Nations Unies

CAT/C/SR.1725

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

30 avril 2019

Original : français

Comité contre la torture

Soixante - sixième session

Co mpte rendu analytique de la 1725 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 25 avril 2019, à 15 heures

Président (e): M. Modvig

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Deuxième rapport périodique de la République démocratique du Congo (suite)

La séance est ouverte à 15 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Deuxième rapport périodique de la République démocratique du Congo (CAT/C/COD/2 ; CAT/C/DRC/Q/2 ; HRI/CORE/COD/2013) (suite)

1.Sur l ’ invitation du Président, la délégation de la République démocratique du Congo reprend place à la table du Comité.

2.Le Président invite la délégation à répondre aux questions que le Comité lui a posées la veille.

3.M me Mushobekwa (République démocratique du Congo) dit que le deuxième rapport périodique de la République démocratique du Congo a été élaboré en consultation avec les organisations non gouvernementales (ONG) suivantes : l’Alliance pour l’universalité des droits fondamentaux (AUDF), l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), Promotion de la Déclaration universelle des droits de l’homme (PDUDH), Les amis de Nelson Mandela pour les droits de l’homme (ANMDH), Filles et Femmes en action pour la promotion, la protection et la défense des droits humains (FIFADH), le Réseau de protection des défenseurs des droits de l’homme, victimes, témoins et professionnels des médias (REPRODEV), l’Association africaine pour la défense des droits de l’homme (ASADHO) et l’Association pour le développement socioéconomique du Kasaï (ADSKA).

4.Le contexte politique qui a prévalu ces quatre dernières années en République démocratique du Congo n’a guère facilité l’amélioration de la situation des droits de l’homme. La recrudescence des groupes armés dans l’Est, les opérations terroristes des Forces démocratiques alliées − Armée nationale de libération de l’Ouganda (ADF-NALU) et de Kamuina Nsapu, les manifestations de l’opposition, parfois infiltrées par des bandits, et les massacres perpétrés à Yumbi ont non seulement forcé de nombreuses personnes à fuir leur foyer mais aussi causé plusieurs milliers de morts. Certains des auteurs des violations commises, parmi lesquels des militaires et des policiers, ont été poursuivis mais beaucoup d’autres, tout particulièrement en milieu rural et dans les zones de conflit, ne l’ont pas été, soit parce que les victimes n’ont pas porté plainte, soit parce que les personnes visées par les plaintes n’ont pas été traduites devant un juge, seulement arrêtées. La République démocratique du Congo est bien consciente des défis qu’elle a encore à relever en ce qui concerne la justice, gage d’une véritable démocratie.

5.L’Entité de liaison des droits de l’homme en République démocratique du Congo est une structure de concertation dirigée par le Ministère des droits humains, qui assure la liaison entre le gouvernement central et la société civile sur les questions relatives aux droits de l’homme. Elle est chargée d’évaluer la situation et les activités menées dans le domaine des droits de l’homme, de veiller au respect par toutes les parties des obligations en la matière et de superviser l’élaboration des rapports soumis aux organes de protection des droits de l’homme. De son côté, la Cellule de protection des défenseurs des droits de l’homme est chargée, comme son nom l’indique, de protéger ces personnes en République démocratique du Congo. Tout comme l’Entité de liaison, elle n’est toujours pas opérationnelle, faute de moyens. Ces trois dernières années en effet, l’État a concentré ses efforts sur l’organisation des élections présidentielles et législatives nationales et provinciales, si bien qu’il peine à financer ces deux structures. Il est vrai que certains défenseurs des droits de l’homme ont été menacés et d’autres arrêtés voire condamnés par la justice. Un tel constat montre la nécessité de mener une action continue de sensibilisation des agents de l’État en organisant à leur intention des séminaires de formation ou de renforcement des capacités dans le domaine des droits de l’homme.

6.À l’instar de la Commission électorale nationale indépendante et du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication, la Commission nationale des droits de l’homme est une institution d’appui à la démocratie, qui opère en toute autonomie. Malheureusement, elle ne dispose pas des moyens financiers dont elle a besoin pour pouvoir s’acquitter de sa mission ; le budget de l’État étant de seulement 5 milliards de dollars des États-Unis, le Gouvernement se retrouve souvent face à des choix très difficiles.

