Nations Unies

CAT/C/65/D/841/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 janvier 2019

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 841/2017 * , **

Communication présentée par :A. M., représenté par un conseil

Au nom de :Le requérant

État partie :Suisse

Date de la requête :4septembre 2017 (lettre initiale)

Date de la présente décision:15novembre 2018

Objet :Déportation vers la République démocratique du Congo

Question(s) de procédure :Épuisement des voies de recours internes

Question(s) de fond :Risque de torture

Article de la Convention :3

1.1Le requérant est un citoyen de la République démocratique du Congo né le 2 janvier 1975. Il a déposé une demande d’asile en Suisse, mais sa requête a été rejetée le 27avril 2017. Il fait l’objet d’une décision de renvoi vers la République démocratique du Congo et considère qu’un tel renvoi constituerait une violation, par la Suisse, de l’article3 de la Conventioncontre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par M. Ange Sankieme Lusanga.

1.2Le 6 septembre 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de ne pas donner suite à la demande de mesures provisoires du requérant.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a travaillé pour l’Agence nationale de renseignements congolaise dès avril 2001, et ce jusqu’à son départ du pays, en mars 2012. Il est également membre de l’Armée de résistance populaire, mouvement politique du général-major Benoît Faustin Munene, qui vit en exil au Congo.

2.2Dans le cadre de ses activités pour l’Agence nationale de renseignements, le requérant a été affecté au cabinet de l’administrateur général, en qualité d’assistant chargé des territoires occupés à l’époque de la guerre. En 2002, il a été transféré à la direction du contre-espionnage en qualité de chef de bureau d’exploitation.Entre 2004 et 2009, il a été affecté à l’aéroport de N’Djili, comme chef d’équipe chargé de contrôle dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants. Il a également effectué des tâches de renseignement général.

2.3Le requérant est entré en Suisse le 24 mars 2012, muni d’un visa, dans le cadre d’une procédure de regroupement familial pour y rejoindre son épouse, également de la République démocratique du Congo et détentrice d’un permis de séjour suisse. Toutefois, en raison de sa séparation d’avec son épouse, le Service de la population du canton de Vaud a révoqué son permis de séjourle 17 décembre 2014. Le divorce a été prononcé en Suisse le 13 août 2015. Le 17 septembre 2015, le Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours du requérant contre la décision du Service de la population et confirmé le non-renouvellement de son permis de séjourainsi que son renvoi de Suisse.

2.4Le 4 avril 2017, le requérant a déposé une demande d’asile en Suisse. Le 17 mai 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté sa demande, après audition. Bien qu’il n’ait pas remis en question le parcours du requérant au sein de l’Agence nationale de renseignements, le Secrétariat a conclu que ce dernier n’avait jamais été exposé à des mesures de persécution avant son départ deRépublique démocratique du Congo ; qu’il avait résidé à Kinshasa jusqu’en mars 2012, après avoir exercé différentes fonctions au sein de l’Agence, sans avoir eu de problèmes personnels directs avec les autorités pendant ces années-là ;que les fonctions exercées au sein de l’Agence nationale de renseignements n’avaient pas revêtu un caractère sensible ; et qu’il n’avait jamais été actif politiquement en République démocratique du Congo ni exercé d’activités contre le Gouvernement. Le Secrétariat a en outre noté que le requérant avait pu renouveler son passeport auprès du consulat de la République démocratique du Congo à Genève sans aucun souci le 2 décembre 2015, ce qui constituait un indice supplémentaire permettant de conclure à l’absence de risque concret de persécution.

2.5Le Secrétariat d’État aux migrations a par ailleurs considéré que l’allégation du requérant selon laquelle les autorités congolaises avaient visité son domicile trois mois après son départ de la République démocratique du Congo était vraisemblable mais peu crédible, dans la mesure où cette visite était restée sans suite et où le requérant ne l’avait pas mentionnée lors de son audition initiale.

