution albanaise. L’article 175 de la Constitution prévoit en outre qu’en aucune circonstance, pas même l’état d’exception, ce droit ne peut être limité.

5.Les principes du droit international sont très largement reflétés dans la législation nationale. Ainsi, l’article 122 de la Constitution dispose que tout accord international ratifié par l’Albanie devient partie intégrante de son ordre juridique interne à compter du jour de sa publication au Journal officiel et prime les lois internes incompatibles avec lui. Depuis la transition démocratique engagée au début des années 90, la République d’Albanie est partie aux principaux instruments internationaux de protection et de promotion des droits de l’homme, dont la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qu’elle a ratifiée sans émettre la moindre réserve et qui est entrée en vigueur, pour elle, le 11 mai 1994. Le 1er octobre 2003, l’Albanie est en outre devenue le deuxième État partie au Protocole facultatif à la Convention.

6.La ratification de la Convention a coïncidé pour l’Albanie avec l’avènement d’une nouvelle ère placée sous le signe de la démocratie, de la justice, de la paix et de la liberté. Compte tenu des longues années passées sous le joug communiste, il y avait des raisons de douter de la capacité du pays à mettre en place un régime respectueux des droits et des libertés fondamentales de chacun. Pourtant, tant le Gouvernement que la population ont contribué, par leur courage et leur détermination, à opérer les changements radicaux nécessaires à l’émergence d’une culture des droits de l’homme. Cet effort a pour une grande part consisté à mettre en place un nouvel ordre juridique démocratique. La Constitution, adoptée en 1998, est un exemple de l’intégration des règles relatives aux droits de l’homme dans le système juridique interne, intégration à laquelle le Gouvernement continue d’œuvrer, en s’appuyant sur les conseils des experts internationaux.

7.Les cinq axes principaux du programme d’action du Gouvernement sont les suivants: réforme législative; structuration; garantie de l’exercice équitable et responsable du pouvoir à tous les niveaux dans le respect de la transparence et de l’obligation de rendre des comptes; formation du personnel et gestion efficace du soutien logistique. Dans le domaine de l’ordre public, la réforme a principalement consisté à renforcer les programmes de formation aux droits de l’homme à l’intention des forces de police, comprenant notamment une familiarisation avec la Convention contre la torture.

8.En outre, le Ministère de l’ordre public collabore de plus en plus étroitement avec les organes de l’appareil judiciaire afin de purger les rangs de la police de ses éléments indésirables et de réduire au minimum les violations des droits de l’homme commises par des membres des forces de l’ordre. Pour la seule année 2004, l’Inspection des services de police a déféré 330 policiers devant le Procureur, dont 95 % ont fait l’objet de poursuites. Cette intransigeance affichée par les organes du Ministère de l’ordre public contribue à restaurer progressivement la confiance de la population à l’égard des forces de l’ordre.

9.Avec la transition démocratique, l’Albanie a été confrontée à la nécessité de remplacer les anciens camps de travail, hérités du régime communiste, par une infrastructure pénitentiaire moderne. Le Gouvernement albanais s’y emploie depuis 1992, en dépit du manque de ressources financières et humaines. En vertu de la nouvelle législation en vigueur, les prisons et les locaux de détention provisoire relèvent du Ministère de la justice. Le transfert de la responsabilité pour la totalité des locaux de détention provisoire du Ministère de l’ordre public au Ministère de la justice, qui devait initialement être achevé en mars 2004, n’est devenu effectif que pour quelques établissements seulement et demeure l’un des objectifs prioritaires de la Direction générale des prisons.

10.En septembre 2004, le Ministre de la justice a lancé un plan‑cadre destiné à mettre en conformité l’administration et le fonctionnement des installations de détention provisoire avec les normes européennes en vue de l’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne. La mise en œuvre du plan, qui prévoit notamment la création de 12 établissements régionaux, se poursuit. De grands progrès ont en outre été réalisés en ce qui concerne le surpeuplement dans les locaux de détention provisoire et les établissements pénitentiaires grâce à la construction de nouveaux bâtiments, et des alternatives à l’incarcération pourraient être examinées pour les auteurs d’infractions pénales.