7.La loi no 11/008 du 9 juillet 2011 portant criminalisation de la torture érige la torture en infraction autonome. Si des lacunes étaient constatées sur certains points visés par la Convention (circonstances exceptionnelles, ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique, etc.), le Gouvernement pourrait soumettre un projet de modification au Parlement. En l’état, cette loi n’a effectivement pas encore produit les effets escomptés huit ans après sa promulgation. Le Ministère des droits humains devrait s’employer, avec le concours des ONG de défense des droits de l’homme, à la faire mieux connaître au sein de la magistrature, de la police et de l’armée. La justice a rendu plusieurs décisions contre des agents de l’État, dont des militaires et des policiers, coupables d’actes de torture, notamment de violences sexuelles. Ainsi, des membres des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et de la Police nationale congolaise (PNC) exécutent actuellement des peines de prison pour s’être rendus auteurs et/ou complices de violences sexuelles et d’atteintes à l’intégrité physique infligées à des civils. Les milices et les groupes armés ont aussi commis de nombreuses violations des droits de l’homme. De fait, les membres des ADF-NALU, des Interahamwe et de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), entre autres, attaquent des villages, où ils tuent tous les hommes avant d’emmener leurs femmes et enfants pour en faire leurs esclaves sexuels.

8.La mission d’enquête spéciale menée par l’ONU dans le territoire de Yumbi (province de Mai-Ndombe) a établi que les attaques consécutives au conflit intercommunautaire avaient fait 535 morts. Les conclusions de la mission effectuée à l’initiative du Président Tshisekedi font état de 496 personnes tuées dans les villes de Yumbi, Bongende et Nkolo. Les chefs coutumiers tout comme les autorités de la province de Mai-Ndombe auraient pu contribuer à prévenir ce massacre, car tous les signes pointaient vers l’existence de fortes tensions plusieurs semaines déjà avant qu’il ne survienne. Un rapport sur ces événements, établi par le Ministère des droits humains avec le concours de toutes les institutions de l’État ayant participé aux enquêtes, est en cours de finalisation ; il sera rendu public avant le 10 mai 2019. Les responsables, quels qu’il soient, seront déférés devant les juridictions compétentes pour être jugés et sévèrement punis.

9.Le contexte préélectoral en République démocratique du Congo était très tendu. Certains partis de l’opposition et quelques mouvements citoyens ont organisé des manifestations, pendant lesquelles les sièges de partis politiques ont été incendiés, des commerces ont été pillés, et des policiers désarmés ont été violemment battus, déshabillés et brûlés vifs. La police a riposté en ouvrant le feu sur des civils non armés et plusieurs manifestants ont été tués. La commission d’enquête mixte (CEM-3121) établie pour faire la lumière sur les faits survenus au cours des manifestations des 31 décembre 2017 et 21 janvier 2018 a œuvré dans un contexte extrêmement difficile et sous une pression importante, mais en toute indépendance et avec professionnalisme. Elle a auditionné environ 95 % des personnes concernées, en limitant ses investigations à Kinshasa, faute de moyens suffisants pour les étendre à d’autres provinces. Dans son rapport, elle indique que ses conclusions devraient servir de base à des enquêtes judiciaires, laissant ainsi à la justice le soin de sanctionner les coupables. Les recommandations de la CEM-3121 à la Police nationale tendent notamment à ce que cette dernière s’abstienne de faire usage d’armes létales contre les manifestants et ne sollicite le renfort des forces armées qu’après avoir constaté son incapacité de maintenir l’ordre public. Les allégations selon lesquelles les membres des FARDC dissimuleraient leur identité en arborant l’uniforme de la Police nationale ne sont que pure invention.

