NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/89/D/1368/200521 juin 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑neuvième session12‑30 mars 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1368/2005

Présentée par:

E. B. (représenté par un conseil, M. Tony Ellis)

Au nom de:

L’auteur, ses filles, S. et C., ainsi que son fils, E.

État partie:

Nouvelle‑Zélande

Date de la communication:

24 décembre 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 février 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

16 mars 2007

Objet: Déni du droit de visite à l’égard d’enfants au terme d’une longue procédure relative au droit de visite

Questions de procédure: Épuisement des recours internes − qualité pour agir du parent − éléments étayant les griefs, aux fins de la recevabilité

Questions de fond: Droit à un procès équitable − immixtion arbitraire dans la famille − protection de la cellule familiale − droits de l’enfant − égalité devant la loi et non‑discrimination

Articles du Pacte: 2, 14 (par. 1), 17, 23, 24 et 26

Articles du Protocole facultatif: 1, 2 et 5 (par. 2 b))

Le 16 mars 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no1368/2005.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑neuvième session

concernant la

Communication n o  1368/2005 **

Présentée par:

E. B. (représenté par un conseil, M. Tony Ellis)

Au nom de:

L’auteur, ses filles, S. et C., ainsi que son fils, E.

État partie:

Nouvelle‑Zélande

Date de la communication:

24 décembre 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 16 mars 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1368/2005, présentée par E. B. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 24 décembre 2004, est E. B., de nationalité néo‑zélandaise. L’auteur présente la communication en son nom et au nom de ses deux filles, S., née le 30 juillet 1990, et C., née le 20 avril 1994, ainsi que de son fils, E., né le 21 juin 1997. Il affirme être victime de violations, par la Nouvelle‑Zélande, de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14, et des articles 17, 23, 24 et 26 du Pacte. Il allègue aussi des violations des articles 17, 23 et 24 du Pacte au nom de ses enfants. L’auteur est représenté par un conseil, M. Tony Ellis.

Exposé des faits

2.1En 2000, l’auteur et son épouse, avec qui il a eu deux filles (nées respectivement en 1990 et 1994) et un fils (né en 1997), se sont séparés. À partir du 4 novembre 2000, l’épouse de l’auteur lui a refusé le droit de voir les enfants. Le 30 novembre 2000, l’auteur a saisi le juge aux affaires familiales pour obtenir un droit de visite à l’égard de ses enfants.

2.2En mai 2001, l’épouse de l’auteur a fait une première déclaration à la police, dans laquelle elle accusait l’auteur d’avoir infligé des violences sexuelles à leurs deux filles. En juin 2001, elle a commencé à faire une nouvelle déposition à la police, déposition qu’elle a fini par achever en octobre 2001 après plusieurs interrogatoires. La police a enquêté sur ces accusations de juin 2001 à octobre 2002. Quatre interrogatoires des deux filles, avec enregistrement vidéo ayant valeur probante, ont eu lieu respectivement les 27 juin 2001 (pour C.), 21 août 2001 (pour S.), 1er juillet 2002 (pour S.) et 24 octobre 2002 (pour C.). En juin 2002 et une nouvelle fois en mars 2003, un psychologue clinicien a établi un rapport demandé au titre de l’article 29A de la loi sur les tutelles. Le 30 janvier 2003, la police a renoncé à poursuivre l’auteur.

2.3Du 24 au 28 mars 2003, le juge aux affaires familiales a statué sur la requête initiale qui avait été introduite en novembre 2000. Avant que l’auteur, son épouse et le psychologue clinicien ne fassent des dépositions orales, les enregistrements vidéo ayant valeur probante ont été diffusés, ainsi que les enregistrements vidéo des interrogatoires de l’auteur par la police, en présence des parties et du conseil.

2.4Le 24 juin 2003, le juge aux affaires familiales a rejeté la requête relative au droit de visite en vertu de l’article 16B de la loi sur les tutelles de1968. Le juge n’avait pas acquis la conviction, sur la base de l’hypothèse la plus probable, que l’auteur avait réellement infligé des violences sexuelles aux enfants. Il a considéré toutefois que l’auteur présentait «un risque inacceptable» pour la sécurité des enfants. Il a estimé que «ce qui s’était passé dans les faits, quoi que ce fût», entre l’auteur et les enfants «avait des répercussions durables et marquées sur ces derniers». Les enfants avaient exprimé le souhait de ne pas avoir de contacts avec leur père. En l’espèce, le juge a conclu qu’une décision accordant le droit de visite à l’auteur ne serait pas dans l’intérêt des enfants. Il a également noté que la procédure s’était malheureusement prolongée, et que «tout au long de la procédure, on s’était préoccupé des retards dans la mise en état de l’affaire». Le juge a relevé les difficultés auxquelles on se heurtait dans le règlement des questions de droit de visite lorsque des accusations de violences sexuelles imposaient une enquête de police.

2.5Pour prendre sa décision, le juge a évalué et pesé soigneusement tous les éléments de la cause. Après avoir vu et entendu les déclarations des parties, il a décidé de faire confiance à la femme de l’auteur, qui était disposée à reconnaître ses défaillances et sa responsabilité dans ce qui s’était produit pendant le mariage alors que, selon le juge, l’auteur n’était quant à lui pas disposé à concéder qu’il avait dépassé les limites des convenances dans ses contacts avec ses enfants, en dépit des éléments indiquant que ces limites avaient été franchies. En outre, le jugement a relevé les incidents survenus plusieurs fois lors de rencontres surveillées entre le père et ses filles au printemps 2001, qui ont donné lieu à inculpation pour trois infractions présumées à l’ordonnance de protection (chaque inculpation ayant toutefois été suivie d’un non‑lieu).

2.6L’auteur a interjeté appel devant la Haute Cour en invoquant, entre autres, le fait que les dispositions du Pacte et celles de la Convention européenne des droits de l’homme, telles qu’interprétées dans l’affaire Sahin c. Allemagne, faisaient apparaître un droit parental fondamental de visite à l’égard des enfants qui n’avait pas été suffisamment pris en compte. Le 7 novembre 2003, la Haute Cour a confirmé la décision du juge aux affaires familiales concernant le droit de visite à l’égard des deux filles, mais a estimé que le juge devait revoir sa décision concernant le droit de visite à l’égard du fils, compte tenu en particulier de ce qu’il n’avait pas été fait état de violences à son égard. À la date de présentation de la communication, plus d’un an plus tard, la situation du fils n’avait toujours pas été réexaminée, au motif de «retards systémiques dans les procédures judiciaires».