11.La protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne relève pas de la compétence exclusive de l’État. Dans ce domaine, le rôle des acteurs non étatiques, tels que les institutions nationales des droits de l’homme et les ONG, est déterminant. Les premières sont financées par le Gouvernement pour promouvoir et protéger les droits de l’homme à l’échelle nationale, ce qui ne les empêche pas de jouir de l’indépendance nécessaire pour s’acquitter de leur mission. S’agissant des ONG, elles collaborent avec le Gouvernement qui entretient avec elles un dialogue constructif et régulier.

12.Commentant le retard avec lequel l’Albanie présente son rapport initial en application de l’article 19 de la Convention, M. Vathi explique que l’insuffisance des ressources disponibles en matière d’établissement de rapports, le manque d’expérience dans ce domaine et l’instabilité qu’a connue le pays au cours de sa longue période de transition ne lui ont pas permis de respecter les délais fixés pour la présentation des rapports. Par ailleurs, la délégation, dans des réponses écrites qu’elle communiquera ultérieurement, veillera à compléter les données figurant dans le rapport sur tous les points qui auront été soulevés par les membres du Comité.

13.En conclusion, M. Vathi réaffirme l’attachement de l’Albanie à la protection et à la promotion des droits de l’homme et sa détermination à s’acquitter de ses obligations au titre de la Convention contre la torture. Conscient que celle-ci est encore loin d’être pleinement mise en œuvre, l’État partie s’engage à se pencher sur ses lacunes dans ce domaine et à s’appuyer sur les conclusions et recommandations du Comité en vue d’y remédier.

14.M. YAKOVLEV (Rapporteur pour l’Albanie) félicite l’État partie pour son engagement résolu en faveur de la démocratie et de la promotion des droits de l’homme, dont témoignent les dispositions pertinentes de sa Constitution et la ratification de nombreux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Le Rapporteur prend note du contexte particulièrement difficile dans lequel l’État partie a engagé son programme de réformes et souligne que ce processus, qui n’en est encore qu’à ses débuts, devra être activement poursuivi afin que les bonnes intentions énoncées dans les textes se concrétisent et deviennent visibles au quotidien.

15.L’une des questions essentielles qui se posent est celle du rôle central de l’appareil judiciaire dans l’application du droit. À cet égard, le Rapporteur aimerait avoir des précisions sur la réforme du système judiciaire albanais, notamment sur la durée du mandat des juges, les critères sur la base desquels ils sont nommés et les mesures qui sont prises pour garantir leur indépendance, en particulier pour ceux qui siègent à la Cour suprême. Il serait également utile d’en savoir plus sur le rôle du Conseil supérieur de la magistrature, sa composition et son fonctionnement.

16.Le rapport indique que les jugements sont rendus par un juge ou, dans certains cas, par une formation collégiale de trois juges. Le Rapporteur demande si la participation d’un jury aux procès a déjà été envisagée. Il souligne par ailleurs le fait que la population ne perçoit plus les juges comme des fonctionnaires corrompus à la solde du pouvoir ou de groupes de pression mais comme les garants de la justice, d’où un intérêt accru pour les lois. Compte tenu de ces éléments nouveaux, il serait intéressant de savoir comment la délégation albanaise envisage l’évolution de la justice dans son pays.

17.Par ailleurs, le Rapporteur demande si des mécanismes de formation continue existent afin de permettre aux magistrats de mettre à jour leurs connaissances. Soulignant le fait que l’indépendance des avocats est tout aussi importante que l’indépendance des magistrats, il demande si le barreau est une entité indépendante ou s’il est subordonné au Ministère de la justice.

18.Le Rapporteur rappelle, d’autre part, que la Convention, conformément à la définition de la torture énoncée à son article premier, ne vise que les actes de torture commis par des agents de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel. Autrement dit, les souffrances physiques ou mentales infligées par des personnes ne relevant pas des organes de l’État ne sont pas couvertes. D’après les renseignements contenus dans le rapport, ni le Code pénal ni la Constitution de l’Albanie ne semblent contenir une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention. Or de la définition précise du crime de torture découlent toutes les autres mesures nécessaires à la mise en œuvre de la Convention. Il serait par conséquent utile d’entendre la délégation sur ce sujet.

19.En outre, M. Yakovlev demande s’il existe une aide juridictionnelle gratuite et, dans l’affirmative, si le système fonctionne bien. Il voudrait aussi avoir des renseignements sur les procédures d’expulsion prévues dans la loi sur les migrations, et en particulier les cas dans lesquels l’expulsion est décidée dans l’intérêt de l’ordre public et de la sécurité nationale (par. 106 du rapport), ainsi que sur les garanties en vigueur pour assurer le respect de l’article 3 de la Convention.