2.6En ce qui concerne ses activités politiques en Suisse, le Secrétariat d’État aux migrations a conclu que le requérant n’avait pas occupé de poste à responsabilité ni participé à des activités politiques en lien avec la République démocratique du Congo susceptibles de constituer un facteur de risque. Par ailleurs, le Secrétariat a relevé qu’il n’était pas avéré que les autorités de la République démocratique du Congo soient au courant de l’adhésion du requérant à l’Armée de résistance populaireaprès sa fuite de ce pays, ses activités en Suisse devant être qualifiées de marginales et peu exposées.

2.7Le Secrétariat d’État aux migrations a en outre relevé que le requérant avait vécu à Kinshasa jusqu’à l’âge de 37 ans, et qu’il y avait travaillé à partir de 2001 pour le compte de l’Agence nationale de renseignements sans avoir jamais eu de démêlésavec les autorités ; qu’il disposait d’un réseau familial, notamment ses frères et sœurs et sa mère, qui pourraient lui apporter un soutien en cas de retour ; qu’il était sans enfant à charge ; et qu’il n’avait pas fait état de problème de santé. Pour ce qui est de la situation générale prévalant en République démocratique du Congo, le Secrétariat a souligné qu’hormis les zones de conflits situées principalement dans l’est du pays, théâtre d’actions de différents groupes armés ainsi que d’opérations des forces armées gouvernementales contre des opposants, la République démocratique du Congo n’était pas en guerre ou en proie à une guerre civile ou à des violences généralisées.

2.8Le requérant a présenté un recours contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations. Le 26 juin 2017, le Secrétariat a communiqué un avis au Tribunal administratif fédéral, qui a été interprété comme valant communication du retour du requéranten République démocratique du Congo. Sur cette base, le Tribunal a rendu une décision de radiation en date du 3 juillet 2017. Le 5 juillet 2017, le Secrétariat a toutefois communiqué au Tribunal que le requérant n’avait pas quitté la Suisse. Par décision incidente du 6 juillet 2017, le Tribunal a donc annulé la décision de radiation et rouvert la procédure de recours.

2.9Le 21 août 2017, le Tribunal administratif fédéral a confirmé la décision du Secrétariat d’État aux migrations et exigé le renvoi du requérant en République démocratique du Congo. Par ailleurs, l’attestation du 10 mars 2017 signée par le général Mutene n’a pas été jugée de nature à emporter la conviction du Tribunal quant à l’existence d’un risque de persécution du requérant en raison de ses activités politiques en Suisse postérieures à son départ de République démocratique du Congo. Le Tribunal a en effet estimé que le contenu de l’attestation et les circonstances qui entouraient sa délivrance démontraient qu’il s’agissait d’un document de complaisance, établi à la demande du mandataire du recourant, dans la seule perspective de la procédure d’asile en Suisse, et que la pièce était donc dépourvue de force probante.

2.10Le Tribunal administratif fédéral a également considéré l’argument du requérant selon lequel le nom et la qualité d’une quatrième personne ayant assisté à l’audition du 27 avril 2017 ne lui étaient pas connus. Le Tribunal a constaté qu’outre le requérant, étaient présentes la personne chargée de l’audition, la personne responsable de la saisie informatique du protocole et la représentante des œuvres d’entraide. Pour le Tribunal, le fait que le requérant ignorait le nom et la qualité de l’un des intervenants – ce qui est douteux dans la mesure où, selon le procès-verbal, tous les intéressés s’étaient présentés – n’était pas susceptible de conduire à l’annulation de la décision attaquée. En effet, l’absence de cette information n’induit aucun désavantage pour le requérant et est sans incidence sur la procédure d’asile. Enfin, le Tribunal a considéré que le requérant ne saurait être de bonne foi en se prévalant du vice allégué uniquement au stade de la procédure de recours, alors qu’il lui aurait été loisible de l’invoquer directement lors de l’audition sur les motifs ou immédiatement après.

2.11Le 29 août 2017, le requérant a introduit une demande de réexamen sur la base de faits nouveaux. Il a invoqué la présence d’une quatrième personne lors de l’audition du 27 avril 2017, sans relever son nom ou sa qualité. En outre, le fait que le requérant ait séjourné plus de 80 jours au centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe, alors que le délai légal maximum est de 60 jours, devait être justifié. Enfin, c’était deux juges du même parti politique suisse, du même canton et de la même cour du Tribunal administratif fédéral qui avaient statué sur le recours contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations du 17 mai 2017, ce qui mettait en question leur neutralité, impartialité et indépendance. Le 20 septembre 2017, le requérant a transmis au Secrétariat la copie d’un avis de recherche daté du 14 décembre 2016, établi par l’Agence nationale de renseignements à l’intention de toutes ses directions opérationnelles, et dans lequel était déclaré que le requérant était recherché pour désertion.

