Nations Unies

CAT/OP/10

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 avril 2020

Français

Original : anglais

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Avis adressé par le Sous-Comité aux États parties et aux mécanismes nationaux de prévention concernant la pandémie due au coronavirus (COVID-19) *

I.Introduction

1.En l’espace de quelques semaines seulement, la maladie à coronavirus (COVID-19) a eu des incidences considérables sur la vie quotidienne, de nombreuses restrictions drastiques ayant été imposées à la liberté de circulation des personnes et aux libertés individuelles pour permettre aux autorités de mieux combattre la pandémie par des mesures de santé publique d’urgence.

2.Les personnes privées de liberté constituent un groupe particulièrement vulnérable en raison de la nature des restrictions qui leur sont déjà imposées et de leur capacité limitée à prendre des mesures de précaution. Il y a aussi, dans les prisons et d’autres lieux de détention, dont beaucoup sont fortement surpeuplés et insalubres, des problèmes de plus en plus graves.

3.Dans plusieurs pays, les mesures prises pour lutter contre la pandémie dans les lieux de privation de liberté ont déjà entraîné des perturbations tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des établissements de détention, et des pertes en vies humaines. Face à cette situation, il est essentiel que les autorités de l’État tiennent pleinement compte de tous les droits des personnes privées de liberté et de leur famille, ainsi que de l’ensemble du personnel et des personnes qui travaillent dans les établissements de détention, y compris le personnel de santé, dans le cadre des mesures qu’elles prennent pour lutter contre la pandémie.

4.Les mesures prises pour aider à parer aux risques que courent les détenus et le personnel des lieux de détention devraient prendre en compte les approches exposées dans le présent avis et, en particulier, le principe consistant à « ne pas nuire » et celui de « l’équivalence des soins ». Il est également important que la communication avec toutes les personnes privées de liberté, leur famille et les médias soit transparente en ce qui concerne les mesures prises et les raisons qui les motivent.

5.Il ne peut pas être dérogé à l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, même dans des circonstances exceptionnelles et des situations d’urgence qui menacent l’existence de la nation. Le Sous-Comité a déjà publié des orientations confirmant que les lieux de quarantaine officiels relèvent du mandat du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT/OP/9). Il s’ensuit inévitablement que tous les autres lieux dont des personnes sont empêchées de partir à des fins similaires relèvent du mandat du Protocole facultatif et donc de la sphère de contrôle tant du Sous‑Comité que des mécanismes nationaux de prévention établis dans le cadre du Protocole facultatif.

6.De nombreux mécanismes nationaux de prévention ont demandé au Sous-Comité de leur donner des avis concernant leur action face à cette situation. Naturellement, en tant qu’organismes autonomes, les mécanismes nationaux de prévention sont libres de déterminer la meilleure manière de faire face aux problèmes que pose la pandémie dans leurs juridictions respectives. Le Sous-Comité reste disponible pour répondre à toute demande d’orientation expresse qui lui serait adressée. Il sait qu’un certain nombre de déclarations très utiles ont déjà été publiées par diverses organisations mondiales et régionales et recommande aux États parties et aux mécanismes nationaux de prévention de prendre ces déclarations en considération. Le présent avis a également pour objet de fournir des orientations générales dans le cadre du Protocole facultatif à tous les responsables de lieux de privation de liberté et à toutes les personnes qui effectuent des visites préventives dans ces lieux.

7.Le Sous-Comité tient à souligner que s’il est presque certain que les mesures prises dans l’intérêt de la santé publique auront des répercussions sur la manière dont les visites préventives sont effectuées, cela ne signifie pas que ces visites devraient cesser. Au contraire, le risque potentiel de mauvais traitements auxquels les personnes qui se trouvent dans les lieux de détention sont exposées peut être accru en conséquence de ces mesures de santé publique. Le Sous-Comité estime que les mécanismes nationaux de prévention devraient continuer à effectuer des visites de nature préventive, en respectant les limitations nécessaires quant à la manière dont les visites sont effectuées. Il est particulièrement important à l’heure actuelle que les mécanismes nationaux de prévention veillent à ce que des mesures efficaces soient prises pour réduire la possibilité que les détenus subissent des formes de traitements inhumains et dégradants en raison des pressions très réelles auxquelles les systèmes de détention et leurs responsables sont actuellement soumis.

II.Mesures devant être prises par les autorités concernant tous les lieux de privation de liberté, y compris les établissements de détention, les centres de détention d’immigrants, les camps de réfugiés fermés, les hôpitaux psychiatriques et les autres établissements médicaux

8.Il est évident que l’État est responsable de la fourniture de soins de santé aux personnes qu’il détient et qu’il a un devoir de diligence envers son personnel et les personnes qui travaillent dans les établissements de détention, y compris le personnel de santé. Conformément à la règle 24 de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), l’État a la responsabilité d’assurer des soins de santé aux détenus, ceux-ci devant recevoir des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société et avoir accès aux services nécessaires sans frais et sans discrimination fondée sur leur statut juridique.