20.S’agissant de la question de la réparation pour les préjudices causés par la torture, M. Yakovlev souligne qu’établir un principe général d’indemnisation en cas d’atteinte à l’intégrité physique n’est pas suffisant. En effet, dans les affaires de torture au sens de la Convention, même si la responsabilité des auteurs est engagée, c’est l’État qui est responsable en dernier ressort à travers ses agents et, pour que l’État soit tenu de verser une indemnité aux victimes de tortures, il est indispensable que la torture soit érigée en infraction.

21.M. RASMUSSEN (Corapporteur pour l’Albanie) constate avec satisfaction les efforts déployés par les autorités albanaises depuis les années 90 et les avancées notables enregistrées malgré les difficultés inhérentes à la période de transition. Le Gouvernement se doit toutefois maintenant d’intensifier son action car beaucoup reste à faire. Tout en se félicitant de la coopération des autorités albanaises avec les ONG à la préparation du rapport, il note que ce dernier ne répond pas tout à fait aux exigences du Comité et ne contient pas suffisamment d’informations concrètes sur la mise en œuvre de la législation et les obstacles rencontrés. Des diverses sources d’information (Gouvernement albanais, Comité européen pour la prévention de la torture, et ONG), il ressort que l’Albanie se heurte à de graves difficultés dans la mise en œuvre de la Convention. Elles sont principalement dues d’une part à des carences dans l’application des lois et d’autre part à l’impunité.

22.M. Rasmussen cite des extraits du rapport établi par le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) à l’issue de sa visite en Albanie en octobre 2001, et relève que la délégation du CPT a recueilli de nombreuses allégations de mauvais traitements de personnes détenues par les forces de l’ordre et que le CPT s’est déclaré très préoccupé par la persistance de ces allégations et par leur gravité, certains des mauvais traitements dénoncés pouvant aisément être assimilés à des actes de torture. Il ressort également du rapport du CPT que, selon de nombreux détenus, les mauvais traitements visaient principalement à arracher des aveux. Au paragraphe 88 du rapport de l’État partie, il est dit qu’il semblerait qu’aucun incident n’est la conséquence d’ordres donnés par des supérieurs et que les violations seraient le résultat d’actes commis individuellement par des fonctionnaires et des membres des forces de police dans l’intention d’améliorer leurs états de service, d’avancer leur carrière ou d’obtenir des récompenses. Il s’ensuit que les autorités albanaises doivent veiller à ce que la législation soit mieux respectée et à ce que les forces de police cessent de considérer le recours à des mauvais traitements comme un moyen de faire progresser les enquêtes en obtenant des aveux ou comme un moyen de promotion.

23.En ce qui concerne la question de l’impunité et l’application du paragraphe 3 de l’article 2 de la Convention, M. Rasmussen s’étonne de ne pas trouver dans les paragraphes pertinents du rapport (par. 72 à 78) de référence à une disposition établissant que l’ordre d’un supérieur ne peut être invoqué pour justifier la torture. Une telle disposition est nécessaire et elle serait très utile aux juges et aux avocats. En outre, la répression de la torture au sens de la Convention ne paraît pas être assurée par le nouvel alinéa a de l’article 109 du Code pénal qui punit l’enlèvement et la détention illégale, lorsqu’ils sont précédés ou accompagnés de tortures, et qui semble s’appliquer aux particuliers et aux organisations criminelles plutôt qu’aux membres de la police ou d’autres organes de l’État. Compte tenu de ce qui est dit dans le rapport, notamment aux paragraphes 86 et 87, sur les violations des droits de l’homme commises par des fonctionnaires de police, il semble urgent de modifier la disposition précitée. S’agissant du paragraphe 149 du rapport, il serait intéressant de savoir si les 23 affaires et 15 condamnations au titre de l’article 87 du Code pénal (relatif aux actes de torture ayant des conséquences graves) concernent uniquement des actes de torture au sens de la Convention ou également ceux commis par des civils. Il n’est pas clair en outre si l’article 250 du Code pénal − qui réprime le fait qu’un fonctionnaire agissant au nom de l’État ou d’un service public, commette des actes ou donne des ordres arbitraires affectant la liberté des citoyens − sanctionne aussi les auteurs d’actes de torture. Il apparaît donc indispensable que l’Albanie adopte des dispositions qui définissent et répriment clairement et spécifiquement les actes de torture au sens de la Convention.