2.12Le 29 septembre 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté la demande de reconsidération, en jugeant que le requérant ne faisait valoir aucun élément nouveau et que les arguments avancés ne changeaient en rien l’appréciation de l’autorité quant à la non-pertinence de ses motifs d’asile, lesquelles n’avaient d’ailleurs pas été examinés sous l’angle de la vraisemblance. Le Secrétariat a constaté que le Tribunal administratif fédéral avait pris position sur l’argument de la présence d’une quatrième personne à l’audition, mais avait toutefois précisé que cette personne avait été présentée oralement au requérant et qu’il s’agissait d’un collaborateur du Secrétariat, cosignataire de la décision rendue. Le Secrétariat a également rappelé que la durée légale dans un centre d’enregistrement et de procédure était de 90 jours. Quant aux critiques du mandataire du requérant concernant les juges ayant statué sur le recours du requérant, le Secrétariat a indiqué qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer.

2.13En ce qui concerne l’avis de recherche présenté comme nouveau moyen de preuve, le Secrétariat d’État aux migrations a observé qu’il n’avait pas été mentionné durant les auditions des 6 et 27 avril 2017, alors même qu’il était daté de décembre 2016. Par ailleurs, le Secrétariat a constaté qu’il s’agissait de la copie d’un document aisément falsifiable dont l’authenticité ne pouvait être admise. Pour le Secrétariat, ce document n’était pas à lui seul de nature à renverser l’issue de la cause et à justifier des mesures d’instruction.

2.14Le 12 octobre 2017, le requérant a introduit un recours contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations et a demandé des mesures provisionnelles. En particulier, il a allégué que dans la mesure où le Secrétariat avait considéré que l’avis de recherche joint à son dossier était faux, il lui incombait de prouver cette allégation et de réaliser les vérifications nécessaires en ce sens. À cet égard, une expertise judiciaire aurait pu être ordonnée. Pour ce qui est de l’affirmation du Secrétariat selon laquelle le requérant n’avait pas produit cet avis de recherche en temps utile, le requérant a soumis l’avoir transmis dès qu’il en avait eu connaissance, soit le 19 septembre 2017.

2.15Par décision incidente du 17 octobre 2017, le Tribunal administratif fédéral a admis la demande de mesures provisionnelles du requérant et l’a autorisé à séjourner en Suisse jusqu’à la fin de la procédure. La procédure de recours est toujours pendante.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant allègue que son renvoi en République démocratique du Congo violerait l’article 3 de la Convention. En République démocratique du Congo, les déserteurs de l’Agence nationale de renseignements sont considérés comme des traîtres. À ce titre, le requérant risque la peine de mort et/ou des traitements inhumains et dégradants. Pour permettre sa sortie du territoire et son départ pour la Suisse, l’Agence lui avait remis une autorisation de sortie valable un mois. Cette autorisation ayant expiré, le requérant sera donc considéré comme traître à son retour, d’autant plus qu’il est l’un des membres de l’Armée de résistance populaire les plus proches du général Munene.

3.2En République démocratique du Congo, les défenseurs des droits de l’homme sont réprimés, arrêtés et même tués, et la situation politique en République démocratique du Congo est actuellement tendue à cause de l’échec des négociations politiques entre le pouvoir et l’opposition. Ces faits sont étayés par plusieurs rapports et diverses sources des droits de l’homme qui dénoncent les violations massives et graves par les services de sécurité congolais des droits des défenseurs des droits de l’homme.