2.7L’auteur a demandé à la cour d’appel l’autorisation de former recours contre la décision de la Haute Cour concernant ses filles, aux fins que la juridiction d’appel déclare les dispositions pertinentes de la loi sur les tutelles incompatibles avec le Pacte. L’appelant renvoyait dans sa demande aux constatations du Comité dans l’affaire Hendriks c. Pays ‑Bas, dans lesquelles le Comité a estimé: «… nécessaire que certains critères soient fixés par la loi afin de permettre aux tribunaux de parvenir à une application complète des dispositions de l’article 23 du Pacte. Parmi ces critères, le maintien de relations personnelles et de contacts directs réguliers de l’enfant avec ses deux parents paraît essentiel, sauf circonstances exceptionnelles».

2.8Le 6 avril 2004, la cour d’appel a rejeté la demande d’autorisation de former recours, considérant que seule la loi de déclaration des droits pouvait faire l’objet d’une déclaration d’incompatibilité. En tout état de cause, la cour a estimé que ni la décision du juge aux affaires familiales ni la procédure dont elle constituait l’aboutissement n’étaient incompatibles avec l’article 23 du Pacte. Elle a considéré que les constatations du Comité dans l’affaire Hendriks ne s’appliquaient pas au cas d’espèce, étant donné qu’elles «… ne stipulent pas expressément qu’un juge examinant la question du droit de visite devrait se prononcer sur toutes les formes d’exercice indirect de ce droit [comme l’exercice par téléphone et par écrit] avant de refuser complètement le droit de visite».

2.9Le 21 avril 2004, le fils, E., a formulé des accusations de violences sexuelles contre l’auteur. La police a rouvert l’enquête visant ce dernier et a procédé à un interrogatoire. En mai 2004, le juge aux affaires familiales a ajourné l’examen de la requête relative au droit de visite à l’égard du fils que lui avait renvoyée la Haute Cour, au motif de l’enquête de police. En septembre 2004, la police a renoncé à poursuivre l’auteur.

2.10Par la suite, en novembre 2004, le conseil de l’épouse de l’auteur a souhaité que le juge aux affaires familiales fasse établir un rapport psychologique actualisé concernant le fils. En mai 2005, le juge a approuvé la note demandant l’intervention d’un psychologue, note dont le projet avait été rédigé par le conseil de E. En juin, un psychologue a été désigné pour établir le rapport actualisé conformément à l’article 29A de la loi sur les tutelles. En septembre 2005, le juge a reçu le rapport actualisé et l’a communiqué au conseil. En mars 2006, le conseil de l’auteur a fait savoir au greffier qu’il demanderait une critique indépendante de ce rapport. En avril 2006, l’avocat de E. a été désigné «avocat de l’enfant» chargé de seconder le juge dans la procédure de critique indépendante. En juin 2006, le conseil de l’auteur a fait valoir qu’il était inapproprié qu’il se voie confier cette tâche, étant donné les différents rôles et responsabilités attachés à chaque fonction. Dans un procès‑verbal daté du 19 juin 2006, le juge s’est rangé aux arguments du conseil.

2.11Le 6 juillet 2006, le juge aux affaires familiales, par procès‑verbal adressé à tous les conseils, s’est alarmé du temps que prenait cette affaire pour parvenir au stade des débats. Il a invité tous les conseils à se concentrer sur la nécessité de mener à terme toutes les démarches, de produire tous éléments de preuve pertinents et d’entendre la cause. Au 30 août 2006, le tribunal attendait toujours que soit achevé l’examen critique du rapport actualisé, lequel avait été retardé de sept semaines par un séjour à l’étranger du médecin expert qui devait s’en charger.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur allègue des violations de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 14, et des articles 17, 23, 24 et 26 du Pacte, à son égard, et des articles 17, 23 et 24 à l’égard de ses enfants.

3.2L’auteur se plaint d’une double violation du droit à un procès équitable qui est garanti par l’article 14. Premièrement, étant donné la nature des intérêts du parent et des enfants qui sont en jeu, la longueur de la procédure viole le droit à ce que sa cause soit jugée avec toute la diligence voulue. Le retard était en grande partie dû au fait que la police avait tardé à enquêter sur les deux accusations de violences, l’une et l’autre s’étant d’ailleurs finalement révélées infondées. S’appuyant sur les constatations du Comité dans l’affaire Fei c. Colombie, l’auteur soutient que le fait qu’il se soit écoulé deux ans avant que la justice ne statue sur la requête concernant le droit de visite à l’égard des filles, et plus de trois ans depuis l’introduction de la requête visant le fils − et la procédure est toujours en cours −, constitue une violation du droit d’être jugé rapidement.

3.3Deuxièmement, l’auteur considère qu’il y a eu une violation distincte de l’article 14 du fait que le recours qu’il avait formé n’a pas été examiné par un juge compétent puisque le juge de la Haute Cour en question n’avait pas été désigné d’une façon conforme à la loi. L’auteur fait valoir que le juge continuait d’exercer ses fonctions cinq ans après l’âge officiel de la retraite, fixé à 68 ans, alors que la législation applicable n’autorisait que deux ans d’activité supplémentaires.

3.4L’auteur allègue une violation de l’article 17, au motif que l’État partie n’a rien fait pour prévenir une immixtion arbitraire dans la famille ayant eu pour effet d’éloigner un parent de ses enfants. S’appuyant sur la jurisprudence européenne, il fait valoir qu’aucune circonstance exceptionnelle n’exigeait de supprimer complètement les droits parentaux en matière de visite. La destruction de la cellule familiale qui en a découlé viole ses droits et les droits de ses enfants protégés par la disposition en question. Selon le même raisonnement, l’auteur soutient qu’il y a violation de l’article 23 pour non‑respect de la famille en tant que groupe fondamental. De la même façon, il fait valoir une violation de l’article 24 au motif que les enfants ne peuvent pas voir leurs deux parents.

3.5L’auteur soutient également qu’il y a violation de l’article 26 du fait que l’interprétation de la loi sur les tutelles par la cour d’appel crée une distinction injustifiée, puisque les personnes dont il est établi qu’elles n’ont pas commis de violences sexuelles sont moins protégées par la loi que les personnes reconnues coupables de telles violences. En effet, selon la cour d’appel, la loi prévoit qu’un juge, lorsqu’il se prononce sur une requête relative au droit de visite, est tenu d’examiner une série d’aspects spécifiques dans le cas où des violences familiales ou des mauvais traitements ont été commis, mais que dans les autres cas le traitement de la question relève du pouvoir discrétionnaire résiduel du juge conformément au paragraphe 6 de l’article 16B de la loi sur les tutelles.