24.En ce qui concerne l’application de l’article 6 de la Convention, M. Rasmussen demande s’il existe en Albanie une disposition législative permettant aux autorités d’exercer une juridiction universelle à l’égard d’étrangers ayant commis des actes de torture et qui se trouveraient sur le territoire albanais, et donc concrètement d’arrêter ces personnes. À propos de l’article 10 de la Convention, il félicite les autorités albanaises pour les efforts qu’elles déploient dans le domaine de la formation, en particulier à l’intention du personnel chargé de l’application des lois, notant à ce sujet que plusieurs programmes sont mis en place en coopération avec des organisations ou des pays étrangers. Cela étant, aucun renseignement n’est donné dans le rapport sur la formation dispensée à une catégorie professionnelle qui joue un rôle capital en matière de torture, le personnel médical. Est‑ce un oubli ou cela signifie t‑il que les autorités rencontrent des difficultés dans ce domaine? La mise en œuvre de la Convention exige que les États parties forment le personnel médical à reconnaître et traiter les séquelles de la torture, tant physiques que psychologiques.

25.À propos de l’application de l’article 11 de la Convention, M. Rasmussen dit qu’il est capital que les personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées soient protégées contre la torture par des garanties rigoureuses et que, entre autres, elles puissent contacter les membres de leur famille, être informées de leurs droits et consulter un avocat ainsi qu’un médecin. Dans son rapport sur la visite qu’il a effectuée en Albanie en 2001, le CPT a dit à propos des méthodes d’interrogatoire et de traitement des personnes arrêtées, que la pratique n’était pas conforme à la législation, et il a formulé diverses recommandations concernant les droits dont devraient bénéficier les personnes dès leur arrestation. Parmi les nombreux cas où la loi n’a pas été respectée, l’orateur cite celui de M. Ardian Muja, arrêté le 20 octobre 2002, qui est mentionné dans le rapport de 2003 d’Amnesty International. Outre qu’il a été privé du droit d’être assisté d’un avocat, M. Muja a été battu et torturé par la police qui tentait de lui extorquer des aveux. Conduit à l’hôpital, il aurait demandé au procureur de désigner un expert en médecine légale pour l’examiner. Il semble que M. Muja soit actuellement en prison après avoir été condamné. La délégation albanaise pourrait‑elle indiquer s’il a été donné suite à sa demande d’examen médical? D’une manière générale, une personne arrêtée peut‑elle demander à être examinée par le médecin de son choix?

26.Aux fins de la prévention de la torture et des mauvais traitements, des inspections dans les lieux de détention sont essentielles. Les visites effectuées par le CPT présentent un grand intérêt, mais n’ont pas lieu tous les ans. Il est indispensable que les autorités albanaises mettent en place des mécanismes efficaces de surveillance des lieux de détention, y compris des locaux de la police, d’autant que l’Albanie a ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention. Pour être véritablement efficaces, les inspections doivent revêtir trois caractéristiques: elles doivent être conduites par une personne ou un groupe de personnes indépendants, avoir lieu régulièrement et être effectuées de manière inopinée.

27.Par ailleurs, notant que la durée de la détention administrative est de 10 heures et qu’une personne arrêtée doit être traduite devant un juge dans les 48 heures, M. Rasmussen voudrait savoir si ce délai de 48 heures inclut ou non les 10 heures de détention administrative. Faisant référence à de nombreuses allégations de mauvais traitements dans les prisons, dont certains s’apparentent à des actes de torture, il regrette de n’avoir pu, faute de temps, étudier en détail le règlement pénitentiaire. Se référant à l’article 229 du rapport où il est dit qu’une personne placée en détention provisoire a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, il exprime sa crainte que ce délai soit dans la pratique trop long. Par ailleurs, il note que les rapports d’ONG faisant état de violations subies par des enfants arrêtés ou détenus sont nombreux. Il est indispensable que les autorités albanaises renforcent les garanties applicables aux mineurs et contrôlent plus rigoureusement la manière dont les forces de l’ordre les traitent, non seulement dans les locaux de la police mais aussi quelquefois avant même que les enfants ne soient conduits dans ces locaux. Il est aussi important que, dans tous les cas, les enfants arrêtés soient interrogés en présence de leurs parents ou d’un travailleur social. La délégation albanaise pourrait‑elle donner des renseignements sur certains cas d’enfants qui ont été interrogés hors de la présence de leurs parents ou d’un représentant légal et soumis à de mauvais traitements et dont les ONG se sont fait l’écho? En outre, que pense la délégation albanaise de la suggestion faite par certaines ONG visant à ce que les autorités créent un organisme de protection des enfants qui soit indépendant du bureau de l’Avocat du peuple?