3.3Un éventuel renvoi de Suisse présente donc un risque réel sur la vie du requérant. Ce risque est d’autant plus regrettable qu’il résulterait d’une décision adoptée sur la base de la supposition que l’un des documents soumis serait faux, alors même qu’aucune vérification n’a été réalisée à cet égard. Dans ce genre de situation, l’État partie réalise en général des instructions complémentaires, notamment par l’entremise de la représentation diplomatique suisse dans le pays d’origine du requérant. Rien n’a été fait en ce sens dans le cas de l’auteur, alors même qu’il aurait convenu d’essayer d’éclaircir la situation et de dissiper tout doute raisonnable sur l’implication directe du général Munene dans le cas d’espèce.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 1er mars 2018, l’État partie a soumis des observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il y a rappelé les faits et les procédures engagées par le requérant en Suisse pour obtenir l’asile, noté que les autorités compétentes en matière d’asile avaient dûment pris en considération les arguments du requérant, et déclaré que laditecommunication ne contenait aucun élément nouveau susceptible d’infirmer les décisions des autorités compétentes.

4.2Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, l’État partie considère que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes disponibles. Avant le dépôt de sa communication auprès du Comité, le requérant a présenté une demande de reconsidération auprès du Secrétariat d’État aux migrations et a soumis un élément nouveau consistant en un avis de recherche daté du 14 décembre 2016. La procédure de recours contre la décision négative du Secrétariat est pendante devant le Tribunal administratif fédéral et le requérant est autorisé à séjourner en Suisse jusqu’à droit connu dans cette procédure. De plus, du fait que le requérant n’a, à aucun moment de la procédure d’asile, indiqué l’existence du nouvel élément, alors même qu’il est daté du 14 décembre 2016, les autorités nationales n’ont pas pu examiner ce moyen de preuve avant l’introduction de la présente communication auprès du Comité.

4.3Sur le fond, l’État partie rappelle qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence dans l’État intéressé d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Concernant l’observation générale no 1 du Comité (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, l’État partie ajoute que l’auteur devrait établir l’existence d’un risque « personnel, actuel et sérieux » d’être soumis à la torture en cas de retour dans le pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il doit y avoir d’autres motifs pour qualifier le risque de torture de « sérieux » (voir observation générale no 1, par. 6 et 7). Les éléments suivants doivent être pris en compte à cet égard : preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, dans le pays d’origine ; allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et preuves indépendantes à l’appui de celles-ci ; activités politiques de l’auteur à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine ; preuves de la crédibilité de l’auteur ; et incohérences factuelles dans les affirmations de l’auteur (ibid., par. 8).

4.4Pour ce qui est de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, l’État partie fait valoir que cela ne constitue pas en soi un motif suffisant de croire qu’un individu serait victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit établir si le requérant risque « personnellement » d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. D’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, au sens du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, de « prévisible, réel et personnel ». Le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons (voir l’observation générale no 1, par. 6).

4.5En ce qui concerne la situation générale prévalant en République démocratique du Congo, le Tribunal administratif fédéral a constaté dans son arrêt du 21 août 2017 que malgré des troubles et affrontements locaux qui surgissaient épisodiquement, ce pays n’était pas en guerre ou en proie à une guerre civile ou à des violences généralisées sur l’ensemble de son territoire, ce qui permettrait d’emblée – et indépendamment des circonstances du cas d’espèce – de présumer, à propos de tous les requérants provenant de cet État, l’existence d’une mise en danger concrète. En outre, la situation générale dans le pays ne saurait, à elle seule, constituer un motif suffisant pour conclure que le requérant risque d’être victime de torture à son retour dans ce pays. Or, il ressort des développements subséquents que le requérant n’a pas apporté d’éléments permettant de conclure qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo.

4.6Pour ce qui est des allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et de l’existence de preuves indépendantes à ce sujet, l’État partie souligne que les États parties à la Convention ont l’obligation de tenir compte de telles allégations pour évaluer le risque pour le requérant concerné d’être soumis à la torture en cas de renvoi dans son pays d’origine (voir l’observation générale no 1, par. 8 b). L’État partie rappelle que le requérant ne fait pas valoir avoir subi de torture ou de mauvais traitements dans son pays d’origine. Il a vécu à Kinshasa jusqu’à l’âge de 37 ans et y a travaillé à partir de 2001 pour le compte de l’Agence nationale de renseignements, sans avoir jamais eu de démêlésavec les autorités de son pays.