3.6L’auteur invoque une violation de l’article 2 rapprochée des articles de fond mentionnés précédemment, pour trois motifs distincts. Premièrement, il prétend que l’État partie n’a pas accordé un recours utile pour les violations de droits substantiels dont il est fait état dans cette affaire. Deuxièmement, la cour d’appel a estimé qu’elle n’avait pas compétence pour produire une déclaration de non‑conformité de la législation néo‑zélandaise avec le Pacte, pas plus qu’elle ne pouvait accorder de recours utile à ce motif. Troisièmement, l’État partie n’a pas pris de mesures pour assurer que les garanties énoncées dans le Pacte soient expressément incorporées dans sa législation, ou que l’interprétation de celle‑ci respecte les droits de l’auteur et de ses enfants protégés par le Pacte et leur donne effet.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans des lettres datées du 22 avril 2005 et du 22 août 2005, l’État partie a contesté la recevabilité de la plupart des aspects de la communication et l’a contestée dans son ensemble sur le fond.

4.2L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes concernant le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 14, selon lequel l’appel introduit par l’auteur devant la Haute Cour n’aurait pas été examiné par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Il aurait été possible de demander au juge Neazor de se récuser en invoquant qu’il n’était pas compétent pour connaître de l’appel. Le point aurait pu, et aurait dû, être soulevé également dans la demande d’autorisation de former recours qui a été adressée à la cour d’appel. L’auteur a également toujours la possibilité d’introduire une requête tendant à obtenir de la Haute Cour un arrêt déclaratoire qui permettrait aux juridictions internes de se saisir de la question. En tout état de cause, l’État partie conteste que le juge Neazor n’était pas habilité à siéger à la Haute Cour, et fournit copie de la décision, datée du 7 mai 2003, par laquelle il avait été nommé pour un an, ce qui couvrait la période durant laquelle l’affaire a été examinée.

4.3L’État partie prétend aussi que des recours internes restent ouverts eu égard à tous les moyens exercés au nom du plus jeune des enfants, E. En novembre 2003, la Haute Cour a renvoyé au juge aux affaires familiales la question du droit de visite de l’auteur à l’égard de E. L’État partie indique que l’affaire n’a pas encore été réentendue, et fait valoir la nécessité d’attendre la suite donnée à la demande de l’auteur de former recours concernant les autres enfants, et de mener à bien l’enquête de police sur les nouvelles accusations de violences. Malgré l’ajournement, les juges aux affaires familiales et les services du greffe ont suivi l’affaire de près et font régulièrement le point sur le dossier. L’État partie a fait observer que, à la date de la présentation de ses observations, un rapport d’un psychologue était attendu pour septembre 2005 et une audience devrait se tenir dans les mois qui suivraient.

4.4L’État partie soutient que les griefs tirés des articles 2, 17, 23 et 24 ont un caractère vague et général, sont fondés sur des assertions et ne s’appuient pas sur des éléments de preuve suffisants pour être recevables au titre du Protocole facultatif.

4.5L’État partie affirme également que le grief de violation de l’article 26 du Pacte concernant l’article 16B de la loi sur les tutelles n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité. Il relève que l’article 16B de la loi vise, dans la perspective de promouvoir le bien‑être de l’enfant, aussi bien les cas de violences sexuelles effectives que les cas, comme celui de l’auteur, où il n’y a pas eu de violences mais où un risque réel demeure. On ignore quel tort l’auteur a subi du fait d’avoir acquis le «statut» d’une personne dont le juge aux affaires familiales n’a pas établi la culpabilité quant aux accusations de violences à l’égard de ses enfants portées contre lui. L’État partie fait encore valoir que, dans la mesure où l’affaire soulève une question au titre de l’article 26, le fait que le droit d’appel soit plus restreint dans les affaires portées devant la juridiction chargée des affaires familiales que dans celles relevant du droit civil ou pénal général montre qu’il s’agit d’une juridiction spécialisée, mais aussi que les juridictions rendent des décisions de nature différente. L’État partie relève qu’une différence importante réside dans le fait que, étant donné que la situation des parties peut se modifier dans les affaires relevant du droit de la famille, il est possible d’engager plusieurs actions successives concernant les mêmes questions, de sorte que, par exemple, une partie déboutée peut en tout temps introduire une nouvelle requête tendant à obtenir un droit de visite à l’égard d’un enfant.

4.6Enfin, l’État partie, «sans nécessairement contester la qualité de l’auteur, en tant que parent n’ayant pas la garde des enfants, pour agir au nom des trois enfants», estime que la communication doit être traitée en conformité avec la décision du Comité dans l’affaire Rogl c. Allemagne, dans laquelle le Comité s’est fondé en partie sur le fait que l’enfant en question, âgé de 15 ans, n’avait indiqué en aucune manière qu’il considérait qu’il y avait eu violation de ses droits pour déclarer irrecevable une allégation de l’un des parents.

4.7Quant au fond du grief de retard excessif tiré du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme que le temps pris pour se prononcer sur la requête de l’auteur relative au droit de visite, puis sur son appel et sa demande de former recours, n’était pas excessif en l’espèce. Premièrement, l’État partie fait valoir que le temps pris par le juge aux affaires familiales pour se prononcer en première instance sur la requête de l’auteur était en grande partie imposé par les besoins de l’enquête de police, et que la bonne administration de la justice imposait de surseoir à l’audience tant que l’enquête n’était pas achevée. Deuxièmement, l’État partie indique que la requête de l’auteur était complexe, du point de vue des faits et du droit, et que son examen constituait une procédure assez lourde, nécessitant cinq jours d’audience en première instance, la production ultérieure de conclusions écrites et le rendu d’un long jugement. Troisièmement, l’État partie fait observer que cette partie de la procédure a duré le temps qu’il convenait compte tenu de la complexité de l’instance et des nécessités liées à l’exercice approprié des voies de recours.

