Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale |
Distr.RESTREINTE* CERD/C/68/D/29/20038 mars 2006 FRANÇAISOriginal: ANGLAIS |
COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DELA DISCRIMINATION RACIALE
Soixante-huitième session20 février‑10 mars 2006
DÉCISION
Communication n o 29/2003
Présentée par: |
M. Dragan Durmic (représenté par le Centre européen pour les droits des Roms et le Humanitarian Law Center) |
Au nom de: |
Le requérant |
État partie: |
Serbie‑et‑Monténégro |
Date de la communication: |
2 avril 2003 (date de la lettre initiale) |
Date de l’adoption des constatations: |
6 mars 2006 |
[ANNEXE]
ANNEXE
OPINION ADOPTÉE PAR LE COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION
DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE
Soixante-huitième session
concernant la
Communication n o 29/2003
Présentée par: |
M. Dragan Durmic (représenté par le Centre européen pour les droits des Roms et le Humanitarian Law Center) |
Au nom de: |
Le requérant |
État partie: |
Serbie‑et‑Monténégro |
Date de la communication: |
2 avril 2003 (date de la lettre initiale) |
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
Réuni le 6 mars 2006,
Ayant achevé l’examen de la communication no 29/2003, soumise au Comité par M. Dragan Durmic en vertu de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
Ayant pris en considération tous les renseignements qui lui avaient été communiqués par l’auteur de la communication, ses conseils et l’État partie,
Adopte la décision suivante:
1.Le requérant est Dragan Durmic, citoyen serbo‑monténégrin d’origine rom. Il affirme être victime d’une violation par la Serbie‑et‑Monténégro du paragraphe 1 d) de l’article 2, lu conjointement avec l’alinéa f de l’article 5, ainsi que de l’article 3, de l’alinéa c de l’article 4 et de l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Le requérant est représenté juridiquement par le Humanitarian Law Center et le Centre européen pour les droits des Roms. La Serbie‑et‑Monténégro a fait, le 27 juin 2001, la déclaration prévue à l’article 14 de la Convention.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1En 2000, le Humanitarian Law Center (HLC) a procédé à une série de «tests» sur l’ensemble du territoire serbe pour déterminer si les membres de la minorité rom faisaient l’objet d’une discrimination en matière d’accès aux lieux publics. Cette initiative faisait suite aux multiples plaintes selon lesquelles les Roms se voyaient refuser l’accès à des clubs, discothèques, restaurants, cafés ou piscines en raison de leur origine ethnique.
2.2Le 18 février 2000, deux Roms, dont le requérant, et trois autres personnes se sont présentés à l’entrée d’une discothèque de Belgrade. Tous avaient une tenue et un comportement corrects et aucun n’était sous l’emprise de l’alcool. La seule différence apparente entre eux était donc la couleur de leur peau. Il n’y avait nulle part d’avis indiquant qu’une fête privée avait lieu et qu’il fallait une invitation pour y être admis. Les deux Roms se sont vu refuser l’accès au club au motif qu’une fête privée s’y déroulait et qu’ils n’avaient pas d’invitation. Le requérant a demandé à la personne chargée de la sécurité comment il pourrait s’en procurer une mais il s’est entendu répondre que ce n’était pas possible et que les invitations n’étaient pas en vente. L’employé a aussi refusé de lui indiquer comment il pourrait obtenir des invitations pour des fêtes futures. Les trois autres personnes ont toutes été autorisées à entrer alors même qu’elles n’avaient pas d’invitation à cette fête prétendument privée et qu’elles avaient signalé le fait aux membres de l’équipe de sécurité.
2.3Le 21 juillet 2000, le HLC a porté plainte auprès du Bureau du Procureur de Belgrade, au nom du requérant, contre des personnes non identifiées employées par la discothèque concernée pour infraction à l’article 60 du Code pénal serbe. Le requérant affirmait qu’il y avait eu violation de ses droits et de ceux de l’autre personne d’origine rom à l’égalité et à la dignité, ainsi que de leur droit d’accès, dans des conditions d’égalité, aux lieux destinés à l’usage du public. Parmi les dispositions internationales invoquées, le HLC a mis plus particulièrement l’accent sur l’alinéa f de l’article 5 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il a demandé au Bureau du Procureur général d’identifier les auteurs de l’infraction et d’ouvrir une information judiciaire contre eux, ou de les mettre en accusation directement devant la juridiction compétente.
2.4Sept mois plus tard, en l’absence de réponse, le HLC a envoyé au Procureur général une autre lettre dans laquelle il soulignait qu’en cas de rejet de la plainte, et si, à ce moment-là, les auteurs de l’acte avaient été identifiés, le requérant et l’autre victime présumée souhaitaient exercer la prérogative que leur reconnaissait la loi de reprendre les poursuites à leur compte en tant que plaignants/procureurs subsidiaires. Le Procureur général a répondu qu’il avait demandé à la police à deux reprises, en août 2000, d’enquêter sur cet incident, mais qu’elle ne l’avait pas fait.