4.7En ce qui concerne les activités politiques du requérant dans son pays d’origine, l’État partie note que, selon ses déclarations, le requérant n’a jamais été actif politiquement en République démocratique du Congo et qu’il n’a pas non plus exercé d’autres activités contre le Gouvernement. De plus, il convient de souligner que les fonctions exercées par le requérant au sein de l’Agence nationale de renseignements ne revêtent pas un caractère sensible.

4.8Pour ce qui est des activités politiques du requérant en Suisse, l’État partie fait valoir que, selon les déclarations du requérant, l’Armée de résistance populaire,à laquellele requérant a adhéré fin 2015, compte une vingtaine de membres en Suisse,lesquels se réunissent dans un bar à Lausanne ou chez le responsable en Suisse. Le requérant n’a pas démontré que les autorités de la République démocratique du Congosoient au fait de son adhésion au mouvementaprès son départ de ce pays. De plus, ses activités politiques en Suisse ne permettent pas de conclure qu’il ait actuellement un poste à responsabilité au sein du mouvement susceptible d’inquiéter les autorités congolaises,ces activités devant être qualifiées de marginales et de peu exposées.

4.9En ce qui concerne l’attestation signée par le général Munene, le requérant a déclaré qu’il n’aurait pas entrepris de démarches pour obtenir cette attestation. Il aurait juste informé son mandataire dans la procédure interne, qui est le neveu du général et membre de l’Armée de résistance populaire en Suisse, qu’il était en danger. Celui-ci l’aurait informé qu’il téléphonerait au général pour l’en aviser. L’attestation du général serait arrivée à l’adresse du mandataire, comme l’atteste le procès-verbal d’audition du 27 avril 2017. Comme le Tribunal administratif fédéral l’a constaté, l’attestation et les circonstances qui entourent sa délivrance démontrent qu’il s’agit d’un document de complaisance, établi à la demande du mandataire du requérant, dans la seule perspective de la procédure d’asile en Suisse. L’attestation est donc dépourvue de force probante. Le requérant n’a d’ailleurs pas démontré qu’il entretenait des rapports étroits avec le général Munene autrement que par le truchement de son mandataire, qui est un parent dudit général. Au regard de l’ampleur très limitée des activités politiques du requérant en Suisse, il n’existe par conséquent pas de motifs sérieux de croire que celui-ci risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo.

4.10En ce qui concerne la crédibilité du requérant et la cohérence des faits rapportés, il ressort notamment des décisions des autorités nationales en matière d’asile que les déclarations du requérant ne permettent nullement de conclure qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo. En premier lieu, le requérant a de nouveau soumis devant le Comité qu’il serait déserteur de l’Agence nationale de renseignements et dès lors considéré comme traître.Cet argument ne remet pas en question les décisions des autorités nationales. En fait, le parcours du requérant au sein de l’Agence n’a pas été remis en question par le Secrétariat d’État aux migrations. En revanche, il a été conclu qu’il ne ressortait pas des déclarations du requérant que celui-ci aurait été exposé après son départ de République démocratique du Congo à des mesures de persécution pertinentes. Le Tribunal administratif fédéral a suivi les conclusions du Secrétariat en statuant que les allégations, toutes générales, selon lesquelles les déserteurs de l’Agence seraient considérés comme traîtres et risqueraient la peine de mort en cas de retour en République démocratique du Congon’étaient pas de nature à rendre vraisemblable l’existence, in casu, d’un risque concret de persécution du requérant. Ainsi, l’argument avancé par le requérant concernant son passé à l’Agence ne remet pas en question les décisions des autorités nationales.

4.11En ce qui concerne la visite domiciliaire que les autorités auraient prétendumenteffectuée après le départ du requérant de République démocratique du Congo, il convient de relever que cette visite,pour autant qu’elle puisse être qualifiée de vraisemblable en l’absence de tout indice concret attestant de son existence, est restée sans suite. De plus, bien qu’invité à plusieurs reprises à se prononcer lors de l’audition du 27 avril 2017 sur les conséquences du non-respect de son autorisation de sortie, le requérant n’a pas spontanément fait référence à la venue des autorités à son ancien domicile. Il ne s’est prévalu d’aucun motif convaincant pour expliquer cette omission. La crédibilité de ces déclarations est donc sujette à caution sur ce point.