10.Les quatre services (FARDC, Agence nationale de renseignements, Direction générale de migration et Direction générale des douanes et accises) qui sont chargés de missions spécifiques de sécurité de l’État ont chacun un mandat bien précis. Lorsqu’elle dispose d’éléments suffisants indiquant qu’un individu est impliqué dans des activités qui menacent la sécurité de l’État, l’Agence nationale de renseignements peut placer celui-ci en détention, y compris sans l’aval d’un juge, pour une durée maximale de soixante-douze heures. L’article 23 du décret-loi no 003-2003 du 11 janvier 2003 portant création et organisation de l’Agence nationale de renseignements dispose ce qui suit : « Les officiers de police judiciaire de l’Agence nationale de renseignements sont, dans l’exercice des fonctions attachées à cette qualité, placés sous les ordres et la surveillance exclusifs de l’administrateur général et accomplissent leurs missions de police judiciaire dans le respect des lois et règlements. Ils transmettent immédiatement leurs procès-verbaux à l’administrateur général qui les envoie à l’officier du ministère public près les juridictions civiles ou militaires selon le cas. ». Par ailleurs, l’article 5 du décret-loi du 25 février 1961 relatif aux mesures de sûreté de l’État prévoit que « [t]outre personne, qui par ses activités porte atteinte à la sûreté de l’État, peut être internée ou placée sous surveillance sur la décision écrite du Ministre de l’intérieur ». Ces dispositions ne sont pas contradictoires. L’Agence nationale de renseignements doit dans certains cas précis pouvoir mener des investigations approfondies sans que l’information puisse fuiter, ce qui précisément risquerait d’arriver si elle présentait le suspect à un juge. En pareil cas, le Ministre de l’intérieur peut décider de placer le détenu sous la surveillance de l’Agence. Cela étant, en aucun cas un agent de l’État ne devrait recourir à la torture, sous quelque forme que ce soit, contre un détenu pour obtenir des renseignements.

11.La détention au secret est strictement interdite par la loi. Dès son entrée en fonctions, le Président Tshisekedi a ordonné la fermeture de tous les cachots du pays ; la plupart d’entre eux sont aujourd’hui fermés, et les personnes qui y étaient détenues au secret ont été remises en liberté. Le Chef de l’État a également demandé au Ministère des droits humains de poursuivre les démarches qu’il avait engagées en partenariat avec le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme (BCNUDH) dans certaines prisons en vue d’examiner les dossiers des personnes détenues depuis plusieurs mois, voire des années, sans jamais avoir été présentées à un juge. Concernant les enfants en détention, parmi les 100 détenus mineurs actuellement recensés en République démocratique du Congo, seuls 10 se sont rendus coupables de crimes de sang. Le Ministère des droits humains et l’Inspection générale des services judiciaires et pénitentiaires ont recommandé au Ministère de la justice que les 90 autres soient remis en liberté.

12.Les établissements pénitentiaires et autres lieux de détention sont visités par le Ministère des droits humains, la Commission nationale des droits de l’homme et les ONG de défense des droits de l’homme. Si la Commission obtient des moyens suffisants, elle pourra jouer le rôle de mécanisme national de prévention de la torture. Le Gouvernement est conscient de la nécessité de construire de nouvelles prisons dans toutes les provinces, la capacité d’accueil des structures actuelles ne permettant plus de répondre aux besoins. La prison de Luzumu (province du Kongo-Central), dont la réhabilitation a été financée par l’Union européenne, a rouvert en mars 2019, et certains détenus de la prison centrale de Makala à Kinshasa y ont été transférés. L’État n’étant pas en mesure de fournir à tous les détenus au moins trois repas par jour, les familles sont mises à contribution pour les nourrir. Les dispensaires des prisons ne fournissent que des soins de base. Lorsque l’intervention d’un spécialiste est nécessaire pour un cas jugé sérieux, le détenu est emmené à l’hôpital, aux frais de sa famille.

13.M. Mukongo Ngay (République démocratique du Congo) dit que la situation en République démocratique du Congo a beaucoup évolué depuis la publication du rapport de mission d’enquête spéciale du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme et que le Président Tshisekedi s’emploie à instaurer l’état de droit et à lutter contre l’impunité. Le Gouvernement est déterminé à poursuivre la mise en place d’un cadre institutionnel et normatif solide, comme il a commencé à le faire avec la création de l’entité de liaison des droits de l’homme, des cellules de protection des défenseurs des droits de l’homme et de la Commission nationale des droits de l’homme, ainsi qu’avec l’adoption de la loi organique no 13/011-B du 11 avril 2013, qui habilite les cours d’appel à connaître des infractions prévues au Statut de Rome de la Cour pénale internationale. En outre, la commission nationale de lutte contre les violences sexuelles au sein des forces armées, créée le 30 mars 2015, et la loi no 15/013 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité, adoptée le 1er août 2015, sont venues compléter ce cadre. Dans l’attente de l’adoption du projet de loi portant protection des défenseurs des droits de l’homme, le Gouvernement ne manquera pas de veiller au fonctionnement harmonieux de toutes les institutions de mise en œuvre des droits de l’homme. L’heure est encore au bilan, mais l’on peut raisonnablement affirmer que les inquiétudes exprimées dans le rapport de mission d’enquête spéciale, légitimes pendant la période préélectorale marquée par les violences, ne sont plus de mise.