28.Passant à l’examen de l’application de l’article 11 de la Convention par l’État partie, M. Rasmussen prie la délégation albanaise d’indiquer si une victime d’actes de torture peut s’adresser directement à un médecin légiste afin d’obtenir un certificat attestant les mauvais traitements subis et si un médecin généraliste ou un urgentiste ayant soigné une personne présentant des séquelles de tortures peut participer en tant que témoin à une procédure afin de confirmer la véracité des allégations de l’intéressé.

29.À propos de certains incidents signalés par des organisations non gouvernementales au cours desquels les membres de la police portaient des masques, le Corapporteur voudrait savoir dans quel contexte le port de masques est autorisé et si les policiers arborent leur matricule sur leur uniforme. Il souhaiterait également savoir si l’État partie envisage d’abroger l’article 4 de la loi n° 8292, qui protège l’anonymat des membres des brigades d’intervention spéciale de la police.

30.Par ailleurs, M. Rasmussen demande à la délégation albanaise de donner des exemples d’application de la loi sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature adoptée en 2002, et d’indiquer en particulier si des magistrats ont fait l’objet de sanctions disciplinaires ou ont été destitués. En outre, il voudrait savoir si le parquet, qui est l’organe habilité à ouvrir des enquêtes sur les allégations de torture, dispose d’assez de moyens humains pour accomplir cette tâche et, dans la négative, s’il la délègue aux forces de l’ordre. D’autre part, les policiers poursuivis pour actes de torture sont‑ils suspendus de leurs fonctions pendant la durée de l’enquête?

31.En ce qui concerne le traitement des détenus, M. Rasmussen note, à la lecture du rapport du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) sur sa visite de 2001, que les recommandations que cet organe avait formulées après sa visite de 2000 n’ont pas été appliquées par l’État partie. Il souhaiterait donc savoir si les détenus sont examinés par un médecin dans les 24 heures qui suivent leur arrivée à la prison et si le médecin établit un dossier contenant les déclarations du détenu, les résultats de l’examen médical et ses conclusions personnelles quant à la compatibilité entre d’éventuelles allégations du détenu et ses propres constatations. Dans les cas où des allégations de mauvais traitements sont confirmées par un médecin, quelle est la procédure suivie? Étant donné que le Code de procédure pénale prévoit l’obligation de signaler tout cas de mauvais traitement, le médecin est théoriquement tenu d’alerter les autorités compétentes. Si toutefois le médecin n’agit pas, la victime peut‑elle utiliser un certificat médical attestant le bien‑fondé de ses allégations pour saisir les juridictions pénales?

32.Par ailleurs, le Corapporteur voudrait avoir davantage d’informations sur les procédures évoquées au paragraphe 251 du rapport. Quelle en a été l’issue? Citant deux affaires signalées par Amnesty International, dans lesquelles des victimes de mauvais traitements infligés par la police n’ont pas eu accès à un examen médico‑légal, M. Rasmussen souligne que le rôle du médecin est crucial pour qu’une enquête impartiale puisse être ouverte dans les meilleurs délais, conformément à l’article 12 de la Convention.

33.En ce qui concerne l’article 13 de la Convention, la délégation albanaise est priée d’indiquer si la récente mise en service de la ligne téléphonique permettant aux particuliers de dénoncer les mauvais traitements infligés par la police a donné des résultats concrets et, en particulier, si des poursuites ont pu être engagées grâce à ce moyen. Dans l’affirmative, combien d’actions ont été intentées?

34.Pour ce qui est de l’article 14 de la Convention, le Corapporteur note avec satisfaction que le Code de procédure pénale prévoit une indemnisation en cas d’emprisonnement injuste (par. 275 du rapport) et que les anciens prisonniers politiques et les membres de leur famille ont droit à une indemnisation conformément à la loi sur l’innocence, l’amnistie et la réhabilitation des personnes condamnées ou persécutées pour des raisons politiques (par. 280). Il souhaiterait toutefois savoir si des mesures ont été prises pour garantir aux victimes de la torture des possibilités de réadaptation, notamment l’accès à des soins médicaux gratuits.