9.Étant donné le risque accru de contagion parmi les personnes en détention et dans les autres lieux de détention, le Sous-Comité invite instamment tous les États à :

a)Procéder à des évaluations urgentes pour recenser les personnes les plus à risque parmi les détenus, en tenant compte de tous les groupes vulnérables particuliers ;

b)Réduire la population carcérale et les autres populations de détenus, dans la mesure du possible, en mettant en œuvre des programmes de libération anticipée, provisoire ou temporaire pour les détenus pour lesquels cela est faisable en toute sécurité, en tenant pleinement compte des mesures non privatives de liberté indiquées, comme le prévoient les Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) ;

c)Mettre particulièrement l’accent sur les lieux de détention dont le taux d’occupation dépasse la capacité officielle et sur ceux dont la capacité officielle est fondée sur un calcul de la superficie par personne qui ne permet pas la distanciation sociale, conformément aux directives générales données à l’ensemble de la population ;

d)Réexaminer tous les cas de détention provisoire afin de déterminer si cette mesure est strictement nécessaire compte tenu de l’urgence de santé publique actuelle et étendre le recours à la mise en liberté sous caution à tous les cas, excepté les plus graves ;

e)Revoir l’utilisation des centres de détention d’immigrants et des camps de réfugiés fermés afin de réduire le plus possible leur population ;

f)Considérer que la mise en liberté devrait s’accompagner de dépistages, afin que des mesures appropriées soient mises en place pour les personnes qui sont soit positives au virus du COVID-19, soit particulièrement vulnérables à l’infection ;

g)Veiller à ce que les restrictions appliquées aux régimes existants soient réduites au minimum, proportionnées à la nature de l’urgence sanitaire et conformes à la loi ;

h)Veiller à ce que les mécanismes de plainte existants restent opérationnels et efficaces ;

i)Respecter les normes minimales en matière d’exercice quotidien en plein air, tout en tenant compte des mesures nécessaires pour faire face à la pandémie actuelle ;

j)Veiller à ce que tous ceux qui restent en détention aient accès gratuitement aux installations et fournitures voulues, afin de permettre aux détenus d’avoir le même niveau d’hygiène personnelle que celui que doit avoir l’ensemble de la population ;

k)Prévoir des méthodes adéquates de compensation lorsque les régimes de visite sont restreints pour des raisons de santé, afin que les détenus puissent maintenir le contact avec leur famille et le monde extérieur, y compris le téléphone, l’Internet et le courrier électronique, la communication vidéo et d’autres moyens électroniques appropriés. Ces méthodes de contact devraient être facilitées et encouragées, fréquentes et gratuites ;

l)Permettre aux membres de la famille ou aux proches de continuer à fournir de la nourriture et d’autres articles aux détenus, conformément aux pratiques locales et dans le respect des mesures de protection nécessaires ;

m)Installer les personnes les plus à risque parmi les détenus restants de manière à prendre en compte ce risque accru, tout en respectant pleinement leurs droits dans le cadre de la détention ;

n)Empêcher que l’isolement médical ne prenne la forme d’un isolement disciplinaire ; l’isolement médical doit être fondé sur une évaluation médicale indépendante, être proportionné, limité dans le temps et soumis à des garanties procédurales ;

o)Fournir des soins médicaux aux détenus qui en ont besoin, en dehors de l’établissement de détention chaque fois que cela est possible ;

p)Veiller à ce que les garanties fondamentales contre les mauvais traitements, notamment le droit à un avis médical indépendant, le droit à l’assistance d’un avocat et le droit à ce que des tiers soient informés de la détention, restent disponibles et utilisables, nonobstant les restrictions d’accès ;

q)Veiller à ce que tous les détenus et le personnel reçoivent des informations fiables, précises et actualisées sur toutes les mesures prises, leur durée et leurs motifs ;

r)Veiller à ce que des mesures appropriées soient prises pour protéger la santé du personnel et des personnes qui travaillent dans les établissements de détention, y compris le personnel de santé, et à ce que ces personnels soient correctement équipés et soient soutenus dans l’exercice de leurs fonctions ;

s)Mettre à la disposition de tous les détenus et du personnel concernés par ces mesures un soutien psychologique approprié ;

t)Veiller à ce que, le cas échéant, toutes les considérations ci-dessus soient prises en compte en ce qui concerne les patients qui sont admis sans leur consentement dans des hôpitaux psychiatriques.