14.Étant donné que le livre premier (Des infractions et de la répression en général) du Code pénal s’applique aux militaires au même titre qu’aux civils, des membres des forces armées ont déjà été condamnés en application de la loi no 11/008 du 9 juillet 2011 portant criminalisation de la torture ; la République démocratique du Congo fera parvenir au Comité un complément d’information écrit à ce sujet.

15.Bien qu’elle n’ait toujours pas été abolie, la peine de mort n’est plus appliquée en République démocratique du Congo, et aucune exécution n’a eu lieu depuis l’adoption du moratoire en 2003. Les avis divergent sur cette question : les abolitionnistes estiment que la ratification en 2002 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale par la République démocratique du Congo était le signe que le législateur allait devoir s’aligner sur la philosophie abolitionniste du droit pénal international, tandis que la Commission permanente de réforme du droit congolais a émis un avis réservé à ce sujet. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence et les instruments juridiques adoptés depuis 2003 témoignent d’une tendance abolitionniste. La Constitution de 2006 ne contient aucune disposition relative à la peine de mort et consacre en ses articles 16 et 61 le droit à la vie et au respect de l’intégrité physique et de la dignité humaine. La loi no 06/018 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal prévoit quant à elle en son article 171 que « si le viol […] a causé la mort de la personne sur laquelle il a été commis, le coupable sera puni de servitude pénale à perpétuité », et non à la peine capitale comme c’était le cas auparavant. Enfin, la loi no 09/001 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant dispose en son article 9 que la peine de mort et la servitude pénale à perpétuité ne peuvent être prononcées pour les infractions commises par un enfant. La République démocratique du Congo s’est abstenue lors du vote concernant la résolution relative au moratoire sur l’application de la peine de mort, le Parlement ne s’étant pas encore prononcé sur la question.

16.M me Mushobekwa (République démocratique du Congo) convient que lors de la répression des manifestations des 31 décembre 2017 et 21 janvier 2018, de nombreuses personnes étrangères aux événements, notamment des femmes et des enfants, ont été blessées par balle. La CEM-3121 a recommandé que l’État prenne en charge les frais médicaux des victimes. Celles qui n’ont pas pu être opérées à Kinshasa en raison de la gravité de leurs blessures ont été transférées soit en Afrique du Sud, soit au Maroc, où elles ont subi des opérations chirurgicales. Celles qui ont été hospitalisées en République démocratique du Congo l’ont été dans un établissement privé détenu par des Canadiens, afin d’éviter qu’elles ne subissent des représailles de la part des membres des forces de l’ordre, et que les médecins ne soient soumis à des pressions de la part des autorités. Les femmes démunies ayant perdu leur mari dans ces événements ont reçu une aide d’un montant de 2 000 dollars des États-Unis destinée à leur permettre de subvenir à leurs besoins et de mettre sur pied une activité génératrice de revenus dans l’attente du procès et d’une éventuelle indemnisation. L’État a en outre assumé les frais d’obsèques. Toutes ces mesures n’excluent en rien que la justice fasse son travail.

17.Compte tenu de l’immensité du pays, il est difficile de venir en aide aux enfants victimes des conflits dans les zones reculées du pays. Le Ministère de la justice et des droits humains et le Ministère du genre travaillent de concert avec les ONG pour tenter de leur apporter une assistance et de favoriser leur réinsertion. Force est de reconnaître que le viol a longtemps été utilisé comme une arme de guerre, mais l’incidence de ce crime a sensiblement baissé. De plus, la reddition des groupes armés devrait permettre de stabiliser la situation des droits de l’homme et de réduire le taux de violences sexuelles dans les zones de conflit. Contrairement à ce qui se passe dans certains pays d’Afrique de l’Ouest, les mutilations génitales féminines, notamment l’excision, ne sont pas pratiquées en République démocratique du Congo qui, en revanche, ne doit ménager aucun effort pour tenter de faire appliquer la législation contre les mariages forcés.