4.12S’agissant du grief en vertu duquel le requérant reproche aux autorités nationales de n’avoir pas entrepris des mesures d’instruction complémentaires par l’entremise de la représentation diplomatique suisse en République démocratique du Congo, il convient de souligner que de telles mesures ne sont pas diligentées d’office, contrairement à ce que prétend le mandataire du requérant. Dans le cas d’espèce, de telles investigations ne se justifiaient pas. En effet, il ressort suffisamment clairement du dossier que le requérant n’a pas exercé de fonctions sensibles au sein de l’Agence nationale de renseignements et qu’il n’a pas non plus déployé, après son départ de République démocratique du Congo, une activité politique susceptible de lui nuire en cas de retour au pays.Le fait qu’il ait été en mesure en décembre 2015 de renouveler sans difficulté son passeport auprès du consulat de la République démocratique du Congo à Genève constitue un indice supplémentaire permettant de conclure à l’absence de risque concret de persécution.

4.13En résumé, il ne ressort de la communication aucun élément concret rendant crédible l’affirmation selon laquelle le requérant serait exposé à un danger prévisible, personnel et réel de se voir soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention en cas de renvoi en République démocratique du Congo.

4.14Enfin, il convient de signaler que suite à sa demande de reconsidération du 29 août 2017, le requérant a transmis au Secrétariat d’État aux migrations par courriel du 20septembre 2017 la copie d’un avis de recherche daté du 14 décembre 2016. L’État partie s’étonne que durant ses auditions des 6 et 27 avril 2017, le requérant n’ait à aucun moment indiqué l’existence de ce document, alors même qu’il est daté du 14 décembre 2016. Par ailleurs, il s’agit de la copie d’un document aisément falsifiable. À elle seule, cette pièce n’est pas de nature à renverser l’issue de la cause.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 12 juin 2018, le requérant a transmis des commentaires relatifs aux observations de l’État partie.

5.2En ce qui concerne la recevabilité, le requérant précise qu’une demande de reconsidération est une procédure extraordinaire et n’a aucun lien avec la demande ordinaire d’asile devant le Comité. Bien que le Tribunal administratif fédéral ait admis la demande d’octroi de mesures provisionnelles, le requérant n’est autorisé à séjourner en Suisse que jusqu’à épuisement de la procédure devant le Tribunal. La décision de ce dernier, qui peut intervenir à tout moment, pouvant être négative, si le Comité devait déclarer la requête irrecevable, le requérant devrait quitter la Suisse sans délai. La requête devant le Comité est donc recevable conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

5.3En ce qui concerne le bien-fondé de la communication, le requérant soumet que le Comité doit constater la violation de l’article 3 de la Convention « sur la base du dossier ».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie invoque une demande de reconsidération de la décision négative sur la demande d’asile du requérant, basée entre autres sur un élément nouveau – un avis de recherche daté du 14 décembre 2016 – et soumet que le requérant n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes disponibles.

6.3Le Comité observe que le requérant fait valoir que sa demande de reconsidération de la décision négative du Secrétariat d’État aux migrations est une procédure extraordinaire et n’a aucun lien avec la plainte devant le Comité. Le Comité observe également que le requérant n’a pas invoqué cet avis de recherche dans les griefs qu’il a soulevés devant le Comité et qu’il a de plus invité le Comité à se prononcer « sur la base du dossier ». En conséquence, vu que le requérant n’invoque pas expressément l’avis de recherche daté du 14 décembre 2016 à l’appui de ses griefs présentés au Comité, qu’il précise que cet avis a été présenté dans le cadre d’une procédure interne de nature extraordinaire et que les autorités de l’État partie n’ont pas eu l’occasion de se prononcer sur cet élément dans la procédure interne, le Comité ne prendra pas en compte l’avis de recherche dans l’examen de la présente communication.

6.4En l’absence de toute autre question relative à la recevabilité de la communication, le Comité la déclare recevable, étant donné qu’elle soulève des questions au titre de l’article 3 de la Convention, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention.

