Présentée par:

George Damianos (représenté par un conseil, M. Achilleas Demetriades)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Chypre

Date de la communication:

12 juin 2001 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 97, communiquée à l’État partie le 28 octobre 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

25 juillet 2005

Objet: Inégalité de traitement d’un employé après restructuration d’un établissement de la fonction publique

Questions de procédure: Sans objet

Questions de fond: Droit à l’égalité et à la non‑discrimination; accès à la fonction publique; exécution d’une mesure de réparation

Articles du Pacte: Article 19, alinéa c de l’article 25, articles 26 et 2

Article du Protocole facultatif: Article 2

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL

RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑quatrième session

concernant la

Communication n o  1210/2003*

Présentée par:

George Damianos (représenté par un conseil, M. Achilleas Demetriades)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Chypre

Date de la communication:

12 juin 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2005,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.L’auteur de la communication est George Damianos, de nationalité chypriote. Il affirme être victime de violations par Chypre des droits énoncés aux articles 19, 25 c) et 26, lus séparément et conjointement avec l’article 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, Achilleas Demetriades.

Rappel des faits

2.1Le 16 avril 1980, l’auteur a été nommé «chargé de programme» à la Division de la programmation radiophonique de la société de radiodiffusion et télévision chypriote (Cyprus Broadcasting Corporation (CBC)), qui appartient à la fonction publique, à l’échelon 6/7 de la grille des salaires (salaire maximum de 3 765 livres chypriotes par an). En septembre 1982, une convention collective a été signée entre la CBC et les syndicats, portant restructuration des postes à la CBC. En avril 1983, selon cette restructuration, le poste de «chargé de programme» a été supprimé et sept nouveaux postes ont été créés, avec les titres suivants: chargé de programme A, échelon A 10 (4 396 livres chypriotes par an), chargé de programme B, échelon A 8/9 (3 909 livres chypriotes par an), et chargé de programme C, échelon A 4/7 (3 150 livres chypriotes par an). L’auteur et les autres chargés de programme ont été nommés, avec effet rétroactif au 1er janvier 1981, au poste de chargé de programme A, avec la mention entre parenthèses du (titre personnel) à l’échelon 8/9 de la grille des salaires. Ces nouveaux postes n’existaient pas dans l’établissement restructuré. La CBC a déclaré qu’elle avait l’intention d’annoncer les nouveaux postes à pourvoir de chargés de programme A échelon A 10, et que l’auteur et les autres chargés de programme étaient invités à postuler.

2.2L’auteur et ses collègues ont contesté la restructuration dans une requête adressée à la Cour suprême. Le 3 mai 1985, la Cour suprême, ayant estimé que la convention collective n’était pas en elle‑même une base légale suffisante sur laquelle fonder la restructuration, a conclu que, s’il n’y avait pas de perte financière pour les requérants à la suite de la restructuration, il y avait eu toutefois un affaiblissement de leur statut au sein de l’organisme. Aussi la Cour a‑t‑elle décidé qu’ils pouvaient prétendre à un poste existant dans la nouvelle structure, avec des fonctions et des responsabilités correspondant à leur précédent poste et à leur ancienneté. La décision prise par la CBC a été annulée. La CBC a fait appel de cette décision, mais a ensuite retiré ce recours.

2.3Le 28 novembre 1985, la CBC a décidé que l’auteur (ainsi que d’autres employés de la division musicale) serait réintégré dans son ancien poste, celui de chargé de programme, avec ses fonctions initiales et à l’échelon 8/9 de la grille des salaires, au lieu de l’ancien échelon 6/7. L’auteur note qu’il a été nommé de nouveau à un poste qui n’existait pas dans la nouvelle structure. Le 30 novembre 1985, certains des collègues de l’auteur, dont il ne faisait pas partie, ont présenté une requête à la Cour suprême aux fins de renvoi en jugement du Directeur général et du Conseil d’administration de la CBC pour désobéissance à l’arrêt rendu par la Cour le 3 mai 1985. La Cour a rejeté la requête. Les requérants sont ensuite parvenus avec la CBC à un accord, auquel l’auteur n’a pas participé.