2.5Le 22 octobre 2001, le Procureur général a informé le HLC qu’une enquête de police avait confirmé qu’à la date en question il y avait bien eu à la discothèque une fête privée, organisée semblait‑il par le propriétaire de l’établissement. Il a également affirmé que la police, négligeant ses instructions, n’avait pas cherché à identifier les personnes chargées de la sécurité le soir de l’incident et à les interroger. Le Procureur général n’a plus fourni aucune autre information. Aux dires du requérant, selon les articles 153 et 60 du Code de procédure pénale, dans les cas où le Procureur général ignore purement et simplement une plainte pour infraction déposée par un plaignant, celui‑ci ne peut qu’attendre la décision du Procureur ou presser ce dernier, à titre informel, de prendre les mesures prévues par la loi.
2.6Le 30 janvier 2002, le requérant a adressé à la Cour constitutionnelle fédérale une requête dans laquelle il faisait valoir qu’en n’identifiant pas les auteurs de l’acte et en ignorant sa plainte le Procureur général empêchait le requérant et victime présumée de reprendre les poursuites à son compte. Plus de 15 mois après le dépôt de cette requête, le requérant n’avait pas reçu de réponse et n’avait donc pas obtenu réparation des violations subies.
Teneur de la plainte
3.1En ce qui concerne la recevabilité ratione temporis, le requérant admet que l’incident s’est produit avant que l’État partie ne fasse sa déclaration au titre de l’article 14 de la Convention, mais il fait valoir que la République fédérative socialiste de Yougoslavie a ratifié la Convention en 1967 et qu’après sa dissolution la Convention a conservé son effet contraignant pour tous les États successeurs, y compris l’État partie. Le 4 février 2003, la République fédérale de Yougoslavie a pris le nom de Communauté étatique de Serbie‑et‑Monténégro tout en demeurant le même sujet de droit international. Selon le requérant, l’article 14 est une simple clause attributive de compétence, de sorte qu’en faisant une déclaration en vertu de cet article un État se borne à reconnaître un autre moyen par lequel le Comité peut surveiller l’application de la Convention. Le requérant relève que l’article 14 ne contient pas de limitation temporelle expresse qui empêcherait le Comité d’examiner des communications portant sur des faits antérieurs à la date de dépôt de la déclaration. Il fait valoir qu’en tout état de cause plus de 21 mois se sont écoulés depuis que la déclaration a été faite et que l’État partie ne lui a toujours pas accordé la moindre réparation. Le requérant se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme.
3.2En ce qui concerne la pratique de «tests» visant à recueillir des éléments de preuve concernant des allégations de discrimination, le requérant fait valoir que, depuis les années 50, les tribunaux des États‑Unis la reconnaissent comme un moyen efficace d’établir la discrimination. Il invoque également la jurisprudence du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale qui, selon lui, démontre que le Comité lui‑même a confirmé la recevabilité de tels éléments. Le requérant demande aussi qu’il lui soit permis de fournir de plus amples éclaircissements sur cette question si le Comité le juge nécessaire.
3.3Le requérant affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui étaient disponibles. S’agissant des moyens de recours constitutionnels, il nie qu’il y en ait ou qu’il y en ait jamais eu à la disposition des victimes individuelles de discrimination. Il reconnaît que, le 27 juin 2001, la République fédérale de Yougoslavie a fait, au titre du paragraphe 2 de l’article 14 de la Convention, une déclaration par laquelle elle désignait la Cour constitutionnelle fédérale du pays comme l’organe judiciaire interne compétent en dernière instance pour recevoir et examiner toutes les plaintes portant sur des allégations de discrimination − «pour autant que tous les autres recours internes aient été épuisés». Toutefois, selon la Constitution de la République fédérale de Yougoslavie, adoptée le 27 avril 1992, une telle compétence n’a jamais été attribuée à cet organe. En effet, l’article 128 de la Constitution dispose expressément que «la Cour constitutionnelle fédérale ne statue sur une plainte [concernant des allégations de violation présumées de divers droits de l’homme, y compris de discrimination] que «lorsqu’il n’y a aucun autre moyen de recours» − c’est‑à‑dire «lorsque la loi ne prévoit aucun autre recours pour un type de violation donné».
