Nations Unies

CAT/OP/PER/1

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

9 août 2017

Français

Original : espagnol

Anglais, espagnol et français seulement

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Visite au Pérou menée du 10 au 20 septembre 2013 : observations et recommandations adressées à l’État partie

Rapport établi par le Sous-Comité*,**

Table des matières

Page

I.Introduction3

II.Mécanisme national de prévention3

III.Situation des personnes privées de liberté4

A.Détention dans les postes de police et les cellules du pouvoir judiciaire4

B.Établissements pénitentiaires6

C.Centres de détention pour mineurs14

D.Établissements psychiatriques16

IV.Aspects relatifs au cadre juridique et institutionnel de prévention de la torture et des mauvais traitements17

A.La définition de la torture en droit interne17

B.L’aide juridique17

C.Le problème de l’impunité18

D.Le problème de la corruption19

Annexes

I.Lista de las personas con quienes se reunió el Subcomité21

II.Lugares de privación de libertad visitados23

I.Introduction

1.Conformément à l’article premier et à l’article 11 du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Sous-Comité pour la prévention de la torture s’est rendu au Pérou du 10 au 20 septembre 2013.

2.Le Sous-Comité était représenté par les membres suivants : Enrique Font, Hans Draminsky Petersen, Margarida Pressburger, Judith Salgado et Wilder Tayler (chef de la délégation).

3.Le Sous-Comité était assisté de quatre spécialistes des droits de l’homme et deux agents de sécurité du Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

4.Le Sous-Comité s’est rendu dans des lieux de privation de liberté situés dans les provinces de Cajamarca, de Chiclayo, de Puno, de Trujillo et de Lima et s’est entretenu avec des représentants du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, des membres du Bureau du défenseur du peuple, des fonctionnaires de l’ONU et des représentants de la société civile, qu’il tient à remercier des informations précieuses qu’ils lui ont communiquées.

5.À l’issue de sa visite, le Sous-Comité a présenté ses observations préliminaires aux autorités péruviennes par voie orale, à titre confidentiel. Dans le présent rapport, il expose ses conclusions et recommandations concernant la prévention de la torture et des autres mauvais traitements à l’encontre des personnes privées de liberté, l’expression « mauvais traitements » étant utilisée au sens large, pour faire référence à toutes les formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

6. Le Sous-Comité demande aux autorités péruviennes de lui rendre compte de manière détaillée, dans les six mois suivant la communication du présent rapport, des mesures qu’elles auront prises pour donner suite aux recommandations formulées.

7.Conformément au paragraphe 2 de l’article 16 du Protocole facultatif, le présent rapport demeurera confidentiel jusqu’à ce que les autorités péruviennes décident de le rendre public. Cela étant, le Sous-Comité est convaincu que la publication du rapport peut contribuer à prévenir la torture et les mauvais traitements au Pérou, en ce qu’une large diffusion des recommandations formulées favoriserait un dialogue national transparent et fructueux sur les questions abordées. Le Sous ‑Comité recommande au Pérou de demander la publication du présent rapport, comme l’ont déjà fait d’autres États parties au Protocole.

8.Le Sous-Comité tient à appeler l’attention de l’État partie sur le Fonds spécial créé par l’article 26 du Protocole facultatif. Les recommandations formulées par le Sous-Comité dans les rapports de visite rendus publics peuvent servir de base à l’État partie pour demander le financement de certains projets au moyen de ce fonds.

9.Le Sous-Comité tient à remercier les autorités péruviennes d’avoir facilité sa visite et coopéré avec lui.

II.Mécanisme national de prévention

10.Conformément à l’article 17 du Protocole facultatif, le Pérou aurait dû établir ou désigner un mécanisme national de prévention le 14 septembre 2007 au plus tard. Pourtant, malgré l’action menée à divers niveaux, notamment législatif, pour s’acquitter de cette obligation, et les engagements pris sur la scène internationale, à la date de la visite, l’État partie ne s’était toujours pas doté d’un tel mécanisme.

11.Le Sous-Comité considère la création du mécanisme national de prévention comme une priorité. De surcroît, à la lumière des conclusions formulées dans le présent rapport au sujet de la situation des personnes privées de liberté et compte tenu du fait qu’aucun organisme n’est actuellement chargé de faire des visites inopinées dans les lieux de privation de liberté et de s’entretenir avec les détenus, il estime que la création d’un tel mécanisme au Pérou est manifestement indispensable. Pour faciliter la réalisation de cet objectif, durant sa visite, le Sous-Comité s’est entretenu avec divers interlocuteurs parmi lesquels des hauts représentants du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, notamment le Président du Conseil des ministres, le Ministre et Vice-Ministre de la justice et des droits de l’homme, le Président du Congrès et les Présidents des Commissions de la justice et du budget du Congrès, ainsi qu’avec le Défenseur du peuple.

12.Le Sous-Comité note avec satisfaction que le 10 décembre 2013, la Commission de la justice et des droits de l’homme du Congrès de la République a adopté un projet de loi (no 1618/2012‑CR) par lequel elle a chargé le Bureau du défenseur du peuple de mettre en place le mécanisme national de prévention.

13. Le Sous-Comité compte que le Congrès de la République adoptera la loi relative au mécanisme national de prévention le plus rapidement possible au cours de l’année entamée. Le Sous-Comité recommande aux autorités de garantir l’indépendance fonctionnelle du mécanisme et de fournir à celui-ci les ressources matérielles et humaines dont il aura besoin pour s’acquitter efficacement de ses fonctions conformément aux dispositions du Protocole facultatif, et notamment pour disposer de son propre secrétariat technique. Il espère en outre que le cadre législatif prévoira que le mécanisme doit collaborer avec la société civile, ce qui lui permettra d’accroître l’efficacité de ses travaux, et coopérer avec les entités publiques compétentes dans son domaine d’action, aux fins de l’application de ses recommandations .

III.Situation des personnes privées de liberté

A.Détention dans les postes de police et les cellules du pouvoir judiciaire

1.Conditions matérielles

14.Le Sous-Comité a constaté des conditions de détention insatisfaisantes dans les cellules qu’il a visitées dans les postes de police et les locaux des unités spécialisées de la police nationale, ainsi que dans les cellules du pouvoir judiciaire, tant à Lima que dans les provinces. Bon nombre de ces cellules étaient privées de lumière naturelle et mal aérées et sentaient la saleté, l’urine et les eaux usées. Elles ne contenaient ni lit ni matelas et les détenus y dormaient à même le sol, avec des couvertures généralement fournies par leur famille. En outre, elles étaient exiguës ; ainsi, dans l’un des postes de police visités, des cellules d’environ 10 mètres carrés accueillaient jusqu’à sept personnes. En ce qui concerne les unités spécialisées de la police telles que la Direction des enquêtes criminelles et la Direction antidrogues, les gardés à vue pouvaient passer jusqu’à quinze jours − voire plus en cas de transfèrement d’une autre province − dans des cellules sombres, humides et froides. Dans aucun des lieux visités il n’était prévu que les détenus aient accès à une cour de promenade ou exercent une activité quelconque.

15.Dans les postes de police, les gardés à vue n’avaient rien d’autre à boire que l’eau des sanitaires, souvent insalubre, et aucune nourriture. Ils n’avaient à manger que ce que leur apportait leur famille, le cas échéant. Le Sous-Comité recommande de doter la police d’un budget lui permettant de fournir des repas et de l’eau potable aux personnes privées de liberté pendant toute la durée de leur garde à vue.

16.L’équipe du Sous-Comité a examiné les registres de la police et constaté qu’il n’était pas gardé trace des effets confisqués. Plusieurs détenus interrogés ont dit que la police leur avait volé des objets personnels tels que leur téléphone ou leur montre. Le Sous-Comité recommande que les postes de police tiennent un registre officiel des effets confisqués, signé en début et en fin de garde à vue par le détenu lui-même et par le policier responsable.

17. Le Sous-Comité recommande aux autorités péruviennes de prendre des mesures pour que les conditions de détention dans les cellules des postes de police et celles du pouvoir judiciaire soient conformes aux normes internationales et répondent aux besoins fondamentaux des personnes privées de liberté en ce qui concerne l’assainissement, la literie, la nourriture, l’eau et l’accès à des activités de loisir, compte étant tenu de la durée de séjour dans ces cellules. Il recommande en particulier la rénovation des cellules du pouvoir judiciaire et de celles qui se trouvent dans les locaux des unités spécialisées de la police, où les détenus peuvent rester plusieurs jours.

2.Examen médical

18.La loi veut que tout détenu soit examiné par un médecin de l’Institut médico-légal. Or, certains détenus interrogés par le Sous-Comité ont dit qu’ils n’avaient pas été examinés, et d’autres qu’ils n’avaient été soumis qu’à un examen rapide et superficiel effectué en présence de la police et dont les résultats avaient été communiqués à celle-ci.