4.8En ce qui concerne le plus jeune des enfants, E., à l’égard duquel la procédure a été renvoyée, l’État partie indique que la réouverture des débats a été différée dans l’attente de la décision relative au recours formé par l’auteur devant la cour d’appel, étant donné que les questions pouvaient se recouper. Les nouvelles accusations de violences sexuelles portées en avril 2004 avaient aussi nécessité une enquête qui avait duré jusqu’en septembre 2004 et toutes les parties avaient convenu d’ajourner la procédure dans l’intervalle. L’État partie indique que, depuis lors, l’affaire est suivie de très près et que, compte tenu des accusations graves de violences, il faut veiller à trouver un juste équilibre pour assurer à la fois la sécurité et le bien‑être des enfants et l’administration de la justice.

4.9En ce qui concerne d’une façon générale les griefs tirés des articles 17, 23 et 24, l’État partie a relevé que le juge avait estimé, de fait, que même si les accusations de violences sexuelles n’avaient pas été démontrées, l’auteur présentait un risque inacceptable pour le bien‑être des enfants, et qu’il lui avait refusé en conséquence le droit de visite. L’État partie invite le Comité à se ranger à cette appréciation des preuves, en l’absence d’éléments prouvant la mauvaise foi ou une autre forme de partialité manifeste.

4.10En ce qui concerne le grief spécifique tiré de l’article 17, l’État partie relève que les mesures prises étaient légales et conformes à la législation applicable. Il concède également que le rejet de la requête relative au droit de visite pourrait constituer une «immixtion» au sens de l’article 17, mais il fait valoir que cette immixtion était dans l’intérêt supérieur de l’enfant. L’article 16B de la loi sur les tutelles vise à assurer que les enfants bénéficient d’une sécurité maximale dans les situations de violences familiales ou de violences présumées. La décision de refus du droit de visite n’était pas arbitraire, le juge aux affaires familiales l’ayant estimée nécessaire pour protéger les enfants, et elle était proportionnée au risque réel que l’auteur présentait pour ses enfants.

4.11Pour ce qui est des griefs de violation des articles 23 et 24, l’État partie fait valoir en outre que le régime institué en vertu de l’article 16B de la loi sur les tutelles, qui confère au juge un pouvoir résiduel d’apprécier le risque réel même si les accusations de violences n’ont pas été démontrées, diffère sensiblement du vaste pouvoir discrétionnaire que le Comité avait critiqué dans ses constatations concernant l’affaire Hendriks. L’État partie invoque également l’article 9 de la Convention relative aux droits de l’enfant pour montrer que le droit d’un parent d’entretenir des contacts avec ses enfants n’a jamais un caractère absolu, et que la protection d’un enfant contre un risque inacceptable constitue une circonstance exceptionnelle justifiant de déroger à l’interprétation habituelle de l’article 23 selon laquelle les enfants doivent entretenir des contacts directs et réguliers avec leurs parents. L’État partie indique encore que, si l’auteur estimait que les circonstances avaient changé, il pouvait introduire une nouvelle requête devant le juge aux affaires familiales.

4.12En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 2, l’État partie estime que, en l’absence d’une violation des droits substantiels du Pacte, la violation de l’article 2 n’est pas établie. Sa législation est conforme au Pacte, puisqu’il existe des recours pour tous les cas de non‑respect des droits protégés par l’instrument. Le droit à un procès équitable et à la non‑discrimination fait l’objet de dispositions expresses dans la législation. Les juges se conforment également aux obligations internationales qui n’ont pas été incorporées dans le droit interne lorsqu’ils exercent des pouvoirs officiels, par exemple lorsqu’ils se prononcent sur une requête relative à un droit de visite. Les arguments concernant la protection de la famille et de l’enfant prévue par le Pacte ont été soulevés devant les deux juridictions d’appel, qui les ont l’une et l’autre examinés. De l’avis de l’État partie, l’impossibilité de produire une déclaration d’incompatibilité avec le Pacte est sans incidence sur la possibilité d’exercer un recours approprié tel que prescrit par l’article 2 − l’impossibilité d’exercer un certain type de recours n’autorise pas à conclure nécessairement que les deux éléments sont liés, puisque le Pacte ne donne aucune indication quant à la façon dont un État partie doit s’acquitter de ses obligations. La cour d’appel a également laissé ouverte la possibilité d’obtenir une déclaration d’incompatibilité avec la loi néo‑zélandaise de déclaration des droits (qui donne effet à un certain nombre de droits protégés par le Pacte), mais, étant donné que les faits ne font pas apparaître de violation de la déclaration des droits, il n’y a pas lieu de trancher la question de façon définitive.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 17 novembre 2005, l’auteur a contesté les observations de l’État partie sur la question des lenteurs de la procédure et a rejeté l’argument selon lequel le temps requis pour les deux enquêtes de police était justifié. Alors que les questions en jeu, même si elles étaient délicates, n’offraient aucune complexité ni sur le plan des faits ni sur celui du droit, la première enquête a duré dix‑huit mois et la seconde six mois. L’auteur fait observer l’absence de témoins indépendants qui auraient pu faire durer l’enquête. Il souligne l’importance qui s’attache à rendre la justice rapidement quand les droits d’enfants sont en jeu et fait valoir que, au contraire, une enquête nécessitant un ou plusieurs interrogatoires ayant valeur probante d’un enfant et un interrogatoire de chacun des deux parents peut durer dix‑huit mois en raison de l’insuffisance des ressources policières et d’une mauvaise définition des priorités. L’auteur souligne les difficultés du système en cause en s’appuyant sur différents articles de presse consacrés aux graves pénuries de personnel dans la police et aux mesures gouvernementales visant à augmenter considérablement ces effectifs. L’auteur constate que, dans ses observations, l’État partie n’a fourni aucun renseignement sur la procédure et les mécanismes des enquêtes de police concernant l’auteur qui expliquerait les retards et il note que le juge aux affaires familiales lui‑même s’est dit préoccupé par les lenteurs de la procédure dans cette affaire.

La Haute Cour était elle aussi préoccupée par les lenteurs de la procédure; le juge avait expressément indiqué qu’il regrettait que les parties aient dû attendre la décision et avait attribué cela à des faits non spécifiés et indépendants de sa volonté survenus pendant la préparation du jugement.

5.2Renvoyant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Zawadka c. Pologne, l’auteur fait valoir que les lenteurs de la procédure ont eu un effet décisoire ou, à tout le moins, lui ont été fortement préjudiciables puisqu’il n’a pas vu son fils pendant la moitié de la vie de ce dernier. L’État partie n’a pas pris de mesures raisonnables pour faciliter les contacts et est au contraire responsable des lenteurs importantes. Ainsi, la violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte persiste, et la possibilité de contester la décision du juge aux affaires familiales, lorsque l’affaire sera réexaminée, ne peut que prolonger encore la procédure.