3.4La Cour constitutionnelle fédérale a expliqué sa compétence comme suit: «Si elle n’est pas satisfaite de la décision finale du Bureau républicain du travail, la partie peut engager un contentieux administratif devant la Cour suprême de Serbie … La Cour a établi que la personne qui avait déposé [cette] plainte constitutionnelle avait à sa disposition d’autres voies de recours, dont elle s’était prévalue … Aussi … la Cour a décidé de rejeter la plainte constitutionnelle.». Selon le requérant, ce raisonnement juridique a amené les juristes à conclure que les plaintes constitutionnelles ne constituaient en réalité qu’«un recours purement théorique, le système juridique yougoslave n’assurant qu’une protection symbolique dans la quasi-totalité des cas de violation des droits de l’homme». Les autorités n’ont modifié ni la Constitution de la République fédérale de Yougoslavie ni la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale, comme il eût fallu le faire pour élargir formellement la compétence de la Cour constitutionnelle fédérale afin qu’elle puisse connaître des cas de discrimination en dernier ressort − lorsqu’une victime présumée n’a pas pu obtenir réparation après avoir usé de tous les autres recours (normaux).
3.5Le 4 février 2003, la République fédérale de Yougoslavie a adopté une nouvelle constitution et pris le nom de Communauté étatique de Serbie‑et‑Monténégro. L’ancienne Cour constitutionnelle fédérale devait être remplacée par la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro. Conformément à l’article 46 de la Charte constitutionnelle, cette juridiction sera également compétente pour connaître des plaintes individuelles pour violation des droits de l’homme, y compris pour discrimination, mais, comme l’ancienne, uniquement «s’il n’existe aucune autre voie de recours». Enfin, la nouvelle loi sur la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro, adoptée le 19 juin 2003, vient confirmer, au paragraphe 1 de son article 62, cette interprétation de la compétence de la Cour puisqu’elle dispose qu’une plainte individuelle ne peut être déposée que dans les cas où «il n’existe aucune autre voie de recours» soit en Serbie, soit au Monténégro. Avant l’adoption de la nouvelle Charte constitutionnelle, tout comme ultérieurement, le droit interne comportait des dispositions prévoyant d’autres recours non constitutionnels, au civil et/ou au pénal, pour les victimes de discrimination raciale. En conséquence, le requérant soutient que, nonobstant la déclaration faite au titre de l’article 14, il n’y a pas (et il n’y a jamais eu) de recours constitutionnel disponible pour les victimes de discrimination. Il ajoute que la déclaration au titre de l’article 14 elle‑même mentionne une juridiction qui n’existe plus, à savoir la Cour constitutionnelle fédérale, et non la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro.
3.6Indépendamment de l’avis qu’il peut avoir sur la question et afin de prévenir d’éventuelles objections de l’État partie quant à l’épuisement des recours internes, le requérant a déposé une requête auprès de la Cour constitutionnelle fédérale en invoquant la déclaration faite au titre de l’article 14. Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, il conclut que le préjudice qu’il a subi est tellement grave que seul un recours pénal lui assurerait une réparation appropriée et qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours pénales internes, ainsi que le recours constitutionnel seulement «disponible en théorie», il n’a toujours pas obtenu réparation. S’agissant de son argument selon lequel les recours internes ont été épuisés dans la mesure où seule l’action pénale constitue une voie de recours efficace pour le type de violation en question, le requérant invoque les affaires Lacko c. République slovaque et M. B. c. Danemark, dans lesquelles le Comité a admis la recevabilité des plaintes, ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
3.7S’agissant de la règle des six mois, le requérant fait observer que, malgré la plainte qu’il a adressée à la Cour constitutionnelle fédérale, celle‑ci n’a jamais examiné la question. De plus, à la suite de l’adoption de la nouvelle Charte constitutionnelle, cette juridiction a cessé d’exister et elle n’a pas encore été remplacée par la nouvelle Cour de la Serbie‑et‑Monténégro qui, aux dires du requérant, n’aura pas compétence pour connaître des cas de discrimination individuels. Pour le requérant, le délai de six mois n’a même pas commencé à courir et sa communication est donc présentée dans les temps et recevable. Il invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a accepté de connaître de cas où une situation, un acte ou une omission pouvant être imputé aux autorités persistait.
3.8Le requérant fait valoir que les allégations de violation devraient être interprétées à la lumière de la discrimination systématique qui s’exerce à l’encontre des Roms dans l’État partie, ainsi que de la quasi‑absence de tout moyen de réparation approprié. Il affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 1 d) de l’article 2, lu conjointement avec l’alinéa f de l’article 5 de la Convention, étant donné que le requérant s’est vu interdire l’accès à la discothèque, soit à un lieu ou service «destiné[] à l’usage du public», en raison de sa race. Le fait que l’État partie n’a pas poursuivi les propriétaires de la discothèque pour pratique discriminatoire ni veillé à ce qu’une telle discrimination ne se reproduise pas constitue, selon le requérant, une violation de l’alinéa f de l’article 5, lu conjointement avec le paragraphe 1 d) de l’article 2.