19.Au cours de la visite du Sous-Comité dans les cellules du pouvoir judiciaire de Lima, quatre personnes présentant des blessures ont été accompagnées à l’infirmerie, où elles ont été soignées. Si ces blessures ont été signalées dans le registre médical, rien n’a été inscrit dans celui-ci au sujet de leur cause ni d’éventuelles mesures de suivi à prendre. Qui plus est, dans un cas, les blessures signalées étaient moindres que celles décrites sur le procès-verbal de placement en détention.

20. L’examen médical des personnes qui arrivent dans un lieu de détention et le signalement de toutes lésions constatées durant cet examen jouent un grand rôle dans la prévention de la torture et des mauvais traitements et la lutte contre l’impunité , et permettent aussi de protéger la police et le personnel pénitentiaire contre les plaintes abusives. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que l’examen médical des détenus soit effectué en privé et par un professionnel de la santé qualifié pour établir un rapport détaillé et indépendant sur les blessures physiques et psychologiques ob s ervées. Les résultats de cet examen ne doivent pas être portés à la connaissance de la police ou du personnel pénitentiaire et doivent être communiqués au détenu ou à son avocat seulement, conformément aux dispositions du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul). Le ministère public doit être informé de toutes allégations de mauvais traitements ou de tortures, qui doivent donner lieu à un examen complet de la personne privée de liberté. L’Institut médico-légal doit se doter d’une procédure conforme au Protocole d’Istanbul en ce qui concerne l’examen des personnes qui allèguent avoir subi des actes de torture ou d’autres mauvais traitements.

3.Tortures et autres mauvais traitements

21.Le Sous-Comité a reçu des témoignages de particuliers et de représentants d’organisations de la société civile au sujet d’actes de tortures et de mauvais traitements infligés lors d’interventions policières. Il a été informé que ces pratiques n’avaient pas pour but d’élucider des crimes, mais de punir et d’intimider ceux qui y étaient soumis, notamment lorsqu’elles avaient lieu dans le contexte de protestations sociales. Les méthodes utilisées étaient principalement les coups et les insultes. Le Sous-Comité a reçu des témoignages selon lesquels des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transgenres ont été victimes de menaces, d’extorsion, d’agressions et d’intimidation, y compris hors détention, pour des raisons clairement discriminatoires. Les actes signalés auraient été commis non seulement par des membres de la police nationale, mais aussi par des agents de la police communale, chargée d’assurer la sécurité des citoyens.

22.De nombreux détenus interrogés, mineurs et adultes, ont dit avoir été frappés par la police, plus ou moins gravement, au moment de leur arrestation ou pendant leur garde à vue. Certains ont affirmé qu’ils avaient été giflés ou insultés, tandis que d’autres ont rapporté avoir été roués de coups de pied ou frappés, à mains nues ou avec des matraques ou des crosses d’armes à feu, à la tête, à la poitrine et sur d’autres parties du corps, parfois après avoir été menottés. D’aucuns ont dit avoir été battus à des fins d’extorsion.

23.Le Sous-Comité a de surcroît été informé de cas dans lesquels il a été fait un usage excessif et disproportionné de la force contre des personnes privées de liberté dans le contexte de manifestations à caractère social. En particulier, il a reçu des renseignements selon lesquels des défenseurs des droits de l’homme, des dirigeants sociaux et des dirigeants de communautés paysannes ont été soumis à des actes de torture ou à des mauvais traitements après avoir été arrêtés lors de telles manifestations.

24.Le Sous-Comité a eu accès à des images filmées par le système de vidéosurveillance de la ville de Cajamarca et à des copies de dossiers pénaux dont il ressort clairement que la police a fait un usage excessif de la force lors de certaines arrestations. L’un des enregistrements montre un représentant social se faire arrêter dans la rue. L’intéressé aurait par la suite été torturé au poste de police no 1, où de graves blessures lui auraient été infligées. Un autre enregistrement montre une adolescente se faire rouer de coups de poing et de coups de pied et frapper avec une matraque jusqu’à en perdre connaissance, ainsi qu’une personne tentant de prendre des photos de l’incident se faire embarquer de force dans un véhicule de police. Dans les deux cas, le procureur de service était présent, mais n’est pas intervenu.

25.Le Sous-Comité a en outre reçu des informations selon lesquelles des sociétés de sécurité privées assurant la protection d’entreprises minières ont abusé de la force dans le cadre d’arrestations effectuées durant des manifestations à caractère social.

26. Le Sous-Comité recommande à l’État partie d’adopter des mesures permettant véritablement et en toutes circonstances de prévenir la torture et les mauvais traitements par la police, et de faire en sorte que de ces pratiques donnent lieu à des enquêtes et à des sanctions. Les autorités doivent établir des instructions claires en vue de prévenir les mauvais traitements et les actes de torture et de faire sanctionner les personnes qui commettent ce type d’actes dans le contexte de manifestations à caractère social, qu’il s’agisse des membres des forces de l’ordre ou d’employés d’entreprises de sécurité privées.

27. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures permettant véritablement de protéger les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transgenres contre les agressions, les mauvais traitements et les arrestations arbitraires par les forces de sécurité et de veiller à ce que tous les actes de violence donnent rapidement lieu à des enquêtes et à des poursuites efficaces et impartiales et à ce que les auteurs soient sanctionnés et les victimes obtiennent réparation.

B.Établissements pénitentiaires

1.Conditions de détention

a)Surpopulation et entassement

28.Le Sous-Comité a reçu des informations selon lesquelles la surpopulation est un problème récurrent dans les prisons péruviennes. Il a lui-même constaté l’existence de ce problème dans les établissements de Lurigancho, de Chiclayo, de Trujillo (prison pour hommes) et de Huacariz. L’Institut national des prisons (INPE) a fait savoir au Comité qu’il était préoccupé par le fait qu’au 9 septembre 2013, le pays comptait 66 700 personnes privées de liberté pour un taux d’occupation des prisons de 115 %. De juillet 2011 à septembre 2013, la population carcérale avait augmenté de 37 %.

29.Étant donné la surpopulation carcérale, les personnes privées de liberté n’ont pas toutes un lit. À Chiclayo, par exemple, le Sous-Comité a visité des quartiers où deux détenus partageaient un lit simple et d’autres dormaient à même le sol. Dans le quartier des femmes, une cellule comptait 17 détenues pour 12 lits ; une autre, 38 détenues pour 12 lits. La prison de Trujillo, qui a une capacité de 1 000 places, accueillait environ 3 200 détenus. Le Sous-Comité a visité le quartier A, où dans chaque cellule d’environ 30 mètres carrés étaient détenues environ 36 personnes (dont certaines âgées de plus de 70 ans) pour seulement 17 ou 18 lits. Dans les quartiers de haute sécurité, les cellules comptaient 2 lits, mais accueillaient parfois jusqu’à 6 détenus. Aucun de ces lieux n’était doté d’un espace séparé destiné aux visites conjugales.

30.De nombreux interlocuteurs, y compris l’INPE, ont soutenu que les politiques de sécurité entraînaient un recours abusif à la détention provisoire, laquelle était de surcroît fortement axée sur la punition, et qu’un nombre considérable de personnes étaient placées en détention provisoire à tort. En septembre 2013, 55 % des personnes privées de liberté au Pérou étaient des prévenus, et 45 % des condamnés. En général, ces deux catégories de détenus n’étaient pas séparées.

31.Paradoxalement, le Sous-Comité a observé qu’il n’y avait pas d’entassement, et que, de manière générale, l’administration de la prison d’Ancón II était plus rigoureuse que celle des autres établissements pénitentiaires.

32. Le Sous-Comité recommande à l’État partie : a) de revoir ses politiques de sécurité publique afin de réduire la surpopulation carcérale ; b) d’encourager les autorités judiciaires à recourir à des solutions de substitution à la privation de liberté, conformément aux normes internationales ; c) d’adopter des mesures pour que les personnes privées de liberté soient logées dans des conditions conformes aux normes internationales, notamment en ce qui concerne le cubage d’air et la surface minimum des locaux de détention , et de garantir que chaque détenu dispose de linge propre ; d) de séparer les prévenus des condamnés .

b)Conditions matérielles

33.De manière générale, le Sous-Comité a constaté une grande précarité dans les établissements visités, comme l’indiquent les exemples qui suivent.

34.À la prison de Lurigancho, le Sous-Comité s’est rendu à « La Candelaria », bâtiment de deux étages construit par les détenus eux‑mêmes qui mesure environ deux mètres sur six et où 24 détenus sont entassés sur des lits superposés sur trois niveaux. Ce bâtiment ne laisse entrer ni air ni lumière naturelle, il est humide, ses latrines sont dans un état déplorable et l’eau y stagne. À côté se trouve un bâtiment appelé « le grand frère », où 20 détenus partagent deux rangées de couchettes dans un espace d’environ trois mètres sur six. Certains détenus de Lurigancho ne peuvent pas payer pour dormir dans une cellule et couchent donc dans la cour, exposés aux intempéries.