2.4Par la suite, l’auteur a présenté à la Cour suprême une requête contestant la légalité de la décision prise par la CBC le 28 novembre 1985, en faisant valoir qu’elle était contraire à l’arrêt de la Cour suprême du 3 mai 1985 et que sa réintégration dans son ancien poste de chargé de programme, qui avait été supprimé par la restructuration, était un abus, car ce poste n’existait plus. À son avis, le nouveau poste, créé dans la nouvelle structure, qui correspondait aux fonctions et responsabilités de son ancien poste était celui de chargé de programme A échelon A 10. Le 13 juin 1987, la Cour suprême a rejeté sa requête, au motif qu’il avait été correctement réintégré dans son ancien poste, et a relevé qu’il était rémunéré selon un barème plus élevé. La Cour n’a pas suivi les conclusions de l’arrêt du 3 mai 1985, faisant valoir que, vu que la Cour avait conclu que la convention collective ne constituait pas une base légale suffisante pour qu’une restructuration soit valable, le poste initial de l’auteur − chargé de programme − n’avait pas pu être supprimé par la restructuration. La CBC avait donc raison de réintégrer l’auteur dans son ancien poste.

2.5Le 13 juin 1987, l’auteur a fait appel de l’arrêt de la Cour suprême. Pendant l’audience du 23 novembre 1990, la CBC a accepté de réexaminer la question et l’auteur s’est désisté. Le 12 juillet 1991, la CBC a réexaminé le cas de l’auteur et a rejeté sa demande d’être nommé au poste de chargé de programme A, échelon A 10, mais a décidé qu’il resterait dans son ancien poste de chargé de programme, à l’échelon supérieur 8/9, comme cela avait été décidé le 28 novembre 1985. À la suite de cette décision, l’auteur a fait appel devant la Cour suprême, et a prétendu que la CBC l’avait traité de manière discriminatoire en appliquant la convention collective de manière partiale et sélective à certains employés, mais pas à lui. Le 26 mars 1999, la Cour suprême a rejeté la plainte pour discrimination illégale, considérant que l’auteur n’avait pas démontré que sa situation était analogue à celle des cas dans lesquels la convention collective avait été appliquée. Formuler une allégation générale selon laquelle la convention collective avait été appliquée seulement à certains employés ne suffisait pas. Par conséquent, l’auteur n’avait pas assumé la charge de la preuve comme il le devait.

2.6Le 19 décembre 1991, la décision de la CBC a été confirmée par une décision du Ministère des affaires intérieures, selon laquelle, s’il était fait droit aux griefs de l’auteur, ce dernier se trouverait dans une meilleure position que ses collègues qui étaient parvenus à un accord avec la CBC. Le 30 mars 1992, l’auteur s’est vu offrir un poste permanent en tant que chargé de programme A, échelon A 10. Le 13 avril 1992, il a accepté cette offre.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’ayant été nommé à des postes non existants par trois fois depuis 1983 (en avril 1983, le 28 novembre 1985 (ancien poste) et le 12 juillet 1991 (décision de rester à l’ancien poste)), il a été traité de manière inégalitaire et discriminatoire par la CBC dans le cadre de l’application de la convention collective, qui a été appliquée aux autres employés mais pas à lui. Les décisions de le nommer à ces postes prises par la CBC étaient contraires à l’arrêt de la Cour suprême du 3 mai 1985, et l’auteur estime avoir été victime d’une discrimination en raison de ses opinions.

3.2Il affirme que ce traitement a eu pour effet d’affaiblir son statut professionnel. Il fait valoir que s’il avait été nommé au nouveau poste de chargé de programme A, échelon A 10, au moment de la restructuration (1983) et non 10 ans plus tard, il aurait davantage d’ancienneté dans le poste qu’il occupe au moment où il présente la communication. En réalité, il se trouve actuellement au point où il aurait dû être si l’arrêt de la Cour suprême du 3 mai 1985 avait été appliqué, à savoir chargé de programme A, échelon A 10. En outre, il déclare avoir subi une baisse de salaire ainsi qu’une réduction de ses droits à pension, et avoir également subi un préjudice pécuniaire à cause de la procédure proprement dite.

3.3En outre, l’auteur prétend qu’il y a violation de l’article 2 du Pacte dès lors que l’État partie ne garantit pas son droit à un traitement égal et non discriminatoire et ne lui fournit pas un recours utile. Il rappelle que les tribunaux nationaux n’ont pas confirmé ni fait exécuter l’arrêt de la Cour suprême du 3 mai 1985.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond et commentaires de l’auteur sur ces observations

4.Dans une lettre datée du 26 avril 2004, l’État partie fait sien le raisonnement adopté par la Cour suprême dans son arrêt du 26 mars 1999, où on lit notamment que «la charge de la preuve de tout traitement discriminatoire ou inégal incombe à l’appelant. Afin d’étayer son allégation, l’appelant aurait dû démontrer que son cas était le même que ceux auxquels a été appliquée la convention collective. Formuler une allégation générale touchant l’application de la convention collective à l’égard de certains employés ne suffit pas. En conséquence, l’appelant n’a pas assumé la charge de la preuve et, de ce fait, le motif d’annulation invoqué est écarté». De l’avis de l’État partie, l’allégation de l’auteur est donc manifestement dénuée de fondement.