3.9Le requérant renvoie à la recommandation générale du Comité concernant l’article 5, dans laquelle le Comité a noté que, si l’article 5 «ne crée pas en soi de droits civils, politiques, économiques, sociaux ou culturels, [il] suppose l’existence et la reconnaissance de ces droits. La Convention fait obligation aux États d’interdire et d’éliminer la discrimination raciale dans la jouissance de ces droits de l’homme.». Dès lors, le Comité examine dans quelle mesure les États ont veillé à «la mise en œuvre sans discrimination de chacun des droits et libertés visés à l’article 5». Le Comité a en outre indiqué que la protection des «droits et libertés visés à l’article 5» qu’il revenait aux États d’assurer n’était pas dépendante du bon vouloir des gouvernements; elle a un caractère obligatoire. Cette obligation impérative a pour objet d’assurer la «mise en œuvre effective» des droits énoncés à l’article 5. En effet, le Comité a affirmé que la Convention interdisait la discrimination de la part tant des parties privées que des autorités publiques. Le requérant renvoie également à l’interprétation faite par le Comité des droits de l’homme de l’article 26, qui est la disposition générale antidiscrimination du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, concernant l’obligation des États parties de garantir une protection contre la discrimination.
3.10Le requérant affirme qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention étant donné qu’il a fait l’objet d’une forme de ségrégation raciale en se voyant refuser l’accès à la discothèque au seul motif de sa race. En n’offrant pas de recours en l’espèce, l’État partie a manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 3, dans lequel les États s’engagent «à prévenir, à interdire et à éliminer […] toutes les pratiques de cette nature». Il affirme être victime d’une violation de l’alinéa c de l’article 4 car, en ne poursuivant pas les propriétaires de la discothèque et en n’agissant d’aucune façon pour remédier à la discrimination dont il dit avoir été victime avec une autre personne, les autorités chargées des poursuites − la police et le Procureur général − ont encouragé la discrimination raciale. Dans sa recommandation générale concernant l’article 4 de la Convention, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a rappelé que «les prescriptions de l’article 4 sont impératives. Pour y satisfaire, les États parties doivent non seulement promulguer des lois appropriées mais aussi s’assurer qu’elles sont effectivement appliquées».
3.11Le requérant invoque aussi l’article 6 de la Convention puisque l’État partie ne lui a pas assuré une voie de recours contre la discrimination qu’il avait subie et n’a pas pris de mesures pour en sanctionner les auteurs ou faire en sorte qu’elle ne se reproduise pas. Pour les mêmes raisons, le requérant a été privé à ce jour de son droit à dédommagement, dont il ne peut se prévaloir que dans le cadre d’une action pénale. Du fait que l’État partie ne lui a assuré aucun recours en l’espèce, et nonobstant les dispositions pénales internes en vigueur, qui interdisent la discrimination dans l’accès aux lieux publics, le requérant a dû se résigner à ne jamais savoir s’il allait ou non être admis à la discothèque à telle ou telle date future.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans sa lettre du 12 août 2003, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité. Pour ce qui est des faits, il a indiqué que le 20 août 2000, le Ministère de l’intérieur avait été invité à recueillir les renseignements nécessaires et à identifier les membres du service de sécurité de la discothèque concernés. D’autres demandes avaient été adressées ultérieurement au Ministère, le 3 juillet et le 22 octobre 2001, le 5 février, le 2 octobre et le 23 décembre 2002, le 25 février et le 14 mai 2003. Le 4 avril 2001, le Ministère avait présenté un rapport selon lequel le directeur de l’établissement avait déclaré qu’il y avait ce soir‑là à la discothèque une fête privée à laquelle ne pouvaient participer que les personnes invitées. Il n’avait pas pu identifier les personnes chargées de la sécurité cette nuit‑là car le personnel de l’établissement changeait fréquemment. En raison des difficultés à établir l’identité des intéressés, le Procureur général avait du mal à constituer un dossier pour engager les poursuites.
4.2Selon l’État partie, les articles 124 et 128 de la Constitution de la République fédérale de Yougoslavie, qui étaient en vigueur au moment de l’incident présumé, habilitaient la Cour constitutionnelle fédérale à examiner les allégations de violation des droits et des libertés consacrés par la Constitution et à connaître des plaintes «lorsqu’il n’y a[vait] aucun autre moyen de recours». Selon l’État partie, ces dispositions sont mentionnées dans la déclaration, au titre de l’article 14 de la Convention, par laquelle la République fédérale de Yougoslavie avait reconnu, le 27 juin 2001, la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications. L’État partie reconnaît que, le 30 janvier 2002, le requérant a adressé une plainte, en dernier ressort, à la Cour constitutionnelle fédérale dont l’examen a été ajourné par cette juridiction le 2 décembre 2002. La Cour n’a pas encore examiné la question pour les raisons suivantes: à la suite de l’adoption de la Charte constitutionnelle de la Communauté étatique de Serbie‑et‑Monténégro le 4 février 2003, la République fédérale de Yougoslavie a cessé d’exister. En vertu de l’article 12 de la loi sur l’application de la Charte constitutionnelle, la Cour constitutionnelle fédérale a transmis toutes les affaires qui n’avaient pas encore fait l’objet d’une décision à la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro, dont la compétence en la matière est définie par l’article 46 de la Charte constitutionnelle. Étant donné que les juges appelés à siéger à la Cour n’ont pas encore été élus et que la Cour elle‑même n’a donc pas été constituée, la Cour constitutionnelle fédérale continue de siéger, ne s’occupant que des questions d’importance vitale pour le fonctionnement de l’État, étant entendu que toutes les autres affaires encore en instance seraient examinées par la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro lorsqu’elle aura été constituée et sera devenue opérationnelle. Compte tenu des changements fondamentaux qu’a connu le système judiciaire du pays, l’État partie estime que le retard dans l’examen de la plainte du requérant est justifiable.