5.3Au stade de l’appel, l’auteur relève que l’audience que doit tenir le juge aux affaires familiales n’a toujours pas eu lieu, bien que deux ans se soient écoulés, ce qui est à l’évidence déjà long. De l’avis de l’auteur, l’État partie n’a pas accordé un degré de priorité suffisant aux requêtes portant sur le droit de visite à l’égard d’enfants. L’explication fournie par l’État partie − selon laquelle l’intervention d’un psychologue a été demandée en mai 2005, l’entretien aurait lieu en septembre 2005 et l’audience dans les mois qui suivraient − montre soit qu’il y a une pénurie de psychologues, soit que la procédure est extraordinairement longue, et dans les deux cas la responsabilité en incombe à l’État partie. L’auteur fait observer que la Haute Cour comme la cour d’appel ont rendu un jugement dans un délai d’un mois, ce qui bat en brèche l’argument selon lequel les affaires étaient complexes sur le plan des faits et du droit.

5.4Pour ce qui est de l’épuisement des recours internes concernant E., l’auteur fait valoir que l’État partie ne peut pas être responsable des lenteurs de la procédure judiciaire et prétendre ensuite que l’auteur n’a pas épuisé les recours. Il n’existe pas de recours utiles contre les retards déjà pris et, en tout état de cause, aucun recours au sens du Pacte ne peut être exercé dans l’État partie pour des violations du Pacte. Les recours concernant des droits protégés par le Pacte ne devraient pas dépendre d’une violation préalable de la loi de déclaration des droits, puisque cette loi ne reflète pas toutes les dispositions du Pacte et s’accompagne quoi qu’il en soit de lois incompatibles avec le Pacte.

5.5Sur la question de la légalité de la désignation du juge de la Haute Cour, l’auteur note que la question a été soumise à la Haute Cour et à la cour d’appel, qui n’ont pas encore rendu leurs conclusions.

5.6Quant au fait que les griefs tirés des articles 17, 23 et 24 se recouperaient, l’auteur note que le tribunal l’a privé intégralement du droit de visite à ses enfants et n’a pas envisagé de mesures plus légères, comme l’obligation de suivre une formation parentale, un droit de visite indirect ou le refus du droit de visite pour une durée limitée. La privation intégrale du droit de visite n’a pas été motivée et est tout à fait disproportionnée et arbitraire en l’espèce. L’auteur réfute l’argument de l’État partie selon lequel le «risque inacceptable» qu’il présentait de l’avis du juge constitue ce que l’État partie considère être une circonstance exceptionnelle justifiant de déroger à l’interprétation habituelle de l’article 23, argument qu’il estime spécieux, vague et peu concluant. Il fait observer qu’il a été privé de tout contact, direct ou indirect, avec ses enfants essentiellement sur la base d’un rapport qu’un psychologue a établi sans avoir vu ensemble l’auteur et ses enfants, auquel s’ajoute une préoccupation subsidiaire vague et non déterminée du juge aux affaires familiales qui n’a pourtant pas conclu à l’existence de violences.

5.7Sur la question des différences entre les possibilités de recours dont l’auteur dispose devant le juge aux affaires familiales et celles qui s’exercent devant les juridictions de droit civil et pénal général, l’auteur fait valoir que rien ne justifie ces différences, qui ne sont pas fondées sur des motifs objectifs et raisonnables et ne tendent pas vers un but légitime au sens du Pacte. De surcroît, la possibilité de présenter des requêtes successives que l’État partie a mentionnée s’applique de la même façon dans de multiples procédures devant les tribunaux ordinaires, par exemple, celles relatives à la mise en liberté sous caution ou à la libération conditionnelle ou dans le cas d’une requête en ordonnance. L’auteur relève qu’aucune autre juridiction du Commonwealth n’applique un mécanisme d’appel tronqué de la sorte dans les affaires familiales.

5.8En ce qui concerne la question de l’application au cas d’espèce de l’article 16B de la loi sur les tutelles, l’auteur note qu’il aurait mieux valu pour lui qu’il ait été reconnu coupable d’avoir abusé de ses filles, car à ce moment‑là le juge aurait été tenu d’examiner la série de questions spécifiques énumérées dans l’article 16B de la loi avant de se prononcer sur le droit de visite. N’ayant pas été reconnu coupable de violences, l’auteur ne pouvait prétendre de plein droit à l’examen de ces questions par le juge, qui ne les a d’ailleurs pas examinées avant de lui refuser le droit de visite. De l’avis de l’auteur, l’effet produit est à la fois arbitraire et discriminatoire.

5.9En ce qui concerne l’article 2 du Pacte, l’auteur souligne que la loi néo‑zélandaise de déclaration des droits ne reflète que partiellement le Pacte, puisqu’elle ne traite pas des droits visés aux articles 17 et 26. Les tribunaux de l’État partie n’ont pas examiné la portée autonome des dispositions du Pacte.

Réponses complémentaires des parties

6.Le 25 novembre 2005, l’auteur a apporté des réponses complémentaires dans lesquelles il étaye davantage l’argument des lenteurs systémiques des procédures devant les juridictions internes, dont il estime être victime. L’auteur communique copie du projet de loi portant modification de l’organisation judiciaire qui a été présenté au Parlement en mai 2005 et dont l’objectif déclaré est d’alléger la charge de la cour d’appel et d’améliorer les possibilités de saisine de cette juridiction, afin d’éviter «une dégradation de l’accès à la justice». Le projet de loi supprime également les restrictions frappant les recours devant la Cour suprême, en vertu desquelles les droits de recours étaient plus restreints dans les affaires familiales qu’en matière de commerce, distinction que l’auteur rejette comme étant discriminatoire.