18.M. Touzé (Rapporteur pour la République démocratique du Congo) note avec regret que d’une manière générale, la situation des droits de l’homme n’a guère évolué depuis l’examen du rapport précédent en 2005, et que la mise en œuvre de la Convention contre la torture dans l’État partie demeure très insuffisante. Il regrette que la délégation invoque le contexte national pour justifier l’absence de statistiques sur les jugements relatifs à des actes de torture ou d’éléments qui permettraient au Comité d’apprécier la mise en œuvre de la loi no 11/008 du 09 juillet 2011 portant criminalisation de la torture. Il regrette aussi l’absence d’informations sur la population carcérale ainsi que sur les mesures prises pour enquêter sur les cas de détention arbitraire et sur les éventuels actes de torture commis dans ce contexte.

19.Le Rapporteur relève que la délégation a reconnu que l’État partie n’avait pas alloué les ressources voulues ni consenti les moyens nécessaires pour mettre en œuvre la Convention et sanctionner les auteurs de violations. Entre autres incohérences, elle a indiqué que le rapport à l’examen avait été élaboré en collaboration entre le Ministère de la justice et des droits humains et la Commission nationale des droits de l’homme, l’entité de liaison des droits de l’homme et la cellule de protection des défenseurs des droits de l’homme alors que ces deux dernières entités ne sont pas opérationnelles. De plus, la Ministre des droits humains a reconnu que les défenseurs des droits de l’homme étaient parfois menacés, mis aux arrêts, voire condamnés, tout en affirmant que ce ministère entretenait une collaboration approfondie avec la société civile.

20.Revenant sur le budget limité alloué à la Commission nationale des droits de l’homme, le Rapporteur met l’accent sur la nécessité d’établir des priorités et de répartir les ressources budgétaires d’une manière qui permette à cette instance de s’acquitter de son mandat. La délégation a expliqué que l’État partie n’avait pas mis en place de mécanisme national de prévention conformément au Protocole facultatif au motif que la Commission nationale des droits de l’homme pouvait remplir cette fonction. Il importe cependant de bien faire la distinction entre les deux organismes, à savoir un mécanisme de surveillance permanent d’une part, et un organisme chargé d’effectuer des visites dans les établissements de privation de liberté d’autre part, en veillant à ce que les compétences et le rôle de chacun soient définis précisément. En ce qui concerne les actions menées pour assurer la sécurité des populations dans les zones de conflit, le Rapporteur rappelle que même si la situation en République démocratique du Congo est complexe, la Convention n’autorise aucune dérogation, et que l’interdiction de la torture est absolue. À ce titre, quelles que soient les circonstances, toute violation doit donner lieu à une enquête et à des poursuites.

21.D’après le rapport du Bureau conjoint des Nations Unies sur les violences intercommunautaires survenues les 16 et 17 décembre 2018 dans le territoire de Yumbi, alors qu’il existait clairement un risque imminent d’escalade, les autorités n’ont rien fait pour agir rapidement afin d’empêcher les tensions interethniques de dégénérer en affrontements et pour prévenir les exactions. La délégation voudra bien indiquer si des mesures ont été prises pour déterminer s’il y a eu négligence de la part des autorités compétentes et, le cas échéant, pour traduire les responsables en justice.

22.En ce qui concerne le maintien de l’ordre pendant les manifestations, le Rapporteur s’étonne de ce que la délégation n’ait pas su préciser à partir de quel moment l’usage de la force pouvait être considéré comme disproportionné. Selon lui, le fait que la police ou l’armée utilise des armes à feu pour contenir des manifestations constitue de toute évidence une mesure disproportionnée. Sachant que la police mais aussi l’armée et les services de renseignements interviennent dans ce contexte, il demande sur quels critères repose la décision d’envoyer telle ou telle unité sur le terrain, s’il existe un cadre définissant la façon dont ces forces doivent se comporter et les moyens qu’elles sont autorisées à utiliser.

23.Le Rapporteur maintient qu’il existe une incompatibilité entre l’article 23 du décret-loi de 2003 portant création et organisation de l’Agence nationale de renseignements et l’article 5 du décret-loi de 1961 relatif aux mesures de sûreté de l’État, qui habilite les organes du Ministère de l’intérieur à arrêter et détenir toute personne soupçonnée de porter atteinte à la sûreté de l’État sur décision du Ministre, ce qui signifie que les organes judiciaires ne peuvent jouer leur rôle de surveillance. En d’autres termes, la légalité de ce type de détention ne peut pas être contestée devant la justice, et la personne arrêtée au titre de ce décret-loi n’a aucun moyen de signaler les actes de torture ou mauvais traitements qui pourraient lui être infligés pendant sa détention. Il serait donc utile de savoir si l’État partie entend modifier les dispositions de cet article afin de les mettre en conformité avec la Convention et de lutter contre l’impunité.