4.3L’État partie affirme qu’en avril 2003, le requérant a rendu publique la présente communication violant ainsi selon lui le paragraphe 4 de l’article 14 de la Convention.
Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie
5.1Le 2 octobre 2003, le requérant a formulé ses commentaires sur les observations de l’État partie. Pour ce qui est de la conduite de l’enquête, il note que les autorités chargées des poursuites n’ont même pas identifié les membres concernés du service de sécurité de la discothèque plus de trois ans après le dépôt de la plainte pénale et qu’il y a un retard excessif dans la procédure. L’excuse donnée par l’État partie laisse penser que la police dépend pour mener son enquête du bon vouloir du directeur de la discothèque. En outre, il n’y a aucune information quant au sérieux de l’enquête entreprise par la police: on ignore si elle a examiné les registres de la discothèque pour identifier les personnes qui y travaillaient à l’époque ou, si en l’absence de tels documents, elle a saisi les autorités compétentes afin que le directeur de la discothèque soit poursuivi pour ne pas avoir tenu un registre de ses employés comme l’exige la législation du travail et le droit fiscal. La police et le Procureur général n’ont jusqu’à présent pas pris contact avec le requérant et/ou d’autres témoins en vue d’obtenir une description détaillée des personnes concernées. Le requérant invoque la jurisprudence du Comité contre la torture de l’Organisation des Nations Unies à l’appui de son affirmation selon laquelle l’État partie n’a pas mené une enquête officielle approfondie, rapide et efficace sur l’incident.
5.2Le requérant réitère ses arguments initiaux sur la question de l’épuisement des recours internes. Ni ses représentants en justice ni lui‑même n’ont été informés de la décision présumée de l’ancienne Cour constitutionnelle fédérale en date du 2 décembre 2002 tendant à différer l’examen de l’affaire. À sa connaissance, la Cour n’a pas répondu à sa requête pendant plus de 12 mois − ou plus précisément jusqu’à la date à laquelle elle a cessé d’exister. Il fait valoir que l’État partie ne lui a adressé aucune copie de la décision en question de la Cour et que même s’il l’avait fait cela n’aurait répondu quant au fond à aucune des questions soulevées ci‑dessus. Le requérant affirme que l’existence de nombreux dossiers en souffrance depuis longtemps et un changement du cadre juridique de l’État ne peuvent, en l’absence de toute mesure de réparation de la part des autorités, être invoqués comme excuse pour continuer de priver une personne de tout recours. Au contraire, les États sont tenus d’organiser leur système juridique de façon qu’il soit conforme au principe de la sécurité juridique et qu’il assure des recours utiles à toutes les victimes de violation des droits de l’homme. Mais pour le requérant son argument est purement théorique car la seule décision que la Cour constitutionnelle fédérale aurait pu prendre en l’espèce aurait été de rejeter sa communication au motif que d’autres moyens de recours non constitutionnels étaient disponibles.
5.3Pour ce qui est de l’affirmation selon laquelle il a violé l’article 14 de la Convention, le requérant fait valoir que l’État partie a mal interprété la clause de non‑divulgation que contient cet article. Cette disposition fait obligation à l’État partie lui‑même de garder confidentiels les noms et d’autres détails personnels des requérants et ne s’applique qu’à la «procédure devant l’organe antidiscrimination désigné sur le plan interne». Le fait qu’un requérant décide de rendre publique sa communication ne saurait être considéré comme une violation du paragraphe 4 de l’article 14 de la Convention.
Décision sur la recevabilité
6.1À sa soixante‑cinquième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité de la communication. Pour ce qui est de la question de savoir si le requérant a présenté la communication dans les délais fixés à l’alinéa f de l’article 91 du Règlement intérieur, le Comité a rappelé que, selon cette disposition, les communications doivent être soumises, sauf circonstances exceptionnelles dûment constatées, dans les six mois suivant l’épuisement de tous les recours internes disponibles. Il a constaté que la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro n’avait pas encore examiné la question et que par conséquent le délai de six mois n’avait pas commencé à courir.