7.Le 28 avril 2006, l’État partie a indiqué que la réponse complémentaire de l’auteur soulevait des questions nouvelles qui n’avaient pas été soulevées dans la communication initiale, et a demandé que, conformément au point de vue que le Comité a adopté dans l’affaire Jazairi c. Canada, ces aspects de la communication soient déclarés irrecevables du fait que, n’ayant pas été soulevés à un stade antérieur, ils constituent un abus de procédure. L’État partie fait valoir en outre que l’auteur soulève un certain nombre de points qui ne sont pas directement liés à sa propre situation ni aux questions en jeu dans sa communication, notamment le point de savoir comment interpréter correctement les dispositions relatives à la nomination des juges qui ont été appliquées dans un autre litige sans rapport avec l’affaire de l’auteur. La question des ordonnances habilitant les juges suppléants a été soulevée devant les tribunaux internes depuis la présentation de la communication, et les juges n’ont pas encore rendu leurs conclusions. Les 26 septembre et 20 octobre 2006, l’État partie a informé le Comité des faits nouveaux intervenus jusqu’au 1er septembre 2006.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2En ce qui concerne la nomination du juge de la Haute Cour qui a connu du recours formé par l’auteur devant cette juridiction, le Comité note, d’après les informations dont il dispose, que la question de la légalité de ce type de nomination n’a pas été portée devant les tribunaux nationaux dans le cadre des procédures dont il est saisi. Il s’ensuit que le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte est irrecevable, les recours internes n’ayant pas été épuisés comme il est requis par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3L’auteur a invoqué les droits de ses enfants protégés par les articles 17, 23 et 24 du Pacte. Le Comité note à ce sujet que si, en principe, un parent qui n’a pas la garde de son ou ses enfants a qualité pour introduire des griefs à ce titre, il convient de rappeler qu’au moment où la communication a été présentée les enfants de l’auteur étaient âgés, respectivement, de 14, 10 et 7 ans. Rien dans le dossier n’indique que l’auteur ait demandé à ses enfants de l’autoriser à agir en leur nom, alors qu’il ressort des éléments d’information dont le Comité est saisi (voir par. 2.4) que les enfants ont exprimé le souhait de ne pas avoir de contacts avec leur père. En l’espèce, le Comité considérera que, vu l’absence de cette autorisation, l’auteur n’a pas qualité pour introduire des griefs au titre des articles 17, 23 et 24 au nom des enfants.

8.4En ce qui concerne le grief de violation de l’article 26, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé l’argument selon lequel il serait victime de discrimination en l’espèce et considère qu’il serait plus approprié d’examiner les allégations énoncées sous cette rubrique dans le cadre des griefs au titre des articles 17 et 23 du Pacte. Il juge de même insuffisamment étayé le grief de violation de l’article 2 du Pacte. En conséquence, ces griefs sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5En ce qui concerne les objections portant sur le fait que les autres griefs ne seraient pas suffisamment étayés, le Comité estime, à la lumière de sa jurisprudence sur les questions de relations familiales, que les griefs ont été suffisamment étayés pour être examinés au fond. Le Comité fait également observer, eu égard à l’objection générale de l’État partie relative à l’appréciation des faits et des éléments de preuve, qu’il ne lui appartient pas d’apprécier les faits qui ont été établis par les tribunaux nationaux, mais qu’il lui revient de déterminer si les faits ainsi établis et les décisions auxquelles ils ont donné lieu sont compatibles avec les dispositions du Pacte. En conséquence, le Comité entreprend l’examen au fond des griefs recevables tirés des articles 14, 17 et 23 du Pacte.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2En ce qui concerne le grief de retard excessif dans la procédure tiré du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le droit à un procès équitable garanti par ces dispositions implique que la justice soit rendue promptement, sans retard excessif. Le Comité rappelle que la question des retards doit être appréciée à la lumière de toutes les circonstances de l’espèce, en considération notamment de la complexité des faits et du droit en cause. Le Comité note à cet égard que, s’agissant des deux enfants les plus âgés, S. et C., il s’est écoulé trois ans et quatre mois entre le moment où l’auteur a introduit la requête concernant le droit de visite, en novembre 2000, et la date du rejet de la demande d’autorisation de former recours par la cour d’appel, en avril 2004. Durant cette période, les accusations de violences portées contre l’auteur ont été traitées par les services de police de mai 2001, date à laquelle l’épouse de l’auteur a fait une déclaration à la police, à janvier 2003, date de l’abandon des poursuites par la police, soit pendant un an et huit mois. Le Comité note en ce qui concerne le plus jeune des enfants, E., que, à tout le moins en septembre 2006 (date des renseignements les plus récents dont dispose le Comité), la justice ne s’était toujours pas prononcée sur la requête relative au droit de visite qui avait, elle aussi, été introduite en novembre 2000. À cet égard, l’enquête de police concernant la deuxième série de plaintes pour violences qui avaient été déposées après que l’auteur eut obtenu gain de cause devant la Haute Cour s’est déroulée d’avril à septembre 2004, soit pendant six mois.

9.3Le Comité renvoie à sa jurisprudence constante selon laquelle «la nature même des procédures concernant la garde des enfants ou le droit de visite permettant à un parent divorcé de voir ses enfants exige que les décisions soient rendues rapidement». Le fait de ne pas satisfaire à cette obligation peut facilement constituer en soi une façon de réfuter le fond de la requête, surtout quand les enfants sont jeunes, ce qui est le cas en l’espèce, et porter un préjudice irréparable aux intérêts du parent qui n’a pas la garde. Ainsi, c’est à l’État partie qu’il incombe de veiller à ce que tous les agents de l’État impliqués dans le règlement de ces questions − tribunaux, forces de police, services de protection de l’enfance ou autres − bénéficient de ressources et de structures suffisantes et fixent un ordre de priorité de manière à assurer que les procédures soient menées à terme avec la diligence nécessaire et à garantir les droits protégés par le Pacte des parties en cause.

9.4En l’espèce, l’État partie n’a pas apporté au Comité la preuve que les retards dans les procédures relatives aux deux séries de requêtes étaient justifiés. En particulier, l’État partie n’a pas démontré que la durée des enquêtes de police était justifiée par les accusations qui, si elles étaient assurément graves, ne présentaient pas de difficultés du point de vue du droit et qui, sur le plan des faits, impliquaient l’appréciation des dépositions orales d’un très petit nombre de personnes. Il a fallu également un temps particulièrement long pour obtenir les rapports des psychologues destinés à aider les juges. Le Comité note en outre les préoccupations exprimées par les tribunaux nationaux concernant la durée des procédures. En conséquence, étant donné la priorité qu’il convient d’accorder au règlement de ce type de questions et à la lumière de sa jurisprudence dans des affaires comparables (voir Fei), le Comité conclut que le droit de l’auteur d’être jugé rapidement conformément au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a été violé pour ce qui est de la requête introduite à l’égard de S. et de C., et continue d’être violé pour ce qui est de celle concernant E. du fait qu’aucune décision n’a encore été rendue (à la date de septembre 2006).