35.Concernant l’article 15 de la Convention, M. Rasmussen se dit très surpris de lire dans le rapport (par. 298) qu’un témoin peut être placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête préliminaire et souhaiterait des explications à cet égard. En outre, se référant au paragraphe 297 du rapport et à des cas signalés par Amnesty International, dans lesquels des déclarations obtenues au moyen de la torture auraient été utilisées dans le cadre d’une procédure, il demande pourquoi l’Albanie ne s’est pas encore dotée de dispositions interdisant explicitement l’utilisation d’aveux obtenus sous la torture au cours des procès.

36.Pour ce qui est de l’article 16 de la Convention, M. Rasmussen prie la délégation albanaise de donner de plus amples informations sur le système pénitentiaire, notamment des statistiques ventilées par âge et sexe sur la population carcérale et des informations sur la durée de la garde à vue et de la détention dans les cellules d’isolement (par. 94 du rapport) des postes de police. Notant d’après la présentation orale de la délégation que le processus de transfert des cellules d’isolement et de leur personnel sous la responsabilité du Ministère de la justice n’a pas encore été achevé, il voudrait savoir quels obstacles empêchent l’État partie de mener à bien cette tâche.

37.À propos de la grève de la faim entamée récemment par des détenus de la prison n° 302 au motif qu’ils y avaient subi des mauvais traitements physiques et psychologiques, le Corapporteur note avec satisfaction que le directeur de l’établissement a été démis de ses fonctions. Il souhaiterait toutefois savoir si une commission d’enquête a été créée pour faire la lumière sur les allégations des détenus et si les gardiens impliqués dans cette affaire ont également été démis de leurs fonctions. Concernant les autres cas plus anciens de grèves de la faim provoquées par les lenteurs de la justice albanaise, qui prolongent indûment la détention avant jugement de nombreux prévenus, M. Rasmussen voudrait savoir combien de temps s’écoule en moyenne entre l’arrestation d’un suspect et la décision du tribunal le concernant.

38.Enfin, M. Rasmussen se dit extrêmement préoccupé par des allégations selon lesquelles des mineurs n’auraient pas été détenus séparément des adultes et auraient été, en conséquence, fréquemment violés pendant toute la durée de leur détention. Il voudrait savoir ce qu’a entrepris l’État partie afin que de tels incidents ne se reproduisent plus et, en général, pour protéger les mineurs dans le système de justice pénale, compte tenu des préoccupations exprimées par le Comité des droits de l’enfant dans ses observations finales (CRC/C/15/Add.249), en particulier celles concernant la situation des mineurs retenus en garde à vue et dans les maisons de correction relevant de l’État (par. 40) et l’absence de système de justice pour mineurs (par. 76).

39.M. GROSSMAN fait observer que, selon des rapports d’organisations non gouvernementales, les actes de torture ne relèveraient pas d’une politique de l’État mais seraient des cas isolés, dus en grande partie au manque de formation des policiers et à l’absence de poursuites. Il souhaiterait donc savoir s’il est envisagé de renforcer la formation des policiers et si des mesures sont prises pour poursuivre plus systématiquement les responsables. Il se félicite de la création du poste d’ombudsman mais demande combien de ses recommandations sont effectivement appliquées. Se référant aux expulsions d’étrangers dont il est fait mention aux paragraphes 109 et 110 du rapport, il souligne que ce genre de mesures semble être en contradiction avec l’interdiction absolue de la torture et autres traitements inhumains et souhaite obtenir des précisions de la délégation à ce sujet. Il demande s’il existe une liste des personnes ainsi expulsées et si les autorités albanaises savent ce qu’il est advenu de ces personnes.