5.1Le 22 juillet 2004, l’auteur a réitéré ses arguments précédents et a ajouté de nouveaux griefs au titre de l’article 25 c) et de l’article 19 du Pacte. Au sujet de l’article 25 c), il affirme que cette disposition exige l’égalité de traitement, non seulement en ce qui concerne l’accès à cet emploi, mais pendant toute la période pendant laquelle un employé appartient à la fonction publique de son pays. Il affirme que la manière dont la CBC l’a traité constitue un harcèlement qui a menacé la continuité de sa situation professionnelle dans la fonction publique. Au sujet de cette dernière disposition, l’auteur prétend que le fait d’avoir exprimé ses opinions sur la gestion inadéquate de la CBC et l’inégalité de traitement qui en est résultée dans son cas s’est traduit par son exclusion de la grille normale des promotions qui s’est appliquée au reste de ses collègues. Il réitère son allégation au titre de l’article 2, lu séparément et/ou conjointement avec les articles 26, 25 c) et 19, à savoir que l’État partie n’a pas veillé au respect de ses droits dans l’égalité et sans distinction d’aucune sorte, et ne lui a pas fourni un recours utile eu égard à la violation des articles 26, 25 c) et 19. Il prétend également qu’il y a une violation intrinsèque du paragraphe 3 c) de l’article 2, du fait que l’État partie n’a pas donné effet à une décision judiciaire, à savoir l’arrêt de la Cour suprême du 3 mai 1985. Cet arrêt constitue une décision définitive rendue par les juridictions nationales de l’État partie, qui n’a pas été exécutée.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il appartenait à l’auteur d’assumer la charge de la preuve et de prouver que ses fonctions étaient les mêmes que celles des autres employés, l’auteur fait valoir que, dès lors qu’il a fourni un commencement de preuve de l’existence d’une discrimination, il appartient à l’État partie de prouver qu’il n’y a pas eu discrimination.

5.3Concernant les faits, l’auteur rappelle qu’il était le seul employé à se retrouver dans une situation ambiguë jusqu’à ce qu’il soit finalement nommé à un poste existant en 1992. Il affirme que, le 18 août 1983, peu après la conclusion de la convention collective, il y avait 13 employés au même échelon que lui, à savoir l’échelon 8/9, et que la CBC a appliqué la convention collective de manière sélective, le résultat étant que l’auteur a été le dernier des employés en question à être nommé à un poste existant, presque 10 ans plus tard. Les autorités de l’État partie, en s’abstenant d’examiner les raisons pour lesquelles il a reçu ce traitement moins favorable, ont accepté cette décision. L’auteur affirme que le refus par les autorités de le nommer à un poste existant, jusqu’en 1992, faisait partie de la victimisation et du harcèlement dont il était la cible en raison de ses tentatives pour dévoiler la mauvaise administration de la CBC par des plaintes adressées à des organes internes et externes, et par l’ouverture d’une procédure judiciaire.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne le grief selon lequel l’État partie a violé les droits de l’auteur consacrés à l’article 19, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé son allégation aux fins de la recevabilité. Par conséquent, le Comité considère que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3En ce qui concerne le grief de l’auteur qui se dit victime d’une inégalité de traitement et de discrimination, au titre de l’article 25 c) et de l’article 26 (lus conjointement avec l’article 2) du Pacte, le Comité note que ces questions et ces allégations ont été examinées par la Cour suprême de Chypre dans son arrêt du 26 mars 1999. La Cour a examiné spécifiquement l’argument de l’auteur selon lequel, en procédant à la restructuration des postes dans le cas de plusieurs de ses collègues mais non dans son cas, la CBC l’avait traité de manière discriminatoire. La Cour a conclu que l’auteur n’avait pas assumé la charge de la preuve qui lui incombait concernant le caractère discriminatoire du traitement que lui avait appliqué la CBC. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice. Rien dans le dossier n’autorise à penser que la procédure devant la Cour suprême, qui a abouti à l’arrêt du 26 mars 1999, ait été entachée de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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