6.2Pour ce qui est de l’allégation de l’État partie selon laquelle le requérant a violé le paragraphe 4 de l’article 14 de la Convention en divulguant le contenu de sa requête, le Comité a rappelé que ledit paragraphe stipule ce qui suit:
«L’organisme créé ou désigné conformément au paragraphe 2 du présent article devra tenir un registre des pétitions, et des copies certifiées conformes du registre seront déposées chaque année auprès du Secrétaire général par les voies appropriées, étant entendu que le contenu desdites copies ne sera pas divulgué au public.».
6.3Le Comité était d’avis que l’obligation de ne pas publier d’informations sur les communications avant qu’il ne les examine s’applique spécifiquement au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, agissant notamment par le biais du Secrétariat, et pas aux parties à une communication qui sont libres de publier toute information dont elles disposent au sujet de cette communication.
6.4Pour ce qui est de la recevabilité ratione temporis, le Comité a noté que, bien que l’incident devant la discothèque (18/2/2000) se soit produit avant que l’État partie ne fasse sa déclaration, au titre de l’article 14 (27/6/01), ce qui était à prendre en considération du point de vue des obligations de l’État partie, ce n’était pas l’incident proprement dit, qui s’était produit entre des particuliers, mais la carence des autorités compétentes dans la conduite de l’enquête et l’absence d’efforts déployés par l’État partie pour garantir un recours utile au requérant, conformément à l’article 6 de la Convention. L’État partie n’ayant pas, à ce jour, achevé les enquêtes, ni renvoyé l’affaire devant la nouvelle Cour de la Serbie‑et‑Monténégro, pas plus qu’il n’avait offert d’autres recours au requérant, les violations alléguées persistaient et avaient persisté depuis la date à laquelle l’incident avait eu lieu et après la déclaration de l’État partie au titre de l’article 14. En conséquence, le Comité a considéré que cette plainte était recevable ratione temporis au titre de l’article 14.
6.5Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes, le Comité a noté qu’une plainte avait été adressée à la Cour constitutionnelle fédérale le 30 janvier 2002 et que, au moins à la date de l’examen de la communication par le Comité, cette plainte n’avait toujours pas été examinée par ladite cour ni par la nouvelle Cour de la Serbie‑et‑Monténégro qui l’avait remplacée. Tout en notant les arguments de l’État partie concernant les changements en cours au sein du système judiciaire, le Comité a constaté que le requérant s’était efforcé, pendant plus de quatre ans et demi, d’obtenir une décision de justice concernant ses plaintes pour violations de la Convention par l’État partie depuis l’incident qui avait eu lieu en février 2000. Le Comité a noté à ce propos que l’État partie avait lui‑même admis que l’examen des plaintes du requérant n’aurait probablement pas lieu dans des délais brefs, la nouvelle Cour de la Serbie‑et‑Monténégro n’étant pas encore constituée. Le Comité a rappelé que, conformément au paragraphe 7 de l’article 14 de la Convention, la règle de l’épuisement des recours internes ne s’applique pas si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Il a considéré que, en l’espèce, les procédures de recours avaient excédé les délais raisonnables et conclu en conséquence que les conditions énoncées au paragraphe 7 a) de l’article 14 étaient réunies. En conséquence, le Comité avait déclaré que la communication était recevable.
Observations de l’État partie sur le fond et commentaires du requérant
7.1Le 10 juin 2005, l’État partie a informé le Comité que des fonctionnaires du poste de police de Vracar avaient interrogé de nouveau les témoins mais qu’ils n’avaient pris aucune mesure supplémentaire, étant donné qu’il n’était pas possible d’identifier la personne, ou les personnes, qui auraient commis l’infraction. Entre‑temps, les délais prévus dans la loi sur les délais de prescription pour ouvrir toute nouvelle enquête avaient expiré.
7.2L’État partie considère que même si des poursuites pénales avaient été engagées, le requérant aurait été invité par la Cour à engager une action civile en raison du fait que la nécessité de faire appel à des experts pour évaluer les demandes de dédommagements des requérants auraient retardé les procédures pénales et augmenté les coûts. En matière de procédure pénale, lorsque le plaignant demande réparation d’un préjudice moral, il est invité à poursuivre son action au civil. Si la plainte du requérant était venue devant une juridiction pénale, elle aurait été rejetée à cause des critères rigoureux de preuve requis en matière de procédure pénale.
7.3Selon l’État partie, le requérant aurait pu engager une action civile en indemnisation. La loi sur les contrats et la responsabilité civile et la loi sur les litiges permettent à la victime d’engager une action civile indépendamment de l’action pénale. La victime peut engager une action civile en indemnisation lorsque l’accusé en matière pénale a été acquitté. La même loi aurait également permis au requérant d’engager une action civile contre le club lui‑même sans avoir l’obligation d’identifier l’auteur présumé du préjudice. Il aurait été suffisant d’établir que les personnes concernées étaient des employés du club et que le requérant s’en était vu refuser l’entrée à cause du fait qu’il était rom. Si le requérant obtient gain de cause et si une indemnisation lui est octroyée, la loi prévoit également que la décision doit être publiée. L’État partie affirme que, n’ayant pas engagé d’action civile, le requérant n’a pas épuisé les recours internes et que la communication est par conséquent irrecevable.