24.Relevant d’après les réponse orales de la délégation que les autorités ont l’intention de remettre plus de la moitié des détenus en liberté afin de désengorger les prisons, le Rapporteur voudrait savoir selon quels critères et sur quelle base ces personnes seront libérées. Il souhaiterait également des précisions sur les mesures prises pour faire en sorte que les détenus mineurs soient séparés des détenus adultes. Enfin, il demande si l’État partie envisage d’aller au-delà du moratoire sur les exécutions capitales et de prendre des mesures en vue d’abolir la peine de mort.

25.M me  Belmir (Corapporteuse pour la République démocratique du Congo) demande ce que l’État partie compte faire pour améliorer le fonctionnement de la justice et renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire qui, comme l’a reconnu un ministre en 2008, présente des faiblesses et subit des ingérences de l’exécutif. En ce qui concerne la violence sexuelle à l’égard des femmes, elle précise que ses observations et questions ne portaient pas sur les viols commis dans le contexte d’un conflit armé, mais sur ceux qui sont perpétrés contre des détenues, au sujet desquels des informations très précises sont fournies dans les rapports parallèles des ONG. Enfin, elle souhaiterait des renseignements sur les cas de mineurs maintenus en détention pendant des périodes excessivement longues qui ont été recensés en 2004, 2005 et 2011.

26.M. Hani souhaiterait recevoir une réponse à la question qu’il avait posée sur le cadre juridique relatif à l’expulsion d’étrangers. Il aimerait savoir si le décret de 1886, modifié en 1959, qui contient des dispositions contraires au principe de non-refoulement, est encore en vigueur et, dans l’affirmative, si l’État partie compte prendre des mesures pour que ce texte soit mis en conformité avec l’article 3 de la Convention. Il souhaiterait en outre connaître le nombre de cas dans lesquels ont été appliquées les dispositions de l’ordonnance-loi no 83-033 de 1983 relative à la police des étrangers, en vertu desquelles les décisions d’expulsion sont prises par le Président de la République et ne sont susceptibles de recours que pendant les vingt-quatre heures qui suivent leur notification. Enfin, compte tenu des préoccupations exprimées par le Comité des droits de l’enfant au sujet de l’arrivée dans le pays d’environ 500 000 réfugiés en provenance d’États voisins, dont près des deux tiers sont des enfants, il souhaiterait savoir comment l’État partie fait en sorte que le principe de non-refoulement soit respecté à l’égard de ces personnes.

La séance est suspendue à 16 h 50 ; elle est reprise à 17 h 15.

27.M me  Mushobekwa (République démocratique du Congo) dit que la sensibilisation joue un rôle capital dans l’application de la Convention. En 2018, le Ministère des droits humains a organisé un séminaire sur la lutte contre la torture à l’intention des magistrats et des membres des forces de l’ordre. Une fois que ces acteurs se seront familiarisés avec la Convention, la législation sera mieux appliquée et les auteurs d’actes de torture ne pourront plus jouir de l’impunité. À son retour à Kinshasa, la délégation enverra au Comité des statistiques sur les décisions judiciaires rendues dans des affaires de torture ainsi que sur la population carcérale recensée en 2018.

28.Répondant aux allégations selon lesquelles les autorités seraient passives face aux actes de torture, Mme Mushobekwa rappelle que, comme l’a dit la délégation, plusieurs agents de l’État ont été poursuivis pour des faits de torture et condamnés à des peines d’emprisonnement. Quatre policiers condamnés pour torture, notamment pour viol, exécutent actuellement leur peine. Force est de reconnaître que ce chiffre est faible, mais le Gouvernement fait de son mieux pour que les actes de torture ne restent pas impunis.