9.5En ce qui concerne les griefs de violation des articles 17 et 23 du Pacte, le Comité relève que le juge aux affaires familiales a estimé qu’il n’était pas démontré que l’auteur avait infligé des violences sexuelles à ses enfants. Le juge a néanmoins décidé, en se fondant sur tous les éléments de preuve dont il a été saisi et qu’il a examinés (voir les paragraphes 2.4 et 2.5 ci‑dessus), que le fait de rétablir les contacts entre l’auteur et ses enfants présenterait un «risque inacceptable pour le bien‑être des enfants». Le Comité note que le juge aux affaires familiales a procédé à une évaluation complète et équilibrée de la situation, sur la base des dispositions des parties et de l’avis des experts, et que, tout en reconnaissant la gravité de la décision de rejeter la requête présentée par l’auteur pour obtenir un droit de visite, le juge a décidé que ce refus était dans l’intérêt des enfants. En l’espèce, le Comité ne peut conclure que la décision du juge constituait une violation des droits reconnus à l’auteur au paragraphe 1 de l’article 17 et au paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, notamment un règlement rapide des poursuites relatives aux visites auprès de E. L’État partie est également tenu d’assurer que de telles violations ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle (dissidente) de M me  Ruth Wedgwood

La présente affaire concerne une procédure devant le juge aux affaires familiales et une enquête pénale faisant suite à des allégations selon lesquelles un père présentait un risque sérieux pour le bien‑être de ses jeunes enfants. Le Comité a conclu qu’au regard du Pacte le juge aux affaires familiales était autorisé à refuser le droit de visite au père. Le Comité a rejeté le grief formulé par le père, auteur de la communication, alléguant que les décisions du juge constituaient une violation des articles 17 et 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

La demande d’un parent qui veut rester en contact avec un enfant mérite de recevoir tout le poids voulu au regard des normes établies dans les articles 17 et 23 du Pacte. Néanmoins, le Comité a, comme il convient, refusé de substituer sa propre décision à celle du juge aux affaires familiales. Le juge a procédé à une enquête détaillée sur les allégations de comportement sexuel inconvenant du père à l’égard des enfants, et a déterminé si le maintien des contacts avec ce parent mettrait en danger le bien‑être des enfants concernés.

Alors que le juge a agi dans le cadre de sa compétence en rejetant la requête du père qui demandait le droit de visite, le Comité déclare qu’il y a eu violation de l’article 14 du Pacte parce que l’on prétend que le juge aux affaires familiales de Wanganui (Nouvelle‑Zélande) a tardé trop longtemps avant de rendre ses conclusions et parce que la décision définitive de l’État partie concernant le fils de l’auteur n’était toujours pas rendue.

Les tristes réalités de cette affaire ne sont pas pleinement expliquées dans les constatations du Comité. En particulier, la gravité du préjudice que risque de subir un enfant a certainement une influence sur les méthodes d’enquête et d’évaluation qu’il convient d’adopter ainsi que sur le recours ou la réparation accordés.

Premièrement, il faut noter que la requête adressée par l’auteur au juge aux affaires familiales demandant un droit de visite auprès de ses enfants n’était pas la première démarche dans cette affaire (voir constatations du Comité, par. 2.1). En mai 2000, en effet, la conjointe avait demandé au juge une ordonnance de protection contre l’auteur, après qu’il aurait menacé de la tuer elle et les enfants avec une arme à feu, et de mettre «les enfants dans la voiture et de s’asphyxier avec eux». L’auteur avait été reconnu coupable, antérieurement, d’avoir tiré des coups de feu sur une autre personne sans justification. L’auteur a refusé de participer à la procédure judiciaire de quatre mois relative à l’ordonnance de protection. Une ordonnance définitive de protection a été rendue en faveur de la conjointe et des enfants en août 2000. C’est seulement après que l’auteur a présenté une requête demandant un droit de visite, malgré l’ordonnance définitive de protection.

Lorsqu’il a examiné la requête de l’auteur concernant le droit de visite auprès de ses enfants, le juge aux affaires familiales a été saisi de plusieurs allégations inquiétantes. La fille âgée de 8 ans (désignée par la lettre «C» dans la décision du juge et dans les constatations du Comité) a déclaré lors de deux entretiens, en juin 2001 et en octobre 2002, que son père avait eu un contact génital et des relations sexuelles avec elle à plusieurs reprises. La fille âgée de 11 ans (désignée par l’initiale «S») a également déclaré que son père l’avait touchée sur les parties sexuelles à plusieurs reprises.

Dans un rapport du 26 juin 2002, un psychologue clinicien a informé le juge que la plus âgée des filles «a déclaré avoir très peur de E. R. Elle ne voulait avoir aucun contact avec lui». Selon un autre rapport d’expertise daté du 19 mars 2003, cette dernière «demeurait opposée à tout contact avec E. R.».

La plus jeune des filles («C») a déclaré en mars 2003 «qu’elle ne voulait avoir aucun contact parce qu’elle n’avait pas confiance et ne se sentait pas en sécurité avec lui». Le frère plus jeune («E»), qui aurait assisté au massage par le père, sur la table de la cuisine, de la plus jeune des filles «a fait savoir qu’il ne voulait pas voir son père».

En juin 2003, le juge aux affaires familiales de Nouvelle‑Zélande a rendu un jugement détaillé de 57 pages, dans lequel il analysait les entretiens avec les enfants et leurs bilans psychologiques. L’évaluation à laquelle a procédé le juge comprenait également un bilan psychologique des deux parents, les dépositions des deux parents ainsi que des déclarations sous serment de quatre autres personnes. Le juge a pris note de la norme énoncée par le droit néo‑zélandais concernant la force probante, selon laquelle «plus l’allégation est grave … plus les éléments de preuve doivent avoir de force probante pour que le juge puisse conclure que l’allégation est établie selon la prépondérance des probabilités». En l’absence de preuves médicales corroborant les allégations d’abus, le juge a finalement décidé qu’il ne pouvait conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le père avait abusé sexuellement de ses enfants.