35.À la prison de Huacariz, les cellules mesurent approximativement trois mètres sur deux et accueillent trois à cinq détenus, dont un grand nombre dorment à même le sol. L’eau potable est distribuée uniquement pendant quinze minutes le matin, et doit être conservée dans des récipients pour le reste de la journée.

36.La prison de Yanamayo, située à 3 800 mètres d’altitude, où les températures sont extrêmement basses, n’a pas de chauffage. Les espaces semi-ouverts, comme les cellules, sont couverts de sacs plastiques installés par les détenus pour se protéger tant bien que mal du froid. L’eau n’est distribuée que de 6 à 9 heures le matin et les latrines, au nombre de quatre par quartier, sont en très mauvais état et sentent mauvais. La précarité des installations électriques met en danger la sécurité des détenus.

37.Dans plusieurs des établissements pénitentiaires visités, ce sont les détenus ou leurs proches qui doivent apporter matelas, couvertures et matériel de nettoyage.

38. Le Sous-Comité prie l’État partie de procéder à une évaluation nationale des conditions matérielles dans les établissements pénitentiaires en vue de concevoir et d’appliquer des programmes réalistes de nettoyage et de rénovation, en particulier en ce qui concerne les sanitaires, les installations électriques et l’agrandissement des cellules.

c)Alimentation

39.Le Sous-Comité a constaté que la nourriture fournie par les autorités était insuffisante, peu variée et de mauvaise qualité, et était l’un des plus fréquents sujets de plainte des détenus. Dans certains lieux visités, les détenus n’étaient pas autorisés à recevoir de la nourriture de leur famille ; dans d’autres, la quantité autorisée était très limitée.

40.Le Sous-Comité recommande à l’État partie d’augmenter le nombre de contrôles de la qualité de la nourriture et de veiller à ce que les repas soient préparés de manière hygiénique et en quantité suffisante et soient nutritifs, variés et de bonne qualité.

d)Contacts avec l’extérieur

41.De nombreux détenus interrogés se sont plaints du fait que l’INPE avait réduit les horaires de visite pour des raisons de sécurité. Par exemple, dans les prisons de Chiclayo, Trujillo et Cajamarca, il n’y avait que deux jours de visite par semaine et seuls les membres de la famille proche (père, mère, enfants et époux) étaient admis au parloir. Les femmes étaient dans bien des cas soumises à une fouille intime, et le même gant était utilisé plusieurs fois. Il était fréquent que les visiteurs se voient confisquer les objets ou la nourriture apportés pour leur proche et soient traités de manière grossière et discriminatoire. Certains détenus se sont en outre plaints de ne pas avoir été autorisés à assister aux obsèques de membres de leur famille. Pour leur part, les fonctionnaires de l’INPE ont dit ne pas avoir suffisamment de moyens, notamment technologiques, pour surveiller les visites et éviter l’entrée d’objets ou de substances interdites dans les prisons.

42.Dans certaines prisons, les détenus ont dit qu’il était extrêmement rare que des organismes viennent vérifier la régularité des conditions carcérales. Si, comme suite à un incident, les représentants du Bureau du défenseur du peuple se rendaient dans une prison, ils ne visitaient pas les quartiers de détention et les détenus n’avaient pas la possibilité de les rencontrer. Le Bureau du défenseur du peuple a confirmé qu’il n’avait pas les moyens de se rendre régulièrement dans les prisons et de s’entretenir avec les personnes privées de liberté pour vérifier la régularité des conditions de détention. À l’exception de certaines, qui bénéficient de visites pastorales, les prisons ne sont pas non plus visitées par des représentants d’organisations non gouvernementales.

43.Le Sous-Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que le personnel pénitentiaire respecte les droits des visiteurs. La fouille corporelle doit obéir aux critères de nécessité, de rationalité et de proportionnalité et être réalisée dans des conditions d’hygiène adéquates par une personne qualifiée du même sexe que la personne fouillée. La fouille des parties intimes doit être interdite.

44. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de ne pas limiter le régime des visites, sauf dans les situations très exceptionnelles, et de faire en sorte que les personnes privées de liberté puissent assister aux obsèques des membres de leur famille proche.

e)Situations d’autogestion

45.À la prison de Lurigancho, l’équipe du Sous-Comité a constaté qu’il régnait une situation d’autogestion dans laquelle le contrôle des quartiers pénitentiaires était en réalité assumé par des groupes de détenus qui établissaient leurs propres règles et leur propre organisation, le gros de la population carcérale étant subordonné aux groupes dominants. En outre, toutes sortes de trafics avaient lieu ; par exemple, certains détenus payaient pour se voir attribuer la place ou le dortoir de leur choix ou bénéficier d’autres privilèges réservés aux plus nantis. Des détenus rencontrés par le Sous-Comité ont dit que l’exercice de certains droits se monnayait aussi.

46. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de surveiller attentivement les situations d’autogestion afin d’éviter les abus et la corruption dans les centres pénitentiaires et d’adopter immédiatement les mesures voulues pour assumer pleinement et efficacement le contrôle de toutes les prisons.

2.Services de santé

47.Les services de santé des établissements visités manquaient manifestement de ressources humaines et matérielles. La prison pour hommes de Chiclayo, par exemple, comptait un seul médecin pour quelque 2 440 détenus. Dans certains établissements, le médecin recevait jusqu’à 80 patients par journée de vingt-quatre heures. D’autres prisons n’avaient pas de médecin attitré, notamment la prison pour femmes de Trujillo et les prisons de Huacariz et de Yanamayo. Dans tous les établissements pénitentiaires, la pénurie de médicaments de base était la norme. Les moyens disponibles pour faire des analyses biochimiques, des radiographies et d’autres examens étant très limités, il était difficile de prévenir et de diagnostiquer les maladies. De nombreux détenus ont dit qu’ils devaient payer les surveillants ou leurs délégués pour recevoir des médicaments.

48. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que les autorités pénitentiaires et le Ministère de la santé évaluent sans tarder la situation des services de santé des établissements pénitentiaires, et d’engager dans la foulée les réformes nécessaires pour que les détenus disposent d’installations et de prestations équivalentes à celles du reste de la population. Chaque établissement pénitentiaire doit disposer des services d’un médecin au quotidien ; il est donc urgent d’affecter des médecins dans les établissements où il n’y en a pas du tout. Les prisons pour femmes doivent en outre bénéficier des services d’un gynécologue et d’un pédiatre. L’État partie doit garantir une rémunération et des conditions de travail correctes au personnel médical afin d’attirer des professionnels qualifiés. Les questions relatives à la santé en milieu carcéral ne peuvent relever de la seule responsabilité de l’INPE, et doivent aussi être traitées par le Ministère de la santé.

49.Le Sous-Comité a constaté que l’accès des détenus aux médecins spécialistes était insuffisant et supposait l’approbation préalable d’un conseil de médecins, ce qui rendait la procédure lente et compliquée. De surcroît, faire escorter les détenus à l’hôpital par des agents de sécurité créait des problèmes logistiques, auxquels s’ajoutaient des difficultés financières pour les patients qui n’étaient pas couverts par le système de santé et devaient payer les consultations et les soins de leur poche. Certains détenus ont dit qu’à cause des lenteurs administratives, certaines personnes étaient mortes en détention faute d’avoir reçu les soins spécialisés nécessaires en temps voulu.

50. Les personnes privées de liberté doivent pouvoir demander à être soignées par un professionnel de la santé en toute confidentialité, sans que les surveillants ou d’autres détenus ne filtrent leurs demandes ou n’y fassent obstacle. Tous les soins médicaux doivent être gratuits. Il faut en outre faire en sorte que les patients puissent se procurer les médicaments prescrits et subir les analyses et examens médicaux nécessaires sans retard.

51. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de modifier dans les plus brefs délais les critères d’affiliation au régime de l’assurance-maladie afin que chaque détenu ait accès à ce régime et puisse bénéficier des mêmes services que le reste de la population.

52. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de conclure des accords avec les hôpitaux afin qu’ils envoient des spécialistes dans les prisons pour y soigner les détenus.

53.À Chorrillos I, le Sous-Comité a constaté que 48 détenus étaient sous psychotropes. Or, le suivi médical de ces personnes était assuré par une infirmière, le psychiatre n’assurant que deux vacations mensuelles dans cet établissement. À la prison annexe de Chorrillos, le Sous-Comité a été informé que les autorités recourraient de manière généralisée à l’administration de psychotropes, sans évaluer l’état de santé des détenues ni soumettre celles-ci à un suivi psychiatrique.

54. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que l’état de santé des détenus qui se voient administrer des psychotropes soit suivi de près par un professionnel.

55.Le Sous-Comité a constaté que les grandes prisons manquaient considérablement de moyens pour diagnostiquer la tuberculose et en prévenir la transmission. À Lurigancho, le quartier où étaient affectés les détenus atteints de tuberculose résistante et multirésistante était dans un état déplorable.

56. Le Sous-Comité recommande que le Ministère de la santé évalue l’ampleur de l’épidémie de tuberculose dans les prisons et établisse des directives claires en vue de dépister, de diagnostiquer et de contenir la maladie et de prévenir sa transmission aux détenus, au personnel pénitentiaire et aux visiteurs. Il faut rénover le quartier de la prison de Lurigancho où sont affectés les tuberculeux, installer des appareils de radiographie des poumons dans tous les grands établissements pénitentiaires et faire en sorte que les petits établissements aient accès à des services de radiographie.

57.Le Sous-Comité a constaté que dans de nombreux cas, les examens médicaux étaient effectués en présence d’agents pénitentiaires et que, faute de personnel médical, des agents de sécurité de l’INPE étaient amenés à participer à la distribution des médicaments et avaient donc accès aux dossiers médicaux.

58. Le Sous-Comité rappelle à l’État partie que la confidentialité médicale doit être strictement respectée dans tous les lieux de privation de liberté.

59.Le Sous-Comité a constaté, en examinant les registres médicaux de Yanamayo, que les maladies respiratoires, dont la pneumonie, étaient très fréquentes. Il est indispensable de prévenir ces maladies en prenant des mesures pour faire face au froid qui règne dans la région.

3.Tenue des registres

60.Le Sous-Comité a remarqué que les informations concernant les détenus n’étaient pas consignées de la même manière d’un établissement pénitentiaire à l’autre, et qu’elles étaient la plupart du temps écrites à la main et souvent incomplètes et éparpillées dans différents registres.

61. Le Sous-Comité recommande à l’État partie : a) de redoubler d’efforts pour que soient utilisés dans l’ensemble du pays des registres informatisés identiques contenant des renseignements sur l’arrivée et la sortie des détenus, les mesures disciplinaires imposées, les décisions judiciaires et toutes autres données pertinentes ; b) de veiller à ce que les services de santé tiennent un registre de toutes les interventions médicales, ainsi que de tous les cas de maladies infectieuses, blessures traumatiques et décès ; c) de créer une base de données unique comportant des renseignements sur les détenus décédés, en vue d’adopter les politiques nécessaires en matière de santé.

4.Mauvais traitements et représailles

62.Des détenus interrogés dans les différents établissements pénitentiaires ont dit au Sous-Comité que le personnel pénitentiaire leur infligeait des mauvais traitements, notamment sous la forme d’insultes, de sanctions arbitraires et de vexations. À Yanamayo, certains ont raconté que lorsque les surveillants fouillaient les cellules, ils confisquaient des objets qui n’étaient pas interdits, tels que des casseroles, des meubles ou encore des objets d’artisanat, ou détruisaient les objets fabriqués par les détenus. Plusieurs ont dit craindre que, pendant ces fouilles, on introduise des objets interdits dans leur cellule, par exemple un téléphone portable, simplement pour pouvoir les sanctionner en guise de représailles contre des plaintes qu’ils avaient formulées.

63.Le Sous-Comité a constaté chez les détenus une peur généralisée des représailles. Certains ont dit que le seul fait de se plaindre des conditions de détention, ou même de s’entretenir avec le Sous-Comité, pouvait entraîner des représailles, notamment la fouille de leur cellule et la confiscation d’objets personnels, l’annulation de visites, des violences verbales ou physiques, ou encore le transfèrement ou la menace du transfèrement dans un établissement situé dans une région reculée où les conditions de vie sont plus dures. La menace d’un transfèrement vers la prison de Challapalca suffit à établir le contrôle sur les détenus et a un effet d’intimidation généralisé.

64.Un détenu a dit qu’il s’était plaint de mauvais traitements et de torture auprès du ministère public et que, depuis, il était constamment harcelé et osait à peine sortir de sa cellule. Le médecin qui l’avait examiné en prison avait constaté l’agression physique dont il avait été victime, mais les surveillants qui en étaient responsables travaillaient encore dans l’établissement.

65.Dans certaines prisons, le Sous-Comité a reçu des informations selon lesquelles des représailles individuelles et collectives avaient été exercées après que des détenus avaient demandé à recevoir la visite de représentants du Bureau du défenseur du peuple pour se plaindre des conditions de détention ou contacté le ministère public pour qu’il dénonce des mauvais traitements ou des actes de torture. À Yanamayo, le Sous-Comité a remarqué que les détenus étaient réticents à postuler pour le rôle de délégué car le délégué précédent avait été transféré simplement pour avoir présenté des plaintes collectives pour des motifs tels que la qualité de la nourriture.

66. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures visant à empêcher que les détenus soient maltraités par le personnel pénitentiaire, et notamment de dispenser des formations et des cours de mise à niveau réguliers sur les questions relatives aux droits de l’homme. L’État doit veiller à ce que toutes les allégations de mauvais traitement ou de torture en prison fassent l’objet d’une enquête diligente et impartiale.

67. Les détenus doivent être informés de leur droit de déposer plainte directement et confidentiellement auprès de l’autorité de tutelle de l’établissement pénitentiaire. Ce droit doit leur être notifié par écrit lors de leur mise sous écrou et être rappelé sur des affiches placées dans des endroits visibles. Les détenus qui déposent plainte, y compris pour torture ou mauvais traitements, ne doivent pas faire l’objet de représailles. Les autorités compétentes doivent tenir un registre de toutes les plaintes reçues et de la suite qui leur est donnée.

68. Le Sous-Comité engage vivement l’État partie à garantir le respect effectif de l’article 15 du Protocole facultatif, qui interdit les sanctions ou les représailles contre les personnes qui lui ont communiqué des informations.

5.Régimes de détention et mécanismes non officiels utilisés pour imposer la discipline

69.Dans les établissements pénitentiaires et les quartiers de détention sous régime ordinaire, les détenus peuvent généralement se déplacer d’une cellule à l’autre et se rendre dans la cour de promenade entre 7 heures et 16 ou 18 heures. Par contre, dans les prisons et quartiers sous régime spécial, les détenus passent la plupart de leur temps dans leur cellule. Ils ne sont autorisés à sortir qu’une à quatre heures par jour et leur droit de visite est soumis à des restrictions.

70.Le Sous-Comité a remarqué que l’application d’un régime spécial aux détenues de la prison annexe de Chorrillos, qui peuvent être enfermées vingt-trois heures sur vingt-quatre et n’être autorisées à sortir dans la cour de promenade qu’une heure par jour, a des répercussions psychiques graves (suicides, tentatives de suicide et consommation généralisée de psychotropes).

71.Le Sous-Comité a également constaté que les mesures disciplinaires (qui prennent généralement la forme d’un placement en cellule disciplinaire) étaient parfois imposées de manière arbitraire et au mépris des procédures régulières, et qu’il y avait des incohérences dans le registre des sanctions. Dans certains établissements pénitentiaires, le Sous-Comité a constaté, en consultant les dossiers administratifs, que les détenus pouvaient passer plusieurs jours en cellule disciplinaire à titre « préventif », avant la tenue d’une audience devant le Conseil technique, organe habilité à imposer pareille mesure, et qu’aucune procédure administrative n’avait jamais abouti à l’annulation d’une sanction.

72.Dans toutes les cellules disciplinaires visitées par le Sous-Comité, les conditions matérielles étaient constitutives de traitement inhumain et dégradant. À Chiclayo et à Trujillo, par exemple, les cellules disciplinaires ne contenaient pas de sanitaires, sentaient mauvais et étaient infestées de mouches ; en outre, le matériel était putréfié et de l’eau y stagnait. Dans l’annexe de la prison de Chorrillos, elles n’avaient ni aération ni lumière. Dans certains établissements pénitentiaires, les personnes enfermées dans les cellules disciplinaires ont dit s’y trouver depuis plus de trente jours.

73.À Huacariz, les deux cellules disciplinaires mesuraient environ 2 mètres sur 3 ; elles sentaient mauvais, étaient humides et sombres, et n’avaient ni fenêtre, ni éclairage électrique, ni eau. Lors de la visite du Sous-Comité, l’une d’elles était occupée depuis trente‑sept jours par 11 détenus transférés de Chiclayo. Tous les détenus de ce groupe interrogés individuellement ont dit qu’ils avaient été battus par le personnel pénitentiaire à leur arrivée, puis de nouveau trois semaines plus tard parce qu’ils refusaient de manger, ce qui était considéré comme une faute grave, après quoi ils avaient été placés en cellule disciplinaire. Ils ne sortaient que trente à soixante minutes par jour, pour aller chercher de l’eau.

74.De manière générale, les membres de l’équipe du Sous-Comité ont remarqué que le recours arbitraire aux régimes spéciaux, aux régimes de sanction et aux transfèrements participait d’un mécanisme non officiel servant à imposer la discipline hors de tout contrôle extérieur.

75. Le Sous-Comité prie l’État partie de veiller à ce que toute mesure d’ordre disciplinaire soit conforme aux garanties de procédure. L’isolement doit être exceptionnel et faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Les conditions dans les cellules disciplinaires doivent permettre le respect de l’intégrité physique et de la dignité des personnes. Les règles régissant l’imposition de sanctions disciplinaires doivent être clairement expliquées et consignées par écrit, connues tant du personnel que des détenus, et appliquées de manière transparente. La personne sanctionnée doit avoir le droit d’être entendue et de contester la mesure prise à son encontre. Les règles relatives au transfèrement doivent également être clairement définies et connues du personnel et des détenus, ce qui permettra d’éviter que cette mesure ne soit utilisée de manière abusive.

6.Particularités de la situation des femmes privées de liberté

76.Lors de sa visite à Chorrillos I et à l’annexe de la prison de Chorrillos, le Sous‑Comité a été informé que certaines femmes s’étaient vues refuser l’autorisation de garder leurs enfants de moins de 3 ans auprès d’elles au motif qu’il n’y avait pas suffisamment de place dans les cellules. Il a également été informé que l’accueil des enfants n’était pas fonction de critères clairs et objectifs. Le Sous-Comité est préoccupé par le fait que la règle régissant l’accueil des enfants dans les prisons, qui, en soi, est déjà stricte, n’est pas correctement appliquée, et constate que séparer les femmes de leurs jeunes enfants rend la privation de liberté encore plus pénible.

77.À la prison mixte de Cajamarca, le Sous-Comité a constaté que les détenues n’avaient pas accès aux activités professionnelles ou éducatives au motif que cela les mettrait en contact avec la population masculine. Il a été informé que les détenues seraient victimes d’abus sexuels commis par des membres masculins du personnel pénitentiaire.

78.Le Sous-Comité a remarqué que la loi sur l’accès aux visites conjugales était appliquée de manière discriminatoire. À la différence des hommes, les femmes étaient soumises à des formalités administratives complexes dans le cadre desquelles elles devaient notamment prouver qu’elles étaient mariées ou vivaient en couple et obtenir un avis favorable de la part de différents services pénitentiaires (juridique, psychologique, médical) ; en outre, il fallait qu’une assistante sociale fasse une visite à leur domicile. Seules 40 des 802 détenues étaient autorisées à recevoir des visites conjugales.

79. Le Sous-Comité recommande à l’État partie d’établir des mécanismes indépendants chargés de veiller à la bonne application des lois applicables et de prendre des mesures pour que les enfants de moins de 3 ans puissent être hébergés en prison aux côtés de leur mère si celle-ci le demande.

80. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de se doter d’une politique pénitentiaire tenant compte des différences entre les sexes et des besoins particuliers des femmes, conformément, notamment, aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) .

81. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de garantir l’égalité de traitement entre les détenus des deux sexes en ce qui concerne le droit à la visite conjugale en supprimant les formalités complexes que les femmes doivent accomplir.

82.Le Sous-Comité a été informé que, dans les prisons pour femmes, adultes ou mineures, les relations lesbiennes étaient considérées comme une infraction grave et qu’un simple baiser ou une embrassade pouvaient être punis par un séjour en cellule disciplinaire. Pareille sanction, qui découle d’une interprétation très large des dispositions du règlement d’application des peines concernant les actes contraires à la morale et aux bonnes mœurs, constitue un traitement inhumain et dégradant.

83. Le Sous-Comité recommande à l’État partie d’adopter des mesures pour que les femmes privées de liberté, qu’elles soient majeures ou mineures, ne fassent pas l’objet de discrimination et ne soient pas sanctionnées en raison de leur orientation sexuelle.

7.Restriction de l’aménagement des peines

84.Le Sous-Comité a constaté que la population carcérale et certaines entités relevant des pouvoirs législatif et exécutif, dont l’INPE, étaient très préoccupées par une série de règlements adoptés en 2013 visant à restreindre l’aménagement des peines. Ces textes avaient sensiblement nui au moral des détenus, de moins en moins motivés pour participer aux ateliers de travail, aux ateliers éducatifs et aux activités de réinsertion, et avaient manifestement accru les tensions et le risque de conflit dans les établissements pénitentiaires.

85.À la suite de la visite du Sous-Comité, le Pérou a promulgué, le 15 octobre 2013, la loi no 30.101 sur le champ d’application temporel des aménagements de peine, qui dispose que seuls les auteurs d’infractions commises à compter de son entrée en vigueur peuvent bénéficier d’un aménagement de peine.

86. Le Sous-Comité se félicite de l’adoption de la loi n o  30.101. Néanmoins, il est préoccupé par les règlements qui limitent l’aménagement des peines, dont il estime qu’ils ne sont pas conformes au principe de progressivité de la peine et contribuent à la surpopulation carcérale.

C.Centres de détention pour mineurs

1.Questions d’ordre général

a)Législation relative aux enfants et aux adolescents

87.Le Sous-Comité a constaté avec préoccupation que le décret-loi no 990 (2007) avait modifié le Code sur les enfants et les adolescents de telle manière que la privation de liberté primait à présent les autres formes de sanction, la disposition prévoyant que la privation de liberté devait être une mesure de dernier recours ayant été supprimée. De surcroît, la durée maximale de la peine de privation de liberté à laquelle un adolescent peut être condamné a été relevée et est passée de trois à six ans. Le fait que des adolescents soient utilisés par des organisations criminelles pour commettre des infractions ou tentent de s’échapper des centres de détention pour mineurs a contribué, entre autres facteurs, à l’élaboration récente de propositions de loi visant à durcir les sanctions en mettant l’accent sur la privation de liberté plutôt que sur la réinsertion par des mesures socioéducatives et la prévention et à abaisser l’âge de la responsabilité pénale à 16 ans.

88. Le Sous-Comité recommande à l’État partie d’harmoniser le Code sur les enfants et les adolescents et, en particulier, le décret législatif n o  990 (2007), avec les normes internationales, conformément auxquelles, en ce qui concerne les enfants et les adolescents, la privation de liberté doit constituer une mesure de dernier recours, être la plus courte possible et faire l’objet d’un contrôle régulier.

89. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de s’attacher en priorité à élaborer des politiques de prévention de la délinquance juvénile. En outre, la justice des mineurs devrait privilégier les mesures socioéducatives de réinsertion. Dans cette perspective, il faudrait que les centres de détention pour mineurs élargissent considérablement l’éventail d’activités éducatives qu’ils proposent aux adolescents.

b)Réinsertion sociale de l’adolescent en conflit avec la loi

90.Selon les informations reçues, le manque de moyens permettant de surveiller l’exécution des peines autres que la privation de liberté, par exemple le travail d’intérêt général ou la libération conditionnelle, est l’une des raisons pour lesquelles les juges sont enclins à prononcer des peines exécutables en milieu fermé. Selon les statistiques officielles, en juillet 2013, 64,74 % des adolescents en conflit avec la loi étaient placés en milieu fermé.

91. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour étendre les services d’orientation des adolescents à l’ensemble du pays afin que la privation de liberté soit utilisée en dernier recours, et de doter ces services des ressources financières et humaines nécessaires pour apporter aux adolescents en conflit avec la loi l’accompagnement dont ils ont besoin aux fins de leur réinsertion dans la société.

c)Mesures de protection dans les centres de détention pour mineurs

92.Les programmes de réinsertion sociale des adolescents reposent en théorie sur une démarche socioéducative respectueuse des droits de l’homme, mais, lors de sa visite au centre d’évaluation et de réinsertion pour garçons mineurs de Lima (Maranguita), le Sous‑Comité a remarqué que les adolescents étaient victimes de mauvais traitements, dont certains étaient constitutifs de torture. Il a également constaté l’absence de véritable mécanisme de plainte et de mesures de protection prévues par le ministère public. Lorsque les adolescents dénonçaient des mauvais traitements, le ministère public en informait les éducateurs, ce qui exposait le plaignant aux représailles.

93. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de créer des mécanismes chargés de recueillir les plaintes des victimes de mauvais traitements infligés dans les centres de détention pour mineurs. Le ministère public doit garantir la confidentialité des plaintes et veiller à ce que celles-ci donnent lieu à une enquête.

94. Le Sous-Comité recommande que des mesures soient prises pour empêcher que la police n’inflige des mauvais traitements aux mineurs et pour fournir à ces derniers l’assistance juridique dont ils ont besoin à toutes les étapes de la procédure judiciaire.

2.Conditions matérielles

95.Dans les centres de Maranguita et de Santa Margarita, le Sous-Comité a remarqué que, de manière générale, les conditions matérielles étaient acceptables. Néanmoins, à Maranguita, il a constaté qu’une des chambres du premier étage et certains sanitaires de l’aile « Domingo Savio » étaient fermés en raison de leur mauvais état. Les cellules disciplinaires étaient très humides et n’avaient pas de fenêtre, en conséquence de quoi elles étaient sombres et mal aérées ; de surcroît, elles contenaient des latrines précaires qui sentaient mauvais. En cas d’évacuation d’urgence, la vie des adolescents, en particulier ceux détenus dans les cellules nos 3 et 4, serait en danger car non seulement les portes se coinçaient, mais elles étaient fermées par trois verrous et ne pouvaient donc pas être ouvertes rapidement. À Santa Margarita, le Sous-Comité a constaté que les cellules disciplinaires étaient très petites, sans fenêtre et très sombres.

96.Quand le Sous-Comité s’est rendu au centre de Maranguita, ce dernier accueillait 732 adolescents pour une capacité de 560 places. Le centre de La Floresta, à Trujillo, accueillait 130 jeunes pour une capacité de 70 places. Dans les centres visités, le Sous‑Comité a constaté que le comportement des éducateurs envers les adolescents était inapproprié et que les professionnels tels que les enseignants, les psychologues et les psychiatres n’étaient pas en nombre suffisant. Il a également constaté que les locaux et les moyens mis à la disposition de ces professionnels étaient précaires. Le directeur du centre de La Floresta s’est plaint de l’insuffisance des infrastructures et du manque de personnel qualifié.

97. Le Sous-Comité recommande à l’État partie d’élaborer un plan d’action visant à améliorer sensiblement les infrastructures et à renforcer la formation des personnes qui s’occupent d’adolescents en conflit avec la loi. En ce qui concerne le centre de Maranguita, le Sous-Comité recommande la fermeture immédiate de l’aile réservée au programme d’intervention intensive, et en particulier des cellules disciplinaires n os  3 et 4, dont l’utilisation menace la sécurité des adolescents qui y sont détenus.

98. Le Sous-Comité recommande d’accélérer la rénovation et l ’agrandissement du centre de La Floresta afin d’y améliorer les conditions de détention et de réinsertion des adolescents.

3.Torture et mauvais traitements

99.À Maranguita, des adolescents ont dit au Sous-Comité qu’ils avaient subi des mauvais traitements au moment de leur arrestation et en garde à vue, mauvais traitements dont certains étaient constitutifs de torture. Néanmoins, les allégations les plus constantes et les plus nombreuses concernent les traitements reçus dans le cadre du programme d’intervention intensive. Des adolescents ont dit avoir été frappés par les éducateurs, et même par le directeur, à la moindre faute, ou pour s’être plaints des conditions matérielles ou des services, par exemple du mauvais état des matelas. Le Sous-Comité a constaté que dans une des ailes du centre, la salle des éducateurs contenait trois bâtons dont la forme correspondait à la description que les adolescents avaient donnée des objets avec lesquels ils étaient battus. Il a également constaté l’existence, dans cette aile, d’un local qui, selon les adolescents, était utilisé comme salle disciplinaire. Certains adolescents ont mentionné des suicides et des tentatives de suicide qui se seraient produits au cours des mois précédents. Au centre de La Floresta, les mineurs n’ont pas répondu aux questions que le Comité leur a posées au sujet de la manière dont ils étaient traités, se limitant à signaler qu’ils passaient une grande partie de la journée enfermés dans leur cellule sans rien faire. Les cellules visitées par l’équipe du Sous-Comité comportaient 24 lits pour une superficie d’environ 28 mètres carrés.

100.Si elle définit ce qui doit être considéré comme une faute disciplinaire légère, grave ou très grave, la résolution administrative no 040-2013-GG‑PJ laisse néanmoins une grande discrétion aux autorités des centres de détention pour mineurs pour ce qui est de la sanction. Dans la pratique, le programme d’intervention intensive se traduit par l’imposition de sanctions telles que l’enfermement et l’isolement des adolescents dans des cellules disciplinaires pendant des périodes allant jusqu’à quatre‑vingt‑dix jours, c’est-à-dire plus longtemps que les adultes (qui peuvent passer au maximum trente jours, prolongeables de quinze autres jours, dans ce type de cellules). Selon des adolescents interrogés à Maranguita, certains avaient passé quatre à six mois en cellule disciplinaire. La première fois que le Sous-Comité s’est rendu dans ce centre, 41 adolescents étaient en cellule disciplinaire. Certains ont dit qu’avant d’être enfermés dans ce type de cellule, les jeunes étaient traînés au sol et battus, attachés à des arbres, puis frappés à coups de verge et à coups de poing par les trois équipes de gardiens, et ce, pendant un à trois jours. Ils étaient ensuite emmenés dans une pièce sombre, où ils restaient une journée avant d’être placés en cellule disciplinaire. Le Sous-Comité a constaté des traces de coups et des hématomes sur le corps de certains des adolescents enfermés dans ces cellules, traces dont la forme montrait clairement que les coups avaient été infligés par des instruments comme des matraques ou des bâtons, ce qui corroborait les allégations des victimes. Le Sous-Comité conclut à l’existence d’une tendance dans les types de châtiments physiques infligés aux adolescents soumis au programme d’intervention intensive, châtiments qui pourraient être constitutifs de mauvais traitements, voire de torture.

101.À Santa Margarita, le Sous-Comité a reçu des informations selon lesquelles l’expression de l’homosexualité féminine était sanctionnée en tant qu’atteinte aux bonnes mœurs et les adolescentes dont on apprenait qu’elles étaient dans une relation lesbienne étaient envoyées en cellule disciplinaire. À Maranguita, le Sous-Comité n’a pas été informé de cas dans lesquels des adolescents étaient placés dans les cellules disciplinaires en raison de leur orientation sexuelle.

102. Le Sous-Comité recommande à l’État partie :

a) De créer de véritables mécanismes permettant aux adolescents de présenter des plaintes concernant tout aspect du fonctionnement du centre ou la manière dont ils sont traités sans craindre les représailles. Les plaintes doivent être examinées par une autorité indépendante habilitée à prendre des mesures correctrices ;

b) De faire en sorte que les règlements internes des centres définissent clairement les critères applicables en ce qui concerne l’imposition de sanctions disciplinaires aux mineurs. L’isolement et l’enfermement doivent être évités, et les mauvais traitements physiques doivent être totalement interdits ;

c) D’évaluer le programme d’intervention intensive et d’y apporter les modifications nécessaires pour qu’il ne soit plus axé sur la punition , mais sur la réadaptation et la réinsertion ;

d) De veiller à ce qu’aucun adolescent, fille ou garçon, ne soit soumis à des sanctions disciplinaires motivées par son orientation sexuelle ;

e) D’élaborer et d’adopter une politique de prévention des suicides dans les centres de détention pour mineurs ;

f) Concernant les allégations graves portant sur le centre de Maranguita, le Sous-Comité rappelle la recommandation qui figure dans ses observations préliminaires sur la nécessité d’adopter des mesures efficaces pour mettre fin au recours généralisé aux mauvais traitements et à la torture.

D.Établissements psychiatriques

103.Lors de la visite du Sous-Comité à l’hôpital psychiatrique Víctor Larco Herrera, les autorités hospitalières ont exprimé leur préoccupation au sujet des personnes déclarées pénalement irresponsables et condamnées par mesure de sécurité à l’hospitalisation sous contrainte, c’est-à-dire le placement et le traitement dans un centre hospitalier spécialisé ou un autre établissement à des fins thérapeutiques ou dans un souci de protection. Les autorités hospitalières estiment que lorsque, d’un point de vue médical, ces patients sont prêts à quitter l’établissement, l’internement doit cesser. Or, dans bien des cas, le juge ayant ordonné l’hospitalisation refuse d’autoriser le directeur de l’établissement à faire sortir le patient, probablement pour éviter que ce dernier ne commette une nouvelle infraction, de sorte que l’intéressé reste hospitalisé indéfiniment. En outre, il arrive fréquemment que des patients se voient imposer une période d’hospitalisation déterminée, parfois longue de plusieurs années, sans rapport avec leur situation clinique et sans qu’il soit tenu compte de la question de savoir si l’hôpital a les moyens matériels de les accueillir. Cette pratique, qui assimile la mesure de sécurité à une peine, perdure malgré la résolution du 20 septembre 2011 par laquelle la Cour supérieure de justice a limité la durée de l’hospitalisation sous contrainte dans les cas où la santé de la personne ne l’exige pas.

104. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que les juges examinent régulièrement la situation des personnes hospitalisées sous contrainte afin de garantir le droit à la liberté des patients dont l’état de santé permet la sortie.

105.Le Pérou n’est doté d’aucune loi réglementant expressément l’hospitalisation volontaire ou sous contrainte de personnes atteintes de maladies psychiatriques. Une personne peut être hospitalisée sans son consentement, généralement à l’initiative d’un membre de sa famille ou d’un médecin. La prolongation de l’internement et du traitement peut être décidée par le médecin, éventuellement après consultation des membres de la famille.

106. Le Sous-Comité recommande à l’État partie d’adopter des textes de loi protégeant le droit de libre choix du patient et définissant clairement les cas exceptionnels dans lesquels une personne peut être hospitalisée et soignée sans son consentement.

IV.Aspects relatifs au cadre juridique et institutionnel de prévention de la torture et des mauvais traitements

A.La définition de la torture en droit interne

107.La définition de la torture énoncée à l’article 321 du Code pénal ne reprend pas tous les éléments de la définition contenue à l’article premier de la Convention contre la torture en ce qu’elle ne mentionne pas les actes infligés pour « tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit ». Le Code pénal ne qualifie pas non plus les traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas des actes de torture visés à l’article 16 de la Convention.

108. L’État doit modifier son Code pénal pour y inclure une définition de la torture englobant tous les éléments énoncés à l’article premier de la Convention.

B.L’aide juridique

109.La prévention de la torture et des mauvais traitements dans les lieux de privation de liberté est une responsabilité commune aux différentes institutions chargées de l’administration de la justice. Le Sous-Comité est préoccupé par le fait que le cadre institutionnel actuel n’offre pas une protection suffisante contre de telles pratiques.

110.À la lumière des informations qu’il a reçues, le Sous-Comité constate que le système d’aide juridique présente de graves déficiences et qu’il n’est pas à même de contribuer à prévenir la torture et les mauvais traitements. Bon nombre de personnes privées de liberté interrogées ont dit que les avocats commis d’office ne faisaient rien pour défendre leurs clients, que leur nomination était purement théorique, qu’ils monnayaient parfois leurs services, auxquels du reste de nombreuses personnes n’avaient même pas accès.

111.Le Sous-Comité a été informé de ce que les rares avocats concernés par la commission d’office étaient à ce point surchargés de travail qu’ils ne pouvaient pas être efficaces. Or, si ces avocats ont à peine les moyens de défendre la cause de leurs clients, on ne saurait s’attendre à ce qu’ils dénoncent les faits de torture ou les mauvais traitements subis par ceux-ci. Selon l’un d’entre eux, interrogé à Trujillo, les conseils commis d’office ont chacun en moyenne 800 dossiers à traiter.

112. Le Sous-Comité recommande à l’État partie d’adopter des mesures permettant de renforcer sensiblement les services d’aide juridique, et en particulier d’allouer à ceux-ci suffisamment de ressources financières et matérielles pour que toutes les personnes privées de liberté puissent bénéficier d’une défense adéquate, y compris lorsqu’elles allèguent avoir été victimes d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements.

C.Le problème de l’impunité

113.Il ressort des renseignements que le Sous-Comité a reçus que les plaintes pour actes de torture ou mauvais traitements font rarement l’objet de véritables enquêtes de la part des juges et du ministère public. De manière générale, quand un détenu présente des blessures, le ministère public n’ordonne pas les examens médicaux qui permettraient de déterminer s’il a été victime de torture, et les médecins se contentent alors de procéder à un examen simple. Selon les informations reçues, il n’existe pas de registre officiel des cas de torture dans le pays, qui sont consignés dans un « sous‑registre ». En général, les enquêtes ne progressent que lorsque l’affaire est très grave (par exemple en cas de décès) ou très médiatisée ou que la famille est déterminée à faire éclater la vérité, comme c’était le cas d’un couple interrogé par le Sous-Comité, dont le fils est décédé en 2011 après avoir été roué de coups par des policiers.

114.Selon les informations reçues par le Sous-Comité, les juges et le ministère public ont tendance à ne pas considérer les faits de torture comme tels et à les qualifier de coups et blessures ou d’abus d’autorité, infractions qui emportent des sanctions de moindre gravité. De surcroît, dans bien des cas, l’établissement et la qualification des faits seraient fonction des blessures constatées dans le certificat médical, sans qu’il soit tenu compte du contexte dans lequel ces blessures se sont produites, ou découleraient d’une interprétation très restrictive des critères énoncés à l’article 321 du Code pénal. Ainsi, le Sous-Comité a eu connaissance d’une affaire dans laquelle le ministère public de Cajamarca a estimé que les fonctionnaires de l’INPE ne pouvaient pas être considérés comme une « autorité publique », et d’une autre dans laquelle le parquet a qualifié les faits de coups et blessures légers au motif que la victime ne s’était vue prescrire que quatorze jours de repos et qu’il n’avait pas été prouvé que des souffrances graves et cruelles lui avaient été infligées. Le Sous-Comité estime qu’aux fins de l’établissement de l’infraction de torture, on ne saurait mesurer l’intensité des souffrances infligées à l’aune de l’incapacité physique éventuellement causée par les actes commis, comme s’il s’agissait de coups et blessures.

115.Parmi les autres éléments qui, selon les témoignages reçus, contribuent à l’impunité, il convient de mentionner la difficulté d’identifier les responsables d’actes de torture et autres mauvais traitements, notamment ceux commis lors de l’arrestation de manifestants puisque depuis peu, les agents qui interviennent lors des manifestations agissent le visage couvert et sans porter leur plaque d’identification. Le Sous-Comité a été informé que dans certaines affaires de torture, les personnes concernées ont été menacées et intimidées, et les victimes, les membres de leur famille et leurs défenseurs ont été agressés pour avoir déposé plainte.

116.Le contexte décrit donne à penser qu’un grand nombre de cas ne sont pas signalés. Bon nombre de victimes de mauvais traitements ou d’actes de torture ne portent pas plainte, par peur des représailles ou à cause de ce qu’un procès leur coûterait, à eux ou à leur famille, notamment sur le plan financier. Le manque de crédibilité du système judiciaire, dû au fait que les rares plaintes déposées n’ont suscité pratiquement aucune réaction, contribue au fait que les mauvais traitements et actes de torture ne sont pas souvent dénoncés. D’après les informations que lui ont communiquées des victimes, des organisations de la société civile et des avocats, le Sous-Comité a l’impression que la passivité, voire l’inertie, dont le ministère public, les services d’aide juridique et les juges font preuve dans les procès pour torture ou mauvais traitements renforce le cercle de l’impunité.

117. Comme l’ont déjà fait le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme, le Sous-Comité rappelle que l’État est tenu de faire en sorte que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements donnent lieu sans délai à des enquêtes approfondies et indépendantes, que les responsables soient traduits en justice et que les victimes obtiennent une réparation appropriée, notamment sous la forme de soins de santé et de services de réadaptation. L’État partie doit en outre veiller à ce que les magistrats du siège et du parquet, les professionnels de la santé et les autres personnes qui participent aux enquêtes et à l’établissement des faits dans les cas de torture et de mauvais traitements soient dûment formés sur le Protocole d’Istanbul et les normes internationales relatives à la torture et aux mauvais traitements, en particulier en ce qui concerne la qualification des faits de torture et la réalisation d’examens médicaux spécialisés .

118. Le Sous-Comité recommande à l’État partie non seulement d’améliorer le système de dépôt de plaintes au pénal, mais aussi de renforcer les services d’inspection de la police afin qu’ils puissent mener des enquêtes indépendantes sur les cas de tortures et de mauvais traitements et imposer les sanctions disciplinaires voulues aux responsables.

119. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de condamner catégoriquement la torture au plus haut niveau de sa hiérarchie et de déclarer qu’il ne la tolérera en aucune circonstance. Ce message de « tolérance zéro » de la torture et des mauvais traitements doit être rappelé régulièrement à tous les agents des forces de sécurité et à tous les membres du personnel pénitentiaire, par exemple dans le cadre de la formation professionnelle.

120. Compte tenu des lacunes observées en ce qui concerne la protection des personnes détenues en milieu carcéral, le Sous-Comité estime qu’il y a lieu d’instaurer la fonction de juge de l’application des peines et de la surveillance des conditions de détention, comme le Bureau du défenseur du peuple et certains secteurs de la magistrature l’ont déjà proposé.

D.Le problème de la corruption

121.Le phénomène de la corruption, dont l’INPE lui-même reconnaît l’existence, concerne l’ensemble du système de privation de liberté et touche tous ses acteurs : le personnel pénitentiaire − même haut placé −, les personnes privées de liberté et les personnes extérieures. La corruption crée un système relationnel dans lequel tous les aspects de la vie quotidienne des détenus peuvent donner lieu à un échange d’argent. Se monnayent, par exemple, la réception de nourriture de l’extérieur pour compléter une alimentation insuffisante ; l’accès à différents quartiers ou cellules ; l’obtention d’un travail rémunéré ; les communications avec l’extérieur, en particulier avec la famille, au parloir ou par téléphone ; la gestion des formalités liées aux aménagements de peine ; et l’accès aux soins médicaux. On peut aussi payer pour éviter la mise à l’isolement et le placement en cellule disciplinaire.

122.Dans les établissements pénitentiaires visités, tout a un prix. Une exception a été constatée dans certaines prisons pour femmes, où les détenues ont dit que la seule chose qu’elles devaient payer, c’était une forme de taxe leur permettant d’être rémunérées pour leur travail ; ainsi que dans le quartier des femmes de la prison d’Ancón II. Apparemment, la direction de cet établissement lutte contre la corruption et s’emploie à limiter les pratiques qui la rendent possible, et notamment la possession d’argent par les détenus. Les détenus du quartier pour étrangers ont néanmoins signalé que le personnel pénitentiaire leur faisait indûment payer certaines choses.

123.Des pratiques constitutives de corruption ont également été signalées par des personnes détenues dans des établissements non pénitentiaires. Certaines personnes détenues dans les cellules du palais de justice de Lima ont ainsi dit au Sous-Comité que, moyennant une somme d’argent, il était possible d’être envoyé dans un établissement pénitentiaire proche de sa famille et de son domicile. Dans les postes de police, certains détenus se sont plaints de ce que des policiers leur avaient volé de l’argent et des effets personnels, et le Sous-Comité a lui-même été témoin d’un incident de ce type.

124.Le Sous-Comité estime que la corruption et la pratique de la torture et des mauvais traitements sont liées en ce que ce sont deux phénomènes indépendants, mais qui se renforcent mutuellement. On devient corrompu sous la contrainte, et on corrompt pour échapper aux abus (par exemple, pour éviter les transfèrements ou les sanctions). Ceux qui n’entrent pas dans cette dynamique font l’objet de discrimination et sont plus vulnérables aux mauvais traitements. La corruption assure le silence, empêche la dénonciation et garantit l’impunité. Lorsqu’elle est aussi profondément ancrée et étendue que celle qui a été observée, elle n’épargne personne et n’offre aucune issue, d’autant que les salaires peu élevés des fonctionnaires contribuent à l’exacerber.

125.Le Sous-Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles les autorités judiciaires méconnaissent la corruption, voire y sont indifférentes. Cette attitude entraîne notamment l’absence de contrôles approfondis, en particulier de la part du ministère public qui, en tant que garant des droits des personnes privées de liberté, est l’organe chargé de lutter contre ce phénomène.

126.Compte tenu de l’ampleur de la corruption et de son enracinement dans la société, il faudra, si l’on veut véritablement changer les choses, faire preuve d’un engagement politique sans faille et adopter une démarche proactive et globale. Le Sous-Comité prend note avec intérêt des mesures proposées par l’INPE pour lutter contre la corruption et est convaincu qu’elles peuvent être appliquées. Il souhaite néanmoins rappeler les éléments suivants : a) aucune solution ne fonctionnera sans un renouvellement complet du personnel pénitentiaire et policier, supérieurs hiérarchiques compris ; b) il se peut que de nombreux fonctionnaires intègrent le futur système, mus par un respect nouveau des règles déontologiques, mais bon nombre de candidats devront faire l’objet d’une enquête administrative impartiale et, éventuellement, être licenciés.

127. Le Sous-Comité recommande à l’État partie :

a) D’adopter et d’appliquer une politique ferme et transparente de « tolérance zéro » à l’égard de la corruption dans le cadre de laquelle il s’attaquera aux conditions structurelles qui favorisent ce phénomène ;

b) De former les agents de police et les membres du personnel pénitentiaire comme il se doit en ce qui concerne la lutte contre la corruption et de revoir leurs conditions salariales afin qu’ils soient dûment rémunérés ;

c) D’adopter des mesures visant à augmenter les moyens de contrôle dont dispose la société civile afin de renforcer l’application du principe de responsabilité ;

d) De mener des campagnes de sensibilisation à l’intention de la police, du personnel pénitentiaire et du grand public afin de leur faire prendre conscience des conséquences négatives de la corruption dans les lieux de détention et de la nécessité de combattre ce phénomène ;

e) D’enquêter sur les allégations de corruption et de transmettre les renseignements pertinents au ministère public lorsqu’une infraction est soupçonnée ;

f) D’adopter un plan d’action assorti de mesures, d’échéances et d’objectifs concrets aux fins de l’application des recommandations formulées ci-dessus.

Annexes

Annexe I

[Espagnol seulement]

Lista de las personas con quienes se reunió el Subcomité

A.Autoridades

•Juan Jiménez Mayor, Presidente del Consejo de Ministros

•Daniel Figallo, Ministro de Justicia y Derechos Humanos

•José Ávila Herrera, Viceministro de Derechos Humanos y Acceso a la Justicia

•Fredy Otárola, Presidente del Congreso de la República

•Juan Carlos Eguren Neuenchwander, Presidente de la Comisión de Justicia y Derechos Humanos del Congreso de la República

•Johnny Cárdenal Cerrón, Presidente de la Comisión de Presupuesto del Congreso de la República

•María Soledad Pérez Tello, Congresista, integrante de la Comisión de Justicia y Derechos Humanos del Congreso de la República

•José Luis Pérez Guadalupe, Presidente del INPE

•Oscar Ayzanoa Vigil, Miembro del Consejo Nacional Penitenciario, INPE

•Alejandro Juan Delgado Gutiérrez, Director de Derechos Fundamentales para la Gobernabilidad, Ministerio del Interior

•Luis Aragonés, Técnico de la Dirección de Salud Mental, Ministerio de Salud

•Janet Luna Muñoz, Gerente de Centros Juveniles, Poder Judicial

•Jenny Cerna, Coordinadora, Gerencia de Centros Juveniles, Poder Judicial

•Jesús Manuel Galarza Orrilla, Presidente de la Sala Suprema de Guerra, Fuero Militar Policial

•Cristina Eguiguren, Directora del Hospital Psiquiátrico Larco Herrera

•Manuel Estuardo Luján Túpez, Juez de la Corte Superior de Justicia de La Libertad

•Salvador Herencia Carrasco, Asesor de Derechos Humanos y Acceso a la Justicia, Ministerio de Justicia y Derechos Humanos

•Ana Rosa Valdivieso Santa María, Directora de Derechos Humanos, Ministerio de Relaciones Exteriores

•Gonzalo Bonifaz Tweddle, Subdirección de Derechos Humanos, Ministerio de Relaciones Exteriores

•Eduardo Vega Luna, Defensor del Pueblo

•Gisella Vignolo Huamaní, Defensora del Pueblo Adjunta

•Malena Pineda Ángeles, Jefa de Programa, Defensoría del Pueblo

•César Cárdenas, Jefe de Programa, Defensoría del Pueblo

•Julio Hidalgo Reyes, Jefe de la Oficina Defensorial de Lambayeque

•José Luis Agüero Lovatón, Jefe de la Oficina Defensorial de La Libertad

•Agustín Moreno Díaz, Jefe de la Oficina Defensorial de Cajamarca

B.Naciones Unidas

• Rebeca Arias, Coordinadora Residente de las Naciones Unidas

C.Organismos de la sociedad civil

•Amnistía Internacional

•Asociación Pro Derechos Humanos (APRODEH)

•Comisión Episcopal de Acción Social (CEAS)

• Comisión de Derechos Humanos (COMISED)

•Coordinadora Nacional de Derechos Humanos (CNDDHH)

•Fundación Ecuménica para el Desarrollo y la Paz (FEDEPAZ)

•Instituto de Defensa Legal (IDL)

•Grupo de Formación e Información para el Desarrollo Sostenible, Cajamarca (GRUFIDES)

•Centro de Desarrollo Humano, Puno (CEDER)

•Derechos Humanos y Medio Ambiente, Puno

Annexe II

[Espagnol seulement]

Lugares de privación de libertad visitados

A.Establecimientos pertenecientes al INEP

•Establecimiento penitenciario de Lurigancho

•Establecimiento penitenciario de Mujeres Chorrillos I

•Establecimiento penitenciario de Mujeres Chorrillos II Anexo

•Establecimiento penitenciario de Ancón II

•Establecimiento penitenciario Huacariz en Cajamarca

•Establecimiento penitenciario de Chiclayo

•Establecimiento penitenciario Yanamayo en Puno

•Establecimiento penitenciario de Trujillo (varones)

•Establecimiento penitenciario de Trujillo (mujeres)

B.Establecimientos policiales

•Comisaría La Pascana de Comas (Lima)

•Comisaría Laura Caller de Los Olivos (Lima)

•Comisaría César Llatas (Chiclayo)

•Comisaría del Norte (Chiclayo)

•Comisaría I de Cajamarca

•Comisaría II de Cajamarca

•Comisaría I en Puno

•División Anti-Drogas, DIVANDRO (Lima)

•División de Investigación Criminal, DIVINCRI (Chiclayo)

•División Anti-Drogas, DIVANDRO (Puno)

•División de Investigación Criminal, DIVINCRI (Lima)

C.Establecimientos del Poder Judicial

•Centro Juvenil de Diagnóstico y Rehabilitación Maranguita (Lima)

•Centro Juvenil de Diagnóstico y Rehabilitación (Trujillo)

•Centro Juvenil de Diagnóstico y Rehabilitación Santa Margarita (Lima)

•Carceleta del Palacio de Justicia (Lima)

•Carceleta del Tribunal Superior de Justicia (Trujillo)

•Carceleta del Poder Judicial de Puno

D.Establecimientos de rehabilitación de personas con drogodependencias

•Casa de la Juventud (San Juan de Lurigancho, Lima)

E.Instituciones psiquiátricas

•Hospital psiquiátrico Víctor Larco Herrera (Lima)