7.4L’État partie conteste la position du requérant selon laquelle la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro aurait pris une décision conformément à la pratique de l’ancienne Cour constitutionnelle fédérale, étant donné que la nouvelle Cour n’est pas liée par la décision d’une autre juridiction, que le système judiciaire a connu des changements radicaux depuis que la Cour constitutionnelle avait adopté cette position et que les lois et la pratique des tribunaux sont de plus en plus influencées par les conventions internationales. Quoi qu’il en soit, la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro n’a pas encore examiné l’affaire.
8.1Le 12 octobre 2005, le requérant a fait des commentaires sur les observations de l’État partie, affirmant que ce dernier semblait prendre prétexte de l’inefficacité des organes administratifs (poste de police de Vracar) chargés de mener les enquêtes pénales pour excuser l’incapacité du Procureur général d’offrir un recours au requérant. La police s’est bornée à prendre les dépositions du directeur de la discothèque sans les confronter à d’autres sources. Elle n’a mené aucune investigation même élémentaire en vue d’élucider les circonstances de l’incident, par exemple en examinant les registres internes du club en vue d’identifier les personnes qui étaient en service lorsqu’il s’est produit ou en informant d’autres autorités compétentes qu’elles devaient considérer que le club était en situation d’illégalité, faute d’enregistrer ses employés comme le prescrit la loi.
8.2Le requérant estime que la loi sur les délais de prescription a été prise comme prétexte pour excuser l’inapplication de la loi alors que c’est l’État lui‑même qui est responsable de la durée excessive de l’enquête. Le Procureur général n’a toujours par rendu de décision concernant la plainte. En vertu du droit international, les États sont tenus d’offrir des recours effectifs à toutes les victimes de violations des droits de l’homme et les excuses telles que l’accumulation des affaires en attente, une modification de la structure judiciaire de l’État, ainsi que le fait qu’il n’a pas pris de mesures palliatives, ou d’autres difficultés administratives créées par l’État lui‑même, ne peuvent justifier l’absence prolongée de recours.
8.3S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel la plainte du requérant, si elle était venue devant la juridiction pénale, aurait été rejetée en raison des critères rigoureux de preuve appliqués en matière de procédure pénale, l’État compte sur ses organes d’enquête, dont on connaît l’inefficacité, pour rassembler des preuves suffisantes. En l’espèce, l’affaire n’a même pas dépassé le stade de l’enquête.
8.4S’agissant des arguments selon lesquels les juridictions pénales de l’État partie n’ont pas les moyens nécessaires pour établir un dédommagement pour préjudice moral et que la réalisation d’une expertise de police scientifique permettant de déterminer l’ampleur du préjudice prendrait beaucoup de temps, le requérant estime que les tribunaux de l’État partie semblent obéir à des considérations de commodité plutôt qu’au souci de veiller à ce que justice soit rendue aux victimes de crimes.
8.5L’auteur ne comprend toujours pas pourquoi l’État partie soutient que les voies de recours pénales sont inappropriées lorsqu’un crime ayant causé un préjudice moral a été commis. La juridiction pénale doit être capable d’octroyer un dédommagement non pécuniaire à la partie lésée, en sus d’identifier et de punir les responsables.
8.6S’agissant des voies de recours alternatives proposées par l’État partie, le requérant estime que le préjudice qu’il a subi est si grave et constitue une violation si évidente de la Convention que seule une voie de recours pénale aurait pu lui procurer réparation. En conséquence, les recours civils et administratifs ne sont pas à eux seuls suffisamment utiles. Il invoque la décision prise par le Comité dans l’affaire Lacko c. Slovaquie .
8.7Concernant la possibilité d’engager une action civile en indemnisation, en vertu des articles 154 et 200 de la loi sur les obligations, le requérant affirme que s’il avait décidé de demander réparation devant un tribunal civil, il en aurait été empêché en raison de la pratique qui consiste à suspendre les procédures civiles pour un préjudice causé par une infraction pénale, tant que la procédure pénale n’est pas achevée. En tout cas, il aurait été obligé d’identifier le défendeur. S’agissant d’engager une action civile contre le club lui‑même, il estime que cela n’aurait pas remplacé une action pénale et que les responsables auraient échappé à leurs responsabilités. En outre, toute action en justice de cette nature aurait été vouée à l’échec étant donné les difficultés potentielles auxquelles le requérant aurait été confronté en ce qui concerne l’établissement des preuves.