En revanche, le juge a bien conclu que les actes que le père a reconnu avoir commis et «le fait qu’il n’ait pas mesuré à quel point les enfants en ont été affectés» justifiaient le refus d’un droit de visite auprès des enfants. Le juge a noté qu’il a formulé ses conclusions «sur les éléments de preuve selon lesquels E. R. savait que F. R. [son ex‑femme] était préoccupée par le fait qu’il ne respectait aucune limite avec les enfants, par exemple en se mettant au lit nu avec eux et en les asseyant sur ses genoux lorsqu’il était sur le siège des toilettes, mais il a continué à ignorer ces craintes». Le juge a en outre noté la conclusion du psychologue, selon laquelle «on ne pouvait déterminer si E. R. pourrait un jour accepter comme légitimes les craintes de ses enfants» et selon laquelle «tous les enfants semblaient refuser le contact avec E. R.».

Le juge a examiné des témoignages indiquant qu’en cas d’activité sexuelle inconvenante, même des modalités de visite surveillée pourraient être préjudiciables aux enfants. En outre, le juge a noté que E. R. avait été «reconnu coupable deux fois d’infraction à l’ordonnance de protection» et «fait l’objet trois autres fois d’un non‑lieu», ce qui pourrait rendre difficile la réalisation de visites véritablement surveillées.

Chacun des facteurs énumérés à l’article 16B 5) de la loi néo‑zélandaise sur les tutelles de1968, applicables aux comportements violents, a en fait été examiné par le juge dans la mesure où ces facteurs s’appliquent aussi aux cas avoués de comportement inconvenant du père.

Le Comité constate aujourd’hui que ce processus d’évaluation a été excessivement long mais, ce faisant, il ne prend pas suffisamment en compte les problèmes réels qui se posent en cas de procédures civiles et pénales parallèles. Une procédure pénale comporte des garanties fondamentales pour le défendeur. Dans une procédure civile, le droit de ne pas témoigner contre soi‑même peut être sérieusement compromis par les actes de procédure obligatoires. Par conséquent, il est approprié d’attendre la fin d’une enquête pénale avant d’engager la procédure civile, même devant le juge aux affaires familiales. Une fois que l’enquête faisant suite à la plainte déposée contre le père a été close par la police, en janvier 2003, le juge aux affaires familiales a tenu une audience de cinq jours en mars 2003 sur la requête concernant le droit de visite, puis a reçu les communications écrites le 11 avril 2003 et a rendu sa décision le 24 juin 2003 concernant les deux filles et le fils. Il n’y pas de retard excessif.

Le Comité fait des remontrances à l’État partie à propos de la durée de l’enquête de police. Mais l’allégation de violence sexuelle exercée par un adulte sur de jeunes enfants justifie que l’on procède à une enquête minutieuse et circonspecte. Les conséquences de semblables allégations pour le défendeur, d’une part, et le préjudice que peuvent subir les enfants si des mesures de précaution ne sont pas prises, d’autre part, sont si graves qu’une enquête hâtive est à éviter.

Dans l’enquête de police, une première déposition écrite faite par la mère des enfants a été suivie de plusieurs interrogatoires par la police, ainsi que d’une déposition écrite de 52 pages. Lesenfants ont été interrogés lors de cinq entretiens séparés qui ont fait l’objet d’un enregistrement vidéo, et des dépositions sous serment ont été reçues de personnes proches de la mère. Une enquête de police doit généralement être confiée à des policiers formés à travailler avec des enfants. Affirmer que cette affaire pouvait être traitée rapidement parce qu’elle impliquait «l’appréciation des dépositions orales d’un très petit nombre de personnes», comme il est dit qu paragraphe 9.4 des constatations du Comité, ne tient pas compte de la difficulté qu’il y a à évaluer des faits délicats qui se sont produits dans l’intimité d’une famille, et le traumatisme que peut causer aux enfants la procédure même de l’enquête.

Le Comité a également conclu qu’il y avait eu retard excessif dans la procédure ultérieure devant le juge aux affaires familiales concernant le fils. Cette procédure a débuté après l’annulation par la Haute Courdu refus d’accorder au père un droit de visite auprès de son fils, et après que le fils de l’auteur (alors âgé de 6 ans) se fut plaint d’abus sexuel de la part de son père, le 21 avril 2004.

Selon l’État partie, «toutes les parties avaient convenu d’ajourner la procédure» pendant cinq mois, afin qu’une nouvelle enquête de police soit menée sur l’allégation du fils. La conjointe de l’auteur a alors demandé un rapport psychologique actualisé, lequel a été reçu en septembre 2005. C’est seulement en mars 2006 que le conseil de l’auteur a demandé une «critique» indépendante de ce rapport, puis affirmé en juin 2006 que l’avocat du fils ne pouvait pas seconder le juge pour cet examen critique. Il semblerait donc que les retards éventuels dont aurait souffert la procédure relative à cette dernière allégation ne soient pas entièrement imputables à l’État partie. On ne saurait conclure à une violation de l’article 14 simplement parce qu’une affaire aurait pu être jugée plus rapidement.

Je rejoins mes collègues pour conclure qu’il existe effectivement de sérieux doutes quant à la qualité du père pour invoquer les droits de ses enfants dans la présente communication, car rien n’indique dans le dossier que les enfants aient souhaité s’associer à la plainte. Au moment où la présente communication a été présentée, le 24 décembre 2004, les enfants avaient 14, 10 et 7 ans, et étaient suffisamment capables d’exprimer un avis pour être interrogés par un psychologue. Étant donné qu’ils ont déclaré ne plus vouloir avoir affaire à leur père, il semble peu plausible qu’ils souhaiteraient le voir agir en leur nom en présentant une communication au Comité.

Le Pacte protège la famille comme «l’élément naturel et fondamental de la société». L’article 17 du Pacte interdit les «immixtions arbitraires ou illégales dans … [la] famille», et l’article 23 dispose que la famille «a droit à la protection de la société et de l’État».

Mais ces articles permettent aussi, et peuvent même exiger, la protection des enfants contre la violence et la maltraitance, ainsi que d’autres risques importants pour leur bien-être. De nombreux États signataires du Pacte prennent en considération «l’intérêt supérieur de l’enfant» lorsqu’il s’agit de trouver une solution dans les affaires d’allégations de comportement abusif grave d’un ou des parents.

Il ne s’agit pas en l’espèce d’un simple conflit relatif à la garde des enfants, mais plutôt d’une affaire dans laquelle une décision erronée aurait pu menacer la santé et le bien-être d’un enfant. Il n’appartient pas au Comité de dénigrer l’effort consciencieux fait par l’État partie pour parvenir à un règlement juste de cette affaire.

(Signé) Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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