29.Mme Mushobekwa confirme que l’entité de liaison des droits de l’homme n’est pas encore opérationnelle, mais que la CNDH fonctionne, même si son budget est réduit. Elle réaffirme que le Ministère des droits humains collabore étroitement avec les défenseurs des droits de l’homme et explique qu’elle est intervenue avec succès auprès du Ministre de l’intérieur et du Commissaire général de la police pour faire libérer certains des défenseurs qui avaient été abusivement placés en détention. Le contexte a beaucoup évolué depuis l’entrée en fonctions du nouveau Président de la République, qui a érigé en priorité la protection des droits de l’homme et de leurs défenseurs. Si, depuis son investiture, certains défenseurs des droits de l’homme ont continué de recevoir des menaces, aucun n’a en revanche été arrêté. Il faudra cependant du temps pour que les mentalités et la situation évoluent. Il est important que la République démocratique du Congo gère mieux les ressources naturelles dont elle regorge afin que la répartition des richesses bénéficie à l’ensemble de la population et que le Gouvernement puisse allouer davantage de moyens à la protection et à la promotion des droits de l’homme. L’État partie est conscient qu’il n’applique pas pleinement l’ensemble des volets de la Convention et du Protocole s’y rapportant, mais il ne sollicite en aucune façon une quelconque dérogation à ses dispositions.

30.À la suite des massacres perpétrés à Yumbi, le Président a diligenté une mission d’enquête conduite par le Ministère des droits humains, qui s’ajoute à celle menée par l’Auditorat général des FARDC concernant l’utilisation apparente d’armes de guerre. Le rapport de la commission d’enquête est en cours d’élaboration et il sera présenté à la presse une fois achevé. Il y a certainement eu négligence de la part des autorités provinciales, qui n’ont pas réagi aux signes avant-coureurs de tensions, mais il est prématuré de parler de complicité. Il est toutefois établi que certains chefs coutumiers ont joué un rôle important dans ces événements.

31.La Constitution de la République démocratique du Congo garantit la liberté de manifestation dans le respect de l’ordre public. Cependant, au cours de certaines manifestations, les sièges de partis politiques ont été incendiés et des policiers ont été tués ou blessés. Il est strictement interdit à la police d’utiliser des armes létales contre les manifestants et rien ne peut justifier qu’un policier ouvre le feu sur eux. Tous les agents soupçonnés de tels actes ont été mis aux arrêts et la justice militaire poursuit les enquêtes.

32.Il n’existe pas de prison pour enfants, mais ceux-ci sont détenus séparément des adultes. La grande majorité des enfants détenus le sont pour des délits mineurs et devraient être libérés. Le Ministère des droits humains est chargé de s’assurer de la régularité de la détention, mais il ne peut se substituer à la justice. Il a demandé que ces enfants soient libérés ou présentés devant un juge pour mineurs. Le cadre légal de la garde à vue, qui repose sur le décret-loi du 25 février 1961 relatif aux mesures de sûreté de l’État, doit être revu. Un fonctionnaire de l’Agence nationale de renseignements (ANR) ne peut décider de placer une personne en détention sur la base de simples soupçons d’atteinte à la sûreté de l’État, et certains agents de l’ANR ont été sanctionnés à ce titre. La réalisation d’inspections dans les lieux de détention devrait contribuer à résorber la surpopulation carcérale. De fait, les visites effectuées à ce jour ont mis en évidence que sur près de 7 000 détenus, 2 400 devaient être libérés. Les personnes condamnées à mort que Mme Mushobekwa a rencontrées lui ont dit ne pas avoir été maltraitées ou torturées.

33.L’ancien Président, Joseph Kabila, avait nommé une conseillère spéciale chargée de la lutte contre les violences sexuelles, dont l’action avait permis de faire baisser de 50 % le taux de violence sexuelle. Le Ministère de la justice a enjoint l’Auditorat général des FARDC et le procureur de la République de poursuivre les auteurs de tels actes. Des officiers supérieurs ont ainsi été condamnés, et l’immunité parlementaire de députés soupçonnés de violences sexuelles a été levée. La loi congolaise dispose que toute relation sexuelle avec une personne mineure, consentante ou non, constitue un viol.

34.La délégation remercie le Comité de l’attention portée au rapport de la République démocratique du Congo et s’engage à répondre par écrit aux questions restées en suspens. Elle a pris bonne note des modifications devant être apportées à la législation afin de la rendre conforme aux dispositions de la Convention et elle invite les membres du Comité à se rendre à Kinshasa pour examiner la façon dont le Gouvernement œuvre à l’application de la Convention.

35.Le Président remercie la délégation et l’invite à faire parvenir par écrit les réponses qu’elle n’a pas pu apporter oralement dans le délai de quarante-huit heures prévu à cet effet, afin que le Comité puisse en tenir compte dans ses observations finales.

La séance est levée à 18 heures.