III.Mesures devant être prises par les autorités à l’égard des personnes qui se trouvent dans des lieux de quarantaine officiels

10.Le Sous-Comité a déjà émis un avis sur la situation de ceux qui sont mis en quarantaine (CAT/OP/9). À cet avis, le Sous-Comité ajoutera encore ce qui suit :

a)Les personnes qui sont temporairement mises en quarantaine doivent être traitées à tout moment comme des personnes libres, sauf pour ce qui est des limitations qui leur sont nécessairement imposées conformément à la loi et sur la base de preuves scientifiques à des fins de quarantaine ;

b)Les personnes temporairement en quarantaine ne doivent pas être considérées ou traitées comme des détenus ;

c)Les installations de quarantaine devraient être d’une taille suffisante et disposer des équipements voulus pour permettre la liberté de circulation interne et les diverses activités nécessaires ;

d)La communication avec les familles et les amis par des moyens appropriés devrait être encouragée et facilitée ;

e)Les installations de quarantaine étant une forme de privation de liberté de facto, toutes les personnes qui y sont placées devraient pouvoir bénéficier des garanties fondamentales contre les mauvais traitements, notamment être informées des raisons de leur mise en quarantaine, avoir droit à un avis médical indépendant, avoir droit à l’assistance d’un avocat et avoir droit à ce que des tiers soient informés de leur mise en quarantaine, d’une manière correspondant à leur statut et à leur situation ;

f)Toutes les mesures appropriées doivent être prises pour garantir que les personnes qui sont ou ont été mises en quarantaine ne souffrent d’aucune forme de marginalisation ou de discrimination, y compris une fois qu’elles sont retournées dans leur communauté ;

g)Un soutien psychologique approprié devrait être disponible pour ceux qui en ont besoin, pendant et après la période de quarantaine.

IV.Mesures devant être prises par les mécanismes nationaux de prévention

11.Les mécanismes nationaux de prévention devraient continuer à exercer leur mandat en matière de visite pendant la pandémie de COVID-19 ; toutefois, la manière dont ils le font doit tenir compte des restrictions légitimes actuellement imposées aux contacts sociaux. L’accès aux lieux de détention officiels, y compris les lieux de quarantaine, ne peut être totalement refusé aux mécanismes nationaux de prévention, même si des restrictions temporaires sont autorisées conformément à l’article 14 (par. 2) du Protocole facultatif.

12.L’objectif du Protocole facultatif, tel qu’il est énoncé à l’article premier, est l’établissement d’un système de visites régulières, et l’objectif énoncé dans le préambule est la protection des personnes privées de liberté contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, obligation insusceptible de dérogation au regard du droit international. Dans le contexte actuel, cela laisse entendre qu’il incombe aux mécanismes nationaux de prévention de concevoir, aux fins de l’exécution de leur mandat de prévention concernant les lieux de détention, des méthodes qui réduisent la nécessité de contacts sociaux mais qui offrent néanmoins des possibilités efficaces de dialogue à des fins de prévention.

13.Ces mesures pourraient notamment être les suivantes :

a)Examiner la mise en œuvre et le fonctionnement des mesures décrites dans les sections II et III ci-dessus avec les autorités nationales compétentes ;

b)Accroître la collecte et le contrôle des données individuelles et collectives relatives aux lieux de détention ;

c)Utiliser des formes électroniques de communication avec les personnes qui se trouvent dans les lieux de détention ;

d)Mettre en place des lignes de communication directes avec les mécanismes nationaux de prévention dans les lieux de détention et fournir un accès sécurisé au courrier électronique et aux services postaux ;

e)Suivre l’installation des nouveaux lieux de détention et des lieux de détention temporaires ;

f)Améliorer la diffusion des informations concernant le travail que le mécanisme national de prévention effectue dans les lieux de détention et veiller à ce qu’il existe des canaux permettant une communication rapide et confidentielle ;

g)Chercher à prendre contact avec des tiers (par exemple, les familles et les avocats) qui pourraient être en mesure de fournir des informations supplémentaires sur la situation dans les lieux de détention ;

h)Renforcer la coopération avec les organisations non gouvernementales et les organismes de secours qui travaillent avec les personnes privées de liberté.

V.Conclusions

14.Il n’est pas possible de prédire avec précision la durée de la pandémie actuelle, ni tous les effets qu’elle aura. Ce qui est clair, c’est qu’elle a déjà des effets considérables sur tous les membres de la société et qu’elle en aura pendant longtemps encore. Le Sous‑Comité et les mécanismes nationaux de prévention doivent garder à l’esprit le principe consistant à « ne pas nuire » dans le cadre de leurs travaux. Cela peut signifier que les mécanismes nationaux de prévention devraient adapter leurs méthodes de travail à la situation causée par la pandémie, afin de protéger le public, le personnel et les personnes qui travaillent dans les établissements de détention, y compris le personnel de santé, les détenus, et eux-mêmes. Le critère primordial doit être l’efficacité de la prévention des mauvais traitements à l’égard des personnes qui font l’objet de mesures de détention. Les paramètres de la prévention ont été élargis par les mesures exceptionnelles que les États ont dû prendre. Il incombe au Sous-Comité et aux mécanismes nationaux de prévention de répondre de manière imaginative et créative aux nouveaux défis auxquels ils font face dans l’exercice de leurs mandats liés au Protocole facultatif.