Considérations relatives au fond
9.1Conformément au paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Comité a examiné les renseignements communiqués par le requérant et l’État partie.
9.2S’agissant de la demande de l’État partie selon laquelle le Comité devrait reconsidérer sa décision concernant la recevabilité de la communication, au motif que le requérant n’a pas épuisé les recours internes en s’abstenant d’engager une action civile contre la discothèque en question, le Comité rappelle sa jurisprudence établie à propos de l’affaire Lacko c. République slovaque, selon laquelle il n’était pas possible d’atteindre les objectifs d’une enquête pénale par des recours civils ou administratifs de la nature proposée par l’État partie. En conséquence, le Comité ne voit pas de raison de réviser sa décision du 5 août 2004 concernant la recevabilité.
9.3S’agissant du fond, le Comité estime qu’il n’est pas raisonnable que l’État partie, y compris le Procureur général, ait pu accepter de croire qu’il était impossible d’identifier le personnel impliqué dans l’incident en question, en raison du roulement important du personnel, sans mener aucune investigation ou enquête supplémentaire sur les raisons pour lesquelles ces informations ne seraient pas aisément disponibles.
9.4Le Comité ne partage pas l’opinion de l’État partie selon laquelle il serait maintenant trop tard, étant donné la loi sur les délais de prescription, pour engager une action contre les responsables présumés, étant donné que la durée excessive de l’enquête apparaît entièrement imputable à l’État partie lui‑même. Ce point renforce l’argument du requérant selon lequel l’enquête n’a été ni rapide ni effective, sachant que six ans après l’incident (et apparemment après l’expiration du délai prévu dans la loi sur les délais de prescription) aucune enquête, et moins encore une enquête sérieuse, n’a été menée. À cet égard, le Comité note que la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro n’a toujours pas examiné l’affaire et que l’État partie n’a pas indiqué une date où elle pourrait le faire.
9.5L’État partie a également omis de déterminer si le requérant s’était vu refuser l’accès à un lieu public au motif de son origine nationale ou ethnique, en violation de l’article 5 f) de la Convention. Étant donné le fait que la police n’a pas mené d’enquête sérieuse en la matière, le fait que le Procureur général n’a rendu aucune conclusion et le fait que la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro n’a même pas fixé une date pour l’examen de l’affaire, six ans après l’incident, le requérant a été privé de toute possibilité de déterminer si ses droits en vertu de la Convention avaient été violés.
9.6Le Comité note que, dans une affaire précédente, il a estimé qu’il y avait eu violation de l’article 6 de la Convention sans estimer pour autant qu’il y avait eu violation de l’un quelconque des articles de fond. La réaction de l’État partie aux plaintes pour discrimination raciale a été si inefficace qu’elle n’a procuré ni une protection ni des voies de recours appropriées au titre de cette disposition. Aux termes de l’article 6, «les États parties assureront à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes d’État compétents, contre tous actes de discrimination raciale qui, contrairement à la présente Convention, violeraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales…». Quoiqu’une interprétation littérale de cette disposition pourrait laisser penser qu’il faudrait que l’acte de discrimination raciale ait été établi avant que le requérant puisse prétendre à une protection et à une voie de recours, le Comité note que l’État partie doit veiller à ce que l’existence de ce droit soit établie devant les tribunaux nationaux et autres instances nationales, une protection qui serait inopérante si elle n’est pas disponible tant que la violation n’a pas été établie. S’il ne peut pas être raisonnablement exigé d’un État partie qu’il veille à ce que l’existence de droits protégés par la Convention soit établie quelque dénuées de fondement que puissent être les plaintes en question, l’article 6 offre une protection aux victimes si leurs plaintes sont défendables au regard de la Convention. Dans le cas d’espèce, le requérant a présenté une plainte ainsi défendable, mais le fait que l’État partie n’a pas instruit ni jugé l’affaire effectivement a empêché d’établir si une violation avait eu lieu.
10.Le Comité estime que l’État partie n’a pas examiné la plainte défendable du requérant pour violation de l’article 5 f). En particulier, il n’a pas examiné ladite plainte rapidement, sérieusement et efficacement. L’article 6 de la Convention a été par conséquent violé.
11.Le Comité recommande à l’État partie d’accorder au requérant une réparation juste et suffisante, proportionnée au préjudice moral qu’il a subi. Il recommande également à l’État partie de prendre des mesures pour veiller à ce que la police, les procureurs généraux et la Cour de la Serbie‑et‑Monténégro mènent des enquêtes sérieuses lorsqu’ils reçoivent des accusations et des plaintes pour des actes de discrimination raciale qui devraient être punissables en vertu de la loi, conformément à l’article 4 de la Convention.
12.Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de six mois, des renseignements sur les mesures prises à la lumière de l’opinion du Comité. L’État partie est prié également de diffuser largement l’opinion du Comité.
[Fait en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]
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