40.Mme GAER relève qu’aux paragraphes 280 à 282 du rapport, il est indiqué que les personnes condamnées ou persécutées pour des raisons politiques sont indemnisées du préjudice subi. Elle souhaite savoir combien de ces personnes sont encore détenues dans des hôpitaux psychiatriques et si elles bénéficient d’un traitement spécial. Notant que les membres de la famille des personnes persécutées ou condamnées qui sont maintenant décédées ont droit à des indemnités, elle demande si cela s’applique uniquement aux enfants ou également au conjoint ou ex‑conjoint. Elle fait remarquer que, d’après les informations disponibles, les violences policières seraient monnaie courante. Elle souhaite avoir des informations sur le profil des policiers ainsi que sur leurs qualifications et leur formation. Elle demande si des efforts ont été faits pour recruter davantage de femmes et de personnes issues des minorités, notamment des Roms, et souhaite connaître la proportion de policiers issus de telles communautés. Elle note que dans sa déclaration liminaire le chef de délégation a indiqué que 330 policiers avaient été déférés devant le procureur, que 52 d’entre eux avaient été «surpris en flagrant délit» et que 95 % avaient été traduits en justice. Elle souhaite connaître la nature des crimes commis et demande ce qu’il est advenu des 5 % restants. Citant le rapport présenté en 2001 par l’Avocat du peuple, elle note que, dans plusieurs cas avérés de mauvais traitements infligés par des policiers, ceux‑ci ont seulement été réprimandés et transférés dans un autre district. Elle souhaite connaître le nombre de policiers effectivement démis de leurs fonctions à la suite d’affaires similaires. Des organisations non gouvernementales accusent des membres de la police des frontières d’être complices de la traite d’êtres humains depuis l’Albanie vers les pays voisins. Il serait utile de savoir si les personnes impliquées ont été poursuivies. Des cas de violence sexuelle ayant été signalés dans les prisons et les hôpitaux psychiatriques, l’oratrice voudrait savoir si des mesures ont été prises pour lutter contre ce phénomène et quels ont été leurs résultats. Elle note qu’au paragraphe 149 du rapport, il est indiqué qu’en 2001 15 personnes ont été condamnées au titre de l’article 87 du Code pénal (torture ayant des conséquences graves). Elle souhaite connaître la proportion d’agents de l’État parmi les condamnés.

41.M. WANG note que, d’après des organisations non gouvernementales, les arrestations sont extrêmement fréquentes et souhaite connaître les délits reprochés aux personnes arrêtées. Il demande si des mesures ont été prises pour donner suite aux observations finales du Comité des droits de l’homme qui, en novembre 2004, se déclarait «préoccupé par les allégations d’arrestation et de détention arbitraires, le recours excessif à la force par les services de répression, les mauvais traitements subis par les personnes en garde à vue et le recours à la torture pour arracher des aveux aux suspects» (CCPR/CO/82/ALB, par. 13). Enfin, il se félicite de la création du poste d’ombudsman mais émet des doutes quant à son indépendance vis‑à‑vis du Gouvernement et demande des précisions à ce sujet.

42.Le président demande si la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a une valeur juridique en Albanie. Il souhaite savoir s’il existe une procédure d’urgence pour examiner les demandes d’asile, quelles sont les conséquences si une demande est rejetée à la suite d’une telle procédure et quels sont les critères retenus pour juger si une demande est recevable ou non. Il note que figure en annexe au rapport une liste des accords de réadmission de personnes en situation illégale conclus avec différents pays et demande si les personnes séjournant illégalement sur le territoire albanais font l’objet de sanctions. Relevant qu’en cas d’allégation de torture, le procureur est chargé de faire une enquête préliminaire, il souhaite savoir si, lorsque ce dernier décide de ne pas engager de poursuites, il existe des recours contre cette décision. Il demande aussi de quelle manière les activités du Procureur général sont contrôlées, et notamment si elles font l’objet d’un rapport public. Le rapport fait mention, au paragraphe 46, de tribunaux militaires. Il serait utile de connaître leurs compétences et notamment de savoir si, dans les cas où un militaire commet des actes de torture à l’encontre de civils, il est traduit devant un tribunal militaire ou une juridiction civile.

43.L’article 75 du Code pénal, évoqué au paragraphe 114 du rapport, laisse entendre que certains actes pourraient être dictés «par la nécessité militaire». Il est préoccupant de constater que cela pourrait comprendre la torture, et il serait utile que la délégation apporte des précisions à ce sujet. De même, au paragraphe 71, il est indiqué que «les mesures administratives prises en cas d’état d’urgence qui sont contraires aux dispositions du Code de procédure administrative sont valides si elles permettent d’atteindre les objectifs de l’état d’urgence qui ne pourraient l’être par d’autres moyens», ce qui est en totale contradiction avec les dispositions de la Convention contre la torture. Enfin, l’orateur voudrait savoir dans quels cas une procédure accélérée est appliquée pour juger une personne accusée d’actes de torture.

44.M. THANATI (Albanie) dit que sa délégation s’efforcera de répondre aux questions posées à une prochaine séance.

La séance est levée à 12 h 55.

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