7.2Le Comité doit déterminer si en renvoyant le requérant en République démocratique du Congo, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État s’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’y être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo. Pour ce faire, il doit, en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence dans l’État concerné d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives (voir également l’observation générale no4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, par. 43).Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne. Le Comité relève en outre que la République démocratique du Congo n’étant pas partie à la Convention, dans l’éventualité d’une violation dans ce pays des droits qu’il tient de la Convention, le requérant serait privé de la possibilité légale de s’adresser au Comité pour obtenir une forme quelconque de protection.

7.4Le Comité rappelle les dispositions du paragraphe 11 de son observation générale no 4, selon lesquelles, premièrement, l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture dans un État vers lequel elle doit être expulsée, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination, et, deuxièmement, le Comité a pour pratique de déterminer qu’il existe des « motifs sérieux » chaque fois que le risque est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Il rappelle également qu’il incombe à l’auteur de la communication de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant que le risque d’être soumis à la torture est prévisible, actuel, personnel et réel. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation où il ne peut pas donner de détails sur son cas, la charge de la preuve est renversée et il incombe à l’État partie concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les informations sur lesquelles est fondée la communication (observation générale no4, par. 38). Le Comité accorde un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie ; toutefois, il n’est pas lié par ces conclusions et il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinente pour chaque cas (ibid., par. 50).

7.5En l’espèce, le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel, en cas de renvoi en République démocratique du Congo, il serait considéré comme traître pour avoir déserté de l’Agence nationale de renseignements, et risquerait à ce titre la peine de mort et/ou des traitements inhumains et dégradants. Il note également que le requérant se déclare être membre de l’Armée de résistance populaire et l’une des personnes du mouvement les plus proches du général Munene.

7.6Le Comité note que les autorités suisses n’ont pas remis en question le parcours du requérant au sein de l’Agence nationale de renseignements, mais qu’elles ont fait valoir qu’il n’avait pas exercé de fonctions sensibles en son sein.Le Comité note ensuite que, selon l’évaluation de l’État partie, le requérant n’a pas subi de torture ou de mauvais traitements dans son pays d’origine, qu’il n’a jamais été actif politiquement en République démocratique du Congo, que ses activités politiques en Suisse ne dénotent pas un poste à responsabilité au sein de l’Armée de résistance populaire susceptible d’inquiéter les autorités de la République démocratique du Congo et qu’il n’a pas démontré que les autorités de ce pays seraient au courant de son adhésion à ce mouvement. Le Comité prend également note du fait que le requérant n’a pas démontré qu’il entretenait des rapports étroits avec le général Munene autrement que par le truchement de son mandataire, qui serait un membre de la famille dudit général. Le Comité constate que si le requérant a effectivement formulé un certain nombre d’allégations, il n’a néanmoins pas clairement et suffisamment établi l’existence d’un risque personnel, actuel, prévisible et réel de torture s’il était renvoyé en République démocratique du Congo.

7.7Le Comité rappelle qu’il lui appartient de déterminer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en République démocratique du Congo. Le Comité note que le requérant a eu amplement possibilité d’étayer et de préciser ses griefs, au niveau national, devant le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral, mais que les éléments apportés n’ont pas permis aux autorités nationales de conclure que sa prétendue désertion de l’Agence nationale de renseignements ou sa participation à des activités politiques en Suisse pouvait le mettre en danger de subir des actes de torture ou des traitement inhumains ou dégradants à son retour. De plus, le Comité rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas suffisante en soi pour conclure qu’un requérant court personnellement le risque d’être torturé. Sur la base des informations dont il dispose, le Comité conclut que le requérant n’a pas apporté la preuve que ses activités politiques revêtaient une importance suffisante pour attirer l’intérêt des autorités de son pays d’origine ou qu’il était considéré comme traître pour avoir quitté l’Agence, et conclut que les informations fournies ne démontrent pas qu’il risque personnellement d’être torturé ou de subir des traitements inhumains ou dégradants s’il retournait en République démocratique du Congo.

7.8Dans ces circonstances, le Comité considère que les informations soumises par le requérant ne sont pas suffisantes pour établir qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en République démocratique du Congo.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant vers la République démocratique